LES DERNIERS MONTAGNARDS

HISTOIRE DE L'INSURRECTION DE PRAIRIAL AN III (1795)

 

CHAPITRE II. — LES DERNIERS MONTAGNARDS.

 

 

C'était le 2 germinal que les députés prévenus devaient présenter leur défense à la Convention nationale. Ils n'espéraient guère, il faut bien le dire, sortir sains et saufs de la lutte. C'est à la fin de la révolution que nous serons tous jugés, écrivait Collot-d'Herbois, et, cette fois, ce sera malgré vous la république démocratique[1]. Mais il ne comptait que sur un avenir éloigné et sur cette postérité que tous, à l'heure de la défaite, — on ne saurait trop le répéter, — girondins, dantonistes, hébertistes, montagnards, forts de leur conscience ou de leur fanatisme, invoquaient d'une voix qui ne tremblait pas.

Depuis quelques jours, les rassemblements redoublaient dans les rues de Paris, et l'on entendait tout haut crier la famine. Le 27 ventôse, la foule, les députations avaient pénétré dans la Convention, demandant du pain, du pain. Boissy-d'Anglas, toujours occupé à rassurer le peuple, à lui promettre des ressources pour le lendemain, Boissy le temporisateur que la voix publique irritée des déconvenues allait bientôt surnommer Boissy Famine, annonça qu'on venait de faire la distribution de 1.897 sacs de farine. Le peuple fut calmé pour cette fois. Le lendemain 29 ventôse, Lecointre, qui, ce jour-là, avait attaqué le premier les membres des anciens comités et à qui les visites des marquis et des émigrés avaient donné à réfléchir, Lecointre, regrettant sans doute d'avoir servi la cause des réacteurs, annonce qu'il a à présenter une motion d'ordre importante. Je demande, ajoute-t-il, à être entendu. On lui accorde la parole, et il monte à la tribune. Son discours, dès le premier mot, va au but. Je viens vous parler de la nécessité de mettre en activité la constitution de 1793. On applaudit. Chasles, qui naguère montrait le poing à Tallien, Goujon, Levasseur applaudissent. Les thermidoriens se regardent d'un air étonné, peut-être inquiet, et tout à l'heure Bailleul va demander le rappel à l'ordre de Laurent Lecointre, tandis que Thibault s'écriera : C'est là un mauvais fou ! ou : C'est un charlatan ![2]

Mais, malgré les interruptions, Lecointre continue. C'est parce qu'il désire enfin, dit-il, que le gouvernement révolutionnaire soit aboli qu'il réclame l'application de la constitution de 1793. La constitution de 1793 ne nous appartient pas, elle est la propriété du peuple. La liberté et le bonheur ne s'ajournent pas[3]. Mettre ces lois en vigueur, c'est d'ailleurs prévenir des fureurs, des brigandages et des vengeances. Peine perdue. La Convention ne l'écoute point. Elle rejette la motion : la constitution de 1793 ne sera point mise en activité. Seulement, le soir même, ce discours, commenté dans les faubourgs par la partie du peuple qui avait trouvé place dans les tribunes, dicte aux mécontents leur mot d'ordre, leur remet en mémoire cette constitution qu'ils ont fêtée à sa naissance avec des transports, chantée dans des hymnes joyeux, et qu'on n'a jamais appliquée.

Cette constitution de 1793, cette nouvelle Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, lue à la Convention par Hérault de Séchelles dans la séance du dimanche 23 juin, aux applaudissements de l'Assemblée et des tribunes, avait été adoptée avec cette fièvre que donne l'espoir d'un meilleur avenir, avec l'enthousiasme que fait naître la satisfaction du devoir accompli. Aux voix, président ! s'était écrié Philippeaux ; c'est un chef-d'œuvre qui ne doit point souffrir de discussion[4]. Et l'on n'avait pas discuté. La tâche que venait de remplir la Convention était peut-être, en effet, la plus lourde qu'elle eût acceptée depuis sa formation. Donner, disait, au nom du comité de constitution, Condorcet, dans la séance du 23 février, donner à un territoire de 27.000 lieues carrées, habité par 25 millions d'individus, une constitution qui, fondée uniquement sur les principes de la raison et de la justice, assure aux citoyens la jouissance la plus entière de leurs droits ; combiner les parties de cette constitution de manière que la nécessité de l'obéissance aux lois, de la soumission des volontés individuelles à la volonté générale, laisse subsister dans toute leur étendue et la souveraineté du peuple, et l'égalité entre les citoyens, et l'exercice de la liberté naturelle, tel est le problème que nous avions à résoudre[5]. Et notez, comme le disait encore Condorcet, qu'il fallait que la constitution convînt à un peuple chez qui un mouvement révolutionnaire s'achevait, et que cependant elle fût bornée aussi pour un peuple paisible. Il fallait que, calmant les agitations sans affaiblir l'activité de l'esprit public, elle permît à ce mouvement de s'apaiser sans le rendre plus dangereux[6]. On remarquera que, pour expliquer et commenter, pour louer dignement l'œuvre de la Montagne, je me sers ici des arguments de la Gironde. C'est que, pour être juste, il faut reconnaître que tous, amis ou adversaires, furent en ce temps-là dévoués à la cause commune, à la fondation de cette république une et indivisible qui était leur rêve. Il y eut entre eux comme un immense et sanglant malentendu. Ils s'entre-tuèrent, s'égorgèrent dans l'ombre, selon le mot de Cambon, mais comme des frères ennemis qui se réconcilieraient dans la Mort.

Ainsi, depuis le jour où Condorcet avait présenté à la Convention sa Déclaration des Droits, jusqu'au jour où Hérault de Séchelles avait lu le texte que l'Assemblée allait adopter dans les cinq mois qui séparent le 23 février du 23 juin, une terrible révolution s'était accomplie et la Gironde avait été précipitée du faîte dans la journée du 31 mai. C'en était fait, cette longue guerre d'insinuations ou de violences, cette division intestine qui paralysait la Convention — et il faut bien malheureusement convenir que les premières attaques étaient parties de la Gironde —, cette lutte de la province contre Paris, trop violemment affirmée et par les sous-entendus des Girondins et par les barbares menaces d'Isnard, avaient abouti enfin à une catastrophe. Des législateurs allaient être mis hors la loi. L'héroïque, la sympathique mais impolitique Gironde allait être frappée par le glaive qu'elle avait aiguisé. Elle n'avait point respecté la représentation nationale, elle avait demandé l'arrestation d'un député ; à son tour, non respectée, non protégée, elle allait solder l'inévitable traite que ceux-là tirent sur eux-mêmes qui font appel à la violence. Mais, vaincue et dépopularisée, tandis que le peuple de Paris illuminait pour l'achèvement de la constitution, se pressait au Champ de Mars, où le peintre David avait organisé, au nom de la Convention, une fête civique ; tandis que l'on chantait autour de l'hôtel de la patrie, la Gironde abattue pouvait encore se dire qu'elle avait, elle aussi, travaillé à cette œuvre que Barère appelait le chef-d'œuvre de la philanthropie[7].

Et, pour voir jusqu'à quel point le malentendu a été funeste entre les partis, il faut, je le répète, comparer la Déclaration des Droits votée par la Convention à la Déclaration des Droits proposée par Condorcet. Elles ont plus d'un point de contact, et l'esprit qui les anime est puisé à la même source. Il me suffirait, pour le prouver, de mettre en regard les articles du projet et ceux du texte officiel. Sans doute, la constitution, que j'appellerai la constitution de la Montagne, est plus radicale, plus accentuée, elle n'est ni plus libérale, ni plus démocratique. L'une et l'autre affirment avec force et précision les droits naturels, civils et politiques de l'homme, la liberté des opinions, la liberté de l'individu, la liberté de la presse, l'égalité des droits, la résistance à l'oppression, etc. Dans tout gouvernement libre, dit Condorcet (art. XXXII), le mode de résistance à l'oppression doit être réglé par la constitution. La constitution de 1793 va jusqu'à reconnaître, en pareil cas, au peuple le droit à l'insurrection. L'article XXXV contient même le mot devoir. Bref, la Déclaration des Droits que votèrent les conventionnels, évidemment inspirée du projet présenté par Robespierre, ne diffère de la proposition de Condorcet, et par conséquent de la Gironde, que sur deux ou trois points, que l'on trouvera d'ailleurs excessifs dans le texte approuvé par la Convention.

C'est ainsi qu'au paragraphe sur les assemblées primaires, la constitution de 1793 donne au peuple le droit d'infirmer ou de ratifier les décrets et les mesures de la représentation nationale. Elle met le législateur sous le jugement direct du suffrage universel. Elle dit, par exemple :

XIX. Les suffrages sur les lois sont donnés par oui et par non.

XX. Le vœu de l'assemblée primaire est proclamé ainsi : Les citoyens réunis en assemblée primaire de... au nombre de... votants, votent pour ou contre (telle loi, tel décret), à la majorité de...[8]

 

Lorsque la constitution de 1793 fut votée, on mit au pilon cette constitution de 1791, cote mal taillée qui, en rapprochant de la royauté la représentation nationale, en multipliant pour ainsi dire les frottements et les heurts entre le roi et l'assemblée, le sic volo des représentants du peuple et le veto des Tuileries, avait hâté aussi l'inévitable rupture entre le souverain et la nation. On voit aujourd'hui, aux Archives, l'exemplaire de cette constitution de 91. La couverture d'argent est broyée par le mouton national, les rubans tricolores qui servent de sinets pendent tristement. Inutile essai de réconciliation entre l'ancien et le nouveau régime ! Et cette autre constitution, qu'on acclamait et qu'on saluait, allait être inutile aussi ; jamais elle ne fut appliquée. On en suspendit toujours l'exécution. Et le peuple, qu'on avait ainsi enivré de souveraineté, grondait tout bas, la réclamait, cette constitution promise et votée, et, aux heures de révolte et d'impatience, il allait, maintenant que Lecointre était venu raviver ses souvenirs, prendre pour mot d'ordre la constitution de 93, cette impérieuse et menaçante réclamation.

Le 1er germinal, déjà les députations du faubourg Saint-Antoine, tenues en respect par le président Thibaudeau, avaient jeté, pour la première fois, dans la Convention, cette prière qui ressemblait si fort à un ordre : Du pain et la constitution de 93 ! Cothery, orateur de la députation des Quinze-Vingts et de Montreuil, était venu dire aux représentants : Le peuple souffre, l'agiotage le ruine ; la constitution de 1793, qu'il a acceptée et juré de défendre, est son palladium et l'effroi de ses ennemis. Qu'on la lui donne, et la paix sera assurée à la grande famille. Et Chasles, se levant, s'était écrié : La Convention nationale n'avait pas besoin que le peuple lui exprimât aussi fortement son vœu pour la constitution ; car n'avons-nous pas juré tous, avant de venir à notre poste, de fonder le bonheur du peuple sur la démocratie ? Mettre en vigueur la constitution devient une mesure que nous ne pouvons plus ajourner ; c'est le vœu de toute la république.

Ce n'était pas le vœu de tous les représentants, puisque Tallien répliquait ironiquement, insolemment à ce discours, en désignant la gauche irritée : Je demande à ces hommes, qui réclament si fort la constitution, si ce n'est pas eux qui l'ont enfermée dans une boîte[9]. C'était braver singulièrement cette minorité à qui l'on arrachait chaque jour quelqu'une de ces libertés. Goujon, le jeune Goujon, emporté de colère, montre alors le poing à Tallien ; Chasles menace le thermidorien ; tous les membres de la gauche s'agitent. C'est la rage de ne plus dominer, dit Bourdon (de l'Oise), qui excite ces cris ! Et l'on applaudit à plusieurs reprises, tandis que Tallien, le modéré, fait appel à toutes les vengeances en effrayant la Convention par le spectre d'une terreur dont la hache était maintenant en d'autres mains, aussi terribles certes que celles des plus féroces proconsuls.

Il faut que tous les hommes de bien se prononcent de la manière la plus énergique, dit Tallien, contre les scélérats qui voudraient encore nous opprimer.

Au nom des comités, Sieyès s'était, en effet, énergiquement prononcé. Il avait demandé et obtenu une loi, qu'il baptisait loi de grande police, et qui prononçait contre tous les agitateurs cette terrible peine de la déportation[10]. Si l'article proposé passe sans amendement, s'écria Chasles, il faut se donner la mort. Et l'article avait passé. Pendant ce temps, au jardin des Tuileries, les muscadins, ceux qui se disaient les régulateurs des groupes, fondaient à coups de canne sur les hommes, sur les femmes qui stationnaient devant la Convention et les repoussaient à coups de canne en criant : Vive la Convention ! à bas les jacobins ! à bas les buveurs de sang ![11] Et la Convention, à qui l'on venait raconter ces scènes de désordres, applaudissait de toutes ses mains et donnait l'estampille à ces émeutiers de la réaction.

C'est sous l'impression de ces discours et de ces scènes violentes que, le 2, la représentation nationale se disposait à juger les membres des anciens comités. Ce jour-là, dès huit heures du matin, les tribunes étaient envahies. Les citoyens, dit le Moniteur, avaient attendu l'ouverture de la séance en faisant retentir la salle de chants patriotiques ; on répétait avec enthousiasme le Réveil du peuple et l'Hymne des Marseillais, le Réveil du peuple surtout. Les femmes (voyez l'observation de Lecointre) avaient été exclues des tribunes ; on les repoussait aux portes de la Convention. Les tribunes, s'écrie Duroy, sont remplies d'assassins ! Un peu après, il ajoutait : Plusieurs de nos collègues disent que les hommes qui sont dans les tribunes sont armés de poignards. Et comme on murmurait : Ce peut n'être pas vrai, mais on le dit[12]. Singulière disposition d'esprit pour une telle Assemblée dans un procès qui devait être jugé avec calme, et, disait Barras, avec dignité !

