HISTOIRE DE L'EMPEREUR CHARLES-QUINT

 

CHAPITRE DIXIÈME.

 

 

Mort de Paul III. — Élection de Jules III. — Diète tenue à Augsbourg. — Desseins de Maurice de Saxe contre l'Empereur. — Sa protestation contre le concile. — Projet de Charles pour faire passer la couronne impériale sur la tête de son fils Philippe. — Il est obligé d'y renoncer. — Hostilités en Italie. — Henri II proteste contre le second concile de Trente. — Siège de Magdebourg. — Révolution en Hongrie. — Maurice sollicita l'appui du roi de France. — Les Allemands demandent encore une fois inutilement la liberté du landgrave. — Maurice entre en campagne contre l'Empereur. — Étonnement et embarras de Charles. — Succès de Maurice. — L'Empereur quitte précipitamment Insprück. — Le concile de Trente se dissout. — Traité de Passau.

 

1550 — Charles s'occupait avec une constance infatigable à vaincre l'obstination des protestants ; mais les effets de sa fermeté étaient contrebalancés par les efforts du pape, qui observait tous les jours avec plus de défiance ses entreprises réitérées sur la juridiction ecclésiastique. Voyant aussi que l'Empereur persistait à, conserver Plaisance, le pontife révoqua la cession qu'il avait faite de Parme et de Plaisance à la famille Farnèse, et déclara ces deux villes réunies au Saint-Siège. Il espérait par ce moyen obtenir la restitution de Plaisance et assurer la conservation de Parme, qui deviendrait ainsi partie du patrimoine de l'Église. La mort vint interrompre ses projets, et termina sa carrière dans la seizième année de sou pontificat et la quatre-vingt-deuxième de son âge. Le cardinal del Monte fut élu à sa place, et prit le nom de Jules III. Le premier usage qu'il fit de son pouvoir fut de restituer Parme à Octave Farnèse. Il renvoya ensuite à une congrégation de cardinaux l'examen des mesures à prendre pour rendre la paix à l'Église, et, sur leur avis, il envoya des nonces à la cour impériale et à celle de France, pour déclarer qu'il avait l'intention de convoquer un concile général à Trente.

Cependant l'Empereur avait convoqué une nouvelle diète à Augsbourg, dans la vue de donner plus d'activité à l'exécution de l'Intérim, et de faire signer à cette assemblée un acte plus authentique pour reconnaître la juridiction du concile, avec une promesse positive de se conformer à ses décrets. Il aurait obtenu sans difficulté tout ce qu'il désirait, si Maurice de Saxe n'avait pas commencé à montrer de nouvelles intentions et à prendre un rôle très-différent de celui qu'il avait joué jusqu'alors. Ce prince devait sa haute position à l'étroite liaison qu'il avait entretenue avec l'Empereur ; mais il n'en comprenait pas moins que la puissance envahissante de son protecteur devait effrayer l'Allemagne, et que, si on lui laissait faire encore quelques pas, Charles serait aussi absolu dans l'Empire qu'en Espagne. Étant devenu le prince le plus puissant de l'Empire, il avait aussi l'ambition de se faire le chef politique du protestantisme ; et d'ailleurs il avait été profondément blessé par la perfidie dont l'Empereur avait usé à son égard, en retenant prisonnier le landgrave. La politique, l'ambition et le ressentiment déterminèrent donc Maurice à se tourner contre le souverain qui avait été son protecteur et dont il avait semblé jusqu'alors l'ami le plus dévoué ; toutefois il cacha ses desseins avec le plus grande prudence jusqu'à ce qu'il trouvât l'occasion de les faire éclater.

Maurice avait trouvé le moyen d'établir l'Intérim dans ses États, sans exercer de violence et par des voies de persuasion, et tout en protestant avec force de son attachement à la religion réformée. En même temps, et pour ne pas inspirer de défiance à l'Empereur, il marchait contre les habitants de Magdebourg, qui avaient refusé de se soumettre à l'Intérim. Cette démarche ayant éloigné de lui les protestants, il crut devoir, pour les ramener, protester, à la diète d'Augsbourg, contre le concile de Trente ; ses ambassadeurs déclarèrent donc que leur maître ne reconnaîtrait l'autorité de ce concile qu'à des conditions tellement favorables que personne n'aurait osé les proposer à l'Empereur. Ce prince n'en fut cependant. pas offensé, et Maurice eut l'art de rester dans ses bonnes grâces, malgré cette démonstration, que tout le monde trouva pleine de hardiesse. En même temps la diète décidait que les forces de l'Empire seraient employées à réduire Magdebourg, et demandait que le commandement en fût donné à Maurice ; l'Empereur y consentit très-volontiers, et Maurice accepta cette mission mec empressement.

1551 — Dans ces entrefaites, Jules avait convoqué le concile de Trente pour le 1er mai. Malgré le soin qu'il avait eu d'exprimer dans sa bulle ses droits à la direction des opérations du concile, et malgré la répugnance que les protestants témoignaient à reconnaitre au pape de tels privilèges, l'influence de l'Empereur détermina tous les princes et les États de l'Empire à envoyer leurs représentants à Trente.

