La religion romaine d’Auguste aux Antonins

 

LIVRE PREMIER — LA RELIGION ROMAINE PENDANT LE SIECLE D’AUGUSTE

CHAPITRE PREMIER - RÉFORMES RELIGIEUSES ET MORALES D’AUGUSTE

 

 

— I —

Quand Auguste se vit le maître de l’empire ou sur le point de l’être, il s’occupa de fonder un gouvernement qui pût se maintenir. C’était sa principale ambition, disait-il plus tard aux Romains dans un de ses édits, de laisser à son pays des institutions durables[1]. Mais un établissement politique n’a quelque chance de durer que s’il repose sur un fondement solide, et autour de lui tout était en ruine. La république venait d’achever de périt à Philippes ; l’aristocratie avait été décimée par les proscriptions ou sue les champs de bataille ; le peuple n’était plus qu’un amas d’affranchis ou d’étrangers sans patriotisme et sans traditions. Il lui était donc nécessaire de chercher ailleurs un appui.

La vieille religion romaine, nous venons de le voir, avait sans doute beaucoup perdu de sa puissance ; c’était pourtant un des seuls éléments conservateurs qui subsistât dans cette société en débris. Malgré sa décadence visible, on s’obstinait à croire qu’elle ne devait pas périr. Lorsque Horace disait que ses vers seraient chantés tant que le pontife monterait les degrés du Capitole accompagné de la vestale silencieuse[2], il voulait leur prédire l’immortalité. Elle avait moins souffert que tout le reste des événements terribles qui venaient d’emporter l’ancien gouvernement ; on peut même dire qu’ils lui avaient été plutôt utiles que nuisibles. Lucrèce fait remarquer combien le malheur et le danger rendent l’homme accessible à la crainte des dieux et aux terreurs de l’autre vie : ceux qui se disent les moins crédules immolent alors des brebis noires et font des sacrifices aux mânes[3]. Il en est des nations comme des individus : ces grands coups qui les menacent ou qui les frappent les ramènent à la religion. Les oracles et les prophéties jouèrent un grand rôle pendant la guerre civile ; il y avait beaucoup de devins dans le camp de Pompée, et ils ne manquaient pas de lui prédire la victoire[4]. Au milieu de ces grands seigneurs légers et railleurs, Nigidius Figulus consultait les étoiles, Appius Claudius interrogeait les morts. On désirait avec ardeur connaître l’avenir, et, comme on était malgré soi inquiet et troublé, on ajoutait foi au moindre présage[5]. Les sceptiques eux-mêmes se sentaient ébranlés dans leur incrédulité. En sa qualité d’épicurien, Cassius pensait que la Divinité ne s’occupe pas des choses humaines ; il disait pourtant à Brutus, quelque temps avant Philippes, qu’il voudrait bien pouvoir croire que les dieux soutiennent la cause la plus juste et qu’il en serait plus confiant dans le succès[6]. En ce moment, où tout allait périr, beaucoup devaient éprouver comme Cassius le besoin de croyances solides : se voyant prés de l’abîme, ils se retournaient vers les opinions du passé pour s’y retenir. Il est donc vrai de dire que la religion romaine profita des désastres de Rome, et qu’après la ruine de la république elle était une des forces qu’on pouvait employer pour relever la société. César lui-même s’en aperçut : malgré le peu de goût qu’il témoignait pour elle, il semble qu’et la fin de sa vie il ait eu quelque dessein de s’en servir dans ses projets de restauration politique[7]. Auguste en comprit bien mieux encore l’importance, et l’on peut dire, sans exagération, qu’il appuya son gouvernement sur elle.

Ce prince qui entreprit de restaurer la religion de son pays était-il un croyant sincère ? Il serait bien difficile de l’affirmer. Antoine l’accusait d’avoir un jour, dans une débauche de jeunesse, parodié avec ses amis un festin de l’Olympe. Il s’était passé, dans ce repas des douze dieux, des scènes si scandaleuses qu’au dire d’un poète, les divinités du ciel s’étaient voilé la face et que Jupiter avait quitté le Capitole pour ne pas les voir[8]. Ce qui est sûr, c’est qu’Auguste était fort superstitieux ; il faisait grande attention aux présages, et quand par hasard il avait mis le matin son soulier gauche à son pied droit, il redoutait un accident toute la journée. Il avait soin de ne jamais se mettre en route le lendemain des nundines et de ne commencer rien de sérieux le jour des nones. A la suite d’un songe qu’il regarda comme un avertissement divin, il prit l’habitude de mendier une fois par an : il se tenait ce jour-là à la porte de son palais et tendait la main au peuple[9] ; mais toutes ces pratiques superstitieuses ne prouvent pas qu’il crût à la religion de son pays où à aucune autre. César, qui faisait profession publique d’incrédulité, ne montait jamais en voiture sans prononcer une formule magique qui devait le préserver de tout accident[10]. Dans tous les cas, quand le zèle religieux d’octave ne serait qu’une sorte de rôle qu’il s’imposait, il faut reconnaître que la nature l’avait parfaitement disposé à le jouer. Ce jeune homme grave et froid, qui dans sa conduite et dans ses paroles prit de bonne heure l’habitude de ne rien laisser au hasard, qui ne connaissait d’abandon avec personne, qui écrivait d’avance ses entretiens les plus intimes, de peur de s’y livrer plus qu’il ne voulait, ce politique minutieux et méthodique, ami de la régularité, si scrupuleux en toute chose à respecter les apparences, devait se sentir un penchant naturel pour un culte qui ne se composait guère que de pratiques et ne tenait qu’à l’extérieur et aux dehors de la dévotion. Ces affinités que la vieille religion avait avec sa nature l’aidèrent sans doute à comprendre les services qu’elle pourrait rendre à sa politique.

Octave parait avoir conçu d’assez bonne heure le plan qu’il suivit pendant toute sa vie. En 714, deux ans à peine après l’époque où, contrairement aux lois religieuses de Rome, il élevait, avec ses collègues, un temple à Sérapis[11], où il punissait si cruellement les habitants d’une ville d’Italie coupables d’avoir rendu quelques honneurs aux citoyens qui étaient morts pour la république[12], il manifesta l’intention de revenir aux institutions anciennes, et tendit la main aux débris du parti républicain[13]. Dès ce moment il prit l’habitude de ne plus parler qu’avec respect du passé et parut travailler à le faire revivre, Sextus Pompée n’était pas tout à fait vaincu, et il était encore très douteux qu’Octave devint le maître du monde, lorsqu’en 747 Virgile commença à composer ses Géorgiques. Le poète dit lui-même que Mécène lui avait demandé cet ouvrage[14]. Ce n’était probablement pas pour satisfaire sen goût personnel que cet ami des plaisirs raffinés de la ville faisait chanter par Virgile la gloire de la divine campagne ; mais son maître et lui n’oubliaient pas que les champs avaient été l’école de la grandeur romaine, ils voulaient y ramoner cette génération épuisée pour lui rendre, avec ses vieilles habitudes et ses anciennes croyances, sa première vigueur. En 722, quand Octave fut sur le point de partir contre Antoine, il se rendit, en qualité de férial, au temple de Bellone et il accomplit toutes les cérémonies en usage dans l’ancien temps pour déclarer la guerre[15]. A ce moment solennel où l’Italie entière, la Gaule, l’Espagne, l’Afrique, la Sicile, la Sardaigne, venaient lui jurer fidélité et le proclamer leur chef contre l’ennemi commun[16], il tenait surtout à éloigner des esprits l’idée que c’était la guerre civile qui recommençait. Il n’était question que de combattre les Égyptiens, et c’est à peine si, dans les écrits du temps, on prononce le nota d’Antoine ; mais, en revanche, on parle sans cesse de cette reine étrangère, entourée de son troupeau d’eunuques, qui osait dire, lorsqu’elle avait la tête échauffée par son vin de Maréotis, qu’elle venait brûler le Capitole[17]. Octave était donc le véritable représentant de la patrie et de la religion romaine menacées. Virgile le montre entouré du sénat et du peuple, portant sur son vaisseau les Pénates, et secouru par les dieux de Rome[18]. Il est là, dans cette attitude de héros national et religieux qu’il se donnera toute sa vie : en le dépeignant sous ces traits, comme le protégé des dieux et le protecteur de leur culte, son poète chéri l’a certainement représenté ainsi qu’il voulait l’être.

Rien ne fait mieux comprendre le caractère qu’il souhaitait donner à son pouvoir que le nom qui lui fut décerné par le sénat en 727 et qu’il parut accueillir avec tant de reconnaissance. II s’agissait pour lui de rompre solennellement avec son passé. Il en avait déjà répudié les actes : l’année précédente, il venait de décider que toutes les lois que ses collègues ou lui avaient faites pendant les troubles civils seraient abolies jusqu’à son sixième consulat[19]. Certes on ne pouvait pas se condamner plus formellement soi-même, reconnaître l’injustice des mesures qu’on avait prises, avouer aux yeux du monde l’illégalité du pouvoir qu’on avait exercé. Il voulut pourtant aller plus loin, et marquer avec plus d’évidence encore, en prenant un nom nouveau, qu’il entendait se séparer tout à fait de sa vie d’autrefois. Ce nom, c’est le sénat qui fut chargé de le trouver, et l’on pense bien que ce corps si docile ne se décida pas sans consulter les préférences du maure. On songea d’abord à l’appeler Romulus, ce qui, dit-on, lui plaisait assez : il était fier qu’on parût le regarder comme le second fondateur de Rome ; mais l’habile Munatius Plancus fit prévaloir le nom d’Auguste. C’était un terme emprunté à la langue sacerdotale ; il désignait, dans les vieux rituels, les temples consacrés selon les rites[20]. En l’appelant ainsi, dit Florus, il semblait que de son vivant même on voulût lui donner un avant-goût de l’apothéose qui l’attendait[21]. Et Végèce prétend que lorsqu’un prince reçoit ce nom, il devient aussitôt une sorte de dieu présent et corporel, auquel on doit tous ses hommages[22]. C’est là véritablement l’idée qu’Octave voulait qu’on eût de son pouvoir ; il semblait proclamer, en prenant ce titre d’Auguste, qu’il était investi d’une autorité divine et qu’il fallait le regarder comme le représentant des dieux sur la terre.

