PARIS - DIDIER ET Cie - 1868.
PRÉFACE.CHAPITRE PREMIER.Injuste oubli auquel sont souvent condamnés les diplomates. — But de cet ouvrage. — Origine de la famille de Polignac. — Le cardinal de Polignac, sa naissance, ses premiers succès, son caractère. — Il est envoyé à Rome comme assesseur du cardinal de Bouillon. — Rapports de la cour de Rome avec Louis XIV. — Innocent XI, son caractère, sa politique. — Il heurte violemment les opinions de l'épiscopat français. — Publication des quatre articles qui établissent les libertés gallicanes. — Innocent XI rompt avec Louis XIV. — Il entre en relation avec les ennemis de la France. — Sa mort. — Alexandre VIII. — Heureuse influence qu'exerce sur lui l'abbé de Polignac. — Mort de ce pontife. — Nomination d'Innocent XII. — L'abbé de Polignac quitte Rome. — Il est nommé ambassadeur en Pologne. CHAPITRE II.Mission de l'abbé de Polignac en Pologne. — Difficultés excessives de cette mission. — Son arrivée à Varsovie. — Sobieski. — Marie-Casimire, sa femme. — La Pologne. — Sa société, sa constitution et ses mœurs. — Trois vices principaux dans sa constitution : nécessité du consentement unanime, droit de confédération et système électif. — Coup d'œil général sur le règne de Sobieski. — Le désir d'assurer l'hérédité dans sa famille est la seule cause de ses fautes et de son impopularité. CHAPITRE III.Habile conduite de Polignac à Varsovie. — Sa souplesse. — Nature de ses relations avec la reine. — Son influence sur elle. — Il emploie cette influence à perdre la cour de Vienne dans son esprit. — Il laisse le prince Jacques s'aliéner, par ses imprudences, le cœur des Polonais. — Efforts de l'abbé de Polignac pour rétablir la paix entre la Pologne et la Porte-Ottomane, et permettre à celle-ci de reporter toutes ses forces contre l'Empereur d'Allemagne, adversaire de Louis XIV. — Méfiance du nonce. — Polignac parvient à la dissiper. — Il obtient de Sobieski l'autorisation de voir l'ambassadeur tatare et d'agir. — Mustapha II. — Heureux débuts de son règne. — Il a le projet de combattre surtout les Impériaux et de ménager les Polonais. — Entrevue de Polignac et du représentant du Sultan. — Sobieski s'est résolu trop tard à cette alliance. — Il est impuissant à faire accepter sa volonté. — Divisions intérieures en Pologne. — Amertume des dernières années de Sobieski. — Sa mort. CHAPITRE IV.Louis XIV se détermine à faire poser la candidature du prince de Conti au trône de Pologne. — Motifs de cette résolution. — Prince de Conti. —Ses qualités. — Causes de l'isolement dans lequel le tient Louis XIV. — Candidats à la couronne de Pologne : les princes Jacques, Alexandre et Constantin, fils de Sobieski. — L'Électeur de Bavière, Jacques II d'Angleterre, Odescalchi, Pierre Alexévitch, Frédéric III de Brandebourg, le duc de Lorraine, le prince de Bade, Sapieha, Opalinski, Kontski, Leszczynski et Jablonowski. — Conduite inconvenante de la reine après la mort de Sobieski. — Divisions dans la famille royale. — Polignac rompt avec la reine. — Il prépare habilement les grands à accepter et à soutenir la candidature de Conti. — Il la pose éloquemment dans la diète préparatoire et il réfute les objections qu'elle soulève. — Indifférence de Conti pour le trône de Pologne. — Source de cette indifférence. — Dangers que court à Varsovie l'abbé de Polignac. — Rédaction des pacta conventa. — Promesses, réalisables autant que modérées, que fait l'abbé de Polignac au nom du prince de Conti. CHAPITRE V.Przebendowski détermine Frédéric-Auguste de Saxe à se mettre aussi sur les rangs. — Caractère et conduite de Frédéric-Auguste. — Ses démarches hardies et habiles. — Il