Pendant la durée de la diète d'Augsbourg, on fit de nouvelles démarches auprès de l'Empereur pour obtenir la liberté du landgrave ; Maurice et l'électeur de Brandebourg firent de nouveaux efforts dans le même but ; mais ce fut toujours en vain ; l'Empereur, par un acte-public de sa volonté, annula la promesse authentique que ces deux princes avaient faite de se remettre eux-mêmes entre les mains des jeunes princes de Hesse, si on attentait à la liberté de leur père ; et le landgrave, ayant tenté de s'évader, fut transféré dans la citadelle de Mechlin, où il fut gardé plus étroitement que jamais.

La même diète fut occupée d'une affaire qui intéressait encore de plus près l'Empereur, et qui excita également une alarme universelle parmi les princes de l'Empire. Les succès des armes impériales avaient donné un nouvel essor à l'ambition démesurée de Charles, et il ne se proposait rien moins que d'établir dans toute l'Allemagne l'uniformité de religion et de rendre despotique l'autorité impériale. Il s'occupait déjà en outre de perpétuer dans sa famille les acquisitions importantes qu'il allait faire, en transmettant à la fois à son fils l'Empire d'Allemagne, les royaumes d'Espagne et les États d'Italie, et des Pays-Bas. C'était dans ce but qu'il avait fait venir son fils d'Espagne, et il ne craignit pas de proposer à Ferdinand de céder à son neveu le titre de roi des Romains, qui semblait lui assurer la succession de l'Empire : mais l'Empereur rencontra chez son frère une opposition insurmontable, et qu'aucune promesse ne put fléchir. Charles songea alors à s'adresser aux électeurs, espérant les amener à révoquer le choix qu'il leur avait dicté lui-même autrefois, ou au moins à nommer Philippe second roi des Romains, en le désignant pour succéder immédiatement à son oncle ; mais il échoua encore de ce côté ; le caractère hautain et sévère de Philippe avait choqué les électeurs, effrayés d'ailleurs de mettre un prince si puissant à la tête de l'Empire. L'Empereur dut donc renoncer à la réalisation d'un projet qu'il mûrissait depuis longtemps, et il envoya Philippe en Espagne, pour l'en rappeler lorsqu'un nouveau plan d'ambition rendrait sa présence nécessaire.

La guerre semblait sur le point de se rallumer en Italie. Octave Farnèse, se voyant menacé par Gonzague, gouverneur de Milan, qui se disposait à s'emparer de Parme sur l'ordre de l'Empereur, eut recours au roi de France. Henri II, qui venait de terminer heureusement la guerre avec l'Angleterre ; conclut aussitôt une alliance avec lui. Le pape, effrayé de voir la guerre si près de son territoire, avait ordonné à Octave de se désister de son traité avec la France, et sur son refus il envoya contre lui des forces soutenues par celles que lui fournit Charles. Ainsi les Impériaux et les Français se trouvèrent en présence en Italie, les premiers comme protecteurs du Saint-Siège, et les seconds comme alliés d'Octave. Cette campagne ne produisit pas d'événements remarquables ; mais les Impériaux furent obligés d'abandonner le siège de Parme.

Le mouvement et les alarmes de la guerre empêchèrent d'abord la réunion du concile, qui s'ajourna au 1er septembre. Il s'y rendit à cette époque environ soixante prélats, pour la plupart de l'État ecclésiastique ou d'Espagne, et un petit nombre d'Allemands. Dès les premières séances, un ambassadeur du roi de France se présenta et fit quelques remontrances respectueuses aux Pères du concile de la part du roi son maître. Le concile n'en procéda pas moins à l'examen des points importants qui lui étaient soumis. En attendant ses décisions, l'Empereur faisait les plus grands efforts pour établir l'autorité et la juridiction du concile. Il chassa de la ville d'Augsbourg les prédicateurs protestants, et vint ensuite s'établir à Insprück, d'où il pouvait facilement observer ce qui se passait à Trente, en Allemagne, et sur le territoire de Parme.

Cependant le siège de Magdebourg se poursuivait avec des succès alternatifs. Maurice de Saxe avait pris le commandement des assiégeants, et se faisait un mérite auprès de l'Empereur de son zèle à exécuter ses décrets. Mais les approches de la place se faisaient lentement ; la garnison troublait les assiégeants par de fréquentes sorties ; elle détruisait à mesure leurs ouvrages et enlevait des soldats dans les postes avancés. Les bourgeois de Magdebourg, animés par les discours de leurs pasteurs, et les soldats de la garnison, encouragés par l'exemple de leurs officiers, supportaient sans murmurer toutes les fatigues du siège, et se défendaient toujours avec le même zèle qu'ils avaient montré d'abord ; d'un autre côté, les soldats des assiégeants se relâchaient au contraire de leur ardeur, et murmuraient de tout ce qu'ils étaient obligés de souffrir dans un service qui leur déplaisait ; ils se soulevèrent même plusieurs fois en demandant ce qui leur était dû de leur solde, qu'on n'avait pu leur payer depuis quelque temps parce que les Allemands ne .contribuaient qu'avec répugnance aux dépenses de cette guerre. Maurice avait d'ailleurs des motifs particuliers et qu'il n'osait pas encore avouer, pour ne pas pousser le siège avec vigueur ; il aimait mieux rester à la tête d'une armée, exposé à toutes les imputations auxquelles la lenteur de ses opérations donnait lieu, que de précipiter une conquête qui, en ajoutant quelque chose à sa gloire, l'aurait mis dans la nécessité de licencier ses troupes.