Les prévenus étaient entrés. Un membre demande qu'on leur donne la parole ; mais, avant toute discussion, Robert Lindet se lève fièrement, et apportant à ses anciens collègues l'appui de son honnêteté : Puisque vous voulez juger le gouvernement, il faut le juger, dit-il, dans son intégrité ; j'en ai été membre depuis le commencement jusqu'au 15 vendémiaire, et quoiqu'on m'excepte de l'accusation que l'on porte sur les prévenus, j'appelle sur ma tête la responsabilité que je dois partager avec eux, puisque j'ai partagé leurs opérations. Noble discours qui va lui attirer les accusations d'Isnard et les calomnies de Henri Larivière. Et pourtant, comme le remarque M. Louis Blanc, ce qu'il défendait devant la Convention, c'était la Convention elle-même[13]. Carnot se lève à son tour pour dénoncer à l'Assemblée deux placards affichés avec profusion sur les murs de Paris, et dont l'un porte pour titre : Le Tocsin national. On demande dans ces placards s'il ne faudrait pas envoyer à l'échafaud ceux qui prendront la défense des prévenus. Carnot allait, le lendemain, réclamer non pas, il est vrai, avec la fermeté de Robert Lindet, mais avec un certain courage, en faveur des accusés. J'ai combattu souvent les prévenus eux-mêmes lorsque tout fléchissait devant eux ; je les défendrai maintenant que chacun les accable[14]. Il conclut, après avoir parlé des services rendus par les comités, après avoir expliqué leurs fautes, à ce que la Convention nationale décrète qu'il n'y a pas lieu à accusation contre les prévenus.

Les débats se prolongeaient. C'était maintenant à Billaud, à Collot et à Barère de présenter leur défense. Assis derrière le fauteuil- du président, ils avaient assisté jusqu'à présent, impassibles et résolus, à ce déchaînement des fureurs, à ces protestations rares, mais généreuses. Le 4, à midi, Collot-d'Herbois parut à la tribune. Il se défendit, comme allaient se défendre ses compagnons, en faisant remonter la cause de tous les excès jusqu'aux victimes de thermidor. Ils se vantaient ainsi d'avoir coopéré à la chute du tyran, à cette révolution du 9, qui devait marquer l'heure sinistre de la réaction. Pendant que la discussion continuait d'ailleurs dans le sein de la Convention, au dehors les Jacobins s'agitaient, les partisans de la Montagne pouvaient espérer qu'un mouvement, provoqué par la famine croissante, par l'exaspération continue, allait éclater qui leur permettrait bientôt de ressaisir le gouvernement. Le 7 germinal, une distribution de pain moins abondante qu'à l'ordinaire avait donné lieu à des mouvements très-violents. Des femmes s'étaient attroupées, en avaient arrêté d'autres qu'elles avaient forcées d'aller avec elles demander du pain à la Convention[15]. Dans le même moment, d'autres femmes, réunies à quelques hommes, couraient les rues comprises dans l'arrondissement de la section des Gravilliers en sonnant une cloche pour rassembler tous les citoyens. Les agitateurs, dit une note du Moniteur, ont forcé les portes du lieu ordinaire des séances de la section des Gravilliers, y ont formé une assemblée illégale qu'ils ont ouverte par la lecture de l'article de la Déclaration des Droits, qui porte que, lorsqu'il y a oppression, l'insurrection est le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. Le représentant du peuple Delecloy les a sommés, au nom de la loi, de se séparer. Ils ont refusé. Les comités ont assuré qu'après avoir épuisé tous les moyens de prudence et de persuasion, ils développeraient la plus grande fermeté. Prudence, persuasion, fermeté, peu importait au peuple. André Dumont, Boissy-d'Anglas, Marec, Bréard, Merlin (de Douai), Foucroy, Chazal, Lacombe, Saint-Michel, Laporte, Sieyès, Dubois-Crancé, Rewbel, qui avaient succédé dans les comités aux Lindet, aux Carnot, aux Cambon, ne pouvaient arrêter l'émeute prochaine. Boudin avait proposé de renvoyer les prévenus Collot, Billaud et Barère devant les corps électoraux de leurs départements, qui les jugeraient. Dans la séance du 9, les trois comités firent un rapport sur la question qui leur avait été retournée de savoir si l'on suspendrait les débats, et conclurent à la continuation qui fut décrétée.

Ces débats commençaient à passionner singulièrement et la Convention et Paris. Les récriminations se croisaient, les reproches se heurtaient ; les uns parlaient d'amnistie, les autres répétaient sans cesse le mot de vengeance, et parmi ces derniers, les Girondins il faut bien l'avouer.

— Moi qui suis de la Vendée, s'écriait Ruamps, je serai jugé par Charette !

— Je ne croyais pas, répétait Guyton, que mon caractère moral, connu depuis quarante ans...

Et la gauche lui répondait avec amertume, comme pour lui faire comprendre l'a vanité de sa défense :

— Vadier avait soixante ans de vertu.

Tout le monde, en ces heures de règlement de comptes, avait sur son passé quelque sévérité inévitable. Si quelque thermidorien accusait la Montagne, un Montagnard avait le droit de lui dire et lui disait : Vous en étiez plus que moi ![16] Mais comme ils souffraient les gens animés de l'esprit politique, les Romme, les Goujon ; comme ils gémissaient de ces divisions terribles qui affligeaient les cœurs républicains et ne pouvaient réjouir que les chouans ou les royalistes !

La république ainsi divisée, c'était la république morte, à moins qu'une secousse profonde ne vînt modifier une situation désespérée. Le 12 germinal, au moment où Boissy-d'Anglas faisait un rapport sur les subsistances, un rassemblement très-nombreux força l'entrée de la salle de la Convention, demandant à grands cris du pain, la constitution de 1793 et la liberté des patriotes[17]. L'assemblée parut stupéfaite. N'avait-elle donc rien deviné ?

La Convention eût bien fait cependant de méditer les paroles de l'orateur de la députation de la section des Quinze-Vingts, prononcées la veille et grosses de sinistres avertissements. Depuis le 9 thermidor, nos besoins vont croissant. Le 9 thermidor devait sauver le peuple, et le peuple est victime de toutes les manœuvres. On nous avait promis que la suppression du maximum ramènerait l'abondance, et la disette est au comble. Les incarcérations continuent. Le peuple veut enfin être libre ; il sait que, quand il est opprimé, l'insurrection est un de ses devoirs, suivant un des articles de la Déclaration des Droits. Pourquoi Paris est-il sans municipalité ? Pourquoi les sociétés populaires sont-elles fermées ? Où sont nos moissons ? Pourquoi les assignats sont-ils tous les]jours plus avilis ? Pourquoi les fanatiques et la jeunesse du Palais-Royal peuvent-ils seuls s'assembler ? Nous demandons, si la justice n'est pas un vain mot, la punition ou la mise en liberté des détenus ; nous demandons qu'on emploie tous les moyens de subvenir à l'affreuse misère du peuple, de lui rendre ses droits, de mettre promptement en activité la constitution démocratique de 1793. Nous sommes debout pour soutenir la république et la liberté[18]. Cette pétition avait été interrompue par des murmures et par des applaudissements. Elle contient, comme on voit, le résumé de ce lugubre tableau de Paris et de la situation, que nous avons essayé de tracer. A cette voix qui grondait pourtant, qui parlait tout haut d'insurrection, la Convention fut sourde, ne répondit pas.

Thibault fit mieux, il prit la parole pour déclarer que, le gouvernement passant des nuits entières pour que Paris fût approvisionné, le mieux était de le laisser agir sans le troubler par des discussions. Il y a trois choses, dit-il, dont on ne devrait jamais parler en public : ce sont les finances, les subsistances et la religion[19].

Mais ce 12 germinal, le-peuple voulut enfin se faire écouter. Rovère avait prévenu la Convention que la conspiration des œufs rouges amènerait une insurrection. Dans la matinée, des attroupements s'étaient formés ; les voitures destinées aux approvisionnements avaient été arrêtées à la Villette, au Bourget : la caisse, battant dans les rues, avait rassemblé une masse de peuple qui, grossissant, se porta sur les Tuileries, agitant ses bonnets rouges, et criant : Du pain ! du pain ! Parrein, ancien commandant de l'armée révolutionnaire avec Ronsin et président de la commission révolutionnaire de Lyon, retiré maintenant dans le faubourg Saint-Antoine, en dirigeait les mouvements. Il fut arrêté après l'émeute. Léonard Bourdon agissait sur la section des Gravilliers, Fayau à la section des Piques, David au Muséum. Le mot d'ordre nouveau : La Constitution de 1793, était tracé sur les chapeaux, sur des lambeaux d'étendards. Ce flot bruyant coupa en deux le discours de Boissy sur les grains, et pendant qu'il s'écriait : Nous avons rétabli la liberté du commerce, la foule, avec les femmes et les enfants comme avant-garde, répliqua : Du pain ! A ce cri de sédition, la Convention répond par le cri de la légalité : Vive la république ! Merlin (de Thionville) se mêle à la foule, parle à plusieurs ouvriers, les éclaire, les embrasse[20]. — A votre place ! lui crient Bourgeois et quelques membres de la gauche. — Ma place, répond Merlin, est au milieu du peuple ! Et il y reste. Un mois plus tard, en prairial, les Montagnards seront condamnés pour avoir, comme Merlin, essayé de calmer l'insurrection. -Les citoyens, reprend Merlin, viennent de me dire qu'ils n'avaient aucune mauvaise intention. — Il n'y a que les muscadins, répond Ruamps, qui aient de mauvaises intentions.

Cependant les cris augmentent ; la foule, qui remplissait la salle de la Liberté, se pousse pour entrer dans la Convention ; elle y -pénètre par une formidable poussée, en demandant : Du pain ! du pain ! Les tribunes lui répondent par les mêmes cris. Gaston s'adresse aux citoyens : Mes amis, vous voulez du pain et la liberté des patriotes, n'est-ce pas ? Eh bien ! vous l'aurez, mais filez, parce qu'on étouffe[21]. Le président agite sa sonnette, se couvre (c'est André Dumont), invite la foule à sortir, à nommer une députation qui exprimera ses vœux. La réponse est ce cri sinistre qui retentira plus menaçant encore dans un mois : Du pain ! du pain ! du pain ! Un homme enfin, Van Heck, qui commandait au 31 mai la section de la Cité monte à la barre, réclame le silence, l'obtient, et lance, interrompu par les cris, par les acclamations, par les approbations de la foule, ce réquisitoire à la Convention :

Citoyens représentants, vous voyez devant vous les hommes du 14 juillet, du 10 août et encore du 31 mai. Ils ont juré de vivre et de mourir libres, et ils maintiendront la Constitution de 1793 et la déclaration des droits. Il est temps que la classe indigente ne soit plus victime de l'égoïsme des riches et de la cupidité des marchands. Mettez un terme à vos divisions ; elles déchirent la patrie, et la patrie ne doit pas souffrir de vos haines. Faites-nous justice de l'armée de Fréron, de ces messieurs à bâton. Les hommes qui, au 14 juillet, ont détruit la Bastille, ne pensaient pas que, par la suite, on en élèverait mille autres pour incarcérer les patriotes.

Où sont passés tous les grains qu'a produits la récolte abondante de l'année dernière ? La cupidité est à son comble : on méprise les assignats, parce que vous avez rendu des décrets qui leur ont fait perdre la confiance. N'espérez pas ramener le calme et l'abondance sans punir les égoïstes !

 

L'extrémité gauche, le peuple avaient applaudi. Pendant un moment, le bruit étouffe la discussion ; le président se couvrant encore, attend le rétablissement de l'ordre, répond à la députation que la Convention ne peut délibérer, n'étant point libre, et engage le peuple à défiler. Aussitôt que la Convention pourra, dit-il, reprendre ses travaux, elle s'occupera de vos besoins. — Il faut qu'elle s'en occupe tout de suite, s'écrient des hommes et des femmes ; nous n'avons pas de pain ![22] Déplorable violence qu'expliquaient bien les circonstances, puisque, quelques minutes auparavant, la section de la Fraternité était venue déclarer, après le discours de Van Heck, que le supplément de riz qu'on distribuait ne servait à rien, parce qu'on n'avait ni bois ni charbon pour le faire cuire. — Ce n'est pas tout ça, il nous faut du pain ! répondent les femmes à toutes les promesses[23]. Le peuple nous demande du pain, dit Prieur (de la Marne). (La foule : Oui ! oui !) Eh bien ! il faut lui en donner. (La foule : Oui ! Oui !) Et Prieur réclame alors la liberté des patriotes, de Billaud, de Barère, tandis que la gauche invite — c'est le Moniteur lui-même qui le dit — les citoyens et les citoyennes qui occupent leurs bancs à vouloir bien se retirer. Et remarquez que le président, certain que la force armée n'est pas loin, laisse cette multitude agir et hurler comme bon lui semble. Vainement on le somme de faire son devoir ; Choudieu demande qu'il soit remplacé par un autre ; Chasles réclame la parole contre lui. André Dumont laisse dire. Le calme d'ailleurs se rétablit peu à peu. Le tocsin du pavillon central des Tuileries avait donné l'alarme ; la générale battait dans les rues de Paris ; la garde nationale rassemblée, environnait maintenant la Convention, et Legendre, Tallien, Kervélégan, lui donnant bientôt l'ordre de marcher, repoussaient le peuple à coups de baïonnette.

Un des premiers mots d'André Dumont après ce tumulte fut un mot de vengeance : Citoyens, employez la sévérité, et la patrie est sauvée ! On veut aussitôt rendre complices les membres de la gauche de coups de feu tirés au dehors sur Auguis, qu'on dit blessé grièvement et qui va rentrer dans la salle sans une égratignure ; sur Pénières, qu'on dit mort et qui siégera demain. Isabeau, au nom du Comité de sûreté générale, propose le décret suivant : La Convention nationale déclare au peuple français qu'il y a eu aujourd'hui attentat contre la liberté de ses délibérations, et que les auteurs de cet attentat seront traduits au tribunal criminel de Paris. Le général Pichegru, qui se trouvait à Paris, est investi du commandement en chef de la force armée parisienne. Barras, qui commandait de même au 9 thermidor, Auguis, Merlin (de Thionville) lui sont adjoints. La Convention affermie n'a plus à redouter les rebelles de l'extérieur, elle n'a qu'à punir les factieux qui se trouvent dans son sein. Et avec quel zèle tragique elle s'en acquitte ! Il faut que cette journée soit complète ! dit André Dumont. Certes elle le sera. Dans cette séance qui se prolonge jusqu'au 13, à six heures du matin, on décrète en toute hâte que Collot, Barère, Billaud, Vadier seront déportés — le vieux Vadier avait déjà pris la fuite — ; que, sans examen, Duhem, Choudieu, Chasles, Léonard Bourdon — un thermidorien — Huguet, Amar, Foussedoire et Ruamps, les plus énergiques des Montagnards, seront mis en arrestation et traduits au château de Ham. A dix heures du soir, un juge de paix et deux gardes nationaux entrent dans la chambre de Barère, mettent les scellés sur ses papiers ; à midi, le lendemain, une voiture de cour vient chercher l'ancien membre du Comité et l'emmène rue Saint-Honoré. Barère a écrit dans ses Mémoires que cette magnifique voiture ornée de dorures et de glaces ne lui avait été envoyée que pour mieux le désigner à une populace ameutée[24] et le faire assassiner. Barère s'est peut-être mépris sur les cris de la foule. Le 15, les voitures qui conduisaient les membres des anciens comités furent arrêtées à sept heures du soir à la barrière des Champs-Élysées ; une populace armée de fourches, de serpes, s'opposait à leur départ. Le citoyen Prévôt, commandant de la vingt-neuvième division de gendarmerie, ordonne à ses hommes de marcher. Mais le peuple a pris d'assaut le corps de garde, au-dessus de la barrière, et braqué ses canons sur la troupe. Il faut que Raffet survienne à la tête du bataillon de la section des Champs-Élysées et dégage l'escorte, Les chevaux des voitures qui transportaient les prisonniers sont dételés, et l'on ramène les condamnés au Comité de sûreté générale en passant par la place de la Révolution, où le peuple poussait de grands cris.

