LES DERNIERS MONTAGNARDS

HISTOIRE DE L'INSURRECTION DE PRAIRIAL AN III (1795)

 

CHAPITRE VIII. — LES DERNIERS JOURS DE LA COMMISSION.

 

 

Les députés une fois morts, la commission militaire semble respirer. Hier encore, elle avait hâte de grossir les listes, d'expédier promptement les condamnations, d'en arriver, pour en finir plus tôt, aux membres de la Convention. Maintenant elle procède avec une sage lenteur, elle est comme débarrassée de la lourde tâche dont on l'a chargée. Elle procède avec plus de calme à ses jugements. Elle fait comparaître devant elle un accusé ou deux par jour, trois au plus, et non pas, comme auparavant, une fournée. Elle est plus clémente, d'ailleurs. Ceux que la Convention regardait comme les chefs une fois immolés, qu'importe la foule quasi-anonyme des factieux 1 Après tant de rigueur, on peut bien se parer d'un peu de clémence. Les insurgés, immédiatement jugés après Romme, Goujon, Soubrany et leurs compagnons, sont mis en liberté.

Le premier est un nommé Laurent Martens, un pauvre marchand corroyeur, qu'on a arrêté le 4 dans un groupe, à l'heure où l'on s'emparait indistinctement de tous ceux qui n'étaient point de service et qui entraient ou sortaient du faubourg Antoine[1]. Le malheureux n'était qu'un curieux, comme tant d'autres ; comme cet Étienne Mangin, juge le 2 messidor, et qui écrivait au tribunal : Je suis détenu injustement. Ma femme va accoucher. Elle n'a pas d'argent, et cela est dans le cas de la faire périr elle et son enfant[2]. Que de misères soudain dévoilées par ces interrogatoires, et avec quelle célérité cruelle on y répond la plupart du temps par une condamnation ! Un perruquier de la rue d'Orléans, Antoine Taillardat, se promenait en habit rouge, sur le Pont-Neuf, le 1er prairial, criant que Robespierre et la Commune avaient été sacrifiés, qu'il fallait convoquer les assemblées primaires ; que Louis XVI, dans tout son règne, n'avait pas tant fait de mal que la Convention en un jour[3]. Il répétait, de bonne foi sans doute, ce qu'il avait entendu dire autour de lui, ce qu'il avait lu. — Qu'avait donc fait Robespierre, demandait-il, pour qu'on l'ait tué ? En ce moment, un citoyen l'interrompt : Malheureux ! Et les cadavres qui couvrent la France ! Taillardat, aussitôt, perd son assurance. Voyons, reprend l'autre, Robespierre est-il un scélérat, oui ou non ? Le pauvre diable de perruquier hésite, se gratte la tête : Après tout, je ne le connais pas, je n'en sais rien ![4] Et il rentre dans la foule.

La Commission le condamne à la déportation.

La peine de mort, au surplus, se fait rare dans les arrêts. Des mises en liberté sont prononcées où, quinze jours auparavant, on eût répondu par la guillotine. Un Ardennais, Alexandre Henri, ci-devant courrier, prévenu :d'avoir menacé de son sabre un représentant dans la Convention, d'avoir dit, en montrant [un député frisé : Est-il permis, un jour de trouble, de s'attifer ? est mis en liberté. Un autre, un tabletier, Gabriel Malherbe, chez un traiteur de la rue du Temple, au coin de la rue de Nazareth, s'écrie tout haut : On a tort de poursuivre le particulier — Tinel — qui a porté la tête du coquin tué à la Convention ! En liberté, le 7 messidor. En liberté le 11 messidor, Pierre Bouton, prévenu d'avoir hurlé : Renversons la Convention ! Le 16, en liberté, Mathurin Berthelot qui se vantait d'avoir sauvé l'assassin de Féraud. Au moment où le condamné passait sur le quai, j'entends dire que cet homme allait périr pour avoir demandé du pain ; je monte dans la charrette, et je suis conduit jusqu'au pied de l'échafaud. C'est alors que le peuple s'empare de cet homme[5]. Deux mois de détention seulement à Jean. Louis Morand qui, devant tous, au moment où un marchand de journaux annonçait le meurtre de Féraud, avait dit : Tant mieux ! Je voudrais en égorger quarante !... On dirait que les récents suicides, le drame terrible du dernier jour de prairial, ont consterné les membres de la Commission et les font hésiter.

Ils ont d'ailleurs, au besoin, de la sévérité en réserve. Louis Duclos, raccommodeur de faïence, tout sanglant encore d'un coup de sabre reçu à la lèvre, aperçoit des citoyens lisant les deux décrets pacificateurs de la Convention : Vous êtes des imbéciles d'y croire ! dit-il. Il faut chasser les députés comme des scélérats. Ils sont soutenus par des brigands de la section de la Butte-des-Moulins qui m'ont blessé hier, moi et mon enfant ! Et il montre son visage. On l'arrête. Deux mois de prison.

Jean-Baptiste Combe, un maçon, entré à la Convention, le sabre à la main, s'était assis sur la table, à côté du président : C'est abominable, disait-il à Bourdon (de l'Oise), de n'avoir qu'un quarteron de pain par jour ! Il n'avait insulté ni maltraité personne. Le soir, dînant chez un marchand de vins, il frappait du poing, répétant : Le coup est manqué ! Nous avons été des lâches ! On aurait bu du vin à 8 sols la bouteille ![6] Il fit remarquer au tribunal qu'il portait, ce jour-là, un habit gris blanc ; il avait depuis quelque temps, quitté un habit rayé rouge de peur d'être assassiné par les muscadins. Condamné à la déportation.

