Étude sur les dernières luttes religieuses en Occident au quatrième siècle – par Gaston Boissier
Je n’ai pas la prétention d’écrire une histoire complète de la fin du paganisme. Ce sujet, pris dans toute son étendue, serait trop vaste pour tenir en deux volumes. J’ai voulu seulement en raconter les principaux incidents et insister sur ceux qui m’ont paru présenter le plus d’intérêt pour nous.
C’est ainsi que j’ai cherché surtout à montrer de quelle manière le christianisme s’accommoda de l’art et des idées antiques et comment s’est opérée chez lui, au 4ème siècle[1], la fusion des éléments anciens et nouveaux. La solution de ce problème, qui avait tant d’importance pour l’avenir du monde, est, on le verra, le principal objet de cet ouvrage.
Pour résoudre cette question délicate j’ai dû beaucoup me servir des oeuvres des orateurs et des poètes du temps. J’aurais pu me contenter, comme on le fait d’ordinaire, d’aller chercher chez eux les citations dont j’avais besoin pour établir mes opinions. J’ai fait davantage : je les ai étudiés pour eux-mêmes, dans leur vie et dans leurs œuvres. Il m’a semblé que le témoignage aurait plus d’autorité si nous connaissions mieux le témoin. Quelques-uns de ces écrivains ont eu des disciples et lassé une école ; d’autres se sont faits les interprètes de beaucoup de leurs contemporains. J’ai cru que les étudier à fond était le seul moyen de faire revivre devant nous les groupes qu’ils représentaient. La littérature se trouve ainsi nous donner des leçons d’histoire : je l’ai interrogée autant que je l’ai pu, et je l’ai laissée répondre à son aise ; il n’y a presque pas de grand écrivain au 4ème siècle, chrétien ou païen, dont je n’aie été amené à m’occuper. Voilà comment une étude, historique à son origine, est devenue souvent une œuvre de critique littéraire.
Peut-être ai-je un peu trop négligé le récit des événements politiques. C’est un tort, car ils expliquent plus d’une fois les révolutions religieuses. Je renvoie, pour les mieux connaître, aux historiens qui en ont fait une étude particulière, surtout à M. le duc de Broglie[2] et à M. Duruy[3].
Le sujet que je traite n’est pas nouveau. Je dois beaucoup à ceux qui s’en sont occupés avant moi, depuis Beugnot[4] jusqu’à M. Schultze[5]. Les savantes dissertations dont M. de Rossi a rempli son Bulletin d’archéologie chrétienne m’ont été aussi fort utiles. Si j’avais voulu le citer toutes les fois que je me suis servi de lui, son nom reparaîtrait presque au bas de toutes les pages.
Je tiens à dire, avant de commencer, que j’ai abordé ce travail sans opinion préconçue et que je l’ai pour suivi avec une entière liberté d’esprit. Je ne me suis jamais préoccupé des discussions que suscitent autour de nous les questions religieuses. J’ai essayé de me faire le contemporain des temps dont je raconte l’histoire, et le plaisir que j’ai trouvé à vivre au milieu des événements du passé m’a permis de fermer l’oreille aux querelles d’aujourd’hui.
[1] Le 4ème siècle reste le centre de mes études, mais je me suis permis de suivre les querelles commencées jusqu’au milieu du 5ème.
[2] L’Église et l’empire romain au 4ème siècle.
[3] Histoire romaine, t. VII.
[4] Histoire de la destruction du paganisme en Occident.
[5] Geschiehte des Untergangs des griechisch-rômischen Heidentume.