La religion romaine d’Auguste aux Antonins

 

LIVRE TROISIÈME — LA SOCIÉTÉ ROMAINE DU TEMPS DES ANTONINS

CONCLUSION — LA RELIGION ROMAINE AU IIe SIÈCLE

 

 

Nous sommes arrivés au terme de ce travail ; il ne nous reste plus qu’à conclure. Je crois nécessaire, avant de finir, de résumer dans un tableau d’ensemble les détails qui ont été donnés un peu partout sur la religion romaine au IIe siècle. Il est important de connaître quelle en était alors la situation véritable ; quand on sait ce qu’elle avait gagné et ce qui lui manquait encore, on se rend mieux compte de l’histoire de ses dernières années : les changements heureux qui s’étaient accomplis chez elle expliquent la longue résistance qu’elle opposa au Christianisme ; les imperfections qu’elle n’avait pu corriger et qui tenaient à sa nature, font comprendre qu’elle ait fini par succomber.

 

— I —

On a vu que la religion romaine, quand finit la république, avait grand besoin d’une réforme[1]. Création d’une époque naïve ; elle faisait sourire une société savante et lettrée. Son union intime avec l’État avilit longtemps fait’ sa force : on lui restait fidèle par patriotisme, quand on ne pouvait plus l’être par conviction ; mais le patriotisme lui-même s’était à la fin fort refroidi, et l’affaiblissement des vertus antiques diminuait l’autorité des anciennes traditions. Les esprits, surtout dans les classes élevées, s’étaient en général détachés d’elle. Ceux qui la défendaient encore, comme Varron, ne le faisaient pas sans réserve et avouaient ouvertement qu’elle ne les contentait qu’à moitié. Il fallait donc, pour qu’elle retrouvât sa puissance, que de quelque manière une vie nouvelle pénétrât dans ce vieux culte épuisé : c’est ce qui est arrivé dans le premier siècle de l’empire.

D’où lui venaient ces changements qui l’ont rajeunie ? il importe d’abord de le savoir. La religion romaine, nous l’avons montré, ne s’est pas réformée elle-même : elle ne possédait pas cette force et cette activité intérieures qui permettent à un culte de se renouveler tout seul. C’était d’ailleurs sa nature de résister aux nouveautés. Elle plaçait la dévotion dans l’accomplissement minutieux des rites anciens et faisait un devoir de n’y rien changer. L’immobilité était une sorte d’idéal pour elle, et cet idéal a été presque atteint dans ces grandes corporations, comme les Luperques, les Arvales, les Saliens, qui, se recrutant elles-mêmes, pouvaient conserver plus fidèlement les traditions du passé ! Les prêtres étaient partout sous la main du pouvoir civil ; leur élection, dans les provinces, appartenait en général aux décurions : à Rome, ils étaient nommés par l’empereur sur une liste de présentation que les collèges sacerdotaux dressaient tous les ans[2]. Or, c’était comme une maxime d’État pour ces collèges et pour le prince de ne rien changer à l’ancienne religion, et les prêtres qu’ils désignaient devaient naturellement penser comme eux. Le seul danger sérieux qu’elle pouvait courir lui venait de l’extension même de l’empire. Comme toutes les autres institutions de Reine, elle était faite pour une seule ville ; quand cette ville eut conquis le monde, ses conditions d’existence changèrent, et des difficultés naquirent qu’au n’avait pu prévenir ni prévoir. Pour assurer la paix de l’univers, des colonies furent établies dans les pays vaincus, et les colons qu’on y envoya finiront pat se mêler aux anciens habitants du pays. Des villes soumises, on récompense de la fidélité qu’elles témoignaient, reçurent le droit de cité. Elles ne pouvaient pas devenir romaines sans accepter la religion de leur nouvelle patrie[3], mais elles avaient aussi des dieux nationaux qu’il ne leur était pas permis d’abandonner. Elles les adorèrent ensemble, et par là se fit un mélange inévitable de la religion officielle et des cultes étrangers. Ce mélange reçut une sorte de consécration légale sous Tibère, et il fût établi par une décision du sénat que c’était encore la religion romaine. Les chevaliers ayant fait un vœu à la. Fortune équestre pendant une maladie de Livie, il se trouva que, dans aucun des sanctuaires que cette déesse possédait à Rome, elle n’était adorée sous ce titre. Il n’existait qu’un seul temple de ce nom, dans une ville des Volsques, à Antium ; les chevaliers y apportèrent leur offrande, et, à cette occasion, on décida que toutes les cérémonies religieuses qui s’accomplissaient en Italie, toutes les statues des dieux et tous les temples qui s’y trouvaient seraient regardés comme appartenant au peuple romain[4]. De l’Italie, ce principe dut être étendu aux provinces, et c’est ainsi qu’avec le temps les divinités et les pratiques pieuses des peuples qui étaient entrés tour à tour dans la grande unité de l’empire pénétrèrent légalement dans la vieille religion de Rome[5]. Il était impossible qu’elle ne souffrit pas de cette extension : au milieu de cet encombrement de dévotions nouvelles, les pratiques anciennes devaient être quelquefois oubliées[6] ; mais ces altérations et ces négligences ne deviennent fréquentes qu’après le IIe siècle. A l’époque dont nous nous occupons, tous les témoignages nous montrent que les anciennes cérémonies s’accomplissaient avec régularité. Les traditions d’Auguste s’étaient maintenues sous les Antonins, et la religion romaine, au moins dans ses pratiques et ses rites les plus importants n’avait pas encore reçu d’atteinte[7].

Les modifications qu’elle avait subies étaient tout intérieures. On conservait les mêmes rites, mais les croyances étaient changées ; on allait dans les mêmes temples qu’autrefois, sans y apporter tout à fait les mêmes sentiments ; on priait les mêmes dieux, mais on avait d’eux d’autres idées. Ces changements qui introduisirent un esprit nouveau dans l’ancien culte, doivent être surtout attribués à l’influence de la philosophie et des religions de l’Orient. Elles agirent d’une manière différente et sur des classes diverses de la société, mais en général la direction qu’elles donnèrent à l’esprit public fut semblable. Quoique parties de principes opposés, il leur arrive souvent de s’accorder dans la pratique et d’aboutir aux mêmes conséquences. Ce sont ces conséquences qu’il convient avant tout d’étudier.

La philosophie, en s’appliquant à réformer les religions populaires, devait s’efforcer d’abord de leur imposer de quelque manière la croyance à l’unité de Dieu. C’était une opinion qu’admettaient à peu près toutes les écoles, et il n’était pas possible à un philosophe de l’abandonner. Mais comment la faire accepter à des cultes dont le polythéisme était l’essence ? On crut y arriver en proclamant ce principe : que l’autorité suprême n’appartient qu’à un seul Dieu, mais que les fonctions divines sont réparties entre plusieurs, imperium penes unum, officia penes multos[8]. Les stoïciens disaient que le Dieu unique, qui se répand dans le monde et l’anime, reçoit des noms différents suivant les divers éléments de la nature qu’il pénètre, et que c’est là l’origine des divinités de la Fable. Les platoniciens reconnaissent un Dieu supérieur, la source de tous les biens, le père de tous les êtres, qui a tout crée et qui fait tout vivre[9] ; mais au-dessous de lui ils placent toute une hiérarchie de divinités inférieures qui sont ses subordonnés et ses ministres. Il faut les honorer aussi, disent-ils, et le Dieu suprême n’est pas plus jaloux des hommages qu’on rend aux divinités qui le servent que le grand roi n’en veut aux gens qui sont pleins d’égards pour ses satrapes[10].

Ces systèmes, pour sortir des écoles de philosophie et prendre pied dans les religions populaires, avaient un premier combat à soutenir. Il leur fallait déraciner cette opinion que chaque pays a son dieu, particulier, qui le protège et qui est fait pour lui. On sait combien elle était répandue dans l’antiquité, et que c’est le principe sur lequel reposent les religions primitives[11]. Ce principe s’était pourtant affaibli avec le temps. L’introduction des cultes de l’Orient dans le monde grec et romain lui était surtout contraire. Du moment qu’à Rome on adorait Isis et Mithra, il fallait bien reconnaître que les dieux conservent leur efficacité en dehors des pays qui sont leur domaine propre, et qu’au-dessus des divinités locales il y en a qui règnent sur le monde tout entier[12]. On en vint à penser que les dieux des divers peuples étaient au fond les mêmes, et qu’il n’y avait entre eux d’autre différence que leur nom. Ne croyons pas, disait l’auteur d’un important traité de théologie païenne, que les dieux changent avec les nations, qu’il y en ait de différents pour les Grecs et pour les barbares, pour les gens du midi et pour ceux du nord. De même que le soleil, la lune, le ciel, la terre, la mer, sont communs à tout le monde, bien que tout le monde ne les désigne pas de la même façon, de même il n’y a qu’une raison suprême qui a formé l’univers, qu’une providence qui le gouverne, quoiqu’on ne lui rende pas partout les mêmes honneurs et qu’on l’appelle de noms différents suivant les pays[13]. Ce principe établi, il fallait parvenir à reconstituer l’unité divine avec les éléments multiples qu’offraient les divinités populaires. Et d’abord, pour arriver plus aisément à les confondre, il était bon de les rapprocher. La religion romaine répugnait en général à le faire ; elle pensait qu’il convient que chaque dieu ait son temple et ses prêtres[14]. Cependant, dès l’époque de Tarquin, on adora trois divinités ensemble au Capitole, Jupiter, Junon et Minerve, et nous savons que ce nombre s’accrut dans la suite[15]. Cet exemple fut suivi, et, surtout à partir du Ier siècle, les temples élevés à plusieurs divinités ou même à tous les dieux ne sont pas rares[16]. Ainsi rapprochées, ces divinités ne devaient pas tarder à se réunir ; à Rome surtout, où elles sont si peu vivantes, où elles ne possèdent qu’une personnalité si effacée, il était aisé de les faire rentrer l’une dans l’autre, et l’on arrivait très vite à ne les regarder que comme des attributs distincts du même dieu, on des manières diverses de l’envisager[17].