Et dans ces accusations, je ne saurais trop le répéter, il suffit d'un on dit pour décider de l'arrêt ! Qu'importent les preuves ! Robert Crappé, officier de santé, étant à la fenêtre qui donne sur le jardin des Tuileries, et voyant courir un député, aurait dit : Qu'on lui coupe la tête. Déporté. Jean-François Richer, menuisier, aurait déclaré qu'on n'aura du pain qu'avec du sang ! Déporté. Un commissaire de la section des Gardes-Françaises (Comité civil) lit à la foule qui gronde la proclamation de la Convention. Jean-Marie Simonet la lui arrache des mains, et lui dit (peut-être pour le sauver) : Tu es commissaire ! Retire-toi donc ! tu te feras assommer ! Simonet est déporté. Pourquoi pas exécuté ? Un perruquier, Claude Perrin, grimpant dans la Convention auprès du président, s'écrie niaisement : Point de constitution démocratique ! Au prix de mon sang, je veux Louis XVII ! Déporté.

Mais la seule condamnation à mort que je rencontre dans ces derniers dossiers est celle de Martin Tacque. L'histoire de cet homme est d'ailleurs atroce ; elle montre bien, encore une fois, quelle férocité latente existe souvent et se tapit dans le cœur de l'homme, quel foyer de cruauté qui n'attend, pour s'allumer, qu'une étincelle. Martin Tacque, conducteur d'animaux, demeurant à Nevers, employé aux subsistances militaires, menait des bœufs aux armées. Le 1er prairial, il venait de Fontainebleau à Paris : entre Lieusaint et Montgeron, il s'arrête chez l'étapier, y fait manger ses bœufs, reprend la route de Paris, livre ses bêtes et va se promener sur les boulevards. Les boulevards était gros de foule bruyante. Martin s'informe. On assiège depuis le matin la Convention. C'est donc cela ? dit-il. Enfonçons-la, puisqu'elle ne nous donne pas de pain ! Et, en veste grise, son bâton à la main, suivi d'un chien de berger, il va à la Convention, comme tout le monde. Il rencontre en chemin des sectionnaires. Ah ! vous êtes bien sots de vous armer pour une Assemblée qui nous laisse mourir de faim : Tenez, mon chien n'a pas mangé depuis trois jours ![7] Et il entre, criant : A bas La Convention ! à bas les députés ! Cet homme, qui ne savait rien, le matin, de ce qui se passait à Paris, était, le soir, des plus fougueux et des plus terribles. Il gesticulait, levant son bâton, son chien à ses côtés. Puis, étouffant, il sort ; il voit passer sur une pique la tête de Féraud : tout fier, il l'arrache et la promène à son tour. On l'arrête, on le conduit au Comité de sûreté générale et, de là, aux prisons des Orties. Il fut exécuté le 11 messidor, à cinq heures de l'après-midi.

Il n'est pas le seul qui, honnête la veille, soudain saisi d'un prurit de sang, se soit ainsi senti comme emporté par un cauchemar lugubre. Quelle machine effroyable que cette machine humaine, pleine de ressorts cachés, d'horribles inattendus ! La médecine seule peut expliquer ces mystères, ces fièvres chaudes de fureur, et par l'hérédité, ces atroces nostalgies de meurtre qui surgissent brutalement et transforment et détraquent un individu. Je trouve jusqu'à des enfants que saisit cette rouge hystérie, deux gamins de Paris, Pierre Kerkorec, Étienne Fournier, tambours du bataillon de l'Observatoire, et qui, sur la place du Carrousel, trouvant une mare de sang, du sang de Féraud dont on venait de transporter le tronc au corps de garde, tandis que la foule emportait la tête coupée, se baissèrent sur cette mare, y plongeant leurs mains, en teignant leurs sabres, en barbouillant leurs pantalons. Et pourquoi ? Par cet atroce besoin qu'a le jeune gamin, affamé de bruit, de poser, de parader, d'arborer des trophées, même des trophées de carnage[8].

Le mois de messidor ne vit tomber qu'une seule tête, celle de Martin Tacque. C'était la dernière que la Commission devait jeter au bourreau. En thermidor, un moment on put croire que Magnier, Brutus Magnier, allait passer par les mains de Sanson. Le 3, on commençait son procès, le plus étrange peut-être de tous les procès de la Révolution française. Nous avons conté cette histoire ; elle méritait tout un chapitre, et ce chapitre inconnu, et qui paraîtra peut-être incroyable, est maintenant écrit. Dans sa prison, Brutus Magnier se plaignait qu'on lui eût donné pour compagnon de captivité un étranger, un Anglais. La haine de l'Anglais était alors féroce, indomptable. Tous les maux de la France venaient de Pitt ; on croyait, 'on sentait qu'un œil anglais était ouvert sur toutes les affaires de la République. L'Anglais, muet, de sa prunelle bleue, observait 'tout, disait la rumeur. Il était l'ennemi, l'espion, le corrupteur : c'était, répétait le peuple, et même les hommes d'État, c'était son or et ses calomnies qui fomentaient la haine, attisaient les discussions fratricides, donnaient la main, donnaient des armes aux émigrés de Coblentz et aux rebelles de la Vendée. Que de reproches Nicolas Madjett, dit Burns, prêtre irlandais, enfermé aux Quatre-Nations, dut essuyer du farouche Magnier !