gagne le pape, ainsi que le nonce de Varsovie. — Efforts de l'abbé de Polignac pour déjouer la tactique du nonce. — Przebendowski essaye en vain de corrompre Polignac. — Lutte ardente de ces deux représentants du parti saxon et du parti français. — Plaine de Wola, théâtre de l'élection. — Première journée : Conti est sur le point d'être proclamé. — Seconde journée : bénédiction du camp par le cardinal Radziejouwiski. — Triomphe éclatant de Conti sur Frédéric-Auguste. — Génie de Przebendowski, qui parvient à faire retarder une fois de plus la proclamation. — Son activité et son habileté pendant la nuit suivante. — Troisième journée : proclamation du prince de Conti par le primat, et, presque aussitôt, de Frédéric-Auguste par l'évêque de Cujavie. — Empressement de Frédéric-Auguste. — Indifférence de Conti. — Celui-ci débarque à Dantzig et en repart peu de temps après. — Causes de ce départ. Suprêmes et inutiles efforts de Polignac. — Conséquences de cet échec, dont il n'est nullement responsable. — Irritation de Louis XIV, dont la colère frappe injustement l'abbé de Polignac. CHAPITRE VI.L'abbé de Polignac quitte la Pologne. — Il S'arrête à Rotterdam où il voit Bayle. — Retour en France de Polignac, qui, après un assez long exil passé dans son abbaye de Bomport, rentre en faveur. — II est envoyé à Rome comme auditeur de rote. — II y gagée l'affection du pape Clément XI, et sait faire tourner cette affection au profit des intérêts de la France. — Il est rappelé de Rome pour représenter Louis XIV à Gertruydenberg. CHAPITRE VII.Origine de la lutte des maisons de France et d'Autriche. — Situation de l'Espagne et de la France l'une à l'égard de l'autre. — Commencements de la question de la succession d'Espagne.— Mazarin la prépare. — Louis XIV. — Son rôle politique. — Débuts de son règne. — Les renonciations de Marie-Thérèse. — Leur invalidité aux yeux de Louis M. — Projet formé par quelques grands d'Espagne de déterminer Charles II à choisir le duc d'Anjou comme héritier de la monarchie. — Le marquis de Villafranca. — Le duc de Medina-Sidonia. — Motifs de leur résolution. — Ils s'adjoignent les marquis de Villagarcias et de Villena, le comte de San-Estevan del Puerto et le cardinal Porto-Carrero. — Nombreux obstacles qu'ils ont à surmonter. Invalidité des renonciations de Marie-Thérèse aux yeux des grands d'Espagne. — Le parti autrichien. — Moyens qu'il emploie pour arriver à ses fins. — Son impopularité accrue par les imprudences de l'archiduc Charles et par l'inhabile réserve de l'ambassadeur de l'Empire. — Faveur dont jouissent les Français en Espagne. — Renvoi de la comtesse de Berlips, favorite de la reine. — Départ du prince de Hesse-Darmstadt. — Isolement et inaction de la reine. — Causes de cette inaction. — Charles II, sa faiblesse, ses infirmités, ses inquiétudes. — Le cardinal Porto-Carrero le presse de tester en faveur du duc d'Anjou. — Perplexité du roi. — Il consulte le pape. — Opinion d'Innocent XII, favorable au duc d'Anjou. — Testament de Charles II. — Sa mort. CHAPITRE VIII.Louis XIV reçoit à Fontainebleau la nouvelle du testament et de la mort de Charles II. — Importance extraordinaire de la décision qu'il va prendre. — Il réunit chez madame de Maintenon un conseil composé du dauphin, du chancelier Pontchartrain, du marquis de Torcy et du duc de Beauvilliers. — Le marquis de Torcy se prononce pour l'acceptation. — Le duc de Beauvilliers émet un avis contraire. — Pontchartrain résume les deux opinions, mais en fournissant lui-même quelques arguments à l'appui de l'acceptation. — Le dauphin et madame de Maintenon soutiennent l'acceptation. — Perplexité de Louis XIV qui, après trois jours d'hésitations, est d'abord d'avis de refuser le testament. — Il prend la résolution contraire et l'annonce à la cour. — Il embrasse le meilleur parti, mais il compromet le succès par des fautes et par des imprudences. — Coalition contre Louis XIV. — Situation de la France. — Revers multipliés qui l'accablent. Demandes exagérées des alliés. — Louis XIV se résout à les accepter. — Exigences nouvelles de ses ennemis. — Bataille de Malplaquet. CHAPITRE IX.État de la France en 1710. — Louis XIV envoie en Hollande le maréchal d'Huxelles et l'abbé de Polignac. — Instructions qui leur sont données. — Leur arrivée à Moerdick. — Gertruydenberg est choisi pour être le lieu des conférences. — Motifs de ce choix. — Buys et Vanderdussen, plénipotentiaires de la Hollande. — Leur caractère et leur conduite. — Ouverture des conférences. — Violence de Buys. —Modération de l'abbé de Polignac. — Premières conditions posées par les représentants de la Hollande. — Leur tactique. — Fière réponse de Polignac. — Les ambassadeurs français demandent en vain de transporter les conférences à La Haye. — Causes du refus qui leur est opposé. — Extrême embarras dans lequel se trouvent Polignac et Huxelles. — Louis XIV se soumet à abandonner l'Alsace et à payer aux alliés un subside d'un- million par mois. — Cette offre est rejetée. — Les plénipotentiaires français quittent Gertruydenberg. CHAPITRE X.Considérations générales sur le changement de politique opéré en Angleterre en 1710. — Les partis en Angleterre. — Bolingbroke, sa vie, son caractère, sa mission. — Marlborough, ses principaux actes, ses qualités, ses vices. — Autorité considérable dont il jouit. — Nécessité pour Bolingbroke de rallier à son opinion la nation anglaise autant que la reine. — Harley. — La reine Anne et la duchesse de Marlborough. — Leur situation, l'une à l'égard de l'autre. — Lady Masham gagne le cœur de la Teille. — Portée réelle de ces intrigues de cour et nature de leur influence sur les grands événements. Activité de Bolingbroke. — L'Examiner. — Son action, sa prompte célébrité. — La reine. Anne est convaincue par Bolingbroke. — Caractère de cette princesse. — Changement de ministère. — Nouvelles élections favorables aux torys. — Suprêmes et inutiles efforts de Marlborough. — Son impopularité. — Disgrâce complète de la duchesse de Marlborough. — Lutte des whigs et des torys. — Congrève et Addison. — Swift. — Éloquence de Bolingbroke et son immense autorité sur le parlement. — Représentation du Caron d'Addison. Présence d'esprit de Bolingbroke. — La première partie de la mission des torys est heureusement accomplie. CHAPITRE XI.L'abbé Gautier. — Cause de sa présence à Londres. — Ses relations. — Bolingbroke l'envoie en France porter les premières propositions de paix. — Voyage de l'abbé Gantier. — Offres du gouvernement britannique. — Louis XIV les accepte, mais refuse de s'adresser de nouveau aux Provinces-Unies. — Démarche spontanée faite par les Provinces-Unies auprès de Louis XIV. — Celui-ci la repousse fièrement et déclare qu'il veut traiter seulement par l'intermédiaire du cabinet de Londres. — Mort de Joseph Ier, empereur d'Allemagne. — Heureuse influence de cet événement sur les négociations. — Demandes de l'Angleterre. — Ménager va à Londres les discuter au nom de Louis XIV avec Bolingbroke. — Derniers obstacles suscités à Londres contre l'ouverture d'un congrès. — Menées du comte de Gallasch, ambassadeur de l'Empire. — Sourdes intrigues de Buys, ambassadeur des Provinces-Unies, et de Bothmar, envoyé de l'électeur de Hanovre. — Inutile voyage du prince Eugène en Angleterre. — Utrecht