Robespierre était mort. Depuis six mois, la réaction de la clémence multipliait les proscriptions et les échafauds. Le pays, d'abord aveuglé et surpris par le drame du 9 thermidor, avait enfin repris le sens, et ceux-là mêmes qui, le dimanche 27 juillet, applaudissaient à la chute de Maximilien se demandaient maintenant s'ils n'avaient pas, du même coup, acclamé la fin de la république. Deux partis, qui semblaient n'en être qu'un la veille, s'étaient formés dès le lendemain de la mort du tyran : — les thermidoriens et les montagnards : celui-ci composé des soutiens les plus fermes ou les plus exaltés de la révolution ; l'autre recruté dans tous les camps, amalgamé bizarre de royalistes déguisés et de montagnards convertis, de plainiers et de girondins las de la lutte soutenue depuis 1789 et aspirant avidement à cette contre-révolution qui devait, croyaient-ils, leur assurer le repos et la complète possession des places conquises. Jusqu'alors les factions lés plus diverses avaient cruellement divisé la république, et le coup d'œil du spectateur avait pu hésiter dans cette mêlée de feuillants, de royalistes, de jacobins, d'hébertistes, de dantonistes, pseudonymes divers de deux grands partis : la révolution et la réaction. Mais à l'heure dont nous entreprenons d'écrire l'histoire, la seule réaction et la révolution seule se trouvaient face à face. De ce côté, les montagnards, isolés, assombris, non découragés ; de cet autre, les thermidoriens tout insolents de leur triomphe. La situation entre eux était d'ailleurs bien nette et peut se résumer en deux mots : les montagnards regrettaient, les thermidoriens jouissaient. Ceux-ci, gonflés, étonnés aussi de leur victoire, n'avaient qu'un espoir et qu'un but, étouffer la révolution et s'engraisser de ses dépouilles. En attendant, ils avaient décrété l'orgie et la curée. A présent, les montagnards pouvaient se reprocher d'avoir soutenu, en thermidor, l'entreprise des ennemis de Robespierre. Ils comprenaient que ce n'était pas seulement un homme, niais une chose qu'on avait frappé ce jour-là, et se répétaient sans doute combien avait été impolitique cette grande tragédie. Mais du moins, s'ils avaient proscrit Robespierre, avaient-ils le droit de déclarer que la peur ne leur avait point dicté leur conduite ; ils avaient cru fermement alors que Maximilien trahissait la cause populaire, et, de bonne foi, ils s'étaient unis entre eux pour punir cette trahison. Le dévouement le plus complet, l'amour le plus profond ne donnent point, en politique, la seconde vue, et les démocrates les plus purs s'étaient sentis soulagés en voyant partir pour la place de la Révolution la charrette qui menait à Sanson Robespierre et les siens, comme si, dans une seule fournée, la république s'était ainsi purgée de tous les traîtres. On ne saurait nier qu'à la veille de thermidor Robespierre ne personnifiât, à tort ou à raison, la république. Tant de républicains étaient morts déjà ! Les plus intelligents et les plus sympathiques avaient eu leurs noms sur ces listes d'accusation dressées contre les girondins et les dantonistes. Vergniaud, Condorcet, Danton, Hérault de Séchelles, Camille Desmoulins, tant d'autres n'étaient plus là ! Oubliés ou méconnus par le peuple, c'était Robespierre, leur proscripteur, qui avait recueilli l'héritage de leur patriotisme et de leur dévouement. Ainsi donc, toucher à Robespierre, qui représentait, aux yeux de la foule, le plus pur, — puisqu'il survivait à tous les autres, — des fondateurs de la république, c'était toucher à la forme même du gouvernement. Les montagnards n'y prirent point garde, combattirent l'idole et la renversèrent, ignorant que le coup d'État des thermidoriens était, peut-on dire, prémédité jusque dans ses conséquences. Les vainqueurs espéraient certes bien confisquer le gouvernement à leur profit ou, qui sait ? le remettre aux mains des Bourbons ; mais, comme l'histoire est une série immense de déconvenues, l'Inattendu se présenta à eux sous la forme d'un soldat corse, qui les joua tout d'abord pour les renverser ensuite. Je dis que les hommes de thermidor rêvèrent le rétablissement de la royauté ! En tout cas, ils y contribuèrent. Et que si ces thermidoriens, en mettant Robespierre hors la loi, avaient voulu servir la république, mettre fin, comme ils le disaient, à la terreur, l'occasion était bonne, au lendemain de leur terrible succès, de pratiquer largement leurs doctrines de pitié. Mais, tremblants encore, ils n'eurent d'autre hâte que de se débarrasser de leurs ennemis, et non-seulement des chefs, des présidents de sections ou de l'état-major de la garde nationale, mais des secrétaires, des employés, des pauvres diables de garçons de bureau[1]. Et, en supposant que dans la fièvre du combat, dans les journées qui suivirent la journée du 9, on pût voiler, pour un moment, la statue de la Justice en même temps que celle de la Liberté, quatre ou cinq mois après, n'était-il pas temps encore de cimenter, par une politique loyale et franchement progressive, l'union de tous les partis ? Le moment était venu de l'oubli, l'heure où la France harassée demandait enfin à respirer. La Convention, tant de fois saignée à blanc, pouvait cependant encore être grande et forte. Elle avait sauvé la patrie, elle pouvait consolider la république. La tâche certes était rude ; victorieuse de ses ennemis au dehors, la Convention avait écrasé ses ennemis du dedans ; la Vendée râlait, mais le royalisme, à demi vaincu et fusillé, s'était ranimé soudain depuis la mort de Robespierre et avait repris pied à Paris. Il avait ses adeptes dans le sein même de la Convention. Au lieu de le combattre, on le protégeait. Une conspiration hypocrite s'organisait, celle des salons, du bon ton, des belles manières, la conspiration avec accompagnement d'orchestres, conjurations de boudoirs abritées derrière des éventails. Tous les gens chassés par le décret du 27 germinal an II, rendu sur le rapport de la proposition de Saint-Just, faisaient dès à présent leur réapparition, apportaient à la réaction leur dévouement de contenance et leur appoint de dissolvants. Le lendemain de thermidor avait été le signal d'une immense désertion. La majorité de l'assemblée, regardant d'où le vent soufflait, s'était composé un langage et comme un visage nouveaux. Les ex-terroristes forcenés avaient à cœur de conquérir maintenant à coups de condamnations et d'accusations ce diplôme d'homme sensible que décernaient les belles mains d'une Cabarrus. Ils donnaient des gages à la réaction en frappant les révolutionnaires et se lavaient, pour ainsi dire, de leurs excès et de leurs fureurs passés par des fureurs nouvelles. Ils dénonçaient, ils accusaient, ils frappaient. Tallien, le proconsul de Bordeaux, qui vantait, au lendemain des massacres de septembre, l'ordre qui avait régné dans cette exécution, qui avait provoqué, demandé la chute des girondins au 31 mai, qui proposait de mettre hors la loi ceux des députés qui s'étaient soustraits au décret d'accusation, qui s'écriait, lors du procès de Rossignol : Et que m'importe à moi le pillage de quelques maisons ! Tallien, l'homme au poignard, le fougueux et tragique rhéteur, s'écriait qu'il fallait passer de la terreur à la justice. Fréron, le violent Fréron, qui multipliait jadis à Marseille les mitraillades et les fusillades, qui voulait raser la ville et proposait de l'appeler la cité sans nom, Fréron le sauveur (le sauveur du Midi) allait demander bientôt qu'on brûlât le faubourg Saint-Antoine comme il avait décrété l'incendie de Toulon ; et Rovère, l'homme de la Glacière d'Avignon, le lieutenant de Jourdan Coupe-Tête, il était aussi des réactionnaires qui parlaient haut de l'humanité et de ses droits, sans compter Guffroy, cet accusateur de Joseph Lebon que le proconsul d'Arras accusera à son tour. J'en passe, et des pires ! Voilà quels hommes dirigent l'opinion et en l'an III gouvernent la France. Dès lors, tous ceux qui ont servi la république, ceux qui ont tout sacrifié à l'œuvre commune, leurs intérêts, leur santé, qui demain, sans pâlir, marcheront pour elle, d'un pas égal, à l'exil ou à la mort, se sentent entourés, surveillés, soupçonnés, accusés même avant que personne ait parlé, et dans la lutte terrible qui va s'engager entre les révolutionnaires, la révolution tout entière sera mise en cause et procédurée. Mais quoi ! la révolution ? Ce n'était déjà plus la révolution, c'était l'anarchie qui, de Paris, rayonnait (rayonnait !) sur toute la France ; c'était la désertion, la lâcheté, la basse réaction. On réorganisait le vice aujourd'hui comme on avait hier organisé la victoire. Il fallait montrer maintenant ses chevrons de bassesse. Rovère avouait en riant qu'il caressait, quelques mois auparavant, le petit chien de Couthon pour se mettre dans les bonnes grâces de son maître. Après lui, tous plus ou moins fournissaient leurs preuves et se proclamaient renégats. La corruption redevenait à l'ordre du jour ; la nation tout entière semblait prise d'une névrose. Non pas toute la nation pourtant, mais la caste des vainqueurs, en particulier la bourgeoisie, qui avait renversé la noblesse, mais pour se mettre à sa place, et qui, depuis deux années, trouvait que ce moment de satisfaction était long à venir. Et par bourgeoisie, moi, fils de bourgeois, j'entends ici non point les intelligents ou les austères, pères véritables de notre révolution, les Vergniaud ou les Cambon, qui donnaient tout à leur œuvre, leurs veilles, leur sang, leur fortune ; je n'entends pas la bourgeoisie vaillante, — peuple sublimé, — qui se dévoue au peuple d'où elle est sortie, comme le feront les montagnards dont je raconte l'histoire et qui étaient, eux aussi, des bourgeois ; mais cette bourgeoisie vaine, éprise de gloriole et de jouissance, pétrie des vanités de la noblesse et privée de son orgueil, à qui toujours il fallait les fêtes et les plaisirs, les bals, les occasions de luxe, les prétextes à toilettes, qui rééditait la cour en la rapetissant, qui, chargée de colères, affamée de représailles, n'osait se venger franchement, inventait, non par humanité mais par terreur, la guillotine sèche, rebâtissait le passé, reconstruisait les privilèges, refoulait le peuple, l'écrasait, et proclamait dès lors avec effronterie qu'à l'aristocratie effective du nom devait succéder l'aristocratie réelle, puissante, étouffante de l'argent. En 1795, les banquiers, en effet, entrent en scène. L'or s'impose ; le fer est banni. Et quels banquiers ! L'ère des Cambon est maintenant finie, et voici sonner l'heure des Ouvrard. Les journalistes royalistes sont aussi là, tous prêts pour accélérer ce mouvement rétrograde, pousser aux excès, fomenter le trouble et attiser les haines. La Harpe, le voltairien La Harpe, La Harpe le professeur en bonnet rouge de 1793 qui chantait les hymnes républicains les plus féroces dans ses leçons du Lycée : Le fer, amis, le fer ! Il presse le carnage, Le fer ! Il boit le sang, le sang nourrit la rage Et la rage donne la mort. La Harpe qui s'écriait, montrant son bonnet de jacobin à ses élèves : Si je suis éloquent, citoyens, c'est que ce bonnet a pénétré et enflamme mon cerveau, La Harpe, aujourd'hui coryphée de la réaction, pousse les jeunes gens, la jeunesse dorée de Fréron, à protester dans les théâtres contre les clubs, contre les faubourgs, contre le peuple. On aurt peine à croire, malgré les apostasies dont l'histoire est remplie, que le cannibale philosophique de 1793 puisse oser, le mardi 2 juin, jour de la clôture des écoles normales, prononcer des paroles comme celles qui suivent : Vous laisserez à l'orgueil en délire, qui se nomme si ridiculement philosophie, la prétention absurde, puérile, de régénérer le genre humain, et vous prendrez sur vous l'emploi vraiment philosophique, vraiment patriotique d'éclairer et de corriger de jeunes têtes égarées ou dépravées, et de les rendre d'abord à la raison et à la vertu pour les former à la liberté. Vous leur ferez désapprendre pour jamais cette langue abominable et insensée qu'on appelait révolutionnaire, et qui, si elle eût régné plus longtemps, aurait opéré en effet une révolution toute nouvelle en faisant vivre au dix-huitième siècle, au milieu de l'Europe, une nation de sauvages et un peuple de monstres[2]. Au moins La Harpe enseigne-t-il