La façon dont s’accomplissent d’ordinaire ces mélanges est indiquée dans un passage curieux d’Apulée. Il y représente la déesse Isis s’adressant à un fidèle qui l’invoque : Me voici, lui dit-elle, j’ai été touchée par tes prières. C’est moi qui suis la mère de la nature, la souveraine des éléments... C’est moi dont la divinité unique est honorée par toutes les nations sous des formes variées, avec des rites différents et des noms qui changent d’un pays à l’autre. Les Phrygiens m’appellent la Grande Mère de l’Ida, les Athéniens Minerve, les Cypriotes Vénus, les Crétois Diane, les Siciliens Proserpine, les habitants d’Éleusis Cérès, d’autres Junon, Bellone, Hécate. Les Éthiopiens, que le soleil naissant éclaire de ses premiers feux, les Ariens, les Égyptiens, qui connaissent la science antique, me rendent les honneurs qui me conviennent et me donnent le nom qui m’appartient : je suis la reine Isis[18]. Cet effort pour réunir sur un dieu tous les attributs des autres ramenait à l’unité divine. Isis n’est pas la seule qui en ait profité. Chacun, dit Servius, regarde comme le dieu suprême celui qu’il honore[19]. On devait donc chercher partout à mettre le sien au-dessus de tous et à les dépouiller pour les grandir. Vers la fin de l’empire, le plus grand nombre des théologiens admettait qu’il n’y avait en réalité qu’un dieu, le Soleil, et se donnait beaucoup de mal pour confondre les autres en lui[20]. De son côté, le peuple accomplissait le même travail en faveur du vieux Jupiter. Depuis Homère, on le regardait comme ale père des hommes et des dieux n, et il était naturel qu’on eût l’idée de prendre la première de toutes les divinités pour en faire la divinité unique. De plus, les Romaine avaient une dévotion particulière pour le Jupiter du Capitole, et lui attribuaient tour fortune. Le monde qu’ils avaient soumis était très disposé à croire qu’il était au-dessus de tous les dieux, puisqu’il avait rendu ses adorateurs les maîtres de tous les peuples. C’est ainsi que le culte du dieu très bon et très grand se répandit dans les provinces. Les légions le portaient avec elles dans les pays qu’elles visitaient, et son culte y devenait bientôt le plus populaire de tous. En Espagne, dans la Dacie, dans la Pannonie[21], etc., c’est à Jupiter qu’on s’adresse, de préférence à tous les autres dieux, et les noms qu’un lui donne en l’invoquant montrent bien l’estime qu’on fait de lui. On l’appelle le dieu suprême, le premier de tous[22], le maître des choses divines et humaines, l’arbitre des destinées[23] ; on parait faire effort pour trouver des paroles qui répondent à sa grandeur. Après l’avoir mis au-dessus des autres divinités, on en vient à croire qu’il n’y en a pas d’autres que lui. C’est ce que laisse entendre le peuple dans les hymnes qu’il chante on son honneur ; il le salue dans ses temples en disant qu’il est le Dieu des dieux et qu’il possède seul la puissance divine, Deo deorum qui salus potes[24]. On peut donc affirmer qu’au IIe siècle c’était une opinion générale aussi bien chez les ignorants que chez les lettrés, qu’il fallait ramener de quelque façon tout ce monde de divinités qu’on adorait à un Dieu unique. Les Pères de l’Église le reconnaissent sans difficulté et ils en triomphent[25]. Toutes les fois, nous disent-ils, qu’un païen lève les yeux au ciel, il est bien forcé d’avouer que tout le pouvoir de l’univers est dans la main d’un seul Dieu[26]. Cette impuissance où se trouvait le monde à se résigner désormais au polythéisme, ces efforts tentés de tous les côtés pour revenir à l’unité divine, et le succès qu’ils semblaient prés d’obtenir, étaient assurément le résultat des leçons de la philosophie et l’une de ses plus grandes victoires.

Elle en remporta d’autres encore. En même temps qu’elle travaillait à faire accepter l’unité de Dieu aux religions populaires, elle essayait de les rendre plus morales. Sans doute elles n’étaient pas immorales de dessein prémédité. Il n’est pas vrai, comme on l’a quelquefois prétendu, dans l’ardeur des controverses, qu’elles enseignaient volontairement le mal. On peut dire, au contraire, qu’en général toute religion, quelque imparfaite qu’elle soit, en tant qu’elle impose des devoirs à l’homme envers un être supérieur, l’oblige à veiller sur lui-même et à ne plus s’abandonner sans réflexion aux premiers sentiments de sa nature. Elle petit devenir ainsi, qu’elle le veuille ou tien, une garantie de moralité pour lui. C’est ce qui arrivait à Rome plus que dans aucun autre pays de l’ancien monde. Le caractère honnête de la religion romaine a bien souvent frappé les Grecs ; ils la félicitaient de n’avoir pas de ces légendes qui indignaient les gens sévères et prêtaient à rire aux railleurs[27]. Rien ne ressemblait chez elle à ces fêtes désordonnées qu’aimait l’Orient et que la Grèce finit par accueillir avec faveur. Elle honorait les dieux par des cérémonies simples et graves, dont les mœurs publiques n’avaient rien à craindre. Les fêtes qui eurent lieu quand on célébra le premier lectisterne ressemblaient beaucoup à des solennités chrétiennes du moyen-âge. Tite-Live nous dit que toutes les maisons étaient ouvertes, qu’on était heureux de recevoir citez soi non seulement ses hôtes, mais des étrangers et des inconnue, que les ennemis se réconcilièrent ensemble et qu’on délivra des prisonniers[28]. Mais si l’on doit reconnaître que les religions antiques étaient souvent très morales, il faut avouer aussi qu’en général elles l’étaient sans le vouloir et ne cherchaient pas à l’être. Elles n’avaient pas le dessein de tracer à l’homme des règles de conduite et de lui apprendre ses devoirs[29] : c’était le rôle des philosophes. Elles n’étaient à l’origine qu’une explication naïve des phénomènes de la nature, et l’on n’avait d’abord imaginé des dieux que pour trouver une raison à ces grands spectacles du monde dont la cause était inconnue. En les imaginant, on leur créait une histoire qui devait rendre compte de tous les mystères de la nature. C’est ainsi qu’on expliquait la production des fruits par une sorte d’hymen de la terre et du ciel, et l’alternative des saisons, en supposant un dieu qui meurt pendant l’hiver pour ressusciter au printemps, avec la fécondité et la vie. Les légendes variées qui prirent naissance de tous ces récits merveilleux ne causèrent aucun scandale tant qu’on en sut découvrir le sens caché ; mais avec le temps on en perdit l’intelligence, et ce ne furent plus alors pour les sages que des fables ridicules ou dangereuses. Horace dit qu’elles enseignent à mal faire[30], et Sénèque prétend qu’il n’y a pas de vice qu’elles ne puissent autoriser[31]. Les philosophes essayèrent, en les interprétant, de les rendre irréprochables. Les stoïciens surtout furent intarissables d’explications de tout genre ; ils entreprirent de montrer que les plus légères cachent un sens profond et qu’on peut tirer de celles même qui semblent le moins convenables des leçons d’honnêteté. On commence dès lors à penser qu’il n’y a pas de meilleure manière de plaire aux dieux que de se bien conduire, et que la morale est inséparable de la religion. On croit plus que jamais que les dieux sont les protecteurs naturels de l’innocence et qu’ils ont horreur des criminels. Néron, après le meurtre de sa mère, n’osa pas entrer dans le sanctuaire de Vesta[32]. On exige des prêtres des vertus qu’on n’avait pas encore songé à leur demander. Pour remplir les fonctions sacerdotales, en ne veut plus choisir que les plus dignes[33], c’est-à-dire ceux dont les cœurs étaient purs et la vie irréprochable[34]. Les temples avaient été jusque-là pleine de dangers pour la morale publique[35] ; on souhaite qu’ils deviennent un lieu de recueillement où l’âme s’épure par la méditation et s’élève par la prière. Sur le seuil d’une chapelle de l’Afrique, on lit ces mots, qu’on croirait destinés à quelque église chrétienne : Entre ici honnête et sors-en meilleur[36].

