HISTOIRE DE L'EMPEREUR CHARLES-QUINT

 

D'APRÈS WILLIAM ROBERTSON

REVUE PAR UNE SOCIÉTÉ D'ECCLÉSIASTIQUES

TOURS - A. MAME ET Cie - 1857

 

 

PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.

CHAPITRE PREMIER.

Naissance de Charles-Quint. — Origine de ses domaines. — Philippe et Jeanne, son père et sa mère, viennent en Espagne. — Retour de Philippe dans les Pays-Bas. — Naissance de Ferdinand, frère de Charles. — Mort d'Isabelle. — Philippe et Jeanne sont reconnus roi et reine. — Mort de Philippe. — Ferdinand est reconnu régent. — Sa mort. — Édification de Charles. — Ximenès, régent de Castille. — Son portrait. — Charles prend le titre de roi. — Il passe en Espagne. — Mort de Ximenès. — États de Castille, d'Aragon et de Catalogne. — Mort de Maximilien. — Lutte de Charles et de François Ier. — Charles est élu Empereur. — Il part pour l'Allemagne. — Mécontentement des Espagnols.

CHAPITRE II.

Rivalité de Charles-Quint et de François Ier. — Henri VIII, roi d'Angleterre. — Son ministre Wolsey. — Charles va en Angleterre. — Entrevue de Henri VIII et de François Ier. — Couronnement de l'Empereur. — Soliman le Magnifique. — Diète de Worms. — Origine de la réformation. — Luther et son caractère. — Il est excommunié. — L'électeur de Saxe le protège. — Commencement des hostilités dans la Navarre. — Guerre dans les Pays-Bas. — Bayard. — Congrès à Calais. — Henri VIII se ligue contre la France. — Hostilités en Italie. — Mort de Léon X. — Élection d'Adrien. — Les Français perdent le Milanais. — Henri VIII déclare la guerre à la France. — Les Anglais entrent en France. — Leur retraite. — Conquête de l'île de Rhodes par Soliman.

CHAPITRE III.

Guerre civile en Castille. — La sainte ligue. — Les insurgés gouvernent au nom de la reine Jeanne. — Mesures que prend l'Empereur contre les mécontents. — Prise de Tordesillas par les royalistes. — Succès de Padilla. — Sa défaite et sa mort. — Ruine de la ligue. — Doña Maria Pacheco à Tolède. — Soulèvement dans le royaume de Valence, dans l'Aragon, dans l'île de Majorque. — Magnanimité de l'Empereur. Nouvelle ligue contre François Ier. — Ses préparatifs de défense. — Conspiration du connétable de Bourbon. — Invasion du Milanais par les Français. — Mort d'Adrien VI. — Élection de Clément VII. — Les Français repoussés du Milanais. — Mort de Bayard. — Résolution de la diète de Nuremberg.

CHAPITRE IV.

Charles attaque la France. — Sages mesures de François. — Siège de Pavie. — François Ier fait prisonnier. — Projets ambitieux de Charles. — Conduite de la régente. — François est conduit en Espagne. — Henri VIII s'allie à la France. — Traitement rigoureux que François éprouve en Espagne. — Négociations pour sa mise en liberté. — Traité de Madrid. — François Ier rentre en France. — Mariage de l'Empereur avec Isabelle de Portugal. — Ligue formée contre l'Empereur. — Accommodement entre le pape et l'Empereur. — Bourbon envahit le territoire de l'Église. — Il assiège Rome. — Sa mort. — Prise et pillage de Rome. — Le pape prisonnier.

CHAPITRE V.

Ligue formée contre l'Empereur. — François Ier défie Charles en combat singulier. — Les Impériaux sortent de Rome. — Les Français bloquent Naples. — Révolte d'André Doria. — Paix de Cambrai. — L'Empereur visite l'Italie. — Diète de Spire. — Protestation des sectateurs de Luther. — Confession d'Augsbourg. — Ligue de Smalkalde. — Ferdinand, frère de l'Empereur, élu roi des Romains. — Campagne de l'Empereur en Hongrie. — Entrevue du pape et de François Ier. — Mort de Clément VII et élection de Paul III. — La secte des anabaptistes. — Expédition de l'Empereur en Afrique. — Pillage de Tunis.

CHAPITRE VI.

