TOURS - ALFRED MAME ET FILS, ÉDITEURS - 1881
PRÉFACE. CHAPITRE PREMIER. — CHAPITRE II. — CHAPITRE III. — CHAPITRE IV. — CHAPITRE V. — CHAPITRE VI. — CHAPITRE VII. — CHAPITRE VIII. — CHAPITRE IX. — CHAPITRE X. — CHAPITRE XI. — CHAPITRE XII. — CHAPITRE XIII. PRÉFACEÀ MONSIEUR JOSEPH LEGRAS, À MARSEILLE.Permets-moi, mon cher oncle, d'écrire ton nom en tête de cet ouvrage. Je te dois beaucoup sans doute, puisque tu m'as tenu lieu de père ; mais je te dois surtout de m'avoir constamment donné l'exemple de la fidélité à toutes les fortes croyances dont notre vieille Provence, si chrétienne et si monarchique, s'honorait jadis ; et c'est en reconnaissance de cela. que je te dédie mon livre. En écrivant la Vie de François de Lorraine, duc de Guise, et aujourd'hui celle de son fils le Balafré, j'ai eu principalement en vue de mettre sous les yeux du lecteur les pages les plus grandes et les plus terribles peut-être de notre histoire ; celles, en tous cas, qui sont le plus fécondes en enseignements, et qui ont été le plus indignement exploitées contre la religion. Et cependant, je peux l'avouer maintenant, combien de fois n'ai-je pas senti mon courage m'abandonner en me voyant obligé d'évoquer le souvenir de tant de crimes infâmes, de tant d'actions honteuses, de tant de boues sordides !... La plume tombait de ma main, et j'avais besoin de regarder le but pour reprend une tâche sans doute trop lourde pour moi. L'œuvre est achevée maintenant. Je ne sais ce qu'elle vaut ; mais ce que je peux affirmer, c'est que j'y ai mis le meilleur de moi-même. Cet aveu fait, qu'il me soit permis de dire mon opinion sur le Balafré et sur la Ligue. Le Balafré recueillit à l'âge de treize ans deux héritages : l'un, tout de vengeance et de haine, mit sur son front adolescent un voile sombre qui se déchira violemment pendant la terrible et sanglante journée de la Saint-Barthélemy ; l'autre, tout de gloire et de noble ambition, faisait de lui le bouclier de la foi, l'épée vivante de l'Église. Il les accepta tous cieux avec une égal ardeur. Il fil plus, il les fondit ensemble. Coligny, qu'il considérait comme l'assassin de son père, n'était-il pas en même temps le chef des calvinistes ? En frappant le complice de Poltrot de Méré, il frappait le sectaire ennemi de sa foi et du repos de son pays. Encore une fois, comme je l'ai dit dans le cours de cet ouvrage, je n'excuse pas, j'explique. Certes, l'historien, — l'historien catholique surtout — a le devoir sacré de flétrir le crime, quelle que soit la main qui l'ait commis, quelle que soit la cause qui l'ait fait commettre. Mais, ce devoir rempli, son impartialité l'oblige à tenir compte de l'époque et des circonstances au milieu desquelles ont vécu ses héros. Clovis, fendant d'un coup de sa framée le crâne d'un de se soldats en lui disant : Souviens-toi du vase de Soissons, commettait, en somme, un acte de féroce justice ; et cependant nul historien ne le lui a reproché. Si le duc de Guise avait fendu le crâne de tous les soldats qui, après avoir volé des vases sacrés, étaient tombés sous sa main, chacune de ces exécutions sommaires lui serait reprochée comme un assassinat. Autre temps, autres mœurs. Mais, si l'on ne peut pas comparer les mœurs du IVe siècle ave celles du XVIe, on ne peut pas comparer non plus les mœurs du XVIe siècle avec celles du XIXe. Pour juger sainement les hommes d'une époque éloignée de la nôtre, il convient donc, avant tout de se bien pénétrer de leur époque, de leurs mœurs, du milieu dans lequel ils vivaient, et de l'influence que les événements auxquels ils étaient mêlés devaient forcément exercer sur leurs actions. Eh bien, tout compte fait, et malgré la part terrible qu'il prit à la Saint-Barthélemy, le Balafré reste encore une des figure les plus grandes et les plus sympathiques de cette époque tant bouleversée. Peut-on lui reprocher, en