Ce Nicolas Madjett, dont je n'ai pu bien éclaircir le rôle, était accusé d'espionnage. Né à Keralec, dans le comté de Kerry, en Irlande, élevé à Sainte-Barbe, un moment vicaire dans le district de Bordeaux, demeurant à Londres depuis le 19 janvier 1794, il était parti le 4 août de cette même année pour la Jamaïque ; pris en route, à bord du vaisseau anglais le Belmont, par des frégates françaises, on l'avait conduit à Brest le 20 août. Prisonnier de guerre, il proposait alors à Faure (de la Creuse), en mission à Brest, de faire venir du blé d'Amérique pour sauver de la disette le plus beau peuple de l'univers. Il avait d'ailleurs des antécédents révolutionnaires. Il se vantait d'avoir écrit un projet de propagande pour exciter des mouvements en Angleterre. On prétendait qu'au temps où Barère publiait son journal le Point du Jour, Madjett traduisait et élaborait les articles de Londres. Barère avait même, ajoutait-on, mis le nom de l'abbé sur la liste des précepteurs à donner au petit Capet. Lebrun recevait Madjett fréquemment, mais s'en défiait. Au moment de son arrestation, le prêtre irlandais, qui voyageait en France sous le nom de Burns, négociant américain, était, en outre, porteur d'une lettre de recommandation pour le citoyen Récamier, banquier, 19, rue du Mail.

Quel était cet homme ? L'histoire de ces temps troublés est ainsi pleine de questions qui demeurent sans réponse. La France, à n'en pas douter, était alors épiée, dénoncée, trahie par des aventuriers qui correspondaient, on ne sait comment, avec les ennemis du dehors. Les rois d'Europe avaient leur police an cœur de la République. Nicolas Madjett, s'évadant de Brest, le 24 janvier 1795, avait été trouver, disait-on, le prince de Condé ; il avait séjourné à Bade, à Coblentz, puis on l'accusait d'être allé à Dublin donner de fausses nouvelles aux prisonniers français, ensuite de s'être introduit en France pour surprendre nos secrets. A toutes ces accusations, l'abbé répondit à la Commission qu'il venait en France pour proposer des fournitures à l'État. Et, comme preuve, il apportait quatre portefeuilles d'échantillons d'indiennes et de basins. Il ajoutait qu'il n'avait jamais collaboré au Point du Jour, qu'il ne connaissait point Barère. Impossible de le convaincre. La Commission, par jugement du 4 thermidor, déchargea Madjett de l'accusation d'espionnage, le renvoyant en arrestation devant les Comités en qualité de prisonnier de guerre.

Et cet homme disparut, comme tant d'autres, rentrant dans son ombre, continuant son œuvre ténébreuse, honnête homme calomnié, peut-être, ou agent secret de ces ennemis occultes qui combattaient prudemment avec de l'or contre des armées qui leur répondaient, poitrines découvertes, avec le fer.

Depuis le primidi messidor, neuf heures du matin, où la Commission, encore émue de la catastrophe de la veille — le suicide des députés —, avait repris ses séances, je le répète, les sentences s'étaient adoucies. Pour frapper, la main de ces juges était lasse. Leur œuvre, encore un coup, était accomplie. Jadis, entre les séances, ils mettaient à peine quelques heures, — le temps normal du repos, — accusant, interrogeant, condamnant comme avec fièvre. Depuis le 22 messidor, ils levaient les séances le soir à quatre heures et les reprenaient le lendemain seulement, vers neuf heures. La Convention n'était cependant pas ingrate, et cette mollesse relative ne lui faisait pas oublier la rigueur qui avait précédé. Le 7 messidor, le Comité de sûreté générale rendit l'arrêt suivant :

Les membres et suppléants de la Commission militaire ne recevront d'indemnité qu'autant que la solde attachée à leurs grades ne s'élèverait pas à 36 livres par jour, non comprises les rations qui leur sont attribuées par la loi.

Les membres et suppléants de ladite Commission dont le traitement pécuniaire est inférieur à ladite somme de 36 livres, recevront pour indemnité la différence qui se trouve entre leur solde et ladite somme de 36 livres, de manière que chacun d'eux touche, pendant la durée de leurs fonctions, ladite somme de 36 livres.

La Commission des administrations civiles (police et tribunaux) demeure chargée de régler et faire payer leur indemnité[9].

 

Et cependant, la Convention se désintéressait de cette Commission. Elle tournait tout de bon, maintenant que les exécutions avaient eu leur cours, à la clémence. Le 20 messidor, après avoir entendu Partiez (de l'Oise) qui réclame, au nom du Comité de l'instruction publique, la place de la Révolution pour y célébrer la fête du 9 thermidor, décrète que cette place ne servira plus de lieu d'exécution. Voilà qui est bien, cette fois ; c'est à peu près proscrire l'échafaud, mais quand il est trop tard.

