HISTOIRE DE L'EMPEREUR CHARLES-QUINT

 

CHAPITRE SEPTIÈME.

 

 

Meurtre des ambassadeurs français. — La France met cinq armées en campagne. — Alliance entre Charles-Quint et Henri VIII. — Négociations entre François et Soliman. — L'Empereur s'empare du duché de Clèves. — Siège de Landrecies. — Descente de Barberousse en Italie. — Diète de Spire. — Plan de Charles et de Henri contre la France. — Les Français assiègent Carignan, dans le Piémont. — Bataille de Cérisoles. — L'Empereur pénètre dans la Champagne. — Henri VIII investit Boulogne. — Prise de Saint-Dizier. — Traité de Crespy. — Convocation du concile de Trente. — Diète de Worms. — Mort du duc d'Orléans. — Commencement du concile de Trente. — Assemblée des protestants à Francfort. — Rupture des conférences.

 

L'Empereur essuya dans sa malheureuse entreprise contre les Algériens de grandes pertes que le bruit public ne manqua pas de grossir. François en profita pour commencer les hostilités ; mais il ne crut pas qu'il fût prudent de donner pour motif de cette résolution, ni ses anciennes prétentions au duché de Milan, ni la promesse tant de fois violée par l'Empereur de restituer ce pays. Un des généraux de l'Empire lui fournit un meilleur prétexte de prendre les armes, par un attentat qui ne pouvait manquer d'exciter son ressentiment, eût-il autant aimé la paix qu'il avait d'ardeur pour la guerre. François Ier avait continué d'entretenir des relations avec Soliman ; il lui envoya Rimon et Frégose, ses ambassadeurs ; qu'il chargea de passer par Venise, afin de déterminer, s'il était, possible, cette république à entrer dans une ligue contre l'Empereur. Cependant le marquis du Guast, gouverneur du Milanais, habile officier, et capable de toutes les violences, eut avis de la mission de ces deux ambassadeurs. Pour connaître d'une manière précise les intentions du roi de France, il aposta quelques soldats qui surprirent Rimon et Frégose comme ils s'embarquaient sur le Pô, les massacrèrent et s'emparèrent de leurs papiers. Lorsque François eut connaissance de cet attentat, il accusa hautement du Guast, qui, malgré son audace à se disculper de ce crime, en eut toute la honte sans en retirer aucun fruit, car les ambassadeurs avaient laissé derrière eux leurs instructions et tous leurs papiers d'importance. Le roi de France envoya vers l'Empereur pour lui demander réparation d'une insulte que le dernier et le plus lâche des souverains n'aurait pu se résoudre à souffrir patiemment. Charles, alors pressé de partir pour son expédition d'Afrique, essaya d'éluder les instances de François par des réponses ambiguës ; mais celui-ci en appela à toutes les cours de l'Europe, et mit en évidence l'atrocité de l'injure, la modération de sa conduite, et l'injustice de l'Empereur, qui semblait mépriser ses plaintes.

Cependant, quelle que fût la justice de sa cause, et malgré l'appui du sultan, François Ier ne négligea pas de chercher d'autres alliés ; mais les négociations eurent peu de succès. Il suppléa par son activité aux ressources qui lui manquaient. Il forma cinq armées : l'une devait agir dans le Luxembourg, sous les ordres du duc d'Orléans, secondé du duc de Lorraine ; une autre, commandée par le dauphin, marcha vers les frontières d'Espagne ; le Brabant fut le théâtre de la troisième, conduite par Van-Rossen, maréchal de Gueldre ; la quatrième, qui avait pour général le duc de Vendôme, bordait les confins de la Flandre, et la dernière, formée des troupes cantonnées dans le Piémont, fut confiée à l'amiral Annibaut. L'armée du dauphin montait à quarante mille hommes, celle de son frère en comptait trente mille.

1542 — Les deux jeunes princes ouvrirent la campagne presque en même temps. Le dauphin mit le siège devant Perpignan, capitale du Roussillon, et le duc d'Orléans entra dans le Luxembourg. Ce dernier obtint d'abord les plus brillants succès ; dans tout ce vaste duché, il ne restait plus que Thionville à Charles, lorsque le bruit se répandit que l'Empereur voulait hasarder une bataille pour sauver Perpignan ; soudain le duc, poussé par une ardeur de jeunesse, ou peut-être par sa jalousie contre un frère qu'il haïssait, abandonna toutes ses conquêtes ; il courut vers le Roussillon, afin de partager l'honneur de la victoire. Après son départ, ses troupes se débandèrent, et non-seulement tout l'espoir d'une campagne si bien commencée fut perdu, mais encore l'ennemi recouvra avant la fin de l'été tout ce qu'il avait perdu. Perpignan était mal fortifié : mais Doria l'avait bien approvisionné de munitions de guerre et de bouche ; les Français, affaiblis par les maladies et repoussés dans plusieurs assauts, furent obligés de se retirer. Ainsi François ne retira aucun fruit de cette attaque, qu'il avait préparée avec tant de soins et de dépenses.