Les philosophes firent encore prévaloir d’autres maximes qui n’étaient guère d’accord avec l’esprit des anciens cultes. Ils voulurent changer les idées qu’on avait sur la nature de Dieu et les rapports que l’homme doit entretenir avec lui ; ils enseignèrent que les dieux sont nécessairement bons et qu’autrement ils ne seraient pas des dieux, qu’ils ne veulent et ne peuvent nuire à personne[37]. La vieille religion en reconnaissait, au contraire, dont elle avait grand’peur et qu’elle supposait malveillants et jaloux. A côté de Jupiter très bon et très grand, il y avait le méchant Jupiter — Vejovis —, qu’on priait peut-être avec plus de ferveur que l’autre, parce qu’on le craignait davantage. Du moment que la philosophie n’admettait que des dieux favorables, elle était amenée à soutenir qu’il ne faut pas être effrayé devant eux, qu’on leur fait peu d’honneur en les redoutant, et qu’il convient de ne les aborder qu’avec des sentiments de confiance et d’affection. Ce n’était pas tout à fait l’opinion d’Aristote, qui prétend que, de l’homme à Dieu, c’est-à-dire entre des êtres si éloignés et si différents, l’affection n’est pas possible[38]. Mais Cicéron n’est plus de cet avis ; il dit qu’il faut avoir pour les dieux les mêmes sentiments qu’on a pour sa patrie et ses parents[39]. Sénèque est plus formel encore et affirme et- propres termes qu’on doit les servir et les aimer[40]. En même temps les religions orientales, dont l’empire devenait tous les jours plus grand sur les Romains, donnaient aussi un caractère plus vif et plus passionné à la dévotion du peuple ; en sorte qu’ici encore les ignorants comme les lettrés, ceux qui écoutaient les leçons des sages et ceux qui fréquentaient les temples des divinités étrangères, s’accordaient ensemble : ils éprouvaient tous le besoin d’approcher les dieux de plus près et d’établir avec eux des communications plus étroites et plus tendres.

Il était naturel que l’idée nouvelle qu’on se faisait de la nature des dieux et de leurs rapports avec l’homme amenât quelques changements dans la manière de les prier. Ils n’exigent pas, disent les sages, qu’on égorge des bœufs en leur honneur, qu’on suspende de l’or ou de l’argent clans leurs temples, ni qu’on verse des offrandes dans leurs caisses. L’hommage qu’ils préfèrent est celui d’un cœur pieux et juste[41]. Il n’est pas besoin d’entasser les pierres les unes sur les autres pour leur élever des temples ; il vaut mieux que chacun leur construise un sanctuaire dans son cœur[42]. En cet état d’esprit, il était difficile qu’on se contentât de ces prières anciennes auxquelles il était défendu de rien changer[43], et qu’il fallait répéter fidèlement, même quand on ne les comprenait plus. On voulait s’adresser aux dieux d’une façon plus libre, et n’avoir pas l’air, quand on les priait, de redire une leçon qu’on venait d’apprendre. Malheureusement la vieille religion résista ; elle tenait à ses anciens rituels, et au IIIe siècle encore elle condamnait ses dévots à répéter ces formules verbeuses dont tant de générations s’étaient pieusement servies. Elle ne se relâcha de sa rigueur que dans quelques circonstances solennelles, où elle fit composer par des poètes en renom des hymnes nouvelles qui furent channes par des chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles[44]. Peut-être, à l’époque d’Auguste, cet usage était-il devenu plus général, et la religion romaine s’en accommodait-elle plus volontiers. Horace au moins le fait entendre quand il dit, en énumérant les services que rend la poésie. De qui les filles et les garçons apprendraient-ils les prières, si la Muse ne leur eût donné le poète ?[45] Dans tous les cas, tous les esprits sages étaient d’accord qu’il ne suffit pas, pour être écouté dés dieux, de marmotter auprès de leurs autels quelque ancienne formule, et les gens mêmes qui ne faisaient pas profession d’être des philosophes, dans des livres qui n’étaient pas faits pour l’école, disaient comme une vérité qui n’était plus contestée de personne, qu’il vaut mieux apporter dans les temples une âme pieuse et juste que des prières apprises par cœur[46].

Ce qui rend si remarquables les changements qui s’accomplissent alors dans les opinions religieuses, c’est qu’ils coïncident avec ceux qu’on observe dans la moralité publique. En même temps qu’on se fait des idées plus élevées de la nature de Dieu et du culte qu’il faut lui rendre, on commence à s’occuper des pauvres, on plaint les gladiateurs, on protége les esclaves[47]. Ce double progrès religieux et moral, qu’il n’est pas possible de méconnaître, a tellement frappé quelques personnes, qu’elles ne peuvent pas croire que  la société païenne y soit arrivée toute seule. Comme il devient surtout sensible â l’époque où le Christianisme commence à être prêché dans l’empire, on s’est demandé s’il ne faut pas l’attribuer à l’influence de l’Évangile. N’est-il pas possible que, dès les premiers moments, des communications secrètes se soient établies entre les deux cultes, et que les païens aient tiré de la doctrine nouvelle les grandes idées dont nous voulons leur faire honneur ? C’est une question qu’il est difficile de ne pas se poser, mais à laquelle il n’est pas aisé de répondre. Peut-on se flatter, à la distance où nous sommes de ces événements lointains, de distinguer nettement ce que les contemporains eux-mêmes n’apercevaient pas ? Au milieu de ces incertitudes, il n’y a guère que deux faits d’assurés : le premier, c’est que les Pères de l’Église, lorsqu’ils signalent dans ces anciens cultes des pratiques semblables aux leurs, ou qu’ils rendent témoignage des vertus de la société païenne ; n’ont pas prétendu qu’elle les tenait directement du Christianisme. Ceux d’entre eux qui lui sont le plus contraires supposent ou qu’elle a pris ce qu’elle avait de meilleur dans les livres sacrés des Juifs, ou qu’elle le doit à l’intermédiaire des démons. Comme les démons prévoient l’avenir, ils connaissaient dès l’origine ce que le Christ devait établir plus tard, et ils en ont fait une contrefaçon pour le décréditer d’avance[48]. Si les Pères avaient cru que les païens ne faisaient qu’imiter ce qu’ils avaient soue les yeux, évidemment ils l’auraient dit et n’auraient pas eu recours à des suppositions merveilleuses pour rendre compte de ce qu’on pouvait si naturellement expliquer. L’autre fait qui ne me semble pas moins certain, c’est qu’on peut comprendre à la rigueur que la religion et la morale soient devenues plus pures au IIe siècle sans l’intervention du Christianisme. Il n’y a rien, dans toutes les réformes que nous avons exposées, que la société païenne ne pût accomplir seule. Ce qui fait d’ordinaire qu’elles étonnent, c’est qu’on oublie le long travail qui les avait préparées. L’humanité n’y est pas parvenue du premier coup et par un seul effort ; elles sont pour elle la dernière étape d’une longue route, et quand on suit pas à pas le chemin qu’elle avait parcouru, on est moins surpris du terme où elle était enfin arrivée. Une bonne partie de la route était déjà faite au moment où commence l’empire. Presque tous les principes qui nous ont le plus frappé chez les sages du IIe siècle se trouvent déjà dans Cicéron, cinquante ans avant la naissance du Christ[49]. La philosophie, depuis Auguste jusqu’à Marc-Aurèle, n’en a guère inventé de nouveaux ; elle a seulement tiré des vérités qu’on avait depuis longtemps proclamées des conséquences pratiques, et, en les appliquant davantage à la vie, elle a pu réparer des injustices que les siècles précédents avaient tolérées. Ce progrès, quelque grand qu’on l’imagine, n’est pas de ceux dont l’esprit humain soit incapable. Il était au contraire dans l’ordre des choses ; il devait nécessairement s’accomplir par la marche naturelle du temps. En trouvant seule et sans aide les principes généraux, lu sagesse grecque avait fait le plus grand travail et les plus glorieuses découvertes. Mettre ces principes dans les faits, passer de la théorie à l’application est toujours moins difficile, et il ne me paraît pas nécessaire de supposer que cette société intelligente ait eu besoin, pour y parvenir, du secours de personne.

Mais de quelque manière qu’on explique ces progrès, à quelque cause qu’on les rapporte, ils n’en sont pas moins certains, et l’on ne petit douter qu’ils n’aient eu des conséquences Importantes pour la religion romaine. Elle leur doit surtout cet inappréciable avantage d’avoir conservé jusqu’à la fin un certain crédit sur les classes éclairées. On est en général très surpris qu’elles n’aient pas été plus empressées à l’abandonner. On a grand’peine à comprendre comment ces personnes distinguées, d’un esprit si fin, si moqueur, ces amis des lettres, ces élèves des philosophes, ont pu rester si attachés à des cultes dont la grossièreté humiliait leur raison. C’est qu’on ne tient pas assez compte des concessions que ces cultes avaient faites aux exigences duc temps et des réformes auxquelles ils s’étaient prêtés. Peut-être nous faisons-nous quelque illusion quand, nous nous imaginons que les gens du monde devaient s’y sentir gênés : en réalité ils avaient bien des moyens de s’y mettre à l’aise. N’oublions pas que les religions antiques n’avaient pas de dogmes rixes. Aucune autorité n’y imposait des croyances précises, et chacun s’y faisait ses opinions à soi-même : La limite entre ce qu’il fallait croire et ce qu’on pouvait rejeter n’étant pas tracée, on était toujours libre de regarder les légendes qui semblaient choquantes comme des imaginations de potes qui n’engageaient personne. On ne les écoutait même si volontiers que parce qu’on n’était pas forcé de les tenir pour vraies. Le charme poétique de ces récits a séduit les plus grands sceptiques, comme Lucrèce, et ils ne se sont fait aucun scrupule de les répéter, ne pensant pas qu’on pût les soupçonner d’y croire. A la rigueur, ni Cicéron, quand il attaque avec tant de force les fables d’Homère[50], ni Pline, quand il appelle la mythologie un ensemble d’enfantillages et de folies[51], ne se mettent tout à fait en dehors des croyances officielles ; car il n’y avait pas de croyances imposées officiellement, et l’anathème, dans les cultes antiques, ne frappe presque jamais que des actes, et non des opinions et des idées. On était donc libre à la rigueur de refuser de croire à toutes les anciennes légendes ; mais si l’on tenait à les accepter, il y avait un moyen de le faire sans trop heurter la raison. Il ne s’agissait que d’avoir recours aux interprétations stoïciennes. En voyant dans ces récits, qui semblaient d’abord étranges ou scandaleux, des allégories morales ou physiques, il n’y avait plus de motif d’en être choqué. On se servait de même des systèmes des philosophes pour recomposer l’unité divine sans se mettre en hostilité avec les religions populaires. On se disait que la pauvre humanité, rappelée sans cesse par ses souffrances au souvenir de sa faiblesse, avait fait de Dieu plusieurs parts, afin que chacun adorât séparément celle dont il avait le plus besoin[52]. Ce que des esprits faibles avaient ainsi séparé, des esprits plus éclairés pouvaient le réunir, et au delà de ces mille divinités, création de l’infirmité humaine, il leur était facile d’apercevoir le Dieu suprême, dont elles n’étaient que les attributs. Sous des noms différents, disaient-ils, nous adorons la Divinité unique dont l’éternelle puissance anime tous les éléments du monde, et en rendant hommage successivement à ses diverses parties, nous sommes sûrs de l’adorer elle-même tout entière. Par l’intermédiaire des dieux subalternes, nous invoquons ce père des dieux et des hommes auquel s’adressent, dans des cultes à la fois divers et semblables, le respect et les prières de tous les mortels[53]. Avec ces accommodements et ces interprétations, les gens éclairés pouvaient accepter sans peine la religion populaire ; du moment qu’elle consentait à se plier aux exigences des temps nouveaux, il ne leur en coûtait pas de lui rester fidèles, et c’est ainsi que, contre toute attente, les hautes classes de la société, qui avaient, à ce qu’il semble, tant de raisons de n’y pas tenir, furent, avec le peuple des campagnes, les dernières à l’abandonner.