le désordre tout haut aux muscadins dans sa chaire du Lycée républicain. Mais les journalistes, gagés par un parti, dissimulent leurs opinions véritables sous un patriotisme d'emprunt ; ils n'osent même point braver l'opinion publique pour étouffer la révolution ; ils l'embrassent comme Néron embrassait son rival ; ils n'obéissent pas d'ailleurs à une conviction impétueuse, à ce démon de la vérité qui aiguillonnait les Loustalot et les Camille ; ils n'étudient ni la rue, ni le club, ni la foule : ils prennent leur mot d'ordre dans un salon, s'inspirent d'une caste, se vendent à un groupe, vivent bien, écrivent plus mal, et travaillent en riant à reconstruire le passé. Le petit Marchenna, agile, basané, teint d'Espagnol, courtise madame de Staël et rédige l'Ami des Lois ; emprisonné avant thermidor, il n'a qu'une idée fixe, se venger, et par tous les moyens possibles. Rendu à la liberté, il tapissait les murs de Paris d'affiches incendiaires. Un temps viendra, écrit Réal, où l'on pourra dire dans quel boudoir, aux pieds de quelle divinité Marchenna composait ses affiches et quelle caisse en fit les frais. Marchenna demandait tout haut le rappel des émigrés, tandis que Richer-Sérizy, l'ancien collaborateur de Camille Desmoulins, poussait dans son Accusateur public des cris de violence et de rage. Point de talent dans ce journal, une insupportable boursouflure, mais des calomnies à revendre. Plus tard, en vendémiaire, Richer devait agiter la section Lepelletier et se faire nommer président de la commission dite des Onze, tandis qu'on reconduisait Marchenna, de brigade en brigade, jusqu'à la frontière espagnole. Avec eux Dussault, Morellet, Tronçon du Coudray, à coups de placards, de chansons, de pamphlets, de brochures, combattaient aussi pour la réaction. Le pauvre honnête homme d'abbé Morellet, fort dépaysé dans la tourmente révolutionnaire, regrettait ses livres, son calme, ses bonnes amies les marquises, et publiait des écrits en 'faveur des parents des émigrés, ou répliquait aux rapports de Chénier par des Pensées libres sur la liberté de la presse, et réagissait aussi avec bonhomie. On ne saurait lui faire de durs reproches. Il ne comprit pas ce moment terrible. La vérité est que les jacobins tenaient un autre langage que son cher Marmontel. Il s'en effraya, se tapit dans son gîte, et, au lieu d'y songer, grinça des dents. Ainsi, toutes ces productions, répandues dans Paris, dans les départements, partout, alimentaient la haine. Ils étaient complices, ces écrivains, des meurtres qui se commettaient chaque jour et porteront dans l'histoire le poids de ces infamies. C'est en parlant de ces folliculaires, et non de la presse en général, que Bourbotte, en prairial, dira : Ils empoisonnent le peuple ! Le peuple, épuisé, las, dégoûté de la tragédie, se retire et laisse faire. Il ne combat plus, il méprise. Il assiste, le cœur plein d'amertume, au subit assaut de toutes les places, à l'attaque de fièvre et comme d'hystérie qui s'empare des gens maintenant au pouvoir. Et plus d'Idée pour dominer les foules ; une cohue d'agités et de jouisseurs ; chacun pour soi ; l'âpre désir de mordre enfin à la vie large et facile, la soif de volupté, tous les appétits, toutes les ivresses, je ne sais quel matérialisme honteux ; la femme, — non, — la courtisane dominant le monde ; l'argent, la corruption, l'instinct succédant à la passion ; la folie du plaisir après la folie du patriotisme. Quel contraste ! On s'étourdit, on chante, on parade, on tourbillonne, on rit, on assassine. On proscrit la hache, mais on garde le poignard. Il y a du septembriseur dans tout thermidorien. Jamais la France n'a assisté à de pareilles saturnales. Et jamais Paris n'avait peut-être présenté un plus affreux spectacle : toute une ville, le pied de la nécessité sur la gorge, râlant, mourant de faim ; plus d'industrie, de commerce, nul négoce. Voyez le rapport fait à la Convention sur l'état des affaires à cette époque. Nul ne vend, n'achète. Il fallait être riche ou mourir ; la loi nouvelle était ainsi : Les rentiers même de dix mille livres ne peuvent subsister[3]. Plus de pain, et depuis longtemps. Un moment même, pendant l'hiver de 1794-95, les fontaines étant gelées, Paris s'était trouvé non-seulement sans pain, mais sans eau (27 ventôse). Les provisions n'arrivaient pas. On les pillait en route, on les volait. Les représentants dépêchés par la Convention pour faciliter l'arrivage des subsistances coururent le risque d'être étranglés par la populace à Évreux et à Amiens : en province aussi on avait faim. Plus d'une fois les ouvriers parisiens en insurrection descendirent dans la rue en criant qu'ils n'avaient point mangé. — Sections de Montreuil et du Bonnet de la Liberté. — On s'envoyait, dans les maisons bourgeoises, un pain en cadeau, et c'était largesse. On apportait son pain au restaurant, qui ne fournissait que le chocolat ou les légumes, pas souvent de viande. Peltier, ce Peltier réfugié à Londres et y tenant, comme jadis à Paris, boutique de calomnies contre les républicains, les accuse de tous les maux. Chacun, d'ailleurs, se renvoyait le poids de ces misères. Les montagnards faisaient remonter l'état de choses jusqu'à l'impéritie du gouvernement, et les royalistes, accusant les montagnards, allaient bientôt déclarer au peuple que le jacobinisme ne le rendrait pas plus heureux : Est-ce du pain qu'on vous destine Sous les jacobins triomphants ? Des échafauds et la famine, Voilà les bienfaits des brigands. Le peuple, au surplus, n'écoutait guère, je crois, et se retournait sur la terre dure, comme un malade dans son lit. Elle était cruelle, sa maladie ; c'était la misère et la faim, l'âpre famine qu'on supportait auparavant, lorsque le luxe devenu honteux se cachait, la famine insupportable aujourd'hui que la réaction semait par les rues les muscadins à cadenettes et les thermidoriennes aux seins nus. Pas de pain, le blé manquait ou disparaissait. Les agioteurs achetaient sur pied toute une récolte. Le pain, qui se vendait en Bretagne trois sols la livre en numéraire[4] coûtait jusqu'à vingt-cinq sous, et les assignats n'y donnaient point droit. On passait les nuits devant les boutiques de boulangers ; l'hiver, on s'entassait aux portes des sections, les femmes, leurs enfants à la main, se mettant parfois de faux ventres pour obtenir le surcroît de ration des femmes enceintes. Le voyageur qui partait de Paris ne pouvait même pas emporter une livre de pain[5]. Un nommé Meyret écrit, à la date du 20 floréal an III, qu'il a été obligé de vendre ses effets pour vivre. Ils font jeûner les enfants jusque dans le sein de leurs mères ! Ils sont bien coupables[6]. C'était des gouvernants qu'il parlait. Un autre sciait devant sa porte son bois de lit, n'ayant plus de bois pour se chauffer. On ramassait au coin des rues de pauvres gens tombés d'inanition, des vieillards, des femmes. Et les muscadins, quand on relevait devant eux quelque affamé qui ne se tenait plus debout, zézayaient en riant un : Il est ivre ! Ils inventaient jusqu'à des contes, des légendes, qui, répétées au peuple, l'irritaient, le lançaient hors de lui. Un voiturier avait été vu, disaient-ils, le 29 pluviôse, mangeant deux ananas qui lui avaient coûté trente-six livres pièce. Des ouvriers faisaient çà et là des dîners à cent francs par tête. Ils ne lui disaient pas : Mangez de la brioche, ils reprochaient la brioche absente à cette foule qui n'avait pas de pain. La famine, le peuple la connaissait ; il l'avait bravée déjà ; il savait, en l'an II, se coucher sans dîner, ruminant ses rêves de gloire et de liberté, patient parce que confiant sous le drapeau troué de là république. Mais cette république qui le faisait vivre, on la lui arrachait maintenant, chaque jour, par lambeaux. Paris, son Paris même, ses rues ne lui appartenaient plus. Une armée de muguets tenait les avenues, gardait les boulevards, chassait à coups de canne les jacobins hors des jardins publics. Porter les cheveux courts, c'était hardi par ce temps de cheveux retroussés, poudrés, peignés ; les têtes rondes à la Brutus, à la Titus provoquaient les bâtons aristocratiques. Les muscadins se mettaient vingt contre un, assommaient les hommes, battaient les femmes, non-seulement au Palais-Royal, ou à Coblentz, mais dans la Convention même, dans les tribunes. Ces jeunes gens à lunettes arrachent un jour la coiffe d'une vieille femme de la campagne assise dans l'assemblée et regardant de ses gros yeux ; ils la soufflètent, ils la chassent. Le lendemain, c'est un homme en carmagnole qu'ils assassinent et laissent au coin de la borne. Ils font des chansons dont le refrain est qu'il faut un prince. Les soldats de la ligne, ceux qui ont versé leur sang aux frontières pour la patrie, sont raillés par les jeunes gens en mauvais vers. Et de répondre alors aux vaudevilles royalistes par des coups de sabre. D'autres fois ils ont, eux aussi, leurs poètes. En faisant allusion à leurs coiffures : La farine vous couvre et le son vous nourrit, dit le Patriarche aux muscadins. Mais la défense est impuissante à repousser l'attaque. Le flot monte. La contre-révolution se fait tous les jours. Le royalisme rentre appuyé sur le tout-puissant agiotage. On agiote, le temps de Law est revenu, on agiote sur tout, depuis l'épingle jusqu'au lingot d'or. Plus de commerce, je l'ai dit, une confusion, une cohue, et pourtant tout le monde vend ou voudrait vendre toutes choses : Le coiffeur vend des harengs, le procureur de la soierie, le serrurier de la laine. La bourse des chouans — on l'appelle tout haut par son nom — se tient à trois heures au Palais-Royal, et de onze heures à trois heures au café de Chartres. Des bandes d'agioteurs stationnent dans les rues, on envoie vers eux des soldats, le groupe se disperse, mais pour se reformer, plus nombreux, vingt pas plus loin. Spectacle de misère, disent les écrits du temps, spectacle de folie ! Les hommes dorés, les jeunes gens à cadenettes, ceux qui se nommeront demain les jacobins blancs, ont leur Marseillaise, qui s'appelle le Réveil du Peuple, et qu'ils vocifèrent du matin au soir. C'est leur Ça ira, menaçant et sombre. Ils l'entonnent, en janvier, au théâtre des Variétés amusantes, pendant les entr'actes. Ils forcent les acteurs soupçonnés de républicanisme à le chanter. Ils menacent le comédien Fuzil jusqu'à ce qu'il se rende et récite le couplet : Voyez déjà comme ils frémissent. Ils n'osent fuir, les scélérats : Les traces du sang qu'ils vomissent Décèleraient bientôt leurs pas. Après Fuzil, c'est Trial qu'ils contraignent, puis Lays, qui avait été l'ami de Barère. Les épigrammes républicaines ripostent comme elles peuvent. Je crois que c'est Lebrun qui s'écrie : Le royalisme effronté Dont la féroce bonté D'une voix de cannibale Chante aussi l'humanité. A ces chants politiques se joignent les chants religieux.
La foule est compacte autour des autels où l'on dit la messe, les portes des
églises obstruées. Le dimanche, un tiers au moins des boutiques se ferment,
une odeur d'encens se répand dans ces quartiers qui ne respiraient que le
salpêtre, et le plain-chant fait entendre encore le Domine, salvum fac
regem. — Il y a du culte par ici !
s'écrie un journal. Mon ami, dit un passant, je sens le fanatisme, il y a de ce côté quelque
bénédiction. Et l'autre répond en hochant la tête : Dieu ! je crains bien que le dimanche ne finisse par
manger la décade ! Déjà les républicains parlent bas, et les royalistes,
lorsqu'ils n'osent parler tout haut, ont des moyens de se faire comprendre.
Ils s'abordent, dit Peltier, au Palais-Royal, mystérieusement, en souriant à
demi : — Combien font, demande l'un, 8 ½ et 8 ½ ? — Dix-sept,
réplique l'autre. Ou : Quelle est la moitié de 34
? — Dix-sept. On se serre la main,
on s'est compris. En dépit de la république et des républicains, Louis XVII a
des sujets fidèles. Ou bien encore, on expose des gravures significatives,
sortes de rébus où un carrosse a pour pendant une charrette et qui
signifient, faisant allusion à la fuite de Varennes et au chef vendéen qui
combat pour son roi : La royauté est partie en carrosse,
elle reviendra en Charette. Ah ! conspirations hypocrites,
oppositions de commérages, tartuferie du royalisme ! Tout est compromis, six ans de révolution semblent perdus pour les Français.