Quelques jours après, le 11 thermidor, le Comité de sûreté arrête que la maison de la ci-devant mairie, rue des Capucines, sera mise à la disposition des représentants chargés de la direction de la force armée (pour les états-majors), et que la Commission sera transférée rue d'Antin, section Vendôme, maison du Mont-Dragon.

Le 14, le Comité ordonne que- les effets des suppliciés soient remis à leurs adresses, aux parents qui les réclameront, les papiers exceptés, qu'on gardera pour les examiner. On voit alors venir les veuves, les mères ; des gens en deuil assiègent la Commission, réclament un vêtement, une mèche de cheveux, une relique de ceux qu'on leur a pris. Marie-Anne Logez, veuve Duquesnoy, donne sa procuration à Arras, par-devant notaire, pour recouvrer les habits de Duquesnoy, et pour les faire vendre — elle n'a d'autres ressources — afin d'acquitter les dettes du mort[10]. Florent Duquesnoy, général de division, le frère du conventionnel, fait tout exprès le voyage de Béthune.

On retrouve, parmi les noms des réclamants, des noms aimés :

Marie-Madeleine Chaulin, veuve Romme ;

Marie-Louise Cormery, veuve Goujon, qui fait réclamer les effets par ce brave citoyen Gilbert, agent de la Commission d'agriculture, que nous avons vu si bien défendre son ami ;

Marguerite Du Boys, veuve Soubrany, mère et unique héritière de Soubrany.

Les journées du 14 et du 15 thermidor avaient été employées à transférer à la maison du Mont-Dragon les papiers, les dossiers de la rue Neuve-des-Capucines.

Le 16, la Convention rendait le décret qui supprimait la commission militaire.

Depuis le 11 de ce mois, elle ne jugeait plus personne.

Il fallait donc se séparer.

Le procès-verbal de clôture de ces tristes séances est solennel, froid et implacable comme la consigne. Ils se séparent, ces soldats, sans remords, forts de leur conscience, et, le mot d'ordre accompli, ils rentrent dans le sein de l'armée, calmes, sans que le souvenir d'une de leurs victimes les vienne troubler, tels qu'au soir d'une bataille, l'arme fumante encore, ils rentreraient au camp sans se soucier des ennemis morts.

Hélas ! cette fois, les ennemis c'étaient des Français, — mieux que cela, c'était la France. La commission militaire ne l'avait pas compris.

Avant de se séparer, ils rédigèrent en commun et signèrent ce procès-verbal :

Du 17 thermidor, l'an III de la République française, une et indivisible.

La commission militaire ne s'est pas dissimulé ce qu'il y avoit de pénible dans la mission importante dont on l'a chargée, mais forte de son courage, de son patriotisme et de son ardent amour pour la liberté, le bonheur et la tranquillité de son pays, elle n'a été intimidée ni par l'importance de ses fonctions, ni par le danger des circonstances, ni par la crainte de déplaire à quelques individus. Elle a dû sacrifier, elle a sacrifié toutes les considérations, toutes les influences étrangères, toutes les affections particulières. Continuellement en garde contre le jeu des passions, également ennemie de toute espèce de faction, sous quelque aspect, quelque masque, quelque dénomination qu'elle ait pu se montrer, elle a marché d'un pas assuré dans une carrière à la vérité neuve pour des militaires ; mais dirigée par une conscience pure, une scrupuleuse équité, une justice sévère, elle a cru, lorsqu'on n'exigeoit d'elle aucune forme, devoir adopter toutes celles qui existoient dans les tribunaux ordinaires avant l'établissement du juri, plus la publicité ; tant elle avoit à cœur d'épargner l'erreur, de protéger le foible et de frapper le véritable coupable. Elle quitte aujourd'hui ces fonctions qui ont été à la fois difficiles pour elle, consolantes pour l'innocence et redoutables pour le crime ; mais il lui reste la certitude qu'elle a recherché et mis en usage tous les moyens possibles pour bien remplir les devoirs que lui imposoient et la confiance des comités de gouvernement et l'envie de mériter celle de ses concitoyens. Il ne manquera rien à ses vœux si en partant elle emporte l'estime des uns et des autres.

Voulant donc exécuter sans délai le décret de la Convention nationale du jour d'hier, seize thermidor, qui la supprime :

La commission militaire composée de tous ses membres et des suppléants qui ont partagé ses travaux, réunie dans le lieu ordinaire de ses séances, assistée du secrétaire général, en arrête définitivement la clôture, et que ses papiers seront soigneusement recueillis, inventoriés et remis au tribunal criminel du département de Paris par les soins du commissaire ordonnateur Rouhière, chargé, par arrêté du comité de salut public en date de ce jour, de cette opération de confiance.

Fait, clos et arrêté les fours, mois et an que dessus.

VERGER, Adjudant-général, chef de brigade.

TALMET, Chef d'escadron.

M.-J. CAPITAIN,

DE VILLE,

P. BEAUGRAND, Capitaine.

ROUHIÈRE.

Commissaire ordonnateur chargé de l'inventaire[11].