 

— II —

Ainsi il n’est pas douteux que cet esprit nouveau qui se répandit au u° siècle dans la religion romaine ne lui ait rendu quelque vie et n’ait prolongé sa durée ; mais il ne pouvait pas la sauver. Il ne lui était pas passible d’y corriger tout ce qui blessait les sages et d’y introduire tout ce que réclamait l’opinion. Il se heurtait partout à des habitudes vivaces, à des souvenirs obstinés, et la nature même de ce vieux culte lui opposait une résistance insurmontable. Il arriva donc que toutes les réformes qu’on entreprit furent incomplètes, ce qui les rendit un jour inutiles.

Aucune ne nous semble d’abord avoir mieux réussi que cet essai qu’on avait tenté pour faire sortir l’unité de Dieu du polythéisme. Le succès n’en fut pas pourtant aussi général ni aussi entier qu’on pourrait le croire. Il resta toujours beaucoup d’indécision et de vague dans la façon dont on reconstituait l’unité divine. Chacun, nous l’avons vu, regardait comme le Dieu suprême celui qu’il préférait, et groupait les autres autour de lui. Il s’en suivait que le Dieu unique changeait dé nom et d’aspect selon les personnes, et qu’on n’arrivait pas à s’entendre, ce qui était alors le besoin de tout le monde. Il faut ajouter que chez ce peuple, conservateur par nature, les idées nouvelles parvenaient rarement à détruire les croyances anciennes. Aussi retrouve-t-on à la même époque, et quelquefois chez les mêmes personnes, des tendances qui se combattent. En même temps qu’on cherche à éloigner la divinité de l’homme, qu’on l’isole dans le ciel, qu’on tient à ne la voir qu’à distance, ce qui permet de lui rendre toute sa majesté, on cède à cet instinct contraire qui pousse à la rapprocher de soi, à la mêler à sa vie, à l’approprier à ses besoins, ce qui amène à la morceler à l’infini[54]. Tantôt Jupiter est le dieu suprême, le maître des choses divines et humaines[55] ; tantôt il s’abaisse à n’être plus que la protecteur particulier d’une pauvre femme qui le charge spécialement de veiller sur elle, et à qui, pour plus de sûreté, elle donne son propre nom, comme pour prendre ainsi possession de lui[56]. C’est ainsi que, dans cette société confuse, les instincts de l’avenir sont partout contrariés par les habitudes du passé. On peut dire qu’à ce moment l’unité de Dieu et le polythéisme vivaient ensemble et s’accommodaient comme ils pouvaient l’un avec l’autre. Ce n’était évidemment pas assez pour contenter les esprits difficiles, qui devaient souhaiter un triomphe plus complet et plus éclatant pour le principe de l’unité divine.

On ne fut pas non plus entièrement heureux dans les efforts qu’on fit pour rendre ces cultes plus moraux et pour y supprimer ce qui pouvait choquer les consciences délicates. Les religions anciennes ne possédaient pas à vrai dire d’enseignement moral. Peut-être en trouvait-on quelque trace dans les mystères ; mais les leçons qu’on pouvait y donner ne ressemblaient pas é celles qui furent distribuées plus tard avec tant d’autorité dans les chaires chrétiennes, et qui s’adressaient d tout un peuple. C’était à peine un bruit léger qu’on murmurait à l’oreille de quelques élus[57]. Encore faut-il remarquer que l’utilité qu’ils pouvaient eu tirer était fort amoindrie par les légendes qu’on représentait en même temps devant eux. Les Pères de l’Église nous apprennent que c’étaient les plus étranges et les plus obscènes de tout le paganisme ; on semblait vraiment les avoir réservées pour le secret des mystères, parce qu’on ne pouvait guère les produire au grand jour : en sorte que, même hi, l’immoralité côtoyait la morale, et l’homme se trouvait tiré dans des directions contraires. Au reste, il est aisé de voir que partout, dans ces vieux cultes, ces deux influences opposées se mêlent. On les retrouve souvent ensemble sur les mêmes monuments[58], dans les mêmes ouvrages. Il n’y a peut être pas d’auteur dans l’antiquité qui soit d la fois plus religieux et plus immoral qu’Apulée, et il n’a ou aucun scrupule à placer, dans son roman, le récit des mystères d’Isis à côté des aventures licencieuses de Lucius. Ces contrastes ne pouvaient pas s’éviter. Le fond de ces cultes, surtout de toux qui venaient de l’Orient, était un naturalisme sans frein ; ce n’est que par surprise que la philosophie leur faisait accepter des principes différents, et après quelque contrainte ils revenaient à leur nature. Il arriva même que non seulement la philosophie ne rendit pas toujours la religion plus morale, mais que la religion parvint quelquefois à corrompre la philosophie. Sénèque avait sévèrement condamné le spectacle cruel des gladiateurs ; il dura pourtant jusqu’à la fin de l’empire, parce qu’il était lié à la religion, qui protégeait les jeux publics. Symmaque, un esprit si éclairé, qui connaissait tous les préceptes de la sagesse antique, nais qui par malheur était un dévot en même temps qu’un sage, y tenait autant qu’aux sacrifices ; le respect qu’il professait pour toutes les institutions religieuses lui cachait ce que celle-là avait du révoltant[59], et il fallut qu’un chrétien l’avertit qu’il n’est jamais permis de faire un spectacle et un jeu de la mort d’un homme[60].

C’est grâce à ces souvenirs pieux qui protégeaient tous les anciens abus que les réformes les plus indispensables ne furent jamais qu’imparfaitement accomplies. Certes, la conscience a protesté de bonne heure contre l’immolation des victimes humaines. La philosophie n’existait pas encore que déjà les personnes sensées en comprenaient toute l’horreur, et la première victoire de la civilisation consista partout à les remplacer par des sacrifices symboliques où l’on cherchait à contenter les dieux sans faire gémir l’humanité. Cependant elles ne furent jamais entièrement supprimées à Rome. C’était l’usage que, quand on y était menacé de quelque grand malheur, la superstition reprenait son empire, et l’on s’empressait d’enterrer vivants des Grecs ou des Gaulois dans le forum. Au moment même où le poète Silius s’écriait en beaux vers : Y a-t-il quelque piété à souiller les temples de sang humain ? La première cause de tous les crimes pour les malheureux mortels, c’est de ne pas connaître la nature divine : sachons que Dieu est un être doux et ami des hommes[61], on croyait lui plaire en lui sacrifiant des victimes humaines ! Il y en eut d’immolées du temps de Pline, pendant que Sénèque proclamait que l’homme doit être sacré pour l’homme[62]. Il y en eut sous Commode, au lendemain du règne de Marc-Aurèle[63]. Il y en eut sous Héliogabale, qui croyait, nous dit-on, faire plus de plaisir aux dieux en leur offrant des enfants de grande famille et les plus beaux qu’il pouvait trouver[64]. Le brave soldat Aurélien, en demandant au sénat de consulter les livres de la Sibylle, lui proposait, comme la chose la plus naturelle du monde, de lui envoyer des captifs de toute nation en même temps que des animaux choisis pour les immoler[65]. Il y avait pourtant une loi qui punissait ces sortes de sacrifices, et nous savons qu’on l’appliquait rigoureusement aux nations étrangères[66]. Pline en fait de grands compliments au peuple romain. Il ne pourra jamais assez célébrer, dit-il, les services que Rome a rendus au monde en supprimant ces horribles coutumes qui faisaient qu’on regardait comme un usage religieux de tuer un homme, et même comme une pratique très salutaire de le manger[67]. Mais il oublie d’ajouter que Rome s’accordait à elle-même sans scrupule la permission de violer la loi qu’elle avait faite[68], et qu’elle semblait n’avoir interdit ces immolations chez les autres peuples que pour s’en réserver le privilège. On est vraiment étonné de voir combien l’habitude peut rendre insensible aux spectacles les plus odieux. Dans ce temple de la Diane des bois, où se rendait toute la société de Rome[69], au milieu d’un des sites les plus gracieux de l’Italie, il se passait de temps en temps des scènes horribles, avec lesquelles tout ce beau monde était si familiarisé qu’on ne songeait pas à en être surpris. Le prêtre de la déesse était un esclave fugitif qui avait tué son prédécesseur, et il restait en fonction jusqu’à ce qu’il fût tué lui-même[70]. Il vivait dans des terreurs perpétuelles, occupé sans cesse à se défendre contre cet ennemi invisible qui menaçait sa vie ; mais comme il ne pouvait pas tout prévoir, il se trouvait toujours quelque esclave habile qui finissait par le surprendre. C’était une distraction piquante pour toutes ces grandes darnes et ces belles affranchies, qui s’en allaient en voiture ou en litière se faire voir le long de la route d’Albe, d’apprendre que, malgré ses précautions, il avait succombé, et l’on était fort curieux de se faire montrer l’heureux vainqueur. Un jour Caligula, qui tenait à donner le plus souvent possible ce plaisir au public, s’impatientant de voir qu’on de ces prêtres vivait trop longtemps, prit la peine de lui chercher lui-même un rival ; il envoya un esclave plus fort pour le tuer et prendre sa place[71].

