De la démocratie dans toutes les révolutions. — Les prédicateurs de la Ligue. — Conciliabules et projets des ligueurs de Paris. — Guise les exhorte à la patience. — D'Aumale en Picardie. — Tentative contre Boulogne. — Mayenne à Paris. — roi demande aux notables de la capitale une subvention de six cent mille écus. — Le prévôt des marchands Perreuse fait arrêter un ligueur nommé Morlière, que Mayenne fait relâcher. — Conspirations des ligueurs contre le roi dénoncées à la cour par Nicolas Poulain. — Mayenne prend congé du roi, et quitte Paris avec Bassompierre. — Guise fait sentir son mécontentement aux Parisiens. — Correspondance de Guise avec Mendoza. — Entrevue de la reine mère et de Guise à Reims (24 mai 1587). — Mesures que prend le l3alafré avant d'aller trouver le roi à Meaux. Plan de campagne d'Henri III. — Le duc de Guise a le commandement de l'armée qui doit opérer contre les reîtres, et Joyeuse doit combattre contre le roi de Navarre. — Funestes présages pour Joyeuse. — Mort de sa belle-sœur. — Son frère se fait capucin. Mariage du duo d'Épernon. — L'armée royale commandée par Joyeuse. — L'armée protestante commandée par le roi de Navarre. — Bataille de Coutras, gagnée par le Béarnais. — Mort de Joyeuse (20 octobre 1587). — Les auxiliaires étrangers pénètrent en France par la Lorraine. — Bouillon et le baron du Dohna les commandent. — Guise leur est opposé avec des forces inférieures. — Affaire du Pont- Saint-Vincent. — François de Coligny rejoint les auxiliaires (22 septembre 1587). — Guise ne cesse de les harceler dans leur marche. — Mayenne, venu de la Bourgogne, les attaque aussi sur leur gauche. — Les alliés se dirigent vers la Loire, afin de passer cette rivière à la Charité. — A la suite d'une émeute dans Paris, le roi se voit dans l'obligation de se porter avec l'armée sur les bords de la Loire. — La désunion et le découragement se mettent dans le camp des alliés. — Défaite des reîtres Vimory (28 octobre). — Guise continue de les poursuivre. — Le mouvement tournant que fait le Balafré pour mettre Paris à couvert inquiète le roi. — D'Aumale et Mayenne retournent en Picardie et en Bourgogne. — Les Seize envoient une ambassade au Balafré. — Les Suisses négocient avec le roi. —Les reîtres sont campés à Anneau. — Escarmouches. — Conti, frère de Condé, arrive au camp des alliés. — Attaque et prise du bourg d'Anneau. — Massacre des reîtres par la petite troupe de Guise (24 novembre 1587). — Suites de cette victoire. — Inscription commémorative. — Le roi traite avec les Suisses. — Retraite désastreuse des reîtres. — D'Épernon se met à leur poursuite sans les attaquer. — Les Allemands traitent avec d'Épernon. — Bouillon et Châtillon se retirent de l'armée. — Les reîtres gagnent l'Allemagne, les uns par la Savoie, les autres par la Franche-Comté. — Le duc de Pont et Guise massacrent ceux qui passent par la Franche-Comté, et portent la guerre dans le canton de Montbéliard. — Entrée solennelle du roi dans Paris. — Satires et pamphlets. — Chicot. — La duchesse de Montpensier. — Le pape et le duc de Parme félicitent le duc de Guise, qui s'apprête à soutenir d'autres luttes.La Ligue avait, à Paris surtout, un caractère démocratique qui n'était pas sans causer de vives alarmes, non seulement au roi, qui se savait franchement détesté de la faction des Seize, mais même au duc de Guise et à Mayenne. Lorsque le peuple, pour une cause ou pour une autre, a pris lui-même en main la défense de ses intérêts, il se fait en lui une sorte de fermentation qui le rend capable de tous les héroïsmes comme des excès les plus criminels. La foule, n'ayant pas de responsabilité personnelle, va toujours droit aux limites extrêmes, dans le bien comme dans le mal. Ce que l'individu, pris isolément, considérerait comme une utopie ou comme un crime, la collectivité l'accepte comme une vérité fondamentale ou l'accomplit comme un acte de justice. De là vient qu'en descendant au fond de toute révolution on est étonné de trouver, à côté de quelques personnalités vicieuses et sanguinaires, une foule d'hommes dont la vie privée fut jusque-là irréprochable, mais qui, une fois lancés sur la pente fatale de la rébellion, n'ont plus connu de frein ni de limite. C'est pourquoi la tyrannie d'en bas est plus à craindre et plus funeste à une nation que la tyrannie d'en haut. Un monarque implacable, méchant et perdu de vices, sera moins à redouter pour le peuple que ce peuple ne le sera pour lui-même, si, méconnaissant les lois qui le régissent, il s'abandonne à ses propres fureurs ; car le tyran, si omnipotent qu'il soit, aura toujours conscience de sa responsabilité, et ne pourra jamais braver absolument le mépris ou la haine de l'opinion publique, qu'il sentira peser sur lui, et qui se manifestera jusque dans son entourage. Tandis, au contraire, que la masse du peuple sent instinctivement qu'elle est au-dessus de toute sanction et qu'elle échappe à toute responsabilité et même à tous remords, parce que chacun a ou croit avoir à bon droit pour soi et rejette sur autrui la part mauvaise des actes accomplis en commun. Voilà pourquoi nous déplorons, en principe et en fait, toutes les résolutions populaires, si justes qu'elles soient à leur origine ; car elles sont presque toujours condamnées à sortir des bornes légales et, à cause des excès qu'elles commettent, à finir toujours par ternir et rendre suspectes les idées qu'elles ont eu la prétention de faire triompher. Maintenant, ce que nous condamnons avec plus d'énergie encore, ce sont les gouvernements qui, ne s'inspirant pas suffisamment des besoins des masses et des aspirations des citoyens, manquent à leurs devoirs les plus sacrés et sont la cause première de ces troubles qui dégénèrent en révolutions. Si les derniers Valois avaient pris des résolutions plus énergiques dès le début de la réforme, le peuple, ne se sentant plus menacé dans sa foi, n'aurait jamais songé à se liguer contre le pouvoir, à appeler les Guises à sa tête et à conspirer ouvertement contre son roi. Les historiens de nos guerres de religion s'étendent très longuement, pour les maudire, sur les prédicateurs de la Ligue et sur l'action dissolvante qu'exerçaient, dans le peuple de Paris surtout, les émissaires de la Sainte-Union. Nous ne voulons pas nier l'influence que ces hommes-là exercèrent sur la foule ; mais plus leur influence fut grande, funeste même, si l'on veut, plus aussi on sera obligé de reconnaître que leurs paroles répondaient aux sentiments qui étaient dans les cœurs. Si ces prédicateurs et ces émissaires étaient venus sous Louis XII, sous François ter et même sous Henri II, ou plus tard sous Louis XIII et Louis XIV, ils auraient prêché dans le désert et n'auraient pas fait un seul prosélyte, et cela par la raison toute simple que sous ces règnes le peuple n'était pas menacé dans sa Coi, ou qu'il se savait protégé par les rois qui veillaient à la ferme exécution des édits. Tout au plus auraient-ils recruté quelques truands ou malandrins que la maréchaussée eût bientôt fait enfermer au Châtelet, à la grande satisfaction des honnêtes gens. Guise lui-même, malgré son génie, malgré l'or de l'Espagne, malgré le souvenir des services rendus par sa famille à la patrie, eût été éconduit avec tous les honneurs dus a son rang ; au lieu de trouver une armée prête à se lever à sa voix, il aurait trouvé la Bastille. Voilà la vérité brutale, telle qu'elle se dégage des événements. Mais si nous comprenons l'esprit de la Ligue, si nous sommes obligés de reconnaître qu'elle fut populaire parce qu'elle répondait à un sentiment vraiment national ; si même nous avons dit, et nous nous plaisons à répéter qu'elle eut pour effet heureux, presque providentiel, de ramener Henri IV à la vérité religieuse, d'assurer à la nation son unité de croyance et même son unité politique, nous ne serons pas suspect de partialité contre elle quand nous déplorerons les excès qui sont inhérents à tout soulèvement de ce genre. De fréquentes réunions se tenaient dans Paris au collège de la Sorbonne et surtout, au collège de Forteret. Dans ces conciliabules secrets, mais dont la cour finissait toujours par être instruite, les esprits s'excitant les uns les autres, on ne parlait de rien moins que de se saisir de la personne du roi, de l'enfermer dans la tour de la chapelle Saint-Antoine et de le garder là jusqu'à ce que les conjurés se fussent rendus maîtres de tous les points importants de la ville. Des courriers furent expédiés au duc de Guise pour qu'il vînt se mettre à la tête des conjurés et prit la direction du mouvement. Mais Guise avait des projets trop vastes pour en compromettre le résultat en s'abaissant au rôle de chef d'émeutiers. Il voulait que ses actes eussent une autre consécration que celle des Seize. Ne pouvant cependant pas abandonner ses alliés de Paris ni les approuver ouvertement, il fit ce que font toujours en telle occurrence tous les chefs de parti : il leur prodigua toute sorte de belles promesses, et, tout en les louant de leur zèle et les plaignant à cause des dangers qu'ils couraient, il les exhortait à la patience et à la modération. Guise voulait frapper un coup éclatant contre les huguenots, s'emparer des places principales du duché de Bouillon afin de s'assurer ce côté important de la frontière par lequel pouvaient entrer les reîtres, et voir ses communications libres avec le duc de Parme. De son côté, le duc d'Aumale, qui était dans la Picardie, essaya aussi de s'emparer de Boulogne, où commandait Bernai pour le duc d'Épernon, que tout le monde détestait dans cette province, aussi bien le peuple que la noblesse. Pierre Vêtus, prévôt de la maréchaussée pour le canton, devait, sous prétexte d'accomplir les devoirs de sa charge, s'emparer d'une des portes de la ville et la conserver jusqu'à ce que