Les enfants et les frères de François de Lorraine. — Le cardinal Charles de Lorraine. — Son entrevue avec Condé. — Son arrivée à Paris, où Montmorency disperse son escorte. — D'Aumale vient au secours de son frère. — Le roi ordonne à d'Aumale et à Coligny de désarmer. — Épigrammes et chansons contre le cardinal. — Le jeune duc de Guise est envoyé à la cour pour rendre compte de l'échauffourée de Paris. — Les princes de Lorraine, Montpensier et Montluc posent les premiers jalons de la Ligue (1563). — La cour prend des mesures défensives. — La guerre cardinale dans le pays messin. — Sièges de Vie et d'Albestroff. — Conférences et édit de Moulins. — Les Guises accusent Coligny d'avoir fait assassiner François de Lorraine. — L'amiral essaye de se justifier. — Haine et rivalité entre les Guises et les Châtillon. — Assassinat du capitaine Charry. — Réconciliation apparente des Guises et des Châtillon devant le roi et le grand conseil assemblé à Moulins. — Le duc Henri de Guise seul se refuse à cette réconciliation hypocrite.Le duc François de Guise laissa en mourant quatre fils et une fille : Henri, prince de Joinville, né le 31 décembre 1550, connu dans l'histoire sous le nom du Balafré et qui hérita du titre et de presque toutes les grandes qualités de son père ; Charles, marquis et ensuite duc de Mayenne, né le 26 mars 1554 : ce fut celui -là qui devint, à la mort de son frère, le chef de la Ligue et le plus redoutable adversaire d'Henri IV ; Louis, cardinal de Guise ; et François, qui mourut à l'âge de dix-huit ans. La fille du héros catholique était Catherine-Marie, née le 18 juillet 1552, qui épousa, à l'âge de dix-huit. ans, Louis de Bourbon, duc de Montpensier. Elle mourut le 6 mars 1596, après une existence toute remplie d'intrigues politiques et amoureuses. Guise avait eu encore trois enfants qui moururent en bas âge. Par son testament il laissait sa femme tutrice de ses enfants, conjointement avec ses frères Charles, cardinal de Lorraine, et Louis, cardinal de Guise. Les autres frères de François de Lorraine étaient : Claude, duc d'Aumale, général éprouvé et vaillant soldat, gouverneur de la Bourgogne ; on n'a à lui reprocher que d'avoir, sur les conseils de son frère le cardinal Charles, consenti à épouser la fille de la duchesse de Valentinois ; François, grand prieur de Malte et général des galères de France ; et René, marquis d'Elbeuf, qui fut fait aussi général des galères après son frère. Le grand prieur, mourut quelque temps après son frère, des suites des blessures reçut devant le Havre-de-Grâce. Les enfants du duc de Guise, disent les ambassadeurs vénitiens, étaient beaux comme des anges. Les cadets de la maison de Guise n'ont laissé dans l'histoire qu'une place relativement effacée, malgré leur valeur personnelle. Le génie des aînés les a relégués, à l'exception du cardinal Charles, et plus tard de Mayenne, dans un sorte de pénombre où ils semblaient eux-mêmes se complaire, jaloux qu'ils étaient avant tout d'assurer la puissance de leur famille et d'être les premiers serviteurs de l'héritier de leur nom, afin que ce nom brillât d'un éclat sans pareil et fût populaire entre tous. Le cardinal Charles (né à Joinville le 12 février 1519), qui fut l'oncle par alliance du roi François II et qui sous le règne de ce jeune monarque partagea le pouvoir avec son frère, a été tour à tour trop méconnu et trop exalté. Les protestants l'ont trop indignement flétri et calomnié, tandis que certains catholiques l'ont placé réellement trop haut. Cela vient de ce que les uns et les autres, étouffant la voix de leur conscience et de la vérité, ne se laissaient guider dans leurs jugements que par les haines et les passions qui les animaient tous dans cette époque de troubles effrayants. En des temps. moins orageux, le cardinal Charles, de Lorraine eût été en politique, sinon un Richelieu, du moins un Mazarin. Il n'avait ni le courage ni la noblesse de caractère de son père et de son frère ; il était de plus avare, orgueilleux et colère ; mais tous lui accordent une grande éloquence, une science profonde de la théologie