L’AN MILLE

FORMATION DE LA LÉGENDE DE L’AN MILLE — ÉTAT DE LA FRANCE DE L’AN 950 À L’AN 1050

PAR JULES ROY — ancien élève de l’École des Chartes.

PARIS - 1885

 

 

AVANT-PROPOS.

CHAPITRE I. — De la croyance à la fin du monde dans les mythologies orientales.

CHAPITRE II. — De la croyance à la fin du monde dans les mythologies classiques.

CHAPITRE III. — Des croyances à la fin du monde chez les premiers chrétiens. Influence de l’Apocalypse de saint Jean.

CHAPITRE IV. — État politique et matériel de la France au Xe siècle. Le peuple.

CHAPITRE V. — La guerre au Xe siècle. - Les Grands.

CHAPITRE VI. — État intellectuel de la France au Xe siècle. - Le clergé.

CHAPITRE VII. — Études des témoignages des historiens contemporains relatifs à l’an mille.

CHAPITRE VIII. — L’an mille et la première moitié du Xe siècle dans les principaux États de l’Europe.

CHAPITRE IX. — La renaissance de l’architecture qui suit l’an mille.

CHAPITRE X. — La renaissance littéraire qui suit l’an mille.

CHAPITRE XI. — La langue vulgaire et le réveil du peuple après l’an mille.

CHAPITRE XII. — Résumé. Naissance de la légende de l’an mille. Le monde moderne et les Comètes.

BIBLIOGRAPHIE

 

AVANT-PROPOS      

Outre mon admiration et ma reconnaissance pour l’un des Maîtres de ma jeunesse auxquels je dois le plus, deux raisons m’ont fait un devoir de dédier ce petit volume à la mémoire du grand savant et du grand patriote que l’érudition française a perdu en 1882,

Jules Quicherat avait fait de la connaissance et de la diffusion de la vérité le but capital de sa vie. Lié d’étroite amitié avec les Éditeurs et le Directeur de la Bibliothèque des Merveilles, il suivait avec un vif intérêt le développement de cette collection, et il indiquait à l’occasion les livres qu’il lui paraissait utile d’ajouter à la liste déjà longue des œuvres intéressantes qu’elle comprend. C’est ainsi que peu de temps avant sa mort, il souhaitait que l’on y fit entrer une étude sur l’an mille. En écrivant le présent volume, j’ai eu la satisfaction de réaliser une de ses dernières pensées.

Pour composer ce livre, je ne me suis pas seulement imposé la tâche de dépouiller plusieurs volumes in-folio qui renferment les sources historiques du dixième et du onzième siècle ; j’ai tenu encore à lire ces grandes histoires de nos provinces, que nous devons à la solide érudition française du dix-septième et du dix-huitième siècle, — et un nombre considérable de livres, de dissertations et de mémoires, œuvres de la science moderne, dont on retrouvera les titres, au moins pour les plus importantes, dans une Bibliographie placée avant la Table des matières. Or, en parcourant plusieurs de ces œuvres contemporaines, j’ai souvent trouvé sur l’histoire de nos monuments des idées et des principes, qui avaient été enseignés par Jules Quicherat, depuis plus de trente ans, dans cet admirable Cours d’archéologie qu’il a créé à l’École des Chartes en 1847. Divulguées, répandues par tant de générations d’élèves, plusieurs de ses théories sont tombées dans le domaine public et sont aujourd’hui reproduites sans qu’il soit fait mention de leur auteur. Elles sont considérées justement comme l’un des fondements de l’histoire de notre Archéologie nationale, et pour cette raison j’ai dû moi-même les reproduire soit dans ceux de mes chapitres où il est question de l’architecture religieuse et de l’architecture militaire, soit dans divers passages relatifs à l’archéologie en général ; mais j’avais à cœur de redire le nom de l’homme éminent qui les a créées, aux générations qui ne l’ont pas connu. Ainsi que l’a rappelé mon savant collègue et ami, M. Robert de Lasteyrie, dans une remarquable Notice sur notre regretté Maître, c’est à Jules Quicherat que l’on doit, entre autres doctrines aujourd’hui acceptées partout, la théorie la plus ingénieuse qui ait jamais été formulée sur l’architecture romane : recherchant les causes qui ont pu amener les transformations successives de l’architecture du onzième au douzième siècle, il développa en 1851, dans la Revue archéologique, cette théorie, alors absolument neuve, c’est que le principe de tous les progrès de l’architecture romane réside dans les voûtes. C’est le désir de voûter les églises qui, vers l’an mille, a obligé les constructeurs à abandonner les anciennes proportions des basiliques latines. Ce sont les efforts persévérants faits par eux pour résister à la poussée des voûtes qui ont sollicité leur génie, surexcité la fécondité de leur imagination, développé tous les germes de progrès. Le problème n’a pas été résolu partout de la même façon, nos églises romanes présentent bien des variétés de voûtes, de là ces nombreuses différences qu’elles présentent dans les détails de leur construction. Après avoir solidement établi ces principes, Quicherat en déduit logiquement toutes les conséquences. Il propose de classer les différentes écoles de l’époque romane, non plus d’après tel ou tel caractère secondaire, comme le style de l’ornementation, par exemple, mais d’après ce caractère bien autrement considérable puisque tout en découle : le mode de construction des voûtes. Il passe alors en revue tous les genres de voûte : le berceau, plein cintre ou brisé, la voûte d’arête, la croisée d’ogive ; il expose les origines, l’emploi, les perfectionnements de tous ces systèmes, il détermine les régions de la France où chacun d’eux a prédominé, et pose enfin les bases d’une classification véritablement scientifique des écoles d’architecture à l’époque romane.

Malgré mon respect pour la parole du Maître, j’ai dû me séparer de lui sur un point important de notre histoire nationale. Jules Quicherat acceptait l’idée que l’on a communément des terreurs de l’an mille, et il enseignait, en interprétant un passage fameux de Raoul Glaber, que les populations, au commencement du onzième siècle, rivalisèrent entre elles d’ardeur pour couvrir la terre de la robe blanche des églises, parce qu’après avoir redouté la destruction de toutes choses, elles étaient heureuses de voir leur existence se prolonger, et qu’elles voulaient immortaliser leur reconnaissance envers le Créateur. J’avais été séduit par cette idée, et quand j’ai commencé à réunir des documents sur l’an mille j’abordais la lecture des sources avec la conviction d’y trouver les preuves les plus abondantes à l’appui de cette thèse, et avec la résolution bien arrêtée de la développer. Or, je n’ai pas trouvé dans Raoul Glaber tout ce que j’espérais y découvrir ; les autres sources contemporaines ne m’ont pas davantage fourni la preuve que le monde chrétien de l’Occident ait cru qu’il serait détruit vers l’an mille. Je donne en toute sincérité le résultat de mes recherches, et quoique mes conclusions soient sur ce point différentes de celles de Jules Quicherat, je rends encore hommage à sa mémoire en publiant ce que je crois être le vrai, parce que je n’ai pas été guidé dans cette étude par d’autre mobile que le respect infini qu’il nous habituait à porter à la Vérité.