le duc d'Aumale, embusqué avec une troupe d'élite, pût se jeter dans la place. Mais Bernai avait été prévenu par le roi d'avoir à se garder. Lorsque Pierre Vétus se présenta à la porte de la ville avec ses cavaliers, la herse fut abaissée, et d'Aumale, en arrivant, fut accueilli à coups de canon ; il faillit même tomber entre les mains d'une troupe d'arquebusiers que Bernai avait postée sur le chemin. Le coup de main contre Boulogne avait été révélé au chancelier Hurot de Chiverni par un ligueur nommé Nicolas Poulain, qui assistait à toutes les réunions des conjurés et vendait à la cour les secrets se ses collègues. Ce fut à cette époque que Mayenne revint de Guyenne et se logea à Saint-Denis. Les Seize envoyèrent vers lui de nombreuses députations pour l'engager à se mettre à leur tête, au lieu et place de son frère, qu'ils avaient vainement sollicité de venir les rejoindre, lui faisant un tableau fort exagéré des périls qu'ils couraient, le roi, selon eux, &tant d'accord avec le Béarnais, à qui d'Épernon avait porté de fortes sommes pour laver des troupes et les massacrer tous. Ils lui faisaient aussi un dénombrement non moins exagéré de leurs forces et de celles que Maineville, le principal agent de Guise à Paris, avait levées pour la Ligue dans les provinces qu'il venait de visiter. Cependant le roi n'était absolument pas resté inactif. Le 10 janvier 1587 il avait assemblé au Louvre plusieurs présidents et conseillers, le prévôt des marchands, les échevins et grand nombre de notables, en présence des cardinaux de Bourbon, de Vendôme, de Guise, de Lenoncourt et de seigneurs, pour leur annoncer son intention de faire la guerre à toute outrance à ceux de la nouvelle opinion, disant qu'il vouloit s'y trouver en personne et y mourir si besoin étoit. Ces paroles obtinrent de chaleureux et unanimes applaudissements. Mais quand l'enthousiasme se fut bien manifesté, Henri III, se tournant vers le prévôt, les échevins et les notables, leur demanda pour la ferme exécution de ses promesses une subvention de six cent mille écus, à prendre, selon la taxe, sur les plus aisés bourgeois... A quoy ils perdirent la parole, et, s'en retournant tous fâchés, dirent qu'ils voyoient bien qu'à la queue gisoit le venin[1]. Les réunions des conjurés continuant, Hector de Perreuse, prévôt des marchands, fit arrêter un nommé Morlière, accusé d'avoir tenu chez lui une assemblée secrète. Morlière fut retenu à l'hôtel de ville, afin que le roi pût désavouer cette arrestation si les circonstances l'exigeaient. Les ligueurs allèrent trouver Mayenne pour lui persuader d'enlever Morlière d'entre les mains de Perreuse, suspect aux bons catholiques. Mayenne, cédant aux sollicitations de ses amis, réclama impérieusement la liberté de Morlière, que le roi, sur le conseil de sa mère et surtout de Villequier, donna ordre de relâcher. Ces faiblesses n'étaient pas de nature à faire rentrer les rebelles dans le devoir ; aussi le roi ne tarda-t-il pas à connaître combien son autorité était méprisée et à quels nouveaux dangers sa couronne et même sa vie étaient exposées. Les principaux ligueurs retournèrent auprès de Mayenne pour lui déclarer que la patience du roi leur était suspecte ; qu'ayant tout à craindre pour leur vie et leur liberté, ils n'avaient plus confiance qu'en lui pour sauver Paris comme il avait sauvé la Guyenne et le Dauphiné, et, qu'après avoir fait trembler ses ennemis il devait à sa gloire de rassurer ses amis. Mayenne était la droiture et la loyauté en personne ; ses ennemis eux-mêmes savaient à quel point ils pouvaient se fier à sa parole ; rien ne lui répugnait donc autant que de commettre un acte séditieux. Aussi en ce moment eût-il préféré être loin de Paris, sur quelque champ de bataille, exposé à la mitraille, qui l'eût moins épouvanté que ces paisibles bourgeois lui proposant froidement, comme une chose toute naturelle, de s'emparer des principaux postes de la ville : la Bastille, les deux Châtelets, le Temple, l'hôtel de ville, d'investir le Louvre avec quatre mille arquebusiers, et autant pour mettre la noblesse dans l'impossibilité de venir au secours du roi que pour empêcher les troupes de se débander et d'aller piller dans la ville, de tendre des chaînes dans chaque rue et d'élever des barricades faites avec des tonneaux de terre qu'on avait déjà préparés. Le roi pris, aucun mal ne lui serait fait, mais on devait le prier de n'avoir pas à se mêler du gouvernement. Le parlement serait dissous et ferait place à un autre entièrement composé de ligueurs ; le chancelier et le prévôt des marchands devaient être remplacés par des hommes connus pour leur dévouement à la Ligue. On ne demandait à Mayenne qu'à laisser faire et à rester chez lui avec quelques troupes d'élite. Si le projet réussissait, on viendrait le chercher pour le mettre à la tête du nouveau gouvernement ; s'il échouait, il sortirait avec les siens par la porte de Bussy, que gardait Bassompierre. Poulain, qui avait joué un rôle actif dans l'exécution de ce plan, alla encore une fois tout divulguer au chancelier, qui prévint le roi du péril dont il était menacé. Henri III prit à temps les précautions que commandait la situation. Il rassemble à la hâte toutes les troupes dont il peut disposer, fait garder le pont de Saint-Cloud, sur la Seine, et celui de Charenton, sur la Marne, met des renforts à toutes les portes, confie la garde des deux Châtelets, du Temple et de l'arsenal à des officiers de confiance, et fait descendre sur Saint-Denis les troupes françaises et suisses qui étaient les plus proches de l'Île-de-France. Ces mesures ayant fait avorter l'entreprise, Mayenne aurait pu sortir de Paris par la porte de Bussy, ainsi qu'il était convenu ; mais il aurait eu l'air de fuir. Ayant obtenu, par l'entremise de la reine mère, un sauf-conduit pour prendre, congé du roi et retourner dans son gouvernement, quand il vint saluer Henri III, ce dernier se contenta de lui dire : Quoi ! mon cousin, vous abandonnez ainsi la Ligue et les ligueurs ? A quoi Mayenne répondit assez bas qu'il ne savoit ce que le roi lui vouloit dire[2]. Il paraît qu'une fois hors de la ville, lui et Bassompierre jurèrent de ne plus s'enfermer dans ses murs, où l'on courait risque de laisser la vie et l'honneur. Le duc de Guise manifesta un vif mécontentement en apprenant l'escapade des Parisiens, et ne se gêna nullement pour faire sentir toute sa colère aux Seize, leur reprochant comme une injure personnelle de ne s'être pas fiés à la parole qu'il leur avait donnée de les secourir en cas de danger réel, et surtout les accusant de contrarier ses projets par leur soulèvement intempestif, que rien ne justifiait. Les ligueurs de Paris demandèrent très humblement pardon au grand chef de la Ligue d'avoir agi sans son ordre, en dehors de sa coopération, et jurèrent d'être à l'avenir. plus confiants et plus calmes. Le Balafré, qui cachait ses desseins à tout le monde, même à ses frères, continuait, de la Champagne, à correspondre avec Mendoza pour le tenir au courant de sa situation contre le duc de Bouillon, et avec Pfiffer, qui devait lever pour lui huit à dix mille Suisses dans les cantons catholiques à la solde du roi d'Espagne. Il informe Mendoza de la situation de l'armée du duc de Parme, qui n'a pas de cavalerie, et dont l'infanterie est incapable de faire campagne. Je vous supplie, éccrit-il au ministre de Philippe Il, en vouloir dire que vous tenez cela de moy, mais prendre la peine d'en faire escrire de bonnne sorte afin qu'il lui plaise y donner quelque bon ordre[3]. Le 9 avril 1587 il écrit au même pour qu'il presse l'envoi de trois cent mille écus dont il a besoin, et suivant nostre traité, ajoute-t-il, de sorte que ung manquement ne puisse apporter retardement ny confusion en noz affaires. Et dans le post-scriptum : Mandez, s'il vous playst, en diligence, que l'argent soit prest ; car il est infaillible que nous allons courre aux armes, et faictes que le duc de Parme aproche ses forces de la' frontière de Picardie, et qu'il le fasse en toute extrême diligence, et vous me ferez très grand plaisir[4]. La cour redoutait Guise, qui maintenant s'emparait des places de guerre et les gardait pour la Ligue. Malgré le roi, il continuait à menacer le duché de Bouillon. Henri III dépêcha vers lui Attigny de Bellièvre, le président Jeannin et Zamet pour amener une entrevue entre d'Épernon et lui. Aux demandes d'accommodement qu'on lui expose, Guise répond en réclamant les places de sûreté qu'on a promises à la Ligue ; et quand on lui dit de rendre celles dont d'Aumale s'est emparé dans la Picardie, il propose de les échanger avec d'Épernon contre la citadelle de Calais. Pour tâcher d'amener a composition cet auxiliaire aux desseins impénétrables, Catherine de Médicis se met en route pour Reims, ou Guise, malgré l'ennui et la répugnance que cette entrevue lui cause, vient la rejoindre le 24 mai, un samedi. La reine mère, toujours artificieuse et remplie de douceur, dit n'être venue que pour savoir de lui ce dont il se plaignait, l'assurant, du reste, que le roi estoit en fort bonne volonté de l'advencer plus que jamais, cognoissant qu'il n'avoit plus fidèle subject que luy et plus digne d'estre employé en grande charge. Mais le duc, se souvenant des paroles de l'Évangile : Hæc omnia tibi dabo, ne se laissa point prendre à tels allèchements et artifices, et lui répondit : Madame, j'ay toujours esté honoré des faveurs et grâces du roy ; j'ay toujours essayé de révérer ses commandements, d'employer ma vie en l'exécution d'icelles, je n'ay aulcune occasion de mécontentement en mon particulier ; mais venons, s'il vous plaist, au publie, auquel je pro- teste que je me suis du tout dédié[5]. Ce début ne permettait guère à Catherine d'espérer la moindre concession de la part du