1543 — L'Empereur et le roi de France, quoique tous les deux épuisés par tant d'inutiles efforts, rie sentaient point ralentir leur animosité mutuelle ; chacun d'eux employait de son côté la vigilance et l'adresse à se faire de nouveaux alliés qui fussent capables de lui donner la supériorité dans la campagne suivante. Charles tira quelques subsides des états d'Espagne ; il maria son fils avec la fille du roi de Portugal, qui lui donna une dot digne du plus riche monarque de l'Europe, et il parvint-à conclure avec Henri, roi d'Angleterre, une ligue contre la France.

François, de son côté, avait dépêché auprès de Soliman un nouvel ambassadeur nommé Paulin, capitaine d'infanterie, qui se montra digne de la confiance dont il était l'objet ; car il détermina le sultan à armer contre l'Empereur, malgré l'opposition de son divan. Barberousse reçut ordre de s'embarquer avec une puissante flotte, et de diriger toutes ses opérations sur celles du roi de France. Ce monarque ne réussit pas aussi heureusement auprès des princes de l'Empire, qu'il s'était aliénés en punissant sévèrement ceux de ses sujets qui avaient embrassé le protestantisme.

François, portant toutes ses forces dans les Pays-Bas, y tint campagne avant que l'ennemi se présentât. Il se rendit maître de Landrecies, et fit fortifier cette place avec grand soin, parce qu'elle était la clef du Hainaut. De là, tournant à droite, il entra dans le duché du Luxembourg, qu'il trouva sans défense, comme l'année précédente. Cependant l'Empereur ayant réuni une armée composée de troupes venues de tous les États de sa domination, entra sur le territoire du duc de Clèves, qui avait fait alliance avec François Ier ; il prit Duren d'assaut, le brûla et en passa les habitants au fil de l'épée. Cet exemple terrible effraya les autres places, qui se rendirent aussitôt ; et l'Empereur, après avoir humilié le duc, lui rendit ses États, et lui donna même en mariage une des filles de son frère Ferdinand.

Après la réduction du duché de Clèves, l'Empereur s'avança dans le Hainaut, et mit le siège devant Landrecies. Cette ville opposa une vigoureuse résistance ; François accourut à son secours, et Charles couvrait le siège ; tout le monde s'attendait à une action décisive, et les deux rois étaient déterminés à la hasarder ; mais les camps étaient disposés de telle sorte que le désavantage eût été pour celui qui aurait attaqué le premier, et ni l'un ni l'autre n'en voulurent courir le risque. Toutefois François réussit à ravitailler la ville et à en faire lever le siège.

Cependant Soliman entra dans la Hongrie avec une nombreuse armée, et soumit presque tout ce royaume sans rencontrer aucune résistance. Vers le même temps Barberousse côtoya la Calabre, fit une descente à Reggio, qu'il saccagea et brûla : de là il s'avança jusqu'à l'embouchure du Tibre pour faire de l'eau, et causa une telle frayeur aux Romains, qu'ils abandonnèrent la ville avec la plus grande précipitation. Barberousse fut ensuite rejoint, par une flotte française, et les deux escadres se dirigèrent ensemble vers Nice, dernier asile du roi de Savoie. Toutefois le fort fut si bien défendu, que les Turcs et les Français durent reculer devant des renforts puissants qui avaient eu le temps d'accourir, et François ne retira même aucun avantage du scandale qu'il avait causé à toute la chrétienté en montrant les lis de la France unis au croissant de Mahomet contre la croix de Savoie.