 

— II —

Auguste travailla pendant tout son règne à restaurer la religion romaine et à lui rendre l’autorité qu’elle avait perdue. Il savait bien que ce n’était pas une entreprise facile, et que des changements de ce genre ne s’imposent pas par décret ; aussi essaya-t-il d’agir sur ceux qui l’approchaient par ses exhortations et par son exemple. Quand il fut grand pontife, il voulut montrer qu’il prenait ses fonctions au sérieux. Il se soumettait avec affectation à toutes les exigences du rituel, même à celles qui semblaient convenir le moins à sa haute fortune, et nous savons par Suétone qu’il ne portait jamais de vêtements que ceux qui avaient été tissés par sa femme ou par sa fille[23]. Lorsqu’il eut le malheur de perdre l’un des siens, sa sueur qu’il aimait tendrement, son gendre Agrippa, son beau-fils Drusus, il voulut, selon l’usage, prononcer leur oraison funèbre, mais pendant qu’il parlait, un voile le séparait du cadavre, parce qu’il n’était pas permis à un pontife de voir un mort[24]. Quoiqu’il eût beaucoup à faire, il ne négligeait pas d’assister aux réunions des collèges sacerdotaux dont il faisait partie, et nous le voyons, quelques mois avant sa mort, prendre part aux cérémonies des frères Arvales[25]. Il souhaitait que l’exemple qu’il donnait d’obéir scrupuleusement à la loi religieuse fût suivi par les personnages importants de l’empire. Pour que le sénat apportât dans l’accomplissement de ses fonctions un esprit plus grave et plus pieux, il ordonna que chaque sénateur, en se rendant à sa place, s’approchât de l’autel du dieu dans le temple duquel on était réuni, et lui offrit du vin et de l’encens[26]. En même temps il essayait d’entraîner l’opinion publique par le moyen de ces grands poètes qui l’entouraient et qui se montrèrent si empressés à servir ses desseins. Les Horace, les Virgile. les Properce, les Ovide, tous ceux que home écoutait le plus volontiers l’entretenaient sans cesse de ses anciennes légendes ; ils lui rappelaient qu’elle devait ses succès à sa piété, et que c’était en se soumettant aux dieux qu’elle avait soumis le monde. La poésie prêtait du charme à cette vieille mythologie, et ce monde léger était surpris d’entendre parler sans sourire de Janus et de ses surnoms ou des fêtes naïves des Lupercales et des Palilies. C’était assurément un progrès ; mais qu’il en restait à faire, pour rendre à cette religion en déclin le prestige dont elle avait autrefois joui !

Ce qui était plus facile que de ranimer des croyances éteintes, c’était de rendre son éclat au culte, d’augmenter les privilèges da sacerdoce, de rétablir d’anciennes cérémonies, de relever les temples. Ces réformes matérielles et extérieures sont vraiment les seules qui soient de la compétence de l’autorité civile ; Auguste le comprit bien. Quand son règne commença, les temples de Rome étaient presque tous en ruine ; les plus anciens, les plus célèbres avaient été dévastés par des incendies ou périssaient de vieillesse : celui de Jupiter Férétrien, fondé par Romulus, avait perdu sa toiture et ses murailles ne tenaient plus[27] ; celui de Juno Sospita était désert et, souillé d’ordures[28]. L’araignée, disait Properce, tisse sa toile et les mauvaises herbes croissent dans la demeure solitaire des dieux[29]. Auguste fit honte de ce délabrement des temples aux descendants de ceux qui les avaient construits ; il demanda aux héritiers des grandes familles, quand il en restait, de réparer les monuments qui portaient le nom de leurs ancêtres[30] ; lui-même en fit reconstruire un grand nombre, qu’il énumère avec complaisance dans l’inscription d’Ancyre. Après les avoir bâtis, il dépensa des sommes considérables pour les orner ; il évalue à 400 millions de sesterces (20 millions de francs) les dons qu’il consacra dans ces divers édifices[31]. Il plaça dans la chapelle de Jupiter, au Capitole, pour plusieurs millions de perles et de pierres précieuses[32]. Non content de ces travaux de détail qui rendaient au culte des dieux sa splendeur et embellissaient Rome, il prit en 726 une mesure générale. Pendant mon sixième consulat, nous dit-il dans l’inscription d’Ancyre, j’ai refait à Rome, par l’ordre du sénat, quatre-vingt-deux temples, n’en négligeant aucun de ceux qui avaient alors besoin d’être réparés[33]. Cette munificence, qui s’étendait à tous les monuments religieux, frappa beaucoup l’opinion publique ; elle fut chantée par les poètes, qui ne manquaient aucune occasion de célébrer les actes de l’empereur. Sous lui, disait Ovide, les édifices sacrés ne connaissent plus la vieillesse. Ce n’est pas assez d’être utile aux hommes, il oblige même les dieux. Ô saint fondateur de temples ! Ô toi qui répares les monuments ruinés, puissent les dieux te rendre tout ce que tu fais pour eux ![34]

Le plus grand théologien de l’époque de César, Varron, attribuait la décadence de la religion romaine à l’ignorance et à l’abandon des anciens rites, et il consacra son livre des Antiquités divines à les faire connaître. Auguste pensait sans doute comme lui, et il ne négligea rien pour rétablir ces pratiques dont Varron regrettait la perte. Les vieilles cérémonies de l’Augurium satulis, dans lesquelles les augures priaient les dieux pour la prospérité de l’État, étaient négligées depuis la guerre de Mithridate ; il les fit célébrer de nouveau[35]. Il rendit tout leur éclat aux fêtes de Luperques, interrompues pendant la guerre civile, et qui après lui devaient encore durer quatre siècles[36] ; il renouvela les jeux, séculaires et ceux des carrefours ; il ajouta plusieurs jours aux Saturnales[37]. Il augmenta le nombre des prêtres, il accrut leurs privilèges, surtout ceux des Vestales, pour lesquelles il professait un respect particulier. Comme à la mort de l’une d’elles qu’il s’agissait de remplacer, il voyait beaucoup de personnes faire toute sorte de brigues pour obtenir que leur fille ne fût pas choisie, il déclara avec serment que si quelqu’une de ses petites-filles avait l’âge requis il l’offrirait très volontiers[38]. On n’avait plus nommé de flamine de Jupiter depuis Sylla : il en fit créer un[39] ; il ne souffrit pas qu’il y eût aucune négligence dans la nomination du roi des sacrifices ; comme cela était arrivé trop souvent dans les dernières années[40]. Les actes les plus anciens des frères Arvales que nous ayons conservés datent de la fin de son règne ; on en a conclu qu’il avait réorganisé aussi cette célèbre corporation. Tous ces collèges sacerdotaux, dont l’existence semble si obscure à la fin de la république, reprirent leur importance avec lui, et c’est sans doute pour lui plaire que les grands personnages recommencèrent à briguer l’honneur d’en faire partie. Ce fut donc une restauration générale de l’ancien culte, et comme il consistait en pratiques plus qu’on dogmes et en croyances, en renouvelant tous ces rites oubliés, Auguste pouvait croire qu’il lui avait vraiment rendu la vie.

Ce n’était pourtant pas assez, pour le dessein qu’il se proposait, de rebâtir des temples et de restaurer de vieilles coutumes. L’esprit religieux a besoin d’autres stimulants pour se ranimer. Il a tout d la fois le goût de l’ancien et du nouveau ; il aime sans doute à revenir au passé ; mais pour qu’il reprenne son élan et son ardeur, quand il les a perdus. Il est bon que le passé soit rajeuni par quelques innovations. Aussi voyons-nous les réformateurs religieux, en même temps qu’ils rétablissent les anciennes pratiques dans leur pureté, ne pas manquer d’instituer des dévotions nouvelles ; c’est œ que fit aussi Auguste. Cette partie de es tache lui était assez facile s il n’y avait rien de plus aisé que d’augmenter autant qu’on le voulait le nombre déjà si grand des dieux dans les religions antiques. Une qualification nouvelle donnée à une ancienne divinité suffisait pour en faire un dieu nouveau. C’est par ce moyen qu’Auguste créa ou renouvela trois cultes importants, qui se rattachaient tous à sa dynastie, celui de Vénus Mère (Venus Genetrix), celui de Mars Vengeur (Mars Ultor), et celui d’Apollon Palatin (Apollo Palatinus).

Vénus était regardée comme la mère des Romains, et c’est à ce titre que Lucrèce l’invoque au commencement de son poème ; mais elle était surtout la mère de la famille des Jules, qui se prétendaient issus d’Énée. César, tout incrédule et tout démocrate qu’il était, se vantait beaucoup de cette origine, et quoique cette prétention fit sourire les gens éclairés, qui l’appelaient quelquefois par raillerie le beau fils de Vénus[41], il n’est pas sûr qu’elle n’ait pas servi sa politique : la démocratie romaine aimait assez. Â prendre ses chefs dans les plus anciennes familles, et elle était fière d’eux quand ils portaient un grand nom. A la bataille de Pharsale, César promit d’élever un temple à sa divine aïeule, s’il était victorieux. Il le fit construire dans le forum somptueux qu’il bâtissait en ce moment et dont l’emplacement seul lui avait coûté 400 millions de sesterces (20 millions de francs). Il l’avait dédié en toute hâte deux ans avant sa mort ; cependant l’œuvre n’était pas encore entièrement terminée aux ides de Mars, et ce fut Octave qui l’acheva. Octave aussi était très fier de cette illustre naissance et pendant les premiers temps de son pouvoir, l’image de Venus Genetrix parait souvent sur ses monnaies.

