La religion romaine d’Auguste aux Antonins

 

Gaston Boissier — de l’Académie française – 1909.

 

 

PRÉFACE

INTRODUCTION

CHAPITRE PREMIER

CARACTÈRE GÉNÉRAL DE LA RELIGION R0MAINE 

I. De quelle manière les Italiens et les Romains ont conçu la Divinité. - Religion des Italiens. - Pauvreté de leurs légendes. - Religion des Romains. - Les dieux des Indigimenta. - Caractère des dieux romains.

II. Le sentiment religieux chez les Romains. - Pourquoi Rome n'est pas devenue une théocratie. - Importance du culte. - Caractère minutieux et formaliste des pratiques. - La religion romaine se méfie de la dévotion. - Elle diminue le rôle du prêtre. - Elle chercha à calmer les âmes. - Façon dont les Romains comprennent les rapports de l'homme avec Dieu. - Efforts tentés par les théologiens romains pour rassurer les consciences et diminuer les scrupules. - Succès qu'obtinrent les efforts.

III. Opinion favorable des Grecs sur religion romaine. - Raisons de cette opinion : la religion romaine accoutume à la discipline et à l'obéissance. - Elle est plus morale que celle des Grecs. - Elle se prête mieux aux interprétations philosophiques.

CHAPITRE DEUXIÈME

LA RELIGION ROMAINE À LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE

I. La religion romaine s'altère sous la république. - Causes des changements qu'elle subit : son mélange avec la religion grecque. - Indifférence ou hostilité des plébéiens. - Attaques des poètes. - Résultat de ces attaques.

II. Tentatives pour arrêter la décadence de la religion romaine. - Scipion Émilien et ses amis. - Leurs opinions religieuses. - Séparation qu'on établit entre l'homme et la citoyen, entre les sentiments qu'il est permis d'avoir dans la vie privée et ceux qu'il faut exprimer dans la vie publique. - Conséquences de cette séparation. - Opinions religieuses de Cicéron. - Indifférence ou incrédulité de la société de Rome à la fin de la république.

LIVRE PREMIER — LA RELIGION ROMAINE PENDANT LE RÈGNE D'AUGUSTE

CHAPITRE PREMIER

RÉFORMES RELIGIEUSES ET MORALES D'AUGUSTE

I. Politique d'Auguste au sujet de la religion romaine. - Était-il un croyant sincère ? - Il conçoit le projet d'appuyer son gouvernement sur la religion. - Signification religieuse du nom d'Auguste.

II. Ce qu'Auguste fit pour la religion romaine. - Respect qu'il témoigne pour elle. - Il rebâtit les temples. - Il remet en honneur les anciens usages. - Cultes nouveaux qu'il établit. - Vénus Mère. - Mars Vengeur. - Apollon Palatin. - Ses réformes morales. - Lois Juliennes. - Succès qu'obtinrent d'abord ses institutions morales et religieuses. - Jeux séculaires.

III. Ce que la religion romaine a fait pour Auguste. - L'empereur est associé à tous les sacerdoces. - Il est nommé grand pontife. - Union de l'autorité civile et de la puissance religieuse. - Dangers de cette union. - Fêtes nouvelles qu'on célèbre en l'honneur d'Auguste. - Son nom est introduit dans les fêtes anciennes. - Ce que le caractère religieux ajoute au pouvoir impérial. - Comment ce caractère fut accepté du peuple et des gens éclairés.

CHAPITRE DEUXIÈME

L'APOTHÉOSE IMPÉRIALE

I. Précédents de l'apothéose impériale. - En Égypte. - En Grèce. - À Rome. - Croyance que les morts sont des dieux. - Opinion des philosophes que les âmes des sages montent au ciel.

II. Naissance de l'apothéose impériale. - Honneurs accordés à César pendant sa vie. - Ses funérailles. - Le peuple lui élève un autel. - Sa divinité est officiellement reconnue par le sénat.

III. Effet produit par l'apothéose de César. - Sextus Pompée et Antoine se font donner les honneurs divines. - Prudence d'Octave. - Il permet aux provinces de lui élever des temples en compagnie de la déesse Rome. - Il le tolère en Italie. - Il le défend à Rome. - Efforts faits à Rome pour le décider à se laisser adorer. - Culte qu'on rend à son génie. - Les Lares augusti. - Politique d'Auguste au sujet de l'apothéose. - Caractère qu'elle prend chez les Romains. - Auguste reçoit les honneurs divins après sa mort par un décret du sénat.

