L'EUROPE ET LES BOURBONS SOUS LOUIS XIV

AFFAIRES DE ROME. — UNE ÉLECTION EN POLOGNE. — CONFÉRENCES DE GERTRUTDENBERG. — PAIX D'UTRECHT

 

CHAPITRE XIII.

 

 

Manifestation du parlement anglais en faveur de la paix. — Question des renonciations. — Son importance rendue extrême par les coups qui viennent de frapper la famille de Louis XIV. — Opinion de Bolingbroke sur cette question. — Il demande des renonciations absolues et formelles. — Réponse du cabinet de Versailles. — Observations de Bolingbroke. — Concession partielle du cabinet de Versailles. — Réfutation faite par Bolingbroke. — Proposition nouvelle du gouvernement britannique. — Nature de cette proposition. — Louis XIV l'accepte. — Motifs qui l'y déterminent. — Motifs qui auraient dû l'en détourner. — Il écrit à son petit-fils pour l'entraîner à son opinion.. — Philippe V. — Son caractère, ses qualités, ses défauts. Difficultés de sa mission. — Il examine la proposition du cabinet de Londres tant au point de vue espagnol qu'en considérant les intérêts de la France. — Il agit sagement en la repoussant.

 

Le secours vint une fois de plus de l'Angleterre, et la même nation qui, éclairée par Bolingbroke, avait la première aperçu la nécessité de la paix, sut aussi en assurer l'accomplissement. Le 15 mars, la Chambre des communes prenait une solennelle délibération par laquelle elle reprochait à la Hollande, à l'Empire et au Portugal, de n'avoir point satisfait aux engagements contractés, et elle démontrait péremptoirement la justesse de cette accusation[1]. Le 16 mars, la même Chambre, après s'être livrée à l'examen du traité de barrière conclu trois ans auparavant sous le ministère whig entre l'Angleterre et la Hollande, le déclarait contraire aux véritables intérêts de la Grande-Bretagne, et accusait lord Thownshend, qui l'avait signé, du crime de trahison[2]. En même temps, elle envoyait à la reine une adresse[3], dans laquelle elle reproduisait ses griefs contre les alliés, ainsi que la condamnation[4] du traité de barrière, et Van Borselen, ambassadeur des États-Généraux, ayant rendu publique une apologie de leur conduite, la Chambre des communes ordonnait de poursuivre l'imprimeur de ce libelle, faux, scandaleux et portant atteinte aux privilèges et à la dignité du Parlement[5].

Ces quatre actes, émanés coup sur coup d'une Chambre indépendante et libre, étaient des plus significatifs. Ils indiquaient d'une manière éclatante les sentiments de la nation et ils encourageaient puissamment la reine à persévérer dans la voie où elle avait les tories pour guides. Après une telle manifestation d'un pouvoir aussi considérable, aucune intrigue ne pouvait plus aboutir, aucune opposition n'était plus à craindre. Mais la certitude d'être affermi dans sa politique, par l'assentiment national n'affranchissait pas Bolingbroke des règles de la prudence. Il sut ne pas céder à un entraînement irréfléchi, et, avant de conseiller à la reine une mesure assez décisive en faveur de la paix pour engager la Grande-Bretagne, il voulut aborder avec fermeté et résoudre d'une manière définitive[6] la question de la réunion possible sous le même sceptre des deux monarchies française et espagnole.

Cette question, posée à Londres dans les préliminaires signés par Ménager, était devenue des plus urgentes et des plus graves. Il ne suffisait plus de la traiter en principe et de se contenter d'une assurance générale et vague, car le danger auquel on voulait parer était imminent. Le grand dauphin, le duc de Bourgogne son fils, et le duc de Bretagne l'aîné[7] des fils de celui-ci, étaient morts tout à coup[8], et Philippe V, roi d'Espagne, que plusieurs princes intermédiaires avaient jusque-là tenu éloigné de la couronne de France, n'en était plus séparé maintenant[9] que par un faible enfant[10], âgé de deux ans, et gravement atteint lui-même du mal mystérieux et rapide qui venait de ravager la demeure royale. Les solennelles lettres patentes[11], par lesquelles Louis XIV avait, en 1700, maintenu à Philippe V son rang de prince français entre le duc de Bourgogne et le duc de Berri, et qui n'étaient alors qu'un imprudent défi jeté l'Europe, paraissaient être sur le point de recevoir leur menaçante exécution. Le monarque dont la grandeur inquiétait les autres États n'était plus Louis XIV, ni l'archiduc Charles, mais semblait devoir être Philippe V. Fréquents et brusques revirements de la politique, si intéressants à étudier dans leur nécessité et à approfondir dans leurs causes, et qui, dans une courte période, montrent la maison de Bourbon arrêtée dans sa trop grande ambition, puis soutenue contre un rival à son tour devenu trop redoutable, et de nouveau réduite à l'impossibilité d'étendre démesurément sa puissance en Europe !

