I. — La plèbe. - D’une théorie nouvelle sur l’origine de la plèbe. - La plèbe ne dérive pas exclusivement de la clientèle. L’élévation des patres minorum gentium n’apporta à la constitution du Sénat aucun changement essentiel. Ce fut le démembrement de la gens qui inaugura un ordre nouveau. Cette révolution est de celles qui s’élaborent dans l’ombre et que l’histoire enregistre longtemps seulement après qu’elles sont accomplies. Aussi ne faut-il lui demander sur ce sujet que des indications tout à fait générales. A peine née, la société romaine se trouva jetée dans une crise. Entre le roi et la gens un conflit avait éclaté. Il était inévitable. En effet, la gens ne maintenait son indépendance qu’au détriment du pouvoir central, et ce pouvoir, s’il voulait s’affermir et s’étendre, était condamné à briser l’unité de la gens, et, par son unité, sa force. Pour cela, il avait un moyen : la guerre. Ce n’était pas pour rien que le patriciat honorait dans le pacifique Numa le modèle de toutes les vertus royales, tandis qu’il ne cachait pas ses rancunes contre les monarques belliqueux, Romulus, Tullus Hostilius, Tarquin le Superbe. Il sentait qu’ils avaient été les premiers artisans de sa ruine. Par la guerre, les droits du père sur les membres de la gens, du patron sur les clients étaient suspendus. Il n’y avait plus en présence qu’une armée et un chef, à qui revenait, avec le mérite de la victoire, le soin d’en partager les dépouilles. Ainsi la foule s’accoutumait à connaître une autre autorité que celle des patres. Elle apprenait à tourner ailleurs sa faveur, ses vœux, ses espérances. La guerre, quand elle était suivie de la conquête, avait des conséquences encore plus graves : elle introduisait dans la cité un élément étranger, la plèbe, dont la présence activait la dissolution du régime patricien. Mais la plèbe est-elle un élément étranger ? On le nie. La conquête, dans une théorie récemment proposée par M. Willems[1], n’a été pour rien dans la formation de la plèbe. Elle n’a eu d’autre résultat que d’augmenter le nombre des patriciens et des clients, car les vaincus, en changeant de patrie, ne changeaient pas de condition. Les familles patriciennes étaient incorporées dans le patriciat romain, et, quant à leurs clients, ils restaient à leur égard dans la même sujétion qu’autrefois. La plèbe dérive de la clientèle. Elle se composa d’abord des clients laissés libres par l’extinction de leur gens, puis des autres, quand les liens de la clientèle se relâchèrent. Il est vrai qu’à partir de la chute de la royauté, le patriciat étant devenu une caste fermée, l’octroi du droit de cité entraîna l’admission dans la plèbe et non plus dans le patriciat. Mais, comme Rome ne s’étendit guère durant le premier siècle de la république, les étrangers naturalisés ne représentèrent, durant cette période, qu’une infime portion de la plèbe. C’est seulement à partir du cinquième siècle de Rome que cet élément prit une importance prépondérante. Quelle est la valeur de cette théorie ? Précisons d’abord les termes de la question. On accordera volontiers que les premiers plébéiens ont été des clients tombés en déshérence. Le mouvement de décroissance du patriciat tenait à des causes économiques. Les guerres l’accélérèrent. Elles ne le déterminèrent point. Il n’attendit donc pas, pour se produire, que la royauté fait entrée dans la voie des conquêtes. D’autre part, il est très probable que beaucoup des clients livrés ainsi à eux-mêmes, au lieu de chercher de nouveaux patrons, préféraient l’indépendance, sous la protection du roi, leur appui naturel. Mais ce premier noyau n’a-t-il pas été renforcé à la suite des conquêtes de la royauté ? Ne convient-il pas de distinguer dès ce moment entre les plébéiens anciens clients et les plébéiens de race libre ? Voilà ce qu’il faut examiner. On ne prétendra pas non plus, après ce qui a été établi précédemment, que le patriciat n’ait pas reçu quelquefois des représentants des peuples vaincus. Sans admettre que toutes les gentes dont les cognomina étaient empruntés à des noms de villes fussent originaires de ces villes, on conviendra qu’il en était ainsi pour une ou deux que nous savons, et même pour d’autres peut-être que nous ne savons pas. D’ailleurs, le cas des gentes minores est connu. Celui des familles albaines ne l’est pas moins. Mais Tite-Live, qui rapporte l’introduction de ces dernières dans le patriciat romain, ne dit point que cette faveur ait été étendue au patriciat albain tout entier. Il laisse entendre plutôt qu’elle se restreignit à une élite[2]. Denys, qui annonce le même fait, mais qui se borne à l’annoncer, on se rappelle par quel calcul, ne s’exprime pas autrement que Tite-Live[3]. Les historiens racontent souvent que les vaincus étaient transportés à Rome[4]. Il est évident qu’il ne faut pas prendre cela à la lettre. Si cette mesure avait été générale, elle aurait eu pour effet d’affamer la ville en dépeuplant la campagne. Elle n’a pu s’appliquer qu’aux habitants des villes détruites auxquels Rome offrait l’abri et les ressources qu’ils ne trouvaient plus dans leur patrie. Les textes s’interprètent facilement dans ce sens. Si l’on en croit Denys, ces immigrés étaient inscrits dans les curies[5]. On en a voulu conclure qu’ils étaient classés, les uns parmi les patriciens, les autres parmi les clients. Mais le renseignement fourni par Denys est-il exact dès l’origine, ou ne l’est-il qu’à partir d’une certaine époque ? Les curies, de leur côté, ne recevaient-elles que des patriciens et des clients, ou bien se sont-elles, dès la période royale, ouvertes à des hommes étrangers & l’organisation patricienne ? Ce sont des questions sur lesquelles on reviendra. En attendant, il suffit d’appeler l’attention sur le point suivant. La plus célèbre de ces immigrations est celle qui vint se fixer sur le mont Aventin, au temps du roi Ancus Marcius[6]. Or, l’Aventin a été de bonne heure un lieu consacré à la plèbe. C’est là que, dès l’institution du tribunat, on éleva le grand sanctuaire plébéien, le temple de Cérès[7]. C’est là que les insurgés du mont Sacré tinrent leurs conciliabules[8]. C’est là qu’ils imposèrent leur traité de paix aux patriciens[9]. Bien qu’elle fût comprise dans l’enceinte fortifiée, cette hauteur était restée en dehors des quatre tribus urbaines et du pomerium, en dehors par conséquent de la ville du patriciat. Il semble qu’elle était comme un territoire neutre par où cette ville se mettait en communication avec l’extérieur. Nous avons dit que Servius y construisit le temple de Diane, où les peuples de la confédération latine reconnaissaient le centre de leur unité religieuse et politique. On conteste que l’Aventin ait été habité sous les rois. Au témoignage de Tite-Live (I, 33) et de Denys (III, 43), on oppose la loi du tribun Icilius, qui, en l’an 298 u. c. = 456, fit décréter la cession de l’Aventin à la plèbe[10]. Il résulterait de là que cette région formait encore, à la fin du troisième siècle de Rome, une portion du domaine public[11]. Denys lui-même ne craint pas de se contredire en ajoutant qu’elle était déserte et couverte de bois (X, 31). Si l’on considère que la loi Icilia était un des rares monuments échappés au désastre de l’occupation gauloise, que Denys en avait pu lire le texte gravé sur une stèle de bronze dans le temple de Diane (32), on sera bien près de faire incliner la tradition devant le fait ; mais un examen plus attentif démontre qu’il n’est pas impossible de les concilier. Denys ne dit pas que l’Aventin fût désert tout entier, mais simplement qu’il n’était pas peuplé dans toute son étendue (31 : ούχ άπας τότε ώκεΐτο). Et ce n’est pas une précaution pour rester d’accord avec lui-même, car dans les dispositions de la loi, telles qu’il les fait résumer devant le Sénat par Icilius, très probablement d’après le document original, il y en a une qui met à l’abri de toute mesure spoliatrice les propriétés privées (32). L’Aventin n’était donc pas uniquement une propriété de l’Etat. Le nom même est significatif. M. Jordan remarque que le mot Aventinus n’est autre qu’un adjectif (de Avens, Aventum ?) sous-entendant le mot pagus, comme Palatinus, Esquilinus[12]. On ne prétendra pas sans doute qu’il en est de l’Aventin comme du Quirinal, qu’il ne s’est pas appelé ainsi des le principe. Ce serait une hypothèse sans raison. Ce qui est vrai, c’est que l’établissement d’Ancus n’a pas été aussi considérable que les historiens sont portés à se le figurer. Mais ceci importe peu. Il suffit que l’Aventin ait été assigné par ce roi aux vaincus et qu’il soit devenu tout aussitôt le quartier, la citadelle et le sanctuaire de la plèbe. La conclusion de ce double fait ressort d’elle-même : ces vaincus étaient des plébéiens. Une preuve que le patricial n’était pas si empressé à accueillir les étrangers, c’est l’opposition qu’il fit à l’élévation des familles nouvelles par Tarquin l’Ancien. On répondra qu’en dépit de nos efforts l’origine de ces familles n’est pas suffisamment éclaircie, qu’elles pouvaient être formées d’anciens clients repoussés à ce titre, que d’ailleurs il s’agissait alors, non pas tant de créer des patriciens nouveaux que de bouleverser toute la constitution en créant trois tribus nouvelles à côté des anciennes. Mais un pareil projet aurait-il pu être conçu si les patriciens de Rome, renforcés de ceux des villes soumises, appuyés sur leurs clients et sur ceux de leurs nouveaux alliés, n’avaient eu en face d’eux que les clientèles des gentes disparues ? Cet élément était-il des lors assez puissant, la pression qu’il exerçait assez forte pour faire éclater les cadres des vieilles institutions ? Le même doute n’est plus permis si ces institutions étaient battues en brèche par le flot des populations voisines, par l’aristocratie des cités conquises jalouse de participer aux droits de l’aristocratie conquérante[13]. On pourrait ajouter que le nombre des gentes était limité, qu’il devait rester dans un rapport exact avec les autres divisions de la cité. Mais cette raison paraîtrait hypothétique. Elle est d’ailleurs superflue. Une observation plus simple peut en tenir lieu. Croire que la Rome patricienne reçoit dans son sein, sans réserve aucune, avec une entière égalité de droits, tous ceux qu’elle avait vaincus, qu’elle invitât les sénateurs de Tellène, de Fidènes, de Medullia, de Politorium, de Camerium, de Mugilla, de Carventum, etc., à prendre place dans son propre sénat ou à se présenter dans ses comices, soutenus par la foule de leurs clients, c’est la supposer non pas seulement au-dessus de toutes les idées, de tous les préjugés de l’antiquité, mais indifférente même à son salut, car une telle politique, pratiquée dans ces proportions, aboutissait, non pas à la fusion des vaincus et des vainqueurs, mais à l’absorption, à l’annulation des vainqueurs par les vaincus. On ne peut se faire une idée, même approximative, de l’importance des villes soumises. Elles étaient probablement loin d’égaler leur heureuse rivale. Toutefois, on ne se persuadera pas que leurs gentes réunies n’eussent pas opposé au patriciat romain un contrepoids menaçant. Mais Rome ne commettait pas de ces imprudences. Il est bien vrai qu’elle fut toujours, qu’elle était dès lors la moins exclusive des cités anciennes. On en a déjà fait la remarque, et il est à propos d’y revenir. C’est le trait propre de son génie, le secret de sa fortune, et elle en avait elle-même le vif sentiment, qu’elle traduisit plusieurs fois par la bouche de ses orateurs et de ses historiens. Mais la force d’expansion qui résidait en elle n’agissait jamais sans être contenue et modérée par une force contraire. L’histoire de l’élévation des gentes minores les montre toutes les deux à l’œuvre et en conflit dès les temps les plus reculés. Et toujours il en fut ainsi. Le patriciat, on peut le dire, fonda la tradition de la politique romaine. Alors qu’il était, non une caste, mais le corps même des citoyens, la cité, il tint ses rangs ouverts, non pas assez pour être envahi, assez néanmoins pour réparer ses pertes, pour récompenser les services, pour les provoquer, pour s’assurer des appuis solides là même où il ne pouvait trouver que l’impatience du joug et le ressentiment de la défaite. Les rois le poussaient dans cette voie, toutes les fois qu’il montrait quelque répugnance à y marcher. Puis, quand le cours des événements eut amené le patriciat à se resserrer sur lui-même, quand il fut devenu une aristocratie étroite et jalouse, et qu’à la cité patricienne eut succédé la cité plébéienne, la même politique fut reprise par cette dernière sous l’impulsion énergique des tribuns, et cela d’autant plus hardiment que la cité plébéienne n’avait pas, comme la patricienne, à se, défier des nouveaux venus. Plus les plébéiens étaient nombreux, plus ils étaient forts dans leur lutte contre l’oligarchie. Aussi voit-on que la formation de tribus nouvelles est toujours accompagnée d’une victoire de la plèbe[14]. C’est l’époque où le droit de cité fut octroyé par de grandes mesures collectives. Mais quand l’Etat fut pacifié, et qu’au lieu de voir dans les étrangers des alliés pour les aider à conquérir leurs droits, les Romains ne virent plus en eux que des intrus qui demandaient à les partager, les mêmes raisons qui avaient engagé les patriciens à se montrer moins prodigues se reproduisirent et entraînèrent les mêmes effets. On en revint au système des concessions partielles adroitement ménagées qui avait été celui du patriciat et qui fut pratiqué encore par les empereurs. Les conquêtes de la royauté furent, dit-on, perdues par la république. Ceci revient à dire, non pas que cette partie de la plèbe indépendante de la clientèle n’a pas existé, mais qu’elle a disparu durant le quatrième siècle av. J.-C. Encore faut-il ne pas tenir compte des étrangers transportés dans la ville. Assurément la révolution de 509 av. J.-C. détermina un arrêt et même un recul dans la marche de Rome vers la domination. La conséquence dut être que le nombre des plébéiens de race libre resta stationnaire, diminua même, jusqu’au temps où, par la prise de Véies, le mouvement en avant recommença pour ne plus s’arrêter. Mais ce nombre ne fut pas, réduit à rien, pas plus que Rome ne fut ramenée à son point de départ. Il n’est pas facile de fixer les limites de son territoire avant la période conquérante d’Ancus et de Tarquin. Quelques points cependant pourront en donner une idée. Les fosses Cluiliennes, qui marquaient la frontière du côté d’Albe, étaient à cinq milles sur la voie latine[15]. Le bois de Dea Dia, une des stations de la procession des Ambarvalia, était à la même distance sur la voie Campanienne[16]. Enfin, un sacrifice offert au dieu Terme, à la sixième pierre milliaire de la voie Laurentine, rappelait encore aux contemporains d’Auguste les humbles débuts de la grandeur romaine[17]. Les progrès sont sensibles au lendemain de la retraite sur le mont Sacré, lors de la formation des dix-sept tribus rustiques. Au N.-E., la tribu Crustumina, sur la rive gauche du Tibre, au delà de Fidènes[18], dépassait certainement la ville de Crustumerium, située à plus de vingt kilomètres de Rome[19]. Dans la direction de Tibur, la frontière semble rentrer un peu, car Gabies, à plus de dix-sept kilomètres sur la route de Préneste[20], figure encore parmi les villes indépendantes après la chute de Tarquin[21]. Mais, d’autre part, Collatia, à la même hauteur à peu près, entre Gabies et l’Anio[22], est soumise dans les derniers temps de la royauté[23], et depuis ne paraît pas avoir recouvré son indépendance[24]. Vers le S.