C’est aussi cette obstination à conserver les usages anciens, même quand ils ne s’accordaient plus avec les temps nouveaux, qui fit échouer en partie tous les efforts des sages pour rendre la religion romaine moins matérielle et moins formaliste. Ils avaient beau dire que la prière doit être libre, qu’elle n’a de prix que lorsqu’elle est un élan spontané de l’âme vers Dieu, on continuait à répéter fidèlement les vieilles formules, et même clans les cultes de l’Orient, qui devaient, ce semble, échapper à cette servitude, on introduisait ta coutume romaine de faire prononcer d’abord par un prêtre les paroles sacrées qu’il fallait redire ensuite sans y changer un mot[72]. Les philosophes ne parvinrent pas davantage à rendre la dévotion désintéressée. Les inscriptions nous montrent qu’on ne s’adresse jamais aux dieux que pour leur demander quelque faveur ou les remercier de l’avoir obtenue. On leur rond grâces d’un voyage accompli sans accident, d’un malheur évité, d’une bonne fortune inattendue[73] ; on leur demande des services de toute sorte, quelquefois fort étranges[74] ; on les implore surtout pour obtenir la saleté, le plus grand des biens, celui sans lequel on ne peut pas jouir des autres. Les dieux les plus tétés sont ceux qui font profession de guérir : Esculape et Sérapis, dont les temples sont de véritables hôpitaux, et dont les prêtres ont des recettes pour toutes les maladies[75] ; la Bonne Déesse, qui rend la vue à un pauvre esclave abandonné des médecins[76] ; Minerve, qui pousse la complaisance jusqu’à faire repousser les cheveux des femmes qui les ont perdus[77]. Les autres divinités aussi, quoique leurs attributions soient différentes, sont invoquées dans les cas graves ; partout on les prie pour le salut et la conservation de ceux qu’on aime. Jupiter lui-même, qui a le monde à gouverner, ne dédaigne pas de s’occuper des maladies de ses fidèles et de les rendre à la santé[78]. Les dieux sont toujours cotisés en relation directe avec les hommes ; ils ne se montrent plus sans doute aussi facilement que du temps d’Homère, et l’on avoue avec quelque regret qu’il est devenu beaucoup plus rare de les rencontrer on plein jour, mais ils visitent pendant la nuit ceux qui les prient, ils leur apparaissent en songe et viennent réclamer pour eux ou leurs collègues les honneurs qu’ils souhaitent. On ne leur refuse guère ce qu’ils ont ainsi demandé, et sur un très grand nombre de monuments qui cous restent de cette époque on lit qu’ils ont été élevés par l’ordre exprès des dieux, d’après tour volonté formelle, et que Jupiter ou Mithra ont pris la peine de venir dira eux-mêmes à gours adorateurs comment ils entendaient être honorés[79]. Ce qu’il faut bien remarquer, C’est que parmi le gens qui témoignent ainsi de leur foi complète à ces apparitions et à ces avertissements célestes, il y a sans doute beaucoup de petits marchands, de soldats et d’ouvriers ; mais il se trouve aussi des personnages d’importance, des officiers supérieurs de légions et des gouverneurs de provinces[80].

On est donc très tenté de croire, quand on consulte les Inscriptions, que toutes ces réformes religieuses entreprises par les philosophes n’ont pas pénétré profondément dans cette société. Le peuple semble y être resté étranger ; il conserva le plus souvent son ancienne manière d’entendre et de pratiquer la religion. Aussi a-t-on beaucoup reproché à la philosophie antique de n’avoir pas assez fait pour l’élever jusqu’à elle. Ce n’est pas qu’elle l’ait jamais systématiquement exclu de ses leçons, mais on général ses leçons n’étaient pas faites pour lui ; elle s’adressait de préférence aux gens de loisir, qui avaient le temps et le goût d’apprendre[81]. Je ne vois guère qu’une tentative sérieuse qui ait été essayée alors peur faire descendre la philosophie jusqu’aux plus pauvres et aux moins heureux : je veux parler de la prédication des cyniques ; encore est-il vrai de dire que l’école cynique, prise dans son enseignement doctrinal, ne s’adressait pas plus particulièrement aux classes inférieures de la société qu’aux autres. Elle prétendait affranchir l’homme en le délivrant de tous les besoins factices, elle cherchait à le détacher des biens imaginaires pour le préparer à toutes les fortunes : cette leçon s’applique à tout le monde, et c’est même le riche qui peut en profiter le plus. Aussi voyons-nous des cyniques comme Démétrius, l’ami de Sénèque et de Thrasea, vivre dans le meilleur monde et s’attacher à des grands seigneurs. Cependant, comme ils voulaient démontrer, en se réduisant au nécessaire, qu’on peut se passer du superflu, et qu’ils se faisaient volontairement pauvres pour apprendre à rie pas avoir peur de la misère, la genre de vie qu’ils menaient les rapprochait du peuple. En imitant ses manières, en vivant de sa vie, ils prirent sur lui une influence que ne pouvaient pas posséder ces grands personnages qui enseignaient dans les écoles pour quelques disciples choisis. Ils avaient une attitude et un costume qui les faisaient reconnaître ; ils portaient la besace et le manteau ; leur chevelure se tenait roide sur la tête, leur barbe sale retombait en désordre sur leur poitrine[82]. Ils demandaient leur pain quelquefois avec rudesse ; ils disaient tout haut leurs vérités aux grands seigneurs[83], et n’épargnaient pas toujours les princes[84]. Cette liberté de parole, en mépris de la fortune et du bien-être, ces misères acceptées volontairement et supportées avec énergie, l’originalité de leurs manières et de leurs propos, devaient donner aux cyniques une grande action sur le peuple. Épictète, qui les voyait bien accueillis des pauvres gens, comptait beaucoup sur eux pour la réforme des mœurs publiques, et il a tracé en termes magnifiques l’idéal de cet apostolat populaire. Le cynique est à peu près pour lui ce que le moine a été plus tard pour le Christianisme. Il doit renoncer à tous les biens et à toutes les affections ; il ne se mariera pas, de peur que les soucis de la famille ne le détournent des services qu’il doit rendre à l’humanité. Il faut qu’il puisse dire aux autres hommes : Regardez-moi, je suis sans patrie, sans maison, sans fortune, sans esclave ; je couche sur la terre, je n’ai ni femme ni olifant, et pourtant, que me manque-t-il ?[85] Pour dire la vérité, il s’exposera à être couvert d’outrages et roué de coups, Il ne saurait éviter d’être battu comme on bat un dite, mais il faut que battu il aime ceux même qui le battent. » Ces mauvais traitements ne doivent pas l’empêcher de parcourir le monde, sans se fatiguer d’être utile, et de s’adresser à tous ceux qu’il rencontrera comme leur père et leur frère, comme le ministre de leur père à tous, Jupiter. Malheureusement, il n’est pas probable que cet idéal ait été souvent réalisé. Les écrivains de cette époque sont en général sévères pour les cyniques[86]. On nous dit qu’ils vivaient mal ; qu’ils fréquentaient les mauvais lieux et qu’ils cherchaient à plaire au peuple en imitant ses vices et en flattant ses haines. En somme, leur enseignement eut peu de résultat, et ceux qui, comme Épictète, comptaient sur eux pour répandre la sagesse dans les rangs où les leçons des philosophes ne parvenaient pas furent trompés.