IV. Conséquences politiques de l'apothéose impériale. - Le culte des Césars dans les provinces. - Assemblées provinciales qui se forment autour des temples de Rome et d'Auguste. - Prérogatives qu'elles s'attribuent. - Caractère du culte de Rome et d'Auguste dans les provinces. - Importance que prennent les prêtres de la province dans la hiérarchie sacerdotale. - Le culte des Césars dans les municipes. - Dernier échelon du culte impérial, les Augustales.

V. Caractère religieux de l'apothéose impériale. - Les hommages que reçoivent les empereurs étaient-ils sincères ? - Les provinciaux. - Les soldats. - La société éclairée de Rome. - De quelle façon fut acceptée à Rome l'apothéose d'Auguste. - Apothéose de Claude. - Discrédit de l'apothéose. - Sénèque et Lucain. – L’apothéose mieux accueillie sous les Antonins. - Quel sens y attachent les gens éclairés. - Résistance des Juifs et des Chrétiens au culte des Césars. - L'apothéose est conservée sous Constantin et ses premiers successeurs. - Ce qui en reste dans les sociétés modernes.

CHAPITRE TROISIÈME

LE SIÈCLE D'AUGUSTE

I. Admiration des contemporains pour les institutions d'Auguste. - Était-elle sincère ? - Contradictions dans lesquelles tombent les écrivains qui les célèbrent. - Tite-Live. - Les Odes d'Horace. - Raisons qui font croire que les réformes d'Auguste n'ont pas eu de résultat.

II. Autre aspect du siècle d'Auguste. - Goût sérieux pour la philosophie. - Les Épîtres d'Horace. - Admiration sincère du passé du Rome. - Sentiment profond de la décadence. - Craintes pour l'avenir et ennui du présent. - Dispositions favorables au succès des réformes d'Auguste.

CHAPITRE QUATRIÈME

VIRGILE

I. Virgile est, de tous les écrivains, celui qui a le mieux servi les desseins d'Auguste. - Premières années de Virgile. - Ses dispositions naturelles. - Influence d'Auguste sur lui. - Les Géorgiques.

II. L'Énéide. - En quoi elle servait les desseins d'Auguste. - L'Énéide est un poème religieux. - Opinion des critiques anciens. - Sujet véritable de l'Énéide. - Caractère d'Énée.

III. La religion de Virgile. - Elle est un mélange d'éléments divers. - Éléments antiques : Plaisir qu'éprouve Virgile à revenir aux plus anciennes croyances. - Éléments modernes : Modifications qu'il fait subir à la mythologie d'Homère pour la rendre conforme aux idées de son temps. - Virgile semble pressentir les croyances de l'avenir. - Rapports de la religion de Virgile avec le Christianisme. - La quatrième églogue. - En quel sens on peut dire que Virgile était pour le Christianisme une sorte de précurseur.

CHAPITRE CINQUIÈME

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ÉNÉIDE

I. Croyance des anciens Romains à la persistance de la vie.- Comment ils se représentaient d'abord la vie future. - Introduction à Rome des croyances étrangères. - Opinion des Étrusques. - Légendes grecques. - Systèmes des philosophes. - L'épicurisme. - Raisons de son succès. - Pourquoi il est en décadence au commencement de l'empire.

II. La sixième livre. - D'où viennent les incohérences qu'on y remarque. - Entrée d'Énée dans les enfers. - Le Tartare. - L'Élysée. - Le système du monde. - Difficulté d'accorder ensemble les diverses parties du sixième livre.

III. Influence du sixième livre sur les contemporains. - Lee Romains de l'empire croyaient-ils à la vie future ? - Renseignements que nous donnent à cet égard les inscriptions. - Idée qu'on se faisait de cette autre existence. - La prière pour les morts dans le paganisme. - Ce qu'il y avait de nouveau dans la sixième livre. - Rapprochements entre les opinions de Virgile et les doctrines chrétiennes.

LIVRE SECOND — LA RELIGION APRÈS AUGUSTE

CHAPITRE PREMIER

CE QUI RESTA DES RÉFORMES D'AUGUSTE

Politique des successeurs d'Auguste au sujet de la religion.- Tibère et Claude. - Vespasien et la reconstruction du Capitole. - Les Antonins. - Persistance des anciens rites dans les corporations religieuses. - Les frères Arvales. - Leur dévouement dynastique. - Célébration de la fête de mai. - Les éléments anciens et les éléments nouveaux dans la religion romaine au IIe siècle.

CHAPITRE DEUXIÈME

LES RELIGIONS ÉTRANGÈRES

I. Comment les Romains traitaient les dieux des nations vaincues. - Les religions de l'antiquité n'ont pas connu le prosélytisme et l'intolérance. - Tendance de tous les cultes anciens à s'unir entre eux.