 

Je l'ai dit, la Convention et les comités ne voulurent pas être ingrats. Ils étaient satisfaits de son tribunal. Le 29 thermidor, treize jours après la suppression de la commission, le comité de sûreté rendait un arrêté qui portait que Romanet, général de brigade, Capitain, chef de bataillon, Verger, chef de bri gade, Talmet, chef d'escadron, Fabré, capitaine de cavalerie, Beaugrand capitaine d'infanterie, Deville, volontaire, membres de la commission militaire supprimée, recevront leurs rations de bouche pendant un mois à compter du 17 thermidor et, pendant le même temps, c'est-à-dire jusqu'au 17 fructidor, recevront le supplément de traitement accordé, sur le pied de 36 livres par jour.

Le 22 vendémiaire, Rouhière, chargé de l'inventaire, écrivait aux administrateurs du département de la Seine que le classement des papiers était terminé, et les dossiers de cette lamentable histoire allaient grossir l'amas de ces éloquentes Archives qui disent si haut et si bien à ceux qui les interrogent les héroïsmes et les lâchetés, les dévouements et les crimes. Pendant ce temps, les membres de la commission disparaissaient dans cette vaillante armée où l'on comptait tant de héros, — des plus grands, des plus fiers, — et douze juges au plus. Pas un, d'ailleurs, n'allait émerger de l'immense foule, pas un n'allait, sous l'empire, ramasser sous les balles ennemies un grade important, écrire son nom en traits ineffaçables, pas un n'allait sortir, éclatant, comme tant d'autres, de la fumée du canon. Ils rentrent dans l'oubli, leur œuvre terrible achevée, et se perdent dans l'immense troupeau anonyme qui disparaît dans les batailles.

Rendons à la commission militaire cette justice qu'elle n'a pas tué de femme. Là, du moins, elle a hésité. Le sang féminin est celui qui crie le plus haut dans l'histoire de la Révolution. La réaction le disait bien ; mais elle aussi ne se fit pas faute de le verser. Un an après ces journées de prairial, les passions, cette fois apaisées, tout oublié, même le martyre des députés innocents, en l'an IV, on s'avisa de se rappeler qu'il y avait quelque part dans une prison de Paris, une femme, — et la malheureuse était folle, — qui portait encore sur ses vêtements des taches de sang de Féraud. C'était Aspasie Carle Migelly. Elle attendait dans un cachot son jugement, sa condamnation. Elle avait hâte de monter sur cet échafaud qu'elle réclamait, qu'elle avait vu de près en 1793.

La pauvre Aspasie avait alors vingt-trois ans. C'était une malheureuse insensée que réclamait, non la hache de Sanson, mais les cabanons de la Salpêtrière, et qui déjà y avait été enfermée. L'auteur des Femmes célèbres de 1789 à 1795[12] lui consacre un curieux chapitre où je trouverais cependant à relever quelques erreurs. Fille d'un coureur de maison du prince de Condé, tout enfant, exposée aux mauvais traitements d'une mère qui la haïssait, elle s'était enfuie, enfant encore, dans Paris, vivant de hasard, à la bonne fortune, presque à la belle étoile. Tour à tour domestique, vendeuse de chansons, marchande à la toilette, elle vivait de peu, très-active, laborieuse, exaltée, et le cœur plein de colère pour cette mère qui lui avait rendu la maison odieuse, qui peut-être l'avait chassée. Elle en parlait toujours, avec une ardeur singulière, les gestes vifs et télégraphiques des fous, les yeux de l'hystérique. Elle avait d'ailleurs, nous apprend l'auteur du Procès fameux, contracté une maladie cruelle, et la violence des remèdes l'avait frappée à la tête. La révolution venue, le peu de cervelle de la pauvre fille se dessécha au feu du volcan. Elle ne connut ni modération ni raison. Tantôt elle accusait sa mère, et faussement, comme contre-révolutionnaire[13]. Tantôt elle courait les rues disant qu'on lui avait, en faisant les hôtels déserts, pris sa clientèle de nobles et que l'on était mieux dans l'ancien régime que dans le nouveau[14]. Lairtullier prétend qu'elle était fanatique de Robespierre. Elle se déclare au contraire franche royaliste dans ses interrogatoires.

Elle était si peu robespierriste et d'humeur tellement peu révolutionnaire, qu'elle fut arrêtée, menée à la Conciergerie par ordre de la police, en 1792, puis enfermée à Vincennes comme recéleuse du linge des émigrés. Mais sa santé était faible, paraît-il, car nous la retrouvons à l'Hôtel-Dieu et à la Salpêtrière, demandant à être ramenée à la Conciergerie pour y déclarer les auteurs qui l'ont instiguée à tenir les propos dont elle est prévenue. Le 3 vendémiaire an II, les Administrateurs de Police Régénérée écrivaient à Fouquier-Tinville :

Citoyen, la citoyenne Carle Migelli, détenue à Vincennes, nous fait passer une lettre contenant une opiniâtreté marquée dans des principes anti-révolutionnaires. Nous nous empressons de te la faire parvenir pour que tu prennes à son égard le parti que tu croiras convenable.

Salut et fraternité :

Les administrateurs de police,

BOISSIER, BALLAY.

Commune de Paris (département de police).

 

Et Aspasie, d'une écriture ignorante :

Au citoien Fouquet de Tinville, accusateur publique du tribunalle révolutionaire au palais[15].

Paris, 3 septembre 1793.