effet, d'avoir tué pour le plaisir de tuer ? Non ; au contraire, partout, sur les champs de bataille, aux sièges des villes, sa clémence et sa pitié s'éveillent en faveur des vaincus. Jamais ses victoires ne sont suivies de répressions barbares. Sa tente, à Issoire, sert de refuge aux malheureux habitants que poursuivent les soldats ivres de fureur. Il reste à cheval après le combat pour sauver les femmes du déshonneur et les enfants de la mort. Il se montre aussi bon et aussi généreux après la lutte que terrible pendant l'action. Quatre chefs d'accusation pèsent principalement sur le Balafré : la Saint-Barthélemy, la conjuration de Salcède, la journée des Barricades, et son alliance avec Philippe II. La Saint-Barthélemy fut la conséquence de la mort de François de Lorraine. Il est évident, pour tout esprit impartial, que si l'assassinat du héros de Calais et de Metz n'avait pas eu lieu la date sanglante du 23 août 1572 n'existerait pas dans notre histoire. Jamais le père du Balafré n'eût permis ce massacre. Le crime de Poltrot de Méré a servi de prétexte à Catherine de Médicis pour livrer Coligny et ses amis à la fureur du peuple et des soldats. Ce massacre général des réformés a été médité pendant deux ans par Catherine de Médicis et son fils ; Guise n'en a été instruit qu'au dernier moment. On verra plus loin que la religion fut complètement étrangère à cette tuerie. Voici, en peu de mots, tout le plan de l'Italienne et de son conseil : faire tuer Coligny par Maurevel, pour que les protestants se soulèvent et veuillent venger la mort de leur chef sur le duc de Guise, qui sera soupçonné du crime. Guise, pour se défendre, fera appel à ses gentilshommes et aux Parisiens, qui massacreront les protestants ; alors, sous prétexte de rétablir l'ordre et de venger Coligny, les troupes du roi tomberont sur les vainqueurs, qui, trop affaiblis pour se défendre, seront massacrés à leur tour. Tel était le plan de Catherine de Médicis, que fit échouer la maladresse de Maurevel. Coligny n'étant que blessé, il fallut l'achever, car les choses étaient trop avancées pour les laisser à mi-chemin, et Guise fut chargé de cette besogne... Il l'accepta pour venger son père !... Mais quand il a vu Coligny étendu ses pieds, sa colère tombe ; c'est en soldat, et non en assassin, qu'il se met à la poursuite de Montgomery ; et quand il revient dans Paris, il ouvre les portes de son hôtel aux protestants. La conjuration dite de Salcède ne supporte pas l'analyse. En dehors des révélations de ce misérable, on ne trouve nulle part des traces de ce complot, dans lequel aurait trempé tout le monde, depuis le pape et Philippe II jusqu'aux officiers les plus obscurs depuis les Guises jusqu'à des gentilshommes et des capitaines dont le dévouement au roi ne s'est jamais démenti. La journée des Barricades fut une explosion révolutionnaire que l'arrivée du duc de Guise dans Paris détermina, mais dont la faiblesse de la cour envers les protestants est la cause première. Si le Balafré avait eu réellement le dessein de s'empare de la personne de Henri III pour mettre sur son front ou sur celui de Philippe II la couronne des Valois, au lieu d'arrêter l'émeute, comme il le fit, il n'avait qu'à laisser faire le peuple. Une heure encore, et, après l'échauffourée du Marché-Neuf, les gardes françaises et les Suisses étaient massacrés et le Louvre pris d'assaut... Après cela qui donc aurait pu l'empêcher d'usurper la couronne ?... Il ne le fit pas. Dès lors pourquoi l'accuser de l'avoir voulu faire plus Lard ? Il suffit de lire sa vie pour être convaincu que lorsqu'il nourrissait un projet, il ne faiblissait pas à l'heure de l'exécution. On l'a accusé encore d'avoir été l'agent de Philippe II. Il serait plus exact de dire que, Malgré toute son habileté, Philippe II n'a jamais été que l'agent du duc de Guise, qui prenait dans les coffres de