Le culte de Mars Vengeur doit son origine à la mort de César. Pendant la campagne entreprise contre Brutus et Cassius, Octave fit vœu d’élever un temple à Afars, s’il parvenait d punir les meurtriers de son père. Il fit plus tard de ce temple le centre du forum qu’à l’exemple de César il se proposait de construire. L’ouvrage marcha très lentement[42] ; il n’était pas encore achevé quand les Parthes, effrayés des préparatifs qu’Auguste faisait contre eux, se décidèrent à rendre les étendards de Crassus. Cet événement glorieux donnait à Rome les satisfactions de la victoire sans les embarras de la guerre. Il remplit les Romains de fierté, et Auguste voulut construire un monument qui en conservât le souvenir. C’était une vengeance aussi que Rome tirait, après un demi-siècle de honteuse patience, du désastre le plus humiliant qu’elle eût subi depuis les guerres puniques. Auguste la célébra en faisant bâtir un petit temple à Mars Vengeur dans le Capitole, en face de celui de Jupiter Férétrien qu’il avait réparé, et l’on y plaça les étendards reconquis. Quant au grand temple du forum, il rie fut achevé qu’en 757 ; mais aussi c’était un ouvrage admirable : les portiques qui l’entouraient contenaient les statues de tous les grands hommes d’autrefois, en habits de triomphateurs, avec des inscriptions qui rappelaient leurs victoires. Auguste, en les mettant à cette place et en les traitant avec tant d’égards, semblait vouloir prouver que l’empire ne se séparait pas des traditions de la république et qu’il avait la prétention de les continuer.

Le culte d’Apollon Palatin était plus personnel à l’empereur que les deux autres. Auguste parait avoir eu de tout temps pour Apollon une dévotion particulière : déjà dans ce repas des douze dieux, que les malins lui reprochaient, on remarque qu’il avait pris le rôle d’Apollon pour lui. Il aimait à se faire représenter avec les attributs et sous les traits de son dieu favori. Les flatteurs disaient qu’il en était le fils, et un savant Égyptien lui attribua très sérieusement cette origine dans un ouvrage de théologie[43]. A la bataille d’Actium, il se trouva par hasard qu’un temple d’Apollon s’élevait sur le rivage, près de l’endroit où l’on avait combattu : il n’en fallut pas davantage pour qu’on lui accordât une part dans le succès de la journée : le dieu, selon Virgile, avait tendu son arc et lancé ses traits inévitables contre les ennemis de son protégé. Il en fut bien payé par la reconnaissance du vainqueur, qui institua en son honneur des fêtes somptueuses. Auguste tint surtout à loger son protecteur auprès de lui et à l’avoir dans sa demeure. La maison modeste qu’il habitait sur le Palatin s’augmentait avec ses victoires. Après la défaite de Sextus Pompée, il avait envoyé l’ordre à ses intendants d’acheter les habitations voisines pour agrandir la sienne ; mais comme il redoutait les commentaires des mécontents, il voulut dans cette augmentation faire une large part pour le publie et pour les dieux. La foudre venait justement de tomber sur sa maison ; les haruspices consultés déclarèrent que les dieux réclamaient la partie qu’ils avaient frappée, et Auguste s’empressa de la leur abandonner. C’est sur ce terrain que fut construit le temple célèbre d’Apollon Palatin : c’était un édifice magnifique, de marbre de Carare, rempli des chefs-d’œuvre de l’art grec et surmonté d’une statue du Soleil sur un quadrige d’or. Les portiques dont il était entouré abritaient les deux bibliothèques grecque et latine dont il est tant question dans les auteurs anciens et qui contenaient les ouvrages et les statues des grands écrivains des deux pays[44]. La dédicace du temple et des portiques a lieu en 726, avec des fêtes dont le souvenir se retrouve dans les poètes de ce temps[45].

C’est ainsi qu’en renouvelant des cultes anciens et en créant des cultes nouveaux, Auguste essayait de faire circuler la vie dans cette religion épuisée ; il lu servait encore d’une façon indirecte quand il travaillait à rendre meilleures les mœurs publiques. Depuis le christianisme, la morale et la religion sont devenues inséparables ; nous aurons l’occasion de foire souvent remarquer qu’il n’on était pas tout à fait de même (laits l’antiquité. A lions, régler les mœurs était liste fonction politique attribuée à un magistrat spécial. Ce n’est pas on qualité de pontife, c’est comme censeur, ou revêtu d’un pouvoir qui répondait à la conspire, qu’Auguste fit ses lois sur la pudeur et sur le luxe. Cependant ses réformes morales et religieuses avaient un point commun : les unes et les autres prétendaient ramener les Romains aux usages et aux croyances d’autrefois. Comme elles proposaient les mêmes époques et les mêmes personnes à l’admiration des citoyens, on peut dire qu’elles se soutenaient entre elles : celui qui se décidait à prendre pour modèles les Romains des guerres puniques retrouvait parmi les vertus du passé le respect des dieux aussi bien que l’observation rigoureuse des devoirs humains, et il ne pouvait pas devenir plus honnête sous être en même temps plus religieux. C’est pour ce motif qu’il ne faut pas séparer les réformes morales d’Auguste de sa tentative de rénovation religieuse.

Dans les deux cas, du reste, il procéda de la même façon. Il savait, selon le mot d’un de ses poètes, que les lois ont peu d’effet quand les mœurs ne sont pas bonnes[46], et Il n’ignorait pas qu’on ne change pas les mœurs d’un peuple par ordonnance. Il prit pour y réussir des moyens détournés ; il voulut agir sur l’opinion publique et s’adressa, pour la convaincre, à ceux qu’il savait écoutés d’elle. On vit alors les poètes, les historiens, les orateurs, qui jouissaient de tant de crédit dans cette société lettrée, comme s’ils obéissaient à un mot d’ordre, se transformer tous en prédicateurs de morale. Au milieu de tous les excès d’une civilisation raffinée, à laquelle ils se gardaient bien de renouer, ils se plaisaient à faire des tableaux éloquents de l’antique pauvreté romaine mère du toutes les vertus ; étendus sur des lits d’ivoire, dans des palais de marbre, ils rappelaient à leurs compagnons de plaisir que leurs aïeux n’avaient que des toits de chaume, qu’ils ne rougissaient pas de dormir sur des couches de paille et de placer sous leur tête une botte de foin[47] ; mais on s’aperçut vite que les exhortations des poètes ne suffisaient pas pour rendre à ces efféminés le goût de coucher sur la dure ou de conduire la charrue. Il fallut employer des moyens plus efficaces, et l’on essaya de contraindre ceux qu’on n’avait pas pu persuader. Il semble pourtant qu’Auguste répugnait à s’occuper trop directement de réformer la moralité publique ; il ne le fit que peu à peu et sur l’invitation réitérée des bons citoyens. En 782, il refusa la censure perpétuelle qu’on lui offrait, mais il consentit à publier une loi somptuaire qui frappait le luxe exagéré de la table et mettait des limites aux dépenses excessives qu’on faisait pour les jeux publics[48]. Trois ans plus tard, à la suite de désordres graves, le sénat lui confia la direction des lois et des mœurs — morum et legum regimen[49] —. C’était une magistrature extraordinaire qui donnait à celui qui en était revêtu plus de puissance que la censure, car le censeur n’avait le droit que de blâmer, le directeur des lois et des mœurs avait celui de punir et de faire des règlements nouveaux[50]. En lui conférant cette haute dignité, le sénat pressait Auguste de s’en servir ; il lui demandait de réprimer le mal par des lois sévères, et comme les lois de ce genre avaient été jusque-là trop souvent inutiles, on lui promettait de s’engager d’avance par serment à respecter les siennes. En dehors du sénat, les mêmes rigueurs étaient réclamées avec autant d’impatience. Celui qui veut, disait Horace, qu’on écrive au-dessous de ses statues qu’il a été la père de l’État doit oser mettre un frein à la licence des mœurs : c’est ainsi qu’il sera illustre dans l’avenir[51]. Sollicité de tant de côtés, Auguste se décida enfin à promulguer les célèbres lois Juliennes sur le mariage. C’était la tradition de l’ancienne Rome de pousser et au besoin de contraindre les citoyens à se marier ; Cicéron en faisait un devoir aux magistrats dans son traité des Lois : Que les censeurs, disait-il, ne souffrent pas qu’il y ait des célibataires[52]. Auguste semblait autorisé à se montrer sur ce point plus rigoureux encore qu’un ne l’était sous la République : comme il avait rendu le mariage plus facile en autorisant tous les citoyens, à l’exception des sénateurs et de leurs fils, à épouser des affranchies, il se crut le droit de ne permettre à personne de s’y soustraire. En même temps qu’il récompensait les gens mariés d’après le nombre de leurs enfants, il punissait des peines les plus dures les célibataires des deux sexes. Ce n’était pourtant pas encore assez au gré de l’opinion ; elle exigeait davantage et pressa plus d’une fois Auguste d’intervenir plus directement dans la vie privée. On se plaignait un jour dans le sénat des excès de tout genre des femmes et des jeunes gens, qui étaient cause qu’on avait moins de penchant à se marier, et l’on demandait à l’empereur d’y apporter quelque remède. Il répondit d’abord qu’il avait fait le plus nécessaire et que le reste ne pouvait pas être réglé de la même façon ; mais les sénateurs insistant toujours, il leur dit que c’était l’affaire de chacun d’eux de diriger sa femme à son gré et de lui donner les conseils qui lui conviendraient, comme il le faisait lui-même. Ces paroles ne tirent qu’augmenter l’impatience générale, et tout le monde voulut savoir quels étaient ces conseils qu’il donnait à Livie. C’est ainsi qu’Auguste fut amené, malgré lui, à dire son opinion sur le vêtement et la parure des femmes, sur la manière dont elles doivent paraître en public, sur les vertus qui leur conviennent[53]. Il est probable que cette communication fut accueillie par de grands applaudissements, et que la sénat détermina l’empereur, par ses instances, à transformer ces conseils intimes en lois de l’État : elle fut sans doute l’origine de celles qu’il promulgua contre l’adultère et sur la pudeur — leges Julia de adulteriis et de pudicitia —.

