L'EUROPE ET LES BOURBONS SOUS LOUIS XIV

AFFAIRES DE ROME. — UNE ÉLECTION EN POLOGNE. — CONFÉRENCES DE GERTRUTDENBERG. — PAIX D'UTRECHT

 

CHAPITRE XVI.

 

 

Motifs qui ont déterminé la maison d'Autriche à continuer la lutte. Brillants succès de Villars. — Adresse des députés de l'empire à Charles VI. — Celui-ci se résout à entamer des négociations. — Le prince Eugène et Villars se réunissent à Rastadt. — Nature de leurs rapports. — Traité de Rastadt entre Louis XIV et l'Empereur. — Traité de Bade entre Louis XIV et l'Allemagne. — Considérations générales sur la paix d'Utrecht. — Établissement d'un nouveau système politique en Europe. — Principe de l'équilibre européen. — Son origine. — Sa nécessité. — Conclusion. — Lien qui unit les diverses parties de cet ouvrage. — Rapide exposé des dernières missions confiées au cardinal de Polignac. — Sa mort. — Quelle doit être la place de ce diplomate dans l'histoire.

 

De toutes les nations, dont s'était composée la Grande Alliance, seule l'Allemagne n'avait pas posé les armes. La maison de Habsbourg, ayant eu le plus à perdre au changement de politique opéré à Londres en 1710, s'y était sans cesse opposée avec une invincible opiniâtreté. Elle en avait attaqué les promoteurs ; elle avait tâché d'empêcher sa réalisation, puis de neutraliser ses effets, et, obligée ensuite de prendre part au congrès d'Utrecht, elle y avait cherché surtout à susciter des obstacles et à arrêter la marche des négociations. N'y étant pas parvenue, elle s'était obstinée à refuser d'accéder aux résolutions du congrès. Elle continua donc la guerre moins avec un ferme espoir de triompher, que pour protester, en lui résistant, contre le mouvement pacifique auquel avaient fini par céder les autres alliés. Les conditions de la lutte lui étaient en effet peu favorables, et grandes étaient pour la France les chances d'un succès définitif. Le Corps de l'Empire était dirigé par l'Autriche, mais il ne lui obéissait plus assez servilement pour que son voisinage et son hostilité constituassent pour la France un danger bien redoutable. Composé d'un grand nombre de princes dont les intérêts étaient divers et les vues fort différentes, il cessa de servir la maison de Habsbourg avec cet empressement et cet accord qui seuls avaient pu permettre de lutter victorieusement contre la maison de Bourbon. Les contingents promis n'arrivèrent point, ou furent amenés beaucoup trop tard, et le prince Eugène, laissé presque seul derrière les lignes d'Ettlingen, fut contraint de demeurer le spectateur immobile et impuissant des brillants faits d'armes de son adversaire. Ils furent nombreux et rapides. Tour à tour Villars soumit à ses contributions de guerre Spire, Worms, Kaiserslautern, Waldstein et Kirn[1]. Le 24 juin 1713, il mit le siège devant Landau, dont il s'empara le 20 août, et où il fit prisonnières les troupes du duc Alexandre de Wurtemberg. Après avoir escaladé avec une rare intrépidité le mont Rosskopf, qui défendait Fribourg, il prit cette ville le 13 novembre[2]. Pendant ce temps, la cavalerie française, dans ses courses victorieuses à travers l'Allemagne, répandait les horreurs de la guerre dans un pays qui, depuis longtemps, en acceptait de moins en moins la nécessité et le but. On s'y étonnait en effet :de voir prolonger par l'Allemagne une lutte qui n'intéressait que la famille impériale, et l'on se préoccupait fort peu de savoir la monarchie espagnole assurée à un Bourbon, de préférence à un Habsbourg. Les députés de l'Empire, réunis à Francfort, se firent les interprètes éloquents de ces justes plaintes, et votèrent une adresse à Charles VI, pour le supplier de leur procurer promptement la paix. Cette démarche eut le pouvoir de vaincre l'obstination de l'Empereur, et, le 22 novembre, il autorisa le prince Eugène à écouter et à discuter les propositions du cabinet de Versailles. Le baron de Hundheim, ministre de l'Électeur palatin, et La Houssaye, intendant de l'Alsace, se réunirent, et virent à Plusieurs reprises Villars et le prince Eugène, qu'ils déterminèrent à se rencontrer au château de Rastadt, ancienne résidence des princes de Bade[3].