-O., on a vu que l’ager Papirius et l’ager Pupinius, qui ont été les noyaux des deux tribus de ce nom, allaient jusque dans le voisinage de Tusculum, c’est-à-dire sans doute à vingt kilomètres[25]. A côté, Rome est maîtresse de Bovillæ, la patrie des Jules, et plus loin, à plus de vingt-trois kilomètres[26], du massif des monts Albains[27], où s’élève le temple de Jupiter Latiaris. En descendant le Tibre, elle s’étend jusqu’à Ostie à près de vingt-cinq kilomètres[28] et jusqu’au territoire de Laurentum à une distance égale[29]. C’est sur la rive droite de ce fleuve que la frontière romaine apparaît le moins nettement. Elle comprenait une bande assez étroite qui, partant des salines voisines d’Ostie, aboutissait, en traversant le Vatican, au territoire des Véies, lequel commençait très probablement au delà du Crémère, à huit ou dix kilomètres[30]. En résumé, si de Crustumerium, pris comme sommet d’un triangle, on tire une ligne droite de quarante-cinq kilomètres jusqu’au Nord d’Ostie, dans le sens de Fregenæ, une autre de quarante jusqu’au mont Albain, et qu’on les rejoigne à leur extrémité par une troisième de cinquante, on aura figuré assez exactement le domaine de la plèbe rustique dans la phase la plus aiguë de la lutte entre les deux ordres. Il n’est pas très vaste ; mais on n’oubliera pas que cette plaine, aujourd’hui stérile et déserte, a été une des plus riches et des plus peuplées de la vieille Italie. Pline ne compte pas dans le Latium moins de cinquante-trois peuples ou petits groupes politiques dont il ne restait plus, de son temps déjà, d’autre souvenir que le nom[31]. M. Willems remarque que tous les noms gentilices patriciens sont portés aussi par des plébéiens. Il en conclut que tous les noms plébéiens qui apparaissent avant les nouveaux accroissements de la cité, à partir de 354 u. c. = 400, sont en même temps patriciens ; en d’autres termes, que toutes les familles plébéiennes de cette période sont des familles clientes. Mais il s’agirait de justifier cette conclusion qui dépasse singulièrement les prémisses. Il ne sert de rien de montrer que tous les noms patriciens sont identiques à des noms plébéiens. Comment en serait-il autrement, s’il est vrai que tous les patriciens avaient leurs clients qui, même en se perdant dans la plèbe, gardèrent le nom de leurs anciens patrons ? Il faudrait prouver aussi que tous les noms plébéiens, tous ceux du moins qui sont mentionnés jusqu’à cette date de 354 u. c. = 400, sont identiques à des noms patriciens, et c’est ce que l’on ne fait pas. Sans doute, il n’est pas impossible, il est même assez probable que, parmi les familles plébéiennes mentionnées durant le premier siècle de la république, il s’en rencontre quelques-unes portant les noms de gentes à nous inconnues, soit qu’elles aient été éteintes prématurément, soit qu’elles n’aient joué aucun rôle dans l’histoire. Mais, quand on affirme qu’il en est ainsi pour toutes, on émet une conjecture qui n’est fondée sur rien. On n’a pas fait attention jusqu’à présent à une singularité très digne pourtant d’être observée. Les auteurs nomment avant les lois liciniennes (387 u. c. = 367) environ cinquante-neuf familles plébéiennes, savoir[32] les familles ; 1° Acutia ; 2° Albinia ; 3° Allia ; 4° Alliena[33] ? 5° Antestia ; 6° Apronia ; 7° Apuleia ; 8° Asellia[34] ; 9° Cæcilia ; 10° Cædicia ; 11° Calvia ; 12° Canuleia ; 13° Carvilia[35] ? 14° Considia ; 15° Curiatia ; 16° Decia ; 17° Duilia ; 18° Flavoleia[36] ? 19° Furnia ; 20° Genucia ; 21° Hortensia ; 22° Icilia ; 23° Junia ; 24° Julia ; 25° Laceria ; 26° Lætoria ; 27° Licinia ; 28° Mæcilia ; 29° Mælia ; 30° Mænia ; 31° Marcia ; 32° Menenia ; 33° Metilia ; 34° Minucia ; 35° Numitoria ; 36° Oppia ; 37° Pœtilia ; 38° Poblilia ; 39° Pompilia ; 40° Pomponia ; 41° Pontificia ; 42° Pupia ; 43° Raboleia ; 44° Scaptia ; 45° Sextia ; 46° Sextilia ; 47° Sicinia ou Siccia ?[37] ; 48° Silia ; 49° Spurilia ; 50° Statia ; 51° Tempania ; 52° Terentilia ; 53° Titia ; 54° Titinia ; 55° Trebonia ; 56° Verginia ; 57° Villia ; 58° Visellia, 59° Volscia. Quinze de ces familles ont leurs noms en italiques pour indiquer qu’ils leur sont communs avec des gentes patriciennes connues. Or, ces quinze familles fournissent, avant les lois liciniennes, trente-huit tribuns de la plèbe sur cent vingt-deux dont nous avons pu dresser la liste, deux édiles plébéiens sur cinq, et, en revanche, sur quatre questeurs et sur treize tribuns militaires à pouvoir consulaire plébéien, pas un[38]. Ne parlons pas des questeurs dont la série est trop courte, mais on n’ignore pas que celle des magistrats consulaires est au complet. Cependant ces familles avaient combattu au premier rang pour les droits de la plèbe, et elles n’étaient pas éteintes pour la plupart quand le tribunat consulaire devint en fait accessible à leur caste. Quelques-unes même, les Genucii, les Junii, etc., brillèrent longtemps après d’un vif éclat et se placèrent à la tête de la noblesse nouvelle. D’où vient que, s’étant trouvées à la peine, elles n’aient pas été à l’honneur ? Comment n’ont-elles pas pris possession, elles aussi, d’une dignité dont leurs efforts avaient contribué à faire la propriété de tous ? Quelle raison donner d’une exclusion trop souvent répétée pour n’être pas systématique ? M. Willems définit de la manière suivante la situation des fils d’affranchis dans le Sénat renouvelé par la loi Ovinia. En droit, ils avaient accès à toutes les magistratures ; mais en fait ils étaient écartés des plus hautes par les dédains de l’aristocratie : Les fastes des magistrats romains en offrent une preuve bien frappante. Il serait difficile de citer un fils d’affranchi nommé à une magistrature dépendant des comices centuriates, telle que la préture ou le consulat ; tandis que nous en rencontrons plus d’une fois parmi les magistrats élus dans les assemblées tributes, tels que les questeurs, les tribuns de la plèbe et même les édiles curules. On ne peut expliquer ce fait par des lois spéciales qui auraient permis aux fils d’affranchis de gérer certaines magistratures. Mais il provient de l’influence que le Sénat exerçait sur les comices électoraux centuriates et qu’il ne possédait pas sur les assemblées tributes[39]. Ces mêmes remarques, appliquées aux familles clientes pendant la lutte des deux ordres, rendront compte peut-être du fait qu’on vient de signaler. C’était un préjugé semblable qui les écartait du tribunat consulaire dont disposaient également les suffrages des comices centuriates. On comprend, en effet, que les patriciens, forcés de partager le pouvoir, aient mieux aimé y convier des plébéiens de race libre que des hommes dont le nom seul leur rappelait l’ancien servage et l’émancipation récente. Ce rapprochement, s’il est justifié, est une preuve de plus qu’il y a une distinction à faire entre les familles plébéiennes à nom patricien et les autres. II. — La population conquise principal élément de la plèbe. - Sa situation légale. - Des effets produits par l’apparition de la plèbe sur la constitution de la gens patricienne. Le démembrement de la gens. Si les patriciens des villes conquises n’étaient pas incorporés dans le patriciat romain, que devenaient-ils ? Il y avait encore un moyen pour les faire entrer dans la cité C’était de les réduire eux-mêmes à l’état de clients. Mais un pareil dessein était sujet à plus d’une difficulté. Infliger cette humiliation à des familles puissantes encore et fières, qui avaient dominé dans leur patrie et conservaient les souvenirs et les débris de leur grandeur passée, il n’y fallait pas songer. Restaient, il est vrai, Ies classes inférieures, qui n’avaient pour se défendre ni les mêmes ressources ni le même prestige. Il semble bien qu’un effort fut tenté pour étendre à leurs dépens la clientèle des gentes romaines. On a dit plus haut comment on s’y prit, non pas ouvertement ni par une mesure générale, seulement par une série de violences et d’usurpations qui, sans en avoir l’air, allaient au même but. Mais même réduite à ces proportions et ainsi dissimulée, l’entreprise ne réussit pas et ne pouvait réussir. Elle rencontrait un invincible obstacle dans l’opposition du roi. Comment, en effet, le roi aurait-il permis aux gentes un accroissement d’où elles eussent tiré une nouvelle force ? Cette force, il aimait mieux la revendiquer pour lui en substituant sa tutelle à celle du patriciat. Quand la royauté fut tombée et que le patriciat, redoublant de sévices contre la plèbe[40], se crut décidément le maître, il était trop tard. Au lieu du roi, il trouvait en face de lui les tribuns. Ni patriciens ni clients, les habitants des villes conquises tombèrent dans la condition où étaient les clients que la disparition de leur gens avait rejetés en dehors des cadres de la cité. Mais ils apportèrent à cette première partie de la plèbe, pauvre sans doute et méprisée, l’énergie, l’ambition, la confiance en elle-même, qui lui manquaient. Si les patriciens étaient restés fidèles à leurs principes, ils auraient refusé aux plébéiens le bénéfice d’une situation légale. Exclus du pacte religieux et, ce qui revenait au même, du pacte politique, ceux-ci auraient été dans l’organisme romain comme un corps à tout jamais réfractaire. En effet, c’était la religion patricienne qui présidait à tous les actes de la vie publique et privée et les rendait, par son intervention, légitimes et respectables. L’organisation de la propriété et de la famille avait été réglée par elle, aussi bien que celle du Sénat et des comices, en sorte que ceux qui lui étaient étrangers, non seulement n’entraient pas dans les comices et le Sénat, mais né pouvaient avoir, à strictement parler, ni famille ni propriété. Ainsi le voulait la logique ; mais la logique ne gouverne pas sans partage les affaires humaines. Une société ne se résigne pas à vivre avec l’anarchie en permanence dans son sein. N’accorder aux plébéiens ni les droits politiques ni les droits religieux était relativement aisé, mais les empêcher de se marier, d’adopter, de tester, de posséder, ou du moins n’attribuer à ces actes aucune valeur juridique, était une idée d’une réalisation plus difficile, surtout depuis que, les intérêts de l’Etat ayant exigé leur inscription sur les listes du cens et le rôle des légions, on ne pouvait leur dénier le titre de citoyens. On s’en tira par un compromis. On imagina, pour les différents actes de la vie civile, des formes soustraites à l’intervention des pouvoirs religieux et mises à la portée de ceux qui ne connaissaient pas ces pouvoirs. Le droit commença à se séculariser, et l’on entrevit la possibilité de fonder sur des principes nouveaux une association plus large que la communauté patricienne. Le mariage patricien était le mariage par confarreatio, sous la présidence du grand pontife, assisté du Flamen dialis et de dix témoins, lesquels représentaient les dix curies de la tribu du fiancé, ou les dix gentes de sa curie. A côté de ce mode exclusivement patricien et qui parait toujours être resté tel, on en trouve deux autres d’où la cérémonie religieuse de la confarreatio n’était pas absente, mais où elle n’avait qu’un caractère privé : c’est le mariage par coemptio et le mariage par usus. Le mariage par coemptio était, comme le nom le fait pressentir, une vente symbolique sous les formes ordinaires de la mancipatio, en présence de cinq témoins, dont le nombre rappelle l’organisation des classes, comme celui des témoins du mariage par confarreatio rappelle l’organisation des gentes et des curies. Le mariage par usus dérivait de la même conception. La femme y était acquise au mari, non plus par l’achat, mais par l’usage qui, au bout d’une année de possession ininterrompue, produisait des effets identiques. Ainsi l’acquisition des droits maritaux de la manus, inséparablement liés pour les patriciens à la cérémonie de la confarreatio, fut permise aux plébéiens d’une manière indirecte, mais également efficace. Il en fut de même pour l’adoption. C’était, dans la cité patricienne, un acte essentiellement religieux, opéré sous le contrôle du grand pontife avec l’assentiment du peuple convoqué par curies. Pour les plébéiens, d’autres formalités remplacèrent celles-là. Ce fut encore une vente fictive qui conféra à l’acte la va-leur qu’il ne pouvait emprunter à la sanction religieuse. Il était de principe que le père perdait définitivement sa puissance sur le fils qu’il avait vendu trois fois, sur la fille ou le petit-fils qu’il avait vendus une fois. Quand ce résultat était atteint par une mancipation ou par une série de mancipations trois fois répétées, il ne restait à l’adoptant qu’à faire valoir de prétendus droits de paternité, qui, devant le silence du père selon la nature, étaient reconnus comma fondés par le magistrat. Enfin, le même subterfuge rendit les plébéiens capables de tester. Au lieu de déclarer sa volonté devant les comices curiates présidés par le grand pontife, le testateur feignait de vendre son bien à celui qu’il avait choisi pour héritier. C’était le testamentum per æs et libram ; mais, avant peut-être qu’il ne fût institué, les plébéiens avaient pu bénéficier d’un mode de tester plus sommaire que les guerres fréquentes et imprévues avaient imposé aux patriciens : le testamentum in procinctu, dont la déclaration était faite devant le peuple sous les armes. Ainsi, le triple droit de se marier, d’adopter, de tester, tel qu’il était exercé par les plébéiens, tous les droits en un mot qui touchaient à l’organisation de la famille émanaient d’un droit unique, le droit de propriété. C’est assez dire que ce dernier était reconnu à la plèbe. Il l’était depuis l’origine. Les textes en font foi. Avant la retraite sur le mont Sacré, Tite-Live met en scène un plébéien très âgé, dépouillé du champ de son père et de son aïeul[41]. Sous la royauté, les plébéiens recevaient en toute propriété des portions du domaine public[42]. Enfin, dès Servius Tullius, ils étaient inscrits dans les classes, où ne figuraient que les assidui, les propriétaires fonciers. Beaucoup même étaient inscrits dans la première classe, à telle enseigne qu’on avait pu former avec eux douze centuries équestres équivalentes aux six patriciennes[43]. Mais le droit de propriété pour les plébéiens ne pouvait pas être assujetti aux mêmes règles que pour les patriciens. On a vu que, pour ces derniers, il était subordonné à ce grand intérêt : l’unité de la gens. Or, les plébéiens n’avaient pas la gens. Le fait leur a été si souvent reproché par leurs adversaires, et les modernes en ont tiré de telles conséquences, qu’il paraît inutile de le démontrer. Mais il faut s’entendre. Dire que les plébéiens n’avaient pas la gens parce qu’ils n’avaient pas les croyances dont la gens était sortie, c’est un paradoxe doublé d’une inconséquence. Car, non seulement ces croyances sont le patrimoine commun de la race, non le lot exclusif d’une élite, mais on est mal venu, quand on en a suivi la marche à travers tout le monde ancien, à les localiser tout à coup au sein de quelques aristocraties. La