II. Les religions étrangères à Rome. - De quelle façon elles s'y propagent. - Facilités qu'elles trouvent à s'y établir. - Lois promulguées contre elles. - Comment elles sont appliquées. - Politique de l'empire à leur égard. - Quels étaient les cultes étrangers pratiqués à Rome au IIe siècle.

III. Caractère commun de tous les cultes orientaux. - Importance attribuée au prêtre. - Influence des femmes. - Recherche des émotions religieuses. - Purifications et expiations. - Tauroboles. - Mystères.

IV. Popularité des cultes étrangers sous l'empire. - Raisons qui les firent bien accueillir. - Facilité qu'ils montrent pour s'accorder entre eux. - Leurs prévenances envers la religion romaine. - Ce qu'avaient au fond de commun la religion romaine et les cultes étrangers. - Cultes intermédiaires qui servirent à les relier. - Comment les cultes étrangers en pénétrant dans la religion romaine la modifièrent. - Changements qu'ils subiront eux-mêmes à Rome. - Union de toutes les religions au IIe siècle. - Le Judaïsme et la Christianisme restent seuls volontairement en dehors de cette union.

CHAPITRE TROISIÈME

LA PHILOSOPHIE ROMAINE APRÈS AUGUSTE

Impopularité de la philosophie pendant la république. - Elle se rétablit définitivement à Rome qu'avec Cicéron. - Résumé des doctrines religieuses et morales de Cicéron. - Elles sont le fond sur lequel a vécu la philosophie romaine pendant le Ier siècle de l'empire. - Caractère nouveau que prend l'enseignement philosophique à partir d'Auguste. - La philosophie sous Tibère. - L'éducation de Sénèque.

CHAPITRE QUATRIÈME

L'ENSEIGNEMENT DE SÉNÈQUE

I. Comment la situation politique de Sénèque a pu servir au succès de son enseignement. - Il se concilie l'opinion publique par ses premiers écrits. - Ce qu'il fait pour conserver sa popularité quand il est au pouvoir. - Attaques dont il est l'objet et réponses qu'il y oppose. - Sa disgrâce et sa mort.

II. Caractère de l'enseignement de Sénèque. - Il préfère la direction à la prédication. - Il ne veut qu'un petit nombre de disciples choisis. - Il les prend parmi les gens du monde. - Comment les qualités de son esprit le rendaient propre à cette façon d'enseigner.

III. L'enseignement de Sénèque s'enferme dans la morale. - Caractère de la morale de Sénèque. - Elle est moins sévère qu'elle ne le paraît. - Affection qu'il inspire à ses disciples. - Résultat de son enseignement.

CHAPITRE CINQUIÈME

SÉNÈQUE ET SAINT PAUL

I. Sénèque a-t-il connu saint Paul ? - Comment a-t-on été amené à imaginer qu'ils ont eu des rapports ensemble ? - Leur correspondance apocryphe. - Raisons qu'on donne pour supposer qu'ils ont dal se connaître. - Réponses qu'on fait à ces raisons. - Le Christianisme était-il aussi ignoré au Ier siècle qu'on le prétend ?

II. Sénèque a-t-il emprunté ses doctrines à saint Paul ? - Éclectisme de Sénèque. - Ses irrésolutions sur la nature de Dieu et de l'âme. - Conclusions qu'on en tire. - Réponse à ces conclusions. - Peut-on voir dans les écrits de Sénèque à quel moment il a connu le Christianisme ? - Les ressemblances qu'on signale entre ses doctrines et celles de l'Église sont-elles aussi réelles qu'on le suppose ? - De quelle manière on peut expliquer ces ressemblances.

III. Sénèque aurait-il été favorable au Christianisme s'il avait connu ? - Services qu'il lui rend sans le savoir. - Impulsion qu'il donne aux âmes. - Attaques contre la mythologie. - Il n'est pas seulement l'ennemi des cultes populaires, il l'est aussi en général des religions positives. - Quelles étaient les dispositions d'esprit qui préparaient ordinairement à devenir chrétien ? - En quoi Sénèque cède et en quoi il résiste aux influences religieuses de son temps.

CHAPITRE SIXIÈME

LA PHILOSOPHIE ROMAINE APRÈS SÉNÈQUE

Popularité de la philosophie à Rome et dans les provinces sous les Antonins. - Elle continue à s'occuper surtout de la morale. - Importance qu'elle laisse prendre à la casuistique et à la rhétorique. - Pourquoi elle parle plutôt grec que latin. - Elle se rapproche de plus en plus des religions populaires. - Epictète. - Apulée.