La confusion des deux couronnes était. une question d'une gravité extrême. Bolingbroke en appréciait toute l'importance. Le 23 mars 1712, il écrivait à Torcy : La reine me commande de vous faire savoir que cet article est d'une si grande conséquence tant pour elle que pour le reste de l'Europe, tant pour le siècle présent que pour !a postérité, qu'elle ne consentira jamais à continuer les négociations à moins qu'on ne trouve un expédient sérieux et solide[12]. Et, le 26 mars, il terminait une lettre, adressée à Marschall[13], par ces mots énergiques : Je vous écris avec ouverture et peut-être avec chaleur sur cet article ; mais vous m'excuserez quand vous considérerez qu'à moins que nous ne prévenions cette union, nous jetons, en faisant la paix, les semences de nouvelles guerres et le fondement d'un pouvoir qui ne pourrait manquer d'être dangereux à toute l'Europe. Harley, cousin du grand trésorier, fut, le 23 mars, envoyé à Utrecht, tandis que l'abbé Gautier se rendait à Versailles, chargé d'un mémoire du gouvernement anglais[14]. Le 2 avril, après une longue conférence relative aux intérêts des alliés et dans laquelle les plénipotentiaires français et anglais étaient tombés d'accord sur presque tous les points débattus, l'évêque de Bristol et Strafford s'entretinrent en secret quelques instants, puis vinrent déclarer à Huxelles et à Polignac que Harley venait de leur transmettre des ordres leur permettant de tout rompre si Louis XIV rejetait la demande que lui portait Gautier[15]. Détruire tout lien de successibilité entre les deux branches espagnole et française de la maison de Bourbon, telle était l'idée fondamentale de ce mémoire, auquel le cabinet de Versailles répondit par une lettre qui mérite d'être citée.

La renonciation demandée, y était-il dit, serait nulle et invalide suivant les lois du royaume selon lesquelles le prince qui est le plus proche de la couronne en est héritier de toute nécessité. C'est un héritage qu'il ne reçoit ni du roi son prédécesseur, ni du peuple, mais en vertu de la loi, de sorte que, lorsqu'un roi vient à mourir, l'autre lui succède immédiatement sans demander le consentement de personne ; il succède non comme héritier, mais comme le maitre du royaume dont la seigneurie lui appartient non par choix, mais seulement par le droit de la naissance ; il n'est obligé de sa couronne ni à la volonté de son prédécesseur, ni à aucun édit, ni à aucun décret, ni à la libéralité de qui que ce soit, il ne l'est qu'à la loi. Cette loi est estimée l'ouvrage de Celui qui a établi les monarchies, et on tient en France qu'il n'y a que Dieu qui puisse l'abolir, par conséquent qu'il n'y a aucune renonciation qui puisse la détruire. Si le roi d'Espagne renonçait à son droit pour l'amour de la paix et pour obéir au roi son grand-père, ce serait se tromper et bâtir sur le sable, que de recevoir une telle renonciation comme un expédient suffisant pour prévenir le mal qu'on se proposait d'éviter[16].

Cette lettre, véritable traité du droit divin, était pleine de bonne foi et de réelle franchise. Elle exprimait l'exacte pensée de Louis XIV qui était trop pénétré des doctrines si nettement exposées en son nom, pour pouvoir considérer comme valide une renonciation avec laquelle elles étaient inconciliables. C'était assurément le langage d'un monarque absolu que blesse, comme une atteinte à ce qu'il a de plus cher, toute discussion de l'autorité royale ; mais c'était aussi, mais c'était surtout le langage d'un contractant loyal et sincère[17] révélant le vice radical que renferme à ses yeux une clause, qui ne lui est cependant pas profitable à lui-même. Louis XIV avait invoqué ce qui était alors le droit public français. Bolingbroke lui opposa avec raison le droit public européen. Nous voulons bien croire, écrivit-il à Torcy[18], que vous êtes persuadés, en France, que Dieu seul peut abolir la loi sur laquelle le droit de votre succession est fondé. Mais vous nous permettrez d'être persuadés, dans la Grande-Bretagne, qu'un prince peut se départir de son droit par une cession volontaire, et que celui ; en faveur de qui cette renonciation volontaire se fait, peut être justement soutenu dans ses prétentions par les puissances qui deviennent garantes du traité. Torcy avait proposé an cabinet de Londres de s'en tenir au testament de Charles II, qui, le cas échéant, imposait au prince, héritier des deux monarchies, l'obligation d'opter entre la couronne de France et celle d'Espagne, et dont une clause désignait pour cette dernière couronne, si elle devenait vacante par renonciation, soit une branche collatérale de la maison de Bourbon, soit la maison d'Autriche[19]. Il faisait d'ailleurs remarquer que Philippe V venait de publier, dans les Cortès et dans les conseils d'Espagne[20], une déclaration portant que les descendants d'Anne d'Autriche pouvaient, succéder au trône d'Espagne à défaut des descendants de Marie-Thérèse, comme étant, aussi bien que ceux-ci, relevés de la renonciation de leur aïeule, par le testament de Charles II. Cette déclaration, convertie en loi de l'État par l'acceptation des Cortès, rendait au duc d'Orléans l'exercice des droits héréditaires qu'il tenait d'Anne d'Autriche, et, en le plaçant immédiatement après le duc de Berry, augmentait le nombre des princes qui pouvaient assurer la séparation perpétuelle des deux monarchies. Mais Bolingbroke répliqua à Torcy[21] : Que la reine ne pouvait se contenter d'une sûreté aussi peu solide, ni souffrir que le cas pût arriver que celui qui serait en possession de la couronne d'Espagne eût le droit de succéder à celle de France. Qui nous assurerait alors, ajouta-t-il, que ce prince ne se servirait pas de sa puissance pour conserver l'une et pour acquérir l'autre, plutôt que de montrer une modération dont il n'y avait point jusque-là d'exemple ?Soyons fermes sur ce point, lisons-nous dans une autre lettre[22]. Tout homme peut faire une cession volontaire de son droit, et ceux qui sont garants d'un accord peuvent justement soutenir les prétentions de celui en faveur duquel une résignation volontaire aura été faite. Sur le premier plan, l'intérêt de la maison de Bourbon s'accordera avec l'intérêt général de l'Europe ; sur l'autre, nous n'avons que la vie d'un enfant de trois ans pour toute sûreté.