loi des Douze Tables, également applicable aux deux ordres, montre bien que le droit gentilice était connu des plébéiens comme des patriciens. D’ailleurs, beaucoup de familles plébéiennes avaient été patriciennes au temps de leur indépendance, et, de celles-là du moins, on doit convenir qu’elles avaient été constituées en gentes, à l’instar des gentes romaines. Ce qu’il faut dire, c’est que ce droit gentilice, commun aux deux ordres, n’était qu’une image affaiblie du droit gentilice patricien. On peut s’en convaincre en observant ce qui subsistait encore de ce dernier dans le patriciat. Tandis que les chefs de la plèbe apparaissent toujours à l’état de personnalités isolées, la gens patricienne, à l’époque même où l’on saisit en elle des preuves manifestes de décadence, se présente comme un groupe compacte et puissant dont les membres sont liés par des intérêts communs, par des droits et des devoirs réciproques. Les diverses familles qui la composent ont leurs assemblées générales et leurs lois propres. Elles ont leurs biens et leurs clients, qui appartiennent à la communauté. Rien de tel ne peut se constater chez la plèbe. La cause de cette différence est, dans les effets produits par la conquête. Elle ne s’était pas opérée sans des confiscations qui, en enrichissant le domaine public, avaient appauvri d’autant le patriciat des villes soumises. Si, comme il n’est pas douteux, le patriciat latin était constitué sur le même plan que le romain, on voit assez les ravages que ce grand bouleversement de la propriété avait dû faire dans son sein. Il eut pour premier résultat de précipiter un mouvement qui, sans doute, n’était pas particulier à Rome et n’attendait partout, pour arriver à terme, que des circonstances favorables. Il rompit les liens de la clientèle. Etablis sur ces terres mêmes dont l’Etat conquérant s’était adjugé nue partie, il était naturel que les clients se détachassent de patrons diminués dans leur fortune et leur prestige, et dont l’impuissance autorisait leur défection. Car un patron qui n’était plus capable de protéger ses clients n’était plus un patron. Mais les clients n’étaient pas seulement la force et le luxe de la gens, ils en étaient le lien. Ils en préservaient l’unité. Leur établissement exigeait un patrimoine commun administré par un chef. Leur affranchissement rendait ce patrimoine et cette administration inutiles. A cette cause de dissolution s’en ajoutaient d’autres : la suppression des sénats locaux, la destruction des centres politiques, remplacés par des chefs-lieux de districts, des papi dénués de toute vie propre et ne relevant que de Rome. Ainsi, les raisons qui avaient maintenu l’unité de la gens ayant perdu beaucoup de leur puissance, les affections, les droits naturels si longtemps comprimés l’emportèrent enfin, et leur expansion fut d’autant plus rapide qu’ils n’avaient pas à compter avec l’intervention et l’opposition de l’Etat. L’Etat, c’était le patriciat de Rome. Or, on peut croire qu’il ne faisait rien pour retenir ces forces qui se désagrégeaient. L’eût-il voulu qu’il ne l’eût pas pu, car les moyens d’action que la religion lui mettait entra les mains n’étaient applicables qu’à lui-même ; mais il ne le voulait pas. S’il avait refusé de s’incorporer les gentes des peuples vaincus, ce n’avait pas été sans doute pour les laisser debout en dehors de lui, comme autant de points de ralliement offerts aux efforts vers l’indépendance. B applaudissait donc, il poussait peut-être à une transformation qui devait assurer son empire, et dont les conséquences, désastreuses pour lui, lui échappaient. C’est alors que se forma dans la plèbe une conception de la gens, qui n’est plus que l’ombre de la conception primitive. Il ne fut plus question de patrimoines indivis et inaliénables. Les entraves qui pesaient sur la propriété foncière furent levées. On put la vendre, la partager par lots égaux, après la mort du père, entre les enfants du défunt. Ainsi la gens se morcela en familles, en stirpes indépendantes qui ne furent plus reliées que par la communauté du culte. Elle ne subsista plus que par là et par l’aptitude des gentiles à hériter à défaut des agnats, lorsqu’une de ces familles venait à s’éteindre. Il y a lieu de croire que cette distinction, introduite entre les gentiles et les agnats et correspondant à la distinction nouvelle entre la gens et la famille, la stirps, exprima et résuma les changements accomplis[44]. On a eu tort de prendre à la lettre certaines exagérations oratoires que les historiens, qui les répètent, ont eux-mêmes réfutées[45]. Ce qui fait que ces textes, souvent cités, ont été souvent mal compris, c’est qu’ils se rapportent moins à une réalité présente et même passée qu’à une sorte d’idéal relégué dans un lointain presque fabuleux, et d’autant plus cher aux imaginations patriciennes. Quand, par exemple, les patriciens faisaient aux plébéiens cet outrage de ne voir dans leurs unions qu’une promiscuité bestiale[46], c’est qu’ils affectaient de ne tenir pour légitime que le mariage par confarreatio, comme si eux-mêmes ils n’avaient pas reconnu une valeur égale au mariage par coemptio ou par usus, comme s’ils ne le pratiquaient pas de plus en plus pour leur propre compte, comme si les mêmes rites n’y étaient pas observés, avec cette seule différence que les pontifes n’intervenaient pas de leur personne, comme si les pontifes enfin, tout en s’abstenant, n’avaient pas fini par attribuer aux deux actes les mêmes effets religieux[47]. Quand, en l’an 300 avant J.-C., ils contestaient aux plébéiens le droit de prendre les auspices[48], ils n’ignoraient pas sans doute que, depuis près d’un siècle, ceux-ci fournissaient des magistrats en possession de ce droit, mais ils fermaient volontairement les yeux à la lumière pour s’enfermer dans la contemplation exclusive de leurs principes. Encore prenaient-ils soin de jouer sur les mots en ne distinguant pas entre les auspices publics et les auspices privés. Quand, dans la même circonstance, ils revendiquaient pour eux seuls l’honneur de connaître la gens[49], ils persistaient dans leur équivoque, ne tenant compte ni de la différence des temps, ni de la diversité des idées qui s’abritaient sous le couvert de ce mot unique, confondant la gentilité civile que la loi établissait pour tous les ingénus avec la gens patricienne, oubliant ou feignant d’oublier que cette dernière n’existait plus qu’à l’état de souvenir, qu’elle avait perdu depuis longtemps ses droits religieux et politiques, son organisation puissante, son unité, qu’elle avait cessé d’être un tout dans l’Etat, qu’à part quelques traits de plus en plus confus, et qui allaient s’effaçant tous les jours, à part le prestige qui lui restait de sa grandeur disparue, elle ne différait guère de la gens plébéienne. Tels étaient les déclamations et les sophismes par lesquels le patriciat cherchait à se faire illusion sur sa défaite. Ils ne trompaient ni lui ni les autres. L’histoire non plus ne doit pas en être dupe. On se figure ordinairement que le droit gentilice, celui dont on trouve la théorie dans les jurisconsultes, fut emprunté par les plébéiens aux patriciens après qu’il s’était développé chez ces derniers. Il semble que le contraire est le vrai. Ce n’est pas la plèbe qui a emprunté au patriciat sa théorie de la gens. C’est elle plutôt qui, par un juste retour, a fini par lui imposer la sienne. Le patriciat romain, dans un intérêt de domination, avait brisé ou laissé se briser les gentes voisines, mais, en poursuivant leur ruine, il avait préparé sa chute de ses propres mains. Le spectacle de cette société, dégagée des servitudes qui arrêtaient le développement de la société patricienne, fut contagieux. Le vieux système n’y résista pas. On ne voit pas bien comment se fit la transition, mais on soupçonne qu’elle eut son point de départ dans le contact qui s’opéra entre les deux formes de propriété. Ce n’était pas seulement la coutume, le mos majorum, qui empêchait le morcellement de la gens. Il y avait encore, on s’en souvient, des raisons matérielles. La nécessité de pourvoir à l’établissement et au développement d’une nombreuse clientèle avait réduit à fort peu de chose, à deux jugères, la part des patricii, des membres de la gens placés sous l’autorité du pater. Obligés de chercher leur subsistance sur le patrimoine commun, l’ambition de fonder une famille avec leur maigre héritage leur était interdite. Mais les conditions de la vie devinrent moins étroites quand le territoire romain se fut étendu par la conquête. Les terres dont l’Etat s’était emparé étaient ou distribuées gratis, ou vendues, ou mises en adjudication moyennant une redevance ; mais, dans le troisième cas comme dans les deux premiers, un peu plus tôt, un peu plus tard, elles finissaient par se transformer en ager privatus. Les patriciens qui les détenaient y trouvaient des ressources indépendantes de leurs gentes respectives. Or, ces terres étaient en dehors du domaine primitif de la gens ; elles étaient attribuées, non à la communauté, mais à des individus. Il n’y avait pas de motif pour qu’elles ne fussent pas soumises au même régime que les propriétés plébéiennes qui les enclavaient et dont elles étaient détachées. Ainsi se formèrent, au sein de la gens, des familles dont les surnoms, dérivés de noms de localités voisines de Rome, nous indiquent, non pas le lieu d’origine ni même le domicile, mais les propriétés. En même temps, par une réaction inévitable, le patrimoine de la gens devenait, lui aussi, au sens nouveau, la propriété d’une ou de plusieurs familles. La distinction dont nous avons parlé entre les gentiles et les agnats ne fut peut-être pas étrangère à ce résultat. Les gentiles, c’est-à-dire les agnats du deuxième degré, les membres de la gens, héritaient à défaut des agnats, c’est-à-dire des membres de la branche. Par conséquent, la branche ou les branches demeurées sur le domaine patrimonial de la, gens n’avaient de droits sur les biens de la branche détachée qu’autant qu’ils étaient tombés en déshérence. Au contraire, si l’on s’en tenait à l’ancien système, ces dernières avaient sur ce domaine des droits équivalents à ceux des branches qui l’occupaient : elles pouvaient y revendiquer une part des revenus avec les deux arpents attribués à chacun de leurs membres, tandis qu’elles n’avaient de leur côté à accorder rien de semblable sur les terres d’acquêt qui leur étaient assignées en toute propriété. Une si criante inégalité ne pouvait durer. Pour y mettre fin, le seul moyen était de placer le domaine gentilice et les membres qui l’occupaient dans les conditions communes, d’y créer des familles comme celles qui s’étaient formées au dehors, en d’autres termes, de partager le domaine gentilice en biens purement familiaux, aliénables et divisibles, conformément aux règles nouvelles de la propriété. Cette révolution n’eût pas été possible sans une autre qui, après s’être accomplie au soin des gentes soumises, se poursuivait maintenant au sein des gentes romaines et y produisait des effets identiques. Il s’agit de l’émancipation des clients à laquelle tout concourait à la fois, les réformes financières et militaires de Servius, le développement du commerce avec la formation de la richesse mobilière pour conséquence, les changements même apportés à la constitution de la propriété, car de cet événement on peut dire qu’il était à la fois cause et effet ; enfin la prescription, qui finissait par envahir des obligations depuis si longtemps contractées. Ce n’est pas que la clientèle ait disparu. Elle persista sous une autre forme. Nous connaissons des clients qui ne portent plus le nom de la gens dont ils relèvent. Par exemple les Marii, qui sont clients des Herennii[50]. Cette diversité de noms est le signe irrécusable d’une dépendance moins étroite, fondée probablement sur des obligations purement morales, sans concession d’une part ni redevance de l’autre. D’ailleurs, les Herennii sont des plébéiens comme les Marii. Cela suffit pour attester que cette forme de la clientèle était très différente de l’ancienne, et parfaitement compatible avec les institutions de la société romaine renouvelée. L’emploi de plus en plus répandu des modes civils de la mancipatio nous montre que l’assimilation entre les deux sociétés patricienne et plébéienne devient à peu près complète. Sans doute on n’est pas autorisé à dire que l’unité de la gens fût attachée aux formalités du mariage par confarreatio, à celles de l’adrogation et du testament devant les comices curiates. On peut affirmer néanmoins que ce fut un grand pas de fait quand on eut soustrait ces actes à la surveillance des autorités religieuses patriciennes, les plus intéressées à maintenir l’ancien ordre de choses. Cette observation s’applique surtout au testament. Tacite parle bien quelque part des difficultés qui avaient fait abandonner la confarreatio par les patriciens[51], mais il s’agit manifestement de difficultés matérielles. Ce devait être, en effet, une chose assez compliquée de mettre en mouvement le personnel nécessaire pour cette cérémonie. Des raisons de même nature avaient fait remplacer l’adrogatio par l’adoptio, au moins en ce qui concerne les personnes alieni juris. Mais, en ce qui touche le testament, on peut se demander s’il n’y avait pas quelque chose de plus, si la liberté de tester ne fut pas plus large et plus sure quand elle n’eut plus à compter avec des pouvoirs qui n’avaient pas secoué entièrement le joug des, vieilles traditions. Il est vrai que le rôle des curies finit par se borner à une approbation de pure forme ; mais il n’en avait pas toujours été ainsi, et l’on ignore même à partir de quand il en fut ainsi[52]. Nous pouvons donc nous placer à l’époque où leur intervention était sérieuse, et où une dérogation aux lois anciennes de la succession, une répartition égale entre les héritiers naturels, par exemple, contrairement aux règles qui avaient été si longtemps en vigueur dans la gens, n’était pas admise sans peine. Du reste, à l’époque même où elles ne se réunissaient plus que deux fois l’an[53] pour approuver en bloc et les yeux fermés les testaments qui leur étaient soumis, cette approbation devait être provoquée par le grand pontife, demeuré le juge souverain en ces matières. Or, le grand pontife n’était pas seulement patricien. Il était le chef de la communauté spirituelle formée par le patriciat et qui, durant des siècles, avait été la cité, plus attaché qu’un autre par conséquent aux principes sur lesquels la cité patricienne avait été fondée et avait vécu. On pouvait craindre de sa part bien des résistances ouvertes ou Cachées. Heureusement son rôle était singulièrement réduit en présence du testament per æs et libram. Il aurait pu être nul, par rapport aux plébéiens, si le collège pontifical, toujours habile, à maintenir son influence à travers toutes les transformations sociales, n’avait étendu sa sollicitude sur les cultes héréditaires des familles plébéiennes. Mais, puisqu’il consentait ainsi à élargir le cercle de son action, il ne lui restait plus qu’à faire appel aux ressources de sa casuistique pour mettre ses principes en accord avec ceux du droit civil réformé[54]. III. — Des effets produits par le démembrement de la gens patricienne sur la constitution du Sénat. - De l’extension