duc. Ayant parlé du faict de Picardie pour se plaindre de ce que certaines villes avaient été enlevées par les catholiques, et que le roi était décidé d'y employer la force pour les ramener à son autorité, Guise répondit que rien n'eût remué en Picardie s'il avait été écouté ; mais que les choses estant ainsi passées à bonne fin, par si bons catholiques, désireux de la conservation de la religion, il ne pouvoit improuver le faict, et estoit en volonté de défendre et soutenir les auteurs, sans rien espargner de les moyens et la vie[6]. Quant aux forces que le roi était disposé à envoyer en Picardie, Guise répliqua qu'elles seraient mieux employées contre les hérétiques. Après la Picardie, Guise aborda de nouveau la question de Sedan et de damer, et la reine fut obligée sur tous ces points de battre prudemment en retraite, car son adversaire n'entendait se prêter à aucun compromis, et ne se laissait prendre à aucune promesse. Le duc, d'ordinaire si maitre de lui et de ses paroles, s'emporta si vivement en faisant le tableau des outrages commis contre Dieu et contre la religion, qu'il alla jusqu'à dire à la reine mère que si le roi ne lui donnait pas les moyens de les venger, il serait dans l'obligation de s'emparer des deniers des recettes générales[7]. Il était difficile de lever plus franchement le masque de la révolte ; aussi Catherine de Médicis se retira-t-elle fort irritée contre le Balafré, qu'elle engagea néanmoins à aller voir le roi à Meaux. Guise, avant de rejoindre le roi, avait à prendre les dernières mesures nécessaires pour être en situation de se défendre avec ses propres ressources dans le cas où la cour ne mettrait à sa disposition que des forces illusoires. Dès le milieu de février l587, il avait rallié à la Ligue Bellagny, gouverneur de Cambrai, et s'était ainsi assuré une bonne place sur la frontière ; en même temps il traitait avec le marquis de Canillac, obtenait, de ce seigneur d'excellentes positions en Auvergne, et mettait à l'abri de toute mauvaise entreprise Marguerite de Valois, dont les protestants auraient voulu s'emparer pour la forcer de divorcer avec le roi de Navarre. Toutes ces précautions prises, tous ces préparatifs terminés, et après avoir [fait un court séjour à Paris, le Balafré arriva à Meaux, le 4 juillet, avec une escorte brillante et nombreuse. Le roi lui fit bon accueil, et feignit de prendre en très lagune part tout ce que le duc avait fait ou laissé faire en Normandie et contre le duché de Bouillon. Depuis longtemps le roi avait coutume de murmurer entre ses dents : De inimicis mois vindicabo inimicos meos[8]. Son plan, en effet, était d'envoyer Joyeuse, avec une forte armée, contre le roi de Navarre, qui devait être ainsi écrasé avant d'avoir reçu d'Allemagne les secours promis depuis si longtemps et en marche vers la frontière. Guise allait être opposé aux reîtres ; mais le roi ne devait donner au duc que des forces insuffisantes, afin qu'il fût écrasé par les Allemands. Quant à lui, il se proposait de rester de l'autre côté de la Loire, pour couvrir Paris avec l'armée la plus nombreuse, se porter de là sur le point le plus menacé, et ramener la victoire sous ses drapeaux. Ce plan, en apparence, ne manquait pas d'habileté, mais il dénotait de la part de celui qui l'avait conçu une ignorance profonde du caractère et des capacités des deux hommes qui étaient chargés de son exécution. Henri III prêtait à Joyeuse les qualités d'un grand capitaine lorsqu'il n'avait que celles d'un soldat brave et hardi, tandis qu'il supposait Guise capable d'aller se heurter sans chance de vaincre contre des forces infiniment supérieures aux siennes. Aussi advint-il le contraire de ce qu'Henri III avait espéré : Joyeuse se fit tuer à la bataille de Coutras, qu'il perdit contre le roi de Navarre, tandis que le duc de Guise, tout en battant en retraite, devait défaire et tailler en pièces les Suisses et les reîtres levés par la reine d'Angleterre et par les princes luthériens. L'entrevue de Meaux, depuis longtemps projetée, avait fait naître a la cour une espérance de réconciliation entre le roi et le Balafré. Mais ce n'était là qu'une illusion chimérique. Si Henri III avait des sourires charmants pour son cousin, qui lui offrait à table la serviette, ainsi que le voulait sa charge de grand chambellan, ce dernier s'était vite aperçu que les familiers du duc d'Épernon ne quittaient guère le roi ni leur maitre, et qu'ils portaient la cotte de mailles sous leurs habits de cour. D'autre part, lorsque le roi, après avoir recommandé à Guise de se joindre promptement au duc de Lorraine, ajoutait que son royaume était si opprimé par la guerre qu'il désirait trouver quelque moyen d'apaiser les choses, son interlocuteur ne lui laissait pas ignorer l'impossibilité ou il était de rien pouvoir décider à cet égard sans le consentement des membres de sa famille et des autres princes confédérés. Cependant il fut décidé, pendant les trois jours que Guise resta à Meaux, qu'il aurait le commandement de l'avant-garde de l'armée de Lorraine, destinée à opérer contre les étrangers, et que Joyeuse irait attaquer le roi de Navarre. Quand ils se séparèrent, le roi pensoit bien moins à repousser les Allemands qu'à prévenir le danger dont l'ambition du duc le menaçoit[9]. Il est donc évident qu'en de telles dispositions d'esprit Guise avait plus à compter sur son propre génie et sur les secours de ses alliés que sur la parole du monarque. Joyeuse avait déjà obtenu dans le Poitou de sérieux avantages ; ses succès l'avaient même ébloui au point de lui faire espérer la possibilité de renverser le duc d'Épernon, tout en faveur auprès du roi, et de devenir le chef de la Ligue à la place du duc de Guise. Il croyait atteindre ce double but en rendant au roi le signalé service de battre avec les troupes royales l'armée du Béarnais ; tandis que le Balafré, vaincu par les Allemands ; perdrait auprès de la Ligue le prestige dont il était entouré. Joyeuse, seul victorieux, supplantait d'Épernon dans les bonnes grâces du roi et Guise dans la direction suprême du parti de la Ligue : Le mignon calculait aussi mal que son maître. Quand il arriva à la cour pour obtenir du roi la permission d'attaquer le Béarnais dans une rencontre décisive, son retour fut marqué par des événements de funeste présage. D'abord il apprit la mort de sa belle-sœur, Catherine d'Épernon, femme d'Henri de Joyeuse ; comte du Bouchage, La douleur que cette mort prématurée, — car la comtesse était très jeune et très vertueuse, — causa à son jeune frère fut si violente, qu'il renonça au monde et se retira aux capucins. Toute la cour faillit prendre le deuil à cette nouvelle ; mais ni les prières ni les supplications du roi ne purent rien sur la décision du comte. Peu de temps après (27 août), le roi mariait le duc d'Épernon, ce rival de Joyeuse, avec Marguerite de Foix, comtesse de Candale, appartenant à l'une des plus riches et des plus nobles familles de la chrétienté. Le mariage, à la vérité, se fit à petit bruit ; mais, le dimanche suivant, il y eut à l'hôtel neuf de Montmorency[10] un festin magnifique, auquel toute la cour assista. Le roi y balla en grande allégresse, ayant neanmoins à sa ceinture son gros chapelet à testes de morts. En ce jour le roi donna à la mariée un collier de cent perles estimé à cent mil escus ; le bruit étoit tout commun qu'il avait donné au duc qu'il nommoit son fils aisné, quatre cent mille escus en faveur de ce mariage[11]. Le spectacle des faveurs dont le duc d'Épernon était l'objet, joint au bruit de sa disgrâce, fit hâter à Joyeuse son départ de la cour, jurant de vaincre ou de mourir en combattant contre le roi de Navarre. A la nouvelle de son départ et d'une prompte bataille, presque toute la noblesse de la cour et des provinces accourut se ranger sous ses ordres avec un chevaleresque empressement. On le savait brave, hardi, généreux ; c'était autant qu'il en fallait. Les armées allemandes ayant franchi au commencement de septembre les frontières de la Lorraine, le Béarnais se préparait à aller leur rencontre. D'Évreux, où il avait reçu des canons de la Rochelle et des renforts de Gascons qu'il attendait, il venait d'entrer dans la Saintonge, et comptait remonter la Dordogne jusqu'à sa source pour opérer sa jonction avec ses alliés et marcher avec eux contre Paris. Joyeuse, qui était à Loudun d'abord, vint à marches forcées jusqu'à Barbezieux. Dès le lendemain de son arrivée dans cette ville, les deux armées, qui se cherchaient, se trouvèrent en présence. Vainement, ce jour-là (19 octobre), Joyeuse essayait de s'emparer du bourg de Coutras ; sa cavalerie ayant été repoussée par Claude de la Trémouille, duc de Thouars, il fut obligé d'aller coucher à la Roche-Chalais. L'armée royale était plus nombreuse que l'armée ennemie ; mais si les gentilshommes catholiques qui s'y trouvaient ne le cédaient en rien comme bravoure aux gentilshommes huguenots, leur turbulence et leur folle gaieté jetaient dans leurs rangs surtout dans ceux de leurs troupes, un désordre qui ne pouvait manquer de leur être funeste. C'était, dit un historien[12], le caractère français, cette génération si brillante qui, molle et efféminée aux castels, courait mourir aux batailles en chantant et gambadant. Sous les tentes, soldats et officiers passaient leurs nuits à boire, à jouer ou à conter des histoires drolatiques et licencieuses, telles que le Garde-pot, le Garde-nappe, le Testament d'un amoureux, la Vie généreuse des mattois, gueux, bohémiens et cagous, etc. etc.., ou bien les discours de M. Saint-Jambon et de Mme Sainte-Andouille... Tous ces petits dires et bons mots faisaient l'esbattement et joyeuseté du camp royaliste, plein de licence, à l'encontre des mœurs sévères des huguenots et de la piété Sainte de l'Union[13]. La