Et la Convention proscrivait toujours. Avec Moïse Bayle, Rossignol et Pache, — ces deux derniers emprisonnés depuis longtemps, — furent expédiés sur le château de Ham. Le peuple avait parlé de municipalité. C'était assez pour que le froid et intègre Pache devint un danger. Ils veulent une municipalité, écrivait Trouvé dans le Moniteur du 14 (voyez l'article : Paris les 12 et 13 germinal). Ressusciteront-ils Fleuriot pour le replacera leur tête ? Ou bien ont-ils dans quelque prison éloignée un maire tout prêt, dès qu'il sera libre, à seconder leurs fureurs sanguinaires. Sanguinaire, lui, le mathématicien Pache ! Ô calomnies de la réaction !

Pendant ce temps, sur des paroles de Lebrun Tossa et de la musique de Delayrac, on chantait la journée du 12 au Théâtre-Favart :

Les protecteurs de l'anarchie,

Les partisans de la terreur

Ont voulu plonger la patrie

Dans un nouveau gouffre d'horreur.

Leur espoir est réduit en poudre,

Plus de Montagnards insolents !

Le sénat a lancé la foudre

Sur le reste impur des brigands.

— La foudre tombera sur vos têtes, avait dit, en effet, André Dumont du haut du fauteuil de la Convention. Et Ruamps lui répondait : La foudre, c'est ton armée du Palais-Royal !

A Favart, cette armée du Palais-Royal applaudissait, comme au lendemain d'une victoire.

L'esprit, l'esprit courant, toujours prêt à railler les vaincus, allait tantôt s'exercer sur les proscrits. Le 16, l'arrestation de Lecointre, celle de Cambon étaient ordonnées, et, le soir même, ces couplets sur l'intègre Cambon couraient, non les rues, mais les salons :

Hélas ! que le monde est méchant,

Dans ce siècle de calomnie !

On nomme et voleur et brigand

Cambon, l'ami de la patrie.

C'est de la France le soutien ;

Il est exempt de tout reproche :

Mais, parce qu'il veut notre bien,

On dit qu'il le met dans sa poche.

D'homme de sang on a traité

Ce républicain débonnaire,

Cet ami de l'humanité,

De nos trésors dépositaire.

Les faits parlent pour lui ; je crois

Qu'il est exempt de tels reproches ;

Comment tuerait-il, dites-moi,

Quand il a ses mains dans nos poches ?[25]

Maintenant la réaction triomphe tout à fait. Elle peut tout oser, tout entreprendre, frapper qui bon lui semble, dissoudre les sections lorsque, poussées par la faim, elles se déclarent en permanence, et casser les arrêtés. Elle est maîtresse souveraine. Elle décrète la restitution des biens des condamnés, excepté pour Robespierre et Louis XVI. Elle désarme d'après des listes dressées dans les sections, proscrit la pique, permet le fusil. Le 14 avril, sous prétexte de pourvoir à l'arrivage des provisions, elle fait venir cinq cents hommes de cavalerie dans les environs de Paris ; elle ordonne le 14 la nouvelle organisation de la garde nationale en décrétant la formation de quarante-huit bataillons de 740 hommes chacun, et celle d'un corps de cavalerie de 2,400 hommes, organisés de manière à ce que l'on pût être sûr qu'ils ne soutiendraient jamais la populace. Pour voiler la réaction intérieure, elle exalte les victoires remportées sur l'ennemi ; mais en même temps elle fait la paix avec les chouans, elle traite de puissance à puissance avec des bandits. L'armée des chouans, après la pacification, avait conservé sa dénomination d'armée catholique et royale de Bretagne. Jusqu'au 9 floréal elle campa sous les murs de Rennes, gardant ses conseils militaires au nom du roi. Le 1er floréal, Cormartin avait fait son entrée triomphale à Rennes. On y cria : Vive le roi ! Les représentants en mission écrivirent à la Convention qu'on y criait : Vive l'Union ! Jamais le terrible Comité de salut public n'a eu entre les mains la-formidable concentration de pouvoirs qu'il possède alors. Jamais, au lendemain même des lois du 22 prairial, la terreur n'a régné en France comme sous la tyrannie de ces modérés. Chaque jour ils sacrifient à la réaction quelque bouc émissaire. C'était hier ce misérable Carrier, c'est aujourd'hui Fouquier-Tinville. L'instruction de son procès et du procès du tribunal révolutionnaire, de l'ancien administrateur de police Herman, des juges au tribunal, avait commencé le 8 germinal. Je donne ici, quoique cette affaire ne rentre pas directement dans le cadre de cette histoire, les signalements des dix-neuf membres du tribunal révolutionnaire qui sont ainsi publiés pour la première fois, et qu'on trouvera aux Archives (carton du parquet, W. n° 88)[26].

C'est un lugubre et révoltant procès que celui de ce Fouquier, servile instrument, âme de valet, qui pécha, comme disait Talleyrand, par trop de zèle, et quel zèle ! Il en sort, malgré tout, un enseignement : Fouquier-Tinville représente bien ces êtres passifs qui, dans les temps troublés, accomplissent avec une régularité mathématique, un dévouement de casseur de pierres, une ponctualité ombrageuse, les ordres qu'ils reçoivent d'en haut ; chez eux l'idée du devoir se déplace et se fausse. Leur devoir véritable serait de rechercher si l'ordre qu'ils reçoivent est juste ou injuste ; mais, s'inclinant devant une consigne sans la discuter, ils substituent une autre idée à la première et diraient volontiers : Le devoir est d'obéir. Fouquier-Tinville obéit. Il obéissait lorsque, dans le procès des dantonistes, il composait le jury de ceux des jurés qu'il appelait des solides. Il obéissait lorsque, chaque matin, faisant venir Étienne Demoret, l'aide des Sanson, il lui donnait, avant le prononcé des jugements, l'ordre verbal de faire monter la guillotine pour une heure quelconque, de faire préparer tel nombre de voitures qu'il lui désignait, et lorsqu'il recommandait, pour que le public ne fût pas irrité de cette conduite, qu'on fit mettre les charrettes dans différentes places voisines[27].

Fouquier, courbé sous sa tâche comme un bœuf sous le joug, travaillait sans relâche à son œuvre terrible, couchait dans son cabinet, au Palais-de-Justice, toujours emporté, violent, menaçant, se faisant haïr des huissiers (déposition de Robert Wolf, commis-greffier). C'est ce Robert Wolf qui dit encore : Fouquier, après la loi de prairial, étant à déjeuner avec plusieurs jurés, comptait froidement, en se curant les dents, le nombre des victimes qui devaient aller là-bas. Il faut que ça aille, disait-il, il en faut pour cette décade quatre cents, et quatre cent cinquante pour l'autre. Calculant toujours à peu près sur le nombre de cinquante à soixante par jour. Et les jurés applaudissaient[28]. En se curant les dents est un trait horrible. Je ne veux pas croire que Wolf l'ait inventé. Et pourtant que de calomnies jetées même à la face de cet homme que l'on ne croirait cependant pas susceptible .d'être calomnié ! Pierre-Charles Sanson, Charles-Henri Sanson, Nicolas-Gabriel Sanson, Henri Hanson, interrogés, se taisent sur son compte, et déclarent qu'ils n'ont connaissance de rien. Mais d'autres apportent au procès des accusations écrasantes, et peignent l'accusateur arrivant ivre au bureau des huissiers. Je trouve cette lettre au dossier de l'affaire :

Renseignements certains sur Fouquier-Tinville, ex-accusateur public près le tribunal révolutionnaire.

Depuis longtemps et notamment l'année dernière, Fouquier-Tinville fréquentait et allait dîner habituellement deux fois par semaine rue Serpente, 6, au deuxième et troisième étage, sur le derrière, chez un nommé Demey, se disant homme de loy, vivant clandestinement avec la fille Martin, escroqueuse et intrigante sur le pavé de Paris, n'ayant d'autres moyens de subsister.

C'était dans ce coupe-gorge où, au milieu des orgies, ou traitait impunément à prix d'argent de la mort des incarcérés ; une seule tête de la maison de Boufflers, échappée à l'échafaud par l'intrigue de ces vampires, leur a valu trente mille livres, dont mille livres comptant et un bon du reste payable sitôt la mise en liberté, sans compter les présents de café, etc., etc. Ces tygres étaient si aveuglés dans ces temps de carnage qu'ils se vantaient publiquement de cet infâme agiotage.

Leur vieux domestique, honnête homme, que la Martin a ruiné, forcé par circonstances de vivre avec ces fripons, n'ignore pas, sans y tremper, la plupart de leurs crimes.

SAULNIER,

Rue Serpente.

25 germinal au III[29].

Et en notes, d'une autre main que ce Saulnier :

La citoyenne Martin, le citoyen Jolly, domestique, 6, rue Serpente.

Onfroy, gendarme, était autrefois portier de cette maison, il a connaissance que Fouquier N allait souvent avec Coffmhal et autres.

Eh bien ! cette lettre ment, je crois ; cet accusateur de l'accusateur public à son tour charge les couleurs.

Wolf, en qui j'aurais plus confiance, raconte, il est vrai, certaine scène qui a dû se passer telle qu'il la décrit. C'était le 9 thermidor. Fouquier, ignorant les troubles — ce qui prouve d'ailleurs jusqu'à quel point il s'isolait dans son farouche ministère —, devait, ce jour-là, dîner chez Vergnes, à l'hôtel de la Fraternité. Vers une heure de l'après-midi, Dumont, l'un. des commis des huissiers, lui dit qu'il y avait des mouvements dans le faubourg Saint-Antoine, qu'on y battait la générale, qu'Henriot arrachait de prétendus patriotes des mains des gendarmes, que Dumas avait été arrêté à l'audience même du tribunal révolutionnaire. Malgré tout, vers trois heures et demie, Fouquier sort, le chapeau sur la tête. Vis-à-vis le cabinet des accusés, à trois pas de la porte de sortie de la salle des Piliers, il se heurte contre Sanson, l'exécuteur, et Demoret, son aide.

— Il y a des troubles au faubourg Antoine, lui disent-ils, et dans le faubourg où doit se faire l'exécution. Il serait prudent de la suspendre[30].

— Partez toujours, répond Fouquier, un peu ému, rien ne doit arrêter l'exécution des jugements et le cours de la justice. Vous avez, d'ailleurs, de la force armée.

Et il disparut pour aller dîner. Une fournée de six charrettes n'attendait que cet ordre pour s'acheminer à la barrière Renversée. Coffinhal et deux collègues assistèrent à ce repas, — que j'imagine troublé.

Fouquier, dans son procès, se défendait bien. On trouvera dans sa défense manuscrite l'impression sincère d'un étonnement et peut-être, ce qui serait terrifiant pour la nature humaine, d'une conviction.

Dussé-je périr mille fois ! s'écrie-t-il, je n'avouerai point que je me suis trompé. Si le comité voulait me donner communication de tous les chefs d'accusation, peut-être aurais-je d'autres réponses à lui faire, mais il serait nécessaire qu'il m'entendît[31].

Il ajoute ensuite :

Est-il une position plus triste et plus fâcheuse que la mienne après avoir employé le jour et la nuit pour la chose publique !

 

J'ai lu, dans le Journal des Débats, sur Fouquier-Tinville un article de M. Saint-Marc Girardin où certaines circonstances atténuantes sont réclamées pour l'accusateur public. En vérité, en parcourant ses papiers, ses essais de justification, ces volumineux, griffonnages où il explique, adoucit, pallie sa conduite, on ne saurait lui refuser je ne sais quelle stupide pitié, celle qu'on accorderait, par exemple, à l'instrument passif d'un effroyable malheur.

C'était une terrible chose que ce tribunal révolutionnaire[32] ; mais, l'institution fondée, l'homme qui la dirigeait était-il responsable des excès ? On fit payer cher à Fouquier, car tout se paye, sa conduite dans l'affaire des dantonistes, la façon dont on coupa la parole aux accusés ; et la déclaration de Fabricius, — qui avait été, il est vrai, l'ami de Danton, — lui tomba sur la tête, eût dit André Dumont, comme un coup de foudre. Fabricius, au surplus, n'est pas seul ici à accuser. Topino-Lebrun, cet honnête et ardent jeune homme qui devait si tristement mourir quelques années après, et demander à Bonaparte de mourir les mains libres, Topino-Lebrun, alors juré au tribunal révolutionnaire, dépose ainsi dans l'affaire de Fouquier :

Devant Pierre Forestier, juge,

Comparoît :

Le citoyen François-Jean-Baptiste Topino-Lebrun, âgé de trente et un ans, né à Marseille, département des Bouches-du-Rhône, juré au tribunal révolutionnaire, demeurant à Paris, au Louvre.

Fouquier lui a paru un problème.

Fouquier ne m'a point paru sans esprit de parti dans l'affaire Danton ; s'il n'a point écrit au Comité de salut public sur la prétendue rébellion des accusés, pourquoi, lorsqu'il a requis la lecture de la loi qui les mettait hors des débats, a-t-il dit dans son préambule : Attendu la rébellion des accusés ? Pourquoi, le quatrième jour, s'est-il trouvé avec Hermann dans la chambre des jurés pour les engager à déclarer être suffisamment instruits ? Au moins, après ce jugement, a-t-il fait droit à ces mots de Danton si importants pour notre liberté : Je demande des commissaires de la Convention pour recevoir ma dénonciation sur le système de dictature ; ici, c'était à la Convention qu'il fallait écrire et non au Comité de salut public.

Camille récusa Renaudin, juré — qui l'avait maltraité pour avoir parlé république aux Jacobins —, comme son ennemi particulier et comme un soutien du royalisme alors. On ne fit aucun droit à cette demande[33].

