I. — De la distinction entre les chevaliers de rang sénatorial et les autres. Les equites illustres. L’anneau d’or. Quand les historiens s’attachaient à ce rapport entre le Sénat et les centuries, en dépit des raisons qui en démontrent l’impossibilité, ce n’était pas seulement parce qu’ils voyaient dans toute l’antiquité les mêmes hommes qui étaient appelés à servir dans la cavalerie, en possession du gouvernement de la cité. S’ils n’avaient eu sous les yeux que cette vérité incontestable, mais toute générale, l’idée ne leur serait pas venue, sans doute, de la dénaturer, en la ramenant à une conception systématique. Ils se seraient contentés de signaler l’analogie de composition entre le Sénat et la chevalerie, sans poursuivre dans le tableau de leurs accroissements successifs un parallélisme purement imaginaire. Mais ils étaient dominés et trompés par le spectacle du présent, autant et plus que par le souvenir du passé. Lorsque la chevalerie se fut complétée par l’addition des douze centuries de Servius, le lien qui unissait le Sénat aux six centuries anciennes apparut d’autant plus fort que les nouvelles en étaient plus dégagées, et plus il résistait à toutes les transformations politiques et sociales, plus on dut juger qu’il avait été à l’origine étroit et puissant. Ainsi, parce que le Sénat et les six centuries continuaient de se recruter dans la même classe de citoyens et que, pour figurer dans le deuxième corps, il fallait être issu d’une famille ayant figuré dans le premier[1], on arriva à se persuader qu’ils avaient eu tous deux, durant leur période de formation, un développement rigoureusement identique. Ce caractère exclusivement sénatorial des six centuries primitives, par opposition aux douze autres, est un des traits qui dans la Rome nouvelle rappellent directement la vieille constitution. A ce titre, et bien qu’il ait persisté fort tard, il appartient à l’histoire du patriciat. Il importe donc de le démêler et de le fixer avec quelque précision. Il n’est pas douteux que de tout temps on ait distingué parmi les chevaliers equo publico une catégorie plus honorée. Tite-Live, énumérant les pertes des Romains dans un combat de la deuxième guerre punique (551 = u. c. 203) termine par ces mots : Environ vingt-deux chevaliers illustres succombèrent avec quelques centurions[2]. M. Weissenborn[3] croit qu’il s’agit des chevaliers equo publico, distingués de la cavalerie légionnaire. Mais, si l’on considère l’acception que cette épithète illustre a prise par la suite, il ne semble pas que telle soit l’idée de Tite-Live. Sous l’empire, les chevaliers illustres étaient ceux qui portaient le laticlave, soit qu’ils l’eussent reçu par la faveur de l’empereur, ou qu’ils y eussent droit par le fait de leur naissance. Ce sens est nettement affirmé par Tacite, quand il dit que l’Egypte était fermée aux sénateurs, ainsi qu’aux chevaliers illustres[4]. Il résulte en effet de ce rapprochement que ces chevaliers illustres ne différaient pas des chevaliers à dignité sénatoriale, dont il est question dans un autre endroit[5]. Tite-Live lui-même applique l’épithète illustre à des chevaliers dont la noblesse sénatoriale est notoire, T. Sempronius Gracchus, M. Junius Silanus, M. Ogulnius, P. Claudius[6]. Sans doute, il est très probable que l’emploi qu’il fait de cette épithète eau prématuré, mais à plus forte raison faut-il pour l’expliquer consulter la langue que l’on parlait de son temps. On lit aussi dans l’histoire de la guerre d’Alexandrie : Ceciderunt eo prælio splendidi atque illustres viri nonnulli équites romani[7]. L’épithète splendidi est placée en premier lieu pour cause de gradation, car elle exprimait une dignité inférieure. Sous l’empire, on la voit portée par des chevaliers qui n’étaient pas assurément de naissance sénatoriale[8]. M. Belot croit que sous la république elle désignait les chevaliers equo publico qui n’étaient pas fils de sénateurs. Mais c’est peut-être trop presser des termes qui n’avaient encore rien d’officiel. Il est plus juste de dire, avec le même historien, que le mot splendor s’applique plutôt. à l’éclat de la fortune qu’à l’illustration de la race. Dans ce sens il est vrai qu’il convenait mieux à ceux des chevaliers qui n’appartenaient pas à une des familles du Sénat[9]. Quoi qu’il en soit, si le mot d’equites illustres peut être considéré comme un anachronisme à l’époque de la deuxième guerre punique, il n’en est pas de même de la distinction qu’il établit entre les deux classes de chevaliers equo publico. Elle est attestée par des textes trop nombreux et trop concluants pour qu’on puisse la révoquer en doute. On lit au vingt et unième livre de Tite-Live : Annibal, à son arrivée chez les Ligures, reçut de leurs mains, comme gage de leur paix et de leur alliance, deux questeurs romains, C. Fulvius et L. Lucretius, avec deux tribuns militaires et cinq membres de l’ordre équestre, presque tous fils de sénateurs[10]. Ainsi Tite-Live a soin de mettre à part dans l’ordre équestre les fils de sénateurs. Et par ordre équestre, il entend, non pas la première classe du cens, mais les chevaliers equo publico qui composaient les dix-huit centuries. Il mentionne, en effet, quelques lignes plus haut, parmi les morts du combat de Plaisance, trois cents cavaliers et plusieurs membres de l’ordre équestre[11]. Le texte suivant de César doit être rapproché du précédent. Il s’agit d’une expédition tentée par Afranius : Il y avait dans le nombre des jeunes gens de noble famille, des fils de sénateurs et des membres de l’ordre équestre[12]. La distinction est ici plus marquée, comme il convenait à une époque où les deux noblesses sénatoriale et équestre tendaient de plus en plus à se détacher l’une de l’autre. Cette distinction n’était pas seulement nominale. Elle se traduisait par certains insignes. Nous ne parlerons pas de la tunique laticlave, qui ne paraît pas avoir été concédée régulièrement aux jeunes gens de famille sénatoriale avant Auguste[13]. Mais il fut un temps où ils portaient l’anneau d’or, à l’exclusion des autres membres des dix-huit centuries. L’histoire de ce simple ornement a une importance extrême pour qui veut étudier les vicissitudes de la société romaine. On n’en touchera ici que quelques mots. Attribué d’abord aux sénateurs que l’on envoyait en mission auprès des nations étrangères[14], l’usage s’en était étendu vers le milieu du cinquième siècle de Rome à toute la nobilitas. En cette année 450 u. c. = 304, il se produisit à Rome un fait inouï. Le scribe Cn. Flavius, un fils d’affranchi qui, par la publication des Fastes, venait de porter un coup terrible à l’oligarchie, fut élevé à l’édilité curule : Cette élection, dit Tite-Live, provoqua une indignation telle que la plupart des nobles déposèrent leurs anneaux d’or et leurs phalères[15]. Pline l’ancien, racontant le même fait, ajoute ces mots qui servent de commentaire au texte de Tite-Live : Il est rapporté dans les annales que les anneaux furent déposés par la noblesse, non par le Sénat tout entier[16]. Et il n’entend pas que certains sénateurs n’ont pas déposé leurs anneaux par sympathie pour Flavius. Le sens de la phrase est que les sénateurs n’appartenant pas à la noblesse n’avaient pas d’anneaux. Car il dit un peu plus loin, parlant d’une époque postérieure : Ne tum quidam omnes senatores habuerunt[17]. Or, par ce mot de noblesse (nobilitas) les Romains entendaient ceux qui avaient exercé ou dont les ascendants avaient exercé des magistratures curules. Pendant longtemps on ne considéra comme de véritables sénateurs que les sénateurs faisant partie de la nobilitas. Les autres n’étaient que des chevaliers. Aulu-Gelle cite un passage de Varron où les pedarii, c’est-à-dire les sénateurs non curules, sont qualifiés de la sorte[18]. Sous cette réserve seulement, on peut dire, en s’en rapportant au double témoignage de Tite-Live et de Pline, que l’anneau d’or était, au milieu du cinquième siècle, un signe distinctif des sénateurs. C’est assez pour établir qu’à cette époque il y avait des chevaliers equo publico qui portaient l’anneau d’or et d’autres qui ne le portaient pas, car on verra que depuis l’institution d’une cavalerie nouvelle, étrangère aux centuries, les sénateurs gardaient leurs places dans ces centuries à côté de leurs fils[19]. A plus forte raison si leurs fils eux-mêmes avaient droit à cet insigne, comme Tite-Live l’affirme pour le siècle suivant. En l’an 544 u. c. = 210, Rome avait besoin d’une flotte. Tite-Live met ces paroles dans la bouche du consul M. Valerius Lævinus : Tout ce que nous avons en fait d’or, d’argent, de cuivre monnayé, il faut que nous, sénateurs, nous le portions, dès demain, au trésor public. En or, chacun ne se réservera que son anneau, celui de sa femme et de ses enfants...[20] Ce texte ne montre pas seulement que les enfants des sénateurs portaient l’anneau d’or ; il nous apprend aussi que cet ornement n’était plus exclusif à la nobilitas, car il n’est pas possible de prendre ici le mot sénateurs dans un sens restrictif à la noblesse curule. Lævinus s’adresse au Sénat tout entier, et sollicite de tous indistinctement le même effort patriotique. Il est vrai que Tite-Live est contredit par Pline ; mais le témoignage de ce dernier a une valeur moindre. Pline a retracé l’histoire de l’anneau d’or avec une confusion où se reconnaît le procédé du compilateur[21]. Il dit que l’anneau d’or était devenu d’un usage vulgaire (promiscuus) au temps de la deuxième guerre punique[22], en quoi il dépasse les conclusions que l’on peut tirer du texte de Tite-Live, et quelques lignes plus bas, il s’attache à prouver qu’il n’était pas encore porté par tous les sénateurs contemporains de Marius et de Sylla[23]. Mais les exemples qu’il cite tournent contre lui ; car pourquoi les historiens se seraient-ils donné la peine de les recueillir, s’ils ne les avaient considérés comme des exceptions ? La vérité est qu’ils s’expliquent par une affectation de simplicité et d’archaïsme. Tel est le motif que Pline lui-même parait attribuer à la famille des Quinctii, quand il rapporte qu’elle répudiait l’usage de l’or, même pour les femmes[24]. On ne dira pas que les Quinctii n’avaient pas droit à l’anneau d’or. S’ils ne le portaient pas, c’est qu’ils le voulaient bien. N’est-ce point pour une raison du même genre que Marius, le rude plébéien d’Arpinum, ne prit l’anneau d’or qu’après son troisième consulat ? Lorsqu’il triomphait de Jugurtha avec l’anneau de fer, il suivait un ancien usage et fut remarqué pour l’avoir suivi[25]. Tout ce qui résulte des faits mentionnés par Pline, c’est que l’anneau d’or, restant d’un usage facultatif, n’était pas, comme le laticlave, le signe officiel de la dignité sénatoriale. C’est une question des plus obscures de savoir à quelle époque il commença à être porté par tous les chevaliers equo publico. Quand Pline le montre tombé dans une sorte de promiscuité dès la deuxième guerre punique[26], c’est sur la foi de l’anecdote fameuse de Magon répandant, dans le vestibule de la curie carthaginoise, trois mesures, quelques-uns disaient trois mesures et demie[27], d’anneaux d’or ramassés sur le champ de bataille de Cannes. Mais cette anecdote paraissait peu vraisemblable même aux anciens. Florus réduit les trois mesures à deux[28], et Tite-Live croit qu’il vaut mieux les réduire à une[29]. M. Belot trouve que cette dernière évaluation est elle-même exagérée, car les chevaliers equo publico n’étaient pas alors plus de deux mille quatre cents, et il aurait fallu qu’ils eussent tous laissé un anneau d’or à l’ennemi pour qu’il plat, avec ces menus objets, remplir un récipient ayant une capacité de plus d’un décalitre[30]. Quant aux cavaliers légionnaires, on sait, par Pline, que les hommes de la première classe, dont ils étaient tirés, avaient encore l’anneau de fer au temps d’Auguste[31]. Il est donc permis de négliger cette anecdote, qui repose peut-être sur un premier fond de vérité, mais qui a été si fort amplifiée par l’imagination populaire. Qu’Annibal ait envoyé à Carthage ces dépouilles témoignant de l’étendue de sa victoire, il se peut. Mais combien y en avait-il ? Tite-Live prête lui-même à Magon une parole qui ramène à une plus juste mesure la tradition dont il se fait l’écho. Il lui fait dire que les premiers d’entre les chevaliers (primores