donnée au sens du mot patres et de l’apparition de la formule Patres Conscripti. - La lectio de 245 u. c. = 509 et l’admission des juniores et des filii familias. - Les juniores et les seniores patrum. - De l’importance nouvelle de la lectio senatus. Il est évident que de tels changements n’ont pu s’accomplir en un jour ni partout de la même manière et en même temps, qu’ils ne sont pas arrivés à bonne fin sans de puissants efforts et sans une opposition énergique, qu’ils sont entrés dans les mœurs avant d’entrer dans les lois, et qu’une fois entrés dans les lois ils ont eu besoin encore de bien des années pour passer entièrement dans les mœurs ; mais, s’il est relativement facile de discerner les causes générales de ce mouvement et d’en deviner la marche, on ne peut se flatter de le suivre par le détail depuis le point initial, dans la deuxième période de la royauté, jusqu’à son terme, assez avant dans l’histoire de la république. Par quelles luttes intestines, sourdes ou violentes, par quelles altérations successives, par quelle décomposition lente ce grand corps de la gens patricienne s’est-il affaibli et démembré de telle sorte que l’historien, en voyant ce qu’il est devenu, peut à peine se figurer ce qu’il a été ? Dans quelle mesure, et par quelle série de concessions plus ou moins habilement ménagées, le droit, tout pénétré de l’esprit patricien, fixé et interprété par les collèges sacerdotaux, s’est-il plié peu à peu aux nécessités nouvelles ? Quelle part leur a été faite, par exemple, dans cette ébauche de législation connue sous le nom de droit papirien et qui précéda et prépara l’œuvre des décemvirs[55] ? Enfin, quelle a été, même après la législation décemvirale, la répugnance de certaines gentes à subir le niveau commun, et par quels moyens a-t-elle pu se traduire dans les faits ? Nous ne le saurons jamais au juste. C’est tout au plus si l’on peut entrevoir quelques lueurs dans cette nuit. Il semble que le souvenir ne s’est pas tout à fait perdu du moment où le contrecoup de cette révolution se fit sentir dans le Sénat. Ce fut à l’apparition de la formule Patres Conscripti, qui, pour la plupart, n’est pas contemporaine de la création de cette assemblée. Denys est le seul qui la fasse remonter jusque-là[56] ; mais il est contredit par Tite-Live (II, 1), par Festus (p. 254), par Plutarque[57]. Il est vrai que les deux premiers ne sont pas d’accord avec le troisième sur la date, ou, du moins, celle qu’ils proposent n’est ni acceptée ni contestée de Plutarque qui n’en donne aucune. Il est vrai encore qu’ils se trompent sur le sens de la formule, en disjoignant les deux mots pour attribuer le titre de patres aux seuls sénateurs patriciens et la qualification de Conscripti aux plébéiens[58]. Mais leur erreur sur ce point et sur l’autre n’en implique pas nécessairement une sur le reste, d’autant plus que la tradition à laquelle ils se rattachent est la plus vraisemblable, la plus conforme à la nature des choses. M. Willems démontre fort bien que les deux mots Patres Conscripti ne veulent rien dire de plus que Patres inscrits ensemble sur la liste du Sénat. Il oublie seulement de remarquer que cette détermination du mot Patres était superflue pour le temps où tous les Patres, tous les chefs de gentes figuraient sur cette liste. Elle ne devint utile et indispensable que lorsqu’on en laissa dehors un certain nombre, c’est-à-dire lorsque le nombre des patres dépassa celui qui avait été fixé pour les sénateurs. Or, ce fait ne put se produire par la multiplication des gentes, puisqu’il est avéré que les gentes ne cessèrent de décroître[59]. Il ne peut donc s’expliquer que par le démembrement de la gens, quand elle se scinda en plusieurs familles, ayant chacune leur père et leur chef. Tite-Live (II, 1) et Festus (p. 254) font dater cette formule de la première année de la république. Cette opinion se rattache à une autre, d’après laquelle les consuls de cette année auraient introduit au Sénat des plébéiens. M. Willems prouve qu’il n’en est rien, et qu’il ne s’agit, dans cette circonstance, ni de plébéiens entrés au Sénat en cette qualité, ni même de plébéiens élevés au patriciat[60]. On est donc amené à rechercher si les sénateurs en question ne seraient point ces patres d’un nouveau genre admis pour suppléer au petit nombre des autres. Mais ici encore, on ne peut mieux faire que de suivre la théorie de M. Willems. Pour ce savant, les sénateurs de la promotion de Brutus et de Valerius, choisis parmi les membres patriciens des centuries équestres, primoribus equestris grades lectis[61], ne sont autres que des juniores admis pour la première fois dans le conseil des Patres seniores, appelé, en raison même de cette composition, le Sénat. Cette mesure fut une conséquence de l’institution du consulat, dans les formes qui durèrent jusqu’aux lois, annales, car, aucune condition d’âge n’ayant été établie pour la dignité de consul, il devenait illogique d’en maintenir une pour celle de sénateur. On voit par là combien la dissolution du Sénat primitif était déjà avancée au lendemain de la chute des Tarquins. En effet, le consulat, et, par suite, le Sénat, ayant été ouvert aux juniores, le fut à tous les fils de famille, qui, dans cette classe comprenant tous les hommes de dix-sept à quarante-cinq ans, ne pouvaient manquer de former la majorité. Du moins, eu fait, rien n’indique que la réforme ait exclu les juniores in patria potestate. Au contraire, des le quatrième siècle de Rome, on constate que rien n’empêchait le père et le fils de siéger ensemble dans le Sénat, et même d’exercer alternativement et sans doute aussi simultanément les plus hautes magistratures. On ne citera pas l’exemple de P. Licinius Calvus, tribun consulaire en 354 u. c. = 400, interrogé en 358 u. c. = 396 par son fils, investi cette année de la même charge[62]. Il est justement suspect[63]. Mais, une vingtaine d’années plus tôt, C. Servilius, tribun consulaire en 336 u. c. = 418, se résigne, sur l’injonction de son père Quintus, ancien dictateur de l’an 319 u. c. = 435, à garder pour lui le gouvernement de la ville, laissant à ses collègues la mission plus brillante d’aller combattre l’ennemi au dehors, puis, quand ceux-ci ont compromis l’armée par leurs discordes, c’est lui qui crée son père dictateur pour la seconde fois[64]. Il ne faut pas se méprendre sur l’intervention de Q. Servilius. Elle était purement morale, car l’indépendance du fils de famille dans les fonctions publiques était la condition sine qua non de son aptitude à les exercer[65]. C’est donc à partir de la fondation de la république que le principe Filius familias in publicis causis loco patris familias habetur[66] entra en vigueur, et que lé titre de Patres perdit son sens propre et originel pour désigner tous les sénateurs indistinctement, qu’ils fussent pères de famille ou non. On voudrait savoir comment ce peuple, qui se faisait une si haute idée de la puissance paternelle, fut conduit à lui porter cette atteinte. Peut-être est-ce le lieu de rappeler une fois de plus ce grand fait qui, pour n’avoir assez frappé ni les anciens ni les modernes, n’en domine pas moins l’histoire des premiers siècles de Rome et se trouve confirmé en quelque sorte à chaque pas que l’ou tente pour la mieux pénétrer : nous voulons parler de l’extinction graduelle des gentes patriciennes. Sous le coup de ces pertes tous les jours plus sensibles et désormais irréparables, on a pu songer à assurer de cette manière, en l’élargissant, le recrutement du Sénat. Ainsi les historiens, bien qu’ils se trompent sur le véritable caractère de la lectio de 245 u. c. = 509, n’ont pas eu tort de dire qu’elle eut pour objet de remédier à l’épuisement du patriciat. Mais, quoi qu’il en soit sur ce sujet, il est clair que l’émancipation politique des patres des branches cadettes a dû précéder celle des fils de famille, d’où il résulte que l’apparition de la formule Patres Conscripti est antérieure à la république. Si on l’osait, on la placerait après l’élévation des gentes minores, ce dernier et infructueux effort pour maintenir l’antique constitution patriarcale dans le Sénat et dans la cité. Il paraît naturel, après ce qui précède, de rapporter à cette fameuse lectio de 245 u. c. = 509 la scission qui s’opéra, depuis cette date, au sein de l’assemblée sénatoriale, entre les seniores et les juniores[67]. Pourtant cet épisode de la querelle des deux ordres, tel qu’il est présenté tout au long par Tite-Live et par Denys, prête à bien des objections. On est choqué d’abord de l’incohérence de certains détails. On s’étonne de voir les jeunes sénateurs devenus les champions les plus fougueux de l’oligarchie patricienne, après avoir appelé de leurs vœux et essayé de préparer par leurs intrigues la restauration des Tarquins. En y réfléchissant davantage, on conçoit des doutes même sur le fond. On se demande comment des souvenirs de cette nature ont pu trouver place dans ces vieilles chroniques dont la sécheresse rebutait Caton[68]. Car il ne s’agit pas d’une lutte entre deux factions, mais simplement d’un conflit entre la sagesse des vieillards et les passions des jeunes gens. Il n’en faut pas plus pour jeter la discorde dans le Sénat pendant un demi-siècle. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent d’ordinaire. C’est l’opposition des intérêts, des tempéraments, des convictions acquises ou héréditaires qui met les hommes aux prises. La différence de l’âge y est pour peu. De tout temps, il est vrai, la jeunesse a été portée du côté des violents, mais il y a des violents à tout âge. Supposer que les jeunes se sont rangés dans un camp, les vieux dans un autre, par cette unique raison que les uns étaient jeunes et les autres vieux, attribuer à ceux-ci le monopole de la modération et de l’esprit politique, et mettre au compte de ceux-là tout ce qu’il y avait dans la caste noble de haines intraitables et de fureurs aveugles, diviser ainsi pour cinquante ans le patricial en deux partis, se recrutant dans les mêmes familles, en glorifiant des mêmes noms, et dont le premier finit toujours par rallier les adhérents du second quand la raison leur est venue avec la maturité, c’est une conception tant soit peu puérile, et qui appartient moins à l’histoire qu’à un traité de morale en action. Ce sont sans doute des remarques de ce genre qui ont déterminé les conclusions radicales de M. Nitzsch[69]. Si l’on en croit ce critique, il n’y a pas autre chose dans cette peinture du passé que la satire du présent. Tout y trahit la main des annalistes, plus hommes de parti qu’historiens, et trop heureux d’atteindre, à travers la jeunesse patricienne du troisième siècle, la jeunesse noble de leur temps. On ne saurait méconnaître une large part de vérité dans cette théorie appuyée par des rapprochements aussi justes qu’ingénieux. Les sicaires d’App. Claudius ressemblent étonnamment à ceux de Sylla, et le régime du deuxième décemvirat rappelle par plus d’un trait celui des proscriptions[70]. Mais, si loin qu’on aille dans cette voie, il y a pourtant une distinction qui s’impose entre le fait tout nu et les ornements dont il est chargé. Que les passions de l’historien, que son imagination échauffée au contact de la réalité présente, aient travesti ou amplifié les données transmises par les textes ou la tradition, rien de mieux ; mais que ces passions, que cette imagination se soient exercées tout à fait à vide, qu’il n’y ait pas eu pour les mettre en branle un mot égaré dans les vieux documents et mal interprété peut-être, voilà ce qu’on n’admettra pas sans les plus sérieuses raisons. La théorie de M. Nitzsch a d’ailleurs contre elle une observation dont Niebuhr seul a saisi l’importance, et qui conserve sa valeur, indépendamment de l’hypothèse justement abandonnée à laquelle elle sert de fondement[71]. Denys ne parle plus du conflit entre les seniores et les juniores après la chute des décemvirs. Il est vrai que la partie intacte de son histoire ne va guère au delà (311 u. c. = 443). Mais dans Tite-Live, la dernière apparition des jeunes sénateurs sur la scène politique à l’état de parti distinct est postérieure seulement de deux ans à cet événement (307 u. c. = 447)[72]. D’où vient cela ? La lutte entre la plèbe et le patriciat est-elle close à cette date ? Ou bien les vieillards ne sont-ils plus les vieillards, les jeunes gens les jeunes gens ? Le cœur humain est-il changé ? Ce n’est pas répondre d’attribuer, avec M. Nitzsch, ce brusque silence à un simple caprice (p. 183). Il paraît beaucoup plus probable que les auteurs suivis par Tite-Live et par Denys, ou plutôt par les annalistes qu’ils reproduisent tous deux, se taisent eux--mêmes à ce moment. Mais, dans ce cas, ne serait-ce pas la législation décemvirale qui aurait mis fin à cet antagonisme ? Ainsi, en revenant au point de départ de Niebuhr, on est ramené, par la même route, à une hypothèse, non pas semblable, mais du même genre. Il va sans dire qu’on ne la propose que sous toutes réserves. Il est permis de négliger les développements où se complaisent Tite-Live et Denys, Denys surtout, et de s’en tenir au fait qui leur a servi de thème et que l’on peut considérer comme le seul authentique, l’opposition entre les seniores patrum et les juniores. Si, après avoir dégagé ce fait, on essaie d’en pénétrer la cause, l’esprit se reporte naturellement vers la situation décrite dans les pages précédentes. La période qui s’étend depuis les conquêtes de la royauté jusqu’à la, promulgation des Douze Tables est pour le droit une période de transition. C’est tout ce qu’on en peut dire. Placée entre l’ancien droit gentilice qui s’en allait par morceaux et le droit nouveau qui s’efforçait de prévaloir sans y réussir encore complètement, la société romaine était gouvernée par des coutumes mal définies et trop facilement variables au gré des volontés particulières. Sous ce régime anarchique où, à défaut d’une loi formelle et précise, la gens restait en somme maîtresse d’elle-même et libre de régler comme elle l’entendait sa constitution intérieure, on conçoit que les jeunes patriciens, désireux d’assurer leur indépendance en fondant une famille distincte, se soient trouvés en conflit avec leurs aînés, jaloux de retenir sur eux l’autorité qui leur échappait. La crise qui, évidemment, avait éclaté déjà avant la révolution de 245 u. c. = 509, entra dans sa phase aiguë lorsque l’introduction des juniores dans le Sénat, en relevant leur condition, surexcita plus que jamais leur ambition. Ainsi Niebuhr ne se serait pas trompé en soupçonnant un malentendu dans cette tradition. Seulement il ne s’agirait point d’une lutte entre les gentes majores et les minores, encore moins entre les Ramnes et des Tities d’une part, et les Luceres de l’autre. Le débat, si étrangement dénaturé par les historiens, était au sein de chaque gens ; mais, comme en même temps il se reproduisait dans toutes, il était inévitable qu’il partageât tout le patricial en deux camps. On reprochera à cette interprétation de forcer le sens des mots, car les chefs des gentes n’étaient pas nécessairement des seniores, ni les cadets des juniores. Il est aisé de répondre que le démembrement était commencé depuis la royauté, témoin la date que l’on a cru pouvoir assigner par approximation à l’adoption de la formule Patres