et de la politique, un esprit subtil et une habileté remarquable dans la direction des affaires de l'État, et particulièrement des finances. Il avait une belle figure, un sourire affable et une voix sympathique. Ses mœurs étaient pures, et il est peu de prélats de cette époque qui aient autant fait que lui pour apporter d'utiles réformes dans les lois ecclésiastiques, et qui, malgré les intrigues et les grands événements auxquels il a pris part toute sa vie, se soient occupés avec autant d'intelligence et de soin des diocèses qui leur étaient confiés. Enfin il était profondément dévoua aux siens. Du reste, le trait caractéristique de la maison de Guise est l'union intime et profonde qui n'a jamais cessé de régner entre tous ses membres. Ils étaient tous pour un ou un pour tous. Là est le secret de leur force. Neuf mois après son retour à Reims, où il avait passe son temps prescher son peuple et aussi, il faut bien le dire, a correspondre avec l'empereur Maximilien et avec les ministres de Philippe II, pour se ménager de ces côtés les alliances dont il avait besoin afin de rétablir le crédit qu'il avait perdu depuis la mort de son frère, le cardinal assembla, le 27 novembre 1554, un synode provincial composé des prélats suffragants, des abbés, des doyens et des députés des chapitres de son diocèse, et cela pour s'élever contre l'érection de Cambrai en métropole, érection qui avait distrait de l'archevêché de Reims les évêchés suffragants de Tournai, d'Arras et de Thérouanne. Le synode s'occupa également des souffrances qu'éprouvait l'Église par suite des spoliations dont elle venait d'être l'objet, de la discipline ecclésiastique et d'une foule d'autres questions. Les résolutions prises par le synode ne pouvaient être publiées sans le consentement du pouvoir royal, Charles fut assez habile pour se faire donner la mission d'aller lui-même chercher cette autorisation, faveur qu'il feignait de repousser, mais qu'il désirait ardemment. Le cardinal Charles partit de Reims, au cœur de l'hiver, après avoir rempli toutes les obligations de son ministère et s'être muni de l'autorisation dont il avait besoin pour quitter son diocèse. Le 6 janvier 1565 il arrivait à Soissons, où il avait une entrevue des plus cordiales avec le prince de Condé, à qui, assure-t-on, il proposa la main de sa belle sœur, la veuve du duc de Guise, qui était du reste fiancée au duc de Nemours. L'accueil empressé que Condé fit au cardinal mécontenta vivement les huguenots et surtout Châtillon, qui, depuis les négociations d'Orléans, et surtout depuis la mort de sa femme ; Éléonore de Roys, accusait le prince d'abandonner leur cause et de se lier avec leurs ennemis. A défaut de la belle veuve du duc de Guise, le cardinal, qui n'était jamais à court d'expédients, aurait, assurent plusieurs historiens, proposé à Condé d'épouser la reine d'Écosse Marie Stuart, sa nièce. De leur côté, les catholiques, ne pouvant rien comprendre à ces rapprochements entre ennemis irréconciliables, se demandaient hautement si le cardinal n'était un candiot qui était venu près d'un autre candiot et s'apprêtait à prendre congé de la messe. Cependant le cardinal et le prince se séparèrent sans avoir fait autre chose qu'ébaucher des projets irréalisables et s'être prodigué les marques d'une vive affection, que pouvait expliquer, à la rigueur, le lien de parenté qui les unissait. Il est à supposer que le cardinal Charles, se faisant illusion sur sa popularité, croyait de bonne foi que son entrée dans Paris serait saluée des mêmes acclamations qui retentirent si souvent sur le pas, sage de son père, Claude de Lorraine, lorsque cet habile et vaillant capitaine venait mettre son épée et son sang au service des Parisiens pour défendre la capitale contre l'invasion étrangère, et sur les pas de son frère, lorsque le héros de Metz et de Calais, à la tête d'une brillante escorte, venait défier Bondé et le forçait à lui céder le pas. Les temps n'avaient pas changé, mais le nom de Guise était populaire que lorsqu'il était porté par un capitaine éprouve, et cette popularité ne