LES ORIGINES DU SÉNAT ROMAIN

 

RECHERCHES SUR LA FORMATION ET LA DISSOLUTION DU SÉNAT PATRICIEN.

PAR GUSTAVE BLOCH

Ancien élève de l’école Normale Supérieure, ancien membre de l’École française de Rome et d’Athènes.

Paris 1883

 

 

PRÉFACE

PREMIÈRE PARTIE — LA FORMATION DU SÉNAT PATRICIEN

CHAPITRE PREMIER. — La division ternaire dans les institutions politiques des anciens

I. - La division ternaire chez les Germains, les Celtes, les Sémites. — II. - La division ternaire en Grèce. — III. - La division ternaire en Italie et à Rome.

CHAPITRE II. — La division ternaire à Rome. - Les agrandissements de la ville. - La légende de l’invasion sabine et le Septimontium

I. - Les traditions relatives aux trois tribus. — II. - Les agrandissements de la ville et le Septimontium. — III. - Réponse à quelques objections.

CHAPITRE III. — La division ternaire à Rome. - La formation des corps sacerdotaux et du Sénat et l’admission successive des trois tribus

I. - La constitution des trois tribus. - Les tribuns. — II. - La formation des corps sacerdotaux. - Les vestales. - Les augures. - Les pontifes. — III. - La formation du Sénat. — IV. - La formation des centuries équestres. - Du rapport établi par les historiens anciens entre la formation du Sénat et celle des centuries. - L’entrée successive des trois tribus clans les corps sacerdotaux et le Sénat

CHAPITRE IV. — Du rapport du Sénat avec les centuries équestres dans les temps historiques. - Les six centuries sénatoriales.

I. - De la distinction entre les chevaliers de rang sénatorial et les autres. - Les equites illustres. - L’anneau d’or. — II. - Les six centuries sénatoriales. - Leur rôle politique. — III. - Les six centuries sénatoriales. - Si elles avaient un rôle militaire spécial. - Les légions urbaines. — IV. - Les six centuries sénatoriales. - Si elles étaient patriciennes et jusques à quand elles le restèrent. — V. - De l’inscription des sénateurs dans les six centuries sénatoriales. — VI. - De l’époque à laquelle les sénateurs cessèrent de faire partie des six centuries sénatoriales. - De l’interprétation proposée par M. Madvig pour un texte de Cicéron dans le quatrième livre de la République.

CHAPITRE V. — Du rapport du Sénat avec les tribus, les curies et les gentes. - De la constitution de la gens patricienne

I. - Du rapport du Sénat avec les tribus et les curies. - Les décuries sénatoriales. — II. - Les décuries de Denys d’Halicarnasse. - Du rapport du Sénat avec les gentes. — III. - De la constitution de la gens. - Son unité primitive. - Son régime économique. — IV. - La décroissance du patriciat. — V. - Les noms propres dans la gens patricienne. - Le prænomen. - Le cognomen. — VI. - Le cognomen dans les diverses gentes patriciennes. - Le développement des gentes patriciennes. — VII. - Comment le nombre de trois cents gentes fut obtenu à l’origine et dominent il fut maintenu par la suite. - Des voies légales pour conférer la qualité de patricien. - De la fondation de Rome. Rome colonie albaine. - De l’identité primitive des noms de patricii et d’ingenui. — VIII. - Les decemprimi.

 

SECONDE PARTIE. — LA DISSOLUTION DU SÉNAT PATRICIEN

CHAPITRE PREMIER. — La première atteinte portée à l’organisation du Sénat patricien. - Les patres minorum gentium

I. - La réforme de Tarquin l’Ancien. - Les patres minorum gentium. — II. - Le dédoublement des cadres patriciens correspondant à l’annexion du Quirinal et du Viminal. — III. - La population du Quirinal et du Viminal. - Si elle formait une ville sabine. - Retour sur la légende de l’élément sabin. — IV. - La population du Quirinal et du Viminal. - Si elle formait une ville indépendante. — V. - Quelles étaient les gentes minores ? - Les gentes patriciennes d’après leur domicile. — VI. - Quelles étaient les gentes minores ? - Les cognomina patriciens formés avec des noms de lieux. — VII. - Quelles étaient les gentes minores ? - Des tribus rustiques qui portent le nom d’une gens patricienne. — VIII. - Des effets produits sur l’organisation du Sénat par l’introduction des gentes minores. — IX. - L’absorption des gentes minores par les majores. - Si les gentes minores avaient une politique distincte. - D’une hypothèse de M. Mommsen sur la gens Claudia.

CHAPITRE II. — La dissolution du Sénat patricien. - La plèbe et le démembrement de la gens. - Les magistratures annuelles et les sénateurs plébéiens. - Du rapport du Sénat avec les curies dans les temps historiques.