Cette révolution est devenue la
grande ennemie. Enchaînons, dit La Cretelle
en son discours au nom de la section des Champs-Élysées, enchaînons la révolution sous des portes d'airain. C'en
est fait, une torpeur immense, le dégoût sont venus. Gallais, dans la
Quotidienne, décrit ainsi l'état moral de cette cité, hier tête des nations : Des
marchands qui rançonnent, des mécontents qui crient, la guerre civile à quarante
lieues, les plaisirs de l'île de Calypso dans la ville, l'inquiétude des
esprits, l'insouciance des cœurs, des dîners d'apparat, des soupers
clandestins, de petites intrigues de femmelettes, de petits journaux
d'antichambre, de petites épigrammes de boudoir, un grand peuple harassé,
désarmé... Finis reipublicæ ! C'est l'heure des lâchetés et des défections. Un patriote demande à un président de sections, hier encore terroriste acharné : Où étais-tu, au 10 août, lorsque nous combattions la royauté ! Tu étais caché ? — Oui, répond le renégat, je m'étais caché pour ne pas participer aux assassinats que l'on a commis ce jour-là ![7] Les clubs sont fermés ; les muscadins parfois envahissent les corps de garde et en chassent les républicains. Si quelqu'un vole, ce sont les jacobins qu'on accuse. Bêtes rouges de la réaction, boucs émissaires des thermidoriens, les jacobins sont de tous les délits, de tous les crimes, de tous les meurtres. Sont-ce pourtant, demande un journaliste, des jacobins qui, déguisés en chouans, assassinent les dragons aux portes d'Angers ?[8] Les insignes républicains, les inscriptions, les devises sont effacés des monuments, grattés, anéantis. Le fronton même de l'Assemblée est atteint ; on blanchit les devises qui le décoraient. La presse royaliste reprend son verbe haut et glapit ses calomnies. Sous cette république qui s'en va, on ose écrire que la révolution est une Saint-Barthélemy de six ans[9]. La jeunesse dorée, éprise de bals, de soupers, de fêtes, d'orgies, triomphe de Sparte, et, voulant ressusciter Athènes, évoque seulement la Suburre de l'ancienne Rome. Ces toilettes insensées, ces repas, ces sauteries à la victime, sont autant de soufflets donnés au peuple, qui, dans la rue, regardant les fenêtres illuminées où passe l'ombre de la Tallien, d'où s'échappe la romance de Garat, ronge les deux onces de pain noir puant et malsain qui ne le nourrissent pas. Et que dis-je ? le pain noir. Encore un coup il n'a pas de pain. On vit comme on peut, tandis qu'on mange et qu'on boit, tandis qu'on soupe chez la ci-devant danseuse Julie Talma, dans l'ancienne maison de Mirabeau, ou plutôt on meurt comme on peut. On ne voit au coin des rues, sur les ponts, sur les places, que des infortunés se nourrissant de harengs pourris, de boudins de sang de bœuf et autres aliments malsains dont l'odeur fétide fait soulever le cœur. Au milieu de cet affligeant tableau, les chanteurs publics chantent, les aveugles raclent du violon...[10] Les journaux sont remplis de recettes économiques pour faire des pains de racines, des bouillies de choux ou de patates. Volney enseigne des façons de faire cuire le riz usitées en Asie, et le peuple de Paris se modèle sur les parias de l'Inde. La viande manque ; le 15 mai, pour cinq cents acheteurs qui se présentent, il n'y a à Poissy que trente-quatre squelettes de bœufs[11]. Bientôt on se bat pour les pommes de terre comme on s'est battu pour le blé. Émeutes au faubourg Saint-Martin, par où passent les charrettes que la foule veut piller ; les pierres volent, les sabres sont tirés, le sang coule. Les suicides se font nombreux, on ramasse des cadavres au coin des rues, les filets s'emplissent de noyés[12]. Et si Paris encore était peuplé de ces seuls misérables ; mais cet agiotage dont j'ai parlé a fait des fortunes soudaines, scandaleuses, et le peuple du soir ne ressemble guère au peuple du matin. Contemplez, dit le Courrier français, au lever du soleil, dans les rues de certains quartiers, ces figures haves, ces teints livides, ces habits déguenillés, ces queues pressées aux portes, et tout cela vous offre le spectacle d'une peuplade de mendiants et d'infirmes. Le soir, parcourez nos jardins, nos monuments, nos spectacles, où l'on applaudit tout, et certes, ces joyeux brouhahas, ces éclats de rire, cet or, ces diamants, ces élégantes étoffes, ces figures brillantes de santé vous présenteront la douce image d'un peuple de petits Crésus. Peuple de Crésus, en effet, qui voltige et papillonne chez le glacier Garchy, cette école du bon ton et des jolies manières, tandis qu'on râle à quelques pas de là, ou que, pour vivre, on va ramasser, avaler le sang caillé des abattoirs. Et la France danse, disent joyeusement les auteurs de l'Histoire de la société française pendant le Directoire, elle danse depuis thermidor, elle danse pour se venger, elle danse pour oublier ! Pour oublier quoi ? sa faim, peut-être. L'estomac qui crie ne permet pas aux jambes d'aller leur train. Le peuple ne danse pas sous les gourdins des fréronistes. Le peuple, dit Peltier (1795), se traîne dans la misère, et s'il court, s'il s'agite encore, c'est pour prolonger sa vie, c'est pour avoir du pain. Les affiches des bals se multiplient, bal de victimes devenu victimeurs, et les crincrins du bal Lucquet, rue Étienne, 4, quartier de l'Ancienne-Monnaie — trois grands salons, quatre livres par citoyen qui pourra amener deux citoyennes, on commencera à cinq heures[13] —, soulignent peut-être l'agonie de quelque pauvre diable qui se jette à l'eau, derrière la maison, pour ne pas mourir de faim. Ce sont ces gaietés ironiques, ce luxe insultant, ces gorges découvertes, cette restauration des soupers, ce retour du luxe en des heures de famine, ces apparitions de femmes demi-nues, ce ruissellement égoïste de fortunes colossales qui irritaient, affolaient, rendaient mauvais, haineux, colères les pauvres et les vaincus. Mourir de faim au bruit du champagne qu'on débouche ! Heurter son dénuement atroce — et invincible, puisque le travail n'allait pas, — à cette débauche souriante, c'était cruel, et les mauvais rêves hantaient à présent le logis des faubouriens. La plupart des députés, spectacle irritant, suivent le courant. La Convention réagit contre elle-même. Un écrit du temps nous dépeint la bonne d'un représentant faisant son marché. Le boucher met de côté pour elle le meilleur aloyau[14], le boulanger sa pâte de luxe. Pain de député passe en proverbe. Et cependant, lorsque manque le coche de Corbeil qui apporte à Paris sa ration de blé quotidienne, comment peut-on vivre ? Rien ; on souffre, beaucoup meurent. De temps à autre, le bruit d'une émeute se répand. On raconte les rixes d'Étampes ; on répète que les environs de Paris sont comme Paris, en pleine disette. Boissy, pacifique, a beau nier, il faut bien qu'il avoue lorsque des gens arrivent de Corbeil, la tête fracassée, tout saignants. Le peuple perd décidément confiance : les hommes dorés, comme il dit, le trompent. Agioter sur le blé, ce n'est pas assez pour eux, ils agiotent sur le numéraire. L'usure profite de tout ; l'air dont elle vit est celui qui asphyxie les autres. En floréal an III, le louis valait trois cent dix livres à Guise[15]. On peut se figurer ce que devait souffrir ce peuple de Paris, déshabitué maintenant du respect de la Convention, désespéré, voyant tous ceux en qui il avait mis sa confiance morts, exécutés, et se reprochant peut-être d'avoir applaudi à leur exécution. Rendez-nous le maximum ! Rendez-nous Robespierre ! C'était leur cri. Sur le pas de leurs portes, les commères, causant politique, hochaient la tête et regrettaient tout haut les années précédentes. On lisait le journal publiquement, on se mettait à vingt pour l'entendre, on le commentait, et, chaque jour annonçant un nouveau pas en arrière, — il provoquait une colère nouvelle. C'était le bonnet rouge qui devenait un signe de proscription, c'était un membre des anciens comités qu'on arrêtait, qui passait en jugement ou, pour mieux dire, en condamnation. Frapper les hommes et frapper les choses, quelle maladresse ! Le peuple tenait à ses cocardes, à ses vêtements, à ses carmagnoles, qui étaient comme l'uniforme de son règne. Il les défendait de son mieux, le faubourien rendant coup de trique pour coup de canne au petit sucré de la section des Lombards. Il ripostait comme il pouvait, par des affiches souvent écrites à la main, par des menaces, par des chansons. Oui, la chanson se réveille, elle qui s'est faite hymne pendant la lutte, la chanson narquoise, satirique, frondeuse, et qui va frapper à leur tour ces Mazarins de thermidor. On entend passer un refrain par les rues, un chanteur planté sur sa chaise qui dit : On fait et l'on défait, l'on rétablit, l'on casse, Rien ne demeure entier, le bon peuple se lasse, Ou réveille les morts, on endort les vivants. Que d'hommes parmi nous qui sont les vrais tyrans ![16] Le bon peuple se lasse ! Malheur à la Convention, si elle ne le comprend pas. Il a faim, mais surtout il est las ; voilà la situation. Plus de patience. De déceptions en déceptions, il est tombé jusqu'à la haine. Les grands noms ne sont plus qui le tenaient en respect. Il n'a devant lui qu'une assemblée sans tête et sans gloire qu'il méprise, et (pauvre république !) tout homme parait un ennemi à la foule qui porte maintenant le costume de représentant républicain : Deux mots, deux sentiments domineront le mouvement de prairial. — Tu ne portes pas le mot de ralliement sur ton chapeau, dira un homme du peuple à son voisin, tu manges donc tous les jours ? Première cause : la faim. — Nous en avons assez des cheveux retroussés ! dira un autre. Deuxième cause : le mépris. Cependant que faisait la Convention qui gouvernait encore ? Elle se décimait comme autrefois, elle discutait à coups d'accusations. On avait, dès le mois de thermidor, réorganisé le tribunal révolutionnaire. En fructidor, on permettait la rentrée à Paris des personnes qui en avaient été chassées comme nobles, sur le rapport de Saint-Just, par décret du 27 germinal an II. Dans ce même mois de fructidor, le 4, on rapporte le décret populaire du 5 septembre 1793, qui accordait quarante sols par jour aux indigents pour leur permettre d'assister aux assemblées de sections. Ce ne sont là, pour ainsi dire, que les prodromes de la fièvre réactionnaire. Tout à l'heure va éclater le premier accès. Les membres de ces terribles comités, qui avaient, par leur ténacité indomptable, sauvé nos frontières, travaillé à l'unification de la France, organisé tous ensemble, comme on le dira de l'un d'eux, la victoire, le teint miné par les veilles, plombé, maigres et sombres, siégeaient, comme autant de vivants obstacles pour les réacteurs, sur les hauts gradins de la Convention. Tous ne sauraient demander à l'histoire son indulgence. Il est resté, sur leur mémoire, comme un rongeant souvenir de leurs excès. Les Vadier, les Voulland, les Amar, ces terroristes par terreur, Amar, l'ex-feuillant, qui finira swedenborgiste, n'ont droit qu'à la pitié de leurs descendants. Mais tous, du moins, étaient en droit de réclamer de leurs collègues, qu'ils avaient aidés dans la révolution de thermidor, beaucoup de justice et un peu de reconnaissance. Dans la séance du 12 fructidor, Laurent Lecointre monte à la tribune de la Convention. Il accuse, par pièces authentiques, dit-il, et par témoins, Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, Barère, membres du comité de salut public, et Vadier, Amar, Voulland et David, membres du comité de sûreté générale. Ils ont terrorisé, opprimé la France et la Convention ; complices de Robespierre, ils sont encore les complices de Fouquier-Tinville ; ils ont couvert la patrie de prisons, de mille bastilles ; ils ont démenti les dénonciations faites contre Joseph Lebon ; ils n'ont pris, dans la nuit du 8 et dans la journée du 9 thermidor, aucune des mesures qui pouvaient assurer la tranquillité et la sûreté de la Convention, etc., etc.[17] Lecointre demande ensuite qu'un secrétaire fasse lecture des pièces qui sont à l'appui de sa dénonciation et qu'il va indiquer l'une après l'autre. En ce moment, Goujon se lève : Goujon, ardent, superbe, celui dont Réal dira : Il ressemblait à un Caton jeune. Avant d'entendre, dit-il, la lecture des pièces dont on parle, il faut que la Convention déclare si elle adopte ou rejette ce mode de procès qu'on veut faire ici. Mon cœur est suffoqué quand je vois avec quelle froide tranquillité on vient jeter au milieu de nous des semences de division, quand je vois avec quel calme flegmatique on propose la perte de la patrie. Je ne sais point ce qui s'est passé ici ; j'étais aux armées, d'où j'ai annoncé l'un des premiers mon adhésion à tout ce qui a été fait par la Convention, parce que je la regarde comme le centre unique auquel tout doit se rapporter ; mais je crois que c'est à un homme inconnu dans la révolution à se lever ici, parce que s'il tombe, au moins il tombe seul, et que sa perte n'occasionne point de déchirement dans la république. Je vais donc parler franchement. Hier, un membre[18] vient ici, avec un discours préparé, vous dire qu'il ne
fallait plus de terreur, comme si nous ne gémissions pas des excès où nous
avons été entraînés. (Applaudissements.) Cette motion ne pouvait tendre qu'à l'avilissement de la
Convention. Je n'inculpe point les intentions, mais je dis que l'action avait
cette tendance. Je dis que c'était détruire le gouvernement républicain. (Murmures.) Si
je n'étais éloigné de toutes personnalités, je dirais que j'ai remarqué dans
ce discours, où l'on blâme le système de terreur, qu'à l'aide de grandes
phrases on a voulu la répandre sur la Convention par ces mots de robespierriser,
par ces expressions vagues de scélérats complices de Robespierre,
qu'on n'a pas nommés. Je le dis avec audace, parce que je suis tranquille :
ce n'est pas là la conduite que doit tenir un représentant du peuple. Hier vous avez passé à l'ordre du
jour sur cette motion, et aujourd'hui l'on vient vous apporter des pièces
contre des hommes qui ont bien servi la révolution. Ils peuvent être
coupables, je n'entre pas dans cette question (Murmures) ;
mais si j'avais eu des pièces qui fissent charge contre des membres investis
de la confiance de la Convention, je ne les aurais apportées ici que les
larmes aux yeux et le cœur navré de douleur. Que je vois au contraire un
spectacle bien différent ! Avec quel sang-froid on vient plonger le poignard
dans le sein d'hommes recommandables à la patrie par les services qu'ils lui
ont rendus ! Remarquez, citoyens, que la plupart des reproches qu'on leur
fait portent sur la Convention elle-même. Oui, c'est la Convention qu'on
accuse, c'est au peuple français qu'on fait le procès, puisqu'ils ont
souffert la tyrannie de l'infâme Robespierre. J. Debry nous le disait tout à
l'heure : Ce sont les aristocrates qui
commandent, qui font tout cela... — Et les voleurs ? disent quelques voix. Goujon reprend : Ils ont cherché au milieu de vous une main qui pût tenir le poignard qu'ils dirigent contre la liberté du peuple : que cet homme soit crédule, ignorant ou trompé, qu'importe ! C'est à vous à l'arrêter ; c'est à vous à empêcher le déchirement qui pourrait s'opérer... Je demande que la discussion cesse à l'instant. — Non ! non ! s'écrient beaucoup de voix. — Je m'y oppose, répond Billaud-Varennes. Et Goujon : Il est naturel que ceux qui sont accusés veuillent se défendre ; ils le doivent pour eux-mêmes, mais je ne puis m'accoutumer à l'idée qu'un secrétaire lise froidement à cette tribune des pièces qui inculpent des hommes qui se sont montrés les chauds amis de la révolution. Qu'on dépose ces pièces dans le sein d'une commission, qu'elles soient examinées, et elles sont susceptibles de l'être ; qu'on rende justice à tous, je le désire ; mais aussi je promets que, tant qu'il me restera une goutte de sang dans les veines, je m'opposerai constamment à ce qu'on perde la patrie[19]. Ainsi, dès le début de ce procès, la voix de la sagesse se faisait entendre. Goujon, le républicain intègre, ne voyait dans cette accusation dirigée contre des collègues qu'une attaque, qu'une première atteinte à la république. Il dénonçait hardiment le royalisme qui armait cette main, assurément honnête, de l'aveugle Lecointre[20]. L'heure des vengeances devait être passée, la réaction veillait, attentive à la moindre faute ; traduire en jugement les anciens comités, c'était mettre la Révolution en procédure. Goujon aura eu cette gloire, ce courage et cette clairvoyance de l'avoir proclamé, le premier, dans le sein même de la Convention. Au surplus on ne devait point, ce jour-là, donner suite à l'accusation de Laurent Lecointre. Billaud, Duhem, Cambon s'élèvent tour à tour contre elle, Cambon même repousse ce mot perfide d'humanité qui inaugure l'ère des assassinats : Au commencement de la Convention, il fut aussi une époque malheureuse où l'on jeta la division parmi nous. Des hommes qui se disaient vertueux accusèrent les autres d'être des hommes de sang ; aujourd'hui l'on a créé le mot de robespierrisme, et l'on veut accuser des hommes de ce nouveau crime qu'on crée. Si on lit les pièces, si l'on examine l'accusation, je demande qu'elle soit étendue à tous les membres des deux comités... Et à cette ferme déclaration, plusieurs voix aussitôt répondent : — A toute la Convention ! C'était la justice. Le temps était venu d'accepter sans inventaire le lourd et superbe héritage de la révolution. Thuriot propose enfin de rejeter avec indignation les inculpations présentées par Lecointre, et cette proposition est adoptée. Lecointre, descendu de la tribune, allait, à quelques mois