Et après Topino-Lebrun, le citoyen Jean-Baptiste Fambat, âgé de trente-cinq ans, juré au tribunal, demeurant à Paris, rue Taitbout, n° 36,

Déclare :

Quant aux manœuvres qu'on lui impute (à l'accusateur Fouquier), d'accord avec les comités, voici un fait qui peut-être pourra donner quelque induction à cet égard : ayant suivi exactement les séances dans les débats de l'affaire de Danton, il, — lui, Fambat, — se trouva, un des derniers jours de ce procès, pendant la levée de la séance, dans une des chambres adhérentes à celle des jurés ; il y était avec son collègue Topino-Lebrun. L'on vient leur dire que les citoyens Amar et Voulland étaient là. En effet, ils les virent passer à l'instant ; il avait depuis longtemps des choses essentielles à dire au citoyen Amar ; il alla à lui ; il lui parut très-agité, répondit peu à ce qu'il disait, et tout à coup, le prenant sans doute pour un des jurés de l'affaire, il lui dit avec beaucoup de véhémence : Eh bien ! allez-vous bientôt condamner ces scélérats ? Étrangement surpris de son erreur et de son interpellation, il sortit à l'instant sans lui répondre.

A ces concluantes accusations, Fouquier-Tinville opposait d'ailleurs une contenance courageuse. Il écoutait, assis à la place des accusés, comme s'il eût siégé à la place de l'accusation. Rien, chez cet homme violent, ne trahissait la sourde colère qui devait l'agiter. Elle n'éclata qu'après la condamnation. En allant à l'échafaud, le 17 floréal, avec les quinze autres condamnés, Vilate, Foucault, Sellier, Garnier-Delaunay, Leroy Dix-Août, Prieur, Renaudin, Gérard, Châtelet, Bayenval, Benoît, Laune, Verney, Hermann, Dupaumier[34], il laissa échapper sa rage dans un jet de terrible ironie :

— Tu n'as pas la parole ! criait le peuple sur son passage.

— Et toi, canaille, répliqua-t-il, tu n'as pas de pain !

La vérité est que la famine tenait toujours à la gorge Paris, Paris amaigri et décimé. Le royalisme pouvait s'applaudir en voyant le succès de son œuvre : le peuple mourant, les assemblées populaires dissoutes, les Montagnards emprisonnés, la Convention menée, dirigée, dominée par les réacteurs.

Il ne restait plus, en effet, pour tenir tête à cette mer envahissante de la réaction qu'un groupe héroïque, qui bientôt allait être submergé lui-même, mais qui, en attendant, faisait devant les thermidoriens fière contenance. On voyait s'asseoir à la gauche de la Convention des hommes, jeunes pour la plupart, énergiques, décidés à la lutte ou à la mort, et qui, étrangers au 9 Thermidor, récemment revenus des armées où ils avaient bravement rempli leurs missions, s'étonnaient et s'affligeaient des déchirements de la République. Courageux et dévoués, ils ne laissaient passer aucune occasion de protester, d'affirmer leurs sentiments. Nous les avons vus se prononcer avec énergie contre les accusations de Lecointre qui discréditaient la République, s'opposer à la fermeture du club des Jacobins, qui constituait une première atteinte à la liberté ; protester contre la loi de grande police de Sieyès, crier : A bas les bourreaux ! à ceux qui demandaient la proscription après les journées de germinal. Nous allons les voir encore jouer bravement la dernière partie de la République et donner avec des rayonnements d'enthousiasme leur vie pour enjeu.

La belle tête de Goujon, — fine, féminine, sans barbe, un nez droit, aquilin, sur une bouche petite et sérieuse, le menton nettement accusé, encadrant ce calme visage d'une résolution si charmante, des cheveux longs, qu'on devine soyeux, tels qu'ils pouvaient s'échapper du casque d'une Herminie, — s'élève au-dessus du groupe. Ce Spartiate ferme et doux marche au premier rang. Sur les bancs de l'Assemblée se dressait sa taille haute de six pieds. Jean-Marie-Claude-Alexandre Goujon avait alors vingt-neuf ans, mais sa vie si noblement remplie était déjà glorieuse et son nom populaire. Goujon était né à Bourg-en-Bresse, le 13 avril 1766. D'abord marin, à douze ans il assistait sur le Saint-Esprit au combat d'Ouessant, où le comte d'Orvilliers fit éprouver de dures pertes à l'escadre anglaise. L'enfant écrivait, le lendemain, à son père, alors à Paris, une lettre qui fut lue tout haut, en plein Palais-Royal, sous l'arbre de Cracovie, comme un bulletin de victoire. Six ans après, Goujon, continuant ses voyages, débarquait à l'Ile-de-France. Il y vit des nègres courbés sous le fouet, réduits à l'état de brutes, et se révolta devant les souffrances de ces êtres disgraciés. Il y avait déjà un républicain et un philanthrope chez ce jeune homme de dix-huit ans.

Quatre ans après, nous le retrouvons aux environs de Paris, uni d'amitié avec Tissot, qui deviendra son beau-frère, étudiant, cherchant avec acharnement la solution des problèmes qui déjà agitent le monde, et traitant le magnifique sujet mis au concours par l'Académie de Dijon pour sujet du prix qu'elle promettait de décerner dans sa séance du mois d'août 1790 : Déterminer quelle est l'influence de la morale des gouvernements sur celle des peuples. L'Académie ne devait pas accorder de prix, mais elle allait déclarer que, parmi tous les discours qui lui avaient été adressés, le travail seul de Goujon avait attiré son attention[35]. Elle proposait au surplus une manière nouvelle d'envisager la question. Goujon se remit au travail. Il faut lire ce discours remarquable, écrit d'un style sobre et ferme, comparé aux déclamations du temps. Un mâle enthousiasme, le profond amour de la liberté, l'âpre soif de la justice, animent ces pages honnêtes et altières qui semblent tracées par le style d'un Spartiate. Goujon, avec la sévérité ardente de la jeunesse, qui ne transige pas et proclame fermement l'absolu, n'admet ni compromis ni demi-mesures. Un souffle hardi passe dans son écrit, il proclame bien haut que l'intérêt de toute tyrannie est d'avilir l'homme pour le dominer, et que le peuple se corrompt fatalement, perd toute vertu et toute énergie dès qu'il abdique ses droits en faveur d'un gouvernement qui n'est pas la Raison ou la Loi. C'est l'ascendant absolu et irréfléchi de la morale des princes sur celle de leurs sujets que j'appelle, dit-il, influence de la morale des gouvernements sur celle des peuples. Comment déterminer la nature et le degré de cette influence ? Comment en développer les suites sans pénétrer jusqu'aux plus secrètes pensées des maîtres du monde et sans dévoiler les odieux complots formés de toutes parts contre la liberté ? Que de raisons, sous un maître, pour interdire toute discussion sur cet objet ! Parler avec vérité de la morale des gouvernements, n'est-ce pas verser l'opprobre sur ces puissances que l'univers adore ? Parler de l'influence de cette morale sur celle des peuples, n'est-ce pas apprendre aux hommes le secret de leur servitude, les faire rougir de leurs fers et leur indiquer les moyens de les briser ?[36] Un nom vient aussitôt à la pensée lorsqu'on lit ces pages bouillantes de Goujon, le nom d'Étienne de la Boétie, mort jeune comme le jeune tribun, sans peur et sans reproche comme lui, et qui, avec autant de hardiesse, dans un style, il est vrai, plus concis et plus mâle, a exprimé des idées analogues. On trouverait plus d'un rapprochement à établir entre ce Discours sur l'influence de la morale des gouvernements et le traité fameux De la servitude volontaire. Le philosophe et le politique, tous deux poètes à leurs heures, — autre point de contact, — sont deux révoltés, deux mécontents, deux amoureux de liberté, deux combattants du droit et de l'honneur. Dans un temps de barbarie et de guerres atroces, la Boétie proclame cette liberté qu'il adore, en reprochant à ses concitoyens leur lâcheté.

A une époque de corruption et d'affaissement de la conscience, Goujon affirme bravement les imprescriptibles droits de la vertu. Nos pères étaient barbares, disons-nous (c'est lui qui parle) ; une valeur brutale les portait à tout décider par la force ; les arts, étrangers parmi eux, n'avaient point changé en une douce urbanité leurs mœurs rustiques et grossières. Ah ! puissions-nous encore être barbares comme eux ! Ils étaient vertueux, leurs âmes étaient pures, leurs cœurs francs et généreux étaient incapables de se courber sous le joug ; leurs haines étaient fortes et durables, mais leurs amitiés l'étaient aussi ; ils n'insultaient point au malheur, etc., etc. Ne croirait-on pas, encore une fois, voir un citoyen de Sparte égaré dans ce dix-huitième siècle, qui se décomposait alors, tombait en pourriture, et proclamant dans son austérité l'honnêteté, la médiocrité des mœurs, prêchant le brouet noir au lendemain des orgies de Louis XV ?

Goujon alors, désespéré, attristé, déjà grave et le front pensif — à vingt ans ! — assistait à cette ébullition qui annonçait une tempête, quelque catastrophe inconnue. Les yeux sur l'horizon, il n'osait guère prévoir une éclaircie. Ambitieux du bien de la patrie : Ah ! s'écriait-il, si ma voix pouvait se faire entendre ! Il ne l'espérait pas, et, mélancoliquement, il se contentait d'écrire : Heureux les peuples qui auront pu voir le fer de leurs chaînes à travers les roses dont on a pris soin de les couvrir ! Il ne devinait point qu'un soir de juillet, moins d'un an après, ce peuple qu'il voyait opprimé maintenant allait s'endormir libre, après avoir bien gagné sa journée.

Être homme, avait dit Goujon dans son Discours, c'est le premier des titres ; être libre, c'est la première des dignités. Avant même que son travail eût été examiné par l'Académie de Dijon, le 14 juillet y avait répondu.

Il dut saluer d'une acclamation triomphante, ce jeune homme, la chute de la vieille citadelle qui, pour les Parisiens, était là, noire et haute, comme la pétrification de la tyrannie. On s'imagine quelle fut sa joie à la nouvelle de la prise de la Bastille. Pendant ces .premières années de la Révolution, Goujon demeure spectateur, reste dans l'ombre, regarde et juge. Les acteurs du grand drame ne font leur entrée qu'un à un ; il faut qu'ils soient nombreux, car, grâce au bourreau, leur rôle resplendissant ou sombre n'est jamais bien long. Mirabeau venait de mourir. Camille Desmoulins avait poussé à son tour le cri de Bossuet : Mirabeau se meurt ! Mirabeau est mort ! Il avait sévèrement jugé celui qu'il appelait, selon ses nerfs, Mirabeau-Chiffon ou Mirabeau-Tonnerre. Une après-midi d'avril 1791, Goujon rassembla devant sa porte les paysans du village qu'il habitait ; il s'agissait de leur faire comprendre quel était le grand homme qu'on avait perdu. Ses longs cheveux blonds, divisés sur le milieu d'un front pur, ondulant en larges boucles, comme ceux d'une femme, sur son cou nerveux ; les yeux pleins d'éclairs, le nez droit et la bouche petite, aux lèvres fines, tel qu'on le voit sur la peinture d'Isabey, gravée par Bonneville, Goujon monta sur un banc et prononça, d'une voix émue et grave, l'éloge funèbre de Riquetti l'aîné, ci-devant marquis de Mirabeau. La foule écoutait et pleurait ; et lorsque le jeune homme eut fini de parler, elle se retira recueillie comme après une cérémonie imposante. Le lendemain, on ne parlait à Versailles que de l'éloquent et courageux orateur. Peu de temps après, Goujon était appelé à l'administration du département de Seine-et-Oise. Il y apporta tout son dévouement. Procureur général syndic au 10 août, député suppléant à la Convention nationale, il accepta ; il rechercha dans la République ces fonctions obscures et délicates où le dévouement trouve toujours à s'exercer. Ce n'était pas seulement un homme de lettres et ce que j'appellerai un politique cérébral, de ceux qui s'éprennent d'une idée comme d'une maîtresse, c'était encore, malgré sa jeunesse indomptable et bouillante, un intelligent administrateur. Il avait les deux grandes qualités de l'homme d'État, la science et le désintéressement ; point d'ambition personnelle, des mœurs pures et stoïques. Il avait épousé la sœur de Tissot, son ami, et déjà, passant des bureaux de la Convention à la petite chambre où dormait son enfant, il rêvait d'en faire un citoyen utile un jour à la patrie. On lui avait offert en 1793 le ministère de l'intérieur, il avait refusé, préférant bientôt entrer dans la commission des approvisionnements et des subsistances. Plus tard, désigné pour le poste d'ambassadeur de la République à Constantinople, il allait partir, lorsqu'un arrêté du Comité de salut public lui confie par intérim le portefeuille des affaires étrangères et de l'intérieur[37]. Les dantonistes sont envoyés à l'échafaud ; Hérault de Séchelles, dont Goujon était le suppléant, embrasse Danton dans le fond du panier de Sanson ; et Goujon, appelé à la Convention, renonce à ces fonctions de ministre, semblable à ces généraux qui déposaient leur grade pour aller au feu. Bientôt, envoyé aux armées du Rhin et de la Moselle, il envoie au Comité de salut public des lettres de victoire que Barère lit à la tribune aux applaudissements de la Convention. Les Prussiens, dit Goujon dans son style énergique, avaient fait jurer à leurs esclaves de défendre leurs redoutes jusqu'à la mort. Les redoutes ont été enlevées, les canons pris et les canonniers hachés sur leurs pièces. (Tripstat, 26 messidor an II)[38]. Après Tripstat, c'est Kerveiler, c'est Spire, ce sont les gorges et le revers des Vosges, depuis Landstoul jusqu'à Newstadt, dont Goujon et son collègue Hentz annoncent la prise. Desaix, Vachot, Saint-Cyr, qui agissaient sous ses ordres, se seraient fait tuer sur un signe de l'intrépide jeune homme. Le 9 messidor, Goujon datait sa dépêche de Landau. Le Palatinat tout entier était à nous, et ses riches moissons maintenant allaient nourrir l'armée du Rhin.