ce monarque l'argent dont il avait besoin pour faire en France la guerre aux réformés et soutenir la religion. On s'accorde à reconnaître que le Balafré était un profond politique et un grand ambitieux. Comment admettre, dès lors, qu'il se fût donné tant de mal pour le compte d'un autre ?... Quel avantage y aurait-il eu pour lui à remplacer le faible Henri III par le tout-puissant et énergique Philippe II ?... Philippe II ne fut en somme que son allié, comme le furent le duc de Lorraine, le cardinal de Bourbon et même Catherine de Médicis. Ce qu'il voulait est bien clair. Il voulait remplir à la cour une place clans le genre de celle qu'y occupaient jadis les maires du palais, et puis, à la mort de Henri III, se faire nommer roi par les états, comme Pépin le Bref l'avait été par les grands feudataires de la couronne. Pour cela, il ne s'agissait que de faire déclarer les Bourbons, et surtout le Béarnais, hérétiques ci relaps... Sa popularité aurait fait le reste. Maintenant, à vrai dire, ce ne sont là que des hypothèses ; car nul ne peut affirmer si, malgré son ambition, il ne se serait pas incliné devant Henri IV le jour où ce roi aurait donné les preuves de la sincérité de sa conversion. Car il est une chose indiscutable, c'est que le Balafré était avant tout le soldat de la foi. Les preuves de sa sincérité abondent. Il nous suffira de citer ici la fin d'une lettre qu'il écrivait (31 décembre 1585) à J.-B. de Tassis, ministre de Philippe II, à propos des secours en argent qui lui avaient été promis : Je sais bien que je suis étranger à l'Espagne ; mais le péril de la religion vous touche autant que moi, et c'est ce péril qui est ici en jeu. Ce serait pour moi trop de chagrin si, pour m'être flatté de quelque vaine espérance, j'avais entraîné le parti catholique dans un danger si grand qu'il fût impossible de l'en tirer. Je serais moins affligé de ma propre perte que d'avoir perdu par ma conduite ma pairie et ma religion[1]. Est-ce que ce sont là les paroles d'un traître qui vend sa patrie à l'étranger ? L'or de l'Espagne, l'a-t-il mis dans sa poche ?... Non ; au contraire il a consacré toute sa vie et toute sa fortune à la défense de la cause sacrée qu'il avait embrassée. Car, chacun le sait, à la fin de sa vie Guise était complètement ruiné. Cela dit, pour moi le Balafré reste un homme d'un grand génie, ambitieux, mais convaincu. Arrivons à la Ligue, dont on a tant dénaturé l'esprit. Plusieurs historiens, même catholiques, — de Thou et Lacretelle entre autres, — n'ont envisagé la Ligue qu'à son point de vue insurrectionnel. La Ligue, il est vrai, fut une insurrection contre l'autorité royale. Mais pourquoi eut-elle ce caractère ? Parce que l'autorité royale, sous les derniers des Valois, faillit à ses devoirs les plus sacrés. Si Charles IX el Henri III, mieux inspirés et plus énergiques dans leurs décisions, après avoir fait à la liberté de conscience toutes les sages concessions que commandait la situation des esprits sous leur règne, s'étaient posés en défenseurs résolus des lois et des édits, sans chercher constamment à violer leur parole, les troubles eussent été évités, les factieux maintenus et le peuple, confiant dans le pouvoir, ne se fût pas ligué contre quiconque menaçait de pactiser avec l'hérésie. Mais cette politique sage et prévoyante n'était pas celle de Catherine de Médicis, qui avait besoin, pour conserver le pouvoir, de recourir à l'intrigue, à l'excitation des passions les plus viles, à toutes les félonies et à tous les crimes. Cette politique désastreuse porta ses fruits : toutes les passions et toutes les haines furent déchaînées, et le peuple se souleva à son tour, comme s'étaient soulevés les seigneurs et les courtisans. Car, il ne faut pas l'oublier, la Ligue se distingua surtout pas son caractère général et populaire. Si ce fut une conjuration, cette conjuration