Conscripti. La seule question était donc de savoir s’il s’arrêterait ou non, de telle sorte qu’à chaque génération la lutte reprenait entre les seniores, obstinés à enrayer un mouvement qu’ils redoutaient après en avoir profité, et les juniores impatients de l’activer pour en profiter à leur tour. Cette querelle ne pouvait être apaisée que par la publication d’un code sanctionnant les changements accomplis et établissant, dans les termes les plus nets, la divisibilité du patrimoine entre les héritiers nécessaires, les héritiers siens. Ce n’est pas à dire que tout fût fini. Cette vieille institution de la gens était douée d’une vitalité trop puissante pour ne pas faire une résistance plus longue. En esquissant l’histoire des gentes patriciennes, nous sommes arrivé à cette conclusion que le démembrement, encore peu marqué au troisième siècle de Rome, se continua en progressant durant le quatrième et ne se dessina tout à fait qu’au cinquième et au sixième. C’est alors seulement que l’on rencontre des gentes divisées en sept, huit ou même neuf familles comprenant un assez grand nombre d’individus. Il en est même qui ne se fractionnèrent que fort tard, d’autres qui ne paraissent s’être fractionnées jamais. On se demande ce que vaut cette unité, représentée par la communauté du cognomen, soit qu’il s’agisse de l’unité de la gens entière ou de celle de quelques familles au sein de la gens. Si l’on se place immédiatement après la promulgation des Douze Tables, on ne sera pas éloigné de la considérer comme réelle, c’est-à-dire comme impliquant le maintien d’un patrimoine commun. On remarquera que rien, dans la législation existante, ne s’y opposait, car le code des décemvirs, en établissant un ordre rigoureux pour la succession ab intestat, n’imposait aucune condition au testateur. Qu’on se figure la liberté de tester reconnue après la Révolution française et exploitée par les débris de notre aristocratie dans l’intérêt de leur conservation et de leur grandeur, et l’on aura une idée de ce qui a pu, de ce qui a dû se passer à cette époque dans le patriciat romain. Les conditions de la vie pouvaient donc, malgré tout, rester encore assez étroites pour les gentes patriciennes, ce qui expliquerait leur décroissance persistante jusqu’aux lois liciniennes[73]. M. Mommsen conjecture que, pour ces temps reculés, la fondation d’une famille distincte ne pouvait s’opérer sans un décret de la gens, analogue à la loi qui, dans la cité, autorisait la fondation d’une colonie[74]. Mais, à la longue, l’unité de la gens ou de la famille devint purement nominale. Nous entendons par là que le partage égal et complet se faisant entre les héritiers à chaque génération, elle se réduisit à la communauté du cognomen, accompagnée très probablement de celle du tombeau. C’est ainsi que le même tombeau recevait tous les Cornelii Scipiones, à l’exception pourtant des Scipiones Nasicæ et des Scipiones Asinæ qui, dans le courant du sixième siècle, se détachèrent des Scipiones proprement dits[75]. On ignore si les faits qu’on vient de rappeler eurent pour résultat de modifier l’organisation intérieure du Sénat. A priori, on ne voit pas que cela fait nécessaire. Les cadres que l’on a décrits plus haut pouvaient être maintenus, les sénateurs étant toujours groupés par gentes, et les gentes par curies et par tribus. Il y avait cette seule différence que les gentes n’étaient plus au complet, comme du reste il était arrivé déjà avant l’élévation des gentes minores. Mais, tandis qu’alors on n’avait eu que ce moyen pour parfaire le nombre trois cents, il suffisait maintenant de tirer d’une même gens plusieurs sénateurs, seniores ou juniores, pères de famille ou fils de famille. Ainsi, les places laissées vides par les gentes disparues restaient inoccupées, et le Sénat n’en avait pas moins son effectif normal. Toutefois, on n’oubliera pas que Denys, dans tout le premier siècle de la république, fait voter les sénateurs dans l’ordre suivant : d’abord les plus âgés, puis les moyens et enfin les plus jeunes[76]. Or, l’on sait que de tout temps l’ordre de la perrogatio a correspondu à celui de la liste sénatoriale. Mais il est impossible de contrôler la valeur de ce renseignement, auquel on ne trouve de confirmation ni dans la période antérieure, ni dans celle qui suit. Car, d’un côté, le classement des sénateurs par tribus et par curies, combiné plus tard avec le classement par gentes majores et minores, excluait le classement par rang d’âge, ou tout au moins le reléguait au second plan, et, de l’autre, s’il est vrai que, dans le Sénat historique, les plus âgés figuraient ordinairement en tête de la liste et les plus jeunes à la fin, cela tenait uniquement à ce qu’ils étaient inscrits suivant la dignité des magistratures exercées[77], et qu’il fallait passer par les plus humbles avant d’arriver aux plus hautes. Avec ce principe de classement, la supériorité de l’âge n’était pas toujours respectée. Elle l’était même assez rarement avant les lois annales. L’organisation décrite par Denys, si tant est qu’elle ait existé, aurait donc servi de transition entre l’ancien système et le nouveau. Au reste, quand on examine dans le détail les séances racontées par cet historien, on s’aperçoit qu’il laisse une certaine part à l’arbitraire du magistrat faisant fonction de président. En l’an 304 u. c. = 450, il fait dire aux décemvirs, dans un accès de mauvaise humeur, qu’ils changeront l’ordre du vote et ne s’inspireront dorénavant que de leurs préférences[78] ; mais antérieurement déjà, à l’en croire, les consuls avaient donné l’exemple de ces libertés, au moins en ce qui concerne l’appel du premier votant. En effet, en l’an 261 u. c. = 493, les consuls Postum. Cominius et Sp. Cassius interrogent en premier lieu Agrippa Menenius, qui ne peut être compté parmi les plus vieux sénateurs, puisque Denys nous dit de lui, au même endroit, que c’était un homme dans la force de l’âge[79]. L’année précédente, les consuls A. Verginius Cæliomontanus et T. Veturius Geminus donnent d’abord la parole à T. Larcius[80] pour le faire passer au second rang le lendemain[81]. Mais on peut croire que, sur ce point, Denys reproduit un usage des dernières années de la république. On sait en effet que, vers le consulat de Pompée, le choix du premier opinant était libre, à condition qu’il frit pris parmi les consulaires[82]. Si l’on ne voit pas très bien les effets produits sur l’organisation intérieure du Sénat par le démembrement de la gens et l’introduction des juniores, en revanche on se rend parfaitement compte de l’importance extrême que prit, à partir de ce moment, l’opération de la lectio. Pour mieux dire, la lectio date de là, car elle n’avait pas de raison tant que chaque gens envoyait de droit’ au Sénat un représentant unique qui était son chef. Mais le jour où il, y eut plus de candidats que de sièges disponibles, il fallut procéder à un choix, et, par une conséquence naturelle, ce choix fut révocable, car tel homme, jugé digne d’entrer dans le Sénat, pouvait paraître indigne par la suite et mériter d’être exclu. Ce fut une extension énorme des pouvoirs du roi, et qui tombe précisément dans la période ou l’ancienne royauté patriarcale changea de nature et se transforma en tyrannie. Sans doute, la liberté du roi n’était pas absolue. La coutume des ancêtres, le mos majorum, qui, à défaut d’une loi écrite, gouvernait la cité, lui imposait certaines obligations. Il devait maintenir l’effectif du Sénat, conserver sa place à chacune des gentes survivantes, nommer un nombre égal de sénateurs dans chaque curie, ne rayer personne de la liste sans motifs sérieux. Mais ces barrières, opposées à l’arbitraire par une constitution à moitié ruinée, étaient faciles à franchir. On s’en aperçut sous Tarquin le Superbe. IV. - Des changements apportés dans la constitution du Sénat par la création des magistratures annuelles. - Ce que deviennent les décuries et les decemprimi. - L’admission des plébéiens et le relâchement des liens entre le Sénat et les curies. Lorsque Denys fait opiner les sénateurs par rang d’âge, il a soin de placer en dehors et en tête les consulaires[83]. Le principe de classement adopté pour ce groupe particulier est bien le même qui prévaut pour le reste de l’assemblée[84] ; mais s’il règle la situation des consulaires entré eux, il ne la règle point par rapport aux autres sénateurs. Les anciens consuls, à plus forte raison encore les anciens dictateurs, tous ceux en un mot qui, assis sur la chaise curule, revêtus de la prétexte, précédés des licteurs, avaient incarné dans leur personne la majesté de l’Etat et réuni dans leurs mains les pouvoirs judiciaires et militaires autrefois attribués à la royauté, ne pouvaient ni être exclus du Sénat, ni prendre place après leurs collègues. Ils étaient sénateurs de droit, et de droit les premiers des sénateurs. Il y avait eu des magistrats sous la royauté, et même des magistrats curules, les interrois, les préfets de la ville[85]. Il n’est pas tout à fait sûr que le tribunus celerum fût du nombre. L’assimilation avec le magister equitum de la république n’est pas rigoureusement exacte. Les tribuni celerum étaient plusieurs, et celui d’entre eux qui, alternativement avec les autres, prenait le commandement de la cavalerie ne pouvait avoir une situation égale à celle du magister equitum qui était seul. En revanche, les temps les plus reculés avaient connu, avec tous les honneurs dont on l’entourait, le Flamen dialis qui, en l’an 545 u. c. = 209, força l’entrée du Sénat en excipant d’un droit tombé en désuétude et fondé sur la possession de la chaise curule[86]. M. Willems part de là pour soutenir que la division fondamentale entre les sénateurs curules et les non curules ou pedarii existait dès le principe. Il ajoute toutefois que probablement les premiers ne se recrutaient que parmi les patres majorum gentium, de telle sorte que leur droit de préséance ne fait pas une atteinte à l’ordre général établi dans l’assemblée[87]. C’est une concession nécessaire, mais qui n’est peut-être pas suffisante, car, réduite à ces termes, l’assertion de M. Willems n’en reste pas moins difficile à concilier avec les faits qui ont été mis en lumière plus haut. La fixité des cadres est le trait dominant dans l’organisation du Sénat primitif[88]. Elle tenait au rapport étroit que cette organisation soutenait avec celle de la cité. La hiérarchie des trois tribus, entrées successivement, sinon dans la cité, au moins dans les corps sacerdotaux et politiques, divisait le Sénat en trois fractions égales en nombre et inégales en dignité. Ainsi, pour accorder ce principe avec celui de la primauté des magistrats curules, il aurait fallu que le roi s’astreignît à ne choisir ces derniers que dans la première tribu. Mais ce n’est pas tout. Dans chaque tribu les sénateurs étaient distribués par curies et par décuries, en ce sens que chaque curie fournissait dix sénateurs versés un par un dans chaque décurie. Donc, à moins de supposer les curies disposées dans un ordre arbitraire et variable, on doit croire que le roi prenait ses magistrats exclusivement dans la curie placée la première sur les dix de la première tribu. On pourrait encore faire une autre supposition. On pourrait imaginer que les dix sénateurs fournis par une curie n’étaient pas placés au même rang dans les dix décuries où ils étaient versés, en sorte que le roi pouvait les faire monter ou descendre suivant qu’il leur confiait ou non une magistrature. Mais il suffit. C’est assez d’avoir montré les hypothèses sans fondement où nous entraîne l’assertion de M. Willems, assertion embarrassante à rejeter, car elle s’appuie sur une analogie dont on ne peut nier la valeur[89], plus embarrassante à admettre, car elle n’invoque aucune preuve directe, et réclame, pour se soutenir, des combinaisons où l’imagination a plus de part que la recherche historique vraiment digne de ce nom. On a déjà remarqué que l’institution des décuries et des decemprimi placés à leur tête n’a rien à voir avec le classement par Ies magistratures. Pourtant c’est ici le lieu de rappeler l’hypothèse de Niebuhr d’après laquelle les decemprimi ne seraient autres que les sénateurs constituant la décurie de l’interrègne. L’expression de Denys : τοΐς λαχοΰσι δέκα πρώτοις άπέδωκαν άρχειν prouve, dit Niebuhr, que, dans les annales, il a lu decemprimi. S’il n’avait voulu l’indiquer, il aurait écrit : τοΐς πρώτοις λαχοΰσι δέκα[90]. A Il est vrai que c’est mettre Denys en contradiction avec lui-même et avec Tite-Live. Si l’exercice de l’interrègne était restreint aux dix premiers sénateurs des dix décuries, tous les sénateurs n’étaient pas admis à tour de rôle à cette fonction, comme Denys le dit formellement, et comme Tite-Live le laisse entendre en termes moins explicites, mais non moins positifs. Mais l’objection n’est peut-être pas aussi grave qu’elle’ le parait. On peut douter en effet si la tradition, telle qu’elle a été transmise par ces deux historiens, répond exactement à la réalité. L’interrègne avait un objet uniquement religieux et, par définition, était essentiellement temporaire. Les politiques et les philosophes des derniers siècles de la république, sous l’empire des préoccupations contemporaines, et toujours désireux de trouver dans le passé des exemples pour le présent, y ont voulu voir tout autre chose, une tentative du Sénat pour supprimer la royauté au profit d’un régime plus conforme à la raison, un premier essai de gouvernement républicain, imaginé par la haute sagesse d’une élite et entravé par la sottise d’une multitude servile[91]. Pour que la légende fût complète, il fallait que chaque sénateur eût à son tour sa part de pouvoir. La noble assemblée se montrait ainsi avec tout son prestige. C’était à la lettre le conseil des rois dont avait parlé Cinéas. Mais le fait est que jamais, autant du moins qu’on le peut constater, l’interrègne n’a été exercé par tous les sénateurs indistinctement. Cette haute fonction est restée, jusqu’à une époque assez avancée, la propriété des consulaires[92] qui occupaient, nous le savons, les places des decemprimi dans le Sénat du premier siècle de la république[93]. Cette observation donne quelque vraisemblance à l’hypothèse de Niebuhr. Si elle est fondée, elle résout la difficulté pour les interrois, car voilà des sénateurs curules placés tout naturellement à la tête du Sénat. Mais il y aurait encore à rechercher si les decemprimi tenaient leur situation du choix du roi, ou si elle était le privilège des gentes qu’ils représentaient. C’est une question sur laquelle il vaut mieux avouer notre ignorance. M. Willems s’inscrit en faux contre les textes de Denys qui nous montrent les decemprimi fonctionnant encore à l’époque du décemvirat. Il donne cette raison que la constitution du Sénat était dès lors trop profondément altérée[94]. Mais il n’était pas dans les habitudes des Romains de détruire ce qu’ils pouvaient conserver. Ils aimaient mieux les transformations insensibles que les changements immédiats. Or, rien n’empêchait de ménager la transition et de maintenir quelque temps encore le comité des dix dans le Sénat renouvelé. La preuve en est qu’on lé retrouve jusque sous l’empire dans les sénats municipaux dont les membres étaient classés suivant le même principe hiérarchique que les