Mais si la philosophie n’a pas fait assez d’efforts pour élever le peuple à elle, elle a paru quelquefois descendre jusqu’à lui en acceptant avec complaisance les religions populaires : c’est ce qui est arrivé notamment au IIe siècle. Par là semblait s’établir une sorte d’accord entre la foule et les lettrés, et quand on voyait toutes les classes de la société se mêler dans les mêmes pratiques pieuses, on pouvait croire qu’elles étaient unies dans les mêmes croyances. Mais l’accord n’était qu’apparent[87]. Les lettrés, en acceptant la mythologie, faisaient mille réserves ; ils cherchaient à l’expliquer et à l’interpréter de façon à blesser leur raison le mollis possible. Ces accommodements n’étaient pas à l’usage du peuple, qui continuait à prendre ses légendes à la lettre. C’est seulement dans les dernières années que les sages du paganisme parurent comprendre qu’il était boit que tout le monde eût part à la vérité, et qu’il convenait de la répandre. Saint Augustin rapporte que, de son temps, on introduisit dans les temples païens l’usage de lire aux fidèles réunis des interprétations salutaires de la mythologie, qui enseignaient qu’il ne fallait pas la prendre à la lettre, et qu’on devait y chercher un sens profond[88]. C’était s’y prendre un peu tard, et d’ailleurs la plupart de ces interprétations Imaginées par les philosophes étaient subtiles, obscures ; et le peuple devait avoir beaucoup de peine à les comprendre et à les goûter. Varron dit qu’elles n’étaient qu’à l’usage des lettrés[89], et il non parait pas mécontent. On sait que la vérité ne loi paraissait pas bonne à enseigner à tout le monde[90], et beaucoup d’esprits sensés pensaient comma lui. La science et la sagesse leur semblaient des biens précieux parce qu’ils étaient rares, et ils auraient craint d’en diminuer le prix en les communiquant à trop de personnes. Ils ne s’apercevaient pas que ces séparations entre le peuple et les lettrés sont très fâcheuses quand elles deviennent profondes, et qu’elles créent à la fin pour les sociétés toute sorte de malaises et de périls. Aussi étaient-ils fort surpris quand ils voyaient les Chrétiens appeler tout le monde à l’intelligence des vérités divines. Cette prédication populaire, excitait leurs railleries. Ils accusaient les docteurs chrétiens de ne se plaire qu’avec les femmes et les jeunes gens[91], de n’ouvrir la bouche que devant les tisserands, les cordonniers et les foulons[92], et ne paraissaient pas se douter que ce serait la gloire de la religion nouvelle d’avoir évangélisé les pauvres et révélé les choses du ciel aux simples et aux petits[93].

Si les petits et les simples avaient quelque lieu de se plaindre de la philosophie antique, les riches et les lettrés, malgré la préférence qu’elle leur témoignait, ne devaient pas être non plus entièrement satisfaits d’elle. C’était beaucoup assurément de rendre les légendes plus raisonnables, de purifier et d’élever les pratiques du culte ; mais ce n’était pas assez. Depuis qu’on s’était tourné avec tant d’ardeur vers les idées religieuses, il était né, parmi les gens intelligents et instruits, des besoins nouveaux qu’il fallait contenter. Le plaisir de chercher la vérité et de l’entrevoir peut, à la rigueur, suffire à un philosophe ; mais quand on est un dévot, on veut croire. Longtemps les Grecs n’avaient paru agiter les grands problèmes de la vie que pour se donner le spectacle de leurs efforts ingénieux, et sans avoir le désir profond de les résoudre. A la fin, cette curiosité s’était lassée. Le monde se sentait vieillir ; déjà, du temps de Lucrèce, quand le laboureur, hochant la tète, se plaignait que la terre semblait épuisée et que la vigne se desséchait sur la colline, le poète répondait tristement que c’était la destinée de toute chose de s’acheminer vers la mort, et que le moment était proche où toute la nature, pliant sous le poids des années, irait se précipiter dans la tombe[94]. A ces heures de désenchantement, quand on ne compte plus sur l’avenir, certaines questions se posent avec insistance, et l’on est tourmenté du besoin d’y répondre. On veut avoir des croyances solides, appuyées sur des autorités certaines, qui permettent aux consciences troublées de se reposer en paix. Ce n’était pas la religion romaine qui pouvait les donner. J’ai fait voir qu’elle n’imposait pas de dogmes formels et laissait chacun libre de croire ce qu’il voulait. On lui a su gré longtemps de cette tolérance. Les gens éclairés en profitaient pour se faire une foi raisonnable ; ils choisissaient, dans ce qu’on racontait des dieux, ce qui leur semblait le plus sensé et traitaient fort légèrement tout le reste ; mais à la fin on s’était lassé de la liberté de choisir, et l’on préférait être asservi à quelques croyances assurées. Malheureusement, on ne savait où les trouver. Les théologiens, qui s’étaient chargés d’établir quelque ordre dans ces légendes confuses, n’avaient pas prétendu arriver à la certitude. L’homme imagine, disait Varron ; à Dieu seul il appartient de savoir[95]. Quoique travaillant en somme dans la même direction et pour le même résultat, ils ne parvinrent presque jamais entièrement à s’entendre[96]. Était-il du reste possible à la philosophie, partagée, comme elle l’était, en tant d’écoles contraires et livrées à des discussions sans terme, d’introduire dans la religion quelques éléments de certitude[97] ? Les stoïciens, qui comptaient alors le plus de disciples, paraissaient avoir une doctrine précise et stable[98], mais ce n’était qu’une apparence ; ils ne s’entendaient entre eux ni sur l’existence de l’âme après la mort, ni sur la nature de Dieu. Les uns voulaient que la Divinité suprême fût l’éther, d’autres le soleil, d’autres le monde ; en sorte, disait Cicéron, que leurs dissentiments ne nous permettent pas de savoir à qui nous devons nos hommages[99]. Au milieu de ces incertitudes, l’âme cherchait avec anxiété quelque croyance assurée et se désespérait de n’on point trouver. Le mal était ancien ; il en est question déjà dans un passage célèbre de Platon qui semble indiquer d’avance où l’on ira prendre le remède. Si l’on ne peut, dit-il, découvrir la vérité de soi-même, il faut choisir parmi les opinions humaines celle qui paraîtra la meilleure et la plus sûre, et s’y établir, comme sur un radeau, pour traverser la vie. A moins qu’on ne puisse trouver à s’embarquer sur un vaisseau plus solide, sur une parole divine, qui nous conduise en sûreté au terme du voyage[100]. Le besoin de croire et de savoir était bien plus vif au ne siècle qu’au temps de Platon. On avait fait l’essai de tous les systèmes, et l’on n’était satisfait d’aucun. Nulle part on n’avait rencontré cette certitude tranquille dont on ne pouvait plus se passer. Il semblait qu’après tant de mécomptes, la philosophie même en fût venue à désespérer d’elle, puisqu’elle tondait la main à ces religions qu’elle avait si longtemps combattues, et de tous les côtés on était à la recherche de cette parole divine qui devait conduire l’humanité au port.

 

— III —

Ce fut le Christianisme qui donna une pleine satisfaction à tous ces besoins confus qu’éprouvait le monde et que les religions anciennes ne contentaient qu’à moitié. Chez lui, l’unité du Dieu est entière ; il l’accepte sans réserve, il la proclame sans compromis et sans réticence. Il regarde la morale comme inséparable de la religion, ou plutôt comme la religion même[101]. Il rend toute sa liberté à la prière[102], et commande qu’on s’adresse à Dieu du fond du cœur, et non du bout des lèvres[103] ; il n’a point d’initiations secrètes réservées à un petit nombre d’élus, point de doctrine cachée qui ne soit révélée qu’à quelques personnes : il enseigne ses mystères à tous les fidèles sans distinction. Chez nous, dit un Père, ce ne sont pas raclement les riches qui ont accès à la sagesse ; nous la distribuons aux pauvres, et pour rien. Qui veut apprendre peut entrer[104]. Cet enseignement, si libéralement donné, ne consiste pas en discussions subtiles et en hypothèses ingénieuses, mais en dogmes précis. Pour la première fois tous les problèmes qui tourmentent les âmes reçoivent une solution formelle et définitive. Aux variations et aux incertitudes des sectes philosophiques, le Christianisme est fier d’opposer la ferme unité de sa doctrine[105] ; et comme il sait qu’elle attire à lui les gens qui veulent se reposer de leurs doutes et trouver la paix de l’esprit, il la maintient en séparant sans pitié de sa foi tous ceux qui s’écartent de son symbole. Présentées sous cette forme nette et impérieuse, appuyées sur une autorité divine, ces grandes vérités, que les sages avaient entrevues et discutées dans l’ombre des écoles, se répandent partout. Elles deviennent familières aux ignorants et aux pauvres, et pénètrent jusque chez les nations les plus sauvages, où n’étaient encore parvenues ai la science des Grecs ni les armes des Romains[106].

Mais il ne faut pas que ces grands résultats obtenus par le Christianisme, et qui ont renouvelé le monde, nous fassent trop oublier les efforts qu’on avait tentés avant lui. Un général, nous aimons à introduire dans l’histoire ces contrastes violents qui nous charment clans les romans. Il nous plait de faire d’une époque l’antithèse de celle qui l’a précédée et de supposer que le monde procède par bonds désordonnés et par révolutions imprévues. C’est ainsi que, lorsqu’on étudie la lutte des deux religions oui se disputent l’empire romain au IIe siècle, on s’imagine volontiers qu’elles étaient entièrement opposées l’une à l’autre, et qu’il ne devait rien se trouver dans la doctrine nouvelle qui ne fat un objet d’étonnement et même de scandale pour toua ceux qui avaient été nourris de l’ancienne. J’espère avoir montré que cette opinion est fort exagérée. Il y avait certainement entre elles des différences radicales, mais, pax certains côtés aussi, elles se touchaient et travaillaient quelquefois d’une manière diverse d’une œuvre commune. Saint Augustin proclame que le Christianisme seul a trouvé la route de cette patrie lointaine vers laquelle se dirigeait l’humanité ; mais il ajoute que la philosophie l’avait aperçue de loin et saluée du haut de la colline[107]. On se figure ordinairement que ces deux sociétés suivaient des directions contraires ; l’étude que nous venons de faire prouve qu’elles marchaient plutôt dans le même sens : mais l’une, conservatrice par nature, embarrassée de souvenirs et de traditions qu’elle entendait respecter, en se dirigeant vers l’avenir se retournait sans cesse vers le passé, ce qui rendait sa marche timide et son succès incertain ; l’autre, au contraire, étrangère sur ce sol qu’elle venait conquérir, libre de toutes ces attaches qui deviennent souvent des entra. vos, s’avançait résolument vers le but, et elle devait d’autant plus aisément l’atteindre qu’elle trouvait la route en partie frayée devant elle.