Cause d'une nouvelle guerre entre l'Empereur et François Ier. — L'armée française s'empare de la Savoie. — Genève recouvre sa liberté. — L'Empereur entre dans Rome. — Sa déclamation contre son rival. — Charles-Quint entre en France. — Plan de François Ier pour défendre son royaume. — Retraite de l'armée impériale. — Mort du Dauphin. — Arrêt du parlement contre Charles-Quint. — Campagne des Pays-Bas. — Trêve de Nice. — Entrevue de Charles-Quint et de François Ier. — Soulèvement de la ville de Gand. — Charles-Quint traverse la France. — Sa mauvaise foi. — Punition des Gantois. — Fondation des jésuites. — Constitutions de cet ordre.- Conférences entre les catholiques et les protestants. — Diète de Ratisbonne. — Expédition de Charles-Quint contre Alger. — Désastres de son armée et de sa flotte.

CHAPITRE VII.

Meurtre des ambassadeurs français. — La France met cinq armées en campagne. — Alliance entre Charles-Quint et Henri VIII. — Négociations entre François et Soliman. — L'Empereur s'empare du duché de Clèves. — Siège de Landrecies. — Descente de Barberousse en Italie. — Diète de Spire. — Plan de Charles et de Henri contre la France. Les Français assiègent Carignan, dans le Piémont. — Bataille de Cérisoles. — L'Empereur pénètre dans la Champagne. — Henri VIII investit Boulogne. — Prise de Saint-Dizier. — Traité de Crespy. — Convocation du concile de Trente. — Diète de Worms. — Mort du duc d'Orléans. — Commencement du concile de Trente. — Assemblée des protestants à Francfort. — Rupture des conférences.

CHAPITRE VIII.

Mort de Luther. — Procédés du concile contre les protestants. — Charles se prépare à commencer les hostilités contre eux. — Sa trêve avec Soliman. — Alarmes des protestants. — Traité de l'Empereur avec le pape. — Les protestants se mettent en défense. — Ils lèvent une armée. — L'Empereur met les deux chefs de la ligue au ban de l'Empire. — L'Empereur refuse la bataille que lui présente l'armée protestante. — État des deux armées. — Projets de Maurice de Saxe. — Il s'empare de l'électorat de Saxe. — Les troupes confédérées se séparent. — L'électeur de Saxe recouvre ses États. — Conspiration de Fiesque, à Gênes. — L'Empereur suspend ses opérations en Allemagne.

CHAPITRE IX.

François Ier est jaloux de la puissance de l'Empereur. — Alarmes de ce dernier. — Mort de François. — Son caractère. — Sa rivalité avec Charles. — L'Empereur marche contre l'électeur de Saxe. — L'électeur est fait prisonnier. — Siège de Wittemberg. — Traité de Charles avec l'électeur. — Négociations avec le landgrave. — Sévérité de Ferdinand à l'égard de la Bohème. — Diète d'Augsbourg. — Le concile général est transféré de Trente à Bologne. — L'Empereur s'empare de Plaisance. — Il proteste contre le concile de Bologne. — L'Empereur présente un système religieux pour servir de règle de foi en Allemagne. — Il emploie les moyens les plus rigoureux pour faire exécuter l'intérim. — Voyage de Philippe, fils de Charles, dans les Pays-Bas.

CHAPITRE X.

Mort de Paul III. — Élection de Jules III. — Diète tenue à Augsbourg. — Desseins de Maurice de Saxe contre l'Empereur. — Sa protestation contre le concile. — Projet de Charles pour faire passer la couronne impériale sur la tête de son fils Philippe. — Il est obligé d'y renoncer. — Hostilités en Italie. — Henri II proteste contre le second concile de Trente. — Siège de Magdebourg. — Révolution en Hongrie. — Maurice sollicite l'appui du roi de France. — Les Allemands demandent encore une fois inutilement la liberté du landgrave. — Maurice entre en campagne contre l'Empereur. — Étonnement et embarras de Charles. — Succès de Maurice. — L'Empereur quitte précipitamment Insprück. — Le concile de Trente se dissout. — Traité de Passau.

CHAPITRE XI.

Le landgrave de Hesse et l'électeur de Saxe recouvrent la liberté. — L'Empereur se dispose à attaquer la France. — Siège de Metz. — Ruine de l'armée impériale et générosité des vainqueurs. — Violences commises par Albert de Brandebourg. — Mort de Maurice de Saxe. — Mort d'Albert. — Guerre dans les Pays-Bas. — Mariage de Philippe et de Marie, reine d'Angleterre. — Les Français s'emparent de Marienbourg. — Bataille de Renti. — Guerre d'Italie. — Bataille de Mariano. — Belle défense de Sienne par Montluc. — Diète d'Augsbourg. — Paix de la religion. — Marcel II élu pape. — Sa mort. — Paul IV lui succède. — Son traité avec la France. — Abdication de l'Empereur. — On conclut une trêve ; elle est presque aussitôt rompue en Italie.