Cependant ses habitants commençaient à souffrir les horreurs de la disette ; Maurice, se voyant dans l'impossibilité de prolonger davantage le siégé sans donner à l'Empereur des soupçons qui auraient déconcerté toutes ses mesures, conclut à la fin un traité de capitulation avec la ville aux conditions suivantes : Que les habitants imploreraient avec soumission la clémence de l'Empereur ; qu'à l'avenir ils ne prendraient point les armes et n'entreraient dans aucune alliance contre la maison d'Autriche ; qu'ils reconnaîtraient l'autorité de la chambre impériale ; qu'ils se conformeraient aux décrets de la diète d'Augsbourg sur la religion ; que les nouvelles fortifications qui avaient été ajoutées à la place seraient démolies ; qu'ils paieraient une amende de cinquante mille couronnes ; qu'ils livreraient à l'Empereur douze pièces d'artillerie ; enfin, qu'ils donneraient la liberté sans rançon au duc de Mecklembourg et à tous les autres prisonniers. Le lendemain, la garnison sortit de la ville, et Maurice en prit possession avec toute la pompe militaire.

Avant que les articles de la capitulation fussent entièrement convenus, Maurice avait eu plusieurs conférences avec Albert, comte de Mansfeld, qui avait le principal commandement à Magdebourg, et avec le comte Heideck, officier qui avait servi avec beaucoup de distinction dans les troupes de la ligue de Smalkalde, que l'Empereur avait proscrit à cause de son zèle pour la cause protestante, et que Maurice avait secrètement engagé à son service et admis dans sa confiance la plus intime. Il leur communiqua un plan qui depuis longtemps occupait son esprit, et dont le but était de procurer la liberté au landgrave, son beau-père, de rétablir les privilèges du corps germanique, et de mettre des bornes aux dangereuses usurpations de la puissance impériale. Après les avoir consultés sur les mesures qu'il serait nécessaire de prendre pour assurer le succès d'une entreprise si périlleuse, il donna à Mansfeld des assurances secrètes que les fortifications de Magdebourg ne seraient point détruites, et que les habitants ne seraient ni troublés dans l'exercice de leur religion, ni privés d'aucune de leurs anciennes immunités, Afin d'engager plus sûrement Maurice, par son propre intérêt, à remplir ces promesses, le sénat de Magdebourg l'élut pour son burgrave, dignité qui avait anciennement appartenu à la maison électorale de Saxe, et qui lui donnait une juridiction très-étendue, tant dans la ville que dans le territoire.

Ainsi les bourgeois de Magdebourg, après avoir soutenu un siège d'une année entière, après avoir combattu pour leur liberté civile et religieuse avec une intrépidité que toute l'Europe admira, furent enfin assez heureux pour conclure un traité qui les laissa dans un meilleur état que ceux de leurs compatriotes qui, par timidité et par défaut d'esprit patriotique, s'étaient soumis si bassement à l'Empereur. Mais, tandis qu'une grande partie de l'Allemagne applaudissait au courage des Magdebourgeois, et se réjouissait de les voir échappés à la destruction dont ils avaient été menacés, tout le monde admira l'habileté de Maurice dans la conduite de sa négociation avec eux, et l'adresse avec laquelle il avait su tourner chaque événement à son avantage. On voyait avec étonnement qu'après avoir fait éprouver aux habitants de Magdebourg, pendant plusieurs mois, toutes les horreurs de la guerre, il était à la fin, par mie élection volontaire, revêtu de l'autorité suprême dans cette même ville qu'il venait d'assiéger, et qu'après avoir été si longtemps l'objet de leurs déclamations et de leurs satires, comme apostat et ennemi de la religion qu'il professait, ces mêmes habitants paraissaient mettre une confiance sans bornes dans son zèle et dans sa bienveillance. En même temps les articles publics du traité de capitulation étaient si exactement conformes à ceux que l'Empereur lui-même avait accordés aux autres villes protestantes, et Maurice sut si bien faire valoir le mérite d'avoir réduit une place qui s'était défendue avec tant d'opiniâtreté, que Charles, loin de soupçonner ni fraude ni collusion dans les conditions du traité, le ratifia sans hésiter, et releva les Magdebourgeois de la sentence de ban qui avait été prononcée contre eux.