1544 — L'animosité personnelle qui animait les deux princes rivaux ne faisait que s'accroître, et la saison ne les eût pas plutôt forcés à abandonner les hostilités, qu'ils commencèrent à préparer la campagne suivante. L'Empereur continuait à user des plus grands ménagements à l'égard des protestants d'Allemagne, afin d'obtenir d'eux des secours contre la France ; il avait convoqué une diète à Spire ; il déclama violemment contre la France, à laquelle il reprocha son alliance avec les ennemis du christianisme, et finit par demander à l'assemblée des secours contre François. A l'appui de ces demandes, il accorda aux princes de l'Empire tout ce qu'ils purent désirer pour assurer la liberté de leur culte réformé. Touchés de ces actes de déférence, les princes protestants accordèrent à Charles un corps de vingt-quatre mille hommes et de quatre mille chevaux, qui devaient être entretenus pendant six mois aux frais de la confédération. En même temps la diète imposa dans toute l'Allemagne une taxe par tête sans aucune exception, pour subvenir aux frais de la guerre contre les Turcs.

Cependant l'Empereur négociait avec le roi de Danemark pour le détacher de son alliance avec la France ; il travaillait aussi auprès de Henri VIII pour le déterminer à faire les derniers efforts contre François. Il trouva le roi d'Angleterre dans les dispositions les plus favorables à ses projets ; ce prince était furieux de ce que la France l'empêchait de réunir sur sa tête les couronnes d'Angleterre et d'Écosse. Il promit donc un puissant concours à Charles, et les -deux rois convinrent d'entrer en France, chacun arec une armée de vingt-quatre mille hommes, et, sans perdre de temps à assiéger les villes frontières, de pénétrer au cœur du royaume pour unir- leurs forces près de Paris.

Cependant François restait seul contre tant d'ennemis que Charles lui suscitait ; Soliman était l'unique allié qui ne l'eût point abandonné. Mais cette alliance avait rendu le roi si odieux à toute la chrétienté, qu'il aima mieux en perdre les avantages que d'être plus longtemps l'objet de la haine et de l'exécration publique. En conséquence, dès l'entrée de l'hiver, il renvoya Barberousse qui, dans son retour à Constantinople, ravagea les côtes de la Toscane et de Naples. Comme François ne se flattait pas d'égaler les forces de son rival, il voulut y suppléer par la célérité en prenant les devants pour l'ouverture de la campagne. Dès le commencement du printemps, le comte d'Enghien investit Carignan, ville du Piémont, que le marquis du Guast, après s'en être emparé dans la première année de la guerre, avait jugée assez importante pour la fortifier à grands frais. Le comte poussa ce siège avec tant de vigueur, que du Guast, jaloux de sa conquête, ne vit pas d'autre moyen de la sauver des mains des Français que de hasarder une bataille. Il accourut de Milan ; et comme il ne cherchait pas à cacher son dessein, on le sut bientôt ; dans le camp ennemi. Enghien, jeune, entreprenant, plein de valeur, désirait passionnément d'éprouver la fortune dans un combat ; ses troupes ne le souhaitaient pas avec moins d'ardeur ; mais le roi, retenu par la situation critique de ses affaires, et l'esprit encore rempli de ses premiers désastres, avait lié les mains au prince en lui défendant expressément de risquer une action générale. Celui-ci ne voulut cependant pas abandonner Carignan au moment où cette place était près de se rendre ; mais brûlant de se distinguer par quelque action d'éclat, il dépêcha Montluc à la cour pour représenter au roi les avantages d'un combat et l'espoir qu'il avait de la victoire. François remit cette affaire à la discussion de son conseil. Tous les ministres, l'un après l'autre, opinèrent contre la bataille, appuyant Leurs avis de raisons très-plausibles. Montluc, qui était présent à leur délibération, parut si mécontent de tout ce qu'il entendait, et montra tant d'impatience de parler à son tour, que le roi, frappé de ses gestes, l'appela et lui demanda ce qu'il pouvait opposer à un avis si général et si juste. Montluc, esprit simple, mais soldat valeureux, représenta le bon état des troupes, l'ardeur qu'elles montraient d'aller à l'ennemi, la confiance qu'elles avaient en leurs officiers, enfin l'infamie éternelle dont le refus d'une bataille couvrirait les armes françaises. Ces raisons furent soutenues d'une chaleur si naturelle, d'une éloquence militaire si rapide, qu'il entraîna non-seulement le roi, toujours passionné pour les actions hardies, mais encore plusieurs membres du conseil. François, saisi du même enthousiasme qui animait ses troupes, tressaillit, et levant les mains au ciel : Allez, dit-il à Montluc, retournez en Piémont, et combattez au nom de Dieu.