CHAPITRE SEPTIÈME

LA THÉOLOGIE ROMAINE

I. Éloignement naturel des Romains pour la théologie. - Comment ils furent amenés à s'en occuper. - Travaux accomplis sur la religion romaine par les jurisconsultes et les grammairiens. - L'école de Varron. - Caractère et importance de cette école.

II. Systèmes imaginés par les philosophes pour interpréter les religions populaires. - L'évhémérisme. - Pourquoi il est bien accueilli des Romains. - École stoïcienne. - Efforts qu'elle fait pour se répandre. - De quelle manière elle accepte les dieux et les légendes de la mythologie. - Affinités naturelles de la théologie des stoïciens et de la religion romaine. - Son succès à Rome pendant tout l'empire.

III. La théologie platonicienne. - En quoi elle se distingue de celle des autres écoles. - Doctrines d'Apulée, qui la popularisa à Rome. - Les démons. - Comment leur intervention permet d'accepter et d'expliquer toutes les fables de la mythologie. - Les Pères de l'Église acceptent les données principales de la théologie platonicienne.

LIVRE TROISIÈME — LA SOCIÉTÉ ROMAINE DU TEMPS DES ANTONINS

CHAPITRE PREMIER

LES CLASSES ÉLEVÉES

I. Jugements contradictoires que les écrivains de cette époque portent sur leurs contemporains. - Difficulté qu'on éprouve à apprécier son temps. - Opinion de Juvénal. - Ce qui doit la rendre suspecte. - Opinion de Pline le Jeune. - Pourquoi il convient de la préférer.

II. Défauts que la lecture de Pline fait découvrir dans la haute société de ce temps. - Apathie politique. - Pédantisme littéraire. - Croyance à l'astrologie et à la magie. - Qualités qu'il est difficile de lui refuse. - Cette société est devenue plus religieuse et plus simple.- Grand nombre d'honnêtes gens qu'on y trouve.

III. Idée élevée que les moralistes de ce siècle se font du devoir et de la vertu. - Théories morales de Juvénal. - Conséquences pratiques qu'ont eues ces théories. - Le sort de l'esclave est adouci. -On se préoccupe de l'éducation des enfants. - Établissement d'écoles publiques. - On prend souci des pauvres. - Les institutions alimentaires de Trajan. - Comment on pratique alors la bienfaisance dans les classes élevées.

CHAPITRE DEUXIÈME

LES FEMMES

I. La situation des femmes dans la société romaine était-elle aussi mauvaise qu'on le suppose ? - Égards qu'on leur témoigne dans la maison. - Importance qu'elles prennent dans la vie publique. - Sous l'empire, elles ont part au gouvernement. - La philosophie continue à leur être contraire. - Dans la pratique, leur condition devient presque égale à celle des hommes. - Usage qu'elles font du droit d'association.

II. Attachement des femmes romaines à la religion de leur pays. - Part que leur fait cette religion. - Cultes qui leur sont réservée. - Services que la religion essaye de leur rendre. - Elle rend le mariage plus solennel et plus sérieux. - Elle leur donne l'occasion d'être plus libres et plus importantes. - Comment peut-on expliquer que les Romaines, si attachées à leur religion nationale, aient embrassé avec tant d'ardeur les cultes étrangers ?

III. Les Romaines de l'empire méritent-elles les reproches que leur font les moralistes de leur temps ?. - Idée que les anciens Romains se faisaient de la femme. - Éducation qu'ils lui donnaient. - Conséquences de cette éducation. - Façon de vivre des Grecs dans leur famille. - Les Romains commencent à imiter la facilité des mœurs grecques. - Ce qui les arrêta dans cette imitation. - Changement dans l'éducation et les habitudes des femmes sous l'empire. - Ce changement explique pourquoi les moralistes leur sont si sévères. - Que faut-il penser des reproches qu'ils leur adressent ? - Démentis que se donnent à eux-mêmes Sénèque et Tacite.

CHAPITRE TROISIÈME

LES CLASSES INFÉRIEURES ET LES ASSOCIATIONS POPULAIRES

I. Attachement du peuple à ses dieux. - Divinités et fêtes populaires. - Comment et par qui les cultes étrangers se répandent dans le peuple. - Caractère de la dévotion du peuple des campagnes.