CHAPITRE XII.

Charles part pour l'Espagne. — Le monastère de Saint-Just. — Le duc de Guise conduit l'armée française en Italie. — Siège de Saint-Quentin. — Défaite des Français. — Belle défense de Coligny. — Le duc de Guise prend le commandement de l'année française. — Il emporte Calais, Guines et Ham. — Ferdinand élu Empereur. — Mariage du dauphin de France avec la reine d'Écosse. — Bataille de Gravelines. — Négociations pour la paix.- Mort de Charles-Quint. — Sa vie dans la retraite. — Son caractère. — Mort de Marie, reine d'Angleterre. — Conduite d'Élisabeth. — La paix est conclue à Cateau-Cambrésis. — Mort de Henri II. — Mort de Paul IV.

 

PRÉFACE DE L'ÉDITEUR

 

L'étude de l'histoire ne doit pas être regardée comme un simple passe-temps ou l'aliment d'une vaine curiosité : abandonnant aux esprits vulgaires cette puérile satisfaction, tout esprit élevé et judicieux se propose en étudiant l'histoire une fin plus noble et un but plus utile. Si l'histoire est la maîtresse des rois, elle n'est pas moins profitable ni moins nécessaire aux particuliers ; eux aussi ont des droits à défendre et des devoirs à remplir.

Aujourd'hui qu'on attache un vif intérêt à cette étude, et que certains esprits l'exploitent au profit de leurs opinions, il importe à ceux qui sont chargés de l'éducation de la jeunesse et honorés de la confiance des familles, de surveiller d'une manière particulière cet enseignement. Esclaves d'aveugles préjugés, ou préoccupés de systèmes décevants, quelques écrivains donnent souvent, sous le titre apparent de Cours d'Histoire, des leçons ou des ouvrages remplis de préceptes erronés qui faussent l'intelligence de la jeunesse et la fourvoient dès son entrée dans la vie. Selon nous, il ne faut à la jeunesse que l'étude des faits ; ils forment la substance et l'élément fondamental de l'histoire : autrement elle devient une arme dangereuse entre les mains d'un auteur ou d'un professeur dont les principes n'offrent pas une entière garantie. On a étrangement dénaturé l'histoire ; et, sous prétexte de philosophie, on a altéré, mutilé les faits ; on en a tiré des conséquences fausses ou exagérées ; on s'en est servi pour égarer les esprits, pour éteindre la religion dans les cœurs.

Ce n'est pas que nous voulions nous élever contre ce qu'on appelle la philosophie de l'histoire ; mais cette science présuppose la connaissance exacte des événements, un esprit droit et judicieux, des principes sûrs et une discussion approfondie. Sans de telles conditions, cette nouvelle science devient un écueil pour bien des intelligences ; pour l'éviter, il faut avant tout, nous le répétons, se livrer à l'étude des faits : ce n'est qu'après s'être imposé cette tache qu'on peut ensuite généraliser et conclure avec plus de certitude.

Sous ce rapport, l'Histoire  de Charles-Quint, que nous offrons au public, peut être d'une grande utilité. Elle n'est, quant au fond, qu'une traduction de celle que Robertson a donnée en anglais ; mais on a cru y ajouter un mérite nouveau en modifiant certains passages où cet historien, d'ailleurs si estimable, s'est laissé aller aux préjugés de sa nation. Comme les grands historiens, Robertson raconte, il décrit, il peint, il met eu scène les personnages dont il rapporte les actions ; il n'est point philosophe, il est historien. Considérée en elle-même, l'histoire de Charles-Quint offre un intérêt puissant. Maître d'un immense empire, et ayant sous sa domination mie grande partie de l'Europe, son histoire est en même temps celle de son siècle. Dégagée de réflexions superflues, elle est comme un vaste tableau où l'on voit représentés sous leurs traits naturels les principaux personnages de l'époque : François Ier avec cet air de franchise et de loyauté, type du caractère français ; le chevalier Bayard, mourant en héros fidèle à son Dieu, fidèle à son roi ; le connétable de Bourbon, traître à sa patrie, s'attaquant au chef de l'Église, allant mettre le siège devant Ronce, et recevant sous les murs de cette ville, par une mort prématurée, le châtiment de sa double trahison ; Luther, apparaissant comme un astre tombé, mais embrasant, avant de s'éteindre, une grande partie de l'Allemagne ; Henri VIII, d'abord ardent défenseur de la foi catholique, mais ensuite devenu, par son libertinage, le corrupteur des anciennes croyances de la Grande-Bretagne et le persécuteur dé ses meilleurs sujets ; le sombre Calvin, expiant par une mort honteuse l'orgueil de son esprit, et léguant à la ville trop crédule de Genève sa déplorable réforme ; la princesse Marie, fille légitime de Henri VIII, relevant le courage et les espérances (les catholiques, essayant d'effacer le crime de son père en faisant disparaître sa réforme ; la reine Élisabeth, intéressée à défendre l'Église anglicane pour se soutenir elle-même sur le trône, dont le vice de sa naissance devait l'exclure.