I. - La plèbe. - D’une théorie nouvelle sur l’origine de la plèbe. - La plèbe ne dérive pas exclusivement de la clientèle. — II. - La population conquise principal élément de la plèbe. - Sa situation légale. - Des effets produits par l’apparition de la plèbe sur la constitution de la gens patricienne. - Le démembrement de la gens. — III. - Des effets produits par le démembrement de la gens patricienne sur la constitution du Sénat. - De l’extension donnée au sens du mot patres et de l’apparition de la formule Patres Conscripti. - La lectio de 245 u. c. = 509 et l’admission des juniores et des filii familias. - Les juniores et les seniores patrum. - De l’importance nouvelle de la lectio senatus. — IV. - Des changements apportés dans la constitution du Sénat par la création des magistratures annuelles. - Ce que deviennent les décuries et les decemprimi. - L’admission des plébéiens et le relâchement des liens entre le Sénat et les curies. — V. - Du rapport du Sénat avec les curies dans les temps historiques et de la leçon curiatim dans le texte de Festus relatif à la loi Ovinia. - Si les plébéiens faisaient partie des curies. - De la distinction entre la plèbe urbaine et la plèbe rustique. - Du désaccord entre l’extension de la puissance de Rome et le maintien de sa constitution municipale. Dans quel sens Rome était une capitale. — VI. - Confirmation de ce qui précède par deux textes de Denys d’Halicarnasse touchant la procession des chevaliers le jour des ides de juillet. - L’inscription dans les curies des sénateurs et des chevaliers.

 

RÉSUMÉ ET CONCLUSION

 

APPENDICE.

Liste des magistrats plébéiens connus antérieurement aux lois liciniennes.

 

PRÉFACE

Quand on considère, dans toute la suite de leur développement, les institutions de home républicaine, on remarque qu’elles ont traversé deux phases très distinctes avant d’arriver à leur complet achèvement : la première, exclusivement patricienne ; la seconde, où la cité primitive se décompose et se rajeunit sous l’effort d’un élément autrefois inconnu, la plèbe. Cette époque de transition et de lutte est close par le rapprochement des deux peuples sous une forme nouvelle d’association politique, et par la constitution d’une aristocratie mixte, où les derniers représentants du patriciat n’ont plus que des avantages illusoires sur les chefs plébéiens.

Cette évolution de la cité se reproduit dans l’histoire particulière du Sénat. Elle en forme le prologue, mais ce pro loque est un drame qui se suffit à lui-même et qui mérite d’être étudié à part. D’abord uniquement composé de patriciens et organisé sur le plan de la cité patricienne, le Sénat se détache peu à peu de ses origines, et finit par modifier de fond en comble son recrutement et son règlement intérieur. Il entre ainsi, dès les derniers temps de la royauté, dans une série de transformations qui se succèdent pendant plus d’un siècle. C’est alors seulement après cette élaboration lente, qu’il apparaît en possession de lui-même, dans la plénitude de sa puissance et dans toute l’énergie de son action. Mais si rien n’égale le spectacle qu’il offre à ce moment, le plus brillant de sa carrière, il est intéressant aussi de remonter aux sources de cette glorieuse histoire, et de rechercher ce qu’a été, à ses débuts, la plus grande assemblée politique que le monde ait jamais vue.

En me proposant ce travail, je ne me dissimule ni les difficultés dont il est hérissé ni les objections auxquelles il est sujet. On demandera si une telle entreprise n’est pas condamnée d’avance, et s’il vaut la peine d’ajouter quelques hypothèses de plus à toutes celles dont les ruines encombrent le terrain de l’histoire romaine légendaire. Mais on voudra bien me dispenser d’une démonstration qui sera toujours oiseuse si elle est soutenue par les faits, et vaine si elle ne l’est pas. C’est à ce livre à répondre pour moi et à prouver, s’il se peut, que, même sur ces matières si souvent controversées, les anciens ne nous ont pas encore livré tous leurs secrets. Je me bornerai à une observation. S’il est interdit à l’historien de s’aventurer partout où il est exposé à perdre pied, s’il ne lui est pas permis de poursuivre dans les âges les plus reculés, sur la foi de documents incomplets, au risque même de nombreuses erreurs, quelques parcelles de vérité, dans quelles limites au juste se renfermera-t-il pour satisfaire à cette conception positiviste de ses devoirs et de ses droits ? Où commencera, où finira le domaine réservé à l’investigation historique ? Car enfin, tout est relatif, et telle période qui aura paru suffisamment claire en elle-même ne sera plus qu’un obscur chaos en comparaison de telle autre.