equitum) portaient seuls cet insigne[32]. M. Weissenborn, fidèle à une opinion que l’on a déjà contestée, pense que Tite-Live oppose encore une fois dans cette phrase la chevalerie equo publico à la cavalerie légionnaire. Mais il paraît plus naturel d’identifier ces primores avec les illustres dont il a été question plus haut. Sans doute ce n’est là qu’une conjecture ; mais, en fait, on ne connaît pas de textes permettant d’affirmer que l’anneau d’or était, au sixième siècle de Rome et,même plus tard, d’un usage commun à tous ceux qui figuraient dans les dix-huit centuries. Tite-Live rapporte, à propos du procès des censeurs C. Claudius et Tib. Sempronius (585 u. c. = 169), une scène semblable à celle qui se passa lors de l’élection de l’édile Flavius : Les premiers citoyens (principes civitatis) déposèrent leurs anneaux d’or[33]. On verra tout à l’heure que ces premiers citoyens ne pouvaient être que les sénateurs et les chevaliers de noblesse sénatoriale. Appien raconte que Scipion, après un combat de la troisième guerre Punique (605 u. c. = 149), envoya prier Asdrubal de faire ensevelir les tribuns légionnaires, et qu’on les reconnut à l’anneau d’or par où ils se distinguaient des officiers d’un grade inférieur[34]. Ces tribuns étaient, pour la plupart, des sénateurs ou des jeunes gens de famille sénatoriale[35], et s’il y en avait de famille équestre, ceux-ci ne devaient pas être sur le même pied que les simples chevaliers. On n’ignore pas, en effet, que les tribuns des quatre légions ordinaires étaient assimilés aux magistrats sénatoriaux[36], ce qui ne pouvait manquer de rehausser, par contrecoup, la dignité des tribuns des autres légions[37]. II. — Les six centuries sénatoriales. - Leur rôle politique[38]. Ces deux classes de chevaliers étaient-elles distinguées uniquement par cet insigne ? En d’autres termes, les chevaliers de famille sénatoriale étaient-ils mêlés avec les autres, ou y avait-il des centuries qui leur fussent spécialement affectées ? C’est ici qu’il faut revenir à l’histoire dos six centuries primitives. La persistance des six centuries jusqu’à la fin de la république est formellement attestée par Tite-Live dans un texte déjà cité : Tarquin laissa le nom de Ramnes, de Tities, de Luceres aux nouveaux incorporés, en y ajoutant seulement la qualification de derniers (posteriores). Ces trois centuries sont les mêmes que l’on appelle aujourd’hui les six centuries, parce que depuis elles ont été scindées[39]. Elle ressort également, pour le milieu du septième siècle, des paroles que Cicéron prête à Scipion Emilien : Tarquin l’Ancien donna au corps équestre l’organisation qu’il a maintenue jusqu’à nos jours[40]. Dans cette organisation les six centuries étaient mises à part des flouze autres. Ces six centuries s’appelaient encore les six suffrages (sex suffragia), parce que dans les dix-huit suffrages alloués aux dix-huit centuries équestres, les six centuries avaient un vote particulier. C’est ainsi que les appellent Cicéron[41] et Festus[42], dans deux passages qui ont donné lieu à de nombreuses controverses. M. Mommsen soutient, à propos du texte de Festus, une opinion paradoxale[43]. Ce texte est le suivant : Sex suffragia appellantur in equitum centuries quæ sunt adfectæ ei numero centuriarum quas Priscus Tarquinius constituit. La leçon adfectæ ne présentant aucun sens et étant manifestement corrompue, M. Mommsen adopte la correction d’Orsini adjectæ qu’il considère comme indiscutable. Il en conclut, contrairement à Tite-Live[44], que les six centuries sont de création postérieure aux douze autres. Comment cette théorie, aussi contraire aux textes qu’à la logique, a-t-elle pu naître dans l’esprit de l’éminent historien ? C’est qu’elle rentrait mieux dans un système qui n’admettait pas de corps exclusivement patricien. Mais ce n’est pas seulement Tite-Live, c’est aussi Cicéron qui nous apprend que le dédoublement des trois centuries primitives a été suivi de la création des douze autres[45]. Qui ne voit d’ailleurs que les six centuries, tirées des trois tribus des Ramnes, des Tities et des Luceres, n’ont pu sortir que des entrailles de la cité patricienne ? Leur histoire ainsi conçue suit une marche régulière et naturelle. Elle ne se comprend plus autrement. Quelques commentateurs ont essayé de mettre Festus d’accord avec Tite-Live en lisant : effectæ eo numero ou ex numero[46] ; mais cette correction qui a le tort de différer sensiblement du texte manuscrit n’a même pas l’avantage d’offrir un sens satisfaisant. Il vaut mieux s’en tenir à la première adjectæ et convenir que Festus s’est trompé, en expliquant pourquoi. Il y a dans l’histoire des comices centuriates deux périodes où ils se présentent sous un aspect très différent. On sait quel était l’ordre du vote dans l’organisation servienne, avant la grande réforme que l’on place d’ordinaire en l’an 513 u. c. =241. Les chevaliers votaient en tête, et après eux les quatre-vingts centuries de la première classe. Aussi les dix-huit centuries équestres, investies, de ce privilège, portaient-elles le nom de centuries prérogatives, ou que l’on interrogeait en premier (prærogativæ). Mais à partir de 513 u. c. = 241, il n’y eut plus qu’une centurie prérogative, tirée au sort parmi celles de la première classe, à l’exclusion des centuries équestres. Ces dernières ne votaient qu’ensuite, et après elles les soixante-neuf restantes de la même classe[47]. Ce changement dans la forme du vote s’étendit aux six centuries dont le tour se trouva aussi déplacé. Elles étaient comprises dans les prérogatives et votaient avant les douze autres. A ce titre le nom de prérogatives leur était plus particulièrement appliqué. C’est du moins ce qui semble résulter d’un passage de Tite-Live souvent et diversement commenté[48]. Il s’agissait d’élire les consuls pour l’année 459 u. c. = 295. Déjà les centuries prérogatives et toutes celles qui étaient appelées les premières (et prærogativæ et primo vocatæ omnes centuriæ) avaient nommé L. Volumnius et Q. Fabius, quand ce dernier prit la parole. Il commença par refuser ; puis, cédant au vœu général, il se borna à demander P. Decius pour collègue. On procéda le lendemain à une élection nouvelle qui se fit conformément aux désirs de Fabius. La question est de savoir quelles sont les deux sortes de centuries ainsi qualifiées. C’est une opinion très répandue qu’il faut entendre par les premières les dix-huit centuries équestres et par les autres les quatre-vingts de la première classe. Le discours de Fabius se serait donc placé entre le vote de la première classe et celui de la seconde. Toutefois, si l’on considère comment les choses se passaient dans ces comices, on est porté plutôt à le placer dans un autre moment. Il est bien vrai qu’avant de passer au vote de la deuxième classe, on devait proclamer celui de la première ; mais on n’attendait pas jusque-là pour préjuger du résultat, car le vote de la première classe elle-même était précédé par la proclamation du vote des centuries privilégiées. L’importance que les Romains attachaient à ce premier vote était extrême. Ils y voyaient une inspiration des dieux, un présage envoyé d’en haut et se croyaient tenus de s’y conformer. Cicéron nous apprend que jamais candidat élu par la centurie prérogative n’échoua[49]. Faisons la part de l’exagération oratoire. Admettons, comme Cicéron lui-même semble le dire ailleurs, que ce préjugé était surtout vivace dans les temps anciens[50], et convenons avec le Pseudo-Asconius, qu’alors même il ne l’emportait pas toujours[51]. Le vote des dix-huit centuries n’en avait pas moins une influence considérable, si bien que le même Asconius compte deux élections dont la seconde n’aurait eu d’autre objet que de ratifier la précédente[52]. N’est-ce pas entre ces deux élections que dut se produire l’intervention de Fabius ? Verrius Flaccus, cité par Festus, croit que les candidats étaient désignés d’abord par les prérogatives afin que les votants pussent apprécier entre eux leur valeur ou leur indignité[53]. Il se trompe évidemment s’il ne voit pas d’autre raison au privilège des centuries équestres, mais il ressort de son observation qu’il y avait, après la proclamation de leur vote, un temps donné à la réflexion et dont Fabius ne put manquer de profiter. Car à quoi bon attendre que le vote fût définitif et eût l’autorité de la chose jugée ? On n’ignore pas en effet que dans les comices tels qu’ils existaient alors, l’accord des centuries de la première classe, en y comprenant les centuries équestres, suffisait pour former la majorité et pour dispenser d’appeler les classes suivantes. L’élection eût donc été acquise, au moment où Fabius aurait pris la parole pour la combattre. Sans doute elle n’eût été valable qu’après que le consul qui la présidait eût fait connaître les noms des deux élus, et il pouvait s’y refuser[54] ; mais il eût été imprudent d’y compter, d’autant plus que ce même consul, qui venait d’être réélu, était celui que Fabius répudiait pour collègue. La tentative de Fabius n’avait donc de chance d’aboutir qu’autant qu’elle ne se heurtait pas à un fait accompli, et si, au lieu de laisser continuer le vote, s’en fiant à la force de ses raisons et de son éloquence pour en changer le résultat final, il aima mieux s’arranger de manière à faire traîner les choses jusqu’au soir et tout recommencer le lendemain, c’est que les centuries privilégiées s’étant prononcées, il y avait fort à craindre que le reste ne suivit. Mais la remise au lendemain, annulant les opérations de la veille, permettait de revenir sur le vote. Il suit de là que les centuries prérogatives et les centuries appelées les premières ne sont autres que les dix-huit centuries équestres, et dès lors la distinction établie par Tite-Live ne peut porter que sua les six centuries anciennes et les douze nouvelles. Il faut bien en effet que les premières aient eu un vote particulier pour justifier leur nom de six suffrages, et quant à la place où elles votaient, on se persuadera difficilement qu’elle n’ait pas été la plus honorée. L’organisation des comices centuriates en 453 u. c. = 296 était encore la même qu’à la chute de la royauté, et la prééminence des centuries issues des trois tribus patriciennes est aussi peu contestable pour cette époque que celle du patriciat sur la plèbe. Cette expression : les centuries appelées les premières, apparaît déjà quelques chapitres plus haut à propos de’ circonstances semblables. Il s’agit encore d’une discussion, ouverte après le vote de ces centuries, pour décider s’il faut revenir sur ce vote ou le confirmer[55]. Mais cette fois la distinction marquée ailleurs est omise, de telle sorte que par les centuries appelées les premières on doit entendre d’une manière générale les dix-huit centuries équestres. Tite-Live dit de même en décrivant l’ordre du vote : On appelait les chevaliers les premiers. Equites enim vocabantur primi[56]. La réforme de l’an 513 u. c. = 241 déplaça le tour des six centuries. Non seulement elles cessèrent d’être prérogatives avec l’ensemble des centuries équestres, mais elles passèrent au deuxième rang après les douze autres. Cette situation secondaire, que M. Mommsen leur attribue dés l’origine, sans parvenir à en trouver la raison, n’a rien que de fort explicable après une révolution gui substitua le gouvernement des classes moyennes à celui de l’oligarchie patricienne et sénatoriale. Il est étonnant seulement que les historiens anciens n’aient pas su faire la différence des époques, car on ne peut nier que l’erreur où est tombé M. Mommsen ne soit de leur fait. Ils ont vu la place assignée aux six centuries dans les comices réformés, d’où l’idée qu’elles s’étaient toujours trouvées dans cet état d’infériorité. Cicéron dit en décrivant la constitution de Servius : Les centuries équestres avec les six suffrages, Equitum centuriæ cum sex suffragiis[57], semblant, par le tour de sa phrase, reléguer les six suffrages au dernier plan. Mais M. Belot montre fort bien que cet anachronisme n’est pas le seul qu’on puisse relever dans ce passage souvent étudié. En Cicéron, l’intuition directe du présent a souvent fait tort à l’observation du passé. L’homme d’Etat domine l’historien[58]. La méprise de Festus est plus grave. De ce que les six centuries ont un rang secondaire, il a l’air de conclure