de là (nivôse an III), faire appel à
l'imprimerie, et presque en même temps que cette fameuse brochure, la Queue
de Robespierre, qui devait si profondément remuer le public, il fit
paraître tout un travail où, renouvelant ses accusations, il trouvait, non
plus que les membres des comités étaient répréhensibles,
comme dans la séance du 12 fructidor, mais criminels : Citoyens, Par votre décret du 13 fructidor, vous avez déclaré fausse et calomnieuse la dénonciation contenue en vingt-six articles que je vous ai faite contre sept membres de cette assemblée. ... Permettre qu'un décret flétrissant pour moi, contraire aux principes de sagesse que professe la Convention, également contraire à la vérité, pèse plus longtemps sur ma tête, ce serait me trahir moi-même, trahir la représentation nationale et le peuple français, qui nous entend et qui attend de vous un grand acte de justice. Les crimes de ces hommes que vous aviez chargés du bonheur de la France, en centralisant dans leurs mains tous les pouvoirs, l'exécution de toutes les lois, le droit même de prendre tous arrêts provisoires que les circonstances exigeraient, à la charge — conformément au décret de leur institution en date du 6 avril 1793, v. st. — de vous faire, chaque semaine, un rapport par écrit de toutes leurs opérations et de la situation de la république ; les crimes dont se sont souillés ces hommes sont trop grands pour rester impunis. Leur conduite dans la place dont vous les avez honorés, celle qu'ils ont tenue depuis la chute du tyran, aux Jacobins, dans les places publiques, dans leurs conventicules, nous donnent la mesure de leurs premiers crimes[21]. C'est en parlant de cette brochure que Vadier écrivait avec ironie : Lecointre donne au peuple une brochure où je lis : Prix, 3 livres pour le public. On conclut que ce moderne Lucullus se ruine à la manière des pamphlétaires, c'est-à-dire en desséchant la bourse des royalistes qui le lisent. Et Vadier avait raison. Ces écrits accusateurs, qui faisaient venir les larmes aux yeux de républicains comme Goujon, transportaient d'aise ces nouveaux venus qui causaient politique dans leurs salons réouverts, ces élégants qui se nommaient eux-mêmes, arborant ce titre comme on mettrait une cocarde à son chapeau, les honnêtes gens. On sait, hélas ! ce que sont les honnêtes gens en politique, toujours tout prêts à acclamer le victorieux, tout disposés à donner au vaincu le coup de grâce, aimables gens que le salut de l'État vient déranger et qui toute leur vie remettent à demain les affaires sérieuses, terribles gens, en tout cas, à cette époque où l'étranger s'armait contre la liberté de la France. Et en effet, ce sont, écrit Vadier, les honnêtes gens que le ci-devant comte de Lautrec-Toulouse désignait dans ses lettres au ci-devant marquis de Castres, réfugié à Aix, frontière d'Espagne, pour y mitonner, avec nos prêtres, la contre-révolution et ouvrir l'entrée des Pyrénées aux Espagnols[22]. Lecointre avait prodigieusement accéléré la marche de cette réaction qui s'avançait, non sans menaces. A tous les signes de contre-révolution, Billaud-Varennes, reproduisant les principaux arguments du discours de Goujon, avait, dans la séance du 13 brumaire aux Jacobins, répondu avec son âpreté ordinaire : J'appelle tous les hommes qui ont combattu pour la révolution à se mettre en mesure pour faire rentrer dans le néant ces lâches qui ont osé l'attaquer. Ce fut dans cette séance qu'il jeta avec une attitude hostile cette parole qui, le lendemain, répétée dans Paris, allait exaspérer la jeunesse dorée : On accuse les patriotes de garder le silence ; mais le lion n'est pas mort quand il sommeille, et à son réveil il extermine tous ses ennemis. C'était, cette fois, déclarer franchement la guerre aux
thermidoriens. Ceux-ci répliquèrent par des pamphlets, des chansons et des
caricatures. La crinière de Billaud-Varennes,
devint aussitôt l'amusement des salons et le thème aux plaisanteries
parfumées. La Convention ne se contenta point de sourire, elle s'émut, et le
lendemain, devant l'assemblée, Billaud-Varennes, loin de désavouer l'opinion
qu'il avait émise aux Jacobins, osa répéter qu'il invitait le peuple à se
réveiller. C'est le sommeil des hommes sur leurs
droits qui les amène à l'esclavage[23]. Tallien alors,
avec sa grandiloquence accoutumée, reprenant la comparaison de Billaud : Je n'aurais pas cru, dit-il, que la leçon du 9 thermidor fût si tôt oubliée par ceux-là
mêmes qui concoururent, quoique avec regret, à la destruction de leurs
anciens complices. Je n'aurais pas cru qu'ils poussassent le délire et
l'impudence jusqu'à faire retentir encore une fois le club des Jacobins de cet
appel à l'insurrection, qui réussit assez mal à leurs collègues, Robespierre,
Saint-Just et Couthon. Je n'aurais pas cru enfin qu'ils eussent le front de
se déclarer si tôt les héritiers et les vengeurs des tyrans abattus. Ont-ils
pensé que la Convention était déjà lasse de quelques jours de liberté et
qu'elle fût si tôt prête à trahir sa gloire ? La cause de la liberté et celle
de l'humanité sont désormais inséparables. Billaud-Varennes et ses complices
me paraissent un peu trop ennoblis en se comparant au lion ; ils n'avaient
jusqu'à présent rappelé d'autre image que celle du tigre. Ils la rappelaient hier,
lorsqu'ils voulaient encore une fois déchirer leurs compatriotes, broyer
leurs membres et boire leur sang. Tigres ou lions, il est temps que la
Convention les musèle et délivre la France de leurs rugissements. Et, demandant la fermeture des Jacobins : Quoi ! il existe encore, ce club autrefois si salutaire, depuis si odieux, aujourd'hui si infâme ; ce club qui, aussi coupable que la Commune de Paris, aurait dû, comme elle, accompagner à l'échafaud ce Robespierre qu'elle regrette toujours ? C'est ainsi qu'il abuse de notre patience, de notre modération. Il lui faut encore le règne de la terreur tout entier ; ces hommes ne respirent pas, si dans toute la république ils ne peuvent faire égorger par jour mille Français et presque autant de Françaises[24]. Ainsi, dans les discours de Tallien, revenait toujours l'idée de la femme, l'influence, l'inspiratrice. Billaud-Varennes ayant parlé, le 15 brumaire, de madame de Tourelles, l'ex-gouvernante des enfants de France, cette femme pleine d'astuce qui pouvait, disait-il, former à elle seule un noyau de contre-révolution, Tallien lui répliquait ironiquement : J'ignore si une femme peut à elle seule former un noyau de contre-révolution[25]. La phrase était ridicule, soit, mais Tallien, mieux que personne, devait savoir si elle contenait une vérité. Terezia Cabarrus se dresse, avec son sourire, derrière chacun des discours de Tallien. On la voit, ce semble, derrière lui, à la tribune, son égérie, sa complice. Lorsqu'au nom de la commission des Vingt-et-Un, Saladin publiera son rapport, on trouvera parmi les griefs dirigés contre les membres des anciens comités, et avant tous les autres reproches, l'arrestation de Thérèse Cabarrus et d'un jeune homme demeurant avec elle. Elle est là, ranimant les ris et poussant aux prisons, charmante et implacable, proscrivant sur un air de valse, Hérodiade de la clémence. Ce discours de Tallien, le discours qui suivit, où Legendre, ramassant un mot tombé de la plume de Roch Marcandier, qu'il avait dû connaître au temps où celui-ci servait de secrétaire à Camille Desmoulins, flétrit les jacobins du surnom d'hommes de proie, influèrent profondément sur l'assemblée. Les comités sont chargés aussitôt : 1° de faire un rapport sur les moyens de procéder à l'épuration des jacobins ; 2° d'examiner les griefs articulés contre Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, Amar, Vadier, Voulland et David. Le 22 brumaire Laignelot, au nom des quatre comités, militaire, de salut public, de sûreté générale et de législation, lit à la Convention l'arrêté pris la veille et qui porte : 1° Les quatre comités réunis arrêtent de suspendre les séances de la Société des Jacobins ; 2° La salle sera fermée à l'instant et les clefs déposées au secrétariat du comité de sûreté générale ; 3° La commission administrative de police est chargée de l'exécution de l'arrêté dont il sera rendu compte à la Convention. Des applaudissements éclatent ; vainement Duquesnoy s'écrie : Je déclare que je suis jacobin et que j'aime mon pays, l'arrêté des comités est approuvé à la presque unanimité, aux cris répétés de vive la république ! vive la Convention ! Legendre, chargé de l'exécution de ce décret, l'accomplit avec une évidente satisfaction, lui, le jacobin de la veille. Ce jour-là, Audouin s'écria : Les jacobins se réfugieront, s'il le faut, dans un souterrain ! Ils allaient, sur la proposition de Tissot, beau-frère de Goujon, lequel était cousin de Barère, se retirer au faubourg Saint-Antoine, dans la ci-devant église des Quinze-Vingts. En attendant, on dansait sur l'air de la Carmagnole des rondes de joie autour du club à jamais désert : Les jacobins avaient promis De faire égorger tout Paris... Ce sont les couplets de Madame Veto retournés. L'Orateur du Peuple (n° 31) raconte que le quartier était illuminé, qu'on s'abordait en s'embrassant, en se disant : Eh bien ! c'est une affaire faite ? Les refrains des chansons composées par Girey-Dupré dans le Calvados, et que les libraires parisiens avaient fait venir, se croisaient avec la romance du girondin Dussault sur la brûlure du grand lion des jacobins : Tandis que la ménagerie De tous les tyrans en furie Fuit devant les républicains, Nous grillons en flamme vermeille, Ici, la bête sans pareille, Le grand lion des jacobins[26]. J'ai eu sous les yeux l'intérieur du club des jacobins, une caricature du temps, de ces images royalistes que publiaient les Actes des apôtres ou les autres officines réactionnaires. La salle est vaste avec des œils-de-bœuf au fond, le président, à droite, assis devant une humble table carrée, fait face à la tribune, qui se dresse orgueilleuse, triomphante, devant la sonnette et l'écrase. Au milieu un poêle rond, en faïence, dont les longs tuyaux vont se perdre dans la muraille en traversant la salle. Les jacobins sont assis sur des gradins, à la droite et à la gauche du président et des deux côtés de l'orateur. La tribune du fond, élevée, garnie de monde, est un peu la tribune publique de l'Assemblée. Des gradins jusqu'en haut. Qu'on ne se figure pas une horde de gens en haillons. Ces jacobins étaient riches. Comment eussent-ils suffi aux frais d'impression, de distribution de leurs discours aux sociétés affiliées ? Ils remuaient le monde, donnaient leur argent, leur temps, leur vie même, et faisaient de la révolution avec ordre. Ils entraient dans la salle, le président en tête, lorsque tout le monde était assis. Pas de tumulte. C'est là que se rendaient les tricoteuses. Sait-on bien d'où leur vient ce nom ? Il y avait des tricoteuses, mais qui tricotaient des bas pour les armées et pour les blessés. On laissait les femmes entrer dans les sociétés populaires à la condition qu'elles y travailleraient pour les patriotes. Voir le rapport de Chaumette à ce sujet. Toute la révolution avait passé par là. Le club fermé, c'était la révolution finie. Bientôt les députés détenus dans les maisons d'arrêt des Écossais, de l'Oratoire, des Quatre-Nations, demandèrent à rentrer dans le sein de la Convention. Merlin de Douai, le 18 frimaire, au début de la séance, annonçait que, relativement à ces députés mis en état d'arrestation, les comités l'avaient chargé de proposer un projet de décret par lequel la Convention nationale rappelait dans son sein les Soixante-Seize. Ce projet est adopté. Monestier demande qu'il soit étendu à Dulaure, qui n'a jamais été arrêté, et Guyomard à Couffé, qui s'est éloigné de Paris. Caseneuve, Laplaigne, Rouhault, Girault, Chastellin, Dugué-Dassé, Lebreton, Dussaulx, J.-P. Saurine, Queinet, Salmon, V.-C. Corbel, J. Guiter, Ferroux, J. Antoine Rabaut, Fayolle, Aubry, Ribereau, Derazey, Bailleul, Ruault, Obelin, Babey, Blad, Maisse, Peyre, Bohan, Honoré Fleury, Vernier, Grenot, Amyon, Laurenceot, Jeay, Serres, Laurence, Saladin, Mercier-Lefebvre, Olivier, Gérente, Royer, Garillie, Philippe Deleville, Varlet, Dubusc, Blanqui, Massa, Delamarre, Faure, Hecquet, Deschamps, Lefebvre (de la Seine-Inférieure) Daunou, Périès, Vincent, Tournier, Rouzet, Blaux, Blaviel, Marboz, Giroust, Esvadens, Moisset, Saint-Prix, Soulignac, Richon, Dulaure ; Faye, Lacroix (de la Haute-Vienne), Rivaud, Dubray, Doublet, Michet, Forêt, Brunel, Despinassy, Couppé, Devérité et Thomas Payne, déclaré citoyen français, pouvaient donc rentrer dès le 18 frimaire dans le sein de la Convention nationale. Qu'on regarde ces noms, on verra, qu'à de rares exceptions près, ceux qui les portaient allaient tous augmenter dans la Convention le nombre trop grand déjà de ces plainiers qui, depuis le commencement de la révolution, avaient arboré ce singulier et commode principe d'obéir à la faction dominante, votant avec une égale frayeur un élargissement ou un arrêt de mort. Beaucoup d'autres étaient girondins. Ils avaient des amis à venger, des revanches à prendre. Persécutés, ils allaient rentrer dans la Convention avec leur contingent de haines et d'amertumes. Eux qui s'adressaient à Robespierre pour obtenir leur liberté, l'appelant leur sauveur[27], ils allaient maintenant frapper, comme complices de Robespierre, les représentants de la Montagne. Les thermidoriens sentaient bien quel renfort leur apportaient ces membres nouveaux et quel appoint allait être cette force aveuglée, irritée, dans lu lutte maintenant engagée. Peltier lui-même, à la page 7 de son 2e volume, apprécie
de la sorte cette rentrée : Six ou sept mois après
la mort de Robespierre, la faction girondine a été ressuscitée par la rentrée
de soixante-seize détenus dans la Convention et le rétablissement de ceux qui
avaient été mis hors la loi. Elle a maintenant repris les rênes du pouvoir en
commun avec une partie de ceux-là mêmes qui furent les plus acharnés à la
détruire au 31 mai. Il ajoute, page 95 : Nous
allons voir maintenant de nouveaux combats s'engager dans les six premiers
mois de 1795 entre la Convention et ses propres principes, entre la Plaine et
la Montagne, les jeunes gens et le peuple, un faux esprit de modération et
celui de la Révolution. Le duel allait, au surplus, finir rapidement
par la nomination d'une commission dite des Vingt-et-Un, chargée de faire à
la Convention un rapport sur les actes des membres des anciens comités, devenus
brusquement des accusés. Pendant ce temps, le tribunal criminel révolutionnaire jugeait le comité révolutionnaire de Nantes, Carrier et ses complices. Ce misérable Carrier, ivre de fanatisme, se défendait comme il pouvait, protestant de son innocence, se débattant contre l'accusation avec la conscience farouche d'un être barbare qui croit avoir fait son devoir. Il était condamné d'avance. Pourtant dans sa défense il essaye d'établir qu'il a seulement agi d'après les ordres de la Convention, où, à son retour, il fut bien reçu ; le gouvernement connaissait, dit-il, le plan de destruction et ces cruelles représailles, ces vengeances, ces exécutions en masse par lesquelles le représentant répliquait aux atrocités des chouans. Il faut malheureusement le reconnaître, il y a eu alors des Carriers dans tous les partis. Cette terrible guerre de Vendée enfanta des monstres. La guerre de la Vendée, disait Hoche, c'est la colique de la république. C'était pis que cela, c'en était la peste. Rien d'humain dans ces combats de broussailles, dans ces rencontres de nuit, dans ces batailles où la baïonnette troue, où le pen-bas assomme, où des centaines de mille hommes restent dans les marais, sont jetés dans les fleuves. A qui la faute si le chancre politique dont parle Barère demanda du fer rouge pour être vaincu ? Aux nobles, aux prêtres, qui soulevèrent, s'alliant aux Prussiens et aux Anglais, cette guerre atroce. Bella, horrida bella, s'écrie M. Eugène Bonnemère, qui nous en a éloquemment raconté l'histoire[28]. Horrible, en effet. Des deux parts, même acharnement, même colère. Un paysan tombe percé de coups. — Allons, lui dit un bleu, je te rends la liberté ! — Rends-moi mon Dieu ! Un conventionnel, enfermé par les blancs dans un cul de basse-fosse, râle, meurt de vermine. C'est parce que tu as tué ton roi, lui dit-on. — Eh bien ! ressuscitez-le, je recommencerai ! Des deux parts haine, fureur, sauvagerie ; mais on avouera que les généraux de la Convention, les Westermann, les Kléber, les Marceau usèrent seulement de représailles ; les Vendéens avaient donné le signal des atrocités. Qu'étaient-ce que ces seigneurs ambitieux, hobereaux sans instruction, qui soulevèrent leurs gens contre la république, un Talmont, un Delbée ? Et ces prêtres qui prêchaient l'assassinat, comme ce curé de Saint-Legris qui, déguisé en chaudronnier, suivait l'armée des blancs, achevant de son grand crucifix de fer les patauds blessés, les bleus couchés par terre[29], ou, comme Laussat, vicaire de Saint-Paul-des-Bois, qui faisait communier les patriotes malades avec des hosties empoisonnées ? Et Barbotin, le cannibale, et Bruno Six-Sous, le chef d'artillerie, l'égorgeur, et Jean Chouan, le faux saunier, qui, sous Louis XVI, avait mérité la corde comme coupable de meurtre, et Charette, l'homme au panache blanc, avec son cortège de femmes, d'aides de camps femelles éprises de roman, tous ceux-là fusillant, pillant, chauffant, égorgeant les villes, ne valaient-ils point Carrier ? Exceptons Cathelineau, le saint de l'Anjou, et un héros, Bonchamp ; exceptons la Rochejacquelein, le reste des révoltés est singulièrement féroce, et, pour combattre la république, pour saigner le glorieux Mayençais, terreur de l'ennemi, emprunte le poignard des étrangers. Ces moments de lutte terrible suscitent de formidables agents qui, par conviction peut-être, inébranlables dans leur sombre foi, acceptent de se faire les exécuteurs de toutes les vengeances. Fatalité de l'histoire, terrifiante logique, écho monstrueux qui oppose aux ordres barbares du duc d'Albe le signal lugubre de Carrier, et aux fusillades de Bouillé, sur la place de Nancy, réplique par les fusillades de la place du Bouffay à Nantes ! Tout se paye dans l'histoire, et bienheureux ceux qui ne peuvent s'endetter que de reconnaissance ! Ce procès de Carrier, comme le procès de Joseph Lebon, souverainement impolitique au point de vue républicain, servait puissamment la réaction. C'était pourtant Romme, un républicain convaincu, qui, chargé du rapport, conclut au décret d'accusation. Pour lui, l'humanité passa avant la république. Et puis il fallait à la foule la tête de Carrier, la tête de ses complices, le sang de tous ces proconsuls contre lesquels s'élevait la voix de la réprobation. On vendait, au cloître Honoré, à de nombreux exemplaires, le recueil historique des crimes de Carrier et de Goulin, sous ce titre : La Loire vengée. Le portrait, la caricature de Carrier, qui valait vingt sous, tête noire de bête féroce, se tirait à des milliers d'exemplaires. On était avide de voir de près le monstre, le tribunal était assiégé ; Carrier ne chargeait, n'accusait personne. Lorsque Réal, un des défenseurs, essaya d'effacer l'impression funeste des horribles tableaux que les témoins avaient retracés, les accusés fondirent en larmes. Réal, ému lui-même, dit le Moniteur, s'écrie aussitôt avec chaleur en parlant de Goulin : Sa tête fut exaltée, son cœur est celui d'un patriote pur, d'un homme de bien. Et l'un des accusés, Gallon, éclatant en sanglots, se lève aussitôt, hors de lui, pleurant, et, d'une voix entrecoupée, montrant Goulin : — C'est mon ami, dit-il, c'est un honnête homme, c'est mon ami, je le connais depuis neuf ans, il a élevé mes enfants. Tuez-moi, mais sauvez-le ! Et il répète : Sauvez-le, sauvez-le ! L'auditoire lui-même est ému. On fait sortir Gallon. Tous les accusés pleurent, et Réal dit en les montrant : Jurés, sont-ce là des hommes féroces ?[30] Quelle flamme s'agitait donc dans ces âmes, puisque les
plus coupables avaient ainsi une heure où ils décontenançaient leurs juges ?
Carrier se défendit pendant quatre heures, rappelant ses missions, les
circonstances politiques, les atrocités de la guerre de Vendée, les nécessités
qu'il y avait à abdiquer, pour un temps, les sentiments d'humanité, répétant
encore, dans son zèle sauvage, qu'il avait fait son devoir. A la fin,
fatigué, exténué, il déclara qu'il s'en rapportait à la justice des jurés. Je demande tout ce qui peut être accordé pour mes
coaccusés ; je demande que, si la justice nationale doit peser sur quelqu'un,
elle pèse sur moi seul. On sait comment il alla à la guillotine,
impassible sous les huées. Cependant l'instruction de l'affaire des comités, malgré les efforts des amis des accusés, malgré les entraves de ceux qui, tout en condamnant les excès des anciens gouvernants, voulaient qu'on leur épargnât ce procès au nom de la république, cette instruction touchait à sa fin. Les sections royalistes réclamaient à grands cris le rapport sur ces députés, elles avaient hâte d'en finir. Des députations de sections venaient à la barre s'écrier, comme les sections de la commune d'Orléans : Leur impunité nous offusque et nous vous fatiguerons sans cesse de nos cris jusqu'à ce qu'enfin vous ayez achevé de sauver la France en punissant exemplairement ses bourreaux[31]. Les faubourgs étaient sourdement travaillés non par les représentants, comme l'affirme ce niais de Georges Duval en ses calomnies, mais par le mécontentement, la disette. On y lisait aussi les défenses de Billaud et de ses collègues, et les noms des accusés pouvaient être pour une émeute des mots terribles de ralliement. Lecointre avait fourni à ces hommes l'occasion de faire hautement leur propre éloge. D'où venait cet acharnement du député de Versailles ? Lecointre était certes un républicain sincère, et devait se montrer tel par la suite[32], mais il avait Danton à venger. Dans la nuit du 8 au 9 thermidor, Lecointre, arrivant au seuil du comité avec plusieurs autres représentants, avait, dit-on, trouvé la porte close et vainement insisté pour entrer[33]. De là sa haine, s'il faut en croire la chronique, cette histoire chuchotée ; de là ces accusations fréquentes, que depuis la séance du 12 fructidor an II, où il signala les vingt-sept griefs, Lecointre renouvela avec une singulière persistance. C'était toujours la même colère et le même emportement : Le temps des ménagements est passé, plus de faiblesses, il faut punir les crimes, il faut en prévenir de nouveaux. A cela les accusés répliquaient : Quelle est cette accusation formée de l'amalgame confus des opérations très-distinctes du comité de salut public et de sûreté générale, et dirigée uniquement contre trois membres du premier de ces comités, et contre quatre du second, tandis que par les lois de la Convention, les travaux et les opérations des deux comités étaient démarqués d'une manière très-distincte, et que le nombre des membres des comités qui y ont pris part est plus grand que le nombre des inculpés ?[34] Cette réponse faite au seul Lecointre pouvait s'adresser à la commission des Vingt-et-Un, qui étudiait la cause, se plongeait dans les paperasses, allait bientôt nommer Saladin rapporteur, et les accusés pouvaient dire : Dans tous les temps, le principe consacré en matière criminelle, non bis in idem, a indiqué un terme aux passions, aux haines, aux vengeances. Ils avaient raison. Singulier retour des choses de la politique ! Ceux-là mêmes qui avaient précipité Robespierre, qui se défendaient d'être ses amis, qui se vantaient de l'avoir dénoncé, étaient accusés et jugés comme complices de Robespierre. Je ne veux pas défendre la mémoire des anciens membres des comités, je ne veux pas davantage accuser leurs accusateurs, mais l'histoire doit reconnaître que, par tactique ou par aveuglement, on atteignait, je le répète, la république même en attaquant Billaud et ses collègues. On procédurait la révolution, cette Saint-Barthélemy philosophique. Et les accusés, certes, avaient bien le droit de demander si le patriotisme était une faction, et de déclarer que la réaction voulait faire sur des échafauds l'inventaire de la révolution pour égorger la liberté[35]. La continuelle tactique des royalistes, disaient Barère, Collot, Billaud et Vadier dans une brochure collective, a été de faire passer les patriotes pour des buveurs de sang, et de faire suivre chaque événement révolutionnaire par des procédures, pour détourner l'esprit du peuple des affaires publiques, pour faire stationner ou rétrograder la révolution. Et se défendant d'être, comme on les en accusait, les meneurs du comité : Il
serait difficile, écrivent-ils, pour ne pas
dire impossible, de savoir qui de nous six, Lindet, Collot, Carnot, Barère,
Prieur et Billaud, étaient meneurs ou menés. Nous n'avons jamais connu qu'un
meneur, que nous nous honorons d'avoir écouté, et qui n'est certes pas le
meneur de nos accusateurs, c'est l'amour de la patrie, c'est le désir, c'est
le vœu d'assurer les victoires des armées et les subsistances du peuple. Voilà
le meneur qui a rallié nos pensées, dirigé nos opérations et asservi nos Mues
à des travaux de douze, quinze et dix-huit heures par jour. Quant aux excès qu'on leur reproche : Ce sont, ajoutent-ils, des eaux bourbeuses, déversées et mêlées un instant aux eaux d'un grand fleuve navigable qui enrichit et fertilise les contrées qu'il arrose[36]. Les brochures sont nombreuses qui caractérisent l'état de
Paris, le trouble des esprits, les luttes qui devaient s'établir entre les
partis. Au volumineux rapport de Saladin, les membres du comité dénoncés
répondent soit en masse, soit en particulier par des factums violents. Chacun
se justifie, tous protestent, la plupart accusent. Collot-d'Herbois réplique
à la brochure Collot mitraillé par Tallien par une terrible
philippique ; le proconsul de Lyon cloue au poteau le proconsul de Bordeaux. Il
nous le montre, ce Tallien, qui aujourd'hui affiche et crie bien haut ses
sentiments d'humanité, il nous le fait voir le 20
frimaire, à Bordeaux, lors de la Fête de la Raison, faisant porter devant lui
cinq bannières où se trouvaient inscrites cinq dates immortelles :
Journée du 14 juillet, journées des 5 et 6 octobre, journée du 10 août, journée
du 2 septembre, journée du 31 mai. Proscription des girondins,
massacre dans les prisons, Tallien alors approuvait et célébrait tout,
Tallien le grand prêtre de thermidor. Il avait fait plus, ajoute
Collot-d'Herbois. Le 27 vendémiaire il avait demandé un état de tous les
particuliers et négociants riches pour leur faire supporter les frais de
l'armée révolutionnaire sous peine d'exécution militaire
et de confiscation de leurs biens[37]. C'est ce
Tallien, à présent représentant de l'ordre, acclamé des sections royalistes
et bourgeoises, qui traitait jadis les négociants bordelais de tigres, de panthères et d'ours escortés à la Bourse de
singes et de renards. Tallien a accusé d'excès Collot-d'Herbois. Collot réplique à Tallien en lui reprochant l'incendie des communes, les exécutions militaires, le millionnaire Martin, mis en liberté, puis traduit à une commission militaire et guillotiné pour être bientôt réhabilité par le tribunal de révision institué par Ysabeau — Baudot, Ysabeau, Chaudron-Rousseau témoigneront du fait —, et les deux mille livres qu'un jour Tallien en belle humeur fit donner par un particulier à une jolie fille, sa maitresse. Mitraille pour mitraille, Collot-d'Herbois est formidable, il sait qu'il joue sa vie et la dispute avec rage. Des scélérats, dit-il, ont promis nos têtes coupées à leurs anciennes concubines. Et, désignant clairement la femme qui a mis le poignard dans la main de Tallien : Nous mourrons parce que de nouvelles Fulvies, liées à de nouveaux Antoines, tiennent leurs poinçons tout prêts pour percer nos langues sincères. Colot se défend ensuite, comme il peut, d'avoir terrorisé Lyon, Ville Affranchie. On trouvera dans ses écrits l'explication de toutes ces fureurs révolutionnaires provoquées par les crimes des royalistes. Lorsque Collot arriva à Lyon, la première chose qu'il apprit, c'est qu'à Montbrison on pendait les patriotes à leurs fenêtres[38]. On brillait les soldats dans les hôpitaux : eux aussi, les aristocrates, poussaient le cri sauvage de : A la lanterne ! et Précy, le général de la réaction, faisait fusiller des femmes pendant qu'il était à table[39]. On tuait à coups de pistolets les républicains dans les rues, on citait les noms d'officiers municipaux qu'on avait enfermés dans des caves et laissé mourir de faim. La populace avait écrasé sous une meule de moulin des soldats de l'Ardèche, et dansé tout autour une carmagnole royaliste. Ainsi, le sang versé appelait du sang en ces heures farouches où la vie humaine ne comptait plus pour rien, et où chaque parti eût sacrifié sans pitié toute une ville pour le triomphe de son idée. Mais s'il affirme les terribles exploits des soldats de Précy, Collot proteste contre les allégations des journalistes, qui ont imprimé qu'il avait foudroyé la ville et fait attacher des hommes et des femmes aux gueules des canons. Il s'est déjà présenté, dit-il, aux bureaux du journal de Prudhomme, pour lui demander de rétracter ce qu'il appelle des calomnies. Il explique qu'il a employé à Lyon, aux démolitions, 45.000 individus sans ouvrage, et que de là est née la légende de Lyon réduit en cendres. Et encore ces travailleurs nationaux, que démolissaient-ils ? Les forts de Saint-Jean et de Pierre-Cise. Je ne veux point, d'ailleurs, rechercher en ces papiers d'autrefois ce qui se rapporte à la défense personnelle de ces hommes. J'aurais peut-être à les condamner à mon tour, et tel d'entre eux, par exemple, ce Barère, le plus éloquent de tous et le plus adroit, l'homme qui ne s'est jamais éveillé, en ces temps de glorieuse tourmente, uns demander à l'horizon le vent qu'il faisait, Barère, l'homme à double parole, si merveilleusement doué et que l'esprit de la révolution embrasait souvent d'un feu sacré. Il n'est que l'avocat de ses confrères dans ce redoutable procès, et, en les défendant, il n'a garde de s'oublier ; mais ce qui donne un prix à ces écrits, où son inspiration a passé, où l'on respire son souffle puissant, c'est qu'il se fait aussi, comme s'il voulait résumer sa vie dans un testament magnifique, l'avocat de la révolution tout entière que l'aristocratie ressuscitée veut, dit-il, clouer au poteau. Et que nous importent les faiblesses ou les fautes de ces hommes qui, tout volcaniques qu'ils étaient, étaient des hommes ? Oublions-les. Leurs mémoires justificatifs, ces défenses admirables, ont cela d'utile qu'ils nous font mieux connaître les gigantesques travaux de ces formidables comités, machines de guerre qui ont sauvé la patrie. Hé quoi ! disent-ils, ce que la Convention nationale tout entière, avec sa
puissance populaire, ses intentions pures, sa conduite ferme et l'influence
de ses grands services envers la patrie et la liberté, n'a pu arrêter, ni
empêcher, ni modifier, vous l'exigeriez de six individus isolés et réduits à
cette petite portion de forces morales et physiques que la nature départit !
Une surveillance énorme sur les frontières et les armées, sur la fabrication
des armes et des poudres, sur les comités de surveillance et les tribunaux,
sur les factions et les intriques, sur les finances et les lois, surveillance
de toutes les minutes que la Convention, avec ses nombreux comités, peut à
peine exercer, vous voudriez en faire peser la responsabilité sur quelques têtes
seulement ! Les événements, que tant de représentants éclairés et énergiques,
envoyés en mission, n'ont pu réprimer dans les départements, au milieu des
passions locales et des intrigues qu'ils pouvaient facilement déjouer ou
comprimer par leur présence, vous voulez qu'un seul comité en réponde à toute
la France ! Vous croyez donc, Laurent Lecointre, qu'il peut exister au milieu d'une étonnante et profonde révolution qui a froissé tous les citoyens, frappé toutes les fortunes, terrassé tous les préjugés, allumé toutes les passions, excité tous les intérêts et éveillé tous les crimes ; vous croyez donc qu'il peut exister quelques hommes ou deux comités qui auront à la fois la sagesse et l'autorité, l'esprit des détails et les grandes conceptions ; qui, d'un coup d'œil, embrasseront un territoire de 27.000 lieues quarrées ; qui régiront facilement, par des principes simples et invariables, une république de 25 millions d'hommes ; qui calculeront sans erreur l'influence de toutes les ambitions particulières et de toutes les lois de circonstance ; qui verront dans 85 départements tous les abus, tous les excès des agents délégués par les autorités constituées et tous les ennemis de la république ; qui, d'un signe, comprimeront les égarements de tant d'autorités, civiles ou révolutionnaires, et tous les mouvements déréglés ou cruels de quelques fonctionnaires publics ; qui rallieront d'un mot tous les intérêts particuliers à l'intérêt de la patrie ; qui dirigeront à leur gré, au profit de la république, les machinations de ses ennemis, les excès de ses partisans, ou la nullité de tant de ladies observateurs de révolution ; qui maintiendront également dans toute la surface de la république l'esprit public, le sauveront des altérations de l'opinion, des manœuvres contre-révolutionnaires, des excès des faux patriotes et des crimes aristocratiques. Puis, traçant l'affligeant tableau de la France au moment de la formation de ces comités dont on accuse aujourd'hui les membres, il nous montre la défiance au dedans, la trahison au dehors ; Dumouriez, d'accord avec les royalistes de l'intérieur, livrant nos armées, livrant la Belgique, ouvrant à Lille la frontière du nord, envoyant aux Autrichiens les représentants que lui dépêchait la Convention. Jamais nation, prise à la gorge par l'ennemi, fut-elle plus près de sa perte ? Nos frontières étaient forcées, Mayence nous échappait, le Rhin ne nous protégeait plus, Cobourg entrait dans Condé et dans Valenciennes, Landrecies était menacé, le duc d'York regardait déjà comme sa proie notre Dunkerque ; Maubeuge, Cambray se sentaient des traîtres au cœur ; les Anglais tenaient nos côtes de l'ouest ; avares de leur sang, ils nous combattaient avec de l'or ; la Vendée, foyer immense de révolte, faisait comme un incendie sur notre flanc, de la mer à la Loire ; le Midi était envahi, les Alpes forcées, les Pyrénées perdues, les ports de Bellegarde, de Port-Vendres, de Collioure aux Espagnols, Perpignan menacé, la Lozère bouillonnait, le volcan était là, prêt à l'éruption ; Lyon, royaliste, se révoltait ; Toulon trahissait, le Calvados était en armes ; l'armée,—l'armée elle-même, — cette France en marche, se sentait minée et rongée par la trahison. Et pour répondre à tant d'ennemis, pour tant d'obstacles et tant d'attaques, où chercher des armes ? La régie des poudres ne pouvait fournir à un quart des besoins ordinaires ; la patrie se tordait, prise à la fois aux entrailles par la famine du blé et la famine du salpêtre. Nos misérables arsenaux de Lorient, de Bayonne étaient incendiés, des mains parricides mettaient le feu à nos humbles magasins à poudre de Huningue. Les subsistances montaient à des prix exorbitants ; plus de pain ; les accapareurs venaient en aide aux Prussiens. Et des révoltes, des agitations pour la taxe des marchandises, refus d'exécuter les réquisitions, sous prétexte qu'il n'y avait point de batteurs de grains. Point de trésor public, les caisses de district pillées, la monnaie républicaine avilie, l'agiotage sur les faces royales ; çà et là, comme autant de foyers de conspiration, des fabriques de faux assignats. La marine, qui nous eût ravitaillée, était royalisée, nos vaisseaux de la Méditerranée pris ou brûlés par les Anglais. Mais pour tenir tête à l'invasion, peut-être pouvait-on compter sur les nations républicaines ? Non. La Suisse, Philadelphie étaient elles-mêmes menacées, la France, la chère et pauvre France, était seule, seule avec ses bataillons incomplets, sa cavalerie mal équipée et ses volontaires imberbes, seule avec ses deux terribles alliés : l'arme blanche et le pas de charge. Et les comités, en ces heures terribles, avaient eu à la fois, comme dit Barère, l'audace de vaincre et l'audace de gouverner. Tout d'abord ils épurent les états-majors, ils lancent à l'ennemi cette jeunesse bouillante de liberté, ils établissent des hôpitaux militaires, des magasins de vivres, des camps retranchés, des écoles républicaines ; ils foudroient Toulon, reprennent Lyon, surveillent Brest. Grâce à leurs efforts de Titans, le Nord est défendu, protégé, les frontières assurées ; les Anglais sont battus sous Dunkerque, les Autrichiens chassés de Maubeuge et écrasés à Wattignies ; Cobourg, vaincu, est contraint à repasser la Sambre, les lignes de Wissembourg sont reprises, l'armée française entre dans Landau, s'empare du Palatinat, emporte d'assaut les burgs et les citadelles du Rhin, et rend en même temps les Pyrénées à la France, pendant que le mont Blanc est reconquis et que le drapeau tricolore flotte éclatant sur la neige du mont Cenis. Espagnols, Autrichiens, Prussiens, Anglais, tout est battu. Jourdan, Pichegru, délivrant la Belgique, vont bientôt prendre Namur, Ypres, Ostende. De l'Océan aux Alpes, des Pyrénées au Rhin, la France est libre et la république est sauvée ! Et combien de temps a-t-il fallu à ce peuple pour accomplir ces incroyables prodiges ? Le miracle national n'a pas demandé un an ; en moins d'un an, quatorze armées ont été équipées, les comités ont trouvé des armes, des vivres, des munitions pour celte levée de six cent mille citoyens ; on a donné des chevaux, on a donné des fusils, et en route ! En neuf mois, la France a fabriqué douze millions de livres de salpêtre, on a trouvé le moyen de le raffiner et de le sécher en vingt-quatre heures ; les électriques procédés révolutionnaires ont été appliqués à la chimie : partout des mines ont surgi, des fonderies, des aciéries, des machines, des ateliers. A Meulan, on peut voir une école de canonniers qui manœuvrent des pièces de 16 comme des pièces de 4. Le ballon s'est fait patriote. A Fleurus, on surveille l'ennemi du haut d'un aérostat. La science pacifique combat : Fourcroi, Monge, Guitou, Bertholet, Vandermonde, appelés au comité, cherchent et trouvent, inventent, et battent l'ennemi à coups de découvertes. Les laboratoires fraternisent avec les camps. La soude, la potasse, qu'on tirait de l'étranger, sont fabriquées en France par des procédés nouveaux, et le télégraphe sort du cerveau d'un homme pour marcher aussi vite que la victoire. En même temps, des bibliothèques s'ouvrent, des musées s'organisent, des concours sont ouverts dans la convention même (salle de la Liberté) pour célébrer les grandes choses qui s'accomplissent. Ces vandales protègent les arts. Les spectacles embrasent les âmes, les fêtes patriotiques et les hymnes poussent les combattants à la frontière, et la grande république, fondant la France et l'unifiant, faisant en un jour pour les lettres plus que tous les protecteurs couronnés à la fois, décrète la langue, la langue mère, la France parlée en abolissant les patois[40]. Et maintenant, voyez ces hommes qui, selon l'expression de Barère, ont ainsi glorieusement, patriotiquement improvisé la foudre. Ils sont pauvres, ils sont las ; leurs traits pâles et maigres les faisaient distinguer à la Convention sur les hauts gradins où ils s'asseyaient. Nuit et jour, ils travaillaient à l'assemblée ou aux comités ; épuisés par les veilles, ils se couchaient parfois sur le parquet ou dans un fauteuil et reposaient ainsi. Le teint plombé, les yeux creux, ces spectres du devoir devaient sembler bien menaçants et bien sombres aux muscadins de thermidor. Ils n'avaient point d'amis, ils vivaient seuls. Il n'y a pas, dit Billaud-Varennes, trois maisons où j'allais[41]. Il dit encore que, tous les soirs, il était rentré chez lui à neuf heures, sauf les jours de comité. Ai-je jamais eu la tournure d'un ambitieux ? s'écrie le rude et vieux Vadier. Acharnés dans leur âpre et lourde besogne, ils allaient droit, fermes jusqu'à devenir farouches, sévères jusqu'à être implacables, embrasés de zèle jusqu'à paraître fanatiques. Que d'excès dans leur tâche ! Quelles pages sinistres dans leur histoire ! Mais, s'écrie Barère dans le deuxième mémoire rédigé en réponse à Laurent Lecointre : Le navigateur surpris par la tempête s'abandonne à son courage, à ses lumières, que le danger rend plus vives et plus fécondes en ressources pour sauver le vaisseau qui lui est confié. Et lorsqu'il est arrivé sans naufrage au port, on ne lui demande pas compte de ses manœuvres[42]. Si le naufrage avait été jusqu'alors évité, il approchait, à n'en pas douter. Les membres des anciens comités, accablés de pamphlets et de libelles, se consolaient, disaient-ils, s par leur conscience d'avoir servi uniquement la patrie n. On n'avait pas, en effet, à leur reprocher la soif de jouir ou de s'enrichir. Le soupçon de l'argent n'est pas fréquent d'ailleurs à cette époque. Le mépris de la vie a engendré le mépris de la richesse. Parmi les griefs articulés contre Vadier, on lui reproche d'écrire des lettres particulières sur du papier du comité pour épargner le sien. L'abus, en vérité, est excessif. Un gouvernant qui se sert du papier de l'État commet un détournement bien terrible ! Quelle intégrité de mœurs, quelle intacte et stoïque probité y avait- il donc parmi ces hommes, pour qu'un tel reproche puisse avoir été sérieusement articulé ? Robert Lindet, non accusé pourtant, publiait aussi sa brochure[43]. Il établissait assez adroitement qu'il avait un bureau éloigné du lieu des délibérations du comité, et demandait à la Convention si elle le confondrait avec les monstres. Il se vantait, — et l'histoire était là qui le vantait davantage, — d'avoir sauvé des victimes à Nantes, dans l'Eure et dans le Calvados ; puis, s'élevant courageusement, au nom de la liberté de penser, contre ses accusateurs : On lui reproche ses opinions, s'écriait-il. — Il est parlé de Lindet, dans cette brochure, à la troisième personne. — Si la liberté des opinions, si la liberté de la presse ne sont pas de vains mots ; s'il est vrai que ce ne sont pas les erreurs de l'esprit, mais les crimes de la volonté qu'on veut poursuivre, comment ses opinions peuvent-elles devenir la matière d'une accusation ? A quelles scènes horribles doit-on s'attendre si, lorsqu'une opinion cesse de prévaloir, on fait périr tous ceux qui crurent devoir la professer ou s'y soumettre ? Presque en même temps paraissait un écrit de Faure, député de la Seine-Inférieure, qui demandait assez sagement que le procès fût ajourné à un an. Que d'événements tiennent dans une année ! Les passions pouvaient se calmer, la concorde s'établir. Ainsi raisonnait Faure, qui me paraît en définitive un esprit doux et sage : Citoyens, s'écriait-il, réunissons-nous tous ! Soyons amis ! Donnons l'exemple de la fraternité ! Mais comme il craignait peut-être d'être trouvé trop clément par les desservants de Notre-Dame de Thermidor, il ajoutait bien vite : Envoyons d'ici là les accusés aux îles d'Hyères. On ne pouvait choisir climat plus charmant. Rabelais, à son retour d'Italie, ce Rabelais qui savait ou devinait tout, jetant les yeux sur Hyères, comprit quelle station médicale, quel air sain, pur, curatif il y avait là. Peut-être le représentant Faure avait-il lu Rabelais. Mais ce n'était pas Hyères, son ciel bleu et ses orangers qui attendaient les accusés : les casemates étaient déjà choisies pour les proscrits sous les nuages empestés de Cayenne. En attendant, Barère, redressant sa tête hautaine, se promenait sur les boulevards avec une chemise sans col, comme les condamnés montent sur l'échafaud, et semblait dire, par sa contenance insolente, aux jeunes gens qu'il étonnait encore : Ma tête est toujours là. Qui osera la prendre ? C'est l'heure où Ruamps, plein d'amertume, s'écriait : Il vaut mieux être Charette que député ! Soubrany, dans ses lettres, trace un saisissant tableau de cette époque : Tu sais, dit-il à son ami
Dubreuil, combien, dans les beaux jours de la
montagne, le côté droit et tous les appelants ont été traînés dans la boue,
combien ils ont éprouvé d'humiliations, les motions qui ont été faites de les
expulser. Forcés alors de dissimuler, ils ont dû attendre avec impatience le
moment de se venger. Ils seraient plus que des hommes s'ils pouvaient en
faire le sacrifice à la patrie. Ceux qui ont été enfermés surtout doivent
être encore plus exaspérés. Tu juges dès lors que lorsqu'on leur a dénoncé un
montagnard, ce n'est qu'avec peine et à la dernière extrémité qu'ils laissent
échapper une semblable proie. Tu comprendras aussi aisément qu'ils sont bien
aises, en se vengeant, de justifier leur conduite passée. Pour y parvenir,
qu'a-t-il fallu faire ? Profiter des crimes de Robespierre et de ses
complices pour jeter de l'odieux sur tout ce qui s'est fait pendant le
gouvernement révolutionnaire, qui a cependant sauvé la république ; parler
sans cesse des victimes du système des triumvirs et de quelques haines
particulières pour présenter tout ce qui a été fait sous l'ancien
gouvernement comme une suite de ce même complot. La montagne eût néanmoins
lutté avec avantage contre le côté droit, si de malheureuses divisions
n'eussent fait naître dans son sein un parti qui, après avoir marché avec
elle pendant le cours de la révolution, la poursuit aujourd'hui avec
acharnement. Je veux parler de la faction Tallien, Fréron, Rovère, Bentabole,
etc. Le côté droit les connaît comme nous, les méprise ; mais il s'en sert
pour nous écraser, et les écraserait eux-mêmes s'il n'en avait pas besoin.