petite armée du Béarnais était dressée à une discipline sévère, rompue à la fatigue et aux privations. Comme il y avait longtemps qu'elle tenait la campagne, elle était parfaitement aguerrie, et il n'ét4iit pas un de ses officiers que le général en chef ne pût appeler par son nom. Dans les tentes on n'entendait que chant de psaumes, prêches et exhortations des ministres. Au lieu de dentelles, de soie et de velours, les officiers n'étaient couverts que de cuir, de fer ou d'acier. Avant d'aller au combat, tous s'agenouillaient et faisaient la prière à haute voix. Le Béarnais donna l'exemple en se prosternant le premier devant un ministre pour demander pardon à Dieu de certaine faute qu'il avait sur la conscience et qui lui fut reprochée devant tous. Il ne croyait pas s'abaisser aux yeux de ses. soldats en faisant ainsi sa confession publique. Joyeuse, en les voyant ainsi prosternés, dit qu'ils avaient peur : Lavardin, un de ses lieutenants, lui répondit qu'ils s'apprêtaient à vaincre ou à mourir. Henri a placé sa petite armée en ordre de bataille et parcourt les rangs, adressant à tous de ces bonnes paroles qui remuent l'âme du soldat et en font un héros. Au prince de Condé et à Soissons, son jeune frère, qui a quitté la cour pour combattre dans les rangs des huguenots, il dit en les embrassant : Souvenez-vous que vous êtes Bourbons, et, vive Dieu ! je vous montrerai que je suis votre aîné. — Et nous vous ferons voir que vous avez de bons cadets, répliquent les deux frères. L'attaque commença a huit heures du matin par une vive canonnade de part et d'autre. Clermont d'Amboise, qui avait bien posté ses batteries, causait de terribles ravages dans l'armée royale, tandis que l'artillerie de Joyeuse, mal pointée et postée en contrebas, labourait le sol sans atteindre l'ennemi. Ce que voyant, Joyeuse dit à Lavardin et à Montigny de charger avec leur cavalerie légère contre la cavalerie légère et une partie de l'infanterie protestante de Turenne et de la Trémouille. Les calvinistes plient sous le choc, leurs bataillons sont enfoncés ; et quand Joyeuse arrive à son tour avec l'élite de la noblesse, la victoire semble définitivement pencher de son côté. C'est alors que le roi de Navarre, Condé et Soissons fondent sur les royaux et les serrent tellement dans un cercle de lances et d'épées, qu'ils tombent presque tous mortellement frappés. Joyeuse aurait pu fuir ; mais il s'était juré de vaincre ou de mourir, et, comme la victoire lui échappait, il se jeta bravement au plus épais des escadrons huguenots pour y trouver une mort glorieuse. Son frère, Claude de Saint-Sauveur, périt à côté de lui. La bataille de Coutras, qui ne dura guère plus d'une heure[14], coûta au roi deux mille hommes de ses meilleures troupes ; et la reine mère dit tout haut qu'en toutes les batailles depuis vingt-cinq ans il n'était mort autant de gentilshommes français qu'en cette malheureuse journée. Le roi regretta la noblesse, mais se consola de la perte de son chef pour avoir reconnu qu'il étoit de la Ligue[15]. La perte de la bataille de Coutras et la mort de Joyeuse laissaient le duc de Guise plus puissant et plus maitre que jamais de la situation. Henri de Bourbon, que la mauvaise fortune n'abattait point, ne montra aucune vanité du brillant succès qu'il venait d'obtenir, il regretta la mort de Joyeuse, et ne parut pas s'apercevoir qu'on avait décoré la salle ou il lit son repas le soir avec les enseignes prises à l'ennemi. Sa table était tout entourée des prisonniers qu'on lui amenait ; il causa avec eux avec bonté, et fit prodiguer aux blessés des deux armées les mêmes soins. Par son ordre et sur la prière de Turenne, les corps de Joyeuse et de son frère furent embaumés et envoyés à leur famille. Henri aurait pu tirer bon parti de sa victoire ; mais après délibération l'armée protestante se divisa en deux parties. Condé conduisit la première à la Rochelle, pour passer ensuite dans le Limousin et remonter aux sources de la Loire ; et Henri de Navarre, se voyant abandonné d'une partie de sa noblesse, conduisit l'autre à Sainte-Foy, dont il laissa le commandement à Turenne, et retourna à Pau pour voir sa sœur. Revenons maintenant au duc de Guise et à l'armée auxiliaire que les huguenots attendaient d'Allemagne. Cette dernière s'était donné rendez-vous pour le mois d'août dans les plaines de l'Alsace. Elle était composée de huit mille reîtres, formant vingt et une compagnies, de vingt mille Suisses, divisés en quarante compagnies, dont quatre mille passèrent dans le Dauphiné, où ils furent défaits[16]. Ces mercenaires étaient commandés par le baron de Dohna, général très capable pour diriger une charge, mais inhabile à conduire tant de troupes à travers des pays inconnus. Les princes alliés lui donnèrent pour lieutenant un Français, Michel de la Muguerie, qui, dit-on, servait d'espion à Guise dans le camp de ces étrangers. Le 20 août, toutes ces forces étaient réunies près de Strasbourg, où elles furent rejointes par le duc de Bouillon et le comte de la Marck, son frère, ayant avec eux deux mille hommes d'infanterie française et trois cents chevaux. Bouillon avait été nommé généralissime de l'armée auxiliaire ; mais le roi de Navarre lui ordonna d'avoir la plus grande déférence pour le baron de Dohna, à cause de son âge et de l'importance numérique des troupes qu'il commandait directement. C'est par le défilé de Salzbourg que cette armée pénétra en Lorraine. Guise arriva à Nancy le 27 août, n'ayant, pour arrêter l'ennemi, qui devait se joindre au roi de Navarre en traversant la Lorraine, la Champagne, la Bourgogne, franchir la Loire vers la Charité, comme l'avait fait déjà l'armée de Jean- Casimir, et ensuite marcher sur Paris, que ses compagnies d'hommes d'armes, celles de son fils, du chevalier d'Aumale, du comte de Chaligny, de la Châtre, d'Amblize, trois cents chevaux mi-partis albanais mi-partis italiens, que lui envoya le duc de Parme, et à peu près autant qui lui vinrent de Cambrai. Ces troupes, jointes à celles du duc de Lorraine, dont il prit aussi le commandement, ne formaient guère qu'un effectif de trois mille chevaux et de douze mille fantassins, dont il fut obligé de distraire plus de quatre mille pour garnir les places situées dans les environs de Nancy. Avec ces onze mille hommes, il ne pouvait pas se mesurer en bataille réglée avec les vingt-sept à vingt-huit mille du baron de Dohna ; mais, en étant lui-même à la tête de son avant-garde, il pouvait les serrer de près et les empêcher de se ravitailler, en les attaquant tantôt de front, tantôt de flanc, en tombant à l'improviste sur leurs convois ou en les attendant au moment où ils passaient les rivières à gué. Allant directement à leur rencontre, il est sur leur flanc, tandis qu'ils semblent se diriger de Lunéville sur Nancy. Tout à coup ils changent de direction ; ils marchent sur Baillon, Charmes et la Moselle. Guise devine leur dessein et va les attendre au. Pont-Saint-Vincent (5 septembre), où il fait prendre position à l'armée de Lorraine. Avec quelques troupes légères, Bassompierre, la Châtre, Balzac des Dunes et quelques autres gentilshommes, il se porte ensuite en l'avant-garde pour reconnaître l'ennemi. La rivière de Colon les sépare : Guise la traverse ; mais il est attaqué par les Allemands postés sur l'autre bord. Obligé de repasser cette rivière ; il fuit en escaladant une petite montagne, ayant l'ennemi à ses trousses. Guise est mal monté et mal armé ; son début est une déroute. Déjà ses officiers lui conseillent de fuir pour ne pas risquer d'être fait prisonnier. Au lieu de les écouter, il enjoint à Bassompierre, à la Châtre et à Balzac de retourner au Mont-Saint-Vincent et de faire mettre l'armée en ligne de bataille pour soutenir sa retraite, Alors, réunissant sa petite troupe, haranguant les Allemands en allemand, les Italiens en italien, les Français en français, il fait en personne une charge désespérée qui arrête l'ennemi et qui permet d'atteindre le plateau de la colline, qu'il redescend par un vallon situé sur le côté ; il vient ensuite repasser le Colon à un gué sans être vu des Allemands. Quand ils s'aperçurent de sa fuite et qu'ils voulurent à leur tour passer le gué au même endroit, ils furent accueillis par une vive fusillade, que déchargèrent sur eux les arquebusiers de la Châtre postés en embuscade dans les environs d'un moulin. Les alliés voulurent attaquer les arquebusiers ; mais les Lorrains, qui étaient tous à leur poste, les chargèrent en flanc avec une telle furie qu'ils les obligèrent à battre en retraite. Guise avait rejoint le gros de l'armée au Pont-Saint-Vincent. Elle était en ordre de bataille, s'attendant à être attaquée ; quant aux alliés, ils reprirent leur marche. Guise alors se remit à leur poursuite, suivant une ligne parallèle et continuant, par de fréquentes escarmouches, à les inquiéter dans tous leurs mouvements. Les Allemands et les Suisses alliés traversèrent le duché de Vaudemont, et les Lorrains les suivaient sur leur gauche, par Toul. Les alliés ayant campé à Saint-Urbain, sur le territoire de France, Guise détacha trois cents arquebusiers pour aller tenir ferme dans Joinville au cas où la ville aurait été attaquée, et en attendant qu'il vint la défendre lui-même avec les troupes qui lui restaient. Une fois que les Allemands eurent évacué son territoire, le duc de Lorraine n'osa pas permettre à son armée d'entrer en France sans la permission du roi son beau-frère. Joinville ne fut pas attaqué, et aucun engagement n'eut lieu, à cause des pluies, qui rendaient la marche des deux nuées très difficile. Après une assez longue discussion sur la route a prendre, le duc de Bouillon étant d'avis de se diriger sur Sedan et les autres sur la Picardie, où l'on espérait trouver des vivres en plus grande abondance, les alliés résolurent de marcher vers la Loire. En route, leur armée fut grossie par l'arrivée de cent gendarmes et de douze cents arquebusiers à cheval, que François de Coligny, sieur de Châtillon, fils aîné de l'amiral, amenait du Languedoc à travers le Dauphiné. Tandis que les forces de l'étranger grossissaient d'autant, celles de Guise étaient réduites à moins de quatre mille hommes. Les Allemands, les Suisses et les renforts amenés par Coligny ayant opéré leur jonction le 22 septembre, l'armée se remit en marche après quelques jours de repos et arriva devant Châtillon-sur-Seine, où la Châtre s'était enfermé avec trois mille arquebusiers et quatre cents chevaux que le duc de Mayenne avait envoyés dans cette place. Quand les alliés voulurent passer la Seine au pont des Estrochets, la Châtre fit une vigoureuse sortie contre leur arrière-garde, que commandait Châtillon. On se battit vaillamment de part et d'autre ; mais, le fils de l'amiral ayant été secouru, le lieutenant de Guise fut obligé de se retirer dans la ville. Après avoir traversé la Seine, les alliés se dirigèrent sur l'Yonne, et enfin sur Seynes, où vint mourir le comte de la Marck, souffrant depuis longtemps d'une maladie que la fatigue de la marche avait aggravée. La division commença dès lors à se mettre dans l'armée envahissante ; Bouillon restait sans autorité ; ses ordres étaient disputés par des officiers subalternes, incapables de se mettre d'accord entre eux, et par conséquent de prendre une décision. Le Balafré, qui était tenu au courant de ce qui se passait dans le camp ennemi, profita du désordre pour renouveler ses attaques soudaines sur la droite en s'appuyant sur Sens, tandis que Mayenne traversait la Bourgogne et inquiétait la gauche des alliés. D'accord dans leurs opérations, les deux frères ne laissaient pas une heure de repos à l'ennemi, qu'ils surprenaient la nuit pour le forcer à prendre les armes, et l'empêchant dans le jour de se ravitailler, lui tuant chaque fois beaucoup de monde et disparaissant aussitôt. Cependant les Allemands avaient passé l'Yonne à Mally-la-Ville, où ils trouvèrent un peu plus loin un envoyé du roi de Navarre qui venait les engager à remonter la Loire vers sa source ; mais, au lieu d'obéir, ils préférèrent, une fois arrivés à Arsy, prendre la route du Centre, afin de se rapprocher de la Charité, comme l'avait fait le duc de Deux-Ponts. Pendant ce temps, les événements qui se passaient à Paris obligeaient le roi à donner à Guise un secours bien indépendant de sa volonté. Un prédicateur de Saint-Séverin ayant prononce en chaire un sermon dans lequel le duc d'Épernon et même le roi étaient traités d'hérétiques, le bruit se répandit que ces prédicateurs et plusieurs autres ligueurs allaient être arrêtés. Le lendemain, 2 septembre, vers les six heures du soir, il y eut dans la rue Saint-Jacques un grand rassemblement de peuple ; quelques hommes crièrent : Aux armes ! les huguenots veulent assassiner les prédicateurs et les catholiques ! et le tocsin sonna à Saint-Benoît. Toutefois l'affaire n'eut pas de suite grave ; de fortes patrouilles parcoururent les rues, et le roi se montra en public comme si rien ne s'était passé. Mais il comprit qu'il ne pouvait plus rester dans Paris, qu'il fallait qu'il donnât des preuves de sa sincérité, et qu'il allât combattre lui- même contre le roi de Navarre et les alliés. Le 12 septembre il quitta Paris avec d'Épernon, Nevers et tous les seigneurs de sa cour pour se rendre au camp d'Étampes, où attendaient huit mille Suisses, mille hommes d'infanterie française et deux mille gendarmes. A la tête de cette armée, dont d'Épernon commandait l'avant-garde et Nevers le centre, il marcha vers le Berry pour garder les passages de la Loire depuis la Charité jusqu'à Gien. Les alliés avaient toujours cru que le roi, n'ayant entrepris cette guerre que contraint et forcé, n'aurait rien de plus empressé que de leur livrer la Charité, afin de faire la paix aussitôt qu'ils seraient arrivés sur les bords de la Loire. Quand ils apprirent que le roi en personne leur disputait le passage de cette rivière et qu'ils avaient désormais à manœuvrer entre trois armées, ils s'emportèrent violemment contre les Français, qui les avaient attirés dans ce mauvais pas en leur promettant que le roi favoriserait l'entrée du royaume, qu'un prince du sang viendrait se mettre à leur tête, et qu'ils toucheraient immédiatement les sommes qui leur avaient été promises. Avec Henri III et Nevers devant eux, ils ne pouvaient marcher que précédés d'une forte avant-garde, ce qui affaiblissait d'autant le gros de l'armée, attaquée sur sa gauche par Mayenne et sur sa droite par Guise, qui venait d'être rejoint par d'Aumale, d'Elbeuf et le comte de Brissac, tous ces capitaines ayant amené avec eux des troupes fraîches en bon nombre. Les alliés s'étant emparés de Bléneau, qu'ils avaient pillé, pour se diriger ensuite sur Châtillon-sur-Loing, Guise alla camper à Courtenay, afin de mettre Paris à l'abri des Allemands. Ayant alors appris que les ennemis traversaient la plaine qui est entre Gien et Montargis, résolut de les attaquer, malgré l'avis de Mayenne[17] et de quelques autres officiers. Dépêchant immédiatement la Châtre sur Montargis pour reconnaître les positions occupées par les Allemands, il part ensuite avec le gros de l'armée, dont Mayenne commande l'avant-garde. Les rapports indiquaient que le baron du Dohna, avec ses cornettes de reîtres, soutenus par la cavalerie française, était à Vimory, l'infanterie française à Château- London, qui est à une lieue, les Suisses et les lansquenets dans deux bourgs peu éloignés. Guise a compté sur les ombres de la nuit pour cacher sa marche à l'ennemi et assurer le succès de son entreprise. Mayenne et d'Elbeuf commandent l'avant-garde, composée de cinq cents hommes. Le Balafré est au centre ; il a autour de lui ses gentilshommes, soixante chevau-légers et trois cents gendarmes ; d'Aumale couvre sa droite avec deux cents hommes. L'infanterie est divisée en trois corps : un de mille arquebusiers, commandé par Saint-Paul, et les deux autres de huit cents hommes, commandés par du Cluseau et Chevrières. L'infanterie pénétra dans le bourg de Vimory, étroit comme un boyau et long d'une demi-lieue ; l'ennemi, surpris, ne put opposer aucune résistance, et fut passé au fil de l'épée à la lueur des incendies que les soldats allumaient pour le forcer à sortir des maisons. Cependant le baron du Dohna eut le temps de rallier ses. cornettes de reîtres et de charger les Français : L'infanterie soutient le choc jusqu'à l'arrivée, de Mayenne, qui, à la tête de, sa cavalerie, refoule les reîtres et en fait un affreux carnage. Dans la lutte, à la lueur des incendies, les deux chefs se reconnaissent, et un combat singulier s'engage entre eux. Dohna, un pistolet à la main, se précipite sur Mayenne et l'atteint au visage. Le coup est amorti par la jugulaire du casque. Mayenne, qui attendait Dohna de pied ferme, lui assène un coup d'épée sur la tête ; mais l'arme glisse et ne fait au général allemand qu'une large éraflure. Guise, à son tour, arrive à la charge et achève la déroute de l'ennemi. Dans cette affaire, Rouvray perdit la cornette de Mayenne, dont les reîtres s'emparèrent, et une vingtaine de jeunes gentilshommes se firent massacrer dans un fossé dont ils ne soupçonnaient pas l'existence, et où ils se précipitèrent. Le 30 octobre, c'est-à-dire deux jours après cette affaire ; le duc de Guise écrivait à l'ambassadeur de Philippe : Il y a trois jours[18] que, contre l'advis d'ung chacun, je donnoys sur les sept heures du soir. Dans ung quartier des ennemis estoient logés vingt-deux cornettes de reistres, lequel nous levasmes, et furent taillez en pièces plus de sept. cents des leurs, qui demeurèrent sur la place avec un très grand nombre de blessez. Et tiens de leurs principaux colonels et capitaines prisonniers, y estant estez pris plus de douze cents chevaulx et quantité infinie de butin et de leurs chariots, qui leur a apporté un tel afoiblissement que je rn'asseure qu'avec les troupes de M. de Lorrayne que j'atands dans cinq ou six jours fayre quelque chose de bon, moyennant que je sois tant soit peu secouru. Ils ont perdu six ou sept cornettes qui furent bruslées, car tout a été mis en feu. Si j'eusse eu le reste de la cavalerie qui m'avoit deu passer à Montargis, je croys qu'ils fussent tous taillés en pièce[19]. Guise ne pouvait guère faire plus que de décimer ainsi l'ennemi par des coups de surprise qui, souvent répétés, lui causaient un préjudice plus grand qu'une bataille en règle ; mais il ne pouvait ni l'attaquer de front, ni s'opposer à ce qu'il s'emparât des petites villes sans défense. Il sut déjouer une trahison qui se tramait dans Montargis ; et si Châtillon n'avait pas été prévenu à temps que son entreprise avait échoué, il tombait entre les mains du Balafré. Après un siège de deux jours, les alliés s'emparèrent de la petite ville de Château-Landon, et de là se jetèrent dans la Beauce. Le Balafré, qui suivait attentivement leurs mouvements, en les voyant tourner le dos à la Loire et se placer entre l'armée du roi et Paris, fit un circuit parallèle en se portant de Montargis à Nemours et ensuite à Montereau à l'endroit où l'Yonne se jette dans la Seine, se rapprochant exprès de Paris, afin que le peuple de la capitale sût bien que les princes de Lorraine étaient toujours prêts à voler à son secours quand l'étranger le menaçait. Ce mouvement tournant inquiéta le roi, qui voyait déjà Guise dans Paris, fêté et obéi comme un monarque, ou retournant dans son gouvernement de la Champagne pour le laisser seul, en face des alliés, courir le risque d'une défaite. D'Iteville fut chargé par le roi de s'informer auprès du duc des motifs qui lui avaient fait prendre