LES DERNIERS MONTAGNARDS

HISTOIRE DE L'INSURRECTION DE PRAIRIAL AN III (1795)

 

PAR JULES CLARETIE

PARIS - A. LACROIX, VERBOECKHOVEN & Cie - 1868.

 

 

PRÉFACE.

CHAPITRE PREMIER. — Le lendemain de Thermidor.

CHAPITRE II. — Les derniers Montagnards.

CHAPITRE III. — La Convention envahie.

CHAPITRE IV. — Les journées d'émeute.

CHAPITRE V. — La Commission militaire.

CHAPITRE VI. — Brutus Magnier.

CHAPITRE VII. — Le martyre.

CHAPITRE VIII. — Les derniers jours de la Commission.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

PRÉFACE

 

Depuis quelques années, il s'est fait un grand et significatif retour vers l'histoire de la Révolution française. On a compris enfin que cette étonnante époque avait été mal étudiée, quand elle n'avait pas été calomniée. On a voulu remonter aux sources, aux documents originaux, on a fait comparaître, avant de juger la Révolution, les témoins eux-mêmes, leurs preuves à la main. Beaucoup ont été convaincus de mensonges, d'autres ont, au contraire, apporté dans le procès des témoignages décisifs, et l'arrêt porté par l'ignorance ou l'esprit de parti a été bientôt cassé.

Il ne faut pas oublier, quoique leurs livres aient été singulièrement complétés par d'autres, les historiens à qui nous devons ce mouvement. M. Thiers et M. Mignet ont donné le signal de la réaction salutaire. Plus tard, M. Michelet a écrit l'histoire du peuple pendant la Révolution ; M. Louis Blanc a tracé les évolutions de l'esprit révolutionnaire ; M. de Lamartine a tenté le pallie en prose de cette gigantesque épopée. Un autre historien, M. Villiaumé, rapportait en même temps son contingent de preuves et d'arguments. Mais ce n'était pas assez pour le public de saisir l'ensemble du drame, ainsi présenté par des hommes d'un talent si rare, il en a bientôt voulu connaître les détails. Et de ce besoin de renseignements précis sont nées ces monographies intéressantes, curieuses, courageuses, que nous avons vues paraître en ces dernières années, analyses exactes et profondes, qui permettent à un écrivain futur de composer la synthèse définitive de cette grande histoire.

A mon tour, j'ai voulu apporter ma pierre au monument à venir, en retraçant le tableau sinistre de l'Insurrection de prairial an III.

Il ne s'agissait pas d'écrire l'histoire de la Révolution, mais de raconter, dans tous ses éloquents détails, un terrible drame, navrant chapitre de l'histoire de la détestable réaction thermidorienne. Je l'ai fait, non sans passion, mais en toute justice, et du moins sans haine, sinon sans indignation. Mais était-il possible de ne point s'indigner au spectacle du vice triomphant, du droit de jouir substitué an droit d'être libre, et de la force étouffant la conscience ! Les hommes dont j'ai entrepris de raconter la vie furent la protestation la plus ferme contre les excès tyranniques des thermidoriens. Honnêtes dans un temps où l'immoralité était remise à l'ordre du jour, convaincus à ces heures d'abjurations et de défaillances, dévoués à la cause de tous quand personne ne s'occupait plus que de ses intérêts privés, ils sont tombés à leur poste, soldats du droit, mourant sans phrases, et vraiment sublimes dans leur héroïsme bourgeois.

Je ne sais rien dans l'histoire de plus tragique et de plus grand que le suicide de ces hommes. Ils se frappèrent, non par faiblesse, mais par énergie, non en désespérés, mais en politiques. Leur mort terminait logiquement leur vie. Elle n'était pas une désertion, mais une affirmation. Accusés, ils pouvaient fuir, comme on le verra : ils s'y refusèrent. Ils voulurent prouver, en bravant une condamnation qu'ils pressentaient, qu'ils jugeaient certaine, que la tyrannie était maîtresse, et lorsqu'ils eurent montré dans leur défense, que ce jugement qui les frappait était un assassinat, rien autre chose, ils voulurent encore entrainer le peuple par la majesté de leur mort. Mais le peuple, désintéressé de la lutte, replié sur lui-même, regarda passer sans bouger, sans gémir, les cadavres qu'on emportait au cimetière de la Madeleine, et les condamnés qu'on emmenait place de la Révolution.