II. Origine des associations romaines. - Elles sont tolérées pendant la république. - Restrictions que l'empire apporte au droit de s'associer. - Ces restrictions n'empêchent pas les associations de devenir plus nombreuses. - Classifications qu'on peut établir entre elles. - Associations ouvrières et industrielles. - En quoi elles diffèrent de nos corporations. - Ressemblances que présentent toutes les associations romaines.

III. Comment se formaient les associations. - Règlements qu'elles se donnaient. - La loi du collège. - Élection des chefs. - Rédaction de l'album. - Choix du lieu de réunion. - La chapelle de la schola. - Caractère religieux des associations romaines.

IV. Les associations romaines se rattachent à la religion par le soin qu'elles prennent de la sépulture des associés. - Collèges funéraires. - Les columbaria. - Collèges dont les membres prennent la titre de cultores deorum. - Comment les collèges funéraires se fondent. - La loi des adorateurs de Diane et d'Antinoüs. - Comment ils finissent.

V. Les collèges funéraires sont autorisés par un sénatus-consulte au Ier siècle. - Conséquences de cette autorisation. - Réunions mensuelles des associés. - Réunions irrégulières pour motifs religieux. - Les repas de corps. - De quelle manière les associations subviennent aux dépenses de leurs repas communs. - Choix des pafroni. - Honneurs qu'on leur prodigue. - Libéralités qu'ils font aux associés. - Devoirs qu'ils leur imposent envers leur tombe et leur mémoire.

VI. L'habitude des repas communs resserre les liens qui unissent les associés. - Fraternité qui règne dans les collèges. - Services qu'ils ont rendus aux classes laborieuses et aux esclaves. - Sont-ils jamais devenus de véritables sociétés de secours mutuels ? - Les collèges formés par les soldats sont ceux qui paraissent se rapprocher le plus de nos sociétés charitables. - Les associations païennes et le Christianisme.

CHAPITRE QUATRIÈME

LES ESCLAVES

I. Comment l'esclave entre dans la famille. - Sources de l'esclavage à Rome. - Grand nombre des esclaves dans les maisons romaines. - Comment on les faisait vivre. - A quoi on les employait. - Conséquences pour le maître de ce grand nombre de serviteurs.

II. Rapports de l'esclave avec le maître. - La loi donne au maître toute sorte de droite sur lui. - L'humanité corrige les rigueurs de la loi. - La religion traite favorablement l'esclave. - Dévotion des esclaves. - La philosophie et l'esclavage. - Adoucissement du sort des esclaves sous les Antonins. - L'esclave des champs. - L'esclave de la ville. - Comment il supporte son sort. - L'esclavage antique et l'esclavage moderne.

III. Rapporte des esclaves attire eux. - Hiérarchie entre les esclaves. - La maison d'un riche Romain ressemble à une cité. - Le mariage de l'esclave. - L'esclave sa fait une famille. - Le mariage entre les esclaves et les maîtres.

IV. Comment l'esclave sort de la famille. - Mort et sépulture des esclaves. - Affranchissement payé. Affranchissement gratuit. - Influence détestable de l'esclavage sur la société romaine. - Personne dans l'antiquité n'a eu l'idée de l'abolition de l'esclavage.

CONCLUSIONLA RELIGION ROMAINE AU IIe SIÈCLE

 

I. Réformes accomplies dans la religion romaine au Ier siècle. - Elles n'atteignent pas les rites et les pratiques du culte. - De quelle manière et par quelle influence la religion se modifie. - La philosophie essaye de ramener la polythéisme à l'unité de Dieu. - Elle travaille à rendre les religions populaires plus morales. - Elle introduit des opinions nouvelles sur la nature de Dieu et la culte qu'il faut lui rendre. - Les progrès religieux accomplis alors par la société païenne doivent-ils être attribuée à l'influence du Christianisme ? - Comment ces progrès ont permis aux gens éclairés de rester plus longtemps fidèles à L'ancienne religion.

II. Ce qu'il y a d'imparfait et d'incomplet dans toutes ces réformes religieuses. - On ne parvient pas tout à fait à s'entendre sur l'unité de Dieu. - On ne corrige pas entièrement l'immoralité des cultes antiques. - La dévotion populaire reste matérielle et intéressée. - La philosophie ne fait pas assez d'efforts pour éclairer le peuple. - L'enseignement des cyniques et le peu de résultats qu'il obtient. - Dans les classes élevées, besoin de croyances précises et certaines que la philosophie et la religion ne peuvent satisfaire.

III. Comment le Christianisme achève l'œuvre commencée par la philosophie. - Services que lui rend le mouvement philosophique et religieux du Ier siècle. - Conclusion.