cette détermination. Le Balafré s'excusa en alléguant la nécessité des laquelle il était de ne pas exposer sa petite armée dans un pays aussi découvert que la Beauce, et le besoin de repos qu'avait sa cavalerie, fatiguée et presque démontée après tant de courses. Il expliqua aussi à l'envoyé du roi le départ soudain de d'Aumale et de Mayenne. Le premier avait dû retourner en Picardie, où l'appelaient, ses affaires personnelles, et, le second en Bourgogne, pour réprimer une révolte qui venait d'y éclater. Quant à qui rien ne le pouvait distraire ni rebuter dans l'accomplissement de la tâche ; sujet très humble et très dévoué, il n'avait d'autre but que de chasser l'étranger, et d'autre désir que de mourir pour le service du roi. Le roi ne parut point satisfait des explications que lui rapporta d'Iteville ; l'absence de d'Aumale et le départ de Mayenne le laissaient dans de graves inquiétudes. Après que le Balafré eut dit adieu (18 octobre) à d'Aumale et à Mayenne, — ne pouvant se douter qu'il se séparait pour toujours de ce frère bien-aimé, — il ne lui resta plus que douze cents chevaux et trois mille arquebusiers. C'est avec ces faibles ressources qu'il allait achever de tailler en pièces les régiments de reîtres du baron de Dohna. Le duc était à Étampes lorsque les ligueurs de Paris dépêchèrent vers lui le commissaire Louchard et quelques autres délégués, pour l'engager à s'emparer de la personne du roi tandis qu'ils se rendraient maîtres de Paris et qu'ils renverseraient le parlement, coupable à leurs yeux de n'être pas assez dévoué à leur cause. Le chevalier d'Aumale n'attendait plus que son consentement polir se mettre à la tête de cette belle entreprise. Ces moyens insurrectionnels ne convenaient nullement au Balafré. Son ambition était trop grande pour être satisfaite par de semblables coups de main ; c'était par la gloire des armes et l'éclat des services rendus qu'il voulait être porté au pouvoir. Cependant il lui fallait ménager ses alliés ; ce fut donc avec de bonnes et amicales paroles qu'il congédia l'ambassadeur des Seize, après avoir promis de seconder leurs projets lorsque le moment serait venu. En même temps que les ligueurs de Paris envoyaient leurs délégués à Étampes, les Suisses, alliés des reîtres, dépêchaient une ambassade auprès du roi et auprès de Nevers pour assurer que- leur bonne foi avait étés surprise, et qu'ils s'étaient levés pour défendre Sa Majesté et non pour marcher contre elle. Le roi reçut les envoyés des Suisses très froidement ; il leur reprocha leur trahison et les menaça de les dénoncer aux cantons, à moins qu'ils ne se soumissent aux conditions que Nevers leur avait faites, d'abandonner le roi de Navarre pour passer dans l'armée royaliste. Le baron du Dohna et Châtillon eurent connaissance des négociations entamées par leurs alliés, dont la défection eût été la ruine de toutes leurs espérances et la perte certaine de leurs armées. Du Dohna vint lui-même trouver les Suisses, pour les conjurer de rester fidèles à leur parole ; ils étaient venus ensemble, c'est ensemble qu'ils devaient retourner dans leur pays. On leur fit espérer aussi que le roi de Navarre leur enverrait bientôt un prince du sang pour se mettre à leur tête, s'il n'y venait lui-même, et leur ferait toucher les sommes qui leur étaient dues, Les Suisses envoyèrent de nouveau un délégué près du roi pour qu'il leur accordât le temps de faire prévenir le roi de Navarre de ce qui se passait. Henri III, de son côté, ne voulait pas trop affaiblir les ennemis, espérant toujours que Guise commettrait une imprudence et se ferait battre, maintenant surtout que ses troupes étaient réduites à de si minimes proportions. Il comptait sans son hôte. Les reîtres, au contraire, ne redoutaient que Guise, qui, à l'exemple de son frère, les avait constamment battus, et témoignait même à leur égard un mépris souverain. Brantôme dit en parlant de François de Lorraine qu'il fut le premier à les vaincre, et son fils le dernier et seul[20]. D'Épernon, qui commandait l'avant-garde de l'armée royale, voulu tenter une entreprise contre les Suisses pour hâter les négociations ; mais Châtillon, qui observait ce mouvement, se porta à leur secours, et le favori d'Henri III fut obligé de se retirer. Toutefois il parvint à faire prisonnier Villeneuve de Cormont, dont il se servit plus tard pour traiter avec les Allemands. Le Balafré, malgré ses faibles ressources, s'était juré d'exterminer les reîtres jusqu'au dernier, et d'avoir à lui seul l'honneur de cette lutte si disproportionnée. Il ne pouvait arriver à ce résultat que par des coups de surprise habilement préparés et promptement exécutés. Sa finesse et sa pénétration d'esprit le rendaient apte plus que tout autre à cette guerre de ruse et d'audace. Quant à ses soldats, ils le suivaient les yeux fermés, tant ils connaissaient son courage et, sa prudence. Sous les ordres d'un tel capitaine, ils étaient d'avance toujours certains de la victoire, quel que fût le nombre des ennemis qu'ils eussent devant eux. Depuis longtemps ils étaient habitués à se battre un contre dix. D'Étampes, où il était encore, le Balafré envoya Saint- Paul et la Châtre à Orthon et Guillerval, pour observer la position de l'ennemi. Les fourrageurs dont ces deux capitaines s'emparèrent apprirent au duc que les alliés devaient être le lendemain à Orthon. Guise se préparait à les attaquer en cet endroit, lorsqu'il eut connaissance que l'ennemi se dirigeait vers Chartres. Mal lui en prit. Guise, à cette nouvelle, fait immédiatement partir la Châtre avec trois cents lanciers et six cents arquebusiers à cheval, lui donnant l'ordre de se rendre à Dourdan, place peu importante, mais défendue par un château fort retiré entre un bois et une petite rivière qui pouvaient au besoin assurer la retraite à ses troupes. L'ennemi était campé tout près de là dans un bourg nommé Auneau, où se trouvait aussi un château, dans la basse-cour duquel les paysans des environs s'étaient réfugiés avec leurs bestiaux et leurs objets de valeur à l'approche des alliés. Entre le baron du Dohna et le capitaine Chollard, commandant du château, il avait été convenu que les alliés n'attaqueraient pas cette petite place, et que la garnison qu'elle contenait resterait neutre de son côté. La Châtre, dès le point du jour, avait envoyé le capitaine Vins prendre position près d'Auneau avec la cavalerie légère qu'il commandait. Vins surprit un corps de fourrageurs ennemis et le tailla complètement en pièces. Le camp prit les armes ; mais après que les deux troupes furent en présence, séparées seulement par un ruisseau, nul ne voulut engager l'action. La Châtre, qui connaissait la position topographique du château, fit demander au capitaine Chollard la permission d'introduire les troupes du duc de Guise dans la place ; en même temps il expédiait une estafette à Guise pour lui rendre compte de la situation. Le Balafré accourut, n'emmenant avec lui que quelques troupes d'infanterie armées à la légère et sa cavalerie. Aussitôt sur les lieux, il fit venir Chollard et essaya de le gagner avec de l'or et des promesses. Mais ce capitaine, qui avait garanti aux paysans des alentours les biens et l'or qu'ils lu avaient confiés, ne voulait pas permettre aux soldats du duc de pénétrer dans le château, craignant qu'ils ne le pillassent. Il voulait seulement autoriser le duc à faire passer ses hommes sous les murs du château pour gagner Au veau en traversant dans toute sa longueur la. digue jetée entre un étang et un bois, et allant du château à la porte du bourg. Guise était trop prudent pour s'abandonner à la discrétion de ce capitaine, qui pouvait l'attaquer par derrière pendant qu'il serait aux prises avec les reîtres. Il en était là de ces négociations, lorsque le capitaine Vins parvint à attirer une partie des Allemands dans une embuscade. Après les avoir attaqués, il feignit une retraite et la dirigeait en bon ordre pour amener l'ennemi au point voulu. Tout à coup la Châtre, qui était embusqué dans les taillis, fondit sur eux en flanc. Vins fit alors faire volte-face à ses troupes, qui étaient prévenues ; et l'ennemi, pris entre deux feux, se débanda,. laissant sur la place une centaine de morts, parmi lesquels plusieurs officiers, tous gens de marque[21]. Pendant ce temps, le prince de Conti, frère de Condé, était arrive avec une faible escorte au camp des alliés. Sa venue fut saluée par des salves d'artillerie et par de longs festins. Bouillon remit au prince e commandement de l'armée, dont nul ne savait que faire. Le roi lui fermait la route du Vendômois ; Guise la harcelait tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; et, malgré la victoire remportée à Coutras, le roi de Navarre ne semblait guère disposé à venir la rejoindre par un endroit quelconque. Depuis deux jours on délibérait dans le camp des alliés pour savoir si l'on remonterait la Loire pour regagner l'Allemagne, ou si l'on tenterait le passage de cette rivière afin de rejoindre le Béarnais. Ce dernier avis finit par prévaloir, et le 21 novembre les trompettes sonnaient la levée du camp. Ces longues délibérations permirent à Guise de concentrer autour de Dourdan toutes les forces qui étaient restées à Étampes, et de s'entendre définitivement avec le capitaine Chollard, qui, moyennant une somme convenue, laissa entrer les ligueurs dans le château, à la condition toutefois qu'aucun dégât ni aucun larcin ne seraient commis au préjudice des paysans. Le 23, le Balafré envoie la Châtre avec divers corps, composés surtout de cavalerie, pour garder les taillis et les abords du lac, afin d'empêcher l'ennemi de fuir de ce côté. Confiant dans la protection divine bien plus qu'en son génie, il fait exposer le saint Sacrement dans l'église de Dourdan et passe une partie de la