Dès qu'on sut cette réponse du monarque, une ardeur martiale s'empara de la noblesse, la cour resta déserte ; tous ceux qui pouvaient servir ou qui voulaient se distinguer allèrent en Piémont partager, comme volontaires, les dangers et la gloire d'une action générale. Encouragé par l'arrivée de tant de braves officiers, Enghien se prépara aussitôt à une bataille que du Guast ne refusa point. La cavalerie était à peu près égale dans lés deux partis ; mais l'infanterie des Impériaux l'emportait an moins de dix mille hommes sur celle des Français. On se rencontra près de Cérisoles, dans une plaine ouverte dont le terrain ne mettait l'avantage d'aucun côté, et où les armées eurent toute la facilité de se ranger en bataille. Le premier choc fut tel qu'on devait l'attendre de vieilles troupes, pleines d'acharnement et de bravoure. La cavalerie française chargea avec son impétuosité ordinaire, renversant tout ce qui osait l'arrêter ; mais, d'un autre côté, la discipline et la valeur de l'infanterie espagnole ayant fait plier le corps qu'elle avait en tête, la victoire balança, prête à se déclarer pour le général qui saurait le mieux se conduire dans ce moment critique. Du Guast, qui se trouvait parmi les troupes qui avaient été rompues, craignant de tomber entre les mains des Français, qui pouvaient venger sur lui le meurtre de Rimon et de Frégose, perdit sa présence d'esprit, et négligea de faire avancer sa réserve. Cependant Enghien, avec un courage et une prudence admirables, soutint, à la tête de ses gendarmes, le corps de troupes qui avait commencé à plier. En même temps il ordonna à ses Suisses, qui n'avaient jamais combattu sans vaincre, de tomber sur les Espagnols. Ce mouvement fut décisif ; on ne vit plus que confusion et carnage. Le marquis du Guast, blessé à la cuisse, ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval. La victoire des Français fut complète : dix mille Impériaux furent tués, et il y en eut un grand nombre de pris, avec les tentes, le bagage et l'artillerie. Du côté des vainqueurs la joie fut sans mélange, et, dans le peu de monde qu'ils perdirent il ne se trouva pas un seul officier de distinction.

Cette brillante journée délivra les Français d'un grand danger ; mais elle ne produisit pas les avantages qu'on devait en espérer, parce que François fut obligé de rappeler en France douze mille hommes des meilleures troupes, pour venir au secours du royaume, où l'Empereur et le roi d'Angleterre étaient près d'entrer chacun par une frontière opposée et avec des forces supérieures. La réduction de Carignan et de quelques autres places du Piémont fut donc tout ce que produisit la grande victoire de Cérisoles.

L'Empereur parut, au commencement de juin, à la tête d'une puissante armée qui pénétra dans la Champagne. On avait eu soin de dégarnir cette province de toutes les provisions qui s'y trouvaient ; l'Empereur fut donc obligé de chercher à s'emparer de quelques places fortes ; il prit sans peine Ligny et Commercy, et investit Saint-Dizier. Quoique cette place fût en mauvais état, les Français étaient résolus à la défendre jusqu'à la dernière extrémité, et l'Empereur s'attacha à ce siège avec plus d'obstination que de prudence. Henri VIII, voyant que son allié s'occupait à prendre des villes pour son propre compte, quoiqu'ils fussent convenus de marcher directement sur Paris, suivit cet exemple et investit Boulogne et Montreuil.

Saint-Dizier s'était enfin rendu après une résistance très-glorieuse, et l'Empereur s'était avancé jusqu'à deux journées de Paris ; mais manquant de provisions et n'osant attaquer aucune place avec des troupes harassées, il consentit à traiter de la paix, qui fut conclue à Crespy, près de Meaux. Il fut convenu que l'on se restituerait réciproquement les conquêtes faites depuis le traité de Nice ; que l'Empereur donnerait en mariage au duc d'Orléans, soit sa fille aînée, avec la souveraineté des Pays-Bas, soit la seconde fille de son frère Ferdinand, avec l'investiture du duché de Milan, et que les deux monarques feraient conjointement la guerre aux Turcs. Outre l'épuisement de ses troupes, Charles-Quint fut déterminé à conclure la paix par le mécontentement du pape, qui, contrarié de l'alliance de l'Empereur avec Henri d'Angleterre et des concessions faites aux protestants, pouvait soulever l'Italie en faveur de la France ; enfin il sentait la nécessité d'agir vigoureusement contre les protestants, qui menaçaient de réduire son autorité en Allemagne à un simple titre honorifique, et il lui était impossible de rien tenter de ce côté tant qu'il était occupé avec la France.