rejaillissait que très faiblement sur le cardinal, dont le caractère était peu sympathique, malgré sa grande valeur personnelle. Le maréchal François de Montmorency, fils aîné du connétable, était alors gouverneur de l'Île-de-France ; pour mettre Paris à l'abri d'un coup de main, il avait fait lancer et enregistrer un édit d'après lequel défense était faite à tout prince, seigneur, capitaine ou personne quelconque, de marcher accompagné de gens de guerre. Le cardinal, ayant connaissance de cet édit, s'était fait donner un congé afin de pouvoir voyager avec sa suite. Bien qu'ils fussent coreligionnaires, une rivalité sourde n'avait jamais cessé de régner entre les Guises et les Montmorency. Il fallait toute l'autorité que le connétable exerçait sur ses enfants pour que ceux-ci ne passassent pas ouvertement dans le camp des Châtillon, leurs cousins. Le cardinal crut pouvoir dédaigner de faire parvenir au maréchal gouverneur de l'Île-de-France le congé dont il était nanti, et qui lui permettait de voyager accompagné de ses gens de guerre. Ce fut donc à la tête de plusieurs membres de sa famille et d'une foule de gentils- hommes de ses amis, de conseillers, marchands, chevaliers de l'ordre, des hommes de sa garde, de cinquante arquebusiers, ayant à ses côtés ses deux neveux le duc de Guise et le marquis de Mayenne, que le 8 janvier 1565, fit son entrée dans Paris. Montmorency, prévenu de son arrivée, alla à sa rencontre avec deux fortes troupes de cavaliers et de fantassins, se réservant le commandement de la première, tandis que le prince de Porcien[1] prenait le commandement de la seconde. Le maréchal et le prince rencontrèrent l'escorte cardinale dans la rue Saint-Denis, près de l'église des Innocents, fondirent sur elle à l'improviste et la dispersèrent en un clin d'œil. A cette vue, le cardinal, chez lequel la bravoure n'était pas à la hauteur des autres qualités, Pâle en couleur, de ses membres tremblant, Mieux un corps mort qu'homme vif ressemblant ainsi le dirent ses ennemis, chercha son salut dans une fuite précipitée et s'estima très heureux de trouver refuge dans la maison d'un cordier, dont, la porte s'ouvrit devant lui. Il avait entraîné dans sa retraite ses deux neveux, qui auraient mieux aimé jouer du pistolet et de l'épée que de fuir ainsi sans avoir combattu ; Henri surtout, qui avait près de quinze ans et était déjà digne du nom qu'il portait par sa bravoure et par son habileté au maniement des armes, rugissait comme un jeune lion. On le vit, assure-t-on, l'épée d'une main et le pistolet de l'autre, soutenir la retraite presque seul, tout en jetant son nom dans la mêlée et en rappelant aux Parisiens les services de son père. Mais force lui fut de rejoindre son oncle au moment où un de ses serviteurs tombait, frappé à mort, tandis qu'il fermait la porte de la maison derrière lui. Les balles viennent s'aplatir sur le plafond et sur le mur de la chambre où les princes sont retirés ; devant le danger que courent avec lui ses jeunes neveux, le cardinal s'écrie en joignant les mains : Seigneur, mon Dieu, si mon heure est venue et la puissance des ténèbres, préserve au moins le sang innocent[2]. Fort heureusement pour le prélat et pour les jeunes princes, d'Aumale, au même moment, faisait de son côté son entrée dans Paris par la porte du Louvre, et forçait ainsi le maréchal et Porcien à se porter à sa rencontre. La nuit vint enfin favoriser la fuite du cardinal, qui put regagner, avec ses neveux, son hôtel de Cluny, où d'Aumale l'attendait déjà. Pour achever de brayer le cardinal et les siens, Montmorency se plut le lendemain à passer et repasser à plusieurs reprises, à la tête de ses troupes, devant l'hôtel de Cluny, où, d'après de Thou, le cardinal et son frère avaient passé la nuit sans dormir, ce qui est peu probable de la part de d'Aumale, dont le courage ne saurait être mis en doute. Le lendemain, d'Aumale voulait immédiatement appeler les Parisiens aux armes, et avec ses compagnons venger l'injure qui venait d'être faite à sa famille. Son frère le dissuada d'une telle entreprise et parvint, non sans