Le cabinet de Versailles fit alors une proposition plus acceptable. Il consentit à ce que Philippe V n'attendît pas, selon le premier projet, que la couronne française lui revint pour choisir celle des deux qu'il voudrait préférer à l'autre. On offrit de stipuler que, dès que ce prince deviendrait héritier présomptif du trône de France, il serait obligé de déclarer son option[23]. Tout en reconnaissant avec satisfaction que ce projet était plus que le premier conforme aux vues de la reine, Bolingbroke répondit[24] que la même objection pouvait cependant encore être opposée, puisque, dans aucun des deux cas, l'Europe n'aurait la certitude que l'option promise serait faite. Examinant ensuite les diverses hypothèses qui pouvaient se présenter, Bolingbroke démontra que, dans la plupart[25], il valait mieux, même dans l'intérêt du petit-fils du roi de France[26], qu'il prit immédiatement une décision. L'éviter, ou du moins la retarder le plus possible, tel était le désir de Louis XIV qui hésitait à éloigner définitivement Philippe V du trône de ses ancêtres. Provoquer une solution prompte, nette, irrévocable, telle était au contraire la persistante pensée de Bolingbroke. Cette conviction qui l'animait, il la répandait avec feu dans les fréquentes lettres de cette glorieuse époque de sa vie, et, pour la communiquer au cabinet de Versailles, il usait de toutes les ressources de l'éloquence. Tantôt c'était l'inflexible logique du dialecticien, tantôt la persuasive chaleur de l'orateur ému. Au nom de Dieu, s'écrie-t-il en terminant une de ses magnifiques dépêches adressées à Torcy, au nom de Dieu, pour vouloir raffiner dans la négociation, ne perdons point les fruits que nous sommes prêts à cueillir ! Que le roi votre maitre et la reine ma maîtresse partagent la gloire de donner la paix à l'Europe, et que ceux qui souhaitent de rompre les conférences par les événements de la campagne, trouvent leur projet renversé par la prompte conclusion du traité. D'un côté, Sa Majesté Très-Chrétienne peut assurer la possession paisible de la couronne d'Espagne à son petit-fils. De l'autre, elle peut fortifier la succession de celle de France, empêcher à jamais l'union de l'empire avec l'Espagne et procurer à son royaume des avantages très-considérables. Des deux côtés, elle peut délivrer l'Europe de ses craintes, et donner la dernière main à un ouvrage aussi glorieux que celui d'une paix définitive, sûre et durable[27].

Ces pressantes exhortations déterminèrent Louis XIV à charger le marquis de Bonnac, son envoyé à Madrid, de conseiller à Philippe V d'accorder à l'opiniâtreté des Anglais une renonciation à la couronne incertaine de France[28].

Tandis que de Bonnac accomplissait sa mission, le cabinet de Londres proposa un expédient tout nouveau et qui lui parut de nature à satisfaire les préférences secrètes de Louis XIV, sans rien sacrifier des intérêts majeurs de l'Europe. La reine de la Grande-Bretagne offrait à Philippe V d'abandonner immédiatement la monarchie d'Espagne et des Indes au duc de Savoie, et de prendre possession des États de celui-ci, auxquels seraient ajoutés le Montferrat, le Mantouan et les royaumes de Naples et de Sicile. Dans le cas où le petit-fils de Louis XIV, ou l'un de ses descendants, parviendrait un jour à la couronne de France, tous ces États deviendraient provinces françaises, à l'exception de la Sicile, qui retournerait à la maison d'Autriche[29].

Ce projet était des plus séduisants pour Louis XIV. Il rapprochait de lui un petit-fils qu'il chérissait et dans lequel il verrait désormais un appui et une consolation pour sa morne et triste vieillesse. En outre, on lui assurait ainsi pour successeur, à défaut d'un enfant malade, un prince dont nul mieux que lui n'appréciait les qualités et qu'il avait trouvé constamment docile à ses conseils et disposé à suivre la direction déguisée, mais réelle, de son aïeul[30]. Le vieux monarque, que ses récents malheurs avaient rendu plus sensible encore aux joies domestiques, dont il venait d'être si inopinément privé, fut attendri par le consolant espoir de vivre de nouveau entouré de jeunesse, et d'affection et de pouvoir initier à ses plus secrètes pensées le prince qui semblait devoir régner après lui. Il n'imaginait rien de comparable à ce bonheur, dont il se berça pendant quelques jours et qu'il dépeignit en termes pathétiques dans cette lettre[31] adressée à Philippe V : Je vous avoue que, nonobstant la disproportion des États, j'ai été sensiblement touché de penser que vous continueriez de régner ; que je pourrais toujours vous regarder comme mon successeur et que votre situation vous permettrait de venir de temps en temps auprès de moi. Jugez, en effet, du plaisir que je me ferais de pouvoir me reposer sur vous pour l'avenir ; d'être assuré que, si le dauphin vit, je laisserais en votre personne un régent habitué à commander, capable de maintenir l'ordre dans mon royaume et d'en étouffer les cabales ; que si cet enfant vient à mourir comme sa complexion faible ne donne que trop sujet de le croire, vous recueillerez ma succession suivant l'ordre de votre naissance ; que j'aurais la consolation de laisser à mes peuples un roi vertueux, capable de leur commander, et qui, me succédant, réunirait à sa couronne des États aussi considérables que la Savoie, le Piémont et Montferrat. Je suis si flatté de cette idée, mais principalement de la douceur que je me proposerais de passer avec vous et avec la reine une partie du reste de ma vie, et de vous instruire moi-même de l'état de mes affaires, que je n'imagine rien de comparable au plaisir que vous me ferez si vous acceptez ce nouveau projet. Si la reconnaissance et la tendresse pour vos sujets sont pour vous des motifs pressants de demeurer avec eux, je puis dire que vous me devez les mêmes sentiments ; vous les devez à votre maison, à votre patrie, avant que de les devoir à l'Espagne. Je vous en demande l'effet. Je regarderai comme le plus grand bonheur de ma vie que vous preniez la résolution de vous rapprocher de moi et de conserver des droits que vous regretterez un jour inutilement, si vous les abandonnez. Je suis cependant engagé à traiter sur le fondement que vous y renoncerez pour conserver seulement l'Espagne et les Indes, si Votre Majesté rejette la proposition de l'échange avec le duc de Savoie, et ce que je puis faire est de vous laisser encore le choix, la nécessité de conclure la paix devenant tous les jours plus pressante.

Ce projet si doux au cœur de Louis XIV et aussi conforme à ses sentiments que favorable à sa situation, l'était-il également aux véritables intérêts de la France ? L'établissement d'une dynastie bourbonienne à Turin pouvait-il être une compensation suffisante de l'abandon définitif de l'Espagne à un prince jusque-là  notre ennemi ? Aurions-nous été dédommagés, par plus de sécurité du côté des Alpes, de la perte de toute sûreté sur nos frontières du midi ? L'annexion à la France des nouveaux États du petit-fils de Louis XIV, subordonnée d'ailleurs à un événement incertain[32], aurait-elle été autorisée par l'Europe le lendemain de nos défaites et de nos humiliations, et, si cet événement était survenu, n'aurait-il pas fallu se jeter de nouveau dans une longue guerre, pour obtenir l'exécution d'une promesse qui plaçait sous la domination française tout le nord de l'Italie ? Enfin les puissants motifs, qui avaient déterminé Louis XIV à accepter le testament de Charles II, n'existaient-ils donc plus, et était-il d'une bonne politique de quitter brusquement la voie qu'on avait choisie avec sagesse, dans laquelle on avait marché avec résolution, et cela au moment même où, après quelques fautes suivies de tant de désastres, on allait atteindre un but patiemment poursuivi depuis cinquante ans ?

Ces graves questions, Louis XIV ne songea pas les examiner. Il ne vit dans ce projet que les satisfactions particulières accordées à ses sentiments de père et la séduisante perspective d'un accroissement considérable de territoire ouverte tout à coup à sa royale ambition. Il fut touché autant qu'ébloui. En adoptant la proposition nouvelle du cabinet anglais, non-seulement il appréciait tout autrement qu'il l'avait fait en 1700, ce qui représentait encore le véritable intérêt de la France ; mais, en outre, il négligeait entièrement celui de l'Espagne, il méconnaissait ses aspirations, et il interrompait dans un Etat allié et voisin l'action régénératrice et bienfaisante de la maison de Bourbon. Philippe V, de la décision duquel allaient dépendre les destinées de trois États et la paix de l'Europe, fut, dans cette grave circonstance, autrement inspiré que son aïeul.

Ce prince, chargé à dix-sept ans du lourd fardeau d'une couronne étrangère, s'efforçait de le soutenir dignement, et, s'il avait parfois succombé sous la charge, c'est qu'elle était écrasante, même pour un esprit plus vigoureusement trempé que le sien. Occuper un trône où, depuis Philippe II, s'étaient succédé des fantômes de roi, qui en avaient diminué le prestige et affaibli l'éclat ; partager le pouvoir, dans les colonies, avec des vice-rois presque indépendants, dans la métropole, avec des capitaines généraux tout-puissants, ou des Conseils déjà émancipés[33] ; disputer la couronne sans armée régulière[34] à un rival soutenu par une partie de l'Europe, et vivre, sans police et sans garde[35], au milieu d'une populace mutine et insoumise ; subvenir aux dépenses de l'État, au moyen d'impôts et de subsides obtenus avec peine, recouvrés par des voies illégales et en grande partie au moment même dissipés[36] ; subir les exigences hautaines de la redoutable inquisition et les tracasseries turbulentes de milliers de moines, régner entouré d'un épiscopat affectant de dépendre uniquement de Rome et d'une aristocratie divisée par l'ambition, mais unie par l'orgueil pour la défense de ses prérogatives, tel fut le sort réservé au duc d'Anjou, quand il devint roi d'Espagne.

Pour une telle destinée, la nature l'avait imparfaitement doué. Sa constitution était robuste, mais on le voyait souvent agité par des troubles nerveux, tourmenté sans cause apparente et assailli d'inquiétudes qui prenaient leur source dans une imagination surexcitée. Le brusque passage des brillants palais de Versailles à la sombre et silencieuse demeure de l'Escurial, et d'une agréable indépendance à l'asservissement de devoirs nouveaux et d'une étiquette impérieuse, avait rendu plus fréquents ces accès de langueur sous l'influence desquels ses forces fléchissaient, sa volonté était chancelante et son intelligence elle-même comme obscurcie. Mais, sa tristesse maladive lui faisant rechercher la solitude, ces scènes de défaillance avaient peu de témoins, et la popularité du jeune roi n'en était pas atteinte. Sa bonne mine[37], l'éclat du pouvoir tempéré par les grâces de la jeunesse, un maintien réservé, l'art de garder le silence ou de le rompre à propos[38], avaient captivé, dès son avènement[39], ceux mêmes qui s'y étaient d'abord opposés. Un courage intrépide[40], une dévotion mal dirigée[41], mais dont la sincérité se manifestait à tous les yeux, des preuves évidentes d'élévation et même de fierté[42], avaient achevé de séduire les pieux et hautains Espagnols. Ces premières et heureuses impressions furent parfois altérées, mais jamais effacées entièrement. D'imprudentes mesures[43] effarouchèrent la noblesse, et la trop grande facilité du prince à se laisser gouverner mécontenta le peuple. Vertueux contre son tempérament avant son mariage[44], Philippe V s'abandonna ensuite, sans retenue et avec fougue[45], à des plaisirs qu'il s'était jusqu'alors sévèrement interdits. Livré ainsi à la reine, qu'il idolâtrait, il le fut aussi bientôt à l'intrigante princesse des Ursins[46], qui, s'initiant peu à peu dans les pensées et les sentiments des deux époux, s'introduisit en quelque sorte au milieu d'eux, se rendit utile, puis nécessaire, tantôt favorisa, tantôt combattit une passion qu'elle dirigeait à sa guise[47], et dont l'influence suprême et incontestée ne tarda pas à s'étendre de tous les actes privés du couple royal jusqu'aux affaires mêmes de l'État. Mais ces abdications de pouvoir, consenties par nonchalance au profit tantôt d'une femme astucieuse, tantôt d'un confesseur[48], habitué à ériger son tribunal en ministère politique, ne furent jamais définitives. Quand le danger était proche ou les coups de l'adversité trop accablants, le petit-fils de Louis XIV, fidèle à son origine, secouait son engourdissement, et reprenait, avec le gouvernement de lui-même, celui de son royaume. Dans les extrémités où le sort le réduisait, son flegme habituel devenait une héroïque persévérance[49]. Ayant reçu, en 1705, le conseil de quitter l'Espagne qui lui était vivement disputée, et de se rendre à Versailles, il répondit avec fermeté qu'il ne reverrait jamais Paris et qu'il voulait régner et mourir, dans ses États. Il s'y maintint grâce à l'affection persistante des Espagnols[50], grâce aussi à son intrépidité guerrière et au mouvement qu'il imprima souvent autour de lui. Il rétablit la discipline militaire, il contint les grands, il restaura la marine et travailla activement à la prospérité du commerce et au bien-être de ses sujets. Quoique regrettant quelquefois sa première patrie, il aimait en effet l'Espagne[51], d'abord par devoir, sentiment tout-puissant en lui, puis par reconnaissance pour le dévouement fidèle dont il recevait chaque jour des preuves. Prince honnête et bon, aimé et digne de l'être, ardent de cœur, s'il était quelquefois paresseux d'esprit[52], et, quand il se laissait abattre, très-prompt à se ranimer, sachant vouloir plus encore que persister, aspirant au bien[53], mais souvent découragé dans ses efforts, et dont le malheur fut d'avoir à gouverner un État depuis longtemps en décadence, et d'être chargé de l'arrêter sur une pente déjà beaucoup trop rapide !

Philippe V ne se faisait pas d'illusions sur cette décadence qui n'était que trop manifeste. Mais il n'en tint pas compte au moment de répondre à la proposition, du gouvernement anglais, et il ne se laissa point envahir par la pensée égoïste d'abandonner l'Espagne à ses destinées et d'aller régner dans un État phis rapproché de son propre pays, avec la perspective de posséder un jour le royaume de France. A une première lettre de Louis XIV lui demandant d'opter entre la succession future de France et le trône d'Espagne, il avait répondu sans hésiter que sa résolution était prise et qu'il renoncerait à tous droits de succession à la couronne de France plutôt que d'abandonner celle d'Espagne[54]. Mais la seconde proposition, émanée du cabinet de Londres avant qu'on eût connu cette résolution, fut pesée plus mûrement et avec une sage lenteur. Elle était en effet des plus graves ; elle intéressait le sort de trois États et pouvait avoir des conséquences considérables pour la France, que Philippe V continuait à aimer[55]. Pendant plusieurs jours, ce prince pesa la portée des deux décisions au seul point de vue des avantages qu'en retireraient l'Espagne et la France, et sans se préoccuper de ses propres intérêts.

Avant de prendre une détermination définitive, le pieux souverain crut devoir, dans une circonstance aussi solennelle, s'inspirer de celui par qui règnent les rois. Il communia[56] avec les sentiments de la plus sincère, de la plus vive piété, et, ayant ensuite fait appeler le marquis de Bonnac, envoyé de Louis XIV : Mon choix est fait, lui dit-il, rien ne sera capable de me faire abandonner la couronne que Dieu m'a donnée. Puis il lui remit pour son aïeul[57] la lettre suivante : L'idée que Votre Majesté me met devant les yeux de pouvoir me trouver auprès d'elle serait bien flatteuse pour moi, si je croyais pouvoir embrasser le nouveau parti que l'Angleterre me propose. Mais trop de raisons s'y opposent pour que je puisse l'accepter. Il me semble qu'il est bien plus avantageux qu'une branche de notre maison règne en Espagne, que de mettre cette couronne sur la tête d'un prince, de l'amitié duquel elle ne pourrait s'assurer, et cet avantage me parait bien plus considérable que de réunir un jour à la France la Savoie, le Piémont et le Montferrat. Je crois donc vous marquer mieux ma tendresse et à vos sujets aussi, en me tenant à la résolution que j'ai déjà prise, qu'en suivant le nouveau plan projeté par l'Angleterre. Je donne par là également la paix à la France ; je lui assure pour alliée une monarchie qui sans cela pourrait un jour, jointe aux ennemis, lui faire beaucoup de peine, et je suis en même temps le parti qui me parait le plus convenable à ma gloire et au bien de mes sujets, qui ont si fort contribué par leur attachement et leur zèle à me maintenir la couronne sur la tête[58]. Philippe V disait vrai. En prenant une telle décision[59], il acquérait un nouveau titre à l'affection des Espagnols, en même temps qu'il méritait la gratitude de la France dont il avait sainement apprécié les véritables intérêts.

 

 

 



[1] Les États-Généraux étaient convaincus d'avoir fourni sur mer deux tiers de moins et sur terre moitié moins que leur contingent ; l'Empereur de n'avoir envoyé que depuis un an quelques troupes en Espagne, et le roi de Portugal de n'avoir mis sur pied que 13.000 hommes, quand son traité l'obligeait à fournir 24.000 fantassins et 5.000 cavaliers. En outre, on reprochait aux États-Généraux de n'avoir pas envoyé un seul homme dans la Castille, tandis, que l'Angleterre y avait renouvelé son contingent, et de n'avoir ni payé leur part de subsides, ni exécuté les conditions arrêtées depuis plusieurs années et relatives au commerce de la France. (Van Poolsum, p. 303 et 304.)

[2] Van Poolsum (p. 304) s'étonne que la Chambre des Communes ait condamné tut traité qui avait été approuvé par la reine. C'est une des 'preuves de la partialité de cet auteur. La reine Aime avait, en 1709, ratifié un traité, conforme à l'opinion de son ministère whig, et la Chambre des communes, renouvelée depuis lors, blâmait un acte du précédent ministère. Rien de plus naturel ni de plus légal.

[3] Cette adresse se trouve dans le t. I, p. 342 à 366, des Actes et mémoires touchant la paix d'Utrecht.

[4] Bothmar, représentant de l'électeur de Hanovre, crut devoir à ce sujet faire observer à Bolingbroke que S. A. R l'électeur, considérant ce traité comme la plus grande sûreté de sa succession à la couronne, ne pourrait voir avec indifférence qu'on donnât la moindre atteinte à ce traité. Bolingbroke lui répondit peu de temps après qu'ayant communiqué sa lettre à la reine, elle lui avait ordonné de l'avertir qu'il eût à ne point entrer dans des affaires si délicates sans en avoir des ordres exprès de l'électeur son maître, et sans les faire voir. Van Poolsum, p. 305.

[5] Van Poolsum, p. 306. L'imprimeur fut puni de la prison. Entretiens politiques et historiques, etc., p. 224.

[6] Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 318.

[7] Je veux dire l'aîné des fils vivant encore. Il y avait eu en effet déjà un autre duc de Bretagne, fils du duc de Bourgogne, né le 25 juin 1701 et mort le 13 avril 1705. Le 8 janvier 1707, la duchesse de Bourgogne mit au monde un fils auquel on donna le même nom de duc de Bretagne, et qui est celui dont il est question ici. (Art de vérifier les dates, t. VI, p. 310, 318.)

[8] Le grand dauphin succomba le 14 avril 1711, le duc de Bourgogne le 12 février suivant, et le duc de Bretagne le 8 mars. (Art de vérifier les dates, t. VI, p. 320, 321.)

[9] Il restait bien encore le duc de Berri qui ne mourut que le 4 mai 1714. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il n'était que le troisième fils du grand dauphin, tandis que Philippe V était le second. C'était donc à ce dernier que revenait la couronne de France après l'extinction de la postérité du duc de Bourgogne.

[10] Le duc d'Anjou qui fut, depuis, Louis XV, né le 15 février 1710. (Art de vérifier les dates, t. VI, p. 318. Mémoires de Saint-Simon, t. V, p. 157.)

[11] Voir le chapitre VIII.

[12] Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 155.

[13] Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 166. Marschall de Biberstein, ministre du roi de Prusse en Angleterre, et qui s'était ensuite rendu à Utrecht pour y aider le comte de Metternich à soutenir les intérêts de Frédéric III, électeur de Brandebourg, devenu, depuis 1701, roi de Prusse sous le nom de Frédéric Ier.

[14] Mémoires de Torcy, p. 710. Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 146.

[15] Mémoires de Torcy, p. 710.

[16] Mémoires de Torcy, p. 710, 711.