Ces lois furent d’abord bien reçues. Le public les avait longtemps réclamées ; il espérait qu’elles seraient efficaces, et comptait sur elles pour achever d’assurer le salut de l’État. Sa confiance était naturelle : on jugeait de l’avenir par le passé, et jusque-là tout avait réussi à l’empereur. Ce règne était alors à son apogée. En 737, l’année qui suivit celle où furent promulguées les lois sur Io mariage, expirait cette période de dix ans pour laquelle Auguste avait consenti à se charger du pouvoir, quand on le lui offrait pour toute sa vie. Pendant ces dix années, de grandes choses s’étaient accomplies, et qui semblaient encore plus grandes quand on se souvenait des temps affreux qui avaient précédé : les maux de fa guerre civile avaient été guéris, la paix intérieure maintenue, les ennemis du dehors repoussés ; on venait de voir les Parthes s’humilier et se soumettre avant même d’être attaqués. Les peuples étrangers subissaient l’ascendant de l’empire, les nations soumises acceptaient sa domination sans regret. L’ordre et la sécurité étaient des biens trop souhaités et trop peu connus pour qu’on se demandât de quel prix on les payait ; on se livrait tout entier au bonheur d’en jouir. Les provinces n’avaient jamais été plus calmes, plus riches, plus heureuses ; jamais Rome ne s’était sentie plus grande et plus respectée. C’est au milieu de cette prospérité que s’achevait la première période décennale de ce règne ; celle qui commençait semblait devoir être plus facile encore et plus grande. Auguste voulut l’inaugurer par des fêtes brillantes dont le souvenir restât dans la mémoire des peuples et dont l’éclat pût profiter à ses réformes religieuses et morales : il fit célébrer les jeux séculaires[54].

C’était une institution ancienne dont il changea tout à fait la caractère. Il n’est pas sans intérêt de voir les moyens qu’il prit pour la renouveler ; cette étude fait comprendre comment il imitait le passé et les modifications qu’il lui faisait subir pour l’approprier à son temps et à ses desseins. Les jeux séculaires avaient été introduits à Rome pendant une peste ou à la suite de quelques présages effrayants, pour désarmer la colère des dieux qu’on croyait irrités. Ils consistaient en sacrifices expiatoires qu’on offrait la nuit aux divinités infernales, à Dis Pater, le Pluton des Latins, et à Proserpine. On leur demandait d’écarter les fléaux qui nuisent aux productions de la terre ou frappent les mortels, et pour l’obtenir, on allait immoler des bœufs noirs et des victimes de couleur sombre — hostiæ farcæ —, auprès d’un endroit du champ de Mars qu’on appelait Terentum, d’où l’on prétendait que s’exhalaient parfois des feux souterrains. Ces jeux ne paraissent pas, du reste, avoir été très populaires avant Auguste, et l’on ne mit pas toujours une grande exactitude à les célébrer. Ils devaient revenir seulement une fois par siècle ; mais les divers peuples de l’Italie ne s’accordaient pas sur la signification de ce mot. Il représentait pour eux la plus longue durée de la vie humaine, et chacun évaluait cette durée à sa façon. Pour les Latins, comme pour nous, un siècle était l’espace de cent ans : c’était donc tous les cent ans que ces cérémonies devaient être accomplies[55].

Tels étaient les jeux séculaires, lorsque Auguste imagina de faire de ces fêtes graves et sinistres une solennité triomphante et patriotique. Il lui fallut tout à fait les dénaturer. On out d’abord à établir qu’il avait le droit de. les célébrer et que l’année 791 était précisément celle où le siècle recommençait. Ce n’était pas un travail facile ; tuais une corporation vénérable de prêtres, les Quindecimviri sacris faciundis, gardiens et interprètes des oracles de la Sibylle, se chargea de faire des calculs favorables et de plier le droit pontifical et l’histoire de Rome aux désirs de l’empereur. On admit d’abord sans hésitation, conformément aux doctrines étrusques, qu’un siècle durait, non pas cent ans, comme le prétendaient les Latins, mais cent dix ans ; puis on essaya de prouver, en torturant l’histoire, que les jeux séculaires avaient été fidèlement célébrés à chaque échéance. On prétendit remonter ainsi sûrement jusqu’à l’année 298 de Rome[56] ; quelques-uns même voulaient qu’on allât plus haut, et rapportaient l’institution de ces jeux à Numa Pompilius[57]. Ils avaient donc commencé avec Rome même, ils s’étaient perpétués à travers son existence et se mêlaient à toute son histoire ; comme ils revenaient à époque fixe, ils pouvaient servir à mesurer ses progrès : ils l’avaient vue d’abord petite et obscure, et la retrouvaient à chaque fois plus grande et plus glorieuse. Cette idée de gloire et de grandeur nationales devait finir par dominer dans la célébration des jeux séculaires et rejeter tout le reste dans l’ombre. Sans disparaître tout à fait, le caractère d’expiation et de superstitieuse terreur qu’ils avaient d’abord s’efface ; les prières pour éloigner les fléaux, pour demander la fertilité des champs et la fécondité des femmes n’y conservent pas la même importance[58]. Ce qui est rois au premier rang, c’est Rome, sa durée et ses victoires, son passé et son avenir. Dés lors les cérémonies doivent changer[59]. Ces dieux qu’on remercie et qu’on implore no peuvent plus être les mêmes qu’autrefois : il n’est guère possible d’invoquer des divinités infernales dans ces jours de triomphe. Auguste, qui le comprend, substitue le dieu du jour à ceux de la nuit ; Apollon et Diane remplacent Dis Pater et Proserpine. C’était une Innovation grave. Apollon avait tenu jusque-là peu de place dans la religion officielle de Rome ; quelques auteurs prétendent que, pendant toute la République, on ne lui avait élevé qu’un seul temple hors de l’enceinte de la ville, comme on faisait pour toutes les divinités étrangères[60]. Ce qui engagea sans doute Auguste à lai consacrer les jeux séculaires, c’est que, par la variété de ses attributs, il convenait aussi bien au caractère qu’avaient autrefois ces jeux qu’à celui qu’on voulait leur donner en sa qualité de dieu conservateur et purificateur, le vainqueur de Python, l’ennemi des forces déréglées de la nature pouvait être invoqué pendant des cérémonies expiatoires établies en des jours de calamité publique ; il était encore plus naturel que le dieu de la lumière et de la vie présidât à ces fêtes, quand elles devinrent des solennités joyeuses, où Rome célébrait son éternité. Le règne d’Apollon, que Virgile avait déjà chanté[61], semblait annoncer au monde une époque nouvelle de calme et de repos ; il devait inaugurer une sorte d’âge d’or, pendant lequel Rome ne serait plus occupée qu’à bien gouverner les nations qu’elle avait vaincues, à leur assurer la paix, à leur donner le bonheur. N’oublions pas qu’Auguste regardait Apollon comme son protecteur particulier, et qu’il tenait naturellement à paraître confier les destinées de son pays à celui qui veillait déjà sur les siennes. Par là se marquait avec plus d’évidence cette confusion qu’il voulait établir outre l’empire et l’empereur : leurs dieux étaient les mêmes, leur fortune devait être semblable, et il ne leur était plus possible de se séparer.

Tout se réunissait donc pour donner une grande signification aux jeux séculaires d’Auguste. Aussi furent-ils célébrés avec un éclat extraordinaire. On n’avait rien négligé pour en relever l’importance. Afin d’exciter partout une grande attente, on avait fabriqué des oracles sibyllins qui pouvaient faire croire que les dieux avaient pris la peine de régler eux-mêmes jusqu’aux moindres détails de la solennité. Des hérauts parcoururent Rome et l’Italie, annonçant des fêtes qu’on n’avait pas vues et qu’on ne reverrait pas. A l’époque fixée, devant un immense concours de peuple, des cérémonies pompeuses furent accomplies durant trois jours et trois nuits, au champ de Mars, prés de l’antique emplacement du Terentum, ou dans les principaux temples de Rome. C’est le dernier jour des jeux, dans le temple d’Apollon Palatin, que fut exécuté par trois fois neuf jeunes filles et irais fois neuf jeunes garçons le chant séculaire d’Horace. Pour composer l’hymne qui devait conserver dans la postérité le souvenir de ces fêtes, Auguste avait choisi le premier poète de son temps. C’était un grand honneur, et l’on voit qu’Horace en est très fier à ces paroles qu’il adresse à l’une des jeunes filles qui devaient chanter son poème : Épouse, un jour tu diras : Quand le renouvellement du siècle ramena la fête sacrée, j’étais de celles qui redisaient les chants aimés des dieux enseignés par le poète Horace[62]. C’était aussi une très lourde charge : le public attendait trop pour qu’il fût aisé de le contenter ; plus les circonstances étaient solennelles, plus le poète devait craindre de n’y pas répondre. Horace n’a pas échappé à cette préoccupation, et elle a souvent gêné son talent. Son poème contient des détails heureux et de belles strophes ; l’ensemble manque d’une inspiration soutenue. On dirait que, effrayé de son entreprise, et se défiant de ses forces, il s’est repris à plusieurs fois avant d’achever l’ouvrage. On sent aussi qu’il s’est imposé des devoirs qui l’embarrassent, et qu’entre eux et ses goûts personnels, il a quelquefois hésité. De lui-même il se tourne volontiers vers la poésie grecque, qui le charme. Il l’imite, il s’inspire d’elle quand il nous montre la terre qui tresse pour Cérès une couronne d’épis ; et les moissons qui croissent en se nourrissant des rosées salutaires et des vents envoyés par Jupiter[63] ; mais il semble qu’il a peur de trop se livrer à ces images riantes ; il souhaite avant tout de paraître grave, il veut qu’on la trouve romain, et malheureusement il laisse trop voir la peine qu’il se donne pour l’être. Il faut qu’il introduise dans la poétique strophe de Sappho le nom des Quindecimvirs, qui ne se prête guère à la poésie[64] ; il tient à mentionner les lois Juliennes sur le mariage et à leur conserver presque leur dénomination légale[65] ; il est aisé de rappeler, dans cette langue à moitié grecque qu’il s’est faite, les expressions et les formules des vieux rituels[66]. Ces tentatives ne sont pas toujours heureuses, et il faut convenir qu’elles jettent dans son œuvre un peu de gène et d’effort. Mais sa poésie reprend toute son aisance et tout son éclat quand il célèbre Auguste. On sent qu’alors il parle du fond du cœur : Déjà, dit-il, le Mède redoute ses mains puissantes et tremble devant les faisceaux romains ; les Scythes, les Indiens, naguère si fiers, viennent ici chercher des lois. Déjà la bonne foi, la paix, l’honneur, l’antique chasteté, la vertu longtemps oubliée, osent reparaître et ramènent avec elles l’abondance à la corne toujours pleine[67]. Horace exprime ici l’opinion de son temps. Il lui semblait, comme à tous ses contemporains, que l’empereur devait également réussir dans toutes ses entreprises ; quand on venait de voir les Parthes s’humilier devant lui, et les ambassadeurs de nations inconnues arriver des extrémités du monde pour demander son amitié et celle du peuple romain[68], on ne se figurait pas volontiers qu’il y eût des limites à sa puissance[69], et l’on devenait aussi- confiant dans la succès de ses réformes intérieures qu’on était fier des résultats de sa politique étrangère. Il était bien naturel qu’il possédât cette confiance qu’il inspirait aux autres, et au moment où les jeux séculaires furent si pompeusement célébrés, il pouvait croire avec Rome entière, qui l’en remerciait par la voix d’Horace, qu’il avait vraiment restauré la religion romaine et corrigé les mœurs publiques.