Les deux généraux, s'affranchissant des entraves de l'étiquette, se traitèrent avec la plus franche simplicité. Ils convinrent d'occuper chacun une des ailes du château, et, dans de fréquentes et cordiales réunions, d'étouffer les dissentiments qui pourraient s'élever entre eux. Leurs entretiens furent en effet remplis quelquefois de discussions que suivaient des récriminations trop vives. Plus habitués aux libres allures des camps qu'exercés aux ménagements de la diplomatie, tous les deux impétueux, et légitimement fiers, l'un de ses récents succès, l'autre de ses anciennes victoires, ces deux hommes, plus capables de se combattre qu'aptes à négocier, négligèrent souvent la mission conciliatrice dont ils étaient chargés. Mais, prompts à s'irriter, ils l'étaient également à s'apaiser, et, s'ils se séparèrent parfois avec violence, ils se rapprochaient toujours l'un de l'autre avec un égal empressement et une estime réciproque. Qui nous eût entendus, dit Villars dans ses Mémoires, eût cru que nous n'avions pas deux heures à passer ensemble. Ils demeurèrent en réalité trois mois à Rastadt, et traitèrent comme ils avaient combattu, en gens d'honneur. Le 6 mars 1714, la paix fut signée entre l'empereur et Louis XIV. Celui-ci rendait Kehl, Brisach et Fribourg, et démolissait les fortifications d'Huningue ; mais on lui accordait le rétablissement des Électeurs, et il gardait Landau. En outre, Charles VI acceptait entièrement les stipulations du congrès d'Utrecht. Quand je songe, dit le prince Eugène à Villars, à tout ce que vous obtenez, je trouve, monsieur le maréchal, que depuis deux ans, vous m'avez assez maltraité. L'amitié, qui est entre nous, ne m'empêche pas de le sentir assez vivement, et je vous assure que je ne serai pas bien reçu à Vienne. Si j'avais pu m'imaginer que l'on pût porter si loin les intérêts de votre maitre, j'aurais mieux aimé avoir les bras cassés que de me charger de la négociation[4].

Les députés de l'empire, réunis à Bade le 10 juin 1714, furent chargés de conclure à leur tour la paix de l'Allemagne avec la France. Deux événements qui survinrent le 12 et le 13 août de la même année, la mort de la reine Anne et le mariage de Philippe V avec une princesse de Parme, étaient de nature à retarder l'œuvre des négociations, puisque l'un enlevait tout à coup à Louis XIV l'appui du principal auteur de la paix d'Utrecht, et l'autre faisait redouter la prochaine immixtion du roi d'Espagne dans les affaires d'Italie[5]. Mais les choses étaient alors trop avancées pour que ces deux événements pussent exercer quelque influence. Le traité de Bade, signé le 7 septembre 1714, et lu solennellement le 10, devant tous les ambassadeurs réunis, fut pour l'Allemagne, ce qu'avait été celui de Rastadt pour l'empereur, le complément et la consécration du congrès d'Utrecht.

Comme la Hollande, l'empire expiait l'impolitique obstination avec laquelle il avait prolongé la guerre, et l'Alsace, vainement offerte par Louis XIV, en 1710, à ses ennemis victorieux et impitoyables, était à jamais acquise à la France. Quant à la maison de Habsbourg, elle perdait, par la création des royautés nouvelles de la Prusse et du Piémont, sa prépondérance sur l'Allemagne et sur l'Italie, et, de longtemps, la France n'avait plus à redouter, du côté de l'est, un trop formidable et trop ambitieux voisin.

 