Goujon devait bientôt rencontrer aux armées le gai et exalté Bourbotte. Le 13 thermidor, ils écrivaient tous deux de Thionville pour féliciter la Convention de sa victoire sur Robespierre : Que tous les traîtres tombent ! Que tous les tyrans soient anéantis ! C'est, n'en doutez pas, le vœu unanime de ceux qui versent ici leur sang pour la patrie[39]. Rappelé bientôt, il revient à la Convention, qu'il trouve menée déjà, dominée par les réacteurs. Son étonnement est profond, son affliction ne va pas sans colère. Mais bientôt son parti est pris. Il luttera, puisque la lutte continue ; il luttera de bonne foi, avec son énergie et sa droiture accoutumées. Dès lors, toutes ses paroles, tous ses discours sont consacrés à la défense de la république. Avec une netteté de vues, une connaissance profonde des choses de la politique, il s'oppose à toute mesure réactionnaire, alors même qu'elle semble satisfaire un besoin apparent de justice. Nous l'avons vu s'élever hautement contre Laurent Lecointre, gémir qu'un républicain accusât ainsi publiquement les anciens gouvernants, et par conséquent le gouvernement ; plus tard, avec une persistance acharnée, il s'oppose à la création d'un conseil de commerce qui peut entraver une liberté ; il provoque des mesures contre ceux qui attaquent les Droits de l'Homme ; il se plaint des persécutions dirigées contre les patriotes ; il invite les Jacobins à veiller aux aristocrates ; il vote, il ose voter contre le rappel des députés mis hors la loi, de ces Girondins, honnêtes sans doute, mais qui allaient rentrer dans l'Assemblée avec leur désir de représailles, — et quand le président met aux voix le projet de décret présenté par Merlin (de Douai), lorsque la très-grande majorité se lève pour l'adoption, quand les membres mêmes qui siègent à l'extrémité gauche ne prennent point part à la délibération, Goujon, qu'il n'est cependant ni pour les proscriptions ni pour les rigueurs, Goujon seul se lève contre[40].

Il poursuit la réaction partout où elle se cache, sous quelque costume qu'elle se présente ; il la traque, il la démasque, il la combat dans les hommes, dans les mots. Il attaque, il veut effacer ce nom de terroristes dont on s'efforce de marquer certaines gens comme d'un fer rouge. N'en doutez pas, citoyens, ce qui a troublé la paix de la République, ce qui pourrait encore la troubler, c'est la manie que l'on a toujours eue de combattre les raisons par des mots de parti et par des dénominations injurieuses.....[41] Citoyens, je hais autant que vous les hommes de sang ; de ma vie je n'ai fait le mal volontairement, mais je dis que si on se sert du mot de terroriste pour poursuivre les bons citoyens. — Personne ne veut poursuivre les bons citoyens, répondent un grand nombre de membres. — Et Goujon, aux applaudissements de la gauche, avec l'assurance inébranlable de la foi et de l'honnêteté, reprend : Cette dénomination vague de terroristes, inventée par des hommes qui veulent tout agiter, ne sert qu'à faire planer le soupçon indistinctement sur toutes les têtes ; s'il existe des coupables, qu'on les désigne et que la loi en fasse justice. Quant à moi, je déclare que si je me croyais coupable, j'aurais le courage de m'accuser moi-même ; je dirais : Si mon sang peut rétablir la paix dans mon pays, qu'il soit répandu ![42]

Et comme on sent dans ces paroles, modérées dans leur sombre énergie, la ferme conviction d'une conscience ! Goujon est sage en même temps qu'énergique. Il a de la jeunesse l'indomptable élan, uni au sûr coup d'œil de l'âge mûr. Quoi de mieux raisonné que ces paroles qui résument si bien la situation de ce moment de trouble et de sourds combats : Si vous voulez que la paix règne dans la République, ne souffrez qu'une dénomination, celle de citoyens ; bannissez toutes les autres, qui ne sont que des armes dans les mains de celui qui veut établir la terreur.

C'est parce qu'il est un républicain intègre et convaincu que Goujon défend la république tout entière et les républicains, sans distinction de partis ; qu'il veut s'opposer même à la dépanthéonisation de Marat si obstinément demandée. Il ne faut toucher à aucune parcelle du passé, tel est son avis. C'est parce qu'il veut le triomphe de la cause qu'il a servie qu'il menace Tallien, qu'il demande l'ajournement de cette inconséquente loi de grande police présentée par Sieyès, qu'il surmonte ses dégoûts, qu'il combat ses lassitudes, qu'il triomphe de ses désespoirs pour défendre à la Convention les-intérêts de la patrie. Le sacrifice de sa vie était fait. Déjà en 1790, dans cette solitude des champs, en écrivant ce drame en prose, Damon et Phintias, qui devait être une pièce posthume, il avait comme instinctivement tracé sa propre histoire. Qu'était-ce que le Spartiate Damon, qui bravait dans son cachot le tyran de Syracuse, sinon lui-même, sans cesse armé contre les ennemis de la liberté ? Il allait trouver, lui aussi, et son Phintias et ses Denis, et comme Damon, sans doute aussi allait-il s'écrier :

Sainte vertu, c'est toi que j'implore ! C'est toi qui dois soutenir mon courage lorsque je lutte seul contre l'injustice des hommes et le pouvoir des méchants ! Être des êtres ! toi qui me donnas la force d'écarter de mon cœur les semences du vice, ne souffre pas que je déshonore à ma dernière heure l'œuvre de tes mains l. A l'instant où je vais quitter ma dépouille mortelle pour m'élever jusqu'à toi, donne à mon âme le calme de la vertu. Que le méchant envie la sérénité du juste au milieu des appareils de la mort ! Déjà mon âme s'agrandit en songeant qu'elle est ton ouvrage ; elle s'épure en se rapprochant de toi ! Fort de mon innocence, je prends plaisir à me reposer sur ta justice. C'est toi qui es mon juge ; l'estime des hommes n'est plus rien pour moi : je brave leurs jugements à l'abri du témoignage de ma conscience, je ne les crains plus... je sais mourir ![43]

 

Mais tous les crucifiés ont leur jardin des Oliviers et leur sueur terrible. Goujon , vivant seul, sans relation aucune, au milieu d'une famille nombreuse, fuyant les lieux publics, aimant l'ombre et le calme, souvent regardait mélancoliquement l'avenir. L'héroïsme est lourd à porter. Ce jeune homme pouvait vivre si heureux, solitaire, parmi ses livres, à côté de sa mère, de sa femme, de ses sœurs, de ses enfants ! Souvent, le soir, après les orages de la Convention, le dîner pris en commun, il sortait, emmenant son jeune frère ou quelqu'un de sa famille, se promener aux Tuileries[44]. On longeait la terrasse des Feuillants, on passait devant l'Assemblée, ce volcan, on allait doucement aux Champs-Elysées, laissant de côté le Cours-la-Reine où paradaient les élégants. Et si, en chemin, Goujon rencontrait quelque triomphant muscadin, conspirateur à la poudre d'iris, il rentrait morne et triste en son logis de la rue Dominique.

Il était herculéen avec ses formes gracieuses, et cassait, dit-on, un fer à cheval entre ses doigts, comme le maréchal de Saxe. La douleur, la tristesse, l'inquiétude l'eussent tué peut-être sans cette prodigieuse force de tempérament. La préoccupation d'une fin tragique ne sortait pas de sa pensée. Un jour, ouvrant sa chemise et découvrant sa poitrine, il dit doucement, mais avec l'accent de la résolution, à son médecin : Montre-moi bien la place du cœur. Est-ce là ? C'est que je me tuerai si l'égalité périt, et je ne veux pas que ma main tremble.

Tel était un des hommes que la réaction haïssait le plus. Bourbotte, son collègue à l'armée du Rhin, plus âgé que lui, non moins ardent et intrépide, était aussi depuis longtemps désigné aux coups des Thermidoriens. Nature violente mais franche de Bourguignon, révolutionnaire décidé, jeté dans le mouvement dès les premières journées de la révolution, député, en 1792, par le département de l'Yonne, à la Convention nationale, Bourbotte s'était toujours prononcé pour les mesures décisives et promptes. C'était un homme emporté, sanguin, d'un naturel jovial, capable de tous les dévouements, d'une bravoure à toute épreuve, inflexible sur ses principes et les poussant parfois jusqu'à l'extrême avec son impétuosité ordinaire[45]. Il avait réclamé la mise en jugement de la reine, après avoir voté la mort du roi sans appel ni sursis : c'est lui qui, avec Albitte et Chabot, s'opposa à ce qu'on recherchât les complices des massacres de septembre et demanda le rapport du décret contre leurs auteurs. Peut-on blâmer l'excès du patriotisme, et ne saurait-on expliquer toutes ces fureurs par le milieu où elles se produisaient ? Bourbotte, envoyé en Vendée, devient bientôt un héros que les soldats se mettent à adorer. Il poursuit avec une vigueur indomptable et avec cette science de la guerre que quelques-uns, à cette heure volcanique, possédèrent d'intuition, les rebelles effrayés. A Saumur, dirigeant l'assaut, au premier rang, son cheval est tué sous lui. Il se débat, et, entouré d'ennemis, se défend seul, de ses pistolets et de son sabre, mais il est perdu, lorsque Moreau, simple lieutenant alors, accourt avec sa compagnie et le dégage. Peu de jours après, dans une rencontre, Bourbotte reçoit sur la- tête un terrible coup de crosse dont il ne guérira jamais, mais il se précipite sur l'homme qui l'ajuste, relève de la main gauche le canon du fusil, et, de la main droite, fend le crâne au chouan d'un coup de sabre. Il écrasait les Vendéens à toute rencontre, les poursuivait à outrance et envoyait sévèrement à la Convention les croix de Saint-Louis ramassées sur les rebelles et l'argenterie trouvée dans les châteaux. Ce farouche héros des champs de bataille était d'ailleurs le plus gai et le plus confiant des hommes. Il avait élevé, à Savenay, dans cette débâcle terrible des Blancs, à côté d'un tas de morts, un petit Vendéen orphelin, Pierre Jarry. Il l'appelait Savenay et le faisait élever avec son propre fils. Joli homme et fort entouré, Bourbotte comptait plus d'un roman dans sa vie. Il apportait en toutes choses son éternelle impétuosité, détestant le caprice et n'aimant que la passion, comme en politique. Davoust, son intime ami, lui reprochait toujours d'avoir la tête trop chaude. Bourbotte, acharné contre la presse, et poussant à l'excès son zèle révolutionnaire, fut bientôt accusé de mesures oppressives, rappelé par le comité de salut public et défendu par Carrier, qu'il devait plus tard, à son tour, essayer de sauver. La Convention l'envoya à l'armée du Rhin. Bourbotte n'allait pas longtemps y demeurer. Thermidor le ramène à Paris. Fidèle à sa Montagne, il combat la faction dominante, et, comme à Saumur, donne sa vie pour enjeu. Lui aussi, violent, acharné, la tête facilement prise et fort exaltée depuis le coup de crosse du Vendéen, sans se modérer, marchait, pour ainsi dire, à la tribune au pas de charge et allait bientôt fournir à ses ennemis l'occasion de frapper.

Il était d'ailleurs assuré de son avenir, et, pour ainsi dire, il avait décrété sa mort. Il portait toujours, du côté du cœur, quand il était aux armées, un petit poignard oriental qui l'assurait de ne jamais tomber vivant entre les mains de ses ennemis. Un jour, dans le plus fort de la réaction, dans un de ces jours où la patrie et la liberté pouvaient périr d'un instant à l'autre, Bourbotte, étant le matin avec un de ses amis, entendit un bruit inquiétant ; il ouvre la fenêtre, et, après avoir longtemps écouté, il dit, en tirant son poignard de dessous son habit et en l'appuyant sur son cœur : Il y a quelque chose d'extraordinaire dans Paris, peut-être un mouvement royaliste ; mais, quoi que ce puisse être, je ne crains rien, et voilà le moyen de n'avoir pas la douleur de tomber entre les mains des tyrans[46].

Le pauvre Davoust, son compatriote, son camarade d'enfance, à présent à l'armée de Rhin et Moselle, où il avait pu apprécier la bravoure presque téméraire de Pierre Bourbotte, lui écrivait, tout soucieux de l'avenir, une lettre de conseils qui devait arriver trop tard. Je ne puis m'empêcher d'en citer un fragment. Davoust, inquiet, affectueux, tremblant de savoir son fougueux ami parmi les tempêtes de la Convention, lui dit, en apprenant les événements du 12 germinal :

Au quartier général à Spire, le 4 prairial, l'an III de la République française une et indivisible.

Le général de brigade Davoust à son ami Bourbotte.

... Il paroît qu'on a jeté encore dans l'Assemblée comme une pomme de discorde la constitution de 1793. Que je voudrois donc te voir réuni avec moi ! Que d'inquiétudes j'aurois de moins ! Je ne craindrais pour tes jours qu'un jour d'action ! Eh bien ! je t'avouerai que dans le poste délicat que tu occupes je crains sans cesse. Je t'en conjure, au nom de mon amitié, éloigne-toi de toutes les factions, ne crains pas de revenir sur des opinions erronées que tu pourrois avoir émises. Veux-tu que je te donne un exemple ? C'est Tallien que je te citerai. Certes, il a émis jadis bien des opinions qu'il se reproche aujourd'hui ; peut-être a-t-il du moins le bon esprit de ne pas s'entêter à soutenir ses œuvres passées et des systèmes nouveaux.

Et c'est justement parce que Bourbotte s'acharne à son passé et que Tallien renie le sien que le Montagnard lutte avec désespoir. Davoust, qui craint moins pour son ami une balle prussienne qu'un décret d'accusation, lui demande s'il n'a point réclamé, en germinal sans doute, l'appel nominal. Et avec une touchante sollicitude :

Vois, dit-il, si cela était ! ... Persécuté, enfermé dans un château de Ham, des journalistes auroient imprimé que tu étois un scélérat. Tous ceux qui auroient lu le journal et qui, comme moi, n'auroient pas été ton camarade d'enfance, ton ami, qui ne connoissent pas comme moi, ou ceux qui ont vécu avec toi, ta belle âme, ton cœur généreux et obligeant, ta bravoure ; qui ignorent que tu t'es battu dans la Vendée comme un brave soldat, que tu as eu des chevaux tués sous toi, tous ceux-là, dis-je, le croiroient. Tes ennemis profiteroient de la circonstance, et s'ils ne parvenoient pas à te perdre, au moins il resterait toujours une cicatrice des calomnies qu'ils auroient débitées à leur aise sur toi[47].

 

Et le futur prince d'Eckmühl, plus prudent sans doute que son indomptable ami, lui donne de ces conseils pratiques que Bourbotte devait singulièrement recevoir : Ancre-toi toujours au port, qui est la majorité de la Convention. Fais la connaissance de Dubois de Crancé, je le connois assez pour répondre de son républicanisme, et dans les occasions délicates il pourra te donner de sages avis. Il va, dit-il ensuite, tenter le passage du Rhin, se porter devant Mayence ; il espère une paix générale, et conclut, après avoir répété : Je t'embrasse comme je t'aime, par ce souhait : Il faut de l'union dans la Convention, c'est ce que tous les députés oublient. Et c'est ce que Bourbotte justement n'oubliait pas, lui qui devait mourir pour avoir demandé la concorde et l'abolition de la peine de mort. La lettre de Davoust, adressée à Bourbotte, ne devait point lui parvenir : elle allait arriver seulement au greffe d'une Commission militaire.