peine, à lui faire comprendre qu'il valait mieux patienter et attendre une occasion plus favorable. Dans la nuit du mercredi 10, le cardinal, ses neveux et leur suite purent enfin quitter Paris et se retirer à Meudon, où ils ne firent qu'un très court séjour. Le prélat retourna ensuite à Reims le cœur rempli d'un amer ressentiment ; il le manifestait peu après par un acte qui ne tourna ni à son avantage ni à sa gloire. Quant à d'Aumale, il ne s'éloigna pas des environs de Paris, et sa présence, occasionnant de légers troubles, força le maréchal d'Anville à appeler auprès de lui l'amiral de Coligny, qui se rendit à son appel avec une nombreuse escorte. Condé, en apprenant l'échauffourée dont le cardinal venait d'être victime, s'écria que Montmorency avait plus faict qu'il ne devoit si c'estoit pour rien, et moins qu'il n'avoit fallu si c'estoit sérieusement. Craignant, non sans raison, que d'Aumale et Coligny, tous deux en armes, n'en vinssent aux prises et que ce conflit ne rallumât la guerre civile, le roi donna charge au marquis de Seure, chevalier de Malte, d'aller les trouver l'un et l'autre et de leur enjoindre de renvoyer ceux qu'ils avaient avec eux et de demeurer en repos. D'Aumale et Coligny obéirent aux ordres du roi sans trop de résistance ; l'amiral retourna chez lui dans les premiers jours de février, après être allé faire visite au duc d'Alençon, frère du roi, qui était alors à Vincennes et d'Aumale alla rejoindre le cardinal Charles et ses neveux à Reims. A la guerre à coups d'arquebuses et d'épées succéda la guerre coups de plumes et d'épigrammes. Les huguenots surtout s'en donnèrent à cœur joie, et le pauvre cardinal fut épouvantablement chansonné. Avant même qu'il quittât Paris, il put entendre au milieu des cris : Mort aux Lorrains ! que les soldats de Montmorency poussaient sous ses fenêtres, les couplets d'une chanson huguenote, composée en son honneur, et que d'Aubigné rapporte tout au long dans ses Mémoires. Voici le premier couplet de cette chanson plus gauloise que littéraire : Le cardinal s'en venoit A Paris à grande puissance, Et avecques lui amenoit Des guisards pleins d'arrogance ; Espérant, par son pouvoir, Faire le peuple esmouvoir, Comme il a faict autrefois En abusant de deux rois. Mais monsieur le mareschal Luy fist si bien sa saulce, Fy, fy, fy du cardinal, Qui ch... en ses chausses ! Une foule d'autres écrits, pamphlets, satires, discours et épîtres furent publiés, à cette époque, au sujet de cet incident de peu d'importance par lui-même, mais qui en avait une très grande eu égard à la position des personnages et à la situation des partis ne cherchant qu'une occasion pour précipiter de nouveau la France dans les horreurs de la guerre civile. La première chose que fit le cardinal en arrivant à Reims fut d'envoyer son neveu le duc de Guise, sous la conduite de Bertrand de Fossy, porter au roi et à Catherine la version des événements qui s'étaient passés à Paris. Malgré sa jeunesse Henri était certes à la hauteur de sa tâche ; et puis, il faut dire aussi que la vie inactive qu'il menait près de son oncle lui pesait lourdement. A maintes reprises, il avait voulu rejoindre ses oncles d'Aumale ou d'Elbeuf, pour avoir occasion de tirer l'épée du fourreau ; mais le cardinal estimait que, l'heure n'était pas encore venue de l'exposer aux dangers de la guerre. La cour était alors à Bayonne, ainsi que nous l'avons dit dans le précédent chapitre, et la présence du jeune prince lorrain parmi les anciens partisans de son père réveilla dans bien des cœurs la confiance que les catholiques avaient dans ceux de sa race. Tandis que Henri de Guise se rendait à Bayonne, où il devait faire assaut d'adresse et d'esprit avec ses cousins le roi de France et le roi de Navarre, en attendant qu'il fût leur rival en gloire et en puissance, ses oncles, le cardinal et d'Aumale, posaient les bases de la LIGUE, dont il devait être le premier chef, et qui fut appelée à son début contre-association catholique. Déjà d'Elbeuf en Champagne, Montpensier en Touraine, Montluc en Gascogne, le cardinal d'Armagnac à