est choisi pour être le siège du congrès, et l'on nomme les plénipotentiaires chargés d'y représenter la France et la Grande-Bretagne. CHAPITRE XII.Le maréchal d'Huxelles, l'abbé de Polignac et Ménager, plénipotentiaires français à Utrecht. — Ils quittent Versailles et arrivent à Utrecht. — Lord Strafford et l'évêque de Bristol, ambassadeurs de la Grande-Bretagne. — Opérations préparatoires. — Ouverture du congrès. — La question des préséances est éludée. — Première séance. — Discours. — Rôle particulier et fonctions de chacun des représentants français. — Introduction dans le congrès des ministres de la Savoie, du Portugal, de la Prusse et de l'Allemagne. — Les propositions de Louis XIV sont communiquées aux membres du congrès. — Agitation qu'elles soulèvent. — Haine profonde que nourrit la Hollande contre la France. — Récriminations violentes de la plupart des membres du congrès. — Ils répondent aux offres tic Louis XIV par un mémoire renfermant leurs propres demandes. — Leurs attaques passionnées. — Froideur et inaction des représentants de la Grande-Bretagne. — Causes de cette froideur. — Position extrêmement délicate des ambassadeurs français. CHAPITRE XIII.Manifestation du parlement anglais en faveur de la paix. — Question des renonciations. — Son importance rendue extrême par les coups qui viennent de frapper la famille de Louis XIV. — Opinion de Bolingbroke sur cette question. — Il demande des renonciations absolues et formelles. — Réponse du cabinet de Versailles. — Observations de Bolingbroke. — Concession partielle du cabinet de Versailles. Réfutation faite par Bolingbroke. — Proposition nouvelle du gouvernement britannique. — Nature de cette proposition. — Louis XIV l'accepte. — Motifs qui l'y déterminent. — Motifs qui auraient dit l'en détourner. — il écrit à son petit-fils pour l'entrainer à son opinion. — Philippe V. — Son caractère, ses qualités, ses défauts. — Difficultés de sa mission. — II examine la proposition du cabinet de Londres tant au point de vue espagnol qu'en considérant les intérêts de la France. — Il agit sagement en la repoussant. CHAPITRE XIV.Heureuse influence de la décision de Philippe V sur les négociations. — Le gouvernement britannique déclare catégoriquement qu'il embrasse d'une manière définitive le parti de la paix. Ses efforts pour faire suivre sa politique aux Provinces-Unies. — Inutilité de ces efforts. — Sentiments des plénipotentiaires hollandais. — Leur arrogance. L'abbé de Polignac la réprime. —Bataille de Denain. — Sa véritable portée politique. — Effets de cet événement à Utrecht. — Rixe entre les valets de Ménager et ceux de Rechteren. — Juste réparation exigée par Louis XIV. — Outre la renonciation de Philippe V, Bolingbroke demande celles des ducs de Berry et d'Orléans. — Il désire voir ratifier ces renonciations par les États généraux de France. — Louis XIV s'y refuse. — Rédaction des actes de renonciations. Voyage de Bolingbroke en France. — Ses entretiens avec le marquis de Torcy. — Les intérêts du duc de Savoie et ceux des électeurs de Cologne et de Bavière sont successivement débattus. — Entrevue de Bolingbroke avec Louis XIV. — Son succès à la cour. CHAPITRE XV.Conséquences du voyage de Bolingbroke. — La Savoie, le Portugal et la Prusse se séparent tour à tour de la grande alliance. — Victor-Amédée II et sa politique. — Jean V et l'Angleterre. — L'Électeur de Brandebourg. — Son ambition. — Ses prétentions. — Points sur lesquels elles portent. — Nature et examen de chacune de ces prétentions. — Origine des droits de Frédéric Ier sur le duché de Gueldre, sur la principauté d'Orange et sur celle de