Soubrany, comme Bourbotte, Pierre-Auguste de Soubrany, était de par son tempérament actif un soldat. Il avait quarante-cinq ans en 1795.

En 1789, les citoyens de Riom, sa ville natale, l'avaient élu maire. Il sortait alors du régiment de Royal-Dragons, où il était officier. Noble et considérablement riche, il avait tout sacrifié à la république, noblesse et fortune, mais sans arrière-pensée, avec une sainte et patriotique ardeur. En 1792, le département du Puy-de-Dôme l'envoyait à la Convention. Le ci-devant marquis de Soubrany alla s'asseoir sur les bancs de la Montagne. Il ne discourut jamais beaucoup d'ailleurs, il vota. C'était un homme d'action. Dans le procès de Louis XVI, Soubrany fut un des conventionnels.les plus radicaux : point d'appel au peuple, point de sursis, la mort. Il lui semblait que la Convention, à cette heure, était comme un immense conseil de guerre. Il vota gravement, froidement. Mais sa place n'était point parmi les orateurs. Il lui fallait les combats, la guerre, une mission aux armées. A l'armée de la Moselle, Soubrany vit capituler Mayence et évacuer Saarbrück par l'ennemi. On Renvoya à l'armée des Pyrénées-Orientales, cette misérable petite armée qui, bronzée par la-guerre, après avoir reculé devant les Espagnols, les pourchassait maintenant de montagnes en montagnes, leur enlevant leurs drapeaux et leurs scapulaires. Là, Soubrany, héros lui-même, devait rencontrer un héros, ce général Dagobert, oublié maintenant, une des plus pures et des plus originales figures de la république, vieux soldat qui guerroyait en partisan, allait au feu tête nue, ses longs cheveux blancs lui tombant sur les épaules et, comme un vieillard d'Homère, un grand bâton blanc à la main. Ce Dagobert mériterait de nous arrêter si nous écrivions l'histoire de la conquête de la Cerdagne[48]. Soubrany arriva à temps dans les Pyrénées-Orient tales pour faire connaître à la Convention les derniers exploits, devant Puycerda et Urgel, du vieux général. Les Espagnols décidément fuyaient, l'armée française réorganisée comptait ses étapes par ses victoires. Soubrany, toujours en avant, couchant au bivouac, se nourrissant comme le soldat, énergique et point dur, d'une justice républicaine, électrisait les troupes et les eût maniées à son gré. On a été fort injuste envers ces représentants envoyés aux armées et qui, dit-on, ne connaissaient rien à l'art de la guerre. Si l'on comptait, on verrait que ces soldats de la loi ont plus souvent guidé nos troupes à la victoire que les généraux de métier eux-mêmes.

Soubrany allait marquer ses dernières journées de séjour à l'armée des Pyrénées par autant de triomphes. Saint-Elme, Port-Vendres, Collioure tombaient entre nos mains. A l'escalade du fort Saint-Elme, il monta un des premiers-à l'assaut, le sabre à la main, selon son habitude. Arrivés au bas du fort, sous une grêle de balles, nos soldats posent les échelles qui doivent servir à l'escalade. Elles sont trop courtes. Ou recule. Les Espagnols, par un feu plongeant bien nourri, déciment nos bataillons, et Soubrany, calme, donnant du cœur au plus intrépide, va chercher lui-même, sous les canons de la place, les volontaires blessés[49].

Longtemps après cette campagne, Soubrany demeura au surplus populaire dans l'armée. Nos soldats racontaient de lui des prodiges. Ce qui les avait surtout frappés, c'était son geste accoutumé, les mains croisées derrière le dos, quand il passait dans le camp ou devant le front des bataillons[50]. On remarquera que cette pose fut justement celle que choisit plus tard Napoléon, et que ses peintres ont aimé à reproduire.

Soubrany avait pour intime ami, pour compagnon de route et de danger, son compatriote Gilbert Romme, un des hommes les plus intègres de la Révolution. Leurs mères, étroitement unies, avaient élevé leurs fils dans les fiers sentiments du dix-huitième siècle, et malgré la différence des classes, la marquise et l'humble bourgeoise fraternisaient dans leurs enfants. Romme avait un frère aîné, Charles Romme, professeur de navigation à l'école de Rochefort, déjà connu par une méthode nouvelle pour mesurer les longitudes en mer et, depuis 1778, membre correspondant de l'Académie des sciences. Celui-ci devait lui survivre. L'esprit scientifique était, paraît-il, de la famille. Madame Romme, la mère, femme d'un grand mérite, s'occupait des travaux de l'agriculture. Gilbert Romme était épris surtout de mathématiques. Il y était fort remarquable ; toutes les sciences d'ailleurs lui étaient familières. On peut le voir, dans le courant de sa vie, aborder à la Convention ou dans les comités tous les grands problèmes de l'instruction publique, des écoles artistiques, des maisons d'éducation, des académies. Il avait attaché son nom à la création de ce calendrier républicain contre lequel la réaction allait s'acharner et aboli l'ère vulgaire. On pourrait, même aujourd'hui, consulter cet Annuaire, dont la Convention, dans sa séance du 30 pluviôse an II, décréta l'impression. C'est vraiment un beau et utile ouvrage, bien supérieur à tous ces almanachs qu'on publie aujourd'hui, et qui n'enseignent rien aux gens de nos campagnes que les dates des fêtes et les jours des frairies. On sent que Romme ne s'est pas contenté de la théorie seule, qu'il a étudié et pratiqué : ses recettes agricoles, son Dictionnaire botanique, la liste des animaux qu'il faut élever, acclimater, et les moyens de les élever sont autant de claires et excellentes leçons que la république avait raison de populariser[51]. Les renseignements fournis par Romme, logiquement rangés par dates — en vendémiaire l'étude sur les vendanges, le raisin ; en prairial, les soins à donner aux prairies, la luzerne, le trèfle, l'angélique, le serpolet ; en messidor, le blé, etc. —, mériteraient d'être réimprimés encore à présent, et seraient vraiment utiles à nos agriculteurs.

Romme était pauvre. Son éducation finie, il lui avait fallu accepter, pour vivre, une place de précepteur chez le comte de Strogonoff, à Saint-Pétersbourg. Il s'attacha, avec une amitié de frère aîné, à son élève, âgé de seize ou dix-sept ans, et qu'il amena de Russie en France au moment où la révolution éclatait. C'était un beau moment pour façonner aux idées de liberté cette jeune âme. Romme conduisait son élève dans les sociétés populaires, allait s'asseoir avec lui dans les clubs, enseignait, pour ainsi dire, la révolution à ce descendant d'une des plus grandes familles de la despotique Russie. On les voyait partout : le jeune comte étonné, troublé, amoureux de cette aurore de délivrance ; Romme fier de jeter au monde un grand seigneur rallié à la cause du peuple. Mais on apprit bientôt à Saint-Pétersbourg quelle éducation le précepteur donnait à son élève. L'impératrice Catherine ordonna au comte Strogonoff de rappeler son fils, et défendit à Romme, qui pouvait apporter la peste révolutionnaire, de jamais franchir la frontière de la Russie. Romme se sépara de son élève, lui dictant ses derniers conseils, son dernier mot d'ordre : l'Humanité, l'Egalité, la Justice, et, sans colère, partit pour sa chère Auvergne, s'établit à Gémeaux et y cultiva sa petite terre.

Mais la province fermentait ; là-bas comme à Paris la traînée de poudre était allumée. Romme entra dans le mouvement ; en 1791, on l'envoie à la Législative ; en 1792 à la Convention. Là, toujours ferme, toujours énergique, allant droit au but, avec la ténacité sourde de ses compatriotes, il accepta la révolution dans ses plus radicales mesures ; il fut sans faiblesse, presque sans pitié, sacrifiant tout au triomphe de l'idée républicaine : sévère à la tribune, doux et bon dans la vie privée, ajoutant le dévouement de tous les jours pour les siens, pour sa femme, pour sa mère, à ses vertus publiques, ardent sans violence, sévère sans cruauté, mais emporté par cette fièvre qui faisait alors battre le cœur des plus froids. On lui a reproché l'arrestation de la femme de Pétion[52] ; il avait voté sans appel ni sursis la mort de Louis XVI ; à l'armée de Cherbourg, avec son collègue Prieur (de la Côte-d'Or), il surveilla durement les Girondins. Mais, inflexible dans sa conduite, il n'oublia jamais ce que vaut sinon la pitié, du moins la justice. Il avait dénoncé le juge de paix Larivière ; il avait lancé contre Chabot, contre Merlin et Bazire, compromis dans l'affaire du comité autrichien, un mandat d'amener ; mais lorsque, arrêté lui-même par la faction girondine, enfermé à Caen, gardé comme otage par les proscrits du 31 mai, après deux mois de prison où il sentait sa vie menacée, lorsqu'il fut libre, lorsqu'il put se venger et frapper à son tour, Gilbert' Romme déclara noblement que les citoyens du Calvados, ayant pu se croire opprimés, avaient eu le droit de se venger, et le député du Puy-de-Dôme alla reprendre sa place sur la Montagne.

Romme avait épousé, par un amour fait d'estime et de sacrifice, la femme d'un héros de la Vendée, mort pour la république. Elle était indigente, il était pauvre, et tous deux, associant leurs besoins, trouvaient encore le moyen de faire l'aumône. Rien n'est plus touchant que cette existence d'honnête homme, tout entier dévoué à la patrie, sans autre ambition que le bien public. Entêté d'ailleurs, robuste, solide de corps et d'esprit, véritable mulet d'Auvergne, c'est lui qui avait entraîné Soubrany, le gentilhomme, vers la cause républicaine. On le voit bien, tout cela clairement apparaît dans cette série de lettres de Soubrany que M. Henri Doniol vient de publier[53].

Ces lettres, adressées à M. Dubreuil, directeur de la poste à Riom, sont curieuses et très-intéressantes. Dans la notice laconique qui les précède, M. Doniol nous y apprend que Soubrany, né le 15 septembre 1752, de Pierre-Amable Soubrany, seigneur de Verrières, écuyer, président trésorier de France au bureau des finances de la généralité, et de Marguerite du Boys de Macholle, était qualifié seigneur de Macholle, du Puy-Saint-Bonnet, de la Tour-Lervicat. Il avait eu d'abord une lieutenance au régiment de Royal-Dragon ; les passe-droits l'avaient irrité, et, sans doute sur les conseils de Romme, il avait quitté le service en 89. La Révolution le fit commandant de la garde nationale de Riom.

Je souhaite qu'on retrouve la correspondance qu'il adressait, avec Romme, a la municipalité et à la société populaire du Puy, chef-lieu du Puy-de-Dôme. Les dix-sept lettres que nous possédons nous mettent en goût de connaître les autres. On y rencontre un Soubrany intime qui fait plaisir à voir, un homme énergique et doux, le meilleur des fils, l'ami le plus dévoué, le plus intègre des citoyens.

Volontiers modéré, il se laisse dominer, entraîner par l'âpre volonté de Romme, qu'il appelle tendrement Gilbert. Lorsque son compatriote Maignet est accusé, Soubrany le défend. Il est prêt pour tous les dangers ; il est disposé à tous les dévouements. Je suis fâché, dit-il (2 avril 1792), que Romme et moi soyons calomniés ; mais, convaincu de la pureté de mes intentions, abandonnant ma justification à la justice de ma cause, je l'attends avec tranquillité de la suite des événements[54]. Dans aucune de ses lettres, il n'oublie Romme ; il le met en lumière, le défend si on l'attaque, et s'attache à le louer, c'est-à-dire à le faire connaître. Ce Romme était inflexible à ses heures. Meillan, dans ses Mémoires, l'accuse, je l'ai dit, d'avoir fait arrêter la femme et le fils de Pétion proscrit. Il fallait que le Montagnard eût l'écorce rude pour qu'on pût lui attribuer cet acte, mais rien ne le prouve. Ce robuste honnête homme ne put, ce me semble, pousser la conviction jusqu'à se montrer insensible. Sa force n'était point dureté. Plusieurs fois pourtant, Soubrany le blâme, lui plus modéré ; il faut lire ces lettres. Elles contiennent des vérités cruelles sur l'état de la France et de la Convention en cette année 1795 ; elles sont traversées par des cris de douleur vraiment éloquents, arrachés au Montagnard par le spectacle du gouvernement avili, de la réaction qui triomphe. Je m'occupe peu des individus ; mais tout entier à la République, je ne vois qu'elle, et je gémis de nos divisions intestines. Le peuple sera-t-il donc toujours la victime de la réaction et des vengeances particulières ?[55]

On a profité, dit-il, de la réaction qu'a produite la chute de Robespierre pour nous désigner comme terroristes, buveurs de sang, robespierristes. Je répondrai par des faits. Terroristes ! n'est-ce pas les patriotes qui sont aujourd'hui comprimés ? Buveurs de sang ! et ce sont eux qui poursuivent avec acharnement leurs collègues. Robespierristes ! qu'on se souvienne que Robespierre, longtemps avant son supplice, ne siégeait plus au haut de la Montagne, où il disait sans cesse qu'étaient ses ennemis, sur laquelle il faisait porter ses listes de proscription, tandis qu'il cherchait, dans ses différentes motions, a gagner le Marais. De quelle partie de la salle sont parties les réclamations contre sa loi de sang du 22 prairial ? n'est-ce pas de la Montagne ? Ouvre les journaux, tu verras que Ruamps eut le courage (et il en fallait alors) de dire : Si ce décret passe, je me brûle la cervelle[56].

 

Soubrany est affligé du spectacle qu'il a sous les yeux ; mais s'il en gémit, comme il le dit, c'est pour la République ; personnellement, il se résigne.

Aucune dénonciation particulière n'a encore été dirigée contre moi. S'il en arrivait jamais, je répondrais comme Scipion. Je présenterais l'état des départements, de l'armée et des frontières à mon arrivée, celui dans lequel je les ai laissés à mon départ. Quant à ma justification, je dirais avec Socrate : J'y ai travaillé pendant tout le cours de la Révolution ; je n'ai rien à ajouter.

 

On a vu, on verra le citoyen. Voici le fils :

(Mars ou avril 1792.)