Au reste, quoi qu’on fasse, en histoire pas plus que dans les autres sciences, l’esprit humain ne se désintéressera des questions d’origines. Elles ne cesseront d’exercer sur lui un irrésistible attrait, tenant moins encore au mystère dont elles piquent sa curiosité qu’à l’opinion où il est de plus en plus de leur juste importance. Car la loi de continuité est la même en tout, et les liens qui rattachent le présent au passé ne sont pas moins puissants dans l’ordre moral que dans l’ordre physique.

Ce qu’il faut dire, c’est qu’il est besoin ici d’une méthode toute spéciale, bien différente de celle qui est applicable là où abondent les renseignements directs. Me borner à ces derniers, t’eût été simplifier mon sujet au point de le voir s’évanouir entre mes mains. Mais cette extrême réserve n’était pas nécessaire avec un peuple si fidèle à ses traditions que, tout en s’en détachant, il n’a jamais rompu avec elles entièrement, et n’a pas cessé d’en conserver quelque chose jusque dans ses réformes les plus hardies. Sans doute ce sera toujours une opération délicate de procéder du connu à l’inconnu, et de déchiffrer, sous les institutions nouvelles, les traits à moitié effacés des anciennes ; mais à Rome, plus qu’ailleurs peut-être, cette tentative offre quelques chances de succès. D’un autre côté, dans cet organisme si fortement lié de la société patricienne, où toutes les pièces se tiennent et s’ajustent avec une symétrie parfaite, il était impossible que l’étude de la partie ne profitât largement de celle de l’ensemble. Et cela était vrai surtout du Sénat qui, placé au centre de cette société, ne pouvait manquer de recevoir les rayons de lumière qu’une recherche ainsi conduite y devait faire jaillir de toutes parts. C’est ainsi que plus d’une fois j’ai dû franchir les bornes qui semblaient m’être prescrites, soit pour descendre le cours de l’histoire romaine, soit pour explorer dans les sens les plus divers le vaste champ des antiquités politiques, militaires, religieuses et privées. De là des digressions qui trop souvent arrêteront le lecteur, mais que je n’ai pu ni voulu éviter, car ce défaut était inhérent à la nature du sujet et à la manière de le traiter. J’ai essayé du moins d’y remédier en présentant à la fin la suite des idées réduites à l’essentiel et dégagées de l’appareil des preuves accumulées dans le corps de l’ouvrage.

En revenant sur ces problèmes, où tant d’autres m’ont précédé, il devait m’arriver souvent de rencontrer leurs théories sur mon chemin, pour les adopter ou pour les combattre. C’est assez dire que je ne me suis pas refusé à la polémique, quand elle me paraissait utile. La prodiguer serait un excès fâcheux ; mais quand une opinion erronée, ou jugée telle, emprunte au nom de son auteur une légitime autorité, il ne peut être indifférent d’en faire justice. Négliger ce soin, ce serait oublier que l’histoire est une œuvre collective dont les artisans ont pour devoir de se contrôler mutuellement.

Une bibliographie raisonnée du sujet n’était point nécessaire. Chacun sait de quels progrès ces études sont redevables aux travaux de MM. Schwegler, Becker, Marquardt, Madvig, Mommsen, Lange, Fustel de Coulanges, Belot, et de tous les maîtres dont les noms se rencontrent à chaque instant sous ma plume. Quant à la masse des dissertations spéciales, si beaucoup m’ont échappé, la fécondité croissante de la production contemporaine pourra me servir d’excuse. J’espère n’avoir pas omis les plus importantes. Je n’ai pas manqué, en tout cas, de citer au fur et à mesure toutes celles dont j’ai fait usage. Je dois seulement une mention particulière à la remarquable brochure de M. Genz, auquel appartiennent plusieurs des idées que j’ai développées sur le patriciat.

On ne s’étonnera pas de me voir nommer à part M. Willems, le récent historien du Sénat romain. Son premier volume a paru pendant que je travaillais à ce livre, et le deuxième m’est arrivé dans le cours de l’impression. Il était inévitable que mon plan en fût gravement modifié. Je me suis emparé des résultats acquis, me bornant à renvoyer à l’auteur. Ainsi, j’ai retranché tout ce qui concernait les attributions du Sénat primitif, l’admission des premiers plébéiens, la date et les dispositions de la loi Ovinia. Ce sont autant de questions que l’on peut tenir aujourd’hui pour résolues. D’autres fois, je me suis permis de rejeter des conclusions que je trouvais contestables. Mais, quelque dangereux que soit pour moi tout rapprochement entre cette œuvre capitale et le modeste essai que je présente au public, on s’assurera sans peine qu’ils différent profondément, et que mon sujet, tel que je l’ai compris, reste intact.