On peut donc prétendre qu’en somme, malgré les résistances que le Christianisme a rencontrées et les luttes qu’il a soutenues, il s’est développé dans des conditions favorables. Les Pères du l’Église ne font pas difficulté de l’avouer. Ils reconnaissent, par exemple, que la réunion du monde entier sous la domination de Rome et la paix profonde dont il jouissait depuis Auguste ont beaucoup aidé à la propagation de l’Évangile. Il aurait certainement éprouvé plus de peine à se répandre si les rapports entre leu nations avaient été plus rares et moins faciles. C’est Dieu, disent-ils, qui a soumis tous les peuples aux Romains pour préparer les voies au Christ[108]. D’autres causes aussi ont contribué à son triomphe, et parmi elles il n’y en a pas au de plus efficace que ce grand mouvement religieux que nous venons d’étudier. Je ne veux pas dire, comme on l’a fait, qu’il ait produit la révolution chrétienne et qu’il suffise à l’expliquer. Le Christianisme en a profité, mais il n’en est pas sorti ; ses origines sont ailleurs : il apportait avec lui, en s’établissant dans l’empire, une doctrine que Rome ne connaissait pas et qu’elle dut avoir quelque peine à comprendre. L’Épître aux Romains ne contient rien qui ressemble aux systèmes imaginés par les philosophes de la Grèce et qu’on puisse croire imité d’eux. Il n’est pas juste non plus de prétendre que le Christianisme n’a fait que continuer ]’œuvre des religions anciennes et de laisser croire que s’il ne les avait pas interrompues, elles seraient parvenues toutes seules où il est lui-même arrivé. Je crois avoir montré au contraire qu’après des efforts vigoureux, elles s’étaient arrêtées comme épuisées vers le IIe siècle. Elles avaient atteint alors, à ce qu’il semble, lettre limites naturelles, et ne paraissaient pas capables d’aller plus loin. La révolution accomplie par le Christianisme est donc, bien réellement son ouvrage et le fruit de sa vertu propre ; mais il n’est pas douteux qu’il n’ait tiré un grand profit du travail religieux et philosophique qui s’était accompli avant lui. Il ne se serait probablement pas propagé aussi vite un siècle plus tôt, dans cette société indifférente, railleuse, toute livrée aux soucis de la politique, qui dans les choses religieuses ne croyait pas et n’éprouvait pas le besoin de croire, au moment où Cicéron s’attirait les applaudissements de la foule en disant : Ne pensez pas qu’il soit possible qu’un dieu nous tombe du ciel, comme il arrive dans les tragédies, qu’il vienne se mêler à nous, courir le monde et converser avec les hommes[109]. Ce dieu descendu du ciel pour le salut de l’humanité, au il, siècle on y croyait et on l’attendait, et les imposteurs qui prenaient le nom de quelque divinité de l’Olympe et se donnaient pour elle, étaient sûrs de trouver des dupes[110]. Il fut donc utile au Christianisme de naître au milieu de cette fermentation religieuse qui arrachait le monde à l’indifférence ; il lui fat plus utile encore qu’elle n’eût abouti qu’à des résultats incomplets. Nous venons de voir que toutes les réformes qu’on avait tentées étaient restées imparfaites. La philosophie avait posé les plus grands problèmes et ne les avait pas résolus ; la religion avait excité les esprits sans les satisfaire. Une fois jetés sur la route, ils voulaient arriver au but ; ils étaient émus, troublés, pleins de désirs inassouvis et d’attente inquiète, affamés de croyances, prêts à suivre sans hésitation ceux qui leur apporteraient enfin ces biens précieux qu’on leur avait fait entrevoir oasis les leur donner, la paix et la foi. Le Christ peut venir, disait Prudence, les voies lui sont préparées[111].

Il est donc vrai que là mouvement religieux et philosophique du Ier siècle prépara les voies au Christianisme et rendit son succès plus facile. C’est ce qui en fait l’importance, c’est ce qui m’a engagé à l’étudier de près dans cet ouvrage. Si je voulais résumer, en finissant, les conclusions auxquelles cette étude m’a conduit, je n’aurais qu’à citer un mot de saint Augustin qui me semble indiquer avec un grand bonheur quelles furent les conséquences de tout ce travail des esprits et en quel état le Christianisme trouva le monde. Il raconte, dans ses Confessions, qu’il était tout livré aux futilités de la rhétorique et aux dissipations de la vie mondaine, quant il lut l’Hortensius de Cicéron. Cet ouvrage éveilla son esprit qui sommeillait et lui donna le goût des études sérieuses : Je me levai alors, Seigneur, dit-il, pour revenir vers vous[112]. Ces paroles s’appliquent à bien d’autres que lui. On peut dire qu’au Ier siècle le monde entier s’était levé sous l’impulsion de l’esprit religieux et de la philosophie ; il était debout, en mouvement, et, sans connaître le Christ, il s’était déjà mis de lui-même sur le chemin du Christianisme.

 

FIN DE L’OUVRAGE

 

 

 



[1] Voyez la fin du chapitre II de l’Introduction.

[2] C’est ce qui ressort du témoignage de Pline (Lettres, II, 1, 8, IV, 8, 3).

[3] C’est ainsi que dans la colonie de Narbonne (Orelli, 2489) et dans celle de Salone, en Dalmatie (Corp. inscr. lat., III, 1933), nous voyons qu’on dédie des monuments en se servant de l’antique lex dedicationis qui a été employée à Rome pour l’autel de Diane de l’Aventin.

[4] Tacite, Annales, III, 71.

[5] Minutius Felix, Octavius, 22. Dans les calendriers des derniers temps de Rome, les fêtes d’Iris, de Cybèle, de Mithra, figurent à côté de celles de Vesta et de Junon. Pendant longtemps, alors même qu’on permettait au Romain comme homme privé de prier les dieux à sa manière, on l’obligeait comme magistrat à n’accomplir que les sacrifices prescrits et d’après les rites ordonnés. Cette obligation ne paraît plus respectée à la fin du IIe siècle. On nous dit alors qu’il est d’usage que la proconsul d’Afrique consulte officiellement la Déesse Céleste sur les intérêts de l’empire. (Capitolin, Macrin, 8, 2).

[6] Nous savons, par exemple que, du temps d’Aurélien, on négligeait de consulter les livres sibyllins pendant les malheurs publics. (Vopiscus, Aurélien, 20 4.)

[7] Voyez au premier chapitre du second livre.

[8] Tertullien, Apologétique, 24.

[9] C’est ainsi que s’exprimait le célèbre Hiéroclès, dans son ouvrage contre les Chrétiens. (Lactance, Inst. div., V, 4.)

[10] Origène, Contre Celse, VIII, 2.

[11] Voyez le deuxième chapitre du second livre.

[12] C’est l’opinion de Celse, qui pense que les différentes parties de la terre sont administrées, comme des préfectures, par diverses puissances divines, ce qui ne l’empêche pas d’admettre au-dessus d’elles un Dieu suprême. (Origène, Contra Celsum, V, 45 et 41.) C’est aussi ce que pense Symmaque : Varios custodes urbibus cunctis mens divina distribuit. Ut animæ nascentibus, ita populis fatales genii dividuntur. (Relat. Symm., 8.)

[13] Plutarque, De Iside, p. 377.

[14] Tite-Live, XXVII, 25.

[15] Servius, Énéide, III, 319.

[16] Tel était le Panthéon d’Agrippa. Voyez aussi Orelli, 1307.

[17] Les prêtres eux-mêmes, qui auraient dû résister à ces mélanges et défendre les anciennes traditions, n’y étaient pas contraires ; ils les avaient laissés s’introduire jusque dans les rituels pontificaux. Voyez Servius, VIII, 275.

[18] Apulée, Métamorphoses, XI, 5.

[19] Servius, Bucoliques, III, 62.

[20] Macrobe nous a conservé quelque chose de ce grand travail théologique (Saturnales, I, 17 et 19).

[21] Voyez les indices du deuxième et du troisième volume du Corpus inscr. lat.

[22] Orelli, 1267.

[23] Orelli, 1261. Il arrive aussi très souvent qu’on invoque avec lui tous les autres dieux ensemble (Jovi optimo maximo ceterisque dis immortalibus), comme pour montrer par cette formule qui l’absorbe et résume leur puissante, et que l’unité divine doit se recomposer en sa personne. Voyez Orelli, 5653, 5654, 1709, 2122, etc.

[24] Tertullien, Ad Scap., 4.

[25] Tertullien, Apologétique, 17 ; Ad Scap., Minutius Felix, Octavius, 18.

[26] Prudence, Apoth., 188.

[27] Voyez le second chapitre de l’Introduction.

[28] Tite-Live, V, 18.

[29] Il y a pourtant quelques exceptions à ce principe, qui est vrai on général : chez Homère, la religion paraît être par moments une sorte de sanction de la morale.

[30] Horace, Carmina, III, 7, 19.

[31] Sénèque, De vita beata, 26, 6.