qu’elles sont d’institution plus récente. A moins cependant que par ce mot adjectæ il ne veuille dire simplement que le vote des six centuries s’ajoute à celui des douze autres, en quoi il dirait vrai, si toutefois il n’a pas confondu les dates. Cette interversion de l’ordre ancien a laissé une trace jusque dans le langage de Tite-Live, quand il dit : Servius leva parmi les premiers de la cité douze centuries de chevaliers, et des trois que Romulus avait organisées, il en forma six[59]. Il reste à confirmer les observations qui précédent en établissant par des faits la composition des six centuries. Il suffira pour cela d’un texte de Tite-Live déjà signalé. Il se rapporte à l’année 585 u. c. = 169, c’est-à-dire à une époque où la nouvelle organisation des comices fonctionnait depuis longtemps. Les deux censeurs, C. Claudius et L. Sempronius Gracchus, avaient été traduits devant le tribunal populaire par le tribun P. Rutilius. L’accusation produisait divers griefs. Au fond, il n’y en avait qu’un : les deux censeurs avaient lésé les intérêts des publicains : C. Claudius surtout, de la vieille maison patricienne des Claudii, avait à redouter les ressentiments de cet ordre dont l’antagonisme avec la noblesse sénatoriale devenait tous les jours plus aigu. Il comparut le premier ; déjà huit des douze centuries équestres et beaucoup d’autres de la première classe avaient voté gour la condamnation, quand tout à coup les plus nobles citoyens (principes civitatis) déposèrent leurs anneaux d’or, prirent des habits de deuil, et, dans cet appareil suppliant, sollicitèrent la plèbe en faveur des accusés[60]. D’où vient que Tite-Live ne mentionne que le vote des douze centuries, sans parler des six autres ? M. Mommsen, suivant l’hypothèse de Niebuhr, suppose qu’elles votaient avec les centuries de la première classe dont elles ne se distinguaient pas, ou même après ces centuries[61]. Mais cette opinion, qui s’appuie sur une fausse interprétation d’un texte de Cicéron[62], ne peut se soutenir en présence des témoignages formels des anciens. Les six centuries ne pouvaient être placées en dehors de la première classe, puisque les classes étaient recrutées suivant le cens et que le cens équestre et celui de la première classe étaient identiques[63]. Elles ne pouvaient pas davantage être isolées de l’ensemble du corps équestre, puisque Cicéron les y rattache étroitement dans une phrase où il est clair qu’il pense moins à l’organisation contemporaine de Servius qu’à celle qu’il avait sous les yeux[64]. M. Peter[65] a, le premier, donné la véritable explication, qui a été reproduite par M. Becker[66] et développée par M. Belot[67]. Tite-Live, dans tout ce récit, s’attache aux symptômes qui font pressentir la condamnation imminente de Claudius. Or, le lecteur, instruit de la démarche des nobles en faveur de ce personnage, n’avait pas besoin de l’être du vote des six centuries, car il savait que c’étaient ces mêmes nobles dont ces six centuries étaient formées. Que les sénateurs fussent inscrits dans les centuries équestres, c’est un fait attesté par plusieurs exemples qu’on verra plus loin[68]. Et s’ils étaient inscrits dans les centuries, ils votaient avec elles au Champ de Mars. Mais les sénateurs n’avaient pas seulement leurs votes particuliers au mi-lieu des membres des dix-huit centuries. Le Sénat, en tant que corps, avait son vote collectif. Autrement Cicéron n’aurait pas pu faire dire à Scipion Emilien : Le corps équestre où sont aussi les suffrages du Sénat. Equitatus in quo suffragia sunt etiam senatus[69]. Du Sénat, et non des sénateurs. Or, ces suffrages du Sénat, quels peuvent-ils être, sinon ces six suffrages que Cicéron détache de l’ensemble du corps équestre dans les mêmes termes où il vient d’en détacher les suffrages du Sénat ? Equitum centuriæ cum sex suffragiis[70] ? Mais s’il est vrai que les cadres de la chevalerie étaient encore les mêmes au deuxième siècle avant Jésus-Christ qu’au temps de Tarquin[71], les trois cents sénateurs ne pouvaient pas seuls composer l’effectif des six centuries, lequel devait être égal à celui des douze autres, c’est-à-dire égal à douze Cents. Il y avait donc dans ces centuries toute la jeunesse sénatoriale. C’est là cette élite de l’ordre équestre que les auteurs ont soin de distinguer et qui se distinguait en effet, non pas seulement par l’usage exclusif de l’anneau d’or et par une place spéciale dans l’assemblée centuriate, mais aussi par les sentiments politiques. Tandis que les chevaliers des douze centuries,, rattachés au Sénat par leurs inclinations aristocratiques, aux publicains par leurs rancunes et leurs intérêts, se portaient plus d’une fois du côté de ces derniers ; le choix de ceux qui formaient les six suffrages n’était pas douteux. Leur origine décidait de leurs opinions. Ils étaient les auxiliaires du Sénat. Ils étaient le Sénat lui-même. Aussi n’est-il pas étonnant que la réforme de 513 u. c. = 241 ait eu pour résultat de réduire leur importance en leur enlevant, si l’on peut parler ainsi, la maîtrise des comices. Parmi les griefs de l’ordre équestre contre les deux censeurs Claudius et Sempronius, Tite-Live cite la rigueur avec laquelle ils avaient procédé à l’épuration des chevaliers equo publico. Mais si l’on en juge par les sympathies que leur témoignèrent les membres des six centuries, il est à croire que leur sévérité s’était exercée plutôt contre l’autre fraction de la chevalerie. M. Belot signale, dans le cours de la deuxième guerre punique, un curieux exemple de la partialité du Sénat eu faveur de ces centuries, où il retrouvait son image[72]. Tite-Live raconte que les censeurs de l’an 540 u. c. = 214 notèrent d’infamie et privèrent de leur cheval les chevaliers qui avaient comploté d’abandonner l’Italie après le désastre de Cannes. Il ajoute qu’un sénatus-consulte les envoya servir à pied en Sicile sans espoir d’honneur ni de congé, avec les débris de l’armée vaincue[73]. Ce qu’il ne dit pas et ce qui résulte indirectement du discours des députés des légions de Lilybée à Marcellus, c’est que cette dernière mesure épargna les chevaliers sénateurs et fils de sénateurs[74]. D’ailleurs le fait est là. Ce discours est de l’an 542 u. c. = 212. Un an auparavant, en 541 u. c. = 213, on trouve au consulat Q. Fabius Maximus, le fils de l’un des consuls de 540 u. c. = 214, et un de ceux qui avaient partagé la panique[75]. III. — Les six centuries sénatoriales. - Si elles avaient un rôle militaire spécial. - Les légions urbaines. Les centuries équestres étaient des unités électorales. Elles étaient aussi des corps militaires. Mais la distinction entre les deux classes de chevaliers equo publico ne se montre pas à l’armée comme au Champ de Mars. C’est un point qui a été contesté[76] et qu’il importe de mettre en lumière. La formation d’une cavalerie légionnaire, recrutée dans la première classe du cens, ouvre une période nouvelle dans l’histoire de la chevalerie. Cette mesure est rapportée à l’an 354 u. c. = 410[77]. A partir de cette date, les chevaliers equo publico servirent en dehors des rangs, tous les chevaliers, et non pas seulement ceux des six centuries[78]. Les uns formaient une garde d’honneur autour du général avec l’élite de la cavalerie extraordinaire des alliés, les autres étaient appelés à remplir les grades de tribun légionnaire, de préfet d’aile, etc. Sans doute, il est certain que ces grades étaient confiés de préférence aux chevaliers de famille sénatoriale ; mais à part cette distinction, qui n’avait rien d’absolu[79], on ne voit pas qu’il y ait eu aucun privilège en faveur de ces derniers ni aucun corps qui leur fait spécialement affecté. M. Belot[80] nous paraît donc faire erreur quand, dans les volontaires campés autour du prétoire, il ne voit que des chevaliers illustres. A ce compte, on se demande quelle aurait été la place des autres[81]. Il est vrai qu’il y a ces paroles de Persée à ses soldats : Vous avez mis en déroute l’élite de l’armée ennemie, cette cavalerie romaine qui se prétendait invincible. Les chevaliers sont la fleur de leur jeunesse, la pépinière de leur Sénat. C’est là qu’ils vont chercher, après les avoir faits sénateurs, leurs consuls et leurs généraux[82]. Malgré une inexactitude, peut-être voulue de Tite-Live[83], on entend clairement que Persée fait allusion à la chevalerie equo publico placée au centre, auprès du consul. Dr il est certain que tous ces chevaliers n’étaient pas de futurs sénateurs, encore moins de futurs consuls. Ces expressions ne pouvaient guère s’appliquer en toute justesse qu’aux chevaliers de famille sénatoriale. Mais c’est prendre trop à la lettre les félicitations d’un général victorieux à ses troupes. Il est naturel que Persée ne fasse allusion qu’à ceux dont la défaite était la plus glorieuse pour ses armes. Il prend la partie pour le tout, artifice de rhétorique fort excusable en pareil cas. D’ailleurs il n’est pas absolument faux de présenter l’ordre équestre tout entier comme une sorte de réserve où s’alimentait l’ordre sénatorial. N’est-ce pas de là que sortaient les hommes nouveaux qui, en dépit d’une oligarchie jalouse, fondaient la noblesse de leur race ? Ce mélange des deux classes de chevaliers paraîtra tout simple si l’on considère que les centuries n’étaient plus que des cadres où les consuls allaient chercher les jeunes gens dont ils voulaient former leur garde. Mais ces deux classes, confondues à l’armée, restaient distinctes dans les comices où la distribution par centuries n’avait pas cessé d’être une réalité. En remontant à l’organisation militaire antérieure à l’an 354 U. C. = 400, M. Belot croit retrouver, et plus tranchée encore, la même ligne de démarcation entre les chevaliers des six centuries et ceux des douze autres[84]. Mais la théorie qu’il expose fait naître bien des scrupules. La voici en quelques mots. L’armée comprend en tout huit légions de juniores, quatre tirées de la plèbe rustique, et formant deux par deux les deux armées consulaires actives, quatre autres, recrutées à Rome même, restant en réserve à la disposition du Sénat, et, au besoin, mises en mouvement par le préfet de la ville ; ce sont les légions dites urbaines, dont il est souvent question dans Tite-Live[85]. A côté de ces huit légions se rangent les deux mille quatre cents chevaliers equo publico, seule cavalerie romaine avant 354 u. c. = 400. Les douze cents chevaliers des douze dernières centuries forment la cavalerie permanente des quatre légions consulaires. Les six centuries sont la cavalerie des légions de réserve. Essentiellement urbaines par leur composition et leur organisation, elles sont naturellement adjointes à celles des légions qui participent du même caractère. Jusqu’à quel point les douze centuries étaient-elles, plus que les six autres, indépendantes des cadres urbains ? C’est une question sur laquelle on aura occasion de revenir[86]. On peut, en attendant, l’écarter du débat, et s’en tenir au principal. Si la théorie qu’on vient de résumer est exacte, l’armée était distribuée en deux groupes distincts, représentant chacun une partie de la population totale. Mais alors, il faut renoncer au principe qui, de tout temps, à dominé l’organisation militaire des Romains, et que M. Belot lui-même formule en ces termes : Chaque partie de l’Etat est également représentée dans chaque corps de l’armée[87]. On a vu cette règle appliquée, dés l’origine, à la formation de la turme équestre et de la légion primitive[88]. Cinq siècles plus tard, Polybe montre encore les tribus comparaissant l’une après l’autre devant les vingt-quatre tribuns militaires et fournissant chacune leur contingent aux quatre légions ordinaires[89]. Rien n’autorise à croire qu’on ait procédé différemment pour les autres. Comment, dans ce cas, aurait-on pu lever deux armées recrutées, l’une parmi les habitants de la campagne, l’autre parmi ceux de la ville ? On sait que ces derniers formaient les tribus urbaines Palatine, Suburane, Esquiline et Colline. Sans doute, il arriva un temps où, les tribus cessant d’être des divisions territoriales, Rome compta tous les jours un plus grand nombre de gens appartenant aux diverses tribus rustiques. Mais ce mélange ne s’accomplit qu’à la longue, et c’est à Servius qu’on prétend faire remonter le système en question. Tite-Live ne rappelle qu’une levée