journée en prière. A la nuit tombante, il dirige sans bruit son armée dans le château. Il a à côté de lui son fils, le jeune prince de Joinville, les ducs d'Elbeuf et de Nemours, le chevalier d'Aumale, qui est venu le rejoindre depuis peu, le baron de Seneçay, le comte de Chaligny, du Randan, de Bois-Dauphin et, plusieurs autres gentilshommes et capitaines. Le capitaine Saint-Paul, soutenu par les colonels Ponsenac, Joannis, du Gié et du Bourg, commande l'avant-garde. Il doit attaquer le bourg par la gauche, tandis que Ponsenac, avec cinq cents hommes, doit opérer par une rue à droite. L'autre côté du bourg doit être attaqué par le capitaine Vins avec trois cents chevau-légers, soutenus par la Châtre et deux cents gendarmes. Cinquante arquebusiers gardent le château ; le reste de l'armée, qui doit donner dans la rue située au milieu du bourg où loge le baron du Dohna, est rangé en bataille dans la basse-cour ; Guise s'en réserve le commandement. Il est protégé sur ses deux flancs et a sa retraite assurée dans le château en cas d'échec. Le Balafré passe la nuit à cheval, allant de la droite à la gauche de son armée, causant familièrement avec tous les soldats, leur promettant la victoire et un riche butin. Le 24, à l'aube, l'ennemi bat la diane ; c'est le signal que Saint-Paul attend. Tandis que ce capitaine s'élance sur la voie qui conduit au château à la rue située à la gauche du bourg, le colonel Ponsenac prend celle qui conduit à droite. Mais les deux rues sont défendues par des barricades faites avec des tonneaux remplis de terre et des chariots. De ces défenses, les Allemands tirent sur les ligueurs, qui commencent à plier. Saint-Paul parvient à les rallier par la prière ou en les menaçant des arquebusiers qui, restés dans le château, ont ordre de tirer sur les fuyards, et il les ramène à l'assaut des barricades, qui sont franchies cette fois. La lutte alors s'engage dans les rues ; les reîtres qui gardaient les retranchements sont tous passés au de l'épée. Ceux qui étaient restés dans le bourg accourent de toutes parts ; mais ils sont accueillis par une terrible fusillade partant des maisons dont les soldats de Guise se sont emparés, et leurs chevaux les empêchent de manœuvrer dans ces rues étroites. La confusion se met dans les rangs des alliés, qui ne cherchent plus qu'à fuir. Ils courent aux portes du bourg, mais Guise les a fait fermer ; seul le baron de Dohna a pu s'échapper dès le commencement de l'action avec quelques officiers. Les autres essayent alors de faire sauter les remparts à leurs chevaux, ou se précipitent eux-mêmes dans les fossés. Ceux qui ne se tuent pas dans leur chute sont pris ou massacrés par la cavalerie de Vins et de la Châtre. L'action n'a duré quelques heures, mais elle a coûté la vie à près de deux mille reîtres ; quatre cents sont restés prisonniers, et tous leurs bagages, chariots et enseignes sont entre les mains des ligueurs, qui continuent le pillage pendant trois jours. Le baron du Dohna, qui, d'après Étienne Pasquier, n'appelait Guise que le prince des ténèbres depuis l'affaire de Vimory, avait couru à toute bride au camp des Suisses, des Français et du reste des Allemands logés dans le village pour les engager à venir au secours de ses reîtres. Quelques escadrons se présentèrent devant Auneau ; mais, à mesure ciels approchaient, ils étaient. taillés, en pièces par la cavalerie que Guise avait postée dans la plaine justement pour les attendre. Les Suisses et les Français de Conti, de Bouillon et de Châtillon, au lieu de venir au secours des reîtres, furent tellement terrifiés par ce coup d'audace qu'ils ne songèrent plus qu'à se fortifier dans leurs positions pensant non sans raison que si l'infanterie de Guise était fatiguée, elle avait un refuge sûr dans le château d'Auneau, et que la cavalerie, qui n'avait presque pas donné, était en mesure de les recevoir. Aussitôt la victoire certaine, le Balafré dépêcha la Châtre au roi pour lui en faire part et lui porter les enseignes prises à l'ennemi[22]. Henri III, qui était alors à Arthenay, parut écouter avec plaisir le récit que lui fit de l'action l'envoyé du duc de Guise ; mais lui, d'ordinaire si libéral, ne gratifia d'aucun présent ce gentilhomme en remerciement de la bonne nouvelle qu'il lui apportait, ce qui laissa supposer, non sans raison, que le nouveau succès de Guise froissait son amour-propre et l'irritait dans son orgueil. Le Balafré eût bien voulu détruire l'armée tout entière des alliés ; il eût suffi pour cela que le roi sortit de son inaction et combinât ses mouvements avec ceux des ligueurs mais Henri III était plutôt disposé à traiter avec l'ennemi qu'à le combattre. Guise ne pouvait plus dissimuler ses projets, ni agir par escarmouches comme il l'avait fait jusqu'ici. Avant d'entreprendre une nouvelle attaque, il fallait qu'il rallia son infanterie et qu'il prit ses dispositions en conséquence. Le lendemain de la bataille, il retourna donc à Étampes, où il fit chanter une grand'messe solennelle et un Te Deum pour rendre grâce à Dieu de la victoire qu'il lui avait donnée. Deux jours après, l'infanterie qui avait pillé le camp du baron du Dohna arriva, transformée en cavalerie et vêtue des dépouilles de l'ennemi. Ce fut une joyeuse mascarade dont les chevaux et les armes des reîtres faisaient les frais d'équipement et de costume. Quand la nouvelle de la victoire de Guise sur les reîtres arriva à Paris, le parti et les prédicateurs de la Ligue célébrèrent cet exploit avec force démonstrations d'enthousiasme ; les duchesses de Nemours et de Montpensier allèrent à Notre-Dame rendre à Dieu leurs actions de grâces, et une inscription portant ce titre : IN VICTORIÆ FELICITER REPORTATÆ MEMORIAM fut gravée en l'église Saint-Claude lorsque le duc y fut porter son vœu[23]. Le roi n'avait qu'à faire un mouvement pour écraser les Suisses et les débris de l'armée du baron du Dohna ; il préféra traiter avec les premiers, à qui il fit donner des vivres pour tout le temps qu'ils seraient sur le territoire de France et cinquante mille écus pour se remonter ainsi que leurs officiers[24] ; et mit d'Épernon à la poursuite des seconds. Cependant, après avoir rallié son infanterie et avant de passer dans la Bourgogne, où il doit rejoindre le marquis de Pont, qui attend les alliés sur l'Yonne avec quinze cents lances italiennes et trois mille reîtres, Guise est allé saluer le roi à Gien et le presser de fondre leurs armées pour marcher tous ensemble contre l'ennemi. Henri III, qui traite sous main avec eux par l'entremise de d'Épernon, remet l'expédition au printemps et laisse partir Guise. Le 5 décembre, le Balafré écrit à Mendoza pour l'informer de l'heureuse exécution de l'entreprise qu'il avait faite, et lui avoue que ce qui l'a fait résoudre, si promptement à l'entreprendre fut, dit-il, l'advis très certain que j'eus de l'intention du roy mon maistre, qui estait de poursuyvre et arrester des traictez avec les estrangers et faire parler à l'instant d'une paix que divertie par ceste heureuse entreprise[25]. Six jours après, le 11 du même mois, il écrit encore au même pour lui dépeindre le misérable état dans lequel se trouvent les reîtres, qui furent à l'aventure, sans armes, sans chevaux, poursuivis par les paysans, qui en ont tué plus de quinze cents, à coups de faux, et sont encore les bois pleins de ceux qu'ils ont abandonnés sans regarder derrière, ayder ni en défendre aucun. Et il ajoute ironiquement : Voilà l'ordre de leur traycte en laquelle Espernon les a suyvis onze journées, logeant à deux, trois et quatre lieuex d'eux, les voyant tous les jours par si long espace sans qu'il se puysse dire s'estre tiré une arquebusade, rompu une lance ni faict aucun exploit. Ce qui a tellement irrité les gens de guerre qui estoient avec luy que, indignés d'une lâcheté et trahison si évidente, ils l'ont quasi tous laissé et abandonné, même les compagnies entières avec les enseignes desployées, sans congé, et se sont retournés.... Or ayant, lors de ceste déroute, faict plusieurs dépêches à Mandelot et autres nos amis de ces quartiers, ils sont montés à cheval, et vénus à la teste des ennemis au même temps que je començois à m'en aprocher : ce que cognoissant Espernon, et leur perte entre certayne et inestimable, il a comance a traicter avec eux, non pour le bien et utilité publique, mais pour empescher et éviter par ce seul remède leur perte certayne et assurée. Toutefois je me réjouis, s'ils passent par mon gouvernement ou en Lorrayne, par quelque prix que ce soit, et sans avoir esgard à nulle parolle donnée, de les attaquer et parachever. Voilà l'estat où nous en sommes : le roi pense que, ces reîtres dehors, il nous manquera beaucoup de sujet d'entreprendre[26]. Quelque temps après la sanglante défaite d'Anneau et la défection des Suisses, les alliés opérèrent leur retraite par le Mâconnais. A Lancy, où ils. arrivèrent le 6 décembre, ils apprirent, par de Lormont, que d'Épernon leur avait envoyé, que les Lorrains les attendaient en Bourgogne et en Franche-Comté, et que Mandelot, gouverneur de Lyon, avait aussi levé des troupes, ajoutant qu'au surplus les neiges rendaient impraticable le passage des montagnes du Vivarais et du Dauphiné. Châtillon soutint que l'armée pouvait passer par les chemins couverts du pays, et se faisait fort de la conduire jusque dans le Vivarais, où ils seraient rejoints par Cham baud avec des troupes fraîches tandis que celles de Mandelot n'étaient pas à redouter. L'armée se remit en marche, toujours suivie de d'Épernon. Sur les hauteurs du Vivarais, nouvelle, reprise des négociations, entamées cette fois par Marivaux, qui proposait aux reîtres de se retirer paisiblement en Allemagne bannières déployées mais en s'engageant à ne jamais servir ni contre le roi ni contre l'Empereur, ou