[17] Saint-Simon caractérise très-judicieusement cette situation : On fut longtemps là-dessus, dit-il, et, bien que le roi offrit tout ce qu'on lui pourrait demander pour rassurer l'Europe contre le danger de voir jamais les deux couronnes sur la même tête. Il ne voulait rien accorder en effet, non pour réserver aux siens une porte de derrière, mais par l'entêtement de son autorité à laquelle il croyait que toute forme donnait atteinte. Il était blessé là-dessus dans sa partie la plus sensible, absolu sans réplique comme il s'était rendu, et ayant éteint et absorbé jusqu'aux dernières traces, jusqu'aux idées, jusqu'au souvenir de toute autre autorité, de tout autre pouvoir en France qu'émané de lui seul. Mémoires, t. VI, p. 319.

[18] Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 154.

[19] Mémoires de Torcy, p. 712.

[20] Mémoires de Torcy, p. 712 et 713.

[21] Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 155.

[22] Lettre du 6 avril 1712. Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 165. Elle est adressée à Marschall de Biberstein, dont il a été parlé plus haut.

[23] Lettre du marquis de Torcy, du 8 avril 1712, citée à la page 108 du tome I des Lettres de Bolingbroke.

[24] Lettre de Bolingbroke du 17 avril 1712.

[25] Voici un extrait de sa lettre : Raisonnons en premier lieu, s'il vous plait, sur la supposition que le prince dont nous parlons préférera la couronne de ses ancêtres à celle d'Espagne. Il n'y a dans la nature qu'un seul cas qui puisse arriver pour lui rendre la proposition que nous faisons moins avantageuse que celle que vous faites. Pardonnez-moi, monsieur, si je fais deux suppositions très-désagréables, mais nécessaires pour l'éclaircissement de la question que nous discutons. Si le jeune dauphin venait à mourir, le prince dont nous parlons serait successeur immédiat de la couronne de France ; dans ce cas donc, il ne pourra rien perdre en faisant choix de la couronne de France dès à présent. Sa Majesté Très-Chrétienne, que Dieu conserve longues années, venant à décéder, le même prince serait héritier présomptif de la couronne de France. Dans ce cas, que perdra-t-il pour avoir fait son choix de la manière dont la reine le souhaite ? Dira-t-on qu'il court risque de quitter l'Espagne et de ne pas acquérir la France ? Vous voyez, monsieur, qu'il serait exposé au même inconvénient selon le plan que vous avez dressé. De tout ce que je viens de dire, la reine croit, monsieur, qu'il résulte qu'il est également avantageux au prince dont il s'agit de choisir la couronne de France présentement, ou de le faire dans aucune des deux circonstances marquées dans votre lettre, et vous serez sans doute convaincu que la sûreté de l'Europe sera infiniment mieux établie d'une manière que de l'autre. Si nous raisonnons sur la proposition que ce prince choisira la couronne d'Espagne, il est incontestable : 1° qu'il vaut mieux, et pour lui et pour nous, que cette déclaration se fasse pendant le congrès d'Utrecht que dans tout autre temps ; 2° que la garantie des puissances de l'Europe sera beaucoup plus capable d'empêcher qu'il retourne en France contre la renonciation formelle qu'il aura faite de ce droit, que de le contraindre d'abandonner une couronne dont il sera en possession, et de se départir d'une prétention à laquelle il n'aura jamais renoncé. Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 170 et 171.

[26] Il est à remarquer que Philippe V est constamment désigné, dans cette partie de la correspondance de Bolingbroke, par les mots, le prince que vous savez ou le prince dont nous parlons.

[27] Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 172.

[28] Mémoires de Torcy, p. 711 et 712.

[29] Lettres de Bolingbroke, t. I, p. 178 et 179. Mémoires de Torcy, p. 713.

[30] Mémoires de Louville, t. I, p. 227.

[31] Mémoires de Torcy, p. 712, 713.

[32] La mort du duc d'Anjou (Louis XV), événement très-probable alors, mais qui n'eut pas lieu.

[33] C'étaient les Conseils de Castille ou de justice, d'Aragon, d'Italie, de Flandre, des Indes ; des ordres, des finances, de la guerre, etc. Quelques-uns disaient louvent au roi : Se obedece la orden, y no se cumple. — On reçoit vos ordres, mais on sursoit à leur exécution. Mémoires de Louville, t. I, p. 69.

[34] L'Espagne entretenait six mille hommes de guerre en bon état.

[35] Le roi n'avait dans son palais pour garde qu'un ramassis de savetiers et autres bas artisans de Madrid, rendus à leurs professions toutes les fois qu'ils n'étaient pas employés. Lettre de Louville à Torcy, du juin 1701.

[36] Mémoires de Louville, t. I, p. 75 et 76.

[37] Nostro hermoso senhor don Felippe-Quinto, disaient les Espagnols. Lettre de Louville à Torcy, du 17 avril 1701.

[38] Mémoires de Saint-Simon, t. II, p. 167. Il eut des mots fort heureux. Questionné sur la place que doit occuper le monarque dans les combats, il dit que là comme partout, c'était la première. Mémoires de Louville, t. I, p. 109.

[39] Mémoires de Saint-Simon, t. II, p. 166.

[40] A Luzarra, comme au siège de Guastalla, comme dans toutes les actions auxquelles il assista, Philippe V parut aux endroits les plus exposés au feu. Le titre de courageux lui a été décerné par ses contemporains et confirmé par l'histoire.