à laquelle n’aurait point participé l’ensemble des citoyens. Des trois tribuns militaires de l’an 336 u. c. = 418, L. Sergius Fidenas, M. Papirius Mugilanus et C. Servilius, les deux premiers doivent marcher contre les Eques, tandis que le dernier est désigné pour la préfecture de la ville[90] : Le Sénat décide que le recrutement ne se fera pas dans le peuple tout entier. On tire au sort dix tribus, parmi lesquelles les deux tribuns choisissent les jeunes gens qu’ils doivent mener à la guerre[91]. M. Belot ajoute le commentaire suivant : Sergius et Papirius, qui avaient pouvoir consulaire, ont dû, selon l’usage des consuls, mettre en campagne quatre légions ; et, comme il y avait alors vingt ou vingt et une tribus, les jeunes gens des dix ou onze tribus qui n’avaient pas été soumises au recrutement, ont dû former quatre légions de réserve. Servilius, tribun préposé au commandement de la ville, les arma, en effet, pour secourir ses collègues[92]. Ce raisonnement est juste, sauf peut-être en un point. Les deux armées consulaires, levées en vue d’une guerre considérée d’abord comme peu redoutable[93], n’étaient sans doute pas aussi fortes que d’habitude. Autrement, pourquoi aurait-on restreint la levée à la moitié de la population ? Mais il n’importe. Le texte de Tite-Live suggère d’autres observations plus importantes. D’abord le mode de recrutement employé dans ces circonstances est présenté comme tout à fait anormal. C’est une exception qui confirme la règle. En second lieu, les tribus qui sont appelées à former les légions de réserve ne sont point toutes urbaines. Elles sont, en effet, au nombre de dix ou onze, dont six au moins ou sept qui sont rustiques. Et rien absolument ne prouve que les quatre autres ne l’aient pas été également, car Tite-Live a soin de nous apprendre que le partage se fit par la voie du sort ; et, ainsi, il a pu fort bien arriver que les quatre tribus urbaines, étant tombées dans la première catégorie, aient dû servir dans les légions actives et n’aient pas fourni un homme à l’armée de réserve. Que deviennent, devant ces raisons, les deux textes de Tite-Live et de Denys, les seuls qui semblent confirmer, par une preuve directe, la théorie de M. Belot ? Celui de Tite-Live est ainsi conçu : On avait fait de grands enrôlements à Rome. Les affranchis mêmes, qui avaient des enfants et qui se trouvaient en âge de servir, avaient été admis à prêter serment. De cette armée urbaine ex hoc urbano exercitu, on embarqua ceux qui avaient moins de trente-cinq ans. Les autres restèrent pour la défense de la ville[94]. A Il faut se placer dans les circonstances où la mesure rapportée par Tite-Live a été prise. On venait d’apprendre le désastre de Trasimène, et le dictateur Q. Fabius Maximus rassemblait en toute hâte les forces dont la République pouvait disposer en ce jour de crise. Il commença par envoyer deux légions nouvelles rejoindre l’armée consulaire. Tite-Live ne dit point s’il employa le mode de recrutement décrit par Polybe. A priori, on peut supposer que non. C’était un procédé bon en temps ordinaire, mais qui ne pouvait convenir en cas de danger pressant. Il exigeait que les hommes des trente-cinq tribus eussent quitté leurs territoires respectifs et se fussent transportés à Rome de distances quelquefois considérables. Quand il fallait aller vite, on aimait mieux opérer sur place, au moyen de commissaires délégués à cet effet[95], et c’est ainsi qu’on dut agir en cette occasion. Polybe, qui parle également des légions mises sur pied par Fabius, laisse entendre que leur recrutement ne s’était pas fait dans des conditions régulières[96]. Les troupes consulaires étant renforcées, il restait à pourvoir à l’armement de la flotte et à la sûreté de la ville. Ce fut l’objet d’une deuxième levée où l’on prit tout ce qu’on avait à portée de la main, c’est-à-dire ceux des citoyens valides qui étaient demeurés à Rome, et jusqu’aux affranchis qui s’y trouvaient en grand nombre et qu’une loi, enfreinte ce jour-là, écartait de la légion[97]. Ce fut une armée urbaine dans les deux sens, puisqu’elle était à la fois chargée de défendre la ville et composée de ses habitants. Mais on voit assez qu’on est en présence d’un fait exceptionnel, dont il n’y a pas à tirer de conclusion générale. Arrivons maintenant au texte de Denys : Les consuls Cn. Manlius et M. Fabius 274 (u. c. = 480) marchèrent à l’ennemi, chacun à la tête de deux légions de Romains tirés de la ville même et d’une force égale fournie par les colons et les sujets[98]. Comme Denys mentionne, une ligne plus loin, le contingent des Herniques et des Latins, on est conduit à penser que par ces derniers mots il entend celui de la plèbe rustique. On sait en effet qu’elle s’était formée et étendue par la conquête[99] ; mais on n’en est pas moins surpris de la voir désigner ainsi[100]. L’exemple est peut être unique. Ailleurs il dit : La fleur de la jeunesse urbaine avait fourni une armée de vingt mille fantassins et de douze cents cavaliers attachés aux quatre légions. Le même nombre avait été fourni par les colons et les alliés[101]. Ces alliés sont-ils les Latins et les Herniques dont il est question plus haut ? Que deviennent dans ce cas les sujets dont la place a été marquée tout à l’heure à côté des colons ? Ou bien supposera-t-on que ce mot alliés est mis pour celui de sujets ? Mais il est clair qu’il s’applique encore moins bien que l’autre aux Romains de la campagne. Car ces Romains sont des sujets, à la rigueur, mais ce sont des Romains. Toutefois on ne peut s’empêcher de remarquer que ces alliés sont opposés avec les colons aux légions de la ville comme tout à l’heure les sujets. On le voit, l’interprétation de ce passage n’est pas si simple qu’il paraît d’abord, et celle même du précédent n’est pas exempte de difficultés. Admettons pourtant que, dans le second comme dans le premier, Denys ait voulu distinguer entre une armée romaine exclusivement recrutée dans la ville, et une autre au dehors. Un texte aussi manifestement dépourvu d’autorité l’emportera-t-il sur tous les autres qui le contredisent ? N’est-on pas en droit de supposer que Denys s’est trompé sur le sens de ce mot légions urbaines en croyant qu’il faisait allusion à la composition de ces troupes, au lieu qu’il en rappelait simplement la destination ?-On remarquera en effet que ces légions urbaines sont, dans son récit, des légions actives. L’armée de réserve existe. Elle comprend deux légions de juniores campées en avant de Rome, et deux de seniores qui tiennent garnison dans l’enceinte[102]. Mais Denys ne dit en aucune façon qu’elle ait été levée dans telle ou telle fraction de la population. Il y a un dernier texte de Tite-Live qui réclame une explication. C’était en l’an 405 u. c. = 349. Rome, pressée d’un côté par, les Gaulois, de l’autre par les pirates grecs, vient d’apprendre que les Latins refusent de fournir leur contingent : Le Sénat ordonne aux consuls de mettre sur pied toutes les forces de la République. On enrôle de toutes parts, non pas seulement la jeunesse de la ville, mais aussi celle de la campagne. On rapporte qu’on leva ainsi deux légions[103]. Remarquons d’abord que de toute manière ce texte ne prouve rien pour la théorie de M. Belot. Si en effet les gens de la campagne formaient l’armée active et si ceux de la ville n’étaient appelés que pour la réserve, Tite-Live n’aurait pas dei dire : non urbana tantum sed etiam agresti mais : non agresti tantum sed etiam urbana. La même observation vaut contre M. Weissenborn quand il suppose que Tite-Live fait allusion à l’enrôlement des capite censi, plus nombreux à Rome qu’ailleurs. Que signifie donc cette opposition ? Il faut se rappeler ce qui a été dit plus haut des levées faites sur place dans les circonstances extraordinaires. Or, il n’est pas douteux qu’il ne s’agisse ici d’une levée de ce genre. On était en présence d’un tumultus gallicus. Le mot se trouve quelques lignes plus bas. S’il en est ainsi, on peut se permettre une hypothèse. L’annaliste que Tite-Live avait sous les yeux disait que la levée s’était faite en ville, pour les habitants de la ville, au dehors, en différents endroits, undique pour ceux du dehors. Mais Tite-Live l’a mal compris ou l’a mal rendu. Du moment où les légions urbaines ne se recrutaient pas exclusivement dans la ville[104], il n’y pas lieu de leur adjoindre les six centuries, sous prétexte que ces dernières, par leur organisation et leur composition, étaient des corps exclusivement urbains. Il importe, du reste, de ne pas oublier que l’organisation des centuries ne répondait nullement à celle de la cavalerie légionnaire. Chaque légion comptait trois cents cavaliers[105]. Or, les six centuries primitives qui représentaient la force en cavalerie de quatre légions, avaient chacune un effectif de deux cents chevaux[106]. Quant aux douze autres, il est vrai qu’elles étaient fortes chacune de la moitié[107], et que, par conséquent, la réunion de trois d’entre elles pouvait former la cavalerie d’une légion ; mais ce n’était pas en trois groupes de cent que les trois cents cavaliers légionnaires étaient distribués. Ils formaient dix escadrons ou turmes, de trente hommes chacun, commandés par un décurion[108]. Les centuries n’étaient donc pas des corps prêts à marcher à l’ennemi, mais simplement des cadres mettant à la disposition des tribuns des hommes tout équipés et tout armés. Sur la manière dont l’enrôlement s’opérait, on n’a qu’une indication insuffisante de Polybe : Autrefois, les tribuns militaires choisissaient les cavaliers avant les deux mille quatre cents fantassins de la légion. Mais aujourd’hui ils les choisissent après, le censeur en ayant fait un premier choix fondé sur l’estimation des fortunes[109]. Ces derniers mots ne peuvent s’appliquer qu’à l’institution de la cavalerie dite equo privato. C’est depuis cette époque, en effet, qu’il suffit, pour être inscrit sur les rôles de la cavalerie, de l’être sur ceux de la première classe du cens. Auparavant, ce n’était pas assez d’être riche : Il fallait de plus être jugé digne de l’equus publicus. On se demandera comment cette réforme eut pour effet de faire intervertir l’ordre du recrutement. C’est sans doute que la levée des fantassins et des cavaliers, se présentant dorénavant dans des conditions semblables, il parut conforme à la dignité de cette deuxième arme de la faire passer la première. Les cavaliers étaient tirés de la première classe du cens ; les fantassins des classes inférieures, mais, sauf cette différence, les choses se passaient de même : les uns comme les autres comparaissaient par tribus, et ne représentaient enrôlés qu’une faible partie des hommes disponibles. Les calculs les plus modérés établissent qu’il n’y avait pas à la date de 536 U. C. = 218, c’est-à-dire peu avant Polybe, moins de dix mille citoyens obligés à servir à cheval[110]. Il n’en était pas ainsi du temps où il n’y avait pas d’autre cavalerie que celle des chevaliers equo publico. Ils comparaissaient au nombre de deux mille quatre cents, rangés, non par tribus, mais par centuries, et ce n’étaient pas quelques-uns, mais tous qui étaient appelés. Non pas qu’un enrôlement ne fait pas nécessaire ; on vient de voir qu’il n’y avait pas moyen de s’en passer. Seulement l’opération était très simple, et l’on comprend qu’elle fait réservée pour la fin, le gros du travail étant fait ; car au lieu de trier sur une grande masse les hommes propres au service, il n’y avait qu’à prendre ceux qui se présentaient tout prêts à entrer en campagne, par cela même qu’ils figuraient dans les centuries. Il ne restait plus qu’à les partager en deux groupes de douze cents, l’un pour les légions actives, l’autre pour les légions de réserve, chaque groupe devant être lui-même partagé en quatre sections de trois cents, et chaque section de trois cents en dix sections de trente. Quant à supposer que les douze cents premiers étaient fournis obligatoirement par les douze centuries, sous prétexte qu’elles avaient une destination plus exclusivement militaire[111], c’est une opinion qui ne paraît fondée sur rien. Tite-Live ne dit cela ni directement, ni indirectement. S’il mentionne la création des douze centuries par Servius Tullius, immédiatement après avoir décrit les réformes introduites par ce roi dans l’organisation militaire[112], c’est que les douze centuries faisaient elles-mêmes partie intégrante de ces réformes ; mais il ne s’ensuit pas que les six anciennes ne fussent pas attachées à l’armée au même titre. Si ces dernières se présentent revêtues d’un caractère religieux qui manque aux autres, cela tient à ce qu’elles représentaient la cité sainte du patriciat ; mais ces centuries religieuses pouvaient être en même temps des centuries militaires. Quelle apparence d’ailleurs que la plus brillante moitié du corps équestre ait été tenue loin du champ de bataille ! Il est donc certain que les chevaliers des centuries nouvelles étaient mêlés à ceux des anciennes dans les turmes des légions actives, comme les chevaliers des anciennes l’étaient à ceux des nouvelles dans les turmes des légions de réserve. Par là s’explique vans aucun effort l’opposition signalée par M. Belot entre l’esprit politique de la cavalerie et celui de l’infanterie. Elle éclate, d’après Tite-Live, en 273 U. c. = 481, dans une bataille où l’infanterie refusa de pousser un avantage remporté par la cavalerie sous le commandement d’un consul impopulaire[113]. Ne faut-il pas supposer, dit M. Belot, qu’à l’orgueil du rang qui déjà rapprochait du patriciat les chefs de la plèbe se joignait, pour maintenir les cavaliers légionnaires dans le devoir, la présence d’un certain nombre de patriciens ?