 

— III —

La religion romaine ne fut pas ingrate pour Auguste ; elle le paya libéralement de ses bienfaits et lui rendit au moins autant de services qu’elle en avait reçus. Nous venons de voir ce qu’il a fait pour elle, il nous reste à chercher ce qu’elle a fait pour lui.

Elle le revêtit d’abord de toutes ses dignités : jeune encore, il avait été nommé pontife par le peuple à la place de L. Domitius, mort à Pharsale. Il fut ensuite associé au collège des Augures, à celui des Quindecimvirs et à celui des Septemviri epulones : c’étaient les quatre grandes associations religieuses de Rome — quatuor amplissima collegia —. Il fit partie aussi des corporations des Féciaux, des Titii, des Arvales[70]. Ses successeurs, imitant son exemple, eurent soin de se rattacher comme lui à toutes les institutions sacerdotales qui on valaient la peine. Une seule fonction lui manquait pour être le chef de la religion romaine, celle de grand pontife : il l’attendit longtemps, et, ce qui lui fait honneur, il eut la patience de l’attendre. César, qui en avait été revêtu, en connaissait toute l’importance, et, pour la rendre héréditaire dans sa maison avec l’autorité civile, il avait fait décider par le peuple que son fils, s’il un avait ou s’il en adoptait un, la posséderait après lui[71] ; mais à la mort du dictateur, Lepidus s’en était emparé. Sa nomination fut tout à fait un acte de violence et d’illégalité ; il n’avait respecté aucune des formalités ordinaires et s’était même dispensé de réunir les comices. On pouvait donc à la rigueur le traiter comme lin intrus et un usurpateur. Le peuple voulut plus d’une fois lui enlever une dignité qu’il occupait sans droit et nommer Auguste à sa place ; Auguste refusa toujours. Ce n’était pas par égard pour son ancien rival : Dion noua apprend qu’il se faisait un plaisir de l’humilier[72] ; mais Il ne voulait pas donner un exemple dont on pourrait abuser un jour contre lui. Comme il souhaitait cette dignité pour lui-même et qu’il était sûr de l’obtenir, il trouvait politique d’en respecter les privilèges et de n’en pas diminuer l’importance. Lepidus le fit attendre pendant trente et un ans ; il ne mourut qu’en 744. Dés lors rien n’empêchait Auguste de répondre au vœu populaire, et les comices furent réunis au mois de mars de l’année 742. L’affluence des citoyens qui venaient apporter leur suffrage à Auguste fut considérable. Il en vint, dit l’inscription d’Ancyre, une si grande quantité de toute l’Italie, qu’on ne se rappelle pas en avoir jamais vu autant[73]. Depuis ce moment jusqu’au règne de Gratien, c’est-à-dire pendant près de quatre siècles, le souverain pontificat est devenu inséparable du pouvoir suprême, et tous les empereurs ont porté le titre de grand pontife.

Ainsi furent réunies dans la même main la puissance religieuse et l’autorité civile. Cette union pouvait avoir des conséquences qu’on ne parait pas alors avoir redoutées ni même aperçues. Le grand pontife possédait à Rome des prérogatives très importantes : chef d’un collège de prêtres établi pour maintenir la religion nationale dans son intégrité, il avait à la rigueur le droit de surveiller toutes les cérémonies du culte. Ce droit lui permettait d’intervenir quand il le voulait dans la vie publique, où l’on ne faisait rien qui ne fût précédé de prières et de sacrifices ; il lui donnait aussi, ce qui est plus grave, un large accus dans la vie privée, car le collège qu’il présidait était le juge naturel des contestations qui s’élevaient sur la sépulture et les adoptions, que l’on regardait surtout comme des actes religieux, et devait veiller au maintien du culte domestique. On voit que les prétextes ne manquaient pas à l’autorité pontificale pour s’immiscer partout et attirer à elle le pouvoir. Ce qui prouve l’esprit profondément laïque des institutions romaines, c’est qu’elle n’ait pas profité plus tôt de ces prétextes, et qu’elle ne soit pas de bonne heure devenue toute-puissante ; mais tant que dura le gouvernement républicain, elle fut sévèrement contenue par les magistrats civils, qui na la laissèrent pas empiéter sur leurs privilèges. Les choses changèrent naturellement sous l’empire, quand le chef de l’État devint aussi le chef de la religion. La puissance du grand pontife put alors s’accroître autant qu’elle le voulut et ne trouva plus d’obstacle ni dans l’autorité civile, ni dans les corporations religieuses. Dès 724, le peuple avait accordé à l’empereur le droit de disposer des sacerdoces à son gré, et d’ajouter à chaque collège un aussi grand nombre de prêtres surnuméraires qu’il le voudrait[74] : c’était livrer entièrement ces grands collèges sacerdotaux à l’arbitraire impérial. Tant qu’ils s’étaient recrutés eux-mêmes par la cooptation ou que leurs membres avaient été nommés directement par le peuple, ils jouissaient d’une sorte d’existence, indépendante. La surveillance que, d’après la loi, le grand pontife devait exercer sur eux était à peu prés illusoire[75]. Elle devint sérieuse et complète, quand ils ne furent plus composés que de ses créatures. Comme grand pontife il n’avait à craindre aucune résistance de ces gens que comme empereur il avait nommés et qui lui devaient tout. A partir de ce moment, les collèges sacerdotaux sont tous à ses pieds ; il en dispose comme il veut, il leur ordonne ce qui lui plaît sans jamais lasser leur complaisance. Une fois ces grandes associations devenues soumises et obéissantes, rien à Rome ne pouvait plus s’opposer au pouvoir souverain que les empereurs prirent sur la religion. Ils en furent les maîtres comme de tout le reste, et il était même naturel qu’à la longue cette domination religieuse dont ils jouissaient dans la capitale finit par s’imposer aussi aux provinces. Sans doute l’autorité pontificale, à la considérer dans son principe et dans son essence, n’avait aucun droit à s’étendre aussi loin. Elle avait été établie uniquement pour surveiller la religion romaine. Les pays où l’on pratiquait d’autres cultes, c’est-à-dire à peu près tout l’empire, devaient lui échapper, ou si le prince intervenait dans leurs affaires religieuses, ce ne pouvait être qu’en tant que prince, pour prévenir les désordres et maintenir la paix publique. Mais il est dans la nature d’un pouvoir absolu de vouloir s’exercer partout dans sa plénitude. Bien que nous n’ayons à ce sujet que des renseignements trop rares, et qu’il ne soit pas toujours aisé de voir dans les décisions que prend l’empereur s’il prétend agir en qualité d’empereur ou de grand pontife, il n’est pas douteux que des efforts n’aient été faits de bonne heure pour étendre la compétence du grand pontife aux provinces. Les agents du prince, qui sont d’ordinaire plus impérieux que lui et plus jaloux de son autorité, auraient eu peine à souffrir qu’on lui refusât quelque part les droits qu’il possédait à Rome. Pline, trouvait tout naturel, quand il gouvernait la Bithynie, que, pour déplacer un tombeau à Nicomédie, on fût obligé de demander l’autorisation de l’empereur. Comme je savais, lui écrit-il, qu’à Rome pour un motif semblable on s’adresse au collège des pontifes, j’ai pensé qu’en cette occasion je devais vous consulter, vous qui êtes le grand pontife, et vous demander votre sentiment[76]. Trajan répondit que ce serait un grand dérangement pour les Bithyniens d’attendre une réponse de lui toutes les fois qu’une nécessité pressante les forcerait à toucher à quelque sépulture, et il leur permit de s’en passer ; mais la lettre de Pline n’en prouve pas moins cette tendance qu’avaient alors les agents du pouvoir à imposer au monde entier l’autorité religieuse du gland pontife.