 

 

PRÉFACE

Un lecteur qui passerait brusquement de l’étude des lettres de Cicéron à celle de la correspondance de Marc-Aurèle se trouverait dans un monde nouveau. En deux siècles, la société romaine est entièrement changée ; et de tous les changements qu’elle a subis, l’un des plus remarquables et des moins attendus, c’est qu’elle a passé de l’incrédulité à la dévotion.

La religion est tout à fait absente des lettres que s’écrivent Cicéron et ses amis ; on n’y trouve pas un mot qui la rappelle. Elle tenait sans doute une certaine place dans la vie de ces grands personnages, qui appartenaient d’ordinaire à quelque collège de prêtres et qui accomplissaient régulièrement leurs fonctions sacrées, mais elle n’en avait pas dans leur cœur : ils étaient presque tous sceptiques ou indifférents. Au contraire, quand Marc-Aurèle et son maître s’écrivent, le nom des dieux revient à tout moment dans leurs lettres. Ils ne forment pas un projet sans ajouter : si les dieux le veulent. Nous partirons de Rome avec l’aide des dieux... Grâce aux dieux, nous nous portons bien[1]. La joie de Fronton éclate quand il apprend que Verus, le frère de l’empereur, qui venait d’être très malade, est guéri. A cette bonne nouvelle, dit-il[2], je me suis rendu dans les chapelles, au pied de tous les autels, et, comme j’étais à la campagne, j’ai visité tous les bois, j’ai fait mes dévotions à tous les arbres consacrés aux dieux. Marc-Aurèle partage les sentiments de son maître et s’exprime comme lui. La santé des siens, qui le préoccupe toujours, amène sans cesse le nom des dieux sous sa plume : Tous les matins je les prie pour Faustine ; nous dit-il[3]. Et ailleurs[4] : La maladie de ma mère ne me laisse aucun repos, et voici de plus que les couches de Faustine approchent ; mais il faut mettre sa confiance dans les dieux, sed confidere dis debemus. Tout ce que nous savons de la société de ce temps confirme l’opinion que nous en donne cette correspondance. La religion s’y mêle à tout, même à ce qui lui avait été d’abord le plus contraire. A l’époque de Cicéron, la philosophie était en général incrédule, et l’on regardait comme une vérité démontrée que ceux qui s’en occupent ne croient pas à l’existence des dieux[5]. Au IIe siècle, les philosophes sont presque tous croyants et même superstitieux. Marc-Aurèle, dans ses Pensées, remercie les dieux avec effusion de lui avoir communiqué en songe des remèdes efficaces pour ses maladies[6].

Ainsi, de Cicéron à Marc-Aurèle, une sorte de révolution s’est opérée dans la société romaine, et elle a suivi sous l’empire une route tout à fait différente de celle qu’elle semblait prendre à la fin de la république. Que s’est-il donc passé, durant cet intervalle, qui puisse expliquer ce changement ? Quels événements et quelle influence ont poussé Rome dans une voie doris elle semblait d’abord si éloignée ? Comment et par quels progrès, d’incrédule est-elle ainsi devenue croyante ? C’est la question à laquelle je vais essayer de répondre dans cet ouvrage.

Mais avant d’entreprendre cette étude, j’ai besoin d’indiquer en quelques mots de quelle façon je la comprends et quelle étendue je crois devoir lui donner. Si je m’enfermais étroitement dans l’histoire de la religion romaine proprement dite, comme le titre de ce livre pourrait le faire croire, je devrais me contenter de signaler les changements que le temps apporta dans les pratiques du culte depuis le règne d’Auguste jusqu’à celui de Marc-Aurèle. Ainsi conçu, le sujet serait de peu d’importance ; mais je compte embrasser pendant ces deux siècles le mouvement religieux tout entier. Je l’étudierai partout où il se manifeste, dans les écoles de philosophie aussi bien que dans les temples. Je ne négligerai d’exposer ni les systèmes imaginés alors par les philosophes pour résoudre les questions religieuses, ni les efforts tentés par les moralistes pour corriger leur temps. En réalité, ils rentrent dans le sujet que je traite, et j’espère montrer que la religion romaine, quoiqu’elle se tienne en dehors de cette activité philosophique, en a ressenti les atteintes.