Le peuple était maintenant sans force parce qu'il était sans foi. L'idée en lui s'éteignait. On pouvait, après prairial, lui arracher, les uns après les autres, ses défenseurs les plus fermes, il ne faisait pas un geste et ne poussait pas un soupir. Son abdication venait en aide à l'audace de la réaction, et les thermidoriens pouvaient se dire, avec le réacteur Antoine, dans le drame de Shakespeare : La fortune est en gaieté et nous accordera tout ! Gaieté ironique sans doute. Prairial eut ses lendemains. La Convention décimée se sentit bientôt sans puissance, et son existence, dès lors, ne fut plus qu'une triste agonie. La Révolution, privée de ses plus généreux auxiliaires, était maintenant livrée à la merci du plus audacieux ou du plus habile. Combien alors les républicains sincères durent regretter ces sanglantes querelles qui avaient affaibli, par tant de blessures successives, la malheureuse République ! Combien de fois durent-ils évoquer, aux heures d'accablement, les spectres de ceux qui n'étaient plus ! Car ce fut la faute de la Révolution ; elle se perdit, elle se décapita elle-même. Ils ne comprirent pas, ces vaillants, que chacun d'eux avait dans le grand drame son rôle tout tracé. Ils oublièrent qu'un État, au lieu de périr, vit au contraire par l'action multiple des partis. Mieux vaut la fièvre que l'atonie.

Ainsi bientôt la Révolution se trouva privée de ses chefs, sans tète pour penser et sans bras pour agir. La liste seule de la composition des comités de gouvernement, en 1795, montre quel pas immense la République a fait en arrière. Tout est fauché. L'échafaud ou la proscription ont eu raison des plus dévoués et des plus indomptables. La Gironde, qui pouvait être si utile par ses lumières, a commencé l'œuvre d'attaque ; le Marais, — l'immense majorité des gens faibles et tremblants, — les lâches après les aveugles, ont continué le système de vengeances en obéissant sourdement au plus fort et en votant comme un troupeau. Pauvre France, ainsi livrée à une poignée d'intrigants qui n'ont même pas pour eux l'excuse de l'intelligence et qu'un officier de fortune chassera bientôt, du plat de son sabre !

Ils n'étaient plus là, les hommes du 14 juillet et ceux du 10 août, les inflexibles ou les ardents, ceux dont la voix remuait les foules, ceux dont l'austérité étonnait et domptait le peuple ! Ils avaient, dans leur duel terrible, fait la place nette, et c'est dans leur sang qu'on ramassa les débris du trône.

Eh bien ! à défaut du génie de Danton, les Derniers Montagnards avaient le coup d'œil clair et le zèle profond. Ils ont porté, un moment, une heure, la République et sa fortune. Ils étaient, — comment dirai-je ? médiocres, mais l'on n'est point médiocre avec cette élévation d'âme, cette science profonde, cette indomptable vertu, — ils étaient sobres, convaincus, austères sans affectation, enthousiastes sans délire, singulièrement instruits d'ailleurs, et trempés par les tristesses des années qu'ils venaient de traverser.

Ce groupe suprême suffisait pour le salut de la France. Enveloppé dans une tempête populaire, il a disparu, dirait-on, comme le fondateur de Rome, dans un orage ! A peine connu, il a été bientôt oublié. Puis on est ingrat envers les vaincus. C'est à peine si les noms glorieux de ces martyrs figurent dans les histoires générales, eux qui méritent une histoire particulière. Au conseil des Cinq-Cents, en 1798, Lacombe Saint-Michel a célébré, il est vrai, leur mémoire, Antonello la glorifia un jour, Tissot publia un volume en leur honneur. Mais le chapitre de M. Louis Blanc — Histoire de la Révolution — et celui de M. Edgar Quinet — la Révolution — exceptés, en aucun livre il n'est parlé hautement de ces héroïques mandataires du peuple. J'ai voulu leur rendre l'hommage qui leur est dû, et l'on verra que la meilleure façon de les glorifier était de les étudier dans leurs écrits et dans leurs actes. Je l'ai fait.

J'ai réuni des documents épars, j'ai consulté les archives diverses, les papiers, pour ainsi dire, encore ensanglantés, les correspondances originales, et je crois avoir fait sur ce tumultueux épisode, — qui est comme le 15 mai de la première Révolution, le travail le plus complet. Désormais, les députés de prairial auront leur histoire. On pourra ensuite faire mieux, je suis presque assuré qu'on ne détruira point les faits que je raconte et les preuves que je donne à l'appui.

C'est au surplus un devoir pour moi et un plaisir de remercier ici les archivistes qui ont très-gracieusement mis leurs cartons à ma disposition, M. Campardon, M. Labat père, à qui nous devons la conservation de tant de documents qui, sans lui, seraient ignorés ou, qui pis est, anéantis — le pauvre savant homme est mort tandis qu'on imprimait ce livre, — et mon ami M. Georges Avenel, qui m'a obligeamment fait partager les résultats de ses recherches.

Et maintenant, je tiens à déclarer qu'une seule pensée m'a guidé dans le cours de cet ouvrage, la Vérité. C'est encore la meilleure des conseillères. Il suffit de regarder en face les hommes et les choses pour deviner leur moralité. Qui déchiffre prouve. Qui détruit une erreur affirme un principe. J'écris donc pour dire le vrai. Scribitur ad narrandam veritatem.

 

JULES CLARETIE.

Paris, 8 août 1867.