Je vous remercie de la bonté que vous avez eue de m'envoyer des pommes ; je reconnais bien là l'intention de la plus tendre des mères. Je crains qu'elles n'aient souffert en route de la gelée. Elles ne sont pas encore arrivées. Au reste, leur plus grande valeur, quelque chères et rares qu'elles soient, n'est pas dans le fruit, mais bien dans le souvenir d'une bonne mère et dans les soins que vous avez pris pour les faire emballer.

Ne m'envoyez pas d'argent pour le chocolat, je dois en toucher ici pour vous. D'ailleurs j'ai aussi une petite commission à vous donner, pour laquelle je ne suis pas aussi exact que vous, car je ne vous offre pas d'argent. Je vous prie de m'envoyer quelques coffrets de pâte d'abricots ; je serais bien aise d'en donner à la femme de Maignet, ainsi qu'à celle d'un autre de mes collègues, à qui je parlais dernièrement de cette production de notre pays, que je lui promis de lui faire goûter. Si les abricots sont trop chers, je vous prie d'y mêler quelques coffrets de pommes.

Je vous remercie de votre attention à me faire passer mes deux mouchoirs ; je les ai reçus. Quant aux chaussons, je n'en ai pas besoin, et je vous suis obligé du soin que vous prenez de votre fils. Il paraît que, quelles que soient les affaires dont vous êtes surchargée, rien ne vous échappe, et que la tendresse maternelle tient toujours votre sollicitude éveillée.

... Je crois bien avoir répondu à tous les articles de vos lettres. Il en est un seul sur lequel je ne pourrai jamais vous répondre tout ce que me dicte la reconnaissance la plus vraie et la plus tendre. Vous comprendrez aisément qu'il s'agit de tout ce que je dois aux preuves sans cesse multipliées et aux témoignages, répétés dans toutes vos lettres, de l'attachement de la meilleure des mères. Croyez, ma bonne maman, qu'ils sont bien sentis et bien réciproques ; croyez que votre fils ne pense qu'au moment où il pourra, près de vous, vous entretenir journellement de son respect et de sa piété filiale.

Salut, fraternité et amitié respectueuse.

SOUBRANY[57].

 

Quelle simplicité charmante et quel touchant amour, quelle délicatesse d'enfant dans ce terrible et fier héros du fort Saint-Elme ! Il était digne de Romme, et Romme digne de lui.

Tout ce que la révolution pouvait inspirer d'ardeur à une âme bouillante, Duquesnoy, qui siégeait à la Convention aux côtés de Romme et de Goujon, l'avait ressenti. C'était un indomptable et vaillant champion des idées démocratiques, tes poussant parfois jusqu'à l'extrême violence. On trouvera contre lui, dans les écrits de Guffroy, des accusations qu'il serait facile de combattre, et qui, d'ailleurs, tombent d'elles-mêmes. Depuis la Législative où, dès le mois de septembre 1791, il s'était assis du côté gauche de l'Assemblée, Duquesnoy luttait ardemment pour la République. Il avait été moine, puis agriculteur : il devait être soldat. Ne le confondons pas avec ce terrible général Duquesnoy qui, sous les ordres de Jourdan, commandait la colonne infernale de l'armée de Sambre-et-Meuse, espèce de Carrier en épaulettes, qui faisait bravement noyer les chouans, s'exposant d'ailleurs le premier à la tête de ses troupes, si bien qu'il devait mourir couvert de blessures aux Invalides en 1797[58]. Celui-ci était le frère du représentant. Ernest-Dominique Duquesnoy, sans avoir sur sa mémoire les sanglants exploits du général, se montra toujours implacable et colère. Il avait contraint son collègue Ballot à voter la mort du roi en lui donnant des coups de canne ; il avait poursuivi les Girondins avec un acharnement singulier ; il avait, à l'armée du Nord, signalé sa mission par ses duretés. Je le peins ici, notez bien, d'après ses ennemis. Sa correspondance atteste un zèle indomptable, jusqu'à paraître farouche, pour la cause qu'il a embrassée. Le moine fanatique subsiste sous le costume du conventionnel. On ne jette jamais tout d'une pièce le froc aux orties. Des lambeaux en restent qui brûlent, robe d'inquisiteur, comme une robe de Nessus. Je vais partir, écrit-il de Paris à Joseph Lebon, le 1er floréal an II, dans deux jours pour la Moselle, et tandis que tu t'occuperas à faire la chasse aux ennemis du dedans, je vais m'occuper de la donner aux ennemis du dehors[59]. Et le 11 du même mois :

Frère, ajoute-t-il, on n'a pris jusqu'ici que des demi-mesures. Je vais en prendre de vigoureuses, et celui qui viendra me relever n'aura pas grand'chose à faire.

Ce courageux et farouche chef d'armée, qui donnait l'exemple de l'intrépidité républicaine aux soldats à la tête desquels il combattait constamment[60], ce Montagnard inflexible, était aussi le père de famille le meilleur et le plus dévoué des époux. Il avait dans son pays, à Bouvigny-Boyeffles, près de Béthune, des enfants qui grandissaient, une femme aimée, tout cela pauvre : un logis de fermier. A Paris, il ne voyait personne, deux ou trois collègues à peine (voyez sa défense aux Pièces justificatives), Duroy, avec lequel il dînait depuis quelque temps, et son ami Scribe, marchand dans la rue Saint-Denis, qu'il allait visiter quelquefois[61]. Ceux qui le connaissaient vantaient sa générosité, car la violence n'exclut pas la bonté d'âme. Mais il fréquentait peu de gens. Je ne recevais, dit-il dans un écrit justificatif, personne chez moi que ceux qui avaient quelques réclamations particulières à me faire ; la matinée y était employée à la lecture des rapports ou des lois ; ma correspondance se bornait à répondre aux demandes qui m'étaient faites et pourvu qu'elles fussent étrangères à la politique, et à écrire à ma respectable épouse ; et telle était ma circonspection que je ne l'entretenais jamais des affaires publiques. Je me rendais exactement aux séances de la Convention nationale ; je dînais en pension particulière avec quelques-uns de mes collègues ; je passais le reste de la journée avec un ou deux d'entre eux, notamment avec le citoyen Cochet, député du département du Nord, dont l'amitié m'honore ; je ne l'avais quitté que vers dix heures du soir le 30 floréal, heure à laquelle je rentrais chez moi.

Voilà, citoyens juges, mes occupations, mes habitudes de tous les jours ; voyez si ce sont celles d'un conspirateur[62].

Duquesnoy, qui sortait en germinal d'une maladie grave causée par les fatigues de la guerre, s'était senti comme adouci, non pas amolli, et prêt à laisser là ses anciennes rigueurs. Il songeait maintenant, non plus à la vengeance, mais à ce qu'il appelait une réconciliation sincère entre les partis. On retrouve le mot à chaque page de ses dernières lettres. Ce sont ses ultima verba. Que tous les Français se réunissent dans un seul sentiment, celui de la patrie !

Oubli sincère oubli du passé, des fautes, des violences, c'est ce que réclame cet homme simple et franc, qui ne se vante point d'être un politique, mais bien un homme d'action, qui ne raisonne point mais qui sent le faible de la situation, qui le dit en paysan, avec brusquerie, et qui se fait alors — comme ses infortunés compagnons — le porte-voix de tout le pays.

Duroy, ai-je dit, connaissait intimement Duquesnoy. Au moins vivait-il de sa vie, à table d'hôte, simplement, chez Perché[63]. Il était plus jeune de quelques années, il avait quarante et un ans, et Duquesnoy quarante-sept. Ils se connaissaient depuis la Législative. Duroy, avocat à Bernay, puis juge au tribunal lorsque la révolution éclata, fut nommé en 1791 membre suppléant à l'Assemblée législative, membre de la Convention l'année suivante. Qu'on suive ses votes et ses actions, on les retrouvera tous marqués au sceau de la conviction. Duroy n'est pas un modéré. Gros, sanguin, violent, il a parfois des bonds furieux, mais bientôt il s'apaise et revient au fond même de sa nature, bienveillante et douce. Que de fois il avait pris la défense de gens accusés ou menacés, dans les luttes de la révolution ! Il avait demandé la mise en accusation de Buzot, il avait réprimé dans son département cette guerre civile fédérative, étouffé cette Vendée normande que Wimpfen et Guadet y avaient soulevée. Mais au retour, il prenait la défense des officiers qu'on destituait parce qu'ils étaient nobles, et qui, disait-il, pour avoir le malheur d'être nés nobles, n'en sont pas moins sans-culottes. C'est Duroy qui, désignant Merlin (de Thionville), devinant en lui déjà le Thermidorien, s'écriait alors : J'estime plus ceux qui n'ont pas voté la mort du tyran (Louis XVI) que ceux qui l'ont condamné pour en mettre un autre à sa place.

Duroy avait demandé, en pleine terreur, la liberté entière des opinions sur les opérations du Comité de salut public ; lui aussi voulait la liberté, l'avènement de la justice et la fin de l'arbitraire. La loi du 17 septembre 1793 concernant les personnes suspectes a couvert, disait-il[64], la France de prisons, a mis le deuil et la désolation dans un nombre infini de familles ; celles du 5 ventôse et du 21 germinal m'ont paru entraîner les mêmes inconvénients ; je n'ai suivi que l'impulsion de ma conscience en en demandant le rapport.

Je voudrais, écrivait-il encore, calmer toutes les passions qu'une révolution aussi grande que la nôtre a nécessairement mises en mouvement. Je croyais et je crois encore que tous les bons citoyens doivent oublier leurs torts réciproques et les immoler sur l'autel de la patrie[65].

Et qu'on dise maintenant de quel côté était la modération, de quel côté le dévouement à la cause de tous, de quel côté la justice. On a vu ces Montagnards doux, apaisés, rêvant le désarmement des partis, prêts à verser leur sang pour le pays, à la condition que ce sang sera le dernier ; on va voir les Thermidoriens, altérés de vengeance, ivres de réaction, massacrer et proscrire au nom de l'humanité. Et que l'on désigne ensuite, parmi ces hommes, ceux qui, selon l'éloquente expression d'un grand orateur[66], ont versé dans cette ornière des représailles, ornière de sang et de boue où viennent expirer tous ceux qui s'y sont engagés.

J'ai oublié quelques noms parmi ceux des Montagnards qui se tenaient à leur poste, inflexibles. Prieur (de la Marne), Rhül, Forestier, Albitte, Peyssard. Prieur, violent, fougueux, opiniâtre, toujours prêt pour les mesures vigoureuses, et qui, pourtant humain et modéré, s'était fait traiter par Carrier, qui ne comprenait pas que la pitié s'unît à la rigueur, d'imbécile en fait de révolution. Rhül, le Strasbourgeois, l'ami de Danton, autre démocrate sans peur, celui qui avait brisé sur l'ancienne place Royale, à Reims, devant le peuple entier, la Sainte-Ampoule (octobre 1793), et en avait envoyé les morceaux à la Convention par la voie des messageries publiques, enveloppés dans une chemise neuve et en mauvais état destinée pour les volontaires, preuve du gaspillage des intendants[67]. P.-J. Forestier, déjà âgé de cinquante-six ans, pacifique, fort occupé au comité des finances (section des Domaines), calomnié dans le temps par des brochures de son pays — Forestier tel qu'il est. Les citoyens des communes de Cusset et Vichy, réunis en société populaire, à la Convention nationale —, où il est désigné comme un mauvais fils, un homme vindicatif, un bas valet des grands, etc., etc. ; Forestier, que Engerrant, son collègue, appelait un misérable instrument des chefs de la Montagne[68], se sentait, comme Romme et Goujon, souvent attristé par le spectacle de la réaction. Aussi les Thermidoriens le craignaient-ils, quoiqu'il ne fût point des plus redoutables. Le Périgourdin Peyssard figurait aussi parmi les derniers de la Montagne. Il n'avait pas quarante ans. C'était un homme simple et qui (il s'en vantait), élu maire de la commune de Périgueux en 1792, y avait donné, pendant cette année orageuse, des preuves de son horreur pour le sang. Accusé, il allait bientôt en appeler au témoignage des citoyens de la Dordogne. Lui aussi vivait, entre sa femme et ses enfants, tout dévoué à la chose publique, héros obscur d'une cause qu'il défendait de toute son âme.

Mais cette obscurité même, cette médiocrité même ajoute à la grandeur du sacrifice de ces hommes et à leur héroïsme, à ce dévouement que l'histoire a longtemps négligé jusqu'au moment où il s'est trouvé un justicier[69] pour les décorer de ce titre, — qui leur restera : — les derniers des Romains. Nous les avons vus, nous allons les voir opposer à la dissolution, à la réaction, à la débâcle thermidorienne leur foi stoïque, leur front altier, répondre aux calomnies des accusateurs, au glaive du bourreau par les battements assurés d'un cœur calme. Le spectacle d'une telle tragédie n'est pas inutile, car s'il apporte avec lui l'amer désespoir de l'injustice triomphante, il fait rayonner à jamais sur la boucherie sinistre l'éternel éclat de l'exemple, comparable à ces lumières qui se dégagent des cadavres.

Les caractères de ces hommes sont tels qu'ils se font ressortir les uns les autres. Ils ne se ressemblent que par leurs vertus. Romme, l'acharné travailleur, le savant, l'homme des comités, le paysan lié à sa tâche, travaillant comme s'il labourait son champ, sans fatigue et sans trêve, formé avec le souriant Bourbotte, d'humeur si leste et si française, un frappant contraste. Soubrany, c'est le gentilhomme démocrate, apportant aux camps ses grandes manières et son grand courage. Duquesnoy, c'est le type saillant du représentant aux armées, l'homme d'action et d'énergie, infatigable, sans ambition et sans faiblesse. Duroy ne manie point le sabre, mais la loi. Il est Normand, connaît le code, discute et défend ses commettants comme il défendrait ses clients. Il plaide, ce bonhomme d'Évreux, mais pour la liberté, mais pour la justice. Goujon, figure plus poétique, se détache du groupe avec je ne sais quels reflets du dix-neuvième siècle. Il est notre contemporain par sa tristesse, cette mélancolie poignante qui semble le désigner, lui plein de vie, d'une force prodigieuse, aux coups de la Mort. Superbe assemblage d'âmes hautes et de fiers esprits que la tourmente allait emporter !