sénateurs romains[95]. Il est vrai qu’après cette mention de Denys, il n’en est plus question ; d’où il faut conclure qu’il a fini par être supprimé, ou qu’il n’a plus subsisté que pour la forme, comme un souvenir du passé. Les causes qui ont fait durer cette institution dans les municipes, tandis qu’elle succombait à Rome, nous échappent ; mais on entrevoit ce qui a dû arriver dans la capitale. Le nombre des anciens dictateurs, placés au sommet de la hiérarchie sénatoriale, celui des anciens consuls qui venaient à la suite, n’était pas limité. Selon que la mortalité faisait plus ou moins de ravages, selon que les mêmes personnages étaient plus ou moins souvent appelés à remplir les mêmes charges, il tombait au-dessous de dix ou montait au-dessus ; mais, dans l’un ou l’autre cas, il ne répondait pas à l’effectif invariable des decemprimi. D’un autre côté, et, bien que les anciens dictateurs comme les anciens consuls se succédassent au sein de leur classe respective par rang d’ancienneté dans l’exercice de leur magistrature, il n’y avait pas entre eux d’inégalité réelle, de telle sorte qu’il paraissait souverainement injuste d’élever les uns à une situation exceptionnellement privilégiée, et de rejeter les autres au-dessous. Enfin, les decemprimi avaient leur raison d’être dans les décuries auxquelles ils présidaient, et ces décuries elles-mêmes, recrutées dans les mêmes proportions ail sein des trente curies, tirant de chacune un sénateur dans un ordre qui, très probablement, n’avait rien de fortuit, n’étaient bien à leur place que dans un Sénat constitué à l’image de la cité patricienne. Or, depuis longtemps, le rapport exact entre les divisions de la cité patricienne et celles du Sénat allait s’effaçant de plus en plus. La diminution croissante des gentes et leur disproportion avec le nombre des sièges sénatoriaux, l’admission des chefs des branches cadettes, des juniores, des fils de famille, qui en fut la conséquence, marquèrent la première phase de cette lente évolution, et rompirent une première fois l’équilibre entre le Sénat et les curies. La création et la multiplication des magistratures annuelles rendirent la rupture définitive, car aucune loi n’obligeait les comices à répartir également leur choix entre les diverses fractions du peuple romain. En même temps, les sénateurs commencèrent à être classés suivant un principe tout différent de l’ancien : d’un côté, les ex-magistrats curules, distribués suivant la dignité des magistratures exercées, de l’autre et au-dessous, ceux qui avaient géré des magistratures inférieures ou qui n’en avaient géré aucune. Les choses en étaient là quand les premiers plébéiens firent leur entrée (après 354 u. c. = 400)[96]. Avec eux s’introduisit un autre mode de classement subordonné au premier. Désormais, dans chaque classe de sénateurs, on distingua les patriciens placés en tête, et les plébéiens inscrits à la suite. Mais, la signification morale de ce grand fait était plus étendue que les effets matériels. Il n’emportait pas seulement les derniers débris des vieux cadres patriciens : il révélait aux moins clairvoyants qu’une période était close dans l’histoire du Sénat, et que ce corps s’engageait décidément dans une voie nouvelle. V. - Du rapport du Sénat avec les curies dans les temps historiques, et de la leçon curiatim dans le texte de Festus, relatif à la loi Ovinia. - Si les plébéiens faisaient partie des curies. - De la distinction entre la plèbe urbaine et la plèbe rustique. -- Du désaccord entre l’extension de la puissance de Rome et le maintien de sa constitution municipale. Dans quel sens Rome était une capitale. Il reste, avant de finir, un point à examiner. Les liens qui si longtemps avaient uni le Sénat et les curies furent-ils entièrement brisés dans cette période qui s’ouvre après l’admission des plébéiens ? Le Sénat, dégagé de ses formes rudimentaires, modifié dans son recrutement, dans sa composition, dans ses règlements intérieurs, dans son esprit, a-t=il rompu sans réserve avec ses origines ? N’a-t-il conservé aucun vestige de sa constitution primitive et des rapports qu’elle avait soutenus avec l’antique cité patricienne ? On tonnait les discussions qui se sont élevées au sujet du texte de Festus, relatif à la loi Ovinia : ....ut censores ex omni ordine optimum quemque curiati in senatum legerent[97]. Sans contester la valeur de la leçon jurati, présentée par M. Meier, et adoptée, en dernier lied, par M. Willems, il est permis de se demander, une fois de plus, si la question est tranchée sans appel, et si l’on ne peut concevoir, pour la leçon curiatim, une interprétation plausible. On n’oubliera pas, en effet, que cette dernière leçon a l’avantage d’être la plus conforme au manuscrit[98], de sorte qu’il faut s’y tenir, pour peu qu’on en voie le moyen : Ce qui l’a fait rejeter, c’est l’embarras où l’on s’est toujours trouvé pour définir le rapport qu’elle est censée exprimer entre le Sénat et l’organisation curiate, car, d’une part, il est trop clair qu’il ne peut plus être question d’une représentation numériquement égale des trente curies, et, de l’autre, on sent bien que le classement des sénateurs par curies, même dans des proportions Inégales, est incompatible avec le classement d’après les magistratures, le seul dont il y ait trace à l’époque historique. Mais si, écartant l’idée d’un rapport chimérique, on entend, par ce mot curiatim, que les censeurs étaient obligés de choisir les sénateurs parmi les citoyens inscrits dans les curies, on se trouve en présence d’une explication très simple, et en parfait accord avec les faits. On recherchera d’abord si les plébéiens étaient inscrits dans les curies. Il n’est pas douteux qu’ils le fussent à partir du sixième siècle de Rome. Ovide décrit la fête des Fornacalia, qui se célébrait par curies, comme une fête populaire[99]. Tite-Live rapporte à l’an 545 u. c. = 209 l’élection du premier curio maximus plébéien (XXVII, 8). Mais les plébéiens ont-ils fait partie des curies dès le principe, ou sinon, à quelle date et pour quelles raisons y ont-ils été admis ? C’est une autre question. Il est certain qu’on ne saurait produire aucun texte affirmant que la plèbe ait jamais été étrangère à l’organisation curiate. On cite quelquefois ces mots de Cicéron dans le deuxième discours contre Rullus : Curiatis eam (potestatem) comitiis, qua vos non initis, confirmavit[100] ; mais c’est faute de les comprendre, car Cicéron n’a pu vouloir dire que la plèbe ne figurait pas de son temps dans les curies, et il ne parle pas du passé. Dans cette phrase, sur laquelle on a tant et si vainement discuté, il n’y a pas autre chose, semble-t-il, qu’une allusion au caractère fictif et en quelque sorte dérisoire des comices curiates dans le dernier siècle de la république[101]. Le même Cicéron ne dit-il pas ailleurs : Romulus divisa le peuple (populum) en trois tribus et en trente curies[102], et n’est-il pas évident que, par ce mot peuple, il entendait la population tout entière, la plèbe et le patriciat, la plèbe surtout, puisque, un peu plus loin, il oppose le peuple aux sénateurs et à leurs fils les patriciens[103] ? Tite-Live aussi dit que Romulus distribua le peuple en trente curies, et il ne fait ni distinction ni restriction[104]. Denys va plus loin. Il montre, à plusieurs reprises, les plébéiens (τό πλήθος) votant dans les comices curiates[105]. M. Mommsen est donc dans son droit quand il invoque, contre ceux qui excluent la plèbe des curies, le témoignage unanime des anciens[106]. Néanmoins, les raisons présentées par les partisans de l’opinion contraire subsistent. La principale est que les plébéiens, votant dans les mêmes comices que les patriciens, et beaucoup plus nombreux que ceux-ci, n’auraient pas tardé à devenir tout puissants, ce qui ferait de l’histoire de Rome, durant les premiers siècles, un tissu de grossières invraisemblances[107]. On répond que les pouvoirs patriciens, les magistrats et le Sénat, ayant la haute main sur les comices curiates, y rendaient la plèbe inoffensive ; que, d’ailleurs, les patriciens, assistés de leurs clients, n’avaient pas de peine à l’emporter[108]. Mais l’infériorité numérique des plébéiens indépendants, qu’ils fussent d’origine libre ou affranchis par l’extinction de leur gens, n’est pas si clairement démontrée. Le procès de Coriolan prouve au contraire que, dès l’an 263 u. c. = 491, ils formaient la majorité dans les comices tributes[109], et leur nombre n’a pu qu’augmenter, non pas, si l’on veut, par la conquête, puisqu’il est entendu que l’élan conquérant de Rome resta amorti encore pendant plus d’un siècle, mais, au moins, par la disparition de beaucoup de gentes patriciennes. Dans la même période, les clients en puissance de patron commencèrent aussi à lever la tête et à regarder leurs maîtres en face[110]. L’imprudence eut donc été grande, de la part des patriciens, de mettre en présence et d’encourager par le contact ces forces d’autant plus redoutables qu’elles eussent été coalisées. Il est bien vrai qu’ils étaient toujours surs d’avoir le dernier mot ; mais, dans ces conditions, combien de temps l’auraient-ils gardé ? Issues des trois tribus primitives dont le territoire se confondait avec celui de la ville[111], les curies étaient, comme elles, une institution purement urbaine. C’est le trait essentiel qui les distingue des classes et des tribus locales. Tandis que, par les divisions serviennes, Rome était, pour ainsi dire, sortie d’elle-même, de manière à se rencontrer sur un terrain commun avec la population conquise, par les curies elle était restée enfermée dans sa constitution communale particulière. S’il en est ainsi, on ne voit pas à quel titre la plèbe du dehors aurait fait partie des curies, car elle avait ses districts administratifs, ses pagi, qui remontent jusqu’aux premiers jours de l’histoire romaine, et suffirent jusqu’en 259 u. c. = 495, où ils donnèrent naissance aux tribus rustiques. On suppose quelquefois que cette plèbe fut introduite dans les curies plus tard, mais on ne peut dire ni quand ni pourquoi. L’opinion la plus commune place cet événement en l’an 513 u. c. = 241, lors de la réforme des comices centuriates. Cette réforme se serait étendue aussi aux curies qui auraient été portées à trente-cinq, de manière à correspondre aux trente-cinq tribus et à comprendre ainsi l’ensemble des citoyens romains[112]. Malheureusement les textes sur lesquels s’appuie cette hypothèse n’ont qu’une valeur médiocre, et l’hypothèse elle-même est sujette à d’insurmontables difficultés. M. Mommsen n’a pas eu de peine à le montrer[113]. D’un autre côté, on ne peut oublier qu’à cette époque toute vie politique s’était retirée des curies et de leurs comices. Depuis longtemps l’action législative avait passé tout entière dans les comices centuriates, pour émigrer de là dans les tributes. En ce qui concerne les élections, les comices curiates conservaient encore le vote de la loi de imperio. Ils le conservèrent jusqu’à la fin de la république, dans les conditions que l’on connaît[114]. A la vérité on ignore depuis quand cette fiction des trente licteurs s’introduisit dans la constitution romaine[115]. Mais il n’importe. On voit assez que cet acte n’a jamais été qu’une formalité, car il n’y a guère d’exemple que les curies aient essayé de s’y soustraire. La cause en est peut-être qu’on reculait devant une mesure extrême et qui ne pouvait aboutir à un résultat décisif. Si, en effet, le magistrat élu par les centuries ne pouvait prendre possession de sa magistrature sans la ratification des patres[116], il n’en était pas de même de celui à qui les curies avaient refusé l’imperium. Il lui restait la potestas avec les droits qu’elle impliquait, et ainsi la situation créée par le vote négatif des curies était difficile pour lui et dangereuse pour l’État, mais ne conduisait pas forcément à une abdication. Les curies n’étaient donc plus, au cinquième siècle de Rome, que des corporations religieuses locales, et, bien qu’elles aient subsisté encore durant des siècles avec ce caractère, il est probable que le droit de participer à leurs fêtes, aux Fornacalia ou aux Fordacalia[117], ne devait pas être d’un très haut prix pour les membres de la tribu Oufentina ou Arniensis, pour les habitants de quelque canton reculé du pays des Volsques ou des Sabins. Parmi les droits religieux que conférait la participation aux curies, il y en avait un seul qui touchait à la politique : c’était l’élection du grand turion. Mais on peut croire que cette élection fut, en même temps que celle du grand pontife, transportée aux comices tributes[118]. Ce serait une preuve que la majorité de la plèbe ne votait pas dans les comices curiates, car, autrement, dans quel intérêt aurait-on dépouillé ces comices d’un droit qui leur revenait tout naturellement ? La question se pose tout autrement si l’on ne considère que la plèbe de la ville. On remarquera d’abord que dans tous les textes invoqués par M. Mommsen, il n’est question que de celle-là. Qu’il s’agisse de la période de la fondation, où la domination de Rome n’allait pas au delà de ses murs, du transfert des vaincus par Tullus Hostilius ou Ancus Marcius[119], des réjouissances publiques coïncidant avec la fête des Fornacalia, il n’y a pas un mot qui s’applique à la population du dehors. Réduite à ces proportions, l’admission des plébéiens dans les curies n’offrait pour le patricial aucun des dangers signalés plus haut. Non seulement ces plébéiens étaient moins nombreux, mais leur soumission était plus facile. Tandis que ceux de la campagne, propriétaires fonciers pour la plupart, les uns de naissance libre, les autres affranchis par la conquête, puisaient dans leur origine ou dans leur condition des sentiments de juste fierté, la plèbe urbaine, composée de prolétaires, vouée aux professions industrielles[120] que le préjugé mettait au-dessous des agricoles, rattachée aux maisons nobles par mille liens de dépendance, de respect ou même d’affection, se tenait dans une attitude plus humble. Certes il faut se défier des classifications trop rigoureuses. Il y avait des plébéiens ingénus dans la ville comme il y avait des clients dans les champs, et les familles issues de clients, les Genucii, les Canuleii, n’étaient pas toujours les moins énergiques dans leur opposition au patriciat. Mais, toute part faite aux exceptions, l’antagonisme entre la faction du Forum et la plèbe véritable, si nettement accusé au cinquième siècle de Rome, remonte beaucoup plus haut. Il se dessine dès les premières années de la république, où l’élection des tribuns est enlevée aux comices curiates parce que les clients, dans les comices, mettent leurs votes au service des patriciens[121]. La distinction qui s’établit entre les tribus urbaines et les tribus rustiques au profit de ces dernières est la conséquence du même fait. On peut douter, il est vrai, que les tribus urbaines aient toujours été au dernier rang. Elles étaient les premières chronologiquement, si bien qu’elles ne cessèrent pas de tenir la tête de la liste[122], et, de plus, elles avaient contenu d’abord, en outre des clients, les patriciens. Mais c’est la présence des clients qui, à la longue, les a déconsidérées, et a fini par en faire sortir les patriciens, noyés dans cette foule et honteux de ce