Quant aux limites dans lesquelles j’ai circonscrit mon travail, je crois qu’elles n’ont rien d’arbitraire. L’histoire du paganisme romain, depuis Auguste jusqu’à ses derniers moments, me parait se diviser en deux périodes distinctes, celle où il se développe lui-même, d’après son principe et sa nature, et celle où il essaye de se réformer sur le modèle de la religion qui le menace et qu’il combat. De ces deux périodes, je n’étudie ici que la première. Je m’arrête à Marc-Aurèle, c’est-à-dire au moment où les apologistes font connaître le Christianisme au monde[7]. Je ne voudrais pourtant pas affirmer qu’avant ratte époque des communications n’aient pas eu lieu d’une religion à l’autre par des voies secrètes et détournées, ni que les doctrines chrétiennes n’aient exercé déjà une certaine influence sur le paganisme ; mais s’il est permis de le soupçonner, je ne crois pas qu’il soit possible de l’établir. Les Pères de l’Église eux-mêmes ne se prononcent pas sur cette question d’une façon précise ; ce ne fut, dans tous les cas, qu’une influence indirecte et indistincte, qui ne pouvait guère modifier la direction que le paganisme suivait de lui-même et dans laquelle il s’était engagé depuis Auguste, c’est-à-dire avant la naissance du Christ. Au contraire, à partir du règne de Commode, et surtout de celui de Septime Sévère, les rapports entre les deux cultes sont évidents ; ils rayonnent, pour ainsi dire, l’un sur l’autre. Une période nouvelle tome mente alors pour la religion romaine pendant laquelle, volontairement ou non, elle subit l’action du Christianisme.

La première de ces deux époques, celle qui a précédé cette influence directe et puissante dont je viens de parler, forme un ensemble complet et peut être étudiée isolément. Je n’ai pas besoin de montrer qu’il est très important de la connaître : il s’agit de savoir en présence de quelles croyances le Christianisme naissant s’est rencontré, qu’était véritablement ce culte qu’il avait à vaincre, et quelles facilités ou quelles résistances il a trouvées dans l’état religieux et moral du monde romain au ne siècle. Malheureusement, ce qui fait l’intérêt de ce sujet en fait aussi le danger. Ces questions qui touchent de près ou de loin à l’histoire religieuse sont toujours délicates à traiter, et il est rare qu’on les aborde avec une entière liberté d’esprit. Dans celle qui va nous occuper, les préjugés ont été si forts, qu’on a vu des historiens, suivant l’opinion à laquelle ils appartenaient, tirer avec la meilleure foi du monde des mêmes documents des conclusions tout d fait contraires. Les uns énumèrent avec complaisance tous les crimes dont les écrivains de l’antiquité nous ont conservé le récit et en viennent à nier entièrement les vertus de la société païenne, oubliant que les Pères de l’Église en ont plus d’une fois rendu témoignage[8]. Les autres, s’obstinant à ne voir que les grands principes proclamés par les philosophes, sans chercher s’ils ont été appliqués, font de ce siècle des tableaux si séduisants et mettent la sagesse ancienne si haut, que la révolution chrétienne devient inutile, ou plutôt qu’il n’y a plus de révolution chrétienne, et que la religion nouvelle se trouve être une sorte de continuation naturelle des religions et des philosophies antiques. Ce sont là des exagérations auxquelles le bon sens résiste et que l’histoire dément ; je puis promettre qu’on ne les retrouvera pas dans cet ouvrage. Je n’y cherche que la vérité. Ma seule préoccupation est de réunir le plus de faits possible, de les transcrire sans les altérer, de leur conserver leur caractère et leur couleur véritables, afin que chacun, en me lisant, puisse se former à lui-même sa conviction.

On ne peut pas dire d’une manière absolue que le sujet de ce travail soit nouveau. S’il a rarement été traité à part et avec les développements que je lui donne, on l’a plus d’une fois abordé à propos d’autres études. En France, des écrivains de talent y ont touché en racontant l’histoire générale de ce temps[9], ou celle des origines du Christianisme[10]. On s’apercevra que je les ai lus avec soin et que j’ai profité de leurs recherches. Je me suis aussi beaucoup servi des travaux savants de l’Allemagne, surtout de la Mythologie romaine de Preller[11], du Manuel des antiquités de Becker, continué par M. Marquardt[12], de l’Histoire de la philosophie grecque de M. Zeller[13] et du Tableau des mœurs romaines de M. Friedlænder[14].