De germinal à prairial, Paris avait vécu, on peut le dire, de longues journées de désespoir[70]. Le courroux, l'amertume, la stupeur agitaient ou écrasaient la populace. Elle manquait de pain et trouvait parfois à boire. Le moindre grain d'alcool montait à la tête de ces corps minés, affaiblis. Nous allons voir bien des insurgés de prairial arrêtés. Ils seront ivres et n'auront point mangé. Des paroles mauvaises couraient dans la foule ; des femmes, ce sont toujours les femmes, remuaient chez leurs maris, chez leurs voisins, la lie des âmes. On disait tout haut : Il faut en découdre ! A bas les cheveux rebroussés, les habits bleus ! en faisant allusion aux costumes et à la coiffure des députés. Plus de respect, je l'ai indiqué déjà. A Choudieu, qui les priait de sortir de la Convention, en germinal, les femmes avaient répondu : Nous sommes ici chez nous ! Elles allaient tantôt crier, au 1er prairial : Allez-vous-en ! Partez ! Nous fermerons la Convention nous-mêmes ! Plus de foi politique. Les passions, rougies au feu du journal de Babœuf, le seul qui eût encore alors de l'influence[71]. Un immense dégoût, une lassitude, un dédain. Ce cri fut proféré sans qu'il soulevât de rage dans le vieux faubourg : Un roi ! Un roi et un morceau de pain ! L'idée de monarchie revenait. Tout plutôt que la famine.

Qui eût pu nier l'orage prochain ? Paris entier était assombri. L'inquiétude vague, le magnétisme des grandes éruptions courait les rues. Germinal d'ailleurs n'était pas oublié ; le grondement continuait. On se demandait tout bas et même tout haut : Quand donc tombera le tonnerre ? Et les partis — pauvre république ! — n'attendaient que ce moment pour risquer la bataille suprême. Vaincre ou mourir ! se disaient les Montagnards. — Mourir ou tuer ! répétaient les Thermidoriens. La liberté repliait ses ailes, l'émigration se reprenait à espérer, et le royalisme préparait ses batteries, comme pour une lutte, tandis que le petit Louis XVII, pris de cette affection scorbutique qui avait emporté son frère en 1789 (Mercier, Annales patriotiques), râlait dans la prison du Temple.

 

 

 



[1] J. M. Collot à ses collègues.

[2] Moniteur.

[3] Moniteur.

[4] Moniteur.

[5] Moniteur.

[6] Lisez le long et beau discours de Condorcet (23 février 1793).

[7] Moniteur, 23 juin.

[8] Moniteur.

[9] Moniteur.

[10] Chose curieuse, dans cette loi de grande police que Beaulieu appelle un petit code politique de sédition, les provocations contre la constitution de 1793 sont considérées comme actes séditieux, et ceux qui viendront réclamer l'établissement de cette même constitution seront punis comme rebelles. (V. Beaulieu, p. 138.)

[11] V. le discours de Gaston, 1er germinal.

[12] Moniteur.

[13] Hist. de la révolution, t. IX, p. 439. V. sur la marche de cette contre-révolution les deux derniers volumes de l'éloquent historien.

[14] Moniteur, séance du 3 germinal.

[15] Moniteur, n° 188.

[16] Moniteur.

[17] Moniteur.

[18] Moniteur, séance du 11 germinal.

[19] Moniteur.

[20] Moniteur.

[21] Moniteur.

[22] Moniteur.

[23] Moniteur.

[24] Mémoires de Barère, t. III. p. 3. V. Barère sur cette arrestation.

[25] Mémorial, ou Journal historique de la révolution de France, par P.-J. Lecomte (an IX).

[26] Louis Leroy, dit Dix-Août, 52 ans, taille de 5 pieds 1 pouce, cheveux gris, front découvert et tête chauve, yeux gris, nez long et gros, bouche petite, menton rond, visage ovale et maigre.

Déliège (Gabriel), taille de 5 pieds 3 pouces, cheveux et sourcils châtain brun, front élevé, portant perruque ; yeux bruns, nez gros et long, bouche moyenne, menton et visage rond et plein, 52 ans.

Stavny (Charles), 65 ans, taille de 5 pieds 1 pouce, cheveux et sourcils châtain gris, portant perruque, front élevé, œil bleu, nez moyen, bouche moyenne renfoncée, menton rond, visage beaucoup marqué de petite vérole et maigre.

Gauney (Georges), 40 ans, taille de 5 pieds 1 pouce, cheveux bruns, sourcils châtain clair, yeux gris, nez ordinaire, bouche ordinaire, visage ovale et plein, plusieurs signes au visage,

Vilate (Joachim), 26 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils châtains brun, front ordinaire, yeux gris, bouche moyenne, nez moyen menton rond, visage ovale et plein.

Chatelet (Claude-Louis), 45 ans, taille de 5 pieds 6 pouces, cheveux et sourcils châtains grisonnants, yeux verdâtres, front ordinaire, nez gros, bouche moyenne, menton court et rond, visage un peu ovale et plein.

Brochet (Jean-Etienne), 42 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils châtains grisonnés, front découvert, yeux bleus, nez court et gros renversé sur la joue gauche, bouche moyenne, menton rond, visage rond et plein.

Duplay (Maurice), 58 ans, taille de 5 pieds 6 pouces, cheveux et sourcils châtains brun, front découvert, yeux gris, nez long et ouvert, bouche grande, menton et visage rond et plein.

Aubry (Pierre), 42 ans, taille de 5 pieds, cheveux et sourcils châtains, front large, nez gros, yeux roux, bouche moyenne, menton à fossettes, visage plein et les deux pieds bots.

Prieur (Jean-Louis), taille de 5 pieds 6 pouces, cheveux et sourcils bruns, liez gros, bouche moyenne, menton court, visage rond et plein.

Laporte (François-Louis-Marie), 45 ans, 5 pieds 4 pouces, cheveux et sourcils bruns, front haut, nez long, yeux gris-brun, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, brun de peau,

Scellier (Gabriel-Toussaint), 39 ans, 5 pieds, cheveux et sourcils blond foncé, front ordinaire, nez aquilin, yeux gris, bouche moyenne, menton rond, visage ovale.

Maire (Antoine-Marie), 48 ans, 5 pieds 4 pouces, cheveux et sourcils bruns, front dégarni, nez aquilin et de côté, yeux gris, bouche moyenne, menton rond et double visage plein.

Lieudon (Gilbert), 37 ans, 5 pieds 4 pouces, cheveux et sourcils châtain foncé, front ordinaire, yeux gris, nez gros et long, bouche moyenne, menton rond, visage plein.

Foucault (Étienne), 55 ans ½, 4 pieds onze pouces, cheveux et sourcils châtain clair, front élevé, yeux gris, nez aquilin, bouche moyenne, menton feourt, visage ovale marqué de petite vérole.

Donzé-Yerteuil (Joseph-François-Ignace), 59 ans, 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils grisonnés, front haut, yeux gris, nez ordinaire, bouche petite, menton court, visage rond et plein.

Garnier-Launay (François-Pierre), 60 ans, 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils gris, front élevé, nez aquilin, yeux gris, bouche moyenne, menton rond, visage ovale.

Trey (Benoît), 34 ans, 5 pieds 1 pouce, cheveux et sourcils châtains, front ordinaire, bouche moyenne, menton et visage ronds marqués de petite vérole.

Chrétien (Pierre-Nicolas), 32 ans, 5 pieds 2 pouces, cheveux et sourcils noirs, front ordinaire, nez moyen, yeux noirs, bouche grande, menton et visage ronds.

Naulin (Marc-Claude), 51 ans, 5 pieds 4 pouces, cheveux et sourcils châtain clair tirant sur le blanc, front haut et découvert, yeux gris, nez aquilin, bouche grande, menton rond, visage long marqué de petite vérole.

[27] Déposition de Demoret, Procès Fouquier-Tinville (Archives, C. W. 501).

[28] Archives, C. W. 501.

[29] Archives, C. W. 501.

[30] Tous ces détails, est-il besoin de le dire, sont d'une authenticité scrupuleuse. (V. Archives, C. W. 501.)

[31] Archives, C. W. 501.

[32] Lisez l'ouvrage de M. Emile Campardon, Histoire du tribunal révolutionnaire, l'édition nouvelle, in-8°. Je suis loin d'en approuver l'esprit, mais il est plein de faits et de recherches.

[33] Archives, C. W, 501. — Topino-Lebrun était peintre et élève de David.

[34] Duplay, l'hôte de Robespierre, fut acquitté.

[35] Tissot, Souvenirs de la journée du 1er prairial.

[36] V. le livre de Tissot et les écrits de Goujon.

[37] L'article biographique sur Gougon dans le Dictionnaire d'Alphonse Rabbe et Boisjolin a dû être rédigé sur les notes de M. Tissot, qui vivait encore (1839). Tissot, en 1795, n'était pas encore ce qu'il est devenu plus tard, un pauvre sire, dit la chronique.

[38] Moniteur.

[39] Moniteur.

[40] Moniteur.

[41] Moniteur, séance du 21 ventôse an III.

[42] Moniteur, séance du 21 ventôse an III.

[43] A travers les boursouflures de ce drame, Damon et Phintias, ou les vertus de la liberté, circule, est-il besoin de le dire, un vif sentiment de grandeur saine, vraie et toute cornélienne. On sent l'homme nourri d'antiquité et, ce qui vaut mieux, porté par sa propre nature au dévouement et au sacrifice.

[44] V. Défense autographe de Goujon (aux Archives).

[45] L'article Bourbotte, dans la Biographie Michaud, n'est qu'un tissu d'erreurs. On y lit que Bourbotte, né à Vanel, près d'Avallon, le 5 juin 1763, d'une famille obscure, élevé aux frais de Monsieur, qui possédait le château de Brunoy et qui avait pour concierge Bourbotte le père, ne se lança dans la révolution après avoir occupé un petit emploi à Saint-Domingue, que sur les conseils d'un valet du duc de Crillon, qui faisait de l'opposition à la cour. Le régisseur de la terre du duc aurait endoctriné Bourbotte qui, nommé administrateur du département de l'Yonne, avec Marne et Turreau, sous la présidence de Lepelletier Saint-Fargeau ; y aurait prêché le massacre et le désordre. Tout cela est calomnieux. Mais on sait ce que valent les allégations de la Biographie Michaud.

[46] Tissot.

[47] Inédit (Archives de l'empire).

[48] Cette histoire a été racontée par M. J.-N. Fervel, Campagnes de la Révolution française dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795).

[49] Tissot.

[50] Souvenirs de Buonarotti.

[51] V. Annuaire du cultivateur pour la troisième année de la république, présenté le 30 pluviôse de l'an II à la Convention nationale, qui en a décrété l'impression et l'envoi pour servir aux écoles de la république, par G. Romme, représentant du peuple, à Paris, chez F. Buisson, libraire, rue Hautefeuille, n° 20, l'an III de la république.

Les citoyens qui ont concouru à ce travail, en communiquant les vérités utiles qu'ils doivent à leur expérience et à leurs méditations sont : Cels, Vilmorin, Thouin, Parmentier, Dubois, Desfontaines, Lamark, Préaudaux, Lefèvre, Boutier, Chabert, Flandrin, Gilbert, Daubenton, Richard et Molard.

Par un singulier hasard, et qui fait songer, on lit en tête de l'ouvrage :

AVERTISSEMENT

Peu de jours après la présentation de cet ouvrage à la Convention nationale, G. Romme est parti pour une mission qui a duré sept mois. Dans l'impression qui a été faite pendant son absence, prairial a été omis en entier.

Et c'est précisément au mois de-prairial, an III, que Romme devait mourir !

[52] V. Meilhan.

[53] Dix-neuf lettres de Soubrany, représentant du peuple à la Convention nationale ; in-8°, imprimé à Clermont-Ferrand, à 100 exemplaires, 1867.

[54] Dix-sept lettres de Soubrany.

[55] 27 nivôse, an III.

[56] 27 nivôse, an III.

[57] Dix-sept lettres de Soubrany.

[58] Pas plus qu'avec l'autre Duquesnoy, si fort raillé par Camille Desmoulins, le traître Duquesnoy, dont le nom, dit M. Marc Dufraisse, fut trouvé dans l'armoire de fer, et qui devait être le mentor de Lucien Bonaparte.

[59] V. l'Amateur d'autographes.

[60] Biographie, Rabbe et Boisjelin.

[61] Ce citoyen Scribe est le père d'Eugène Scribe. La maison de la rue Saint-Denis où dînait parfois Duquesnoy est cette vieille maison du Chat noir, au coin de la rue de la Reynie, où naquit l'auteur de la Camaraderie. Le conventionnel devait embrasser plus d'une fois l'enfant dans son berceau.

[62] Archives nationales.

[63] V. Déposition du représentant P.-J. Forestier.

[64] V. ses papiers (Archives).

[65] V. ses papiers (Archives).

[66] M. Thiers au Corps législatif. Discussion sur le Mexique, séance du 9 juillet 1867.

[67] Musée des Archives de la rue du Chaume : J'ai, dit Rhül, brisé la phiole, ce hochet de sots, sur le piédestal de Louis le Fainéant.

[68] V. les dépositions d'Engerrant.

[69] Edgar Quinet. V. le t. II de la Révolution.

[70] Quinet.

[71] On fera bien de le lire pour avoir la note exacte des émeutes.

Je trouve, à l'appui de mes dires sur cette réaction déjà signalée, un témoignage qui semblera à quelques-uns inattendu. C'est celui de Bonaparte. Mis en disponibilité par le girondin Aubry, à cause de ses antécédents jacobiniers, de sa liaison avec Robespierre jeune, Bonaparte pauvre, jaune et maigre, rongé d'ambition, dînant économiquement aux Frères-Provençaux ou chez Bourrienne, promenait dans Paris ses espoirs déçus, et pour occuper sa dévorante activité, il étudiait hommes et choses, écrivait, songeait. M. Lanfrey nous a fort bien décrit l'état de cette âme devant les premiers obstacles. Dans ses lettres de 1795 à son frère Joseph, Bonaparte décrit Paris, le Paris de la réaction, les voitures, les élégantes, les luxes et les fièvres, tout aussi bien que Réal, et l'on devine ses tentations et ses colères devant les conciliabules politiques, les parties de jeux et les soupers qui s'organisent. Plus tard, il dictera à M. de Las Cases et corrigera de sa main un travail sur le treize vendémiaire où il retrouvera comme le fantôme de ses ardeurs d'autrefois : Une épouvantable réaction, dira-t-il, affligea la république. Affligea, sur le manuscrit est de son écriture. Les salons étaient ouverts, on discourait sans crainte ; le parti de l'étranger, qui s'étayait du prétexte du rétablissement des Bourbons, acquérait chaque jour de nouvelles forces. La perte de la République se tramait ouvertement. Et qu'on s'étonne du malaise général, de la douleur publique !