La seule difficulté qui pouvait encore embarrasser Maurice, c'était de tenir rassemblées les vieilles troupes qui avaient servi sous lui, et celles qui avaient été employées à la défense de la place. Il imagina, pour y réussir, un expédient d'une adresse singulière. Ses projets contre l'Empereur n'étaient pas encore assez mûrs pour qu'il osât les faire connaître et travailler ouvertement à les mettre à exécution. L'hiver qui approchait ne lui permettait pas d'entrer sur-le-champ en campagne. Il craignait de donner une alarme prématurée à l'Empereur en retenant à sa solde un corps si considérable jusqu'à ce que le temps des opérations militaires fût revenu avec le printemps. Dès que Magdebourg lui eut ouvert ses portes, il permit à ses soldats saxons de retourner chez eux ; comme c'étaient ses sujets, il était bien sûr de leur faire reprendre les armes et de les rassembler quand il en aurait besoin. Il paya en même temps une partie de ce qui était dû aux troupes mercenaires qui avaient suivi ses étendards, aussi bien qu'aux soldats qui avaient servi dans la garnison ; et, après les avoir relevés de leur serment de 'fidélité, il les licencia. Mais, au moment où il leur donna congé, Georges, duc de Mecklembourg, offrit de reprendre ces mêmes troupes à son service, et de se rendre caution pour le paiement de ce qui leur était encore dû. Ces aventuriers, accoutumés à changer souvent de maître, acceptèrent sans peine sa proposition. Ainsi les mêmes troupes restèrent unies et prêtes à marcher partout où Maurice les appellerait ; tandis que l'Empereur, trompé par cet artifice, et s'imaginant que le duc de Mecklembourg ne les avait engagées que pour soutenir par la force des armes ses prétentions sur une partie des États de son frère, vit tout cet arrangement d'un œil très-indifférent. Pour mieux tromper l'Empereur, Maurice affecta un grand empressement à reconnaître le concile de Trente et à y envoyer des ambassadeurs.

De grandes difficultés s'étaient élevées relativement aux sûretés qu'exigeaient les docteurs protestants pour se rendre à Trente : l'Empereur leur avait accordé des sauf-conduits, mais ils voulaient en recevoir du concile lui-même, et des négociations sans fin s'ouvrirent à ce sujet. L'Empereur voulut intervenir pour concilier les parties, et il se trouva entraîné dans un inextricable dédale d'intrigues et de pourparlers. Tandis que Charles était ainsi occupé, Maurice avait le loisir de laisser mûrir son plan et d'achever ses préparatifs.

Mais, avant de raconter ses tentatives, il est nécessaire de parler d'une révolution' nouvelle qui s'accomplit en Hongrie. En privant le jeune roi de Hongrie de ses domaines, Soliman avait accordé à ce prince la Transylvanie, dont il avait confié le gouvernement à la reine et à Martinuzzi, évêque de Waradin. Celui-ci se lia secrètement avec Ferdinand, et le décida à faire marcher une armée à la conquête de la Hongrie. Les troupes du roi des Romains ne trouvèrent pas de résistance, et Martinuzzi détermina la reine Isabelle à lui abandonner la Transylvanie, lui promettant, au nom de ce prince, une compensation suffisante. Ferdinand se vit donc maître de ce pays, et prouva sa reconnaissance à Martinuzzi en le laissant gouverneur de la Transylvanie, en le nommant évêque de Gran, en obtenant pour lui du pape la promesse qu'il serait fait cardinal. Cependant Ferdinand ne tarda pas à concevoir des soupçons sur la sincérité de Martinuzzi, et, se croyant faussement trahi par lui, il le fit assassiner par des conjurés. Cet acte dé cruauté et d'ingratitude souleva contre lui la noblesse hongroise, et encouragea les Turcs à faire de nouveaux efforts pour reconquérir la Hongrie ; ainsi le crime que Ferdinand avait ordonné, au lieu de consolider sa puissance en Hongrie, la compromit gravement.

Maurice, sur le point de commencer les hostilités contre l'Empereur, sollicita la protection de Henri II, et celui-ci s'empressa de conclure un traité qui lui donnerait l'occasion de satisfaire la haine héréditaire qu'il portait à Charles. Les tentatives de Maurice, auprès du roi d'Angleterre, Édouard VI, furent moins heureuses ; mais l'appui de la France suffisait pour le faire procéder avec confiance, mais avec circonspection, à l'exécution de son plan. Il jugea qu'il était nécessaire de faire une nouvelle démarche auprès de l'Empereur pour obtenir la liberté du landgrave ; il envoya donc à Insprück, en son nom et en celui de l'électeur de Brandebourg, une ambassade solennelle chargée de faire valoir toutes les considérations favorables à cet infortuné prisonnier. Les autres princes allemands, k roi de Danemark, les ducs de Bavière et de Lunebourg, le roi des Romains lui-même, joignirent leurs instances aux siennes ; mais l'Empereur, inébranlable dans sa résolution, éluda la demande, et répondit qu'il ferait connaître ses intentions à Maurice lui-même, qui était attendu à Insprück.