Monsieur, l'ainfortunée Marie Françoise Carle détenue dans la prison de la Consiergerie depuis quatre mois aiant subit trois ainterogations segrete et ne voulant rien dénoncé-au citoien Fouqué, je vous suplie de me faire transféré à la Consiergerie. Ciotien set icy qu'il sagit de vous dire la véritée. Je suis acusée davoir evue des corespondance et avoir demandée un roy dix-sept, et Monsieur pour régent. Je perciste à vous dire que je l'ait dit.

 

Elle se plaint ensuite qu'on ait voulu la faire passer pour folle, dénonce Manuel, ancien membre de la commune, chef des correspondances ; s'écrie : Je reconnois laitre suprême pour le régiseur de nos âme ; s'étonne qu'on l'ait conduite à l'Hôtel-Dieu, et répète sans cesse, dans cette lettre comme dans celles qui vont suivre :

Je sui dans le cas de vous éclairé sur beaucoup de chause qu'il serée très utile à sauvé la France. Je ne puis vous lé dire par lettre[16].

 

Perdant patience, la pauvre exaltée écrivait encore, sans suite dans ses idées : Au nom de la loi, je vous demande un jugement quelconque !... Le 12 frimaire an III, devant François-Roch Joly, juge de la chambre du conseil, elle persiste à répéter : Je veux être jugée ! Je recommencerai les délits dont on m'accuse !Il me semble que nous sommes dans une tyrannie plus grande que jamais, etc. ! On eut pitié d'elle. Voilà Aspasie redevenue libre et, comme jadis, toute à la rue, au bruit, à la foule, à tout ce qui pouvait encore exalter sa folie.

Elle avait demandé jadis Monsieur pour régent, Louis XVII pour roi. Elle avait pleuré le départ des émigrés, le vide des hôtels. Maintenant, elle se jeta, avec sa furie habituelle, dans le groupe des révolutionnaires. Elle se prit de belle haine contre Boissy-d'Anglas, elle criait par les rues qu'il était l'affameur public, elle n'eut plus qu'une idée, celle de le poignarder. Plus d'une fois elle se présenta chez lui, ne le trouva pas, mais le 1er prairial, en se rendant à la Convention, portée par l'insurrection, elle n'avait qu'une idée, tuer Boissy qu'elle ne connaissait pas. On prétend que ce fut elle qui trancha la tête de Féraud. Nous savons que non[17]. La vérité est qu'elle le tira.par les pieds, qu'elle trépigna sur lui avec ses galoches et qu'au moment où Camboulas présenta sa poitrine nue aux insurgés, Aspasie Carle Migelly levant sur lui son coutelas allait le tuer lorsqu'un officier de la section de la Butte-des-Moulins détourna le coup.

Trois jours après, Aspasie, dénoncée par les faubouriens vaincus, était arrêtée. On lui laissa la vie, — si c'était la vie, — pendant un an. Misérable, malade, épuisée, elle répétait chaque jour à ses compagnes de prison le discours qu'elle devait lire au tribunal ; son exaltation la soutenait. Le jour du jugement venu, elle ne voulut ni défenseur, ni témoins à décharge[18]. Elle récita enfin son discours, soutenant avec colère qu'elle n'était pas folle, accusant les émigrés, les royalistes, qui l'avaient perdue, puis s'écriant : — Si j'étais libre, le bras qui a mal atteint Boissy-danglas et Camboulas les frapperait de nouveau. Je ne connaissais point Féraud, mais je l'ai assommé avec plaisir parce qu'il était député, et que tous les députés ont fait le malheur du peuple[19]. Et comme on lui demandait le nom de ses complices : — Je n'en ai pas, répondit-elle. — Nommez-les, vous serez sauvée !Je n'en ai pas !

On devait ramener cette malheureuse à la Salpêtrière. Le 24 prairial an IV on la condamna à mort. C'est bien, dit-elle aux jurés, vous avez fait votre devoir. Elle ne voulait pas se pourvoir en cassation[20], mais on la presse, elle y consent ; le tribunal de cassation déclare alors la procédure régulière. On la mène à l'échafaud. Elle y monta, dit le rédacteur des Procès fameux, avec une stupidité féroce. Comment eût-elle eu conscience de sa mort ? elle n'avait pas eu conscience de sa vie !

Ce sang versé fut le dernier. Pendant ce temps, les déportés de la Commission vivaient, mouraient plutôt à la Guyane. Quelques-uns n'avaient pas été embarqués, avaient fait comme Barère, attendant le vent. La loi de brumaire an III allait leur donner une liberté relative. Tous les amnistiés de cette loi étaient encore tenus de sortir du département de la Seine dans les trois fois vingt-quatre heures, et de se tenir à dix lieues au moins de la commune de Paris, sous peine de la déportation, cette fois rigoureusement appliquée.

Les députés seuls ne pouvaient jouir de cette amnistie. Et que faisaient-ils là-bas ? Ange Pitou, l'aventurier, nous l'a dit. Cet Ange Pitou, parmi toutes les historiettes de son Voyage à Cayenne, a pourtant de saisissantes pages. Tel l'exil de Collot et de Billaud ; — Collot marchant devant la foule qui les insulte, et se couvrant le visage de sa grande redingote liserée de rouge ; Billaud-Varennes derrière lui, fier, dédaigneux, et portant sur sa main sa perruche. Sans braver la multitude, il marchait : Pauvre peuple ! disait-il en caressant le perroquet du doigt. Allons, Jacquot ! Jacquot, viens-nous en !