[41] Il était dévoré de scrupules, dit Saint-Simon, tome X, page 267 des Mémoires. Il en avait été du duc d'Anjou, mais à un degré moindre, comme de son frère le duc de Bourgogne. Ils étaient l'un et l'autre, mais celui-ci surtout, tombés dans l'excès contraire à celui dont Fénelon les avait préservés. L'archevêque de Cambrai, aussi éclairé que prudent, eut deux miracles successifs à accomplir : amener au bien ses élèves, puis les corriger d'une piété beaucoup trop scrupuleuse. Il réussit beaucoup moins dans cette seconde tâche, et principalement à l'égard du duc de Bourgogne. Voir la correspondance de celui-ci avec son frère, roi d'Espagne. Voir aussi les Mémoires de Saint-Simon et les lettres de Fénelon.

[42] Lettre de Louville à Beauvilliers, du 4 mai 1701.

[43] Entre autres, l'ordonnance portant que les pairs de France, qui l'avaient accompagné, jouiraient du même rang et des mêmes avantages que les grands d'Espagne.

[44] Soyez sûr, écrivait Louville à Beauvilliers, que notre prince est aussi religieux que saint Louis. Il a son innocence baptismale, mais il ne l'a pas en enfant. Ce n'est nullement faute de savoir le mal qu'il ne le fait pas. Lettre du 10 avril 1701. Voir aussi Mémoires de Saint-Simon, t. III, p. 5.

[45] Mémoires de Saint-Simon, t. II, p. 250.

[46] La fameuse Marie-Anne de la Trémouille, d'abord veuve du prince de Chalais, qu'elle avait épousé en 1699 ; puis du duc de Bracciano, prince romain de la maison des Orsini.

[47] Les mémoires de l'époque, et en particulier ceux de Louville, sont à ce sujet remplis de détails qui ne peuvent pas être donnés ici.

[48] Le père Daubenton.

[49] Elle se rapprochait du sublime, dit Louville dans une de ses lettres. Mémoires de Louville, t. II, p. 165. Mémoires de Saint-Simon, t. II, p. 378, et t. XII, p. 234.

[50] Un trait, entre plusieurs autres, indiquera cette affection. Berwick ayant éloigné de Valence l'armée anglaise, qui soutenait l'archiduc, y revint pour jouir de l'ivresse des habitants. Le peuple avait pillé les maisons des partisans de l'archiduc et brûlé les effets pillés, pour montrer que l'appât du gain n'entrait pour rien dans les excès commis au nom de l'amour du roi. C'est un trait de délicatesse populaire inouï dans l'histoire. Mémoires de Louville, t. II, p. 163. Mémoires de Saint-Simon, t. V, p. 350.

[51] Lettres de Philippe V à Louis XIV, du 12 novembre 1708, du 17 avril et du 12 novembre 1709. Mémoires de Noailles, t. I, p. 536. Lettre d'Amelot, ambassadeur de France en Espagne, à Louis XIV, du 27 mai 1709. Bibliothèque du Louvre, f. 325, t. XXVI, p. 12, citée par M. Chéruel dans son édition des Mémoires de Saint-Simon, t. IV, p. 457.

[52] Mémoires de Saint-Simon, t. X, p. 267 ; t. III, p. 5.

[53] Le duc de Grammont, ambassadeur de France à Madrid, et qui y eut peu de succès, ce qui explique sa sévérité habituelle, rend sous ce rapport pleine justice à Philippe V. Voir les manuscrits de la bibliothèque du Louvre, f. 325, t. XXI, pièce 29, citée p. 487 du tome II des Mémoires de Saint-Simon.

[54] Mémoires de Torcy, p. 713.

[55] On lui proposa, en 1706, de s'unir aux ennemis de la France, qui lui laisseraient à ce prix l'Espagne. Non, dit Philippe avec indignation, je ne tirerai jamais l'épée contre une nation à qui, après Dieu, je dois le trône. — L'amour de la France lui sortait de partout, dit Saint-Simon, t. XII des Mémoires, p. 235.

[56] Mémoires de Torcy, p. 713.

[57] En même temps arriva une lettre pour le duc de Berry, la plus tendre, la plus forte, la plus précise, pour lui témoigner sa sincérité dans cet acte qui l'avançait en sa place à la succession à la couronne de France. Mémoires de Saint-Simon, t. VI, p. 348.

[58] Mémoires de Torcy, p. 713, 714.

[59] Voici les belles paroles que prononça Philippe V en annonçant sa résolution à son conseil : Les instances du roi mon grand-père ont été fort grandes à ce que, dans l'acte de renonciation, je voulusse préférer la monarchie de France à celle d'Espagne. Mais ni ces importantes sollicitations, ni la considération de la grandeur et des forces de la France, n'ont pu altérer en moi la reconnaissance et les obligations que j'ai aux Espagnols, de qui la fidélité a affermi sur ma tête la couronne que la fortune avait rendue chancelante en deux fameuses occasions. De sorte que pour demeurer uni avec les Espagnols, non-seulement je préférerais l'Espagne à toutes les monarchies du monde, mais même je me contenterais d'en posséder la moindre partie, pour n'abandonner pas la nation. Et pour preuve de la vérité de ce que je dis et que je désire que cette monarchie soit assurée à mes descendants, j'ai bien voulu qu'ils renoncent à tous leurs droits sur la couronne de France, en faveur du duc de Berry, mon frère, et du duc d'Orléans, mon oncle. Van Poolsum, p. 350 et 351.