Neufchâtel. — Situation de la Hollande. — Elle accorde la réparation demandée par Louis XIV. — Parfaite entente des ambassadeurs réunis à Utrecht. — Prétentions de la Hollande. — Discussion de ces prétentions. Râle qu'elle aurait pu jouer dans les négociations. — Considérations sur sa politique. — Importance majeure du traité d'Utrecht pour la Grande-Bretagne. — Avantages immenses que cette puissance en a retirés. — Conséquences du traité d'Utrecht pour la France et pour Louis XIV. — Ce qu'a été ce traité pour la France. — Questions secondaires soumises au congrès. — Duché de Luxembourg. — Princesse des Ursins. — Pic de la Mirandole. — Le seigneur de Forbin. —Prétentions du duc de la Trémouille, du duc de Saint-Pierre et de la maison de Condé. — Démarche du roi de Prusse en faveur des protestants. — Sa demande n'est pas accueillie par Louis XIV. Intolérance de Louis XIV. — Signature des divers traités. — Causes qui empêchent Polignac de les signer. — Publication de la paix à Paris. — Fêtes en l'honneur de la paix. CHAPITRE XVI.Motifs qui ont déterminé la maison d'Autriche à continuer la lutte. Brillants succès de Villars. — Adresse des députés de l'empire à Charles VI. — Celui-ci se résout à entamer des négociations. — Le prince Eugène et Villars se réunissent à Rastadt. — Nature de leurs rapports. — Traité de Rastadt entre Louis XIV et l'Empereur. — Traité de Bade entre Louis XIV et l'Allemagne. — Considérations générales sur la paix d'Utrecht. — Établissement d'un nouveau système politique en Europe. — Principe de l'équilibre européen. Son origine. — Sa nécessité. — Conclusion. — Lien qui unit les diverses parties de cet ouvrage. — Rapide exposé des dernières missions confiées au cardinal de Polignac. — Sa mort. — Quelle doit être la place de ce diplomate dans l'histoire. PRÉFACEJ'ai eu d'abord la pensée, avant de commencer ce livre, de raconter la vie d'un diplomate injustement rejeté au second rang derrière les brillantes illustrations du règne de Louis XIV, et que l'importance de sa carrière politique, l'élévation de son esprit et la variété, autant que l'heureux emploi de ses talents, rendaient digne d'occuper une des premières places dans l'histoire. Mais, en étudiant les événements auxquels a été mêlé ce diplomate, ou qu'il a dirigés par son génie, ils m'ont paru si considérables, si émouvants, si instructifs, qu'essayer de les retracer dans toute leur grandeur, d'en faire ressortir le dramatique intérêt, de les reproduire avec toute leur signification éloquente, est devenu le but principal de mes efforts. Sans abandonner entièrement mon premier projet, et tout en désirant réparer l'injuste oubli dont a été victime le cardinal de Polignac, j'ai cherché surtout à écrire l'histoire des négociations dans lesquelles il a joué un rôle, et, en étendant le cadre de ce sujet, à le rendre moins indigne de l'attention du lecteur. Nommer ces négociations, c'est en indiquer l'importance capitale. Il s'agit, en effet, de la tentative faite par Louis XIV, en 1697, afin d'établir une dynastie Bourbonienne en Pologne, et des négociations qui, après de longues guerres pleines de vicissitudes, ont amené l'établissement définitif d'une dynastie Bourbonienne à Madrid. Ces deux grandes entreprises, inégalement connues, mais d'un égal intérêt, remplissent tout le règne de Louis XIV, et la seconde a été couronnée par le traité d'Utrecht, sur les bases duquel s'est établie l'Europe moderne, et se maintient encore une partie du continent. Elles n'ont pas été jusqu'ici l'objet d'études complètes. L'une a passé presque inaperçue dans l'histoire de la Pologne dont elle intéressait cependant à