Ainsi se sont terminées ces longues négociations, aussi intéressantes par les diverses péripéties qui les ont signalées, qu'importantes par les graves intérêts qui étaient en présence et les résultats considérables auxquels elles ont abouti. Les premiers agrandissements de la Savoie consacrés par les autres puissances, et l'ambition naissante de la Prusse satisfaite ; l'Autriche placée au rang qu'elle ne peut ni dépasser ni perdre sans danger pour la tranquillité de l'Europe ; la Grande-Bretagne, faisant accepter au continent une audacieuse intervention et entrant dans l'ère de sa prospérité commerciale et de sa grandeur maritime ; la Hollande, descendue à la seconde place, lui cédant l'empire des mers, et le Portugal, la direction de son commerce ; l'Espagne, cessant d'être l'objet des convoitises et le théâtre des luttes des autres nations, et, bien que conservant son indépendance, rentrée dans les voies de son alliée naturelle, et, par un contact fortifiant, recevant d'elle, avec une nouvelle dynastie, le moyen de réorganiser son armée, de rétablir sa marine, d'améliorer son agriculture et de régénérer sa population ; la France, enfin, sur le penchant de sa ruine, relevée tout à coup et faisant triompher sa politique, mais, tout en l'emportant sur l'Autriche à Madrid, réduite à l'impossibilité de redevenir trop menaçante : telles ont été les conséquences de ce traité, qui a été suivi d'une paix d'un quart de siècle et sur les bases duquel une grande partie de l'Europe s'est maintenue jusqu'à nos jours. Mais là n'est pas toute l'importance du congrès d'Utrecht. Il n'a pas seulement introduit en Europe de notables changements territoriaux, Il y a encore inauguré un nouveau système politique, et il a fixé le droit que peut donner l'intérêt de la sécurité de tous les États. Jusque-là les contrats, qui avaient terminé les luttes des hommes, avaient été uniquement la consécration des décisions de la fortune, et les négociateurs s'étaient bornés à enregistrer l'œuvre des conquérants. A Westphalie, pour la première fois, il n'en avait pas été ainsi, et, en écartant le danger d'une trop redoutable monarchie, on s'y était préoccupé de la pondération des États européens. Mais c'est surtout durant les négociations d'Utrecht que l'intérêt général a été opposé à l'intérêt particulier, et l'intérêt de toutes les nations à l'intérêt d'une seule.

C'est alors qu'on a établi ce droit sacré qui, quoique se conciliant avec le respect dû à l'indépendance intérieure des nations, les domine toutes, autant que la sûreté générale l'emporte sur les avantages de chacun en particulier. C'est ce principe au nom duquel la coalition attaqua et finit par accabler Louis XIV ; c'est ce principe qui fit l'unique force .des torys le relevant de sa chute ; c'est encore ce principe qu'ils opposèrent eux-mêmes à la maison de Bourbon pour lui enlever dans la suite. les moyens d'être de nouveau trop prépondérante, et quand, après avoir été ainsi appliqué avec succès, il eut été définitivement admis par les puissances, la reine de la Grande-Bretagne put déclarer à son parlement que désormais il se trouvait en Europe une balance de pouvoir réellement établie[6]. Cette balance de pouvoir, qui n'est autre que l'équilibre des forces européennes, ce qui lui a donné son nom, n'a pas été seulement adoptée comme une nécessité de la situation, mais comme un principe toujours juste, toujours essentiel, de tous les temps et de toutes les formes de gouvernement. Ne s'opposant en rien à l'organisation intérieure des nations suivant l'impulsion qui leur est propre et les idées qui s'y développent, ce principe ne peut pas être un obstacle et une cause d'arrêt. Devant être appliqué, au moyen de la résistance concertée des États faibles, aux menaces agressives d'un État ambitieux, il ne doit jamais manquer de sanction. Enfin, n'étant rendu inutile que par une monarchie universelle, c'est-à-dire par une forme aussi dangereuse qu'impossible à conserver, ce principe, introduit en Europe, ainsi que le droit des gens, peu de temps après qu'y a pénétré la civilisation, doit s'y maintenir tant qu'elle subsistera. Les éléments de cet équilibre varient souvent, il est vrai, et ils ne sont plus aujourd'hui ce qu'ils étaient en 1713. L'immense développement de la puissance britannique et l'affaiblissement de la Hollande, la Suède amoindrie et la Prusse s'agrandissant avec autant de promptitude que d'audace, l'empire russe s'étendant de plus en plus en Europe et la Pologne détruite, toutes ces causes ont modifié les conditions de l'équilibre européen. Mais le principe est resté le même, et ce sera la gloire durable des négociateurs d'Utrecht de l'avoir fait prévaloir par de prévoyantes combinaisons politiques, et d'avoir ainsi établi, au-dessus de chaque nation particulière, un intérêt général des nations, aussi nécessaire à la sécurité commune que conciliable avec les progrès intérieurs des peuples et leurs légitimes aspirations vers plus de bien-être et plus de liberté.

 

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Telle est la partie de la vie politique du cardinal de Polignac que je me suis prescrit de raconter. Séduit par l'importance des missions qui la remplissent, je les ai exposées sans, obéir servilement aux exigences de la monographie. C'est moins l'histoire de l'ambassadeur, que j'ai essayé d'écrire, que celle des trois plus grands événements auxquels il a été mêlé, et j'ai tâché surtout de faire partager au lecteur l'intérêt et le charme que j'ai trouvés dans l'étude d'un interrègne en Pologne, des conférences de Gertruydenberg et du congrès d'Utrecht. Rien de plus pittoresque, en effet, et en même temps d'aussi peu connu, quoique très-digne de l'être, que ces tableaux de l'histoire polonaise du dix-septième siècle, où l'on voit encore l'éclat et la splendeur des temps les plus prospères, et déjà l'agitation et les luttes intérieures qui vont, en se renouvelant, précipiter et rendre inévitable la catastrophe. Rien de plus grave, et de plus éloquent par l'enseignement qui en découle, que le spectacle de la France résistant avec héroïsme aux forces coalisées de l'Europe, et l'examen des causes qui l'ont réduite à la situation la plus précaire, puis l'ont sauvée soudainement du plus grand danger qu'elle ait jamais couru. Non-seulement ces négociations, si diverses en apparence, sont liées entre elles par le nom de l'ambassadeur qui les a dirigées ; mais le but vers lequel elles tendaient l'une et l'autre, et qui est exactement le même, fait aussi l'unité du sujet de cet ouvrage. La mission de Polignac à Varsovie a consisté à faire monter sur le trône de Pologne un prince français, comme la guerre de la succession d'Espagne a été soutenue pour obtenir l'établissement d'une dynastie française à Madrid. De ces deux entreprises, aussi émouvantes par leurs vicissitudes que considérables par leurs conséquences, la première a échoué à cause des répugnances invincibles du prince de Conti, la seconde a réussi grâce à la persévérante opiniâtreté du duc d'Anjou. Les deux princes ont été chacun servis par d'admirables instruments, et ni le talent des diplomates, ni le génie des généraux, ne leur ont manqué. Mais, tandis que l'un évitait, avant même de l'avoir reçue, la couronne que la plupart désiraient le voir accepter, l'autre se maintenait sur un trône ébranlé, au moment même où l'Europe entière réunissait ses forces pour l'en renverser. Les sentiments des Polonais étaient aussi dévoués que ceux des Espagnols, envers le candidat français ; mais il n'entrait pas dans les desseins de la Providence de satisfaire également les aspirations des deux peuples.

On le voit, l'analogie autant que l'importance de ces négociations contribue à solliciter l'attention et à mériter l'intérêt du lecteur. C'est la certitude de ne plus pouvoir exciter cet intérêt, but principal de mes efforts, qui m'a déterminé à ne point prolonger le récit de la vie politique du cardinal de Polignac. Ce n'est pas qu'il n'ait continué à rendre à la France des services précieux. Il assista à plusieurs conclaves où il assura l'élection de Benoît XIII[7] et celle de Clément XII, aussi favorables l'une que l'autre au gouvernement français. Demeuré après la première à Rome, comme ambassadeur, il eut la délicate mission de réconcilier le cardinal de Noailles avec le Saint-Siège[8], et de terminer les débats irritants et les discussions théologiques qui divisaient et troublaient l'Église française depuis la publication de la bulle Unigenitus[9]. Il parvint plus tard, par son influence sur Benoît XIII, à faire amortir à Madrid les effets du coup violent porté à Philippe V par le renvoi de France de l'Infante espagnole, fiancée à Louis XV[10].

Enfin il sut résister avec énergie aux prétentions de la cour de Portugal, voulant empêcher la promotion anticipée de monseigneur de Fleuri au cardinalat[11], et à celles de l'empereur d'Allemagne usurpant[12] le titre de Fils aîné de l'Église[13]. Mais comment espérer, après les grandes scènes auxquelles nous venons d'assister, de piquer et d'entretenir par le récit de tels actes la curiosité des lecteurs ? Les indiquer suffit à l'exactitude de la biographie ; les exposer longuement serait manquer aux conditions de l'art qui exige la gradation dans l'intérêt et ne se concilie pas toujours avec les réalités de la vie humaine.

Il a donc fallu renoncer à développer cette dernière partie, et préférer s'exposer au reproche d'être incomplet que de mériter celui d'être inégal. Mais ce qu'il est essentiel de constater, c'est que, jusqu'à ses derniers jours, la vie de Polignac a été utile et bien remplie. S'il n'a pas eu la bonne fortune d'être mêlé constamment à des événements considérables, il a eu du moins le mérite de réussir dans les négociations secondaires comme dans les plus importantes, et de consacrer aux arts[14] et à la littérature les rares loisirs que lui a laissés la diplomatie. Aussi les grâces de la cour et l'estime de ses contemporains ne lui manquèrent pas, et quand, le 20 novembre 1741, il mourut, le cadet de Polignac était abbé d'Anchin, de Corbie, de Monzon, de Begard et de Bomport[15], maître de la chapelle du roi, ambassadeur, commandeur de l'ordre royal du Saint-Esprit, grand-maître de l'ordre du Saint-Esprit de Montpellier[16], archevêque d'Auch, membre de l'Académie française et cardinal. Mais ses contemporains ont emporté avec eux le souvenir non-seulement des grâces, de l'esprit, de l'éclat de l'homme, mais encore des principaux actes politiques du négociateur. Son nom, n'ayant été associé aucun des grands travaux qu'il a dirigés, a été déchu de l'illustration légitime qui lui appartient, et on ne le prononce guère aujourd'hui qu'à propos d'un poème, simple épisode d'une longue et brillante carrière. Cet oubli, dont d'autres diplomates ont été aussi les victimes, est particulièrement injuste pour le cardinal de Polignac. Il a vécu, il est vrai, à l'époque la plus féconde en grands hommes, et, dans ce siècle prodigieux, tant de glorieux génies se pressent au premier rang qu'ils attirent et absorbent les regards éblouis. Mais un examen plus scrupuleux et plus approfondi complète ces premiers jugements. Les qualités éclatantes des héros du champ de bataille ne méritent pas seules les admirations de la postérité, et si Louis XIV a eu le bonheur de pouvoir confier ses flottes à Duquesne, Duguay-Trouin et Tourville, ses forteresses à Vauban, ses armées à Condé, Turenne, Catinat, Vendôme, Luxembourg et Villars, il n'a pas été moins heureux d'avoir eu autour de lui pour négociateurs, Lionne aux époques prospères, et, dans les épreuves douloureuses, Torcy, Ménager et le cardinal de Polignac.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Van Poolsum, p. 464.

[2] Mémoires de Villars, p. 218 et suivantes.

[3] Van Poolsum, p. 469. — Mémoires de Villars.

[4] Mémoires de Villars. Villars crut devoir répondre qu'il ne serait pas mieux reçu à Versailles. Mais, en réalité, il fut comblé, et à juste titre, des bienfaits de Louis XIV. Celui-ci lui accorda le logement du dauphin à Versailles, les grandes entrées et la survivance du gouvernement de Provence pour son fils. Philippe V lui envoya la Toison d'or.

[5] C'est en effet ce mariage qui permit plus tard à Philippe V d'envoyer deux de ses enfants du second lit régner : l'un, don Carlos, à Parme en 1731, puis à Naples en 1735, d'où en 1759 il alla occuper le trône d'Espagne devenu vacant par la mort de son frère aine ; l'autre, don Philippe, à Parme, lorsqu'en 1735 don Carlos reçut la couronne des Deux-Siciles. C'est ainsi que les Bourbons se sont établis à Naples et à Parme.

[6] Actes, mémoires et autres pièces authentiques concernant la paix d'Utrecht, t. I, p. 525.

[7] C'est un pape, écrivit Polignac, que nous tenons non de la main des hommes, mais de celle de Dieu. Nous n'avons rien à craindre de son pontificat par rapport aux affaires qui divisent l'Église de France. (Lettre du cardinal de Polignac à M. de Morville, ministre des relations extérieures.)

[8] Le cardinal de Noailles écrivit à Polignac : Ce que je désirais depuis longtemps est arrivé. Le roi avait besoin d'une personne comme Votre Éminence pour traiter avec le Saint-Père les affaires de l'Église et de l'État, et j'espère que vous me permettrez de vous dire que j'avais besoin d'un ancien ami pour m'y faire connaître tel que je suis en réalité. (Lettre du cardinal de Noailles au cardinal de Polignac, du 7 août 1724.)

[9] Le père Quesnel, successeur d'Arnauld dans la direction du parti des Jansénistes, avait publié, en 1671, sous le titre de Réflexions morales, un livre renfermant de courtes et pieuses maximes pour l'usage des jeunes confrères qu'il était chargé d'instruire à l'institution de Paris. Ce livre fut, dès son apparition, approuvé par M. Vialard, évêque de Châlons-sur-Marne (mandement du 5 novembre 1671), et une seconde édition reçut également, en 1694, l'approbation de M. de Noailles, qui avait remplacé M. Vialard sur le siège de Châlons. Mais, comme, deux ans après, M. de Noailles, devenu archevêque de Paris, condamna, par une ordonnance du 20 août 1696, un livre de l'abbé Barcos sur la grâce et la prédestination, qui contenait toute la doctrine de Port-Royal, et qui était conforme aux préceptes renfermés dans l'ouvrage du père Quesnel, on lit paraitre, sous le titre de Problème ecclésiastique, un écrit où l'auteur, opposant Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons, à Louis. Antoine de Noailles, archevêque de Paris, demandait qui l'on devait croire de l'approbateur des Réflexions morales ou du censeur du livre de la Grâce. Dès lors se ranimèrent les vieilles disputes jansénistes. On vit de part et d'autre se multiplier les pamphlets, et la perturbation religieuse fut telle que Louis XIV provoqua, de la part de Clément XI, une solennelle manifestation de l'opinion du Saint-Siège, qui pût faire cesser toute dissidence. C'est alors, et sur le rapport d'une congrégation spéciale présidée par le pape lui-même, que parut la fameuse bulle Unigenitus, qui condamnait cent une propositions extraites du livre du père Quesnel. Dans une assemblée de quarante-neuf prélats, tenue à Paris le 25 juin 1714, sous la présidence du cardinal de Noailles, quarante seulement se soumirent à la décision du Saint-Siège. Le cardinal de Noailles se trouvait parmi les neuf opposants, et il défendit à la Sorbonne d'inscrire la bulle sur les registres. Louis XIV, qui était en paix avec le pape et qui voyait une cause de scission dans la résistance du cardinal, eut recours à tous les moyens pour en triompher. S'il faut en croire l'Histoire de Fénelon du cardinal de Dausset, Louis XIV tâcha de fléchir Noailles même par ses larmes. Mais le prélat ne devait céder qu'à la douce et irrésistible éloquence du cardinal de Polignac. Sa volumineuse correspondance avec le cardinal de Noailles respire le désir le plus ardent de la paix et le bonheur qu'il éprouverait de contribuer à une réconciliation. On ne peut imaginer une argumentation plus pressante et plus persuasive, et en même temps une grâce plus onctueuse. Je ne connais pas, lui écrit-il, en lui parlant de Benoît XIII, une plus grande modestie. Il a voulu être le dernier des hommes, et la Providence l'en a fait le premier. Comme tout a été miraculeux dans sou élection, on peut croire qu'il a été choisi dans ces tristes conjonctures pour faire voir à tout le monde qu'on peut être saint et savant, amateur de la doctrine de saint Thomas et de celle de saint Augustin, zélé pour la plus pure discipline et la plus parfaite morale, enfin tel que vous êtes, monsieur, et recevoir la constitution Unigenitus, condamner les cent une propositions et demeurer intimement uni au Saint-Siège, sans donner la moindre atteinte aux dogmes reçus, ni aux maximes autorisées, ni à la liberté des écoles. (Lettre du 11 octobre 1724.) Aussi le cardinal de Noailles lui répond : Aidez-vous à ma réconciliation avec le Saint-Siège de tout votre crédit, de toute votre capacité, et rendez votre nom immortel par la part que Votre Éminence y aura. Mais de Noailles, avec des qualités et des vertus infiniment estimables, avait, ainsi que le fait remarquer le cardinal de Dausset, a ce mélange d'entêtement et de faiblesse, apanage très-ordinaire des caractères plus recommandables par la droiture des sentiments que par la rectitude des idées. Aussi, bien des obstacles surgirent encore que Polignac eut à aplanir. Enfin, après une admirable lettre dans laquelle il indiquait à l'archevêque de Paris la paix de l'Église comme devant être le but de tout chrétien, et le suppliait au nom de Dieu, et pour le bien tant de la religion que de l'État, pour la satisfaction du pape et du roi, de vouloir bien rejeter toute autre considération comme indigne de lui être comparée (lettre du 20 juin 1728) ; après un long entretien avec le pape, qui consentit non-seulement à ouvrir, mais encore à élargir au cardinal de Noailles la voie du retour, Polignac eut la gloire d'obtenir de ce dernier une soumission complète. En apprenant cette nouvelle, Benoît XIII versa des larmes de joie, et, réunissant le sacré collège, il lui fit part de son bonheur. Louis XV, dont la satisfaction était aussi vive, écriait à Polignac :

Mon cousin, vous ne sauriez juger du plaisir que j'ai de voir cette importante affaire entièrement consommée. J'ai eu en cette occasion de nouvelles preuves de votre zèle pour la religion et pour ma satisfaction. Le succès a répondu à mes désirs, et vous y avez tant contribué qu'il est juste que je vous témoigne tout le gré que je vous sais de la conduite sage, prudente et habile que vous avez tenue.

[10] L'Infante espagnole, fille de Philippe V et habitant déjà la cour de France, était alors âgée de six ans. Louis XV ayant eu une sérieuse maladie, son Conseil l'avait supplié d'abandonner un projet qui ne pouvait être réalisable que beaucoup plus tard, et de choisir une princesse qui fût d'un âge à lui donner bientôt des enfants. On se décida à renvoyer à Madrid la fille de Philippe V. Celui-ci ne vit d'abord que l'insulte et non la raison d'État. Il allait rompre avec Louis XV, quand le cardinal de Polignac obtint de Benoît XIII son intervention conciliatrice auprès des deux cours. Sur la demande du pontife, le général des Jésuites consentit à ordonner an religieux de son ordre, le père Bermudes, confesseur de Philippe V, d'employer tout le pouvoir que lui donnait son ministère à calmer la colère du souverain outragé.

[11] Polignac termina aussi à cette époque les négociations depuis longtemps entamées avec le nonce d'Avignon et relatives au canal de Provence.

[12] Le titre de fils aîné de l'Église avait été déjà réclamé par le duc de Ferentina, ambassadeur d'Espagne, eu faveur de son souverain, au cou-clave où fut élu Alexandre VII. Mais le cardinal de Retz s'était formellement opposé à cette qualification.

[13] L'empereur d'Allemagne voulut aussi exiger du pape le droit de faire nommer deux cardinaux chaque fois que les autres puissances en proposeraient un. Polignac obtint du Saint-Siège une promesse solennelle d'égalité complète dans la répartition des chapeaux rouges, promesse qui fut scrupuleusement tenue. Puis, dans un mémoire éloquent adressé au souverain pontife, il démontra victorieusement que le titre de fils aîné de l'Église constituait une primogéniture spirituelle qui ne pouvait avoir son origine que dans l'ancienneté, comme la primogéniture naturelle ; que pour être fils aîné de l'Église il fallait être le premier chrétien, le premier catholique, et que par conséquent cette glorieuse qualification ne pouvait appartenir qu'à la nation dont le roi avait donné l'exemple d'une conversion au catholicisme aux autres souverains de son époque tous ariens ou idolâtres.

[14] Pendant son ambassade à Rome, le cardinal de Polignac sut distinguer le talent d'un très-grand peintre d'architecture. Giampolo Pannini, dont le musée du Louvre possède de très-beaux tableaux, s'était rendu de Plaisance où il était né, en 1691, à Rome où il venait de prendre de leçons d'Andrea Lucatelli, quand Polignac l'employa à la décoration d'une magnifique salle de concert qu'il fit construire dans la cour du palais de l'ambassade de France. lai fête que donna Polignac, le 26 novembre 1729, à l'occasion de la naissance du dauphin, fils de Louis XV, laquelle datait du 4 septembre de la même année, est le sujet d'un des tableaux de Pannini, que l'on voit au Louvre et que lui commanda le cardinal. Il en est de même de celui qui, dans le même musée, représente une place de Rome au moment où, le 30 novembre 1729, l'ambassadeur français, accompagné d'une suite nombreuse, inspecte les préparatifs d'un feu d'artifice qu'il lit tirer à l'occasion du même événement. Le troisième tableau de Pannini, commandé par Polignac, et acquis en 1833 par le Louvre, est une admirable vue intérieure de la basilique de Saint-Pierre de Rome.

[15] Gallia Christiana, t. X, p. 1288 E.

[16] Cet ordre est complètement distinct du grand ordre royal dont Polignac était commandeur. Un arrêt du Conseil, du 4 janvier 1708, l'ayant déclaré purement religieux et par conséquent devant être administré par un grand-maître régulier, Polignac fut investi le premier de cette haute dignité. Voir le père Héliot, Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires, t. II, p. 195.