Des scènes variées se succèdent dans l'histoire de Charles-Quint : jaloux d'assurer à la maison d'Autriche la prépondérance en Europe, il travaille sans cesse à affaiblir la puissance de la maison de France ; de là les guerres presque continuelles qui existèrent entre lui et François Ier, et dont l'Italie, objet de leur commune ambition, fut le principal théâtre. Soliman, voulant profiter de ces divisions et de celles qu'avait excitées parmi les princes d'Allemagne la réforme de Luther, s'avance avec une nombreuse et brillante armée jusqu'aux portes de \Tienne ; Charles, pour opposer à l'audacieux sultan des forces suffisantes, demande le concours des princes luthériens ; il ne l'obtient qu'avec peine : tant il est vrai que l'esprit de secte, en détruisant l'unité, produit l'affaiblissement ; et peu s'en est fallu que, par l'opiniâtreté des disciples de Luther, l'Europe chrétienne ne devint la proie des barbares disciples de Mahomet. Alger excita aussi l'ambition de Charles-Quint ; mais, malgré la mémorable expédition qu'il commanda en personne, il fut obligé d'abandonner ses projets de conquête eu Afrique, laissant à la France la gloire de soumettre un jour cette ville réputée imprenable, et d'arborer sur ses murs son drapeau victorieux.

Forcé de nous renfermer dans notre sujet et de suivre notre auteur, nous regrettons de ne pas donner une description plus complète du concile de Trente : on verrait, dans cette auguste assemblée, la science et la vertu réunies présidant aux destinées de l'Église, traitant avec dignité des points controversés, déroulant en faveur des vérités la chaîne immense de la tradition, et opposant à la réforme violente et passionnée de Luther et de Calvin une réforme sage et éclairée, une réforme légitime.

Si, considérée en elle-même, l'histoire de Charles-Quint offre tant de charme et d'intérêt, envisagée sous un rapport plus étendu comme le fondement de l'histoire moderne proprement dite, elle n'est pas seulement intéressante, elle est nécessaire. On aime à trouver la raison des faits ; il faut pour cela les embrasser dans leur ensemble, remonter aux principes, aux causes générales qui expliquent les événements, et mettent l'historien à même de procéder comme le philosophe par la voie de la déduction ; car il y a une logique dans les faits, de même que dans les raisonnements. L'histoire de Charles-Quint est comme l'introduction de l'histoire moderne ; elle offre certaines généralités à l'aide desquelles on peut se rendre compte de tout ce qui depuis lors a marqué dans les annales européennes.

Sous Charles-Quint, la maison d'Autriche s'élève et devient dominante en Europe. Voulant conserver cette prépondérance, elle cherche à affaiblir, à abaisser la France, qui voulait la lui disputer. Cette lutte de la France et de l'Autriche est l'origine de la plupart des grands événements politiques qui se sont succédé et qui forment l'histoire des temps modernes.

De tous ceux qui ont signalé le règne de Charles-Quint, il n'en est pas de plus important, par ses suites funestes, que la réforme protestante : elle a changé la religion, les mœurs, les habitudes de plusieurs nations ; elle a jeté la division parmi les peuples et dans les familles et donné naissance aux guerres religieuses. Aujourd'hui que le protestantisme fait de nouveaux efforts pour arracher du sol français la religion catholique, à laquelle la France doit sa gloire et sa civilisation, il importe de connaître les principaux auteurs de la réforme, ceux que les protestants regardent comme leurs chefs et leurs maîtres, Luther, Calvin et Henri VIII.

C'est en étudiant l'histoire du mouvement anticatholique du XVIe siècle que les préjugés se dissipent, les préventions tombent : les esprits éclairés, parmi les protestants eux-mêmes, conçoivent un juste mépris pour ses auteurs ; et c'est là ce qui explique ces conversions nombreuses, ce retour vers la religion romaine qui se manifeste dans les ouvrages d'un grand nombre de protestants. Les avantages qu'on peut retirer de cette histoire de Charles-Quint nous font espérer qu'elle sera bien accueillie surtout de la jeunesse, à laquelle nous avons eu en vue d'être utile.