un si haut point les destinées ; l'autre a été profondément étudiée par M. Mignet[1], mais seulement jusqu'à la paix de Nimègue. L'histoire du congrès d'Utrecht restait donc à faire. Ces deux événements, avec un court récit de la lutte d'Innocent XI et de Louis XIV, font le sujet de ce travail. Il a été composé d'après des dépêches du ministère des affaires étrangères et quelques livres curieux et rares de la Bibliothèque impériale, documents dont quelques-uns n'avaient pas été mis jusqu'ici en œuvre, et dont j'ai eu le soin de donner, en note, toujours le titre, et quelquefois la copie tout entière. En outre, je me suis utilement servi des mémoires de Torcy, de Saint-Simon, de la Fare, de Duclos, de la Torre, de Louville, de Villars, de Tessé, de Saint-Hilaire, d'Argenson, de Noailles et de Louis XIV, du journal de Dangeau, et surtout de la correspondance de Bolingbroke avec les principaux personnages de son temps. Puisse ce travail recevoir du public, auquel je le présente aujourd'hui, le même bienveillant accueil qu'il a obtenu au Correspondant, où il a été inséré en grande partie, et à l'Académie des sciences morales et politiques devant laquelle quelques fragments en ont été lus ! Il est vrai que l'attention, presque entièrement absorbée par les choses du présent, est difficilement sollicitée aujourd'hui par les souvenirs du passé. Mais peut-être estimera-t-on qu'il y a, dans ceux que j'ai entrepris d'évoquer, plus d'un rapport avec les événements qui, de nos jours, captivent l'intérêt. On verra, en effet, dans ce récit, un Pape, réunissant à son autorité spirituelle le pouvoir qui lui permet de l'exercer avec indépendance, lutter seul contre le monarque le plus absolu de l'Europe, et, en lui résistant avec une invincible opiniâtreté, parvenir à tenir en échec, le despotisme de Louis XIV, et en être le salutaire contrepoids. Non moins efficace et non moins saisissant paraîtra sans doute le spectacle de ce peuple que les vices de ses institutions, plus encore que les défauts de son caractère, ont précipité vers sa ruine, et dont les malheurs, comme les fautes, doivent être un éternel exemple aux nations. Il ne semblera peut-être pas non plus inutile, au moment où l'on se plaît à les repousser et à les décrier, d'examiner comment ont été pour la première fois établis ces principes d'équilibre universel et de sûreté générale des États, entrevus par le génie de Richelieu et de Mazarin, appliqués par les ministres contemporains de Louis XIV, toujours vrais, toujours justes, de tous les temps, de tous les pays, et qui, fruits d'une longue expérience, ne sont jamais méconnus impunément. Enfin il ne sera pas indifférent de voir comment un roi absolu et passionné a attiré sur la France des revers et des désastres ; comment une nation étrangère, présidant elle-même avec sagesse à ses propres destinées et imprimant librement à sa politique une direction audacieuse et habile, a trouvé dans ses institutions le moyen de délivrer la France du grave péril auquel l'avait exposée le despotisme. Ces rapprochements naturels et faciles ne doivent pas seulement satisfaire la curiosité de l'esprit. Ils sont féconds en enseignements précieux et abondent en leçons utiles. Il est donc nécessaire, il est donc essentiel qu'ils instruisent sur la portée des fautes commises, et, en montrant quelles ont été autrefois les causes et les conséquences de ces fautes, qu'ils apprennent à les éviter aujourd'hui. MARIUS TOPIN. 25 novembre 1867. |
[1] Négociations relatives à la succession d'Espagne sous Louis XIII (1659-1678), 4 volumes in-4°, compris dans les Documents inédits de l'histoire de France.