1552 — Le temps d'agir approchait ; Maurice avait envoyé secrètement à Paris Robert de Brandebourg, pour y confirmer sa confédération avec Henri, et pour hâter la marche de l'armée française. Il avait pourvu à la sûreté de la Saxe, et tenait ses troupes de la Thuringe prêtes à marcher au premier signal. Charles restait à Insprück dans la plus parfaite tranquillité, occupé à surveiller le concile de Trente, et affligé d'une violente attaque de 'goutte. Son premier ministre, Granvelle, évêque d'Arras, méprisait si fort les talents politiques des Allemands, qu'il ne fit aucune attention aux avis qu'on lui donna des intrigues secrètes et des projets dangereux de Maurice. Granvelle était d'ailleurs la dupe de ses propres finesses ; il avait en effet corrompu deux ministres de Maurice, qui lui faisaient connaître toutes les actions de leur maître. Maurice, qui avait découvert cette trahison, la fit servir au succès de ses projets ; il feignit en effet d'avoir une confiance complète en ces deux ministres, et ne leur révélait cependant lue ce qu'il voulait faire connaître à l'Empereur. Ainsi l'espionnage dont il était l'objet Servait à mieux tromper Ceux qu'il se préparait à attaquer.

Enfin les préparatifs de Maurice se trouvèrent achevés, et il jouit du plaisir de voir que ses intrigues et ses projets étaient encore ignorés ; mais, quoiqu'il fût près de commencer les hostilités, il ne voulût pas encore jeter le masque qu'il avait gardé jusqu'alors, et, par une nouvelle ruse, il sut tromper ses ennemis quelques jours de plus. Il annonça qu'il allait faire le voyage d'Insprück, dont il avait si souvent parlé, et il prit, pour l'y accompagner, un des deux ministres que Granvelle avait corrompus. Après avoir fait quelques postes, il feignit d'être fatigué du voyage, et dépêcha à Insprück son perfide ministre, en le chargeant de faire à l'Empereur des excuses sur ce délai, et de l'assurer qu'il arriverait à la cour clans peu de jours. Cet espion ne fut pas plutôt parti, que Maurice monta à cheval, vola vers la Thuringe, y joignit son armée, composée de vingt mille hommes d'infanterie et de cinq mille de cavalerie, et la mit sur-le-champ en mouvement.

Il publia en même temps un manifeste contenant les raisons qu'il avait pour prendre les armes. Il allégua trois motifs : 1° de défendre la religion protestante, menacée d'une destruction prochaine ; 2° de maintenir la constitution et les lois de l'Empire, et de préserver l'Allemagne de la domination d'un monarque absolu ; 3° de délivrer le landgrave de Hesse des horreurs d'une longue et injuste captivité.

Le roi de France publia aussi un manifeste en son propre nom : Henri déclarait qu'il allait prendre les armes pour rétablir l'ancienne constitution de l'Empire, pour délivrer quelques-uns de ses princes de la servitude, et pour assurer les privilèges et l'indépendance de tous les membres du corps germanique ; il prenait, dans ce manifeste, le titre de protecteur des libertés de l'Allemagne et de ses princes captifs. Maurice avait alors un rôle tout nouveau à jouer, mais son génie flexible était fait pour se plier à toutes les situations. Dès le moinent où il prit les armes, il se montra aussi hardi et aussi entreprenant à la tête de son armée, qu'il avait été- circonspect et rusé dans le cabinet. Il s'avança par des marches rapides vers la haute Allemagne. Toutes les villes qui se trouvèrent sur sa route lui ouvrirent leurs portes. Il rétablit dans leurs offices les magistrats que l'Empereur avait destitués, et remit en possession des églises les ministres protestants qui en avaient été chassés. Il dirigea sa marche vers Augsbourg. La garnison impériale qui y était, n'étant pas assez forte pour tenter de se défendre, se relira avec précipitation, et Maurice prit possession de cette grande ville, où il fit les mêmes changements que dans celles où il avait déjà passé.

Il n'y a point de termes pour exprimer l'étonnement et la consternation qui saisirent l'Empereur lorsqu'il apprit ces événements inattendus. Il voyait un grand nombre de princes d'Allemagne armés contre lui, et le reste prêt à les joindre en faisant des vœux pour leur succès ; il voyait un monarque puissant s'unir étroitement à eux, et seconder leurs opérations, commandant en personne une armée formidable, tandis que, par une négligence et une crédulité qui l'exposaient à la fois au mépris public et au plus grand danger, il ne se trouvait en état de prendre aucune mesure efficace, ni pour réprimer ses sujets rebelles, ni pour repousser l'invasion d'un ennemi étranger.

Il mit toutes ses espérances dans la négociation, seule ressource de ceux qui sentent leur faiblesse. Mais, craignant de compromettre sa dignité en faisant les premières avances à des sujets rebelles, il évita cet inconvénient en employant la médiation de son frère Ferdinand. Maurice, plein de confiance dans ses talents et dans le résultat de cette négociation, espéra que, par une apparente facilité à écouter les premières ouvertures d'accommodement, il pourrait amuser l'Empereur et lui faire ralentir ses préparatifs de défense ; il consentit sans difficulté à une entrevue avec Ferdinand dans la ville de Lentz en Autriche, où il se rendit sur-le-champ, après avoir laissé son armée continuer sa marche sous les ordres du duc de Mecklembourg.