Cette faction renferme ce qu'il y a de plus scélérat dans la Convention. Au
reste, leur conduite les démasque assez, plongés sans cesse dans les
voluptés, passant leur vie dans des orgies scandaleuses au milieu des
Phrynés, des Laïs[44], avec toutes les ci-devant marquises, comtesses, dont ils
se sont déclarés les défenseurs en s'alliant à elles. Tallien a, comme tu le
sais, épousé la Cabarus, veuve d'un Fontenay, émigré, et fille d'un banquier
du roi d'Espagne. Cette femme remplace aujourd'hui Marie-Antoinette ; elle
affiche le luxe le plus insolent au milieu de la misère publique, paraît au
spectacle couverte de diamants, vêtue à la romaine, et donne le ton à tout ce
que Paris renferme d'impur dans les deux sexes. Rovère vit avec une ci-devant
comtesse d'A..., qu'il a, dit-on, épousée et qu'il sortit de prison à
l'époque des 9 et 10 thermidor. Bentabole a aussi épousé une ci-devant du nom
de Chabot. Fréron est le journaliste de la faction. Ces hommes osent ainsi
prendre le ton du jour, en appelant buveurs de sang, terroristes tous les
patriotes purs et énergiques[45]. Le 12 ventôse an III, Saladin, dépité de la Somme, un des revenants comme l'appelle Soubrany dans ses lettres, présentait à la Convention, au nom de la commission des Vingt-et-Un, créée par décret du 7 nivôse, son volumineux rapport sur l'examen de la conduite des représentants du peuple dénoncés par Lecointre. Le travail est long, et je ne l'analyserai point. Il reproduit, avec un certain talent, l'effroyable tableau que dorénavant la réaction va tracer tant de fois. Il montre la France couverte de prisons, affaissée sous le poids des échafauds, regorgeant du sang dont les scélérats l'abreuvaient, la terreur comprimant toutes les âmes, la sûreté individuelle attaquée, les propriétés violées, etc. Certes, ce fut le crime, ce fut la faute de ces hommes que cette terreur qui, selon l'énergique expression de M. Louis Blanc, éreinta la Révolution. Mais fallait-il venir à la tribune dénoncer hautement les excès et découvrir les plaies ? Quelles armes donnait-on aux adversaires de la république ! De quelle joie devait-on emplir le cœur des royalistes, lorsqu'on déclarait, — et Saladin le disait bien haut, — que, sous le despotisme royal, on comptait à Paris trois ou quatre prisons, et que, sous la dernière tyrannie, trente bastilles s'élevaient dans cette seule cité ![46] Vraiment, croirait-on que de pareilles déclarations aient pu être faites devant une assemblée républicaine ? Mais quelle république était-ce là ! La veille, le 11 ventôse, un homme qui, le 16 frimaire, devant le pont tournant des Tuileries, avait demandé le rétablissement de la royauté et foulé aux pieds la cocarde nationale, avait été acquitté. Saladin passe en revue les griefs déjà jetés à la face de
Barère, de Collot, de Billaud ; il reproche à Barère d'avoir, au mois de
septembre 1793, proposé de déporter les ennemis de la liberté ; à Billaud ses
rapports, sa correspondance avec Joseph Lebon ; à Collot sa mission à Lyon,
où, selon Salut-Luce, il éventrait les femmes et, selon Guffroi, il se
promenait dans les rues, le sabre à la main, coupant lui-même les têtes. Il
accuse Vadier d'avoir fait condamner à mort, à 'Pamiers, un père de famille
dont tout le crime était d'avoir refusé sa fille en mariage au jeune Vadier.
Enfin, arrivant à l'affaire de Danton, Desmoulins, Philippeaux, etc., il
montre l'oppression exercée par les anciens comités contre la Convention
nationale et les députés n'ayant plus le droit d'émettre leur opinion. On les arrêtait sans consulter l'assemblée ; le mandat d'arrêt
contre Danton, Lacroix, Philippeaux et Camille Desmoulins n'annonce aucun
motif et n'est pas même signé... Les accusés sont traduits au tribunal
révolutionnaire ; on suppose une conspiration dans les prisons en leur faveur
; on annonce à la Convention qu'ils se révoltent contre la justice, ils sont
mis hors des débats, envoyés à la mort sans être entendus[47]. Ce procès des dantonistes, le plus injuste et le plus maladroit de la révolution, retombe donc sur la tête de ces comités, dont Danton voulait combattre la redoutable puissance ! Le sang de Danton t'étouffe ! avait-on crié à Robespierre lorsqu'au 9 thermidor, à la tribune, la voix s'arrêtait dans sa gorge. On pouvait dire plus justement à Voulland et à Amar : Le sang de Danton vous accuse ! Ceux-là, les dantonistes, étaient, en effet, de braves et intelligents républicains, profondément dévoués à l'œuvre qu'ils avaient construite et qu'ils allaient cimenter de leur sang. Les perdre était une faute, les condamner était un crime. On éprouve, en étudiant les pièces de ce procès attristant, une douloureuse et poignante impression. Ce n'est pas un jugement, c'est une exécution. L'accusateur public, le président du tribunal obéissent aveuglément aux ordres farouches des comités. lis auront beau se débattre ; en vain Danton élèvera sa voix formidable, en vain Camille se débattra sur son banc, en vain Westermann demandera à se défendre en montrant ses blessures au peuple, le bourreau les attend, Mais si l'on peut reprocher cette mort aux comités, qui l'avaient, pour ainsi dire, décrétée, que doit-on dire à cette majorité de la Convention, toujours obéissante et domptée par la peur, qui donnait, sans compter, ses votes funèbres et envoyait à Sanson ceux qu'on lui désignait ? La Convention, dit Saladin, était opprimée. Ne pouvait-elle donc résister, arborer son droit, affirmer sa puissance ? Non. La foule du Marais votait, votait frémissante, quitte à demander plus tard compte de ses terreurs et de ses lâchetés. Après le rapport de Saladin, Legendre se leva et fit cette proposition que les députés accusés fussent mis en arrestation séance tenante. On applaudit, et la proposition mise aux voix par le président Bourdon (de l'Oise), une immense majorité, — l'éternelle majorité qui condamne, — se lève pour l'adoption. La proposition de Legendre est décrétée ; Barère déclare que les députés se soumettent en silence ; il fait quelques observations, et, sur la demande d'un député, la rédaction du décret d'arrestation est adoptée, avec cet amendement que les prévenus seront mis en arrestation chez eux sous la garde de gendarmes. Je vais me soumettre, dit Collot-d'Herbois, au décret d'arrestation. On introduit ensuite plusieurs jeunes gens de la première réquisition de Paris, et un descendant de Calas, orateur de la députation, vient s'écrier, après un assez long discours : Vive la république ! vive la Convention ! A bas les buveurs de sang et les jacobins ! Cette séance du 12 ventôse devait se terminer par une
lettre des représentants du peuple envoyés à Meudon pour surveiller les
épreuves des nouvelles inventions, et qui réclamait contre
un bruit calomnieux, inséré dans plusieurs journaux, que, sous la dernière
tyrannie, on tannait à Meudon des peaux humaines pour en faire des cuirs.