[114] Sans doute. Mais pourquoi supposer en outre que ces patriciens avaient demandé à figurer dans les douze centuries parce que c’était le seul moyen pour eux de prendre lotir part des guerres[115] ? Leur présence dans les turmes était la conséquence du mode de recrutement de la cavalerie. IV. — Les six centuries sénatoriales. - Si elles étaient patriciennes et jusques à quand elles le restèrent. Les deux ordres étaient-ils mêlés dans les centuries comme dans les turmes ? Ou bien y avait-il des centuries pour les patriciens et des centuries pour les plébéiens ? C’est une autre question qu’il faut examiner. Tite-Live, parlant de l’institution des douze centuries, dit que Servius y inscrivit les premiers citoyens : Equitum ex primoribus civitatis duodecim scripsit centurias[116]. Plus loin, il raconte que Brutus, après la chute de la royauté, fit entrer au Sénat les personnages les plus distingués de l’ordre équestre. Primoribus equestris gradus lectis. On ne saurait croire, ajoute-t-il, combien cette mesure contribua à assurer la concorde dans l’Etat et à attacher la plèbe aux sénateurs[117]. Les personnages les plus distingués de l’ordre équestre étaient donc, dans la pensée de Tite-Live, des plébéiens. Du rapprochement de ces deux textes, il semble qu’on peut tirer une conclusion double. Il y avait des chevaliers plébéiens dans les six centuries, et il y avait des patriciens dans les douze autres. En effet, d’un côté, les premiers citoyens dont il est question dans le premier texte ne pouvaient être que des patriciens, et de l’autre, les plus nobles chevaliers dont il s’agit dans le second ne pouvaient être que ceux des six centuries[118]. Mais cette conclusion renferme une erreur dont une réflexion plus attentive fait justice. Il faut toujours, avec Tite-Live, prendre garde aux anachronismes d’expression. Ces mots : primoribus equestris gradus lectis, en sont un. Il n’y avait pas alors, et il n’y eut pas de longtemps encore d’ordre équestre distinct de l’ordre sénatorial. C’est une forme de langage empruntée à des institutions de beaucoup postérieures. Mais Tite-Live la reproduit avec le sens qu’y attachent ses contemporains. Quand on disait d’un citoyen, au temps de Tite-Live et déjà auparavant, qu’il appartenait à l’ordre équestre, on voulait dire qu’il n’était pas sénateur, ni fils de sénateur. Transportons cette manière de parler à une époque où le Sénat était exclusivement patricien. On ne pourra entendre ce terme d’ordre équestre que dans un sens exclusif du patriciat. Les personnages les plus distingués de l’ordre équestre pouvaient donc justifier leur titre sans appartenir aux centuries patriciennes, s’il y en avait. Le texte relatif à l’institution des douze centuries est plus difficile à expliquer dans l’hypothèse où ces centuries étaient plébéiennes. Il est clair que, dans ce cas, il manque tout au moins de précision. Peut-être faut-il en imputer la cause au trouble apporté dans les idées des historiens par la révolution qui fit passer les douze centuries au premier rang dans les comices. On a vu que le texte en question n’est pas sans se ressentir de cette confusion. Mais dans quelque sens qu’on l’interprète, — et il n’est pas assez positif pour qu’on l’interprète dans un sens plutôt que dans l’autre, — il ne saurait prévaloir contre la logique de la constitution romaine. Si les six centuries n’étaient pas réservées au patriciat, on ne voit pas à quoi les douze autres servaient. Les six suffisaient. De Romulus à Tarquin, elles n’avaient cessé d’élargir leurs cadres au fur et à mesure qu’il en était besoin. Rien n’empêchait qu’il en fût de même sous Servius, quand il s’agit de renforcer une dernière fois la cavalerie légionnaire. Comment donc se fait-il qu’on ait rompu tout à coup avec le système suivi jusqu’alors ? Ce n’était pas pour des raisons d’ordre militaire, puisqu’il importait peu, pour le recrutement, que les deux mille quatre cents chevaliers fussent répartis dans six centuries ou dans dix-huit. C’était donc pour une raison purement politique ; et cette raison, quelle peut-elle être, sinon que les nouveaux chevaliers étaient plébéiens ? Placées sous l’invocation et marquées du sceau de la religion nationale, les six centuries ne pouvaient admettre que des hommes admis eux-mêmes à la communauté de cette religion. Pour avoir une chevalerie plébéienne, il fallait donc créer, à côté des centuries anciennes, des centuries nouvelles d’un caractère moins exclusif. Ainsi les chevaliers patriciens et les plébéiens se confondaient à l’armée ; mais dans la cité, ils restaient séparés en principe. En principe, car en fait, si les plébéiens étaient exclus des centuries anciennes, les patriciens ne l’étaient point des nouvelles. Inscrits sur les rôles de l’infanterie quand ils étaient pauvres[119], ou simplement quand le’ corps équestre était au complet, à plus forte raison pouvaient-ils être rejetés dans les douze centuries ; mais cela n’arrivait sans doute qu’au cas où le nombre des postulants pour les six se trouvait supérieur à celui des places disponibles. M. Belot cite un passage de Denys, où Valerius se plaint des sénateurs irrités contre lui parce qu’il avait ajouté à la liste des chevaliers plus de quatre cents riches plébéiens[120]. Comme il n’est pas dit que ces plébéiens aient été promus au patricial, ils doivent avoir été inscrits dans les douze centuries. Ces centuries étaient réduites depuis que Brutus en avait tiré des recrues pour le Sénat. La victoire du lac Régille, remportée surtout par la cavalerie, avait dei faire aussi des vides sensibles dans tout le corps équestre. Mais pourquoi cette irritation des sénateurs ? Ce n’était pas assurément qu’ils eussent désiré pour leurs fils une place dans les douze centuries plébéiennes plutôt que dans les six patriciennes. Mais il restait de jeunes patriciens qui, ne pouvant entrer dans ces dernières, se seraient contentés des autres, et c’était à ceux-là que Valerius avait préféré de§ plébéiens. La composition patricienne des six centuries n’est qu’une conséquence de leur relation avec le Sénat. Elles étaient patriciennes parce qu’elles étaient sénatoriales, et elles le furent tant que le Sénat lui-même fut patricien. Il ne reste plus qu’à compléter cette conclusion, en recherchant jusqu’à quelle époque le rapport entre les deux corps s’est maintenu. V. — De l’inscription des sénateurs dans les six centuries sénatoriales. On se rappelle qu’il existait encore au temps de Scipion Emilien. C’est plus tard seulement que se produisit, dans la composition des six centuries, un changement qui, jusqu’à un certain point, les détacha du Sénat : les sénateurs cessèrent d’en faire partie. Mais ici une question préjudicielle se pose à nous. Avant d’examiner comment les sénateurs sont sortis des six centuries, on voudrait savoir depuis quand ils furent autorisés à y rester. Le droit de garder le cheval public a-t-il été reconnu, dés le principe ou plus tard, au chevalier admis dans le Sénat ? Et, si c’est plus tard, quelle est la date de cette innovation ? Quels en sont les motifs ? Lorsque les deux censeurs, M. Livius Salinator et C. Claudius Nero (550 u. c. = 204), donnèrent à Rome le scandaleux spectacle de leurs dissensions, ils commencèrent par s’exclure l’un l’autre des centuries équestres pour se reléguer au rang des ærarii[121]. Deux siècles plus tôt environ, en 320 u. c. = 434, quand les censeurs voulurent frapper l’ancien dictateur Mamerciis Æmilius, ils se bornèrent à lui infliger cette deuxième pénalité en l’accompagnant de l’expulsion de la tribu ; mais de la première, il n’en est pas question[122]. Il est vrai que la seconde suppose la première dont elle n’est qu’une aggravation[123] ; mais les auteurs ne manquent pas d’ordinaire de les mentionner toutes deux[124], quand elles sont associées, de manière à mieux marquer par l’analyse les effets de la sévérité censoriale. Si donc ils ne rappellent pas que Mamercus ait été obligé de restituer le cheval public, on est en droit de conclure qu’il ne l’avait plus. Ainsi voilà un dictateur de l’an 320 u. c. = 434 qui ne fait plus partie du corps équestre. Il est facile d’en voir les raisons. On remarquera tout d’abord que les chevaliers ne se divisent pas, comme les hommes des cinq classes, en centuries de juniores et de seniores. Et la preuve que les centuries équestres étaient essentiellement des centuries de juniores, c’est que de tout temps les deux mots equester ordo et juventus ont été pris l’un pour l’autre[125]. Or, on cessait de compter au nombre des juniores après quarante-cinq ans révolus[126]. C’était donc à cet âge que les sénateurs devaient être effacés des rôles de la chevalerie, si toutefois l’on n’avait pas établi une exception en leur honneur. Mais cette exception n’est guère vraisemblable pour une époque où le service dans les dix-huit centuries n’était rien moins qu’une sinécure. Il ne faut pas oublier qu’elles constituaient l’unique cavalerie de l’armée romaine et que l’effectif en était à peine suffisant, si l’on en juge par le mouvement qui se produisit lors du siège de Véies et d’où l’on croit pouvoir dater l’institution de la cavalerie dite equo privato[127]. En tout cas il était calculé très justement en vue des huit légions que Rome mettait sur pied durant les premiers siècles[128]. Ainsi les sénateurs ne pouvaient continuer de figurer dans les centuries qu’à la condition de placer leurs devoirs militaires plus haut que leurs devoirs civiques, et, comme l’inscription des seniores suppose, à plus forte raison, celle de leurs collègues plus jeunes, le jour d’une grande guerre la curie se serait trouvée déserte, ou à peu près, en tenant compte de ceux qu’un âge trop avancé aurait décidément fait rayer. On peut imaginer, il est vrai, des chevaliers sénateurs placés hors des rangs, en sus du nombre réclamé par la loi ; mais, en admettant que le budget ne fût pas limité à ce chiffre de deux mille quatre cents chevaux fournis par l’Etat, on se demandera encore à quoi bon. S’il ne s’agissait que de confier à quelques sénateurs les fonctions de tribun militaire, on ne voit pas que la qualité de chevalier fût indispensable. Quant au commandement en chef, on sait qu’il résultait naturellement de l’exercice de la magistrature consulaire. La règle, qui ne souffrait pas d’infraction en faveur des sénateurs seniores, devait s’appliquer de même aux autres. C’est assez dire que pour ceux-ci leur dignité ne les dispensait pas des obligations communes à tous les citoyens de leur âge ; mais, comme sans doute ils n’étaient pas très nombreux, leur présence dans les centuries n’entraînait pas les mêmes inconvénients. Qui sait pourtant si ce n’est pas la difficulté de concilier ces devoirs de .nature trop diverse qui, à la longue, fit écarter du Sénat quiconque n’avait pas, au préalable, fini son temps sous les drapeaux[129] ? Les choses changèrent quand les chevaliers equo publico, laissant aux hommes de la première classe le service de la cavalerie légionnaire, ne furent plus que la brillante élite d’où le général tirait ses gardes du corps, ses préfets et ses tribuns. Dans ces conditions, il importait peu que le nombre des hommes en mesure de faire campagne fait rigoureusement équivalent à celui des inscrits. On comprend donc qu’à partir de cette époque les chefs de la cité aient pu rester, au delà du terme, dans les centuries. On comprend aussi qu’ils aient tenu à y rester. Ils y paradaient à titre honorifique, mais ils prêchaient d’exemple par leur présence. En défilant avec la fleur de la jeunesse romaine dans la cavalcade solennelle des ides de juillet, ils témoignaient qu’ils ne se considéraient pas encore comme quittes envers la patrie. Aussi les voyait-on, les jours de crise, reprendre les armes en volontaires, à l’égal des jeunes gens[130]. Toutefois, quelle que fût en eux la force du sentiment patriotique, ce ne sera pas leur faire tort d’attribuer la plus large part à un mobile moins désintéressé. En gardant leur place dans les six prérogatives, ils y gardaient leur vote, et, par leur vote, ils s’assuraient la direction de l’assemblée centuriate. Mais, pour cela, il fallait d’abord que la réforme militaire de l’an 354 u. c. = 400 eût assigné un autre rôle aux centuries équestres. A quelle date peut-on constater pour la première fois le maintien de l’equus publicus aux sénateurs ? Il est nécessaire ici de revenir sur des textes connus. En l’an 544 u. c. = 210 le consul Lævinus exhorte les anciens magistrats curules à faire don au trésor des ornements d’argent de leurs chevaux[131]. Non sans doute que les anciens magistrats curules fussent les seuls en possession du cheval public ; mais ils étaient les seuls dont les chevaux fussent harnachés avec ce luxe. C’est ainsi qu’autrefois ils étaient les seuls qui eussent le droit de se parer de l’anneau d’or. Témoin la fameuse anecdote relative à l’élection de l’affranchi Flavius. On se rappelle qu’à cette occasion Tite-Live montre les nobles déposant leurs anneaux d’or et leurs phalères[132]. Ces phalères dont il est question en cette année 450 u. c. = 304 ne sont autres que ces ornements d’argent dont le consul Lævinus réclame le sacrifice environ un siècle plus tard, en 544 u. c. = 210. Ce n’est donc pas en 544 u. c. = 210, mais en 450 v. c. = 304 qu’il faut placer la première mention de sénateurs inscrits dans les centuries. Pourtant il reste un doute. Car enfin le texte de Tite-Live, — celui qui se rapporte à cette année 450 u. c. = 304, — n’est pas très explicite. Il ne dit pas si les personnages qui déposent leurs phalères sont les mêmes qui renoncent à l’anneau d’or, en d’autres termes, si ceux-ci ne sont pas les sénateurs nobles avec ou sans leurs fils, et ceux-là les fils des sénateurs nobles à l’exclusion de leurs pères. On répondra qu’il faut bien que les sénateurs soient compris d’un côté comme de l’autre, s’il est vrai que leur maintien dans les centuries est une conséquence directe de l’institution de la cavalerie equo privato. Mais il est d’une méthode dangereuse de partir d’une hypothèse pour interpréter un texte. Heureusement voici qui ne permet plus d’hésiter. Il résulte du discours de Lævinus qu’à l’anneau d’or qui du temps de la deuxième guerre punique distinguait les sénateurs nobles, il faut ajouter les phalères d’argent. Mais le même discours nous apprend que s’ils partageaient l’usage de l’anneau d’or avec leurs fils, ils s’étaient réservé celui des phalères. En effet Lævinus les engage à abandonner les anneaux d’or de leurs fils avec le leur ; mais il considère le sacrifice des phalères comme devant leur être personnel[133]. Et si cet insigne était d’un usage exclusif aux sénateurs en 544 u. c. = 210, à plus forte raison devait-il en être de même en 450 u. c. = 304, quand l’idée d’une noblesse sénatoriale ne faisait que de naître. Il suit de là quo les nobles qui en 450 u. c. = 304 déposèrent leurs phalènes ne pouvaient être que des sénateurs. Les sénateurs ne cessaient donc pas, dès cette époque, d’être inscrits parmi les chevaliers. Tite-Live, en rapportant les mesures de rigueur prises l’un contre l’autre par les censeurs Livius et Claudius, dit qu’ils se trouvaient par hasard avoir tous deux le cheval public[134]. Ces paroles surprennent. On les rapproche aussitôt du passage de Valère Maxime où ce compilateur, racontant le même incident, ajoute, en guise d’explication, que les deux censeurs étaient alors dans toute la force de l’âge[135]. Mais, comme le remarque très bien M. Belot[136], pour Valère Maxime, qui vivait- en un temps où les centuries ou plutôt les turmes ne contenaient plus que des jeunes gens, le maintien du cheval public à deux personnages sénatoriaux était un fait exceptionnel, qu’il se croyait obligé d’expliquer. Pour Tite-Live au contraire qui rappelle encore quelques livres plus loin la privation du cheval infligée à Scipion l’Asiatique, un consulaire[137], le même fait ne pouvait présenter rien que de régulier. Est-ce donc par simple inadvertance qu’il s’exprime ainsi ? Ou bien donne-t-il à entendre que tous les sénateurs ne se considéraient pas comme tenus de conserver jusqu’à la fin leur place dans les centuries ? Il se pourrait. Rien, en tout cas, ne les y forçait. Dix ans de service effectif étaient tout ce qu’on avait le droit de leur demander. VI. — De l’époque à laquelle les sénateurs cessèrent de faire partie des six centuries sénatoriales. - De l’interprétation proposée par M. Madvig pour un texte de Cicéron dans le quatrième livre de la République. Le moment arriva où ce ne furent plus quelques sénateurs, mais tous qui se retirèrent du corps équestre. On a cru trouver dans une phrase énigmatique de Cicéron un éclaircissement sur ce point obscur. Il met les paroles suivantes dans la bouche de Scipion Emilien : Quelle sagesse dans cette division des citoyens par ordres, par âges, par classes ! Dans cette institution du corps équestre qui comprend aussi les suffrages du Sénat ! Avantage précieux que tant de gens ont la sotte idée de supprimer ! Le reste de la phrase doit être cité dans le texte : Nimis multis jam stulte hanc utilitatem tolli cupientibus qui novam largitionem quærunt aliquo plebiscito reddendorum equorum[138]. Ce sont ces derniers mots qui, très clairs sans doute pour Cicéron et ses lecteurs contemporains, ne le sont plus du tout pour ceux d’aujourd’hui. M. Madvig en a essayé une explication qui a été généralement suivie[139]. Il faut la reproduire avec le développement qu’elle comporte. L’avantage qu’il s’agit de supprimer est pour les sénateurs. C’est celui que leur assure leur vote dans les six prérogatives. On comprend que Scipion y ait tenu. Non- seulement il lui paraissait inopportun de renoncer à la direction des comices au moment où l’autorité du Sénat était battue en brèche par la démocratie, mais il pensait aussi que ce rapprochement forcé des sénateurs et des chevaliers sur le Champ de Mars était de filature à faciliter une entente devant laquelle tous les projets de loi agraire devaient échouer[140]. C’était la politique d’un adversaire des Gracques. Ce fut plus tard celle de Cicéron qui, toute sa vie, poursuivit l’accord de l’ordre sénatorial et de l’ordre équestre. Il était naturel qu’il la prêtât à son héros, ou plutôt qu’il la lui empruntât. Mais quels sont les auteurs ou les instigateurs de ce plébiscite malencontreux ? Des sénateurs évidemment, car s’il était venu des tribuns ennemi, du Sénat, Scipion eût qualifié leur dessein tout autrement[141]. Et quelle est leur raison pour commettre cette sottise ? Une simple raison d’économie. L’achat et l’entretien d’un cheval constituaient une charge assez lourde depuis que le renchérissement de toutes choses avait rendu insuffisantes les subventions allouées par l’Etat. Et ce n’est pas assez de dire un cheval, car au sien le sénateur devait ajouter celui de son fils, s’il avait un fils dans les centuries, et il pouvait en avoir plusieurs[142]. C’est dans ce sens qu’il faut entendre le mot largitio. Les sénateurs sollicitaient une libéralité du trésor quand ils demandaient à être délivrés d’un honneur coûteux. Ce qui prouve bien que l’assignation de l’equus publicus était un véritable impôt auquel tout le monde essayait d’échapper, c’est l’enquête ouverte par les censeurs de l’an 545 u. c. = 209 pour rechercher ceux qui s’étaient soustraits au service dans les centuries[143] ; c’est l’anecdote d’Æbutius se faisant dispenser, en guise de récompense, de la même obligation[144] ; ce sont les paroles prononcées, vers la même époque, par Caton le Censeur, et d’où il résulte que l’effectif du corps équestre était tombé au-dessous du nombre réglementaire[145] ; c’est l’autorisation accordée par Auguste à tous les hommes âgés de plus de trente-cinq ans de rendre leur cheval[146]. Et, pour compléter la démonstration, le ton sur lequel Scipion le prend avec les partisans du plébiscite montre assez qu’il y avait quelque chose de mesquin dans les motifs qui dictaient leur conduite. Il semble qu’il n’y ait rien à opposer à une hypothèse aussi ingénieuse qu’elle paraît solidement construite. Pourtant on a peine à se figurer que ces motifs misérables aient pu être de quelque poids auprès de cette puissante aristocratie, enrichie des dépouilles de l’Afrique, dé la Grèce et de l’Orient. Admettons que l’indemnité de l’æs equestre et de l’æs hordearium[147] ne couvrît plus les frais. Elle en couvrait du moins une partie ; mais quand même ils eussent été tout entiers à la charge des intéressés, qu’était-ce pour des hommes dont la fortune et le luxe commençaient à prendre des proportions gigantesques ? Ce léger déboursé pouvait-il entrer en ligne de compte pour les détenteurs du domaine public et les opulents actionnaires des compagnies de publicains ? Les textes invoqués pour montrer combien le cheval public paraissait onéreux ne disent pas ce qu’on veut leur faire dire. Les citoyens qui, durant la deuxième guerre punique, ont reculé devant le service equo publico, — si tant est qu’il faille lire equo publico merere, et non pas simplement equo[148], — ont reculé tout aussi bien devant le service à pied, ainsi qu’il ressort de la suite de la phrase[149]. Ce n’est pas la dépense qui leur a fait peur ; c’est la bataille. Vingt-trois ans plus tard (568 u. c. = 186), le jeune Æbutius obtient de la générosité du Sénat la même immunité que les réfractaires de la deuxième guerre punique s’étaient indûment arrogée. On décide qu’il sera considéré comme ayant fini son temps sous les drapeaux ut emerita stipendia essent. Cette formule pouvait à la rigueur sure ; mais les Romains ne se contentaient pas, dans leurs textes de lois, de formules générales. Il était dans leurs habitudes de procéder par analyse, de manière à ne laisser aucune ouverture aux interprétations vicieuses. Or la loi autorisait, en cas de danger suprême, l’appel même des seniores ; et bien qu’une mesure de ce genre ne fût plus guère à prévoir, elle restait possible. On ajouta donc qu’Æbutius ne serait point obligé à servir contre son gré, ne invitus militaret et, pour plus de précision encore, qu’il ne serait pas inscrit dans les centuries équestres, où il paraissait destiné à figurer par droit d’hérédité[150]. Neve censor ei equum publicum adsignaret. On le voit, il n’y a pas là autre chose qu’un curieux symptôme de la décadence de l’esprit militaire dans la haute société romaine. Peut-être ne faut-il pas attribuer à une autre cause les vides constatés par Caton dans les centuries, lorsqu’il demanda que le nombre des chevaliers equo publico ne descendit pas au-dessous de deux mille deux cents, à moins toutefois que ces vides ne témoignassent de la part honorable prise par les chevaliers aux guerres meurtrières de l’époque. Enfin, s’il est vrai qu’au temps d’Auguste on sollicitait comme une faveur l’autorisation de rendre le cheval, cette disposition peut s’expliquer de bien des manières, soit qu’on voulait échapper au service qui, tout en cessant d’être obligatoire pour le commun des citoyens,-pesait encore sur l’aristocratie, soit qu’on désirât se soustraire au recrutement forcé des magistratures, toujours suspendu comme une menace sur le corps équestre, soit qu’on cédât tout simplement à cette répulsion qui s’était emparée de tous les Romains pour tout ce qui touchait, de