fut nationale. La Ligue était conservatrice, dans le sens politique que l'on prête aujourd'hui à ce mot, en ce qu'elle avait pour but et pour objet de préserver le pays de la révolution dont le menaçaient : les doctrines des pasteurs protestants, qui avaient établi à la Rochelle une véritable république, ombrageuse et méfiante, même à l'égard du roi de Navarre et de Condé. La Ligue était aussi progressive ; car, tandis que les pasteurs tendaient vers la république, les nobles, qui avaient les premiers embrassé la réforme, voulaient retourner à la féodalité. Il y aurait ici une étude curieuse et instructive à faire de ces deux courants, si opposés l'un a l'autre, dans l'esprit politique de la réforme... Nous n'en avons malheureusement ni le temps ni le moyen ; cette étude nous entraînerait trop loin. Le peuple catholique, au XVIe siècle, était donc profondément conservateur : conservateur de la religion, de ses lois, de ses libertés et de ses franchises. Il avait autant en horreur ceux qui voulaient lui imposer des croyances autres que celles de ses pères que ceux qui voulaient le ramener à deux siècles en arrière. C'était par le catholicisme qu'il avait été tiré de la barbarie et qu'il avait conquis ses libertés ; il ne voulait point connaître d'autre religion. Depuis Louis le Gros, Blanche de Castille et Philippe-Auguste jusqu'à Louis XII, il avait fait cause commune avec l'autorité royale pour conquérir à la France ses provinces et ses frontières, ses prérogatives, ses droits et ses libertés communales ; il ne voulait pas retourner aux temps féodaux et aux guerres de seigneurs suzerains. Maintenant il n'est que trop vrai qu'une nation de vingt millions d'âmes ne se soulève pas tout entière sans faire monter à la surface une partie de la lie qui se trouve clans les bas-fonds. Il est également trop vrai que dans tous les corps sociaux, noblesse, bourgeoisie, armée, et même clergé et magistrature, il se trouve toujours quelques êtres indignes qui, à l'ombre d'un drapeau et sous le couvert d'une cause, se laissent entraîner à commettre des excès qui rejaillissent sur celte cause et font tache sur ce drapeau. La Ligue ne pouvait pas échapper à ces éclaboussures ; et il semble que Dieu lui-même ait voulu nous apprendre, quand il admit un Judas parmi ses apôtres, que le mal est toujours à côté du bien. Mais, toute part faite de bien et de mal, il ressort que la Ligue eut pour effet, au point de vue religieux, de conserver à la France son unité de croyance, et, au point de vue politique, de lui assurer son intégrité territoriale, ses conquêtes sur la féodalité et ses libertés nationales. C'est donc à la Ligue que la France doit de s'être relevée avec tant d'éclat, sous Henri IV, sous Louis XIII et sous Louis XIV des coups que lui avait portés la réforme, et d'avoir tenu dans le monde la première place parmi les nations civilisées. Que maintenant les Guises eux-mêmes, qui furent les chef de la Ligue, aient mêlé à une idée grande, généreuse et patriotique une idée étroite et mesquine d'ambition personnelle ; qu'une duchesse de Montpensier, leur sœur, ail vengé un assassinat par un autre assassinat ; que de tous les bas-fonds soient sorties de, figures sinistres, ce sont là les ombres opaques et, les contraste violents que l'historien signale au philosophe. La tâche de l'historien este de montrer les faits et d'indiquer les résultats ; celle du philosophe est de faire la part des vices et des travers de l'humaine nature, d'indiquer la source du mal, et de lui oppose la source divine du bien. CHARLES CAUVIN Marseille, le 30 août 1878. |
[1] Archives nationales, fonds espagnol ; B. 57, n° 49. Cette lettre a dû être traduite deux fois : du français en espagnol, et de l'espagnol en français ; car Guise écrivait en français, et l'on peut voir que ce n'est là ni le style ni l'orthographe de l'époque.