La guerre continuait contre Henri VIII, qui s'était emparé de Boulogne, et qui mit à la conclusion de la paix des conditions inacceptables. Cependant le dauphin protesta en secret contre le traité de Crespy, qui lui semblait n'avoir été fait que pour donner un établissement à son frère. François Ier n'en ratifia pas moins avec joie des conventions qui délivraient le royaume d'une invasion formidable ; l'Empereur le signa aussi à Bruxelles, où il était retenu par la goutte, et il déclara en même temps l'intention où il était de donner au duc d'Orléans la fille de Ferdinand avec le Milanais. Tout semblait donc promettre la durée de la paix.

1545 — Dans ces circonstances, le pape publia une bulle pour convoquer l'assemblée d'un concile général à Trente, au commencement du printemps. Dès le mois de mars la diète impériale s'ouvrit à Worms ; l'Empereur chercha à occuper surtout l'assemblée des progrès des Turcs et des moyens de s'y opposer ; mais les protestants avaient pour but principal d'obtenir, d'une manière positive et avec des fondements certains, la liberté de conscience dont ils ne jouissaient encore que comme par tolérance ; et ils déclarèrent qu'ils ne contribueraient à repousser l'ennemi commun que quand ils seraient pleinement rassurés sur ce point. Ils se refusaient en même temps à reconnaître l'autorité du concile convoqué par le pape. Maurice de Saxe, qui, malgré son attachement pour la réforme, avait refusé de faire partie de la ligue de Smalkalde, Voulant se concilier la faveur de l'Empereur, se montra seul favorable à ses désirs. Charles, voyant qu'il n'obtiendrait rien des autres princes, et ne se trouvant pas en mesure d'agir contre eux, remit la solution de ces questions à une autre diète qu'il convoqua à Ratisbonne pour le commencement de l'année suivante. En même temps il se prononçait énergiquement contre l'archevêque de Cologne, qui voulait introduire la réformation dans son diocèse ; il poursuivait le luthéranisme dans les Pays-Bas et traitait de la paix avec la Porte. Tous ces symptômes n'échappèrent point aux protestants allemands, qui sentirent leurs alarmes se réveiller, et recommencèrent à surveiller avec défiance les projets de l'Empereur.

Un événement inattendu vint encore tirer Charles d'un mauvais pas d'où toute sa sagacité et son adresse n'auraient pu l'arracher. Le duc d'Orléans mourut d'une fièvre maligne, dans le temps même où il devait épouser la fille de Ferdinand et prendre possession du Milanais. Ce fut en vain que François réclama une compensation pour les avantages que lui enlevait la mort de son fils ; Charles ne voulut pas revenir sur le traité de Crespy, et le roi de France, occupé par la guerre avec l'Angleterre, fut obligé de dissimuler son ressentiment.

La paix de l'Allemagne fut troublée à cette époque par une invasion subite du duc de Brunswick, qui, ayant levé des soldats en Allemagne sous prétexte de les conduire au roi de France, les mena à la conquête de ses États, restés en séquestre entre les mains de l'Empereur. Mais cette perfidie ne réussit pas à son auteur ; le duc fut défait, et resta confiné dans une étroite prison.

1546 — Le concile général s'ouvrit à Trente avec les solennités d'usage ; il avait été longtemps différé par suite des dissentiments élevés entre le pape et l'Empereur. La première session se passa en pures formalités ; dans la suivante, on convint que ce qu'il y avait de plus pressant était de dresser une confession qui contiendrait tous les articles dont l'Église ordonnait la croyance, et qu'en même temps on porterait son attention sur les mœurs et la discipline du clergé. Dès que les confédérés de Smalkalde eurent appris l'ouverture du concile, ils publièrent un long manifeste contenant de nouvelles protestations contre cette assemblée, et déclinèrent sa juridiction. Alarmés, en outre, des projets qu'ils supposaient à l'Empereur, ils s'assemblèrent à Francfort. Ils se trouvèrent unanimes sur le danger qui les menaçait ; mais ils différaient d'opinion quant à ce qu'ils devaient faire pour le conjurer. Les uns voulaient s'allier avec la France ou l'Angleterre, les autres se refusaient à toute ligue avec des pays d'une autre croyance religieuse que celle qu'ils professaient eux-mêmes ; l'électeur de Saxe et le landgrave étaient les chefs de, tes deux opinions, entre lesquelles se partageaient les confédérés. Cependant les conférences dont on était convenu à Worms commencèrent ; mais les protestants les rompirent sur l'inspection des règlements que Charles avait prescrits dans cette dispute, bien convaincus que l'Empereur ne voulait que les amuser et gagner du temps pour laisser mûrir ses projets.