près ou de loin, à la vie publique ; car, de même qu’un Ovide restait chevalier pour ne pas devenir sénateur, il s’en trouvait sans doute qui, n’ayant pas à se défendre d’une destinée aussi haute, rejetaient encore la dignité équestre comme trop lourde pour leur ambition[151]. Allons plus loin. Quelle raison les chevaliers equo publico auraient-ils eue de se plaindre ? En quoi leurs obligations étaient-elles plus onéreuses que celles des cavaliers equo privato ? Ceux-ci fournissaient leur cheval et touchaient une solde ; ceux-là recevaient un cheval de l’Etat et servaient gratis[152]. Les premiers étaient défrayés de l’entretien de leur bête, en argent ; les seconds en nature[153]. Et M. Belot calcule que la valeur de l’æs hordearium, au temps des guerres puniques, équivalait à celle des quatre-vingt-quatre médimnes d’orge qui étaient alloués par an au cavalier légionnaire[154]. Ainsi, des deux côtés, sauf plus ou moins de luxe dans l’équipement, les frais s’équilibraient. Pour toutes ces considérations, il devient de plus en plus invraisemblable que le but poursuivi par les auteurs du plébiscite ait été un but d’économie. Pourtant il y a ces mots : Novam largitionem quærunt... reddendorum equorum. A Mais Scipion ne se plairait-il point, par hasard, à ridiculiser ses adversaires en leur prêtant des motifs qui ne sont pas les leurs, mais qui pourraient le paraître ? Car bien que la dispense du service équestre fût une économie médiocre, c’en était une cependant ; et plus elle était médiocre, plus étaient ridicules ceux qui avaient l’air de la rechercher aux dépens des plus grands intérêts. C’est déguiser finement sa pensée, remarque Cicéron, de dire, non pas le contraire de ce qu’on pense, mais autre chose. Ce désaccord laisse percer la raillerie sous une apparente gravité. Et il ajoute : Fannius rapporte dans ses annales que Scipion Emilien excellait dans ce genre de plaisanterie qu’il appelle d’un nom grec, ironie[155]. Est-ce tout ? Et les doutes suggérés par l’interprétation de M. Madvig s’arrêtent-ils là ? Non, car le sens général de la phrase n’est rien moins qu’établi. D’abord le mot largitio, entendu comme on le fait, est, au fond, d’un emploi assez étrange. Peut-on dire, en effet, que l’Etat fît une largesse aux sénateurs, alors que c’étaient eux qui, en restituant le cheval, lui faisaient remise des sommes représentées par la double subvention de l’æs hordearium et de l’æs equestre ? Et si l’on répond que par là ils s’épargnaient une dépense, il semble qu’il n’eût pu y avoir largesse de la part de l’État que si cette dépense eût été couverte par lui. Que signifie aussi cette épithète novam qui demeure inexpliquée[156] ? Mais est-on fixé seulement sur la nature de l’institution à laquelle s’attaquent les réformateurs ? Ces mots hanc utilitatem s’appliquent-ils à ce membre de phrase in quo suffragia sunt etiam senatus ou à la phrase entière, depuis et y compris equitatus ? Pour parler clairement, est-ce le privilège des sénateurs dans les centuries, ou les centuries mêmes qu’il s’agit de supprimer ? Quoi d’étonnant si la démocratie avait rendu cette sentence contre ce corps si profondément aristocratique, et qui d’ailleurs ne répondait plus à aucune nécessité militaire ? Et, dans ce cas, n’y avait-il pas, dans les fonds laissés libres par le licenciement des chevaliers, matière à de nouvelles largesses s’ajoutant à celles dont Tib. Gracchus venait de donner l’exemple par sa loi agraire ? Sottise, dit Scipion, et s’il peut qualifier ainsi la conduite des sénateurs renonçant volontairement à une part de leur influence politique, il peut traiter de même les agitateurs empressés à démolir l’édifice qui avait abrité tant de générations. La seule expression difficile à expliquer reste celle-ci : largitionem... reddendorum equorum. Mais elle le reste de toute manière, au point de vue du sens sinon de la latinité. Tout serait simplifié si l’on pouvait isoler le mot largitionem et rapporter reddendorum equorum à plebiscito. Malheureusement de reddendis equis serait plus vrai. Au reste, on prendra cette hypothèse pour ce qu’elle vaut, et il aisé de montrer que l’énigme posée par le texte de Cicéron est loin d’être résolue. Le sera-t-elle jamais ? Il est permis d’en douter. Ce qui est certain, c’est qu’au temps où Cicéron écrivait, les sénateurs n’étaient plus inscrits parmi les chevaliers. Q. Cicero, obligeant son frère à s’attacher les centuries équestres, ajoute que bien de ces jeunes gens lui rend la tâche plus facile[157]. Ailleurs on trouve des personnages illustres par le nom ou le rang qui, tout en patronnant un candidat, ne votent pas pour lui[158]. Ce sont sans doute les sénateurs qui ne mêlent pas leur suffrage à celui des citoyens des cinq classes. Plutarque raconte que Pompée, devenu de simple chevalier consul, se présenta devant les censeurs pour leur rendre son cheval. Il était en règle avec la loi, car il avait fait largement ses dix campagnes, et il les avait faites, comme il répondit fièrement aux censeurs, sans autre général que lui-même[159]. Cette question qu’ils lui posèrent afin de lui ménager cette répartie triomphante, ils pouvaient s’en dispenser avec ceux qui entraient au Sénat par la voie régulière, puisqu’ils n’y entraient qu’à la condition d’avoir payé leur dette de sang à la patrie. Quant à ceux qui ne sortaient point des centuries par cette porte, ils attendaient, s’ils n’avaient pas fait leurs dix ans de service effectif, qu’ils eussent atteint l’âge où l’on passait parmi les seniores. Ainsi s’explique la mesure prise par Auguste quand il accorda aux hommes de plus de trente-cinq ans, si toutefois ils le désiraient, la faveur de renoncer à l’equus publicus[160]. On a voulu conclure de là que c’était cet âge de trente-cinq ans qui marquait la limite autrefois posée par Servius[161] ; mais, dans ce cas, cette prétendue faveur n’eût été que la reconnaissance d’un droit. La vérité est que la limite d’âge entre les juniores et les seniores n’avait jamais cessé d’être fixée à quarante-cinq ans ; mais, dans la pratique, au point de vue du recrutement, elle n’allait pas plus loin que trente-cinq. Il fallait, pour la franchir, des circonstances exceptionnelles, comme on en vit pendant la deuxième guerre punique[162]. Auguste ne faisait donc qu’appliquer à la composition des centuries, une règle depuis longtemps en vigueur pour celle de l’armée. A la même époque il y avait dans les centuries des chevaliers assez figés pour qu’Auguste les autorisât à figurer à pied dans la cérémonie de la transvestio[163], et c’est même, à ce qu’il semble, cette concession où il se trouva obligé qui le détermina à rendre leur liberté à tous ceux qui avaient dépassé l’âge militaire. M. Zumpt voit dans ces chevaliers des préfets et des tribuns légionnaires qui gardaient leur cheval jusqu’à ce qu’ils eussent quitté le service[164]. Mais comment ne l’avaient-ils pas quitté déjà, du moment où leurs infirmités les avaient rendus incapables d’en supporter les fatigues ? Il est plus probable que la longue interruption des opérations censoriales[165] avait laissé vieillir dans les centuries des hommes qu’Auguste fut étonné d’y rencontrer quand il s’occupa de remettre en honneur l’institution de la chevalerie. La radiation des sénateurs d’entre les chevaliers, quelles qu’en soient les causes immédiates, était, on peut le dire, inévitable. Elle se rattache à cet ensemble de faits qui amenèrent peu à peu la formation d’une noblesse sénatoriale distincte de la noblesse équestre. Mais c’est sous Auguste seulement, quand l’établissement d’un cens propre aux sénateurs eut définitivement consacré une séparation depuis longtemps préparée, que les fils suivirent les pères, et que les six centuries virent se briser pour toujours le lien qui, depuis l’origine, les avait unies au Sénat. Les six centuries même disparurent avec les douze autres, et le corps équestre, réorganisé sur des bases nouvelles, ne fut plus représenté que par six turmes, d’où le laticlave était exclu[166]. Toutefois ce ne fut pas là une rupture absolue avec le passé ; ce fut même, en un certain sens, un retour vers la Rome des premiers jours. Si le Sénat perdait la brillante annexe où il avait cherché pour sa politique, sous le règne de la liberté, un point d’appui devenu inutile, en revanche, le corps équestre, réduit à ses divisions primitives, évoquait plus que jamais le souvenir des six demi-groupes des Ramnes, des Tities, des Luceres, et longtemps encore, jusqu’à la chute de l’empire, les Romains, restés fidèles aux traditions antiques, purent contempler dans les six turmes, qui avaient succédé aux dix-huit centuries, l’image de la triple cité de Romulus. |
[1] Il va sans dire, une fois pour toutes, que les familles sénatoriales qui n’avaient point le cens de la première classe étaient exclues des centuries équestres ; mais ces cas étaient très rares. V. Willems, Sénat, I, p. 189-197.
[2] XXX, 18.
[3] Dans son édition de T. L.
[4] Ann., II, 59.
[5] XVI, 17.
[6] XXXIII, 36.
[7] 40.
[8] Orelli, 140, 1856, 4586, 5037. V. 3108 un eques splendidus, père de sénateur.
[9] Cheval. rom., I, p. 214.
[10] XXI, 59.
[11] Ibid. Le mot ordo equester a presque toujours ce sens dans Tite-Live. — Cf. XXIV, 18 ; XLIII, 16. — Cf. Val. Max, II, IX, 7.
[12] B. c. I, 51.
[13] Suét., Aug., 38. — Il y a pourtant l’exemple d’Auguste lui-même, ou plutôt d’Octave, qui revêtit le laticlave avec la toge virile (Ibid., 94). Mais ce sont déjà les mœurs de l’empire, et d’ailleurs Octave était dans une situation toute spéciale. — Nous ne disons rien non plus de la bulle d’or, puisque on la déposait avec la prétexte (Perse, Sat., V, 31).
[14] Pline, H. N., XXXIII, 4, édit. Detlefsen.
[15] IX, 46.
[16] XXXIII, 6.
[17] Ibid. — Cf. Val. Max., IX, III, 3.
[18] III, 18. Sur ce texte, v. Willems, Sénat, I, p. 138, etc.
[19] V. § 5 de ce chapitre.
[20] XXVI, 36.
[21] XXXIII, 4-9, édit. Detlefsen.
[22] 6.
[23] Ibid.
[24] XXXIII, 6.
[25] Ibid., 4.
[26] 6.
[27] T. L., XXIII, 12.
[28] II, 6.
[29] L. c.
[30] Cheval. rom., I, p. 221.
[31] 7.
[32] L. c.
[33] XLIII, 16.
[34] De R. Pun., VIII, 104.
[35] Marquardt, Straatsverw., II, p. 355.
[36] Lex repetund., C. I. L., I, p. 58, II. VIII, etc. (631 u. c. — 123, ou 632 u. c. = 122). — Cf. Cic., Pro Cluent., 54.
[37] Sur les phalères d’argent qui distinguaient, au temps de la deuxième guerre punique, les anciens magistrats curules à l’exclusion de leurs fils, voir plus loin § 5.
[38] V. Belot, Cheval. rom., I, passim.
[39] I, 36.
[40] De Rep., II, 20.
[41] Ibid., 22. Le texte est mal établi, mais le sens est clair.
[42] P. 334.
[43] Röm. Forsch., I, p. 139, 140.
[44] I, 48. — Cf. Cie., De Rep., II, 20.
[45] L. c.
[46] Rein., Quæstiones Tullianæ, p. 9. Id., Pauly’s Real. Encyk., III, p. 211. Marquardt, Histor. equit. Rom., p. 5, n. 15. — V. Belot, Cheval., I, p. 387. Append.
[47] V. Willems, Droit public, p. 160-166.
[48] X, 22. — V. Huschke, Die Verfassung des Servius Tullius, p. 621. Peter, Epochen der Verfassuwgeschichte der römischen Republik, p. 196. Becker, Alterth., II, III, p. 4.
[49] Pro Plan., 20. — Cf. T. L., XXVI, 22. Cie., De divin., I, 45.
[50] De divin., ibid., Majores..... voluerunt.
[51] Ad. Verr., p. 139. Orelli : Ut sæpe contigit.
[52] L. c. bina... de iisdem candidatis comitia fieri.
[53] P. 249.
[54] V. pourtant sur ce droit Willems, Droit public, p. 243, n. 4.
[55] X, 15.
[56] I, 43.
[57] De Rep., II, 22.
[58] Cheval. rom., I, p. 236-245.
[59] I, 43. — V. Belot, Cheval., I, p. 375, 376.
[60] XLIII, 16.
[61] Röm. Tribus, p. 97. Cf. Niebuhr, VI, p. 30, trad. Golbéry. Huschke, Verfass. des. Serv. Tull., p. 612, etc.
[62] Philipp., II, 33. — V. Becker, Alterth., II, III, p. 16.
[63] Belot, Cheval. rom., I, p. 231-272.
[64] De Rep., II, 22 : Equitum centuries cum sex suffragiis. — V. supra.
[65] Epochen der Verfassungs., p. 60.
[66] Alterth., II, 1, p. 249.
[67] Cheval. rom., I, p. 223-226.
[68] V. § 5.
[69] De Rep., IV, 2.
[70] Ibid., II, 22.
[71] Belot, Cheval. rom., I, p. 102-104. Cf. p. 388.
[72] Cheval. rom., I. p. 226-229.
[73] XXIV, 18. — Cf. XXV, 7 ; XXVII, 11.
[74] XXV, 6. Ceteros item ex reliquiis cladis ejus, quos tribunos militum habuimus, hongres petere et gerere et provincias obtinere audivimus ; an vobis vestrisque liberis ignoscitis facile, P. C., in hæc vilia capita sævire libet ?