Cette autorité, tant que dura la république, ne parait pas avoir beaucoup pesé sur les consciences. Comme la religion officielle ne se composait guère que de pratiques, celui qui en était le chef n’avait pas de dogmes à imposer ; il ne surveillait que le culte et laissait libres les opinions. En général l’empire imita cette réserve. Cependant il est difficile qu’un pouvoir qui se sent plus fort n’éprouve pas quelque désir de devenir plus exigeant. Dans le célèbre discours que Dion prête à Mécène et qui contient toute la politique de l’empire, il lui fait dire à Auguste : Honorez les dieux selon les usages nationaux, et forcez les autres à les honorer comme vous ; et un peu plus loin : Ne permettez à personne d’être athée, c’est-à-dire de ne pas croire aux dieux que l’État reconnaît[77]. Ces prescriptions sont formelles et rigoureuses. On sent à la façon dont elles sont exprimées que l’homme auquel on s’adresse est armé tout ensemble de la force matérielle et da pouvoir religieux. Quand deux puissances si différentes sont placées dans la même main, elles s’altèrent l’une l’autre par leur union. Celle qui est avant tout la force prend un caractère mystique qui ne lui convient guère, et celle qui ne devrait cotre que la persuasion ne parle plus que d’un ton impérieux et menaçant. Le prince qui est à la fois le chef religieux et civil d’une nation est toujours tenté d’imposer ses règlements de police comme des dogmes, et de forcer d’obéir aux dogmes comme aux règlements de police. Ce double caractère se retrouve dans les lois impériales, et il y devient plus frappant à mesure que l’empire se fait plus vieux. A la fin le prince parle lui-même à tout propos de sa divinité, et tandis qu’il livre aux bêtes ceux qui ne partagent pas ses croyances, il appelle ses ordonnances fiscales des oracles célestes. Déjà sous Auguste on a remarqué les mesures sévères qui furent prises contre les recueils de fausses prédictions. Ils étaient devenus très nombreux en ces moments de trouble et de tristesse où tout le monde éprouvait le besoin de faire l’avenir d’autant plus riant que le présent était plus sombra Un des premiers soins d’Auguste, quand il eut été nommé grand pontife, fut de les réunir et de les faire examiner ; il ordonna de détruire tous ceux qui venaient de sources suspectes : on en brûla plus de deux mille[78]. C’est tout à fait de la même façon qu’il traitait les pamphlets de Labienus, et les procédés violents de la politique se trouvaient ainsi appliqués à la religion.

Indépendamment dosa qualité de grand pontife, Auguste avait d’autres droits au respect et â la gratitude de la religion romaine : nous venons de voir qu’il avait rétabli des cérémonies longtemps négligées et rendu leur importance à de vieilles corporations qui l’avaient perdue. Il était naturel qu’on se souvînt de lui en célébrant ces fêtes qu’il avait renouvelées et qu’on n’oubliât pas ses bienfaits dans ces corporations qui lui devaient une nouvelle vie. On remarque on effet que les jeux des carrefours et les jeux séculaires, qui recommencèrent sous ses auspices, sont devenus des institutions plus politiques que religieuses. Dans les actes des frères Arvales que nous avons conservés, il est plus souvent question des empereurs que des dieux. Il semble qu’une sorte d’émulation de reconnaissance ou de flatterie se soit répandue en ce moment parmi les associations sacerdotales de l’empire : elles veulent toutes se surpasser dans les éloges qu’elles font du prince et dans les prières qu’elles adressent nu ciel pour lui. La religion célèbre et sanctifie tous les événements de sa vie. On offre des sacrifices à l’anniversaire de sa naissance, on donne des jeux en souvenir de ses victoires. On fait fête le 16 janvier, parce que ce jour-là il a été appelé Auguste ; le 4 février, parce qu’on lui a donné le titre de Père de la patrie ; le 6 mars, à cause du souverain pontificat qu’il a obtenu. Le 12 octobre, les pontifes et les vestales viennent immoler des victimes à l’autel de la Fortune du retour — Fortuna redux —, qui a été élevé prés de la porte Capène quand il revint de Syrie après la conquête de l’Égypte ; le 4 juillet, on sacrifie à la Paix AugustePax Augusta —, sur l’autel qui a été dédié par le sénat à son retour d’Espagne[79]. Tous les cinq ans, un des grands collèges de prêtres offre des jeux au peuple en mémoire de la victoire d’Actium qui lui a soumis le monde[80] ; tous les dix ans, on renouvelle ses pouvoirs et l’on célèbre à cette occasion des solennités encore plus brillantes[81]. Le succès de ses armes ou de sa politique, la naissance de ses enfants, ses maladies et ses guérisons, l’anniversaire de la dédicace des temples qu’il bâtit ou qu’on élève pour lui faire honneur, tout sert de prétexte à des fêtes nouvelles ; et comme elles augmentèrent encore sous ses successeurs et qu’on prit de plus en plus l’habitude de souiller les fastes de lâches adulations[82], elles finirent par encombrer le calendrier et l’on fut obligé de les réduire. Marc-Aurèle régla qu’il n’y aurait plus que 135 jours fériés dans l’année, ce qui était déjà bien honnête ; mais il ne corrigea pas les gens d’être serviles, et après lui ce nombre s’accrut encore.

Ce n’était pas assez de créer des cérémonies nouvelles en l’honneur d’Auguste, on lui était plus agréable encore et plus utile en mêlant son souvenir dans les cérémonies anciennes. Par ordre du sénat, son nom fut inséré dans les chants des Saliens, qui remontaient, disait-on, jusqu’au temps de Numa[83] : c’était donner à son pouvoir auquel on pouvait reprocher d’être nouveau, la sanction de l’antiquité. Les prêtres et les prêtresses reçurent l’ordre, quand ils faisaient des vœux pour le peuple et le sénat, d’en faire aussi pour lui[84]. Il était d’usage que tous les ans, le let janvier, les consuls adressassent des prières aux dieux pour la prospérité de la république. Cette solennité fut conservée sous l’empire, ou en ajouta seulement une autre. Comme le 2 janvier était un jour néfaste, le 3 on priait pour l’empereur. C’était la cérémonie célèbre qu’on appelait les vœux publics — nota annua ou publica —. Ce jour-là le sénat se réunissait au Capitole ; on lisait solennellement une formule par laquelle si l’empereur était vivant au mois de janvier de l’année suivante, si les dieux le faisaient échapper à tous les périls qu’il pouvait courir, s’ils lui accordaient une bonne chance, s’ils le conservaient dans l’état où il se trouvait, ou même lui donnaient une situation meilleure, on s’engageait à sacrifier dans un an à Jupiter Optimus Maximus, à Juno Regina, à Minerve, à la déesse Salus, des bœufs ou des vaches aux cornes dorées[85]. Tous les grands collèges de prêtres faisaient le même serment[86], et on le répétait dans toutes les villes de l’empire[87].

Il était naturel que la religion officielle priât pour l’empereur qui était son chef suprême ; mais elle n’était pas seule à le faire. Les cultes étrangers, dont il se méfiait et qu’il traitait souvent en ennemis, ne témoignaient pas moins de zèle pour son bonheur et pour sa gloire. Dans cette fête en l’honneur d’Isis, protectrice de la navigation, qui se célébrait le 5 mars avec tant de pompe sur toutes les côtes de la Méditerranée, quand la procession, composée de prêtres et d’initiés, avait lancé sur la mer un vaisseau peint à la mode égyptienne et chargé d’ornements et de marchandises, elle rentrait au temple et l’on faisait une prière pour la prospérité de l’empereur, du sénat, des chevaliers et de tout le peuple romain[88]. Le 24 mars, pendant la fête de Cybèle, qu’on appelait le jour du sang , après que l’archigalle s’était frappé les bras de son petit couteau à deux tranchants, il adressait ses vœux à la déesse pour la santé du prince[89]. Les chrétiens aussi, dans ces réunions où Tertullien les représente priant les bras étendus et la tête découverte, demandaient à leur Dieu d’accorder à l’empereur une longue vie, une autorité reconnue, une famille unie, des armées vaillantes, un sénat fidèle, des sujets honnêtes, et l’univers en paix[90]. L’empereur n’était pas oublié non plus dans ces fêtes de famille qui restèrent jusqu’à la fin les plus respectées de toutes. Le sénat avait ordonné que toutes les fois qu’aurait lieu un banquet public on particulier, on ferait des libations en son honneur[91]. A la fin du repas tous les convives se levaient et disaient ensemble : Au bonheur d’Auguste, père de la patrie ![92] Ovide représente tous les proches réunis dans une fête touchante qu’on appelait la chère parenté, cava cogniatio. Ils offrent de l’encens aux dieux de la famille, ils servent aux Lares les prémices du dîner ; puis, quand le soir est venu et qu’ils vont se séparer, ils prennent en main la coupe et versent le vin en prononçant ces paroles consacrées : A nous, à toi, César, père des Romains, le plus cher et le meilleur des hommes ![93]