Et, chose incroyable, devant cette accusation effroyable, conte d'ogre
imaginé par les cervelles terrifiées, mais qui, répété et grossi, pouvait
tenir en échec l'histoire, la Convention, évidemment désintéressée de la
défense de la république, la Convention passe à l'ordre du jour. Je ne veux pas aller plus loin sans essayer de faire comprendre quelle fut l'attitude de ces hommes, accusés ainsi, et montrer d'un mot comment, malgré leurs fautes, ils méritent de laisser le souvenir de bons patriotes. Seuls de tous les conventionnels, ils pouvaient avoir encore une action sur le peuple, soulever les faubourgs, les lancer où bon leur semblerait. Leurs noms, parmi tant de noms ignorés ou démonétisés, étaient, — à tort ou à raison encore une fois, — demeurés populaires. Que le peuple se trompât ou qu'il devinât juste, il avait confiance dans ces membres sévères du vieux comité. Il eût obéi. Mais eux, fidèles à la loi, se gardèrent bien de toute rébellion. Protestant contre le mouvement, contre la Convention, ils s'inclinaient sous ses décrets : ils préféraient la condamnation, l'exil ou la mort à la révolte. S'imagine-t-on un conventionnel chef de barricade ? Non. Ils ont tous, dans ces jours terribles, courbé le front sous la Loi, se contentant de répondre au bourreau par un cri d'espérance jeté à l'avenir du haut de l'échafaud. Les accusés attendaient sans doute, espéraient un réveil du peuple, une émeute, mais ils n'auraient eu garde de les provoquer. L'insurrection étant illégale, ils ne songeaient pas à l'insurrection. D'ailleurs ils se croyaient sûrs de vaincre, de s'imposer à leurs juges, et, confiants, ils entendaient gronder l'orage sur leurs têtes, et aussi mugir au loin la voix de la foule, qui perdait patience et criait du pain. Il y avait du bruit déjà dans le faubourg Saint-Antoine, où l'on disait tout haut que Vadier, Billaud, Barère étaient persécutés, et ce faubourg Saint-Antoine, le faubourg, comme on disait, allait être le foyer de l'insurrection prochaine et de l'incendie qui couvait. Les sections de Montreuil et de Popincourt s'agitaient, bouillonnaient ; on se groupait autour de l'orme (il existe encore), planté en 92 comme arbre de la liberté devant cette maison de Santerre, que les papiers royalistes allaient bientôt désigner comme une jacobinière bonne à piller et à raser ; on lisait les journaux, la feuille d'Audouin, courageusement fidèle à son terrible passé, les pamphlets calomnieux des honnêtes gens de thermidor ; et toute cette foule, affamée, désespérée, partagée entre les regrets et la colère, s'exaltait à la lecture du Patriote ou rugissait devant les mensonges de la réaction. On peut se figurer ce que pouvait être alors ce large et long faubourg, dont la physionomie, — heureusement pour l'historien, — n'a guère changé ; vaste ruche laborieuse où toutes les mains sont occupées dans les logis, où le pain se gagne lentement, bravement, des rez-de-chaussée aux mansardes. Les maisons dataient du dernier siècle. Il en reste encore beaucoup, immenses, des hôtels, ou petites, à un seul étage, avec des fenêtres sous les tuiles ; les corridors sombres, les escaliers vermoulus, tournants, à rampe de fer, les cours intérieures étroites et semblables à des puits ; les chambres lézardées abritaient une population besogneuse, irritable, exaspérée par la famine et par toute la crispante mascarade réactionnaire. Chacune de ces maisons du faubourg, de la rue de la Roquette, de la rue de Lappe, de toute la section Popincourt était un club permanent où, — les Jacobins fermés, — parlaient les orateurs du peuple. Le pas des portes devenait une tribune. Les femmes s'assemblaient là, gémissaient, regrettaient les grands jours de l'an II. Parfois l'une d'elles tirait de son sein quelque médaillon de Robespierre, le montrait avec mystère comme une relique, et disait en hochant la tête : De son temps on était mieux. — Voyez les dépositions des femmes impliquées dans l'insurrection de prairial ; voyez aussi le livre de Buonarotti sur Babœuf. — C'était le refrain habituel des lamentations ; le regret du passé, le souci de l'avenir entre-. tenaient dans tous les esprits un désespoir morne qui devait se changer, on le sentait déjà, en une éclatante fureur. Une femme avait été arrêtée, près de la Halle aux blés, disant que les faubourgs allaient descendre. On hochait la tête, et, quand les grains n'arrivaient pas, quelques-uns murmuraient : Patience, ceux de Montreuil et de la rue de Lappe nous en feront donner ! Nous verrons, en racontant le procès, que la plupart des insurgés arrêtés dans les journées de prairial étaient, en effet, logés rue de Lappe. La rue, débaptisée aujourd'hui, n'a pas changé. Elle commence rue de Charonne et finit rue de la Roquette. Etroite, sombre, d'ordinaire boueuse, avec des ruisseaux bruns qui coulent entre les pavés ; point de trottoir ; on s'aplatit contre les maisons quand vient une voiture. Les boutiques sont comme en plein vent, volets ouverts : des serruriers, des forgerons, fabricants de grilles ou marchands de ferraille. Population active, robuste, courbée pourtant, toujours penchée sur la forge, pendue au soufflet, condamnée au hahan des durs métiers. Les logis sont noirs comme l'atelier, les enfants grouillent. Sous ces toits penchés en auvents, aux balcons rouillés des fenêtres, une figure de femme apparaît parfois, vieille et curieuse, regardant la rue où les petits jouent, où le père, bras nus, travaille en plein air. Parfois une main arrose, dans un pot, quelque fleur souffreteuse : c'est rare. Jamais de soleil. Les créatures ont besoin d'être robustes pour y vivre, sinon elles s'étiolent, toussent et meurent. Toutes ces maisons sont du dix-septième siècle, grises, laides, tristes, logis de travailleurs et de misérables. La rue, qui s'était appelée tour à tour rue Lappe et rue Gaillard, — en mémoire de Gérard Lappe, à qui le terrain appartenait, puis de l'abbé Gaillard, instituteur des jeunes garçons du faubourg, — qui s'appelait rue de Lappe en l'an III, qui se nomma rue Louis-Philippe de 1830 à 1848, puis rue de Lappe en 1848, qui s'appelle enfin rue Louis-Philippe aujourd'hui, est telle à présent qu'en 1795, peuplée de même, à la fois bruyante et retirée, pleine de fermentations cachées, de grondements qu'on devine à voir les faces pales, brunes, meurtries, usées et les bras musculeux, les rudes biceps des forgerons. Comme aujourd'hui vivaient alors dans ces logis ces ouvriers que le peuple parisien appelle énergiquement des gueules noires. Souvent, un soldat blessé, un éclopé des dernières guerres, volontaire de Hoche ou de Pichegru, de Sambre-et-Meuse ou du Rhin, passait par là, le bras en écharpe, un appareil soutenant sa mâchoire ou claudicant sur sa jambe de bois[48]. Il faisait foule, on l'entourait. S'il était du faubourg, on le fêtait, on lui demandait ses campagnes, on lui rappelait le jour du départ. Avait-on oublié les paroles de Danton aux faubouriens : Filles et femmes du faubourg Antoine, qu'il ne trouve pas un cotillon pour lui, le j... f..... qui resterait ici au lieu de marcher à la frontière ![49] Il avait été proposé, dit Mercier, que toute sentinelle porterait les armes au passage de tout soldat estropié. C'eût été bien. Mais, loin de les saluer, les muscadins insultaient ces blessés. Les habits bleus étaient les uniformes détestés des soldats de Fréron, plus encore que des grenadiers de Brunswick. On le savait au faubourg, et l'ovation faite au soldat républicain souffletait le muscadin qui paradait sur le boulevard, appuyé sur son bâton jaune. La haine du muscadin s'exaltait de jour en jour parmi le peuple. Les jeunes gens en bas blancs ne s'étaient-ils pas avisés de terroriser Paris à leur tour et de mettre les républicains à la raison ? Piètres héros, ces défenseurs en habit carré du trône renversé et de l'autel restauré ! Muscadins ! Ce surnom leur était un jour tombé comme un projectile du haut de la tribune de la Convention. Chabot, exaspéré, les avait ainsi nommés, tous les inutiles et les fainéants de la. république, gens épris de costume et de parure à l'heure où se débattait le salut du monde, réacteurs de par leur tempérament et leur humeur efféminée, lâches et mous d'ailleurs, ne se risquant à attaquer leur ennemi que lorsqu'il était isolé, faible ou malade ; jeunes hommes sucrés, parfumés, ambrés, poudrés, musqués, aux allures louches et qu'un coup de tambour, dit un contemporain, métamorphose en femmes. Les gravures du temps nous les montrent bizarrement vêtus d'étoffes rayées, claires, voyantes, jaunes ou vert pomme, l'habit carré gris ou bleu de ciel, les cheveux poudrés, en oreilles de chiens ou en cadenettes, des pendants aux oreilles, la culotte courte, collante et les bas chinés, avec bottes montant aux mollets ou escarpins découverts et jarretières flottantes. Une cravate gigantesque, orange ou verte, enfouit leur cou, coupe en deux le menton ; le chapeau à larges bords contournés et gondolés ou le tricorne à cocarde est planté sur l'oreille, se tient comme par miracle sur la chevelure enfarinée. Le lorgnon est typique, un monocle énorme et insolent. Ces mains de femmes portent des cannes noueuses, parfois des gourdins, et ne semblent faites que pour manier tout au plus la quenouille. Les muscadins ont le collet noir, c'est leur signe de ralliement. Tout collet noir proteste, réagit, est l'adversaire naturel des habits bleus, l'ami des rois, le dompteur des brigands. Ils promènent leur toilette hybride, leur grasseyement enfantin, leur allure pâmée dans les boudoirs et les coulisses, à Feydeau, chez Garchy, dans les maisons de jeu, auprès des femmes demi-nues, sur les coussins des courtisanes et jusque dans les tribunes de la convention, où ils vont entendre un discours de Louvet comme ils écouteraient une romance d'Elleviou. Méritent-ils vraiment les colères de l'histoire ? Oui,, car ils étaient les émules et les complices de ces compagnons du soleil ou de Jéhu, assassins de par le droit divin, groupe de meurtriers qui prétendaient arrêter la marche de la république comme le bandit arrête la diligence lancée sur le grand chemin, Carriers de la réaction, comme on les a nommés, qui pastichaient septembre en massacrant dans les prisons, chauffaient les républicains, tiraient à mitraille sur les cachots, fouettaient et poignardaient les femmes, et prenaient pour commettre leurs crimes la livrée du deuil du dernier roi. Ils tuaient à Tarascon, ils tuaient à Beaucaire, ils tuaient à Marseille, ils tuaient à Sisteron, ils tuaient à Eyragues, ils tuaient et jetaient au Rhône les mathevons de Lyon. Ces affamés de plaisirs dansaient non sur un volcan, mais sur des cadavres. La terreur blanche était plus rouge que la première. A Paris, ils auraient fait de même, mais, quoique vaincus et terrassés, les jacobins fascinaient et intimidaient encore leurs adversaires en bas de soie. Ceux-ci trônaient au café de Chartres, au Palais-Royal. Il eût suffi d'un détachement de patriotes pour dissiper cette réunion muscadino-royaliste du boulevard, foyer de conspiration, qu'on appelait déjà le sénat de Pilnitz. Quand ils se trouvaient en nombre supérieur, les collets noirs assommaient les collets verts d'un coup de ce bâton qu'ils nommaient en riant leur pouvoir exécutif. A nombre égal, ils lâchaient pied, cédaient le terrain et se retiraient en zézayant et se dandinant. Ils allaient tout couper, paole d'honneu panassée ; arrivait un groupe de citoyens coiffés à la Brutus, crânes tondus, protestant contre la farine dépensée à blanchir une tête quand elle devrait nourrir un estomac, et les fiers-à-bras de Fréron laissaient, sans combat, le champ de bataille aux carmagnoles. Mais, reculant devant la lutte, ils n'hésitaient pas devant le meurtre, et savaient brûler la cervelle au jacobin qui marchait seul, ruminant ses déceptions et ses colères, ou faire pleurer la femme du peuple, qu'ils fouaillaient — eux, des hommes — en l'appelant tricoteuse. Béranger, qui les avait vus, ces paladins en habit vert-bouteille, ignorants et énervés, qui, pour tout professeur, n'avaient pris que des professeurs de nœuds de cravates, Béranger, que ces façons bizarres, ces mœurs d'alcôves transportées dans la rue avaient écœuré, voulut les peindre, tels qu'il les avait rencontrés, dans une comédie qui ne fut pas achevée, et il les appela, lui, non pas les muscadins, non pas les petits sucrés, mais les hermaphrodites. C'est bien le nom qui convient à cette race éternelle, sans moelle et sans force, sans substance cérébrale, au sang appauvri, eunuques avachis, qui n'ont d'énergie que pour le plaisir ; race sans foi, sans pensée, qui nie, insulte et combat ce qu'elle ne comprend point, triomphe du zèle des bons par son indifférence ou sa plate raillerie, et représente l'indestructible obstacle contre lequel se brisent trop souvent les mâles énergies et les nobles dévouements. Ils avaient fini d'ailleurs par pousser à bout ce peuple qui mourait de faim et tombait de misère. Souffrir de la famine, c'était bien. Il eût patienté peut-être, mangeant des harengs pourris et du sang de bœuf pris à la devanture des bouchers. Mais être insulté, menacé, assommé par ce bataillon d'hommes dorés embauchés par Fréron, c'était trop. C'était trop, et des politiques moins aveugles que les thermidoriens eussent compris, aux lueurs des regards, aux froncements des sourcils, aux menaces muettes et aux plaintes affichées, la nuit, sur les murailles, et jusque sur la porte de l'assemblée, aux chansons on ne sait d'où venues et par tous répétées, aux refrains grondants, à je ne sais quelle électricité qui se dégage des foules poussées à bout comme des nuages gonflés pour l'orage, que le moment était venu où Paris allait voir se lever ce que Camille Desmoulins appelait les jours caniculaires du faubourg Antoine. |
[1] Le comte Beugnot, dans ses Mémoires, parle avec un surprenant sans-façon de certain quiproquo qui donne bien le ton de cette révolution et de la justice des thermidoriens. Un jeune médecin, mandé à la Commune dans la nuit du 9 au 10, y fut cerné, arrêté et emmené à l'échafaud sans explications.
[2] V. ce discours dans le Journal de Paris.
[3] Paris en 1795.
[4] Interrogatoire de Brutus Potager. (Archives, C. W2 548.)
[5] Le Démocrite, journal de Magnier.
[6] Archives. Dossier de l'affaire de prairial.
[7] Le Démocrite, journal de Magnier.
[8] Le Démocrite, journal de Magnier (n° 6).
[9] Journal de Le Bois, l'Ami du peuple.
[10] Paris pendant l'année 1795, par Peltier (de l'imprimerie de T. Baylis, Greville street, Londres).
[11] Paris pendant l'année 1795, par Peltier (de l'imprimerie de T. Baylis, Greville street, Londres).
[12] Paris pendant l'année 1795, par Peltier (de l'imprimerie de T. Baylis, Greville street, Londres).
[13] V. le Courrier français.
[14] Journal de Magnier.
[15] Lettre de Magnier père à Brutus Magnier. — Le louis allait valoir bientôt 500, 600, 900, 1.000, jusqu'à 1.100 livres et plus encore.
[16] V. le journal de Magnier.
[17] V. le Moniteur. L'accusation de Lecointre ne comprend pas moins de vingt-sept griefs.
[18] Tallien.
[19] Moniteur.
[20] Pendant deux jours les carrosses se pressèrent à la porte de Lecointre, et le député reçut, avec colère peut-être, les remerciements des émigrés.
[21] Les Crimes de sept membres des anciens comités de salut public et de sûreté générale, ou Dénonciation Tonnelle à la Convention nationale contre Billaud-Varennes, Barère, Collot-d'Herbois, Vadier, Vouland, Amar et David, par Laurent Lecointre.
[22] V. défense de Vadier.
[23] Moniteur.
[24] Journées mémorables de la révolution, 12 germinal an III, Paris, Audin, libraire, 1827.
[25] Moniteur.
[26] V. l'Orateur du peuple, brumaire 1795.
[27] V. Ernest Hamel, Histoire de Robespierre, t. III.
[28] La Vendée en 1793.
[29] Eugène Bonnemère, La Vendée en 1793.
[30] Moniteur.
[31] Moniteur.
[32] Ce fut lui qui, seul de la ville de Versailles, sur la liste consulaire écrivit : Non.
[33] Dufey (de l'Yonne).
[34] Réponse des membres des deux anciens comités de salut public et de sûreté générale aux imputations renouvelées contre eux par Laurent Lecointre de Versailles, et déclarées calomnieuses par décret du 13 fructidor dernier.
[35] Premier Mémoire des membres des anciens comités (collection Rondonneau).
[36] Premier Mémoire (collection Rondonneau), rédigé sans doute par D. Barère.
[37] J.-M. Collot à ses collègues.
[38] J.-M. Collot à ses collègues.
[39] Collot à ses collègues.
[40] Voyez un superbe tableau des actes des comités dans le livre énergique de M. Alphonse Peyrat, la Révolution (Michel Lévy, 1866).
[41] Réponse de Billaud aux inculpations qui lui sont personnelles.
[42] Réponse des membres des deux anciens comités de salut public et de sûreté générale aux imputations renouvelées contre eux par Laurent Lecointre, de Versailles, et déclarées calomnieuses par décret du 13 fructidor dernier. Ce mémoire est signé Barère, Collot, Billaud.
[43] Robert Lindet, représentant du peuple, à la Convention nationale.
[44] Soubrany reproche plus loin à Legendre de vivre avec la courtisane Contat, ancienne maîtresse du comte d'Artois.
[45] Dix-sept lettres de Soubrany, lettre à Dubreuil.
[46] Moniteur.
[47] Moniteur.
[48] Que d'hommes sans bras, sans jambes, que d'hommes sans nez, sans menton, sans bouche ! L'on ne découvre partout que des traces hideuses des cruautés de la guerre. Ô détestables rois qui vous êtes ligués contre notre république naissante ! (Sébastien Mercier, Paris pendant la révolution, ou le Nouveau Paris.)
[49] La mémoire de Danton ne surnageait pas. Chose bizarre ! Cet orateur au timbre populaire avait moins saisi le peuple que le correct et quasi-aristocratique Robespierre. (V. là-dessus Buonarotti.)