contact. Ainsi, il est arrivé qu’à l’époque où les tribus perdirent leur caractère de divisions territoriales, on rejeta en masse dans celles de la ville tout ce qu’il y avait de plus pauvre et de plus méprisé dans la population romaine[123]. Cet usage n’aurait pu prévaloir et l’idée même n’en serait pas venue, s’il n’avait pas été autorisé par la composition des tribus urbaines dans les temps les plus reculés. La présence de la plèbe urbaine dans les curies était un fait naturel et l’on peut dire nécessaire. La population de Rome n’avait compris, à l’origine, que les patriciens et les clients. Or, les clients, faisant partie des gentes, ne pouvaient pas être exclus des cadres plus larges où les gentes elles-mêmes étaient inscrites. Ce sont ces clients qui, à Rome du moins, sont devenus les plébéiens, les uns par suite de l’extinction de leurs gentes respectives, les autres par une émancipation progressive et insensible. Mais, précisément, parce que leur affranchissement suivit cette marche, il ne put avoir pour effet de les détacher brusquement des curies où les aurait retenus au besoin la protection intéressée de leurs patrons. Quant à ceux qui étaient tombés en déshérence, on ne pouvait, en les laissant dehors, les exempter de toute participation aux charges publiques. Il n’en était pas d’eux comme des plébéiens de la campagne qui étaient organisés par pagi[124]. A Rome, jusqu’à Servius, il n’y eut d’autres ressorts administratifs que les trois tribus et les trente curies. Les vici, qui existaient peut-être antérieurement, n’étaient que des circonscriptions religieuses[125]. Le maintien ou le retour de ces hommes dans ces tribus et ces curies était donc inévitable, et il entraîna l’admission des étrangers établis de force dans la ville ou attirés par la politique habile des rois. C’était la seule forme de naturalisation possible, à part l’entrée dans le patricial. S’il en est ainsi, on demandera en quoi le patriciat pouvait être atteint par la substitution des quatre tribus locales aux trois génétiques, puisque déjà il était confondu avec la plèbe dans ces dernières ; mais sans doute-il s’agissait moins d’opérer entre les deux ordres un rapprochement déjà accompli sur ce terrain que de porter un coup mortel à la caste noble en créant des divisions où elle se rencontrerait avec ses clients sur un pied d’égalité. Quoi qu’il en soit, cette altération dans la composition des curies et des comices curiates, cette substitution d’une assemblée patricio-plébéienne à une assemblée patricienne pure explique un fait souvent signalé dans le cours de ces études : c’est l’incapacité où le patriciat se trouva, à partir d’un certain moment, pour se recruter et se renouveler[126]. La date à laquelle ce changement se produisit ne peut être fixée, mais il ne doit pas être de beaucoup postérieur à l’élévation des gentes minores qui ferma pour cinq sicles le livre d’or du patriciat. On comprend maintenant comment l’inscription, dans une des trente curies, était la conséquence ou plutôt la condition de l’admission dans le Sénat. Il faut bien se rendre compte de la situation de Rome à l’égard du reste de l’Italie. Elle n’était pas seulement une capitale au sens moderne du mot, la ville la plus peuplée, la plus riche, la plus brillante, où viennent affluer toutes les forces matérielles et morales du pays, où réside la pensée directrice, le chef de l’Etat, le gouvernement. Elle était la ville dominante et conquérante ; elle le resta toujours. Devenue la tête d’un vaste empire après avoir été une cité comme tant d’autres, elle ne comprit jamais que ses anciennes institutions ne répondaient plus aux nécessités qu’elle avait elle-même créées. Elle conserva, sans y rien changer, ses assemblées locales, ses comices curiates, centuriates et tributes, comme si une constitution qui avait suffi à quelques milliers d’hommes épars dans un rayon de cinq ou six lieues pouvait suffire encore à des centaines de mille et à des millions. Tout ce qu’elle imagina, ce fut d’admettre les peuples vaincus à se faire dans cette organisation une place qui ne pouvait être que dérisoire. Cette impuissance de Rome républicaine à sortir des limites étroites où elle avait pris son premier développement, et, pour tout dire en un mot, cette inaptitude à transformer son régime municipal en un régime représentatif, ne fut pas une des moindres causes de la chute de ses libertés, car, du jour où la distance écarta de ses comices la plus grande et la meilleure partie de ses citoyens, ces comices, livrés à la populace de la ville, n’intéressèrent plus personne. Mais de même que Rome se refusait à cette idée qu’une action politique quelconque pût avoir un autre point de départ que le Forum ou le Champ de Mars, de même il lui était impossible d’admettre qu’un sénateur pût ne pas être un bourgeois romain. Ajoutons que le Sénat, étant antérieur à la première extension du territoire, se trouvait avoir, par ses origines et son institution, un caractère plus particulièrement urbain. Il est digne de remarque qu’il resta tel, sous l’empire, à une époque où l’ordre sénatorial se répandait dans tout le monde romain. Un texte du Digeste nous apprend que tout sénateur était censé avoir son domicile à Rome, en outre de celui qu’il avait à son lieu d’origine (I, IX, 11). Trajan obligea les candidats aux magistratures à placer le tiers de leur patrimoine en biens-fonds italiens. Il ne voulait pas, dit Pline le Jeune, qu’on pût aspirer aux honneurs quand on voyait dans Rome et dans l’Italie, non point une patrie, mais un lieu de passage et une hôtellerie[127]. C’est en vertu du même principe que les sénateurs devaient être inscrits dans une des trente curies. VI. — Confirmation de ce qui précède par deux textes de Denys d’Halicarnasse touchant la procession des chevaliers le jour des ides de juillet. L’inscription dans les curies des sénateurs et des chevaliers. L’histoire, qui nous aurait laissé ignorer cette obligation sans un mot déchiffré à grand’peine dans un texte mutilé de Festus, nous permet du moins un rapprochement instructif. Il résulte de deux passages de Denys, fort obscurs il est vrai, que la même condition était imposée à tous les chevaliers equo publico[128], c’est-à-dire à tous ceux des douze centuries, car pour les six premières il ne saurait y avoir de doute, leur relation avec les tribus primitives et les curies étant manifeste. Denys décrit ainsi qu’il suit le cortège triomphal des chevaliers lors de la fête des ides de juillet : Après le sacrifice, on assiste à la procession de tous ceux qui ont reçu le cheval de l’Etat. Rangés par tribus et par curies (κατά φυλάς τε καί λόχους) ils s’avancent à cheval, au grand complet et en ordre de bataille, comme s’ils revenaient de la guerre (VI, 13). La difficulté porte sur l’interprétation de ces mots κατά φυλάς τε καί λόχους. Par le premier, on peut entendre les tribus primitives ou les tribus locales. Mais les tribus locales étaient des divisions administratives que le censeur pouvait utiliser en vue de l’épuration quinquennale de l’ordre équestre, sans qu’il y exit à en tenir compte quand cet ordre se produisait en grande pompe avec tout le prestige de ses vieilles traditions. On devait se rappeler alors qu’il était sorti de la triple cité patricienne et qu’il correspondait aux trois tribus, ou plutôt aux six demi-tribus des Ramnes, des Tities et des Luceres. En fait, on ne l’oublia jamais. Sous l’empire, nous voyons encore l’ordre équestre distribué en six escadrons ou turmes que l’on appelait quelquefois les tribus. Zonaras racontant que Caïus César fut nommé sévir d’une turme, traduit ίλαρχος φυλής[129]. Denys n’emploie pas autrement le mot φυλή dans le passage en question. S’il en est ainsi, il n’y a plus à rechercher le sens du mot λόχος : il représente la subdivision de la tribu primitive, c’est-à-dire la curie. Denys décrivait l’organisation qu’il avait sous les yeux, mais était-elle la même que sous la république ? Tous les chevaliers equo publico étaient-ils dès lors constitués en six groupes répondant aux six demi-tribus, et par suite aux trente curies ? On peut le demander avec d’autant plus de raison que la fusion des douze centuries avec les sis premières et la répartition de tout le corps équestre en six turmes paraissent avoir été l’œuvre d’Auguste[130]. Or, les six premières centuries étaient les seules qui évoquassent l’image de la cité patricienne. Les douze autres, instituées sans la consécration des augures, ouvertes à la plèbe et faites pour elle, avaient un caractère et reposaient sur un principe tout différents[131]. On a vu de plus que le désaccord politique entre ces deux fractions de la chevalerie equo publico était encore très marqué dans les comices centuriates en 585 u. c. = 169. Néanmoins les chevaliers de l’une et de l’autre catégorie figuraient ensemble dams les tribus primitives et les curies, et paraissaient ainsi distribués dans les cérémonies publiques. C’est la conclusion qui ressort d’un autre passage de Denys d’où l’on peut tirer quelque lumière sur le sens du mot 16yoç dans le précédent. Il s’agit encore de la fête des ides de juillet, mais telle qu’elle se célébrait au temps de la deuxième guerre punique, car cette fois Denys cite l’annaliste Fabius Pictor, un contemporain d’Hannibal. Il décrit une autre partie de la fête, la procession militaire des jeunes Romains : En tête du cortège s’avançaient les fils des Romains, les adolescents en âge de participer aux fêtes. Ceux dont les pères avaient le cens équestre étaient à cheval, ceux qui devaient servir dans l’infanterie étaient à pied, les premiers rangés par tribus et par curies κατ' ίλας καί κατά λόχους, les autres par classes et par centuries κατά συμμορίας τε καί τάξεις (VII, 72). On sera frappé de l’analogie que présente cette expression : κατ' ίλας καί κατά λόχους avec celle dont le même historien s’est servi ailleurs pour décrire le cortège des chevaliers, surtout si l’on considère l’identité de ces deux mots, ίλη et φυλή, qui désignent l’un et l’autre la turme correspondant à la demi-tribu primitive. Mais le sens de cette ex-pression est encore mieux accusé par celle qui lui est opposée. De même en effet que la classe (συμμορία) doit s’opposer à la tribu ou turme, de même la centurie (τάξις) doit s’opposer à la curie (λόχος). Il est certain que le mot τάξις n’a pas dans Denys de sens très arrêté. Mais le doute n’est pas possible dans ce cas particulier, car il représente la subdivision de la classe (συμμορία), et cette subdivision était la centurie. D’autre part, puisque le mot τάξις veut dire centurie, le mot λόχος, qui lui est opposé, ne peut pas s’entendre de la même manière, bien que ce sens lui soit très ordinaire. On le traduira donc par le mot curie, ce deuxième sens, que Denys lui attribue d’ailleurs dans un texte significatif (II, 7), étant ici amené aussi naturellement par le mot ίλη que celui de centurie l’est pour le mot τάξις par le mot συμμορία. Si cette interprétation est exacte, on voit que les six turmes de l’empire existaient déjà sous la république, avant la fusion des six et des douze centuries. Les chevaliers des deux catégories se distinguaient dans, l’assemblée centuriate, mais ils se confondaient dans les cérémonies où l’ordre se montrait en public, dans celle de la recognitio, où ils défilaient un à un suivant la série des trente-cinq tribus locales, et dans celle de la transvectio où ils se groupaient distribués dans les trois tribus primitives et dans les trente curies. Il résulte de la description empruntée par Denys à Fabius Pictor une conséquence plus étendue : c’est que les curies, comprenaient aussi les chevaliers qui n’étaient pas equo publico. Denys oppose les jeunes gens dont les pères possédaient le cens équestre et qui paradaient à cheval, à ceux qui devaient un jour servir dans l’infanterie et qui marchaient à pied. Or, l’identité des citoyens de la première classe et de ceux qui avaient le cens équestre est, grâce à M. Belot, pleinement démontrée[132]. D’un autre côté, on sait que les citoyens de la première classe composaient la cavalerie des légions, et que ce service, étant attaché à la fortune et indépendant jusqu’à un certain point de la juridiction censoriale, se trouvait héréditaire au même titre que la fortune elle-même[133]. Ainsi c’étaient tous les jeunes gens de la première classe, avec les fils des sénateurs et des chevaliers equo publico à leur tête, qui figuraient à cheval à la fête des ides de juillet, rangés par tribus primitives et par curies, tandis que ceux de la deuxième classe et des classes suivantes fermaient la procession à pied par classes et par centuries. Rome, ajoute Denys, se parait de sa jeunesse guerrière et l’étalait aux yeux de l’étranger. Mais, pourquoi ne pas distribuer toute cette jeunesse suivant le même principe ? Il faut considérer que la ligne de démarcation était très tranchée entre les citoyens de la première classe du cens et ceux des classes inférieures. Depuis que l’établissement de l’égalité entre les deux ordres et la formation d’une noblesse patricio-plébéienne avaient rendu vaine l’antique distinction entre patriciens et plébéiens, le mot de plèbe, toujours employé pour désigner la partie la moins favorisée de la population, avait cessé de faire antithèse au mot patriciat, et ne s’opposait plus qu’aux noms des deux ordres supérieurs de l’Etat : l’ordre sénatorial et l’ordre équestre. La plèbe commençait à la deuxième classe du cens[134]. Or, de même que les citoyens des classes inférieures avaient pris le nom de plébéiens, parce qu’ils formaient en quelque sorte la plèbe de cette Rome nouvelle, de même il était naturel que l’ordre sénatorial et l’ordre équestre offrissent à leur tour l’image de la cité patricienne, aux privilèges de laquelle ils paraissaient avoir succédé. Ces chevaliers de la première classe, dont les fils étaient rangés par tribus et par curies, mêlés, nous ne savons au juste comment, avec les fils des sénateurs et des chevaliers equo publico, étaient loin de représenter la classe entière. Elle était répandue dans les municipes et les colonies, où elle avait ses racines. Mais, les plus puissants ou les plus ambitieux avaient quitté la petite ville, berceau de leur race, pour élire domicile sur un plus vaste théâtre, et bien que l’inscription dans les curies ne fût pas obligatoire pour eux comme pour les chevaliers des dix-huit centuries, on comprend qu’ils n’aient pas voulu rester en arrière et qu’ils se soient empressés d’ajouter au prestige qu’ils tiraient de leurs richesses le titre très considéré de bourgeois romain. Il existe un curieux témoignage de cette immigration dans un article de la loi dite Acilia repetundarum (631 u. c. = 123 ou 632 u. c. = 122), lequel excluait des tribunaux chargés de juger les cas de concussion, en même temps que les sénateurs, tout citoyen domicilié hors de Rome ou à plus d’un mille de ses murs[135]. Par cette disposition, toute dans l’intérêt des compagnies de publicains, le législateur réservait la judicature aux chefs mêmes de ces compagnies, à ce Sénat de l’ordre équestre, qui avait sa résidence à Rome. C’était donc seulement l’aristocratie des chevaliers de la première classe qui figurait dans les curies. |
[1] Sénat, I, p. 1-19. Droit public, 4e édit., p. 31-33.