Le roi de France exécuta fidèlement tout ce qu'il avait promis à ses alliés ; il entra de bonne heure en campagne avec une armée nombreuse et bien payée, et marcha droit en Lorraine. Toul et Verdun lui ouvrirent leurs portes sans résistance. Ses troupes se présentèrent ensuite devant Metz ; le connétable de Montmorency, ayant obtenu la permission d'y passer avec un petit détachement pour sa garde, y introduisit autant de troupes qu'il en fallait pour imposer à la garnison, et, par ce stratagème, les Français se rendirent maitres de cette ville sans répandre de sang. Henri fit avec beaucoup de pompe son entrée dans toutes ces places ; il obligea les habitants à lui prêter serment d'obéissance, et réunit à sa couronne ces acquisitions importantes. Après avoir laissé une forte garnison dans Metz, il 's'avança vers l'Alsace pour tenter de nouvelles conquêtes, que les premiers succès de ses armes semblaient lui promettre.

La conférence de Lentz n'amena aucun accommodement. Maurice, en consentant à cette entrevue, n'avait eu vraisemblablement d'autre objet que de tromper l'Empereur ; car il fit en faveur de ses con- fédérés et du roi de France, leur allié, des demandes lui ne pouvaient plus être acceptées par mi prince trop fier pour se soumettre ainsi sur-le-champ aux conditions que lui dictait un ennemi. Encouragé par cette apparente disposition à la paix, Ferdinand proposa une seconde entrevue pour le 26 mai, et demanda qu'il y dit une trêve qui commencerait ce même jour et durerait jusqu'au 10 juin, afin de laisser le temps de concilier tous les points contestés.

Dans ces entrefaites, Maurice rejoignit le 9 mai son armée, qui s'était avancée jusqu'à Gundelfingen. Il. mit ses troupes en mouvement le lendemain matin ; et comme il lui restait encore seize jours pour agir avant le commencement de la trêve, il résolut de tenter dans cet intervalle une entreprise dont le succès pourrait être assez décisif pour rendre inutiles les négociations de Passau, et pour le mettre en état d'imposer les conditions qu'il jugerait à propos. Maurice marcha droit à Insprück et s'avança avec le mouvement le plus rapide qu'on pût donner à un corps de troupes si considérable. Il arriva le 18 à Fiessen, poste très-important à l'entrée du Tyrol, où il trouva un corps de huit cents hommes bien retranchés, que l'Empereur y avait placés pour s'opposer au progrès des confédérés. Maurice attaqua ces huit cents hommes avec tant de violence et d'impétuosité, qu'ils abandonnèrent leurs lignes avec précipitation, et que, se repliant sur un second corps posté près de Ruten, ils lui communiquèrent la terreur panique dont ils étaient saisis, de sorte que tous ensemble prirent la fuite après une faible résistance.

Maurice, transporté de ce succès, qui surpassait toutes ses espérances, marcha à Ehremberg, château situé sur un rocher très-haut et escarpé qui dominait le seul passage qu'il y eût à travers les montagnes. Comme ce fort s'était déjà rendu aux protestants au commencement de la guerre de Smalkalde, parce que la garnison était alors trop faible pour le défendre, l'Empereur, qui en connaissait l'importance, avait eu soin d'y jeter un corps de troupes suffisant pour repousser les efforts de la plus grande armée. Mais un berger poursuivant une chèvre qui s'était écartée du troupeau, découvrit un sentier inconnu par lequel on pouvait monter au sommet du rocher. Il vint en donner avis à Maurice : un petit détachement de soldats choisis, ayant a leur tête George de Mecklembourg, furent à l'instant commandés pour suivre ce guide. Ils se mirent en marche le soir, et ayant grimpé par ce sentier escarpé, avec autant de peine que de danger, ils atteignirent enfin le sommet sans être aperçus. Maurice ayant commencé l'assaut à l'un des côtés du château, ils parurent tout à coup de l'autre côté au moment et au signal convenus, et se disposèrent à escalader les murs, qui étaient faibles en cet endroit parce qu'on l'avait cru jusqu'alors inaccessible. La 'garnison, saisie de frayeur en se voyant attaquée par un côté où elle se croyait à l'abri de tout danger, mit bas les armes sur-le-champ. Ainsi Maurice, presque sans verser de sang, et, ce qui était pour lui le plus important encore, sans perdre de temps, se trouva maître d'une place dont la réduction aurait pu le retarder longtemps, et aurait demandé les plus grands efforts de valeur et d'habileté.

Maurice n'était alors qu'à deux jours de marche d'Insprück, et, sans perdre un seul moment, il y fit marcher son infanterie ; la cavalerie ne pouvant être d'aucune utilité dans ce pays montagneux, il la laissa à Fiessen pour garder l'entrée du défilé. Il se proposait d'avancer avec assez de rapidité pour devancer les nouvelles de la perte d'Ehrenberg et pour surprendre l'Empereur avec toute sa suite, dans une ville ouverte et incapable de se défendre. Mais à peine ses troupes commençaient- elles à se mettre en mouvement, qu'un bataillon de mercenaires se mutina, déclarant qu'il ne marcherait qu'après avoir reçu la gratification qui était due, suivant l'usage de ce temps -là, pour avoir pris une place d'assaut. Ce ne fut qu'avec beaucoup de peine et de dangers, et aux dépens d'un temps précieux, que Maurice vint à bout d'apaiser cette révolte et d'engager ses soldats à le suivre vers une ville où ils trouveraient un riche butin, qui les récompenserait de tous leurs services.