On savait bien que ce concert de vœux et de prières qui, dans les temples de Rome et des provinces, dans les oratoires de tous les cultes, dans les chapelles de toutes les associations, dans les réunions politiques, dans les assemblées de famille, demandaient au ciel avec tant d’instance la fortune et la santé pour l’empereur, flattait Auguste et servait sa politique ; aussi l’adulation prenait-elle volontiers pour lui plaire la forme d’un hommage religieux. Un jour, dans ce sénat où l’on ne savait plus qu’inventer pour flatter le maître, un tribun du peuple, Sextus Pacuvius, imagina de se dévouer à lui, à la manière espagnole. Comme Auguste essayait de l’en empêcher, il sortit de la curie et parcourant les rues et les places, il poussa le peuple à se dévouer avec lui[94]. Les honneurs auxquels Auguste était le plus sensible et dont il semblait faire le plus de cas étaient ceux qui paraissaient donner à son autorité une sorte de sanction divine. Il ne pouvait pas être tribun du peuple, en sa qualité de patricien, mais il se fit donner au moins la puissance tribunitienne. Cette dignité le rendait sacro-saint, c’est-à-dire qu’elle mettait sa vie sous la protection directe des dieux. Quand les plébéiens arrachèrent à leurs ennemis l’institution du tribunat, ils voulurent mettre cette magistrature nouvelle à l’abri de toute atteinte. Une loi fut portée, qui défendait de frapper ou de menacer un tribun et de lui faire aucun outrage en action ou en paroles. Si quelqu’un, ajoutait-on, viole ces prescriptions, qu’il soit anathèmesacer esto, que ses biens soient confisqués et qu’on puisse le tuer impunément. Puis tout le peuple s’engagea à respecter cette loi par un serment solennel, en prenant à témoin les dieux du ciel et ceux des enfers[95]. La puissance tribunitienne rendait donc Auguste inviolable. Son titre de grand pontife sembla lui donner une nouvelle consécration et ajouter encore à son inviolabilité. Ovide, quand il parle des ides de Mars, paraît surtout indigné qu’on ait osé frapper un pontife et préparer la mort d’un prêtre[96]. Pour Valère Maxime et les flatteurs de Tibère, Brutus et Cassius ne sont pas seulement des assassins, ce sont des sacrilèges. Le prince se croit en droit d’exiger de ses sujets plus que l’obéissance et la fidélité ; il leur impose une sorte de dévouement filial, il veut être pour eux un père et un prêtre. Nous avons conservé le texte du serment qu’on lui prêtait à son avènement : Je jure du fond du cœur, disait-on, d’être l’ennemi de ceux que je saurai les ennemis de l’empereur ; si quelqu’un menace son pouvoir ou sa vie, je ne cesserai de le poursuivre d’une guerre d’extermination jusqu’à ce qu’il ait payé son crime ; je ne préférerai pas le salut de mes enfants au sien. Si je manque volontairement à mon serment, que Jupiter très bon et très grand et tous les autres dieux frappent mes enfants et moi, qu’ils me chassent de ma patrie comme un exilé, qu’ils m’enlèvent ma santé et ma fortune[97]. Ces peines sévères que le sujet appelle sur lui s’il manque à ses devoirs envers le prince ont été en réalité fort dépassées. Les délateurs se chargèrent de tirer plus tard des conséquences terribles de ce caractère sacré dont le prince était revêtu. Du moment qu’il est une sorte de mandataire des dieux, la moindre offense qu’on se permet envers lui devient un crime capitan : être l’amant de sa fille n’est pas seulement une faute contre la morale, c’est un outrage à la religion[98]. Manquer au respect qu’on doit à ses statues, changer de vêtements devant son image, emporter par mégarde dans un mauvais lieu une monnaie à son effigie, sont des sacrilèges qu’on punit de mort. Ces excès, auxquels on n’arriva que plus tard, mais qui étaient contenus en germe dans les institutions d’Auguste, font bien comprendre tout ce que la religion ajouta de prestige et de puissance au pouvoir déjà si étendu des empereurs.

On s’y prit de loin pour faire accepter à cette société moqueuse ce caractère dont Auguste voulait entourer son autorité. Tout le monde était d’accord à reconnaître qu’il descendait des dieux ; cette origine semblait avoir marqué sa famille d’un sceau particulier. Les traditions représentaient son aïeul Énée, le fils de Vénus et du divin Anchise, comme un héros sage et pieux ; Virgile n’eut pas de peine à lui donner tout à fait l’aspect d’un prêtre. Denys d’Halicarnasse raconte que taudis que Silvius, fils d’Énée et de Lavinie, avait occupé le trône après son père, Iulus, le fils d’Ascagne, s’était contenté d’honneurs religieux[99] : c’est de lui qu’était sortie la race sacerdotale des Jules. César, en briguant avec tant d’ardeur le souverain pontificat, n’était pas seulement un ambitieux qui savait ce que la religion pouvait lui donner de puissance, c’était un descendant du pieux Énée qui rentrait dans les traditions de sa famille. Quant à Auguste, en habile politique, il avait tout disposé autour de lui pour qu’on prit de sa personne et de son pouvoir l’idée qu’il voulait en donner. D’après les usages, le grand pontife devait habiter une maison qui appartenait à l’État et qu’on appelait la Regia. Auguste ne quitta pas le Palatin, mais il fit vraiment du Palatin un lieu sacré. Comme il était nécessaire que le chef de la religion romaine fût voisin du foyer de Home où brûlait le feu éternel entretenu par les Vestales, il éleva près de son palais un temple à Vesta à côté de celui qu’il faisait bâtir pour Apollon, ce qui faisait dire au flatteur Ovide : Cette demeure contient trois dieux[100]. La maison particulière d’Auguste avait elle-même l’air d’un temple ; tout la désignait à la vénération du peuple, des lauriers étaient plantés de chaque côté de la porte, une couronne de chêne la surmontait, le toit s’élevait en forme de faîte, comme dans les sanctuaires des dieux[101]. C’était bien le séjour qui convenait au restaurateur de la religion et de la morale, et il avait vraiment quelque droit à partager les honneurs de ceux dont il avait relevé le culte. Le peuple se laissa prendre tout à fait à ces dehors ; on lui créa de bonne heure une légende comme à un dieu. Dès sa jeunesse, il avait fait des miracles dont quelques-uns rappellent ceux qu’on lit dans les Vies des saints. Pendant qu’il était encore dans les langes on le trouva un matin au sommet d’une tour regardant le soleil levant en face ; quand il commença de parler, il donna l’ordre de se taire à des grenouilles qui l’empochaient de se faire entendre, et depuis elles n’ont plus retrouvé la voix. Lorsqu’il vint à Rome, après la mort du dictateur, pour réclamer son héritage, les rayons du soleil formèrent comme une couronne autour de sa tète, et dans la suite tous les événements heureux de sa vie furent annoncés par des présages[102]. Les gens du monde devaient un peu sourire de tous ces récits merveilleux ; ils furent pourtant, eux aussi, plus complaisants pour ces prétentions impériales qu’on ne devait l’attendre d’esprits aussi éclairés et aussi malins. En somme, ils acceptaient d’assez bonne grâce le caractère sacerdotal que le gouvernement nouveau voulait se donner. Je ne parle pas seulement des flatteurs éhontés, dont le nombre était alors si grand : dès le règne de Tibère ils parlaient des occupations sacrées du prince ; le prudent l’ibère fit effacer ce mot, qui lui semblait trop ambitieux[103] ; mais un siècle plus tard il était tout à fait entré dans la langue officielle : on appelait une expédition sacrée celle que l’empereur avait conduite en personne, et sa famille recevait ouvertement le nom de maison divine. Horace n’allait pas si loin, il se contentait de demander à Jupiter de prendre Auguste pour son lieutenant[104] ; inférieur à toi seul, lui disait-il, il gouvernera équitablement le vaste univers[105], et il insinuait que le maître des dieux, débarrassé de ce soucis aurait bien plus de temps pour remplir ses autres offices. C’est de la même façon que Pline le jeune se représente le pouvoir impérial. L’empereur est pour lui une sorte d’intermédiaire entre la terre et le ciel ; c’est lui qui présente aux dieux les prières des hommes[106], c’est sur lui que les dieux se déchargent du gouvernement du monde. Jupiter, dit-il à Trajan, est libre aujourd’hui de ne s’occuper que des cieux, depuis qu’il t’a choisi pour le remplacer sur la terre[107]. Ces paroles ne sont pas de pures flatteries, c’est la formule même du gouvernement qu’Auguste avait fondé. A toutes les dignités de l’ancienne république qu’il se faisait décerner, il voulut joindre une qualité nouvelle qui manquait aux magistratures républicaines : c’était celle que César appelait, dans un discours célèbre, la a sainteté des rois[108], c’est-à-dire cette prétention d’être les représentants directs des dieux et de régner en leur nom, à la condition de les faire régner avec eux. Les royautés chrétiennes qui succédèrent à l’empire et qui essayèrent de le continuer, ne négligèrent pas de recueillir cette partie de son héritage. Elles cherchèrent comme lui à se donner aux yeux des peuples une consécration religieuse, à les gouverner au nom du ciel, et pendant tout le moyen âge les évêques répétèrent aux rois ce qu’on disait aux empereurs dans le sénat romain : Vous êtes l’image de la Divinité[109].

 

 

 



[1] Suétone, Auguste, 20.

[2] Carm., III, 30, 8.

[3] III, 52.

[4] Cicéron, De div., II, 24 et 47.

[5] Cicéron rapporte (De div., I, 32) que quelques jours avant Pharsale, il était à Dyrrachium avec quelques personnages politiques, et que Q. Coponius qui commandait, en qualité de propréteur, ta flotte des Rhodiens, vint lui annoncer qu’un matelot grec avait prédit qu’avant un mois la Grèce serait inondée de sang, que Dyrrachium serait pillé, et qu’on se sauverait sur les vaisseaux en laissant derrière soi l’incendie. Il ajoute qu’il fut assez ému de cette prédiction, et que Varron et Caton, malgré la fermeté de leur esprit, en furent surtout fort troublés.

[6] Plutarque, Brutus, 87.

[7] Il avait accepté, comme grand pontife, la dédicace du grand ouvrage de Varron sur les Antiquités divines, et de celui de Granius sur les Indigitamenta, on en peut conclure qu’il encouragea leurs travaux. En 708, il donna, au peuple le spectacle de le voir monter à genoux l’escalier du Capitole (Dion, XLIII, 21). En 710, il encouragea la création d’un nouveau collège de prêtres (Luperci Julii), qui fut fondé en son honneur (Dion, XLIV, 6).

[8] Suétone, Auguste, 70.

[9] Suétone, Auguste, 90, 91.

[10] Pline, XXVIII, 2 (4).

[11] Dion, XLVII, 15.

[12] Suétone, Auguste, 12.

[13] Dion, XLVIII, 29.

[14] Géorgiques, III, 41 : ... tua, Mœcenas, haud mollia jussa.

[15] Dion, L, 4.

[16] Mommsen, Res gestœ divi Augusti, p. 69.

[17] Horace, Carm., I, 37, 7.

[18] Énéide, VIII, 678.

[19] Dion, LIII, 2.

[20] Ovide, Fastes, I, 609.

[21] IV, 12, ad finem.

[22] II, 5.

[23] Suétone, Auguste, 73.

[24] Dion, LIV, 28, 38.

[25] Marini, Arvali, tab. 1.