[2] I, 30. Principes Albanorum in patres legit.
[3] III, 29. ... τοϊς πατρικίοις προσνεμηθήναι τούσδε τούς οΐκους. Et il ne nomme que les maisons dites albaines. V. 1re partie, ch. III, 13.
[4] T. L., I, 30, 33. Denys, II, 50 ; III, 37, 38, 43.
[5] II, 58 ; III, 37 είς φυλάς. Mais il n’y avait alors d’autres tribus que lu tribus primitives.
[6] T. L., I, 33. Denys, III, 43.
[7] Denys, VI, 94.
[8] T. L., II, 28.
[9] Cic., De Rep., II, 33, 37. Sall., Hist., fragm. l. I, 11, édit. Gerlach, p. 207. Cf. Cic., pro Mur., 7.
[10] T. L., III, 31. 32. Denys, X, 31, 32.
[11] V. Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 598, n. 3 ; I, p. 605-606. Ihne, Röm. Gesch., p. 39-42. Willems, Droit public, p. 32.
[12] Topogr., I, 1, p. 183 et 280, n. 45.
[13] Guizot, Hist. de la civilisation en France, t. IV, p. 6. Cité d’après M. Belot, Cheval. rom., II, p. 21.
[14] V. Belot, Cheval. rom., I, p. 365.
[15] T. L., I, 23 ; II, 39. Denys, III, 4. Environ 7.400 mètres. Denys dit quarante stades (VIII, 22).
[16] Marini, Atti e monuments de’ fratelli Arvali, tav. XLIII, année 224. V. Strabon, V, III, 2. L’identité de la cérémonie des Ambarvalia et de la fête de Dea Dia célébrée par les Arvales a été démontrée par M. Henzen, Acta fratrum Arvalium, p. 47.
[17] Ovide, Fastes, II, 679.
[18] Fidènes était voisine de la tribu Claudia. Celle-ci était donc plus rapprochée de Rome que la Crustumina.
[19] La distance de l’ager Crustuminus, séparé par le Tibre de rager de Véies est de 16 milles = 23.708 mètres, le mille étant évalué à 1.481m.75. V. Plin., H. N., III, 5, édit. Detlefsen.
[20] V. Desjardins, Essai sur la topographie du Latium, p. 145.
[21] T. L., I, 60. Sur la situation particulière faite à Gabies, v. Beloch, Der Italische Bund, p. 47.
[22] Dix milles environ = 14,800 mètres. V. Desjardins, o. c., p. 142-143, et la carte.
[23] T. L., I, 38, 57, 59 ; Denys, III, 50 ; IV, 64.
[24] Il n’en est plus question.
[25] Tusculum est à vingt-deux. V. Smith, Dictionary of greek and roman geography, et Desjardins, o. c., carte.
[26] V. Smith et Desjardins, o. c.
[27] Il faut excepter Aricia, qui n’entre dans la cité romaine qu’après la guerre Latine (T. L., VIII, 13, 14).
[28] V. Smith et Desjardins, o. c.
[29] Ibid. Laurentum, même après la guerre latine, resta nominativement une ville alliée. V. T. L., VIII, 11.
[30] Sur cette frontière, v. Beloch, o. c., p. 46, et en général sur le territoire de Rome à cette époque, p. 28-30 et 43-48.
[31] H. N., III, 5, édit. Detlefsen.
[32] V. Willems, Sénat, I, p. 86-88 et notre appendice. On ne nomme pas les familles Aternia et Tarpeia parce que les deux tribuns de ce nom sont patriciens. T. L., III, 65. V. Mommsen, Staatsr., II, p. 265.
[33] Sans doute apocryphe. V. Willems, p. 86, n. 9.
[34] M. Willems lit Sellia.
[35] Les points d’interrogation signifient que la plébité est douteuse. V. Willems, l. c.
[36] M. Willems lit Sellia.
[37] V. Mommsen, Röm. Forsch., I, p. 109, n. 88. Willems, Sénat, I, p. 81. n. 10.
[38] V. l’appendice. Ces chiffres seraient un peu plus élevés si, là où il y a doute, on remplaçait le gentilicium plébéien Sicinius par le gentilicium patricio-plébéien Siccius.
[39] Sénat, I, p. 183-184.
[40] T. L., II, 21.
[41] T. L., II, 23.
[42] Denys, IV, 9, 10, 13. T. L., I, 46.
[43] V. 1re partie, ch. IV, § 4.
[44] V. Fustel, Cité antique, l. II, ch. X, 13, n. 1.
[45] V. notamment les discours de Canuleius (T. L., IV, 4-6) et de Decius Mus (Id., X, 7-8). On remarquera, du reste, que ces paroles n’ont d’autre garant que le témoignage des historiens qui les ont introduites dans des discours de leur composition.
[46] T. L., IV, 2.
[47] V. Bouché-Leclercq, Les pontifes, p. 215.
[48] T. L., X, 8.
[49] Ibid.
[50] V. Plut., Marius, 5.
[51] Ann., IV, 16.
[52] V. Fustel, Cité antique, l. II, ch. VII, 15. Accarias, Précis de droit romain, I, p. 756, 757.
[53] Gaius, II, 101.
[54] V. Bouché-Leclercq, Les pontifes, p. 201-219.
[55] V. Bouché-Leclercq, Les pontifes, p. 191-194.
[56] II, 12. Cf. Isid., Orig., IX, IV, § 1.
[57] Rom., 13. Quæst. rom., 58. Lydus, De magistr., I, 16.
[58] V. sur toute cette question, Willems, Sénat, I, p. 35-63.
[59] V. 1re partie, ch. V, § 4.
[60] Comme le pensent Denys, V, 13, et Tacite, Ann., XI, 25.
[61] T. L., l. c.
[62] T. L., V, 20.
[63] V. Willems, Sénat, I, p. 62.
[64] T. L., IV, 459 46. Cf. IV, 21, note de Weissenborn, 9-10. V. aussi la légende de Sp. Cassius condamné à mort par son père. T. L., II, 41. Denys, VIII, 79. Val. Max., V, 8, 2, etc.
[65] Val. Max. (l. c.) dit de Sp. Cassius qu’il fut condamné par son père postquam... potestatem deposuit.
[66] Dig., I, VI, 9.
[67] V. les textes réunis dans Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 653-656.
[68] Aul. Gell., II, 28.
[69] Die Römishe Annalistik, p. 139, 169-179, 183.
[70] V. T.-L., III, 37.
[71] Niebuhr voit dans les seniores et les juniores les patres majorum et les patres minorum gentium travestis par un malentendu de Tite-Live et de Denys. V. dans Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 657-660, cette opinion résumée et réfutée. M. Schwegler se trompe à son tour en croyant que les juniores patrum n’appartiennent pas au Sénat. V. Willems, Sénat, I, p. 48.
[72] T.-L., III, 65. En 361 u. c. = 393, il montre les patres senes juvenesque se rendant ensemble au Forum pour combattre le projet d’émigration à Véies (V, 30). Est-ce l’ancienne distinction entre les seniores et les juniores patrum qui reparaît ici ? Il semble bien que non. En tout cas, ils sont d’accord.
[73] V. 1re partie, ch. V, § 4.
[74] Röm. Forsch., I, p. 49. V. Fustel, Cité antique, l. IV, c. 5.
[75] V. Mommsen, C. I. L., I, p. 12.
[76] XI, 6. Cf. VI, 69 ; VII, 47 ; XI, 4.
[77] V. Willems, Sénat, I, p. 248-262.
[78] XI, 16. — On sait tout ce que Niebuhr a tiré de ce texte auquel il attribue une importance exagérée. V. Schwegler, Röm. Gesch., II, p. 658 n. 1, fin.
[79] VI, 49. Cf. 67. Ils commencent encore par Menenius, puis (68) ils suivent l’ordre usuel.
[80] VI, 35.
[81] Cf. Tite-Live, III, 40. L. Cornelius Maluginensis, ... cum ex consularibus ad ultimum dicendi locum consulto servatus esset. Cf. V, 20, l’anecdote de Licinius.
[82] V. Varron cité par Aulu-Gelle, XIV, 7. Willems, Sénat, II, p. 183, 184.
[83] VI, 68 ; VII, 47. Cf. T. L., III, 40. Mais Tite-Live, plus sobre de détails, ne dit point comment votaient les sénateurs d’un rang inférieur. Cf. Plut., Camille, 32.
[84] Remarquons pourtant que, à l’époque historique, les sénateurs de chaque ordre étaient classés, non pas suivant leur âge, mais suivant leur ancienneté dans l’exercice de la magistrature, tous les patriciens de l’ordre passant toujours avant tous les plébéiens. V. Willems, Sénat, I, p. 259, 260.
[85] V. Willems, Sénat, I, p. 27, 28.
[86] T. L., I, 20 ; XXVII, 8.
[87] Sénat, l. c.
[88] V. 1re partie, ch. V, § 1 et 2.
[89] Elle n’est pourtant pas tout à fait exacte, car la situation d’un magistrat curule sous la royauté ne saurait se comparer à celle d’un magistrat curule au temps de la république.
[90] Hist. rom., II, p. 50, n. 69, trad. Golbéry. Denys, II, 57.
[91] V. surtout Cicéron, De Rep., II, 12. Cf. T. L., I, 17 : fremere deinde plebe...
[92] M. Willems (Droit public, p. 210), dit que les interrois étaient toujours désignés parmi les sénateurs curules patriciens ; mais il résulte de la liste publiée par le même savant dans le deuxième tome du Sénat, p. 10-12, que, jusqu’au commencement du cinquième siècle de Rome (402 u. c. = 352), tous les interrois connus sont d’anciens magistrats consulaires. Il n’y a d’exception que pour le premier en date, Sp. Lucretius, interroi en 245 u. c. = 509, ex præfecto urbis, mais on comprend qu’il n’en pouvait être autrement. L. Cornelius Scipio, interroi en 402 u. c. = 352, a été auparavant mag. eq., mais, après lui, tous les autres, jusqu’au dernier siècle de la république exclusivement, sont pris parmi les consulaires.
[93] Denys, VI, 69 ; VIII, 76.
[94] V. Sénat, I, p. 24.
[95] V. 1re partie, ch. V, § 8.
[96] Sur les causes et la date de ce fait, ainsi que sur la situation faite aux plébéiens dans le Sénat, v. Willems, Sénat, I, p. 35-63 et 109-123.
[97] P. 246. V. Willems, Sénat, I, p. 169-171.
[98] M. Willems en convient, l. c.
[99] Fastes, II, 513, etc.
[100] De leg. agr., II, 11. C’est le texte d’Orelli. M. Aug. Wilh. Zumpt (M. Tullii orationes tres de lege agraria), substitue curiatis ea comitiis, quæ vos non scistis, confirmavit qui est peut être préférable.
[101] Cic., l. c., ...curiata tantum auspiciorum causa remanserunt.
[102] De Rep., II, 8.
[103] Ibid., 12.
[104] I, 13 : cum populum in curias triginta divideret.
[105] V. II, 14, 60 ; IV, 12, 20 ; VI, 89 ; IX, 41.
[106] Röm. Forsch., I, p. 140-150 et 167-176. Cf. Willems, Droit public, p. 41-49.
[107] V. Schwegler, Röm. Gesch., I, p. 622-625.
[108] Willems, l. c.
[109] Denys, VII, 64.
[110] V. T.-L., III, 44. V, 32.
[111] V. Denys, IV, 14. V. sur ce point Belot, Cheval. rom., II, p. 55.
[112] V. Ambrosch, De locis nonnullis qui ad curias romanas pertinent. Breslau, 1846.
[113] Röm. Forsch., I, p. 141-144. Marquardt, Staatsverw., III, p. 191, n. 5.
[114] De leg. agr., II, 12. V. Willems, Droit public, p. 157.
[115] Voir sur ce point, Rubino, Untersuch. über Röm. Verfassung, p. 381, n. 2 et Mommsen, Rom. Forsch., II, p. 407, etc.
[116] Cic., pro. Plant., 3.
[117] V. Marquardt, Staatsverw., III, p. 190-192.
[118] V. Mommsen, Röm. Forsch., I, p. 158, n. 47.
[119] Ceux qui furent installés sur l’Aventin ne furent pas inscrits dans les curies, puisque l’Aventin était en dehors du territoire urbain. Mais Denys n’y regarde pas de si près.
[120] V. Plut., Numa, 17.
[121] T. L., II, 56. Cf. Denys, IX, 41.
[122] Cic., De leg. agr., II, 29. Varr., L. L., V, 56.
[123] V. Belot, Cheval. rom., I, p. 373.
[124] V. Belot, Cheval. rom., I, p. 394, etc.
[125] V. Marquardt, Staatsverw., III, p. 197, etc. Madvig, Verfass. und Verw., II, p. 89-70. Willems, Droit public, p. 56, etc.
[126] V. 1re partie, ch. V, § 7.
[127] Epist., VI, 19. Cf. Capitolin, Marc-Aurèle, 11. Leges... addidit... ut... senatores peregrini quartam partem in Italia possiderent.
[128] Nous suivons ici l’opinion de M. Belot, Cheval. rom., I, p. 189, n. 3, p. 193-196.
[129] X, 35. - Suivant une explication de M. Hirschfeld (Untersuchungen auf dem Gebiete der Römischen Verwaltungsgeschichte, I, p. 243, n. 1), les λόχοι auraient été les douze centuries des seniores complétant, avec les six turmes (φυλαί) des juniores, les dix-huit centuries équestres de la république. Mais, outre que le texte grec se prête difficilement à cette interprétation, le relatif οί paraissant se rapporter aux mêmes hommes inscrits à la fois dans les φυλαί et les λόχοι, ces douze centuries ne sont mentionnées nulle part, après la réorganisation de la chevalerie par Auguste. Les vers d’Horace qui opposent les goûts des centuriæ seniorum à ceux des Ramnes (Ars poet., 342), confirment simplement un fait déjà connu, la désertion des centuries équestres par les seniores et le passage de ceux-ci dans les centuries de la première classe. Il n’y avait pas depuis Auguste d’autres chevaliers equo publico que ceux qui figuraient dans les turmes. Suétone dit d’Auguste : turmas equitum recognovit. (Aug., 38). Or, l’on sait que l’opération de la recognitio s’appliquait à tous les chevaliers equo publico. M. Hirschfeld soutient aussi que le mot φυλή avait en grec le sens d’escadron, que par conséquent, il ne rappelle en rien la tribu primitive. Mais le rapport entre la turme et cette tribu résulte moins encore de l’emploi de ce mot que de l’organisation même de l’ordre équestre et du nombre même des turmes.
[130] V. Belot, Cheval. rom., II, p. 401, etc.
[131] V. 1re partie, ch. III, § 4, et ch. IV, § 4.
[132] Cheval. rom., I, p. 231, etc.
[133] Ibid., p. 175, etc.
[134] Ibid., p. 245-247.
[135] C. I. L., I, p. 58, XIV. V. Belot, Cheval., rom., II, p. 245-246.