[32] Tacite, Annales, XV, 36. Suétone, Néron, 31.

[33] Pline, Lettres, II, 1, 8.

[34] Sénèque, Cons. ad Marciam, 24, 3.

[35] Ovide, Tristes, II, 287.

[36] Renier, Inscr. de l’Algérie, 105.

[37] Voyez Cicéron, De officiis, II, 3, 14, 28. Varron, dans saint Augustin, De civ. Dei, VI, 9. Sénèque, De ira, II, 27, 1 ; De beneficii, IV, 19, 1.

[38] Aristote, Éthique de Nicomaque, VIII, 7.

[39] Cicéron, De partit., orat. 16.

[40] Sénèque, Lettres, 47, 18. Voyez, sur cette question, les notes de M. Havet dans son édition de Pascal (t. I, p. 178 et 210 de la seconde édition).

[41] Sénèque, Lettres, 115, 5.

[42] Sénèque, Fragm. 183 (édit. Haase).

[43] Servius, Énéide, VIII, 291.

[44] Voyez Tite-Live, XXVII, 37, XXXI, 13, et le chant séculaire d’Horace. Il est question, dans les commentateurs de Virgile, d’un certain Marius, qui cet appelé Lupercetiorum poeta. Était-il chargé de composer des hymnes pour les fêtes ? Voyez Servius et Philargyrius, Bucoliques, I, 20.

[45] Horace, Épîtres, II, 1, 182.

[46] Pline, Panégyrique, 3.

[47] Voyez le chapitre premier du troisième livre.

[48] Justin, Apologie, I, 46 et 66. Tertullien (De præcr., I, 45), en parlant du diable, qui fait accomplir à ses fidèles, dans les mystères, les mêmes rites que célèbrent les Chrétiens, semble vouloir exprimer la même idée que saint Justin.

[49] Voyez le troisième chapitre du second livre.

[50] Cicéron, De nat. deor., I, 16.

[51] Pline, Histoires naturelles, II, 7 (5).

[52] Pline, Histoires naturelles, II, 7 (5).

[53] C’est ainsi que s’exprime Maxime de Madaure, dans sa lettre célèbre à saint Augustin. (S. Augustin, Lettres, 16 [48].)

[54] C’est ce que Sénèque appelle spirituellement : unicuique nostrum pædagogum dari deum. (Lettres, 110, 1).

[55] Orelli, 1269.

[56] Orelli, 1255.

[57] S. Augustin, De civ. Dei, II, 6.

[58] C’est ainsi que sur le tombeau de Vincentius, le prêtre de Sabasius, qui a été retrouvé aux catacombes, on trouve cette exhortation épicurienne : Vive, lude et veni ad me. Le même hypogée contient la tombe d’un prêtre de Mithra dont on dit : Basia, voluptates, jocum, alumnis suis dedit, et on semble lui en faire honneur. (Orelli, 6042.)

[59] Voyez surtout Lettres, II, 46. Il y traite fort mal de malheureux Germains, qui se sont tués pour ne pas paraître dans les jeux publics.

[60] Prudence, Contre Symmaque, II, 1126.

[61] Silius, IV, 708.

[62] Pline, Histoires naturelles, XXVIII, 2 (8). Il nous apprend que l’on conservait toujours par précaution la formule des prières qui devaient accompagner ces sacrifices.

[63] Lampride, Commode, 9.

[64] Lampride, Héliogabale, 8.

[65] Vopiscus, Aurélien, 20.

[66] Tibère fit tuer des prêtres qui, en Afrique, immolaient des enfants à Saturne. (Tertullien, Apologétique, 9.)

[67] Pline, Histoires naturelles, XXX, 1 (3).

[68] Plutarque a déjà fait remarquer, à ce propos, que les Romains défendaient chez les autres ce qu’ils se permettaient chez eux. (Quæst. rom., p. 583.)

[69] Voyez le second chapitre du troisième livre.

[70] Ovide, Fastes, III, 271.

[71] Suétone, Caligula, 35.

[72] C’est ce qui arriva notamment pour les tauroboles. (Boissieu, Inscr. de Lyon, p. 33 et 36.)

[73] C’est ainsi qu’un marchand les remercie d’avoir conservé des marchandises qui pouvaient courir quelque danger. (Orelli, 2029)

[74] Un papyrus de l’Égypte contient une supplique adressée à Sérapis par une jeune fille pour rendre efficaces les imprécations qu’elle prononce contre son père (Journal des savants, 1928, août.)

[75] On a retrouvé à Rome une table de marbre qui devait être suspendue dans le temple d’Esculape, situé dans l’île du Tibre. Elle contient la mention des guérisons miraculeuses qui ont été obtenues par l’invocation du dieu. L’un de ces miracles s’est accompli devant tout le monde et aux acclamations de la foule. Dans les autres, le malade, après avoir été guéri chez lui, est venu remercier Esculape, et témoigner en public de sa reconnaissance (Gruter, 71, 1). Marini fait remarquer, à cette occasion, qu’en général ce n’était pas uniquement par des prières et des pratiques dévotes que le malade était guéri. En réalité, on pratiquait la médecine dans les temples, et il est presque toujours question de remèdes donnés par les prêtres et qui ont eu les meilleurs effets. (Arvali, p. 247.)

[76] Orelli, 1518.

[77] Orelli, 1420.

[78] Mommsen, Inscr. Neap., 3531.

[79] Orelli, 1914.

[80] Orelli, 1248. Renier, Inscr. de l’Algérie, 3.

[81] Nous avons montré plus haut que les stoïciens essayèrent de rendre leur doctrine populaire (voyez l. I, chap. II). Quelques-uns de leurs philosophes les plus illustres, par exemple Cléanthe et Epictète, étaient sortis des derniers rangs de la société ; mais leur doctrine, qui était obscure, demandait de longues études pour être comprise. Par sa sévérité, elle ne convenait qu’à quelques esprits d’élite, et n’arriva jamais à se répandre beaucoup dans le peuple. L’épicurisme était plus simple, plus accommodant, mieux fait pour la foule, il s’y est par moments insinué assez bas ; on nous dit même qu’il est sorti des limites du monde civilisé, et qu’il a pénétré chez les nations barbares (Cicéron, De fin., 1, 16) ; mais ce qui montre combien cette prétention de sortir du cercle des lettrés et de faire des conquêtes dans le peuple était contraire en général à l’esprit de la philosophie antique, c’est que Cicéron ne peut pas la comprendre. Il se moque finement de ces épicuriens qui prennent leurs sages parmi les ignorants, comme les vieux Romains allaient chercher Cincinnatus à sa charrue pour en faire un dictateur. (De fin., 11, 7.)

[82] Martial, IV, 63.

[83] Aulu-Gelle, IX, 1.

[84] Suétone, Néron, 39.

[85] Dissert., III, 22.

[86] Aulu-Gelle, IX, 2.

[87] Voyez le septième chapitre du second livre.

[88] Lettres, 92 (202).

[89] S. Augustin, De civ. Dei, VI, 5. C’est aussi l’opinion de Denys d’Halicarnasse, Ant. rom., II, 23.

[90] S. Augustin, De civ. Dei, IV, 31.

[91] Tatien, Orat. adv. Græcos, 33, et Minutius Felix, Octavius, 16.

[92] Origène, Contre Celse, III, 40 et 55.

[93] S. Matthieu, II, 5 et 25.

[94] Lucrèce, II, 1164.

[95] S. Augustin, De civ. Dei, VII, 17.

[96] Le nombre de ces interprétations sur lesquelles on avait fini par s’entendre n’était pas très grand. La façon dont on explique les légendes qui ont rapport à la déesse Tellus parait avoir été acceptée par toutes les écoles (Lucrèce, II, 60 ; Ovide, Fastes, IV, 215 ; Servius, Énéide, 113, et Varron dans S. Augustin, De civ. Dei, VII, 24, avec les corrections de Haupt, Hermès, IV, p. 333) ; mais, en général, on ne s’accordait pas. Voyez la manière dent saint Augustin se moque des contradictions de Varron (De civ. Dei, VII, passim). Voyez aussi Arnobe, III, 20, et IV, 34.

[97] Ce ne sent pas seulement les l’ères de l’Église qui ont raillé la philosophie ancienne à cause de ses incertitudes : on retrouve déjà les mêmes reproches datte les auteurs païens, surtout chez les Romains, à qui ces luttes de doctrines ne convenaient pas et qui, en toutes choses, aimaient qu’on s’entendit. Voyez Cicéron, De divin., II, 58 ; De nat. deorum, I, 16. Varron, Eumen, 15, p. 127, édit. Riese.

[98] Cicéron, De nat. deorum, 2, 1.

[99] Cicéron, Acad., II, 41.

[100] Phédon, p. 85.

[101] Lactance, V, 9. Minutius Felix, Octavius, 32.

[102] Tertullien, Apologétique, 30.

[103] Tertullien, De orat., 17.

[104] Tatien, Adv. Græcos, 32.

[105] S. Augustin, De civ. Dei, XVIII, 41, 2.

[106] S. Jérôme, Lettres, 60, 4.

[107] S. Augustin, Confessions, VII, 31.

[108] Prudence, Contre Symmaque, II, 586. Voyez aussi Origène, Contre Celse, II, 30.

[109] Cicéron, De harasp. responsis, 88.

[110] Voyez, par exemple, les histoires plaisantes racontées par Lucien dans son Alexandre.

[111] Prudence, Contre Symmaque, II, 620.

[112] S. Augustin, Confessions, III, 4.