L'Empereur ne dut sa sûreté qu'au délai occasionné par cet incident imprévu. Il n'apprit que vers la nuit le danger qui le menaçait, et voyant que rien ne pouvait le sauver que la fuite la plus prompte, il quitta sur-le-champ Insprück ; malgré l'obscurité de la nuit et la violence de la pluie qui tombait alors, et quoiqu'il fût si fort affaibli par les douleurs de la goutte qu'il ne pouvait souffrir d'autre mouvement que celui d'une litière, il voyagea à la lumière des flambeaux, prenant sa route à travers les Alpes, par des sentiers presque impraticables. Ses courtisans et ses domestiques le suivaient avec la môme précipitation, quelques -uns sur les chevaux qu'ils avaient pu se procurer à la hâte, un grand nombre à pied, et tous dans le plus grand désordre. Ce fut dans ce misérable équipage, bien différent de la pompe dont on avait vu le conquérant de l'Allemagne constamment environné pendant les cinq années précédentes, que Charles arriva, avec sa suite découragée et abattue de fatigue, à Villach dans la Carinthie ; et à peine se crut-il en sûreté dans ce lieu inconnu et inaccessible.

Maurice entra à Insprück quelques heures après que l'Empereur et les siens en étaient sortis ; désespéré de voir échapper sa proie au moment où il était près de la saisir, il la poursuivit jusqu'à quelques milles de distance ; mais regardant comme impossible d'atteindre des fuyards à qui la crainte donnait des ailes, il revint dans la ville et livra au pillage tous les bagages de l'Empereur et de ses ministres ; il défendit en même temps de toucher à tout ce qui appartenait au roi des Romains, soit qu'il eût formé quelque liaison d'amitié avec ce prince, soit qu'il voulût le faire croire. Maurice avait calculé le temps de ses opérations avec tant de justesse, qu'il ne restait plus alors que trois jours jusqu'au commencement de la trêve convenue ; il partit sur-le-champ pour aller trouver Ferdinand à Passau, au jour qui avait été fixé.

Avant de sortir d'Insprück, Charles mit en liberté l'électeur de Saxe, qu'il avait dépouillé de son électorat et qu'il traînait depuis cinq ans à sa suite ; il espérait sans doute embarrasser Maurice en relâchant un rival qui pourrait lui disputer son titre et ses États ; peut-être aussi sentait-il l'inconvenance de retenir ce prince prisonnier. Mais l'électeur, ne voyant d'autre moyen de s'échapper que celui que prenait l'Empereur, et frémissant à la seule idée de tomber entre les mains d'un parent qu'il regardait avec raison comme l'auteur de toutes ses infortunes, prit le parti d'accompagner Charles dans sa fuite, et d'attendre la décision de son sort de la négociation qui devait s'entamer.

Ce ne fut pas le seul effet que produisirent les opérations de Maurice. On ne fut pas plutôt informé à Trente qu'il avait pris les armes, qu'une consternation générale s'empara des Pères du concile. Les prélats allemands retournèrent chez eux sur-le-champ, dans la vue de pourvoir à la sûreté de leurs propres domaines. Les autres avaient une extrême impatience de se retirer aussi ; et le légat, qui jusqu'alors avait résisté à tous les efforts des ambassadeurs impériaux, qui voulaient faire admettre au concile les théologiens protestants, saisit avec joie cette occasion de dissoudre une assemblée qui lui avait paru si difficile à gouverner. Une congrégation qui se tint le 28 avril rendit un décret pour proroger le concile pendant deux ans, et pour le convoquer de nouveau à l'expiration de ce terme, si la paix était alors rétablie en Europe. Cette prorogation s'étendit jusqu'à dix ans ; mais les opérations du concile lorsqu'il se rassembla en 1562, n'appartiennent pas à la période qu'embrasse cette histoire.

Tandis que Maurice était occupé à négocier à Lentz avec le roi des Romains, ou à faire la guerre à l'Empereur dans le Tyrol, le roi de France s'était avancé en Alsace jusqu'à Strasbourg. Il demanda au sénat la permission de traverser la ville, espérant qu'à l'aide du même stratagème qui lui avait réussi à Metz, il pourrait se rendre maître de la place et se frayer, par le Rhin, un passage dans le cœur de l'Allemagne ; niais les Strasbourgeois, instruits par la crédulité et le malheur de leurs voisins, fermèrent leurs portes ; et ayant assemblé une garnison de cinq mille hommes, ils réparèrent leurs fortifications, rasèrent les maisons qui étaient dans leurs faubourgs, et parurent déterminés à se défendre jusqu'à la dernière extrémité. Ils envoyèrent en même temps au roi une députation des bourgeois les plus respectables pour le prier de n'exercer aucune hostilité contre eux. Les électeurs de Trèves et de Cologne, le duc de Clèves et d'autres princes du voisinage se joignirent à eux pour conjurer Henri de ne pas oublier le titre qu'il avait pris si généreusement, et de ne pas se rendre l'oppresseur de l'Allemagne, dont il s'était annoncé comme le libérateur. Les cantons suisses les secondèrent aussi avec zèle, et sollicitèrent Henri d'épargner une ville qui depuis longtemps était liée avec leur république par l'amitié et par des traités.