Je ne me suis pas contenté de dépouiller avec soin les auteurs anciens ; on l’a fait si souvent avant moi que je ne pouvais guère espérer y découvrir des faits inconnus. J’ai voulu aussi recueillir dans les inscriptions les renseignements nouveaux qu’elles peuvent contenir et dont quelques-uns n’avaient pas été encore mis à profit. Je les dois soit à la grande collection des Inscriptions latines publiée par l’Académie de Berlin[15], soit au Recueil d’Orelli, corrigé et achevé par M. Henzen[16], soit enfin aux inscriptions du royaume de Naples de M. Mommsen[17], et à celles de l’Algérie de M. Léon Renier[18]. Je tiens à témoigner d’abord toute ma reconnaissance pour ces savants dont les ouvrages nous rendent les recherches si faciles. J’ai cherché à ne faire des renseignements que j’ai trouvés chez eux qu’un usage légitime ; si, malgré tous mes soins, il m’est échappé des erreurs dans l’appréciation des faits ou dans l’interprétation des textes, je remercie d’avance ceux qui, en me les signalant, me permettront de les corriger.

Avant de finir, j’éprouve le besoin de rappeler encore une fois dans quel esprit ce livre a été composé. Il n’a pas été entrepris avec une idée préconçue ; j’ai fait tous mes efforts pour me tenir autant en garde contre cette paresse d’esprit qui nous attache trop aux opinions revues que contre la séduction qu’exercent sur nous les opinions nouvelles. Rien n’est plus loin de ma pensée que d’écrire une œuvre de polémique : les ouvrages de ce genre sont en général stériles ; ils ne font qu’enraciner chacun dans ses préjugés et n’ont d’autre résultat que de rendre plus profondes encore les divisions qui nous séparent. Il me semble au contraire qu’en traitant les questions avec le calme et l’impartialité qui conviennent à la science, on a plus de chance de s’entendre. C’est à mon sens un succès médiocre pour un auteur que son livre devienne une arme de guerre dans la main des partis qui se combattent ; ce qu’il doit plutôt désirer, ce que je souhaite avec passion pour celui que je donne en ce moment au public, c’est de lui voir produire, suivant la belle expression de M. de Rossi, des fruits de paix et de vérité.

 

Novembre 1874.

 

 

 



[1] Fronton, Epist. ad M. Cœsarem, V, 10 (Éd. Naber).

[2] Fronton, Epist. ad Verum, II, 6.

[3] Epist. ad M. Cœs., V. 25

[4] Epist. ad M. Cæs., V, 45.

[5] Cicéron, De invent., I, 29.

[6] Pensées, I, 17.

[7] Il est question d’apologies présentées déjà à l’empereur Hadrien par Quadratus et Aristide, mais elles sont perdues. L’apologie de S. Justin, la plus ancienne de celles que nous avons conservées, est adressée à Antonin et à Marc-Aurèle.

[8] Voyez surtout S. Justin, Apologie, II, 6.

[9] M. de Champagny, par exemple, s’en est souvent occupé, surtout dans le troisième volume des Césars, qui contient le tableau religieux et moral du monde romain à la fin du Ier siècle.

[10] Parmi les ouvrages de ce genre, il en est un dont je dois faire une mention spéciale : c’est celui de mon ancien maître, M. Havet (le Christianisme et ses origines ; — l’Hellénisme). Quelques, controverses que ce livre soulève, on sera, je crois, d’accord à reconnaître qu’on ne peut mettre en doute la sincérité de l’auteur, et qu’il n’est pas possible de nier son talent. M. Bavet traite tout à fait, dans son second volume, le même sujet que moi, mais on verra que l’étude des faits m’a conduit à des conclusions différentes des siennes.

[11] Römische Mythologie, 2e édit. Une traduction, malheureusement un peu abrégée, de cet excellent ouvrage a été publiée sous ce titre : Les Dieux de l’ancienne Rome. Paris, 1855.

[12] Handbuch der römischen Alterthümer. Leipzig, 5 volumes.

[13] Die Philosophie der Griechen. Leipzig, 5 volumes. M. Boutroux a commencé la traduction de cet important ouvrage. Il vient d’en faire paraître le premier volume.

[14] Darstellungen ans der Sittengeschichte Roms. Leipzig, 8 vol. Cet ouvrage a été traduit en français sous ce titre : Mœurs romaines du règne d’Auguste à la fin des Antonins. — [Pendant que s’imprimait la première édition de cet ouvrage, M. Hausrath, professeur à Hiedelberg, a fait paraître un livre en trois parties, intitulé : Neutestamentliche Zietgeschichte, dans lequel il s’occupe des questions qui sont traitées ici].

[15] Corpus inscriptionum latinorum. Berlin.

[16] Inscriptionum latinarum selectarum amplissima collectio. Zurich. Les deux premiers volumes sont dus à Orelli, le troisième à M. Henzen. J’ai désigné le recueil entier sous le nom d’Orelli.

[17] Inscriptiones regni Neapolitani. Leipzig.

[18] Inscriptions romaines de l’Algérie. Paris.