Un autre souvenir poignant est celui-ci. Il faut le rappeler. Un habitant de la Guyane était malade, frappé de je ne sais quelle fièvre. Billaud-Varennes s'offre pour le veiller, passer la nuit à son chevet. Il trouve des compagnons dans la chambre du malade. De temps en temps, doucement il se levait, marchait sur la pointe du pied jusqu'au lit, soulevait les rideaux avec précaution : Taisons-nous, disait-il alors, il dort !Comment, monsieur Billaud, lui dit un des assistants, vous qui paraissez si bon, avez-vous pu vous montrer si terrible ?Il le fallait, répondit l'autre. Si vous voulez instruire mon procès, faites celui de la Révolution[21].

C'était la conclusion de la vérité. Et cet homme, un des plus redoutables de cette grande époque, plaidait, en parlant ainsi, non-seulement pour lui, mais pour tous. J'ai voulu, moi, non pas présenter la défense, mais montrer la vie de quelques-uns de ces révolutionnaires mal connus, calomniés, à qui nous devons la France nouvelle et le droit nouveau. Si j'ai choisi ces derniers Montagnards, c'est parce que nul historien encore ne s'était attaché à reproduire leurs fières et pures figures. Ces hommes, qui mériteraient un Plutarque, ne sont en effet pas connus. On consacre une page à peine, un chapitre au drame terrible, injuste, dans lequel ils ont péri. Robespierre mort, il semble que l'histoire de notre Révolution n'est plus intéressante et que tout est dit. On passe. Et l'avenir est, de cette façon, ingrat envers ceux qui/pour être tombés dans la pénombre, n'en sont pas moins morts pour le peuple et morts pour nous.

Suicide inutile, trépas infructueux, dira-t-on, car l'héroïsme commence à passer pour une superfluité. Ils avaient affirmé leur foi ; il leur restait, la voyant vaincue, à la signer de leur sang. Ils l'ont fait. Jamais l'exemple de la protestation parla mort ne sera inutile. Ils n'avaient plus que le poignard pour répondre à l'injustice. Ils l'employèrent. Maudit soit le poignard entre les mains de l'assassin politique, qu'il soit glorifié entre celles du suicide. M. Villiaumé a raconté, sans doute d'après le récit verbal de Tissot, qu'une sœur de Goujon, apprenant la mort de son frère, eut un cri de joie, comme une Romaine : Que je suis heureuse ! Mon frère s'est tué lui-même ! Le bourreau ne mettra pas la main sur lui[22]. La dernière liberté que l'homme de cœur se résigne à perdre est celle de décider lui-même de sa mort.

Ils se sont suicidés, parce que le suicide, à cette heure, était encore l'affirmation du droit, la réponse aux décrets d'accusation et à ce jugement qu'ils n'acceptaient pas. Qui sait ce que nous avons perdu à cette mort ? Eux vivants, la réaction thermidorienne qui, de 1795 à 1800, augmente chaque jour, cette terrible multiplication des fêtes, des meurtres, des compagnies de Jéhu, des vengeances, des vols à mains armées, était impossible. Il y avait tout un gouvernement dans ce groupe héroïque et honnête. Goujon était la tête, Romme le cœur, Soubrany le bras. Supposez ces hommes probes, intègres et doux dans leur énergie, dirigeant la France, au lieu des Tallien et des Barras, l'efféminé Directoire était évité et tant d'autres choses. C'est ainsi qu'une journée, une seule, pèse lourdement dans l'histoire du monde.

Eux morts, leurs compagnons emprisonnés, le Marais triomphant, c'en est fait de l'œuvre commune. Tout le sang tristement versé, toutes les luttes, tous les efforts, tous les sacrifices deviennent inutiles. Il faut se couvrir la tête de son manteau, comme César mourant, et attendre. Adieu les rêves I Les beaux soleils du 14 juillet et du 10 août auront des lendemains. En thermidor an III (août 1795), la France, saignée à blanc, n'espérait plus, ne croyait plus. Affaissée et dégoûtée, elle semblait désintéressée de sa propre histoire. Le peuple, lassé, ne bougeait plus, attendait l'heure de se venger des muscadins. Il trouva l'occasion en vendémiaire. On voulut l'agiter alors, lui rappeler ses hauts faits passés ; on lui cria de venir combattre encore pour la liberté. Le vaincu de prairial fit la sourde oreille et les sections de la Butte-des-Moulins, fusillées à leur tour, purent compter ce que coûtent l'aveuglement et la peur.

En histoire, comme en chimie, pas un atome n'est perdu, — tout se retrouve et tout se paye.

Il y avait encore, voilà quelques années, près de Monceaux, un cabaret, une guinguette, où le dimanche on allait danser. L'établissement était petit, mais la treille verte et le vin gaillard. Les violons grinçants y faisaient rage. Un beau jour, la presse royaliste,-je crois que ce fut la Gazette de France, s'avisa de venir rire un peu. Elle avait découvert que ce gai cabaret était bâti sur l'emplacement de l'ancien cimetière de Monceaux où l'on avait jeté, avant et après prairial, tant de victimes. Dans la cave peut-être, les ossements de Romme ou de Goujon se heurtaient au verre des bouteilles. Il y avait là matière à railleries, et le journal ne manqua pas d'en aiguiser plusieurs. Un cimetière de républicains sur lequel on pouvait écrire, comme ces drôles autrefois sur l'emplacement de la Bastille : Ici l'on danse ! Le cas était bizarre et valait de trouver de l'esprit. Le journal en trouva.