[75] XXII, 53. — L. Cæcilius Metellus, l’auteur du complot, questeur en cette année 510 u. c. = 214, avait trouvé moyen de passer la même année de la questure au tribunat de la plèbe (M. Willems, Sénat, I, p. 290). Inviolable durant l’exercice de ces deux magistratures, il ne pouvait dans l’intervalle, qui du reste fut court (l. c.), être expédié en Sicile, lui magistrat désigné. Tout ce qu’on put faire, ce fut d’épuiser, en ce qui le concernait, toutes les ressources de la juridiction censoriale. Son exemple n’est donc pas à citer. Il en est autrement de Fabius, dont l’élection est placée par Tite-Live (XXIV, 43) postérieurement à la mesure prise par les censeurs et au sénatus-consulte qui en fut la suite et l’aggravation. Il ne semble pas, il est vrai, que Fabius ait trempé dans le complot. Il échappait donc à la dégradation, mais il devait être envoyé en Sicile avec ceux de ses compagnons d’armes qui s’étaient, comme lui, sauvés du champ de bataille. Là, il aurait continué de servir avec l’equus publicus comme ces primores equitum qui furent délégués à Marcellus par les légions déshonorées (T. L., XXV, 6), puis il aurait été avec eux réduit à l’equus privatus par un redoublement de sévérité de la part des censeurs de 545 u. c. = 209 (T.-L., XXVII, 11). Terentius Varro, qui fut prorogé chaque année dans son commandement (T. L., XXV, 6), aurait dû, en toute justice, avoir le même sort. Quant à L. Cornelius Scipio, qui déjoua les projets de Metellus (T. L., XXII, 53), il est naturel qu’on l’ait épargné.
[76] V. Belot, Cheval. rom., I, p. 154-174 et 211-216.
[77] Ibid., p. 175, etc.
[78] T. L., XXV, 37 : L. Martius Septimi filius, eques romanus, impiger juvenis, animique et ingenii aliquanto quam pro fortuna, in qua erat natus, majoris, ad summam indolem accesserat Cn. Scipionis disciplina, sub qua, per tot annos, omnis militim artis edoctus fuerat. L. Martius était un chevalier equo publico de condition médiocre. Eques romanus n’a pas d’autre sens dans Tite-Live (XXII, 14, 49 ; XXXIX, 31 etc.). Quand il veut parler de la cavalerie légionnaire, il dit : Equites tout court ou quelquefois equites legionarii (XXXV, 5 ; XL, 40). Or, L. Martius avait servi sub Cn. Scipionis disciplina, c’est-à-dire à l’école de Scipion, sous ses yeux, dans son entourage. — On peut se demander pourquoi ce titre de eques romanus, restreint aux chevaliers equo publico, comme si les cavaliers légionnaires n’étaient pas également romains. Il vient sans doute de l’époque où l’armée romaine n’avait pas d’autre cavalerie que la cavalerie equo publico. C’étaient les cavaliers romains, par opposition au contingent des alliés. Le nom leur en est resté. Cicéron fait de L. Martius un primipile (Pro Balb., 15) ; Valère Maxime un tribun légionnaire (II, VII, 15). Mais Cicéron, dans le discours où il cite le fait en passant, n’était pas tenu à une grande exactitude ; et quant à Valère Maxime, que vaut son témoignage auprès de celui de Tite-Live 7 D’ailleurs les tribuns légionnaires étaient des chevaliers equo publico.
[79] Marquardt, Staateverw., II, p. 355.
[80] Cheval. rom., I, p. 215, 216.
[81] Polybe (VI, 31) fait camper des deux côtés du prétoire quelques-uns de ceux qui servaient volontairement pour faire plaisir aux consuls. — Il les appelle volontaires, non qu’ils fussent dispensés du service, mais parce que, dans la liberté laissée à leur choix, ils s’attachaient de préférence à la personne de tel ou tel consul. Au reste, il pouvait y avoir parmi eux de vrais volontaires, comme ces sénateurs qui se firent tuer à Cannes (T. L., XXII, 49). Polybe dit τίνες, parce que les autres exerçaient des commandements.
[82] T. L., XLII, 61.
[83] Belot, l. c.
[84] Cheval. rom., I, p. 154-174.
[85] VI, 9 ; XXII, 11 ; XXIII, 44, 25, 31 ; XXIV, 44 ; XXV, 3, 5 ; XXVI, 28 ; XXVII, 3, 7, 8, etc. V. tous les textes réunis par M. Steinwender, Die legiones urbanæ, Philologus, XXXIX, p. 527-540.
[86] V. 2e partie, chap. II, § 6.
[87] P. 153.
[88] V. 1re partie, ch. III, § 1.
[89] VI, 20.
[90] IV, 45.
[91] 46.
[92] P. 159.
[93] 45 : Æquorum jam velût anniversariis armis assueverat civitas.
[94] XXII, 11.
[95] Marquardt, Staateverw., II, p. 374 et notes.
[96] III, 88. Il diffère de Tite-Live en ce qu’il mentionne quatre légions. V. Weissenborn.
[97] V. Willems, Droit public, p. 96. — Sur le grand nombre d’affranchis qui habitaient Rome, v. un texte significatif de Tite-Live, IX, 46. Le censeur Ap. Claudius cherche son point d’appui dans la ville petierat opes urbanas, en faisant la cour aux affranchis. Déjà cent cinquante ans plus tôt, les clients forment la majorité dans l’assemblée curiate (T. L., II, 56. Cf. Denys, IX, 41). Or, on verra que l’assemblée curiate est une assemblée essentiellement urbaine (2e partie, ch. II, 1 5 et 6). C’est la proportion toujours plus forte des affranchis dans les tribus urbaines qui a fini par déconsidérer celles-ci. Elle explique un passage de Tite-Live dont il est nécessaire de dire un mot, car il pourrait prêter à quelque méprise. Le sénat avait à décider ce que l’on ferait du butin de Véies. App. Claudius propose de l’employer au paiement de la solde, de manière à alléger les charges de la plèbe : Ejus enim doni societatem sensuras æqualiter omnium domos, non avidas in direptiones manus otiosorum urbanorum prærepturas fortium bellatorum præmis esse (V, 20). M. Weissenborn croit que Tite-Live commet un anachronisme en opposant, comme cela se pouvait de son temps, les citadins de Rome, dispensés du service militaire, aux soldats qui se battaient sur la frontière. Pour nous, nous croirions plutôt qu’il fait allusion aux affranchis qui n’avaient point le jus militis. La phrase ainsi interprétée répondrait à quelque chose de réel, sinon pour le temps où elle se place dans Tite-Live, au moins pour les siècles suivants. De toute façon, on voit que la qualification otiosi urbani n’ajoute aucun argument nouveau à la théorie que nous combattons. On se demandera, si les affranchis étaient relégués dans les tribus urbaines, comment ces tribus pouvaient concourir au même titre que les autres à la formation des légions. C’est une des nombreuses difficultés que laisse à résoudre le chapitre bien connu de Polybe. On peut s’en tirer de la manière que voici. D’abord, rien ne dit que les tribus urbaines n’aient pas compté aussi des citoyens de naissance libre. En second lieu, Polybe ne dit point que chaque tribu fait appelée à fournir un nombre égal de soldats. Cette égalité est été parfaitement injuste, puisque les tribus pouvaient ne pas contenir un nombre égal de citoyens. Il est probable que le contingent de chacune était calculé d’avance par rapport à la population. Pour évaluer celui des tribus urbaines, on ne tenait compte que des ingénus. Ainsi, pour les unes comme pour les autres, la proportion était la même.
[98] IX, 5.
[99] V. 2e partie, ch. I, § 1 et 2.
[100] V. Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 745, n. 3.
[101] IX, 13.
[102] IX, 5.
[103] VII, 25 : Undique, non urbana tantum, sed etiam agresti juventute.....
[104] Il nous suffit d’avoir mis en lumière ce point. Sur le rôle et la composition des légions urbaines, v. le travail de M. Steinwender, Die legiones urbanæ, Philologus, XXXIX, p. 527-540.
[105] Marquardt, Staatsverw., II, p. 337, 338.
[106] Belot, Cheval. rom., I, p. 100, 101.
[107] L. c.
[108] Marquardt, l. c.
[109] VI, 20.
[110] Belot, Cheval. rom., I, p. 179.
[111] Belot, Cheval. rom., I, p. 140, 141.
[112] I, 43.
[113] II, 43.
[114] Cheval. rom., I, p. 172.
[115] L. c.
[116] I, 43.
[117] II, 1.
[118] C’est l’interprétation de M. Fustel, Cité antique, l. IV, c. 56.
[119] T. L., III, 27.
[120] Denys, VI, 44. Belot, Cheval. rom., I, p. 173.
[121] T. L., XXIX, 37.
[122] Id., IV, 24.
[123] Pseudo-Ascon., in divinat. Orelli, 103.
[124] T. L., XLII, 10.
[125] V. les exemples cités par Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 664, n. 1.
[126] Willems, Droit public, p. 58.
[127] T. L., V, 7. V. Belot, Cheval. rom., I, p. 175, etc.
[128] Ibid., p. 158.
[129] Loi Villia annalis, 574 U. C. = 180.
[130] Tite-Live parle de quatre-vingts sénateurs tués à Cannes : cum sua voluntate milites in legionibus facti essent (XXII, 49). Ces mots semblent dire qu’ils servaient comme simples fantassins, ou, tout au plus, comme simples cavaliers dans les légions. Sans doute ils avaient voulu donner, en raison des circonstances, un plus grand exemple d’abnégation. Mais quand elles étaient moins graves, il est probable que les sénateurs qui partaient comme volontaires ne sortaient pas de l’état-major des chevaliers equo publico.
[131] T. L., XXVI, 36.
[132] IX, 46.
[133] ... ita ut anulos sibi quisque et conjugi et liberis... ; argenti, qui curuli sella sederunt, qui ornamenta deferamus.
[134] XXIX, 37 : Et ambo forte censores equum publicum habebant.
[135] II, IX, 6.
[136] Cheval. rom., I, p. 213.
[137] XXXIX, 44.
[138] De Rep., IV, 2.
[139] Opuscul. academ., I, p. _72-87. Cf. Die Verfassung und Vetw. des Röm., Staates, I, p. 159-161. — Cf. Marquardt, Hist. eq. rom., p. 22. Zumpt., Ueber die römischen Ritter., p. 21-24. Belot, Cheval. rom., I, p. 212-214.
[140] Cf. De amicis., 12 : Videre jam videor populum a senatu disjunctum.
[141] Belot, l. c.
[142] Madvig, Verfass. und Verw., p. 159.
[143] T. L., XXVII, 11.
[144] XXXIX, 19.
[145] Cat. apud Prisc., p. 318, 319, édit. Keil., vol. I, fasc. 2. — V. Belot, Cheval. rom., I, p. 388.
[146] Suét., Aug., 38.
[147] L’æs hordearium était renouvelé tous les ans (T. L., I, 43). On ne sait pas si l’æs equestre l’était, lorsque le cheval était mis hors de service. M. Madvig pense que non. Verfass., und Verw., I, p. 160.
[148] C’est M. Madvig qui, dans son récent ouvrage, Die Verfassung und Verwaltung de Römischen Staates, I, p. 161, lit equo publico. Dans son édition de Tite-Live (V. aussi Weissenborn), il lit simplement equo. Si cette dernière leçon est la vraie, il s’agit du service dans la cavalerie légionnaire.
[149] Atque ex iis qui principio ejus belli septemdecim annos nati fuerant neque militaverant.
[150] Belot, Cheval. rom., I, p. 191.
[151] V. notre thèse latine : De decretis functorum magistratuum ornamentis, etc.
[152] V. Becker, Alterth., I, II, p. 267, 268, T. L., 7, 12 ; XXIV, 18 ; XXVII, Il ; XXXIX, 9. V. les notes de Weissenborn.
[153] Polybe, VI, 39.
[154] Cheval. rom., I, p. 148, 149.
[155] De Orat., II, 67.
[156] Serait-ce une allusion aux légationes liberæ ? — V. Willems, Sénat, I, p. 149.
[157] De petit. cons., 8.
[158] Id., 5.
[159] Pomp., 22. — V. aussi Horace, Ad Pis., 341.
[160] Suet., Aug., 38.
[161] Belot, Cheval. rom., I, p. 378, n. 1 ; II, p. 320-323. — Cf. Willems, Droit public, p. 58.
[162] T. L., XXII, 11. — Ce point admis, la théorie exposée par M. Belot (III, p. 320-323) est très juste.
[163] Suet., l. c. — Il semble, d’après ce texte et quelques autres, qu’Auguste a réuni en une seule les deux cérémonies de la recognitio et de la transvectio. V. Belot, Cheval., I, p. 193, et II, p. 402.
[164] Ueber die römisch. Ritter, p. 25.
[165] Depuis 685 u. c. = 70 on n’avait pas fait le lustre. V. Borghesi, Op. IV, Sull’ ultima parte della serie de censori romani, et Mommsen, Res gestæ divi Augusti, p. 21-22.
[166] V. notre thèse latine, De decretis functorum magistratum ornamentis, etc.