[26] Suétone, Auguste, 85.

[27] Cornelius Nepos, Vita Attici, 20.

[28] Jules Obsequens, 55.

[29] Properce, II, 6, 35.

[30] Suétone, Auguste, 29.

[31] Mommsen, Res gestæ divi Augustæ, p. 60.

[32] Suétone, Auguste, 30. M. Mommsen pense que les chiffres donnés par Suétone ne sont pas exacts et que le texte est corrompu.

[33] Mommsen, Res gestæ divi Augustæ, p. 58.

[34] Fastes, 2, 81. Un des vers de ce morceau : Templorum positor, templorum sancte repostor ! rappelle ce mot de Tite-Live (IV, 20) Augustus César Templorum omnium conditor sut restitutor.

[35] Dion, LI, 20.

[36] Suétone, Auguste, 31.

[37] Macrobe, Saturnales, I, 10, 23.

[38] Suétone, Auguste, 31.

[39] Dion, LIV, 80.

[40] Marquardt, Römische Alterth., IV, p. 048.

[41] Cicéron, Ad fam., VIII, 15, 8.

[42] Cette lenteur fut l’occasion d’un jeu de mots d’Auguste rapporté par Macrobe (Saturnales, II, 4, 10). L’orateur Cassius Severini avait peu de succès dans ses accusations, ceux qu’il déférait aux tribunaux étaient toujours absous. Auguste, jouant sur la double sens du mot absolutus, qui signifie absous et achevé, disait : Vellem Cassius et meum forum accuset.

[43] Suétone, Auguste, 94.

[44] Becker, Rom. Alterth., I, p. 425.

[45] Properce, II, 31. Horace, Carm., I, 31.

[46] Horace, Carm., III, 24, 85 : Quid leges sine moribus, etc.

[47] Ovide, Fastes, I, 205.

[48] Dion, LIV, 2.

[49] Dion, LIV, 10.

[50] Mommsen, Res gestæ divi Augustæ, p. 15.

[51] Carm., III, 24, 27.

[52] III, 8 : Censores cœlibes esse prohibento.

[53] Dion, LIV, 16.

[54] Le 20 septembre 1890, des ouvriers, qui travaillaient sur la rive gauche du Tibre, à la construction des quais et des égouts de Rome, trouvèrent les fragments d’une grande inscription, qui put être en partie restituée. C’était le compte rendu officiel des Jeux séculaires d’Auguste. Cet important document a été inséré dans le troisième fascicule des Monumenti antichi publiés par l’Académie des Lincoi, avec un savant commentaire de Mommsen, Je l’ai moi-même étudié dans la Revue des Deux Mondes du 1er mars 1892.

[55] Varro ap. Censorinum, 17 : uti ludi centesimo quoque anno fierent.

[56] Censorinus, 17.

[57] Comment. Cruq. ad Carm. sœc. : Ab origine romanæ gentis reperti et instituti sunt, scilicet a Numa Pompilio.

[58] Elles n’occupent plus que trois strophes dans le chant séculaire d’Horace, qui en a dix-neuf.

[59] C’est ainsi que les hostiæ furvæ sont remplacées par des bœufs blancs (Carm sœc., 41).

[60] Ascon. Pedianus, p. 90, édit. Orelli.

[61] Virgile, Bucoliques, IV, 10 : Tuus jam regnat Apollo.

[62] Cam., IV, 6, 41.

[63] Carm. sœc., 29.

[64] Carm. sœc., 10 : Quidecim Diana preces virorum Curat.

[65] Carm. sœc., 18 : Prosperes decreta super jugandis Feminis.

[66] C’est pour obéir à ces anciens usages qu’à la fin d’un hymne adressé à Apollon et à Diane, il invoque Jupiter et tous les dieux (Carm. sœc., 73) : Hæc Jovem sentire deosque omnes, etc. Servius (Géorgiques, I, 21) dit que c’était l’habitude des pontifes d’agir ainsi : Ritu veteri ira omnibus sacris post speciales deos quos ad ipsum sacrum quod fiebat necesse erat invocari generaliter omnia numina invocabantur. Ainsi me semble s’expliquer naturellement un passage qui a embarrassé. Voyez, sur toutes ces questions, la dissertation de F. Hermann : De loco Apollinis in Carmine Horatu sæculari. Gött., 1818.

[67] Carm. sœc., 62 et suiv.

[68] Suétone, Auguste, 21 : Indeos etiam ac Scythas, auditu modo cognitas, pellexit ad amiciliam suam populique Romani ultro per legatos petendam, et Mommsen, Res gestæ divi Augustæ, p. 89 et 90.

[69] Le peuple croyait si fermement à ses succès et à son bonheur, qu’en 732 Rome ayant souffert d’une peste et d’une famine, il pensa que ces malheurs venaient de ce qu’Auguste n’était pas consul cette année, et fut convaincu qu’il s’en délivrerait en la nommant dictateur. (Dion, LIV, 1)

[70] Mommsen, Res gestæ divi Augustæ, p. 16.

[71] Dion, XLIV, 5.

[72] Dion, LIV, 15.

[73] Mommsen, Res gestæ divi Augustæ, p. 28.

[74] Dion, LI, 20. J’adopte l’interprétation de ce passage donnée par Mercklin, Die coopt. der Römer, p. 163 (Borghesi, Œuvres, III, p. 409). Auguste n’usa d’abord qu’avec modération de ce droit que lui accordait le peuple. Il parait avoir laissé quelquefois les corporations religieuses se recruter elles-mêmes (Marini, Arvali, p. 19) ; mais ses successeurs n’imitèrent pas sa réserve. Les actes des frères Arvales récemment découverts nous font connaître une des manières dont ils procédaient. C’était une des rares corporations qui avaient conservé sous l’empire l’antique forme de la cooptatio, c’est-à-dire le choix libre des associés nouveaux par leurs collègues ; mais les collègues avaient grand soin de ne choisir jamais que celui que le prince souhaitait. Il leur faisait savoir sa volonté par une lettre dont voici la formule : César aux frères Arvales, ses collègues, salut. A la place de P. Metillus Nepos, je crois devoir nommer L. Julius Catus (Henzen, Acta fruirum Arv., p. CLIII). Et les Arvales s’empressaient tous de nommer celui que désignait la lettre du prince.

[75] Bouché-Leclercq, les Pontifes, livre IV.

[76] Pline, Epist., X, 68 (édit. Keil). — Dans une autre lettre il s’adresse encore à la science religieuse de Trajan et l’interroge au sujet d’un temple de la Mère des dieux, que les habitants de Nicomédie voulaient démolir ou déplacer pour agrandir leur forum. Il lui fait remarquer que ce temple a été dédié sans qu’on eût fait un de ces règlements que les Romains appelaient lex dedicationis ou lex templi, et qui fixaient d’avance toutes les conditions de son existence. Décides, lui dit-il, si dans ces circonstances on peut sans crime la transporter ailleurs. Ce serait une mesure fort utile si la religion ne s’y oppose pas, Trajan répondit qu’on pouvait le faire sans scrupule, parce que sur le sol d’une ville étrangère on ne peut pas dédier un temple d’après le rit romain (Epist., X, 49 et 50). Ici encore c’est l’agent du prince qui le pousse à trancher une question qui touche à une religion étrangère, et qui vont en faire comme le chef religieux du monde.

[77] Dion, LII, 36.

[78] Suétone, Auguste, 81.

[79] Voyez, sur toutes ces fêtes, les Commentarii diurni, ou travail sur les Fastes, inséré par M. Mommsen dans le 1er volume du Corpus inscr. lat., p. 382-412.

[80] Dion, LIII, 1.

[81] Dion, LIII, 16.

[82] Tacite, Hist., IV, 40.

[83] Mommsen, Res Gestæ divi Augustæ, p. 27, peut-être cette insertion était-elle un ancien usage qui fut renouvelé pour Auguste. On lit dans Varron (De ling. lat., IX, 61) : Luciam Volaminiam Salorium carminibus appellari, etc.

[84] Dion, LI, 19.

[85] On trouvera la formule complète dans les actes des Arvales (Marini, Arv., planches 23 et 24.)

[86] Marini, Arv., p. 56.

[87] Pline, Epist., X, 35.

[88] Apulée, Métamorphoses, XI, 17 (édit. Hildebrand).

[89] Tertullien, Apologétique, 25.

[90] Tertullien, Apologétique, 30.

[91] Dion, LI, 19.

[92] Pétrone, Satiricon, 60.

[93] Ovide, Fastes, II, 635.

[94] Dion, LIII, 20. C’est de là qu’est venue cette formule qu’on rencontre si souvent dans tes inscriptions de l’empire : Devotus numini majestatique imperatoris.

[95] Denys d’Halicarnasse, VI, 89.

[96] Ovide, Métamorphoses, XV, 788 : tam triste parari Pontifici letum... ; 777 : cœde sacerdotis...

[97] Corpus inscr. lat., II, 172.

[98] Tacite, Annales, III, 24 : ... culpam inter viros et fœminas vulgatam gravi nomine lœsarum religionum... appellanto, etc.

[99] Denys d’Halicarnasse, I, 71.

[100] Ovide, Fastes, IV, 949.

[101] Hertzberg, De diis Romanorum patriis, p. 48.

[102] Suétone, Auguste, 94.

[103] Suétone, Tibère, 27.

[104] Horace, Carm., I, 12, 51 : Te secundo Cœsare regnes. Voyez aussi Ovide, Métamorphoses, XV, 858.

[105] Horace, Carm., I, 12, 57 : Te minor latum reget œquus orbem.

[106] Pline, Panégyrique, 78 : ...quibus apud deos adesse consuesti.

[107] Pline, Panégyrique, 80 : ... qua nunc parte curarum liber solutusque, cælo tantum vacat, postquam te dedit, qui erga omne hominum genus vice sua fungereris.

[108] Sanctitas regum, Suétone, Jules César, 6.

[109] Tacite, Annales, III, 36 : ... principes instar deorum esse.