en abandonnant leurs drapeaux pour être libres de servir qui ils voudraient plus tard. Dans les deux cas une escorte leur était donnée pour gagner la frontière. Quant aux Français qui étaient avec eux, ceux qui étaient catholiques pouvaient rentrer dans leurs foyers, à la condition d'observer la religion apostolique et romaine, et les protestants se retirer du royaume en emportant leurs biens. Après une journée de délibérations, les Allemands, perdus dans ce pays neigeux et stérile, accablés de fatigue et de découragement décidèrent, malgré Châtillon, qu'ils sortiraient du royaume enceignes déployées. Le prince de Conti et Châtillon, ne voulant pas être compris dans le traité se retirèrent ; le premier avec sa cornette blanche dans un château des environs et le second dans le Vivarais, suivi des troupes et des gentilshommes qu'il commandait. Quand ils eurent quitté le camp, le baron du Dohna et ses officiers allèrent trouver d'Épernon, qui leur fit une amicale réception, et donna en leur honneur un magnifique repas. Après que les sauf conduits du roi furent arrivés, le reste de l'armée alliée se divisa en deux corps ; les uns gagnèrent leur pays par la Bresse et la Savoie ; mais les autres, ayant voulu traverser la Franche-Comté, furent rencontrés par le marquis de Pont et par Guise, qui les poursuivirent jusque dans le comté de Montbéliard où ils achevèrent de les tailler en pièces. Bouillon se retira à Genève, où il ne tarda pas à succomber par suite des fatigues de cette campagne. Le baron du Dohna et Boucq, son lieutenant, qui dirigeaient la première colonne, n'auraient pas davantage échappé à Guise sit le duc de Savoie, pour le plus grand plaisir qu'il pût faire au roy, n'eût favorisé leur passage ; reistres et Suisses eussent été infailliblement défaits[27]. Ainsi, malgré la bataille de Coutras, gagnée par le roi de Navarre sur Joyeuse, les huguenots, après cette campagne, voyaient leur puissant adversaire se dresser contre eux plus redoutable et plus populaire qu'il n'avait jamais été. Le Balafré, abandonné et même trahi par Henri III, presque seul, avec des forces dérisoires, soutenu seulement par la confiance inébranlable qu'il inspirait à ces troupes et par son génie, avait massacré ou dispersé une armée près de trente mille hommes, et qui s'était élevée à trente-cinq mille environ par les secours qu'elle avait reçus en route. Le nom du duc de Guise glaçait d'épouvante ces reîtres farouches, réputés pour être les premiers soldats du monde ! Après le départ des alliés, le roi fit, le 22 décembre, son entrée solennelle dans Paris, le casque en tête et couvert de son armure de guerre, comme un vainqueur. D'Épernon était à son côté dans le même équipage. Or, comme il était de notoriété publique que ni le roi ni son favori n'avaient tiré l'épée pendant cette campagne, la satire ne les épargna point. Par respect pour le trône, Henri III ne fut pas trop attaqué mais son mignon fut vertement fustigé par les pamphlétaires. On criait dans les rues un libelle portant ce titre pompeux : Grands faits d'armes du duc d'Espernon dans l'armée des hérétiques. A chaque page du livre, il n'y avait d'écrit que ce mot en lettres majuscules : RIEN. La fin de l'année 1587 est marquée par une foule de publications humoristiques ou licencieuses, dans lesquelles la verve des auteurs, s'exerçait avec une indépendance absolue aux dépens des grands et des petits. La guerre à coups de plume n'était pas moins ardente que la guerre à coups d'épée, et laissait des tracés non-moins profondes. La duchesse de Montpensier et Chicot se distinguaient surtout par leurs épigrammes et leurs bons mots, qui couraient la cour et la ville. Ceux de Chicot n'étaient que spirituels et tombaient indistinctement sur les ridicules, et les travers de tous les partis. Ce plaisant personnage, Gascon, fort riche, très-instruit et d'une excellente famille de bourgeois, était un des rares amis du dernier Valois. Il avait à la cour son franc parler, et il en usait pour donner au roi les conseils les plus judicieux ; malheureusement ils étaient rarement suivis. A la mort d'Henri III, Chicot suivit la fortune d'Henri IV et fut tué sous les yeux de ce monarque par le comte de Chaligny, qu'il venait de faire prisonnier. Tiens, Henriquet, je l'ai pris, je te le donne, en amenant son prisonnier dans la tente du roi. Le comte, furieux de se voir ainsi traité par un fou, donna sur la tête de Chicot un coup du pommeau de son épée et le tua. Lorsque Guise eut achevé la défaite des reîtres, Chicot avait dit à la cour : Il n'y a pas d'alouette de Beauce qui n'ait coûté aux huguenots un reître armé à cheval[28]. Quant à la duchesse de Montpensier, elle ne se bornait pas à faire à Henri III une guerre d'épigrammes et de menus propos ; elle était à Paris l'agent le plus actif de son frère. Toujours au milieu des ligueurs, elle menait de front intrigues sur intrigues pour susciter au roi, qu'elle poursuivait d'une haine implacable, des ennemis fanatiques, desquels devait sortir Jacques Clément, qu'elle arma elle-même du poignard des régicides. Les complots de cette princesse devinrent si menaçants pour la sûreté du roi et la paix publique, qu'elle reçut l'ordre de quitter Paris. Méprisant l'ordre royal avec une hautaine impudence, elle répondit qu'elle n'obéirait pas, et alla jusqu'à dire qu'elle portait à la ceinture les ciseaux qui donneraient à Henri III sa troisième couronne. Henri III ayant été roi de Pologne et roi de France, pour troisième couronne la sœur du Balafré lui réservait la tonsure. Il fut bruit à la fin de la même année que le duc de Guise s'était rendu à Rome incognito, et qu'il y était resté trois jours, durant lesquels il n'avait communiqué qu'avec le cardinal de Pellevé. Le fait semble inexact ; ce fut son fils, le prince de Joinville, qui se rendit à Rome. Le pape, il est vrai, fit remettre à Guise, après la bataille d'Auneau, l'épée gravée de flamme ; et le prince de Parme lui envoya ses armes, en lui disant qu'entre tous les princes de l'Europe il n'appartenait qu'à Henry de Lorraine de porter les armes et d'estre le chef de guerre de l'Église. Le Balafré, à son retour de Montbéliard, ne se laissa pas griser par les louanges dont il fut l'objet. Il savait, à n'en pas douter, que le roi moins que tout autre était satisfait de ses victoires, et qu'il avait à prendre garde aux pièges qui lui seraient tendus s'il voulait achever son œuvre ; que, d'autre part, les protestants, plus étourdis que vaincus par la défaite des reîtres, commençaient à se relever en Dauphiné, où Lesdiguières venait de reprendre Montélimar et tenait toute la province pour le roi de Navarre, en attendant que ce prince, aussi habile que courageux, reprit l'offensive en Guyenne et levât d'autres armées en Allemagne. Aussi Guise, loin de désarmer, s'apprêtait-il à recommencer de nouvelles luttes. |
[1] Mémoires. — Journal de l'Estoile.
[2] De Thou.
[3] Archives nationales, fonds espagnol, B. 59, n° 82, copia de Valette de Mucio de 24 marcz 1587, para don Bernardino de Mendoza.
[4] Archives nationales, fonds espagnol, B. 59, n° 82, copia de Valette de Mucio de 24 marcz 1587, para don Bernardino de Mendoza.
[5] Entrevue de la reine mère avec le duc de Guise à Reims. (Archives nationales, B. 59, n° 151.)
[6] Entrevue de la reine mère avec le duc de Guise à Reims. (Archives nationales, B. 59, n° 151.)
[7] Entrevue de la reine mère avec le duc de Guise à Reims. (Archives nationales, B. 59, n° 151.)
[8] C'est avec la main de mes ennemis que je punirai mes ennemis.
[9] De Thou. — René de Bouillé.
[10] Marguerite de Foix descendait par sa mère des Montmorency.
[11] Mémoires. — Journal de l'Estoile.
[12] Capefigue, Histoire de la réforme.
[13] Capefigue, Histoire de la réforme.
[14] La poursuite dura trois heures.
[15] L'Estoile.
[16] De Thou.
[17] Guise, irrité des observations qu'on lui faisait, répondit à son frère qu'il ne feroit point en toute sa vie ce qu'il avoit résolu en un quart d'heure. (Davila.)
[18] Vimory avait été attaqué dans la nuit du 27 au 28 octobre.
[19] Archives nationales, fonds espagnol, B 58, n. 58. Copia de Villete de Mucio escrito en el campo à Loire, à 30 de octobre 1587.
[20] Vie des capitaines illustres, par Brantôme.
[21] De Thou.
[22] L'enseigne de Mayenne, qui avait été perdue à Vimory, fut retrouvée à Auneau.
[23] De l'Estoile. Voici la traduction de cette inscription commémorative :
Les ennemis de la religion
orthodoxe et catholique, vaincuz, rompez et mis en route, qui, alant ramassé
quarante-cinq mille hommes, Allemands, Suisses et François, entrèrent en France
et menaçoient fièrement d'oster les clefs à saint Pierre et de les jetter hors
du siège apostolique ; qui, avant qu'avoir peu passer la Loyre, furent
deffaicts par Henry, duc de Guise, avec seulement trois mille hommes d'eslite.
Donc le duc de Guise, aiant poursuivi les restes de ceste armée entièrement
protestante, vint jusques aux environs de Genève, en rapportant toute la gloire
à Dieu et à sainct Claude d'une si grande et inopinée victoire, et rendit ses
vœux en l'église du sainct.
Les princes, ducs, comtes, chevaliers et soldats qui en ceste expédition avoient suivy ce brave prince, qui a tant obligé l'Église, mirent ioy de leurs mains victorieuses ceste plaque de cuivre en perpétuelle mémoire d'un si heureux exploict et vistoire si remarquable, l'an 1588. (Le texte, en langue latine, est dans le Journal d'Henri III, par l'Estoile.)
[24] De l'Estoile.
[25] Archives nationales, fonds espagnol, B. 58, n° 7.
[26] Archives nationales, fonds espagnol, B. 58, n° 9.
[27] Les Ducs de Guise, par René de Bouillé. Catherine de Médicis dit partout que sans le roy M. de Guyse eus deffaict tous les estrangers (Lettres missives d'Henri IV, t. II, p. 331.)
[28] Journal d'Henri III.