Il s'égaya fort de ces pauvres diables d'ambitieux qui avaient rêvé d'améliorer le monde et qui aboutissaient — en masse — à six pieds de terre foulée tous les huit jours par les danseurs de la barrière.

Mais un matin, le journal cessa de rire. On lui apprit que dans ce même cimetière on avait enterré jadis la dépouille de madame Élizabeth, une de ces victimes inutiles qu'on a si souvent reprochées à ce majestueux passé. Et l'on dansait aussi sur ses ossements ! Alors le journal religieux garda le silence.

Aujourd'hui, guinguette, cimetière, rien n'existe plus. Un boulevard est venu, le boulevard Malesherbes ; il a tout emporté, la terre des morts, la maisonnette des vivants, et tous ceux qui dormaient là, royalistes ou républicains, sont maintenant confondus dans le vaste ossuaire des Catacombes.

C'est là aussi que tous ceux qui s'entre-tuèrent, frères ennemis de la grande famille, s'embrassent et fraternisent dans la poussière de la Mort. Leurs os, volés à la chaux, sont là, dans une atroce et sublime promiscuité. Plus de victimes et plus de bourreaux, mais une génération entassée presque tout entière de braves gens vaillamment dévoués à leur œuvre. Ainsi leurs pensées, leurs espérances leurs croyances, mêlées comme la poudre de leur corps, flottent autour de nous, pareilles à ces atomes impondérables que nous respirons et qui nous font vivre. Ceux-là mêmes qui les haïssent aspirent leur idée éparse à travers le monde. Elle est partout, elle est notre vie même et notre dogme. Et quelle leçon immense se dégage de cette terrible et confuse mêlée. Le Droit même émerge de ces flots de sang, la Liberté rayonne, en dépit de la Terreur, l'Égalité se fonde à travers les proscriptions, la Fraternité fait son entrée dans l'histoire au bruit des fusillades. Et quand l'heure de la lutte ardente est passée, lorsque la révolution va terminer son œuvre en proclamant, après cette fatale Terreur qui la perdit, la Pitié qui la sauvera, ses ennemis lui ravissent habilement cette gloire et, à coups d'échafauds, conquièrent le droit de s'appeler le gouvernement de la clémence.

Mais l'histoire est là, qui rend à chacun ce qui lui appartient et qui vient dire : Les thermidoriens n'ont pas sauvé la France. Ils n'ont pas congédié Sanson, ils l'ont rappelé. Ils n'ont pas été l'oubli, mais la vengeance. Le cri de pitié avait été poussé déjà et par une voix plus puissante ; il était poussé tous les jours, et par la France, et par les représentants de la France, et parmi ceux-ci, par les plus inflexibles et les plus honorables.

Robespierre et Saint-Just, avait dit Danton dans les couloirs du tribunal révolutionnaire, — Danton conduit à l'échafaud, — Robespierre et Saint-Just nous condamnant, c'est Caïn tuant Abel.

Il est mort le mot de grâce sur les lèvres.

Et ce sera l'éternelle gloire des derniers Montagnards dont j'ai dit l'histoire : ils sont tombés pour avoir été fidèles à leur foi, et tombés sans proférer des paroles de haine.

Bourbotte, au 1er prairial, avait demandé tout haut l'abolition de la peine de mort.

Je meurs pour le peuple et pour l'égalité ! avait dit Goujon en se frappant.

Et tous, pour testament, laissaient cette parole suprême parole d'amour et d'apaisement : Unissez-vous tous, embrassez-vous tous : c'est le seul moyen de sauver la République !

 

Paris, 1867.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Interrogatoire de L. Martens (Archives de l'empire).

[2] Dossier de Mangin. (Archives de l'empire.)

[3] Dossier de A. Taillardat (Archives, C. W2 547).

[4] Dossier de A. Taillardat (Archives, C. W2 547).

[5] Interrogatoire de Berthelot.

[6] Voyez pour ces divers détails les dossiers de tous ces prévenus, aux Archives (C. W2 546 et suivants). On ne donne ici aucun détail qui ne puisse être souligné d'une note en manière de preuve.

[7] Archives.

[8] Pierre Kerkorec, condamné à un mois de détention, Étienne Tournier, mis en liberté.

Ces journées, il faut tout dire, sentent la fièvre. J'ai trouvé aux archives de la préfecture de police le procès-verbal de suicide d'un citoyen qui, affolé peut-être par cet atmosphère de salpêtre, se jeta par la fenêtre sur le pavé, le 1er prairial.

[9] Voir le registre de la commission militaire (Archives, C. W2, 548).

[10] Archives de la préfecture de police.

[11] Archives nationales, C. W2 548.

[12] E. Lairtullier. Voyez tome II.

[13] E. Lairtullier.

[14] Archives, Tribunal révolutionnaire, C. W2 490.

[15] Archives, C. W2 490.

[16] Archives, C. W., 490.

[17] Voyez la déposition de Soret.

[18] Procès fameux.

[19] Procès fameux.

[20] Procès fameux.

[21] Voyez Ange Pitou.

[22] Histoire de la Révolution française, tome III, p. 425.