Quelque puissante que fût cette intercession réunie, elle n'aurait pu déterminer Henri à renoncer à une conquête si importante s'il avait été en état de se l'assurer ; mais il voulut du moins se faire auprès de ses alliés un mérite de cette retraite qu'il ne pouvait éviter, et il témoigna aux Suisses qu'il ne prenait cette résolution que par déférence pour leurs sollicitations. Il ordonna ensuite de mener boire clans le Rhin tous les chevaux de l'armée, pour prouver qu'il avait poussé jusque-lit ses conquêtes et il reprit la route de la Champagne.

Cependant Maurice rejoignit Ferdinand à Passau le 26 mai ; le duc de Bavière, les évêques de Saltzbourg et d'Aichstadt, les représentants des électeurs des villes libres assistaient 5, ces conférences en qualité de médiateurs. Maurice, après avoir énuméré tous les actes de despotisme auxquels l'Empereur s'était porté contrairement à la constitution de l'Empire, demanda que le landgrave de Hesse fût mis en liberté, qu'on fît droit aux confédérés sur les griefs relatifs à l'administration civile de l'Empire, et que les protestants eussent l'exercice public et tranquille de leur religion. Ferdinand montrant une grande répugnance à accepter ces conditions, les médiateurs écrivirent en commun à l'Empereur pour le conjurer de délivrer l'Allemagne des calamités d'une guerre civile ; en même temps ils obtinrent de Maurice une prolongation de la trêve.

Cette requête fut présentée à l'Empereur par l'unanimité des princes et des États allemands ; le monarque avait lui-même de puissants motifs pour désirer la paix ; il était complètement hors d'état de soutenir la guerre : son trésor était épuisé, ses troupes licenciées, et les Espagnols ne voulaient plus lui fournir aucuns subsides. Ferdinand s'employait aussi avec beaucoup de zèle à faire conclure la paix ; car il n'était pas fâché de voir poser des limites au pouvoir de son frère, et il craignait d'un autre côté que les Turcs n'envahissent son territoire pendant qu'il était occupé sur un autre point.

Le caractère inflexible de l'Empereur rendit d'abord inutiles toutes les considérations qu'on fit valoir auprès de lui pour le déterminer à un accommodement, et il commença par refuser nettement les concessions qu'on lui demandait. Maurice, qui connaissait l'habitude de l'Empereur de gagner du temps en négociant, sans écouter les prières de Ferdinand, quitte brusquement Passau et va mettre le siège devant Francfort-sur-Mein. La vigueur avec laquelle Maurice fit ses approches contre la place fit enfin plier l'opiniâtreté de l'Empereur, et il finit par promettre d'accorder tout ce qu'on demanderait pour la sûreté des confédérés. Maurice comprenait la nécessité de faire la paix, il sentait la difficulté de maintenir dans l'union et l'obéissance les éléments qui composaient le corps des confédérés ; il craignait les efforts que pourrait tenter dans la Saxe l'électeur, que Charles avait mis en liberté, et il savait que le landgrave pouvait être mis à mort par le prince inflexible qui avait déjà exercé tant de cruautés à son égard. Maurice délibéra sur tous ces objets avec les alliés, et ils se décidèrent à adopter les conditions offertes par l'Empereur, quoiqu'elles fussent moins avantageuses que celles qu'ils avaient proposées d'abord. Il retourna à Passau et signa le traité, dont les principaux articles étaient que le landgrave serait rendu à la liberté, qu'une diète serait réunie dans six mois pour chercher les moyens de prévenir les querelles de religion, et que jusqu'à cette époque les protestants auraient le libre exercice de leur religion ; enfin, qu'aucun des confédérés ne pourrait être recherché pour ce qui s'était passé pendant le cours de la guerre. Tel fut le fameux traité de Passau, qui établit l'hérésie sur une base plus solide en Allemagne, et qui fit évanouir toutes les espérances que Charles avait conçues de rendre l'autorité impériale absolue et héréditaire dans sa famille.

On s'occupa fort peu, dans les négociations, des intérêts du roi de France. Henri éprouva en cette occasion le traitement auquel doit s'attendre tout prince qui prête son nom et ses secours aux auteurs d'une guerre civile ; mais quelque indignation que lui inspirât la trahison de ses alliés, il sentit qu'il était de ses intérêts d'être en bonne intelligence avec le corps germanique, et, loin de se venger de quelqu'un de ceux dont il avait à se plaindre, il renvoya à Maurice et aux confédérés les otages qu'il en avait reçus, et continua de montrer toujours les mêmes dispositions et d'affecter le même zèle pour le maintien de l'ancienne constitution et de la liberté de l'Empire.