Toulouse, Joyeuse et une foule d'autres seigneurs, gentilshommes, prélats, capitaines influents dans leurs provinces ou dans leurs villes, avaient compris la nécessité de se grouper pour résister aux protestants, qui puisaient leurs forces et leur audace dans leur union et dans leur discipline. Depuis la mort de François de Lorraine, les catholiques, sans chef et sans direction, étaient obligés de se fier à la protection du gouvernement, qui, selon les circonstances, penchait tantôt de leur côté, tantôt du côté des protestants ; ceux-ci n'avaient pas désarmé et avaient toujours à leur tête le prince de Condé et surtout l'amiral, dont l'activité et le zèle semblaient infatigables. Jusque-là, les catholiques,
divisés et nonchalants, avaient laissé le roi faire et dire seul, attendant
que tout remède vint de la cour. Ils s'éveillaient enfin de leur profond
sommeil... Alors ils se rapprochèrent, ils
prirent soin des intérêts publics et privés ; ils brisèrent les machinations
de leurs ennemis[3]. Une liste fut dressée par les principaux seigneurs du royaume qui devaient être à la tête de la contre-association catholique, et auxquels devaient se joindre les prélats, les gentilshommes, les magistrats, les prévôts des marchands, les bourgeois et tous les membres du tiers état en situation d'exercer une action quelconque avec indépendance et promptitude, sans attendre les ordres, toujours tardifs et souvent incompréhensibles, du gouverne ment. Le plan de cette association fut soumis au parlement de Toulouse, qui, en l'acceptant, lui donna une sorte de légitimité. La cour fut instruite de ce qui se passait dans le parti catholique par une lettre du duc d'Elbeuf au duc de Nevers, interceptée et remise à la reine mère. En même temps cette princesse apprenait que Condé devait bientôt venir en armes dans Paris, où de leur côté le cardinal et d'Aumale, jaloux de venger l'injure que Montmorency avait faite, ne tarderaient pas à le rejoindre. Le roi, devant l'imminence du péril, écrit immédiatement à Montmorency pour lui faire défense de laisser entrer dans Paris, ou de les en faire sortir s'ils s'y trouvent, tous les seigneurs dont il lui est expédié un roole et que, du reste, il les prévient chacun en particulier de cette mesure. En premières lignes de ce rôle figuraient les noms du duc de Guise, du duc d'Aumale, de Coligny, de d'Andelot, du prince de Porcien, du duc de la Rochefoucauld, de Montgomery, etc. ... Seuls les noms des cardinaux de Lorraine, de Guise et de Châtillon n'étaient pas mentionnés ; mais ils faisaient l'objet d'un post-scriptum qui les désignait plus spécialement que les autres. Le roi annonçait son retour dans Paris vers la Saint-Michel, et désirait que d'ici là la ville feust maintenue en tranquillité, et estre le maistre là et partout ailleurs en son royaume. Les ordres du roi furent-ils assez énergiques pour que nul n'osât y contrevenir, ou les conjurés des deux partis jugèrent-ils que leurs mesures n'étaient pas suffisamment prises toujours est-il que ni les uns ni les autres ne mirent leurs projets à exécution, et qu'une apparente tranquillité continua à régner pendant quelque temps encore. A peine la cour était-elle remise de cette alarme que le cardinal de Lorraine venait immédiatement lui fournir, malgré lui cette fois, un autre sujet d'ennui. Charles IX était à Mont-de-Marsan lorsque son beau-frère, le duc de Lorraine, l'instruisit de la nouvelle équipée que le cardinal venait de commettre, et demandait dans des lettres pleines d'inquiétudes l'intention et la volonté du roi[4]. Voici ce dont il s'agissait : En outre du duché de Lorraine proprement dit, dont Nancy était la capitale, se trouvaient enfermés, dans ce même duché, plusieurs petits États, tels que les Trois-Évêchés, le duché de Bar, le Luxembourg français, le duché de Carignan, la Lorraine allemande, le duché de Bouillon, etc., dont la plupart avaient fait ou faisaient encore partie du saint-empire tout en ayant leur gouvernement particulier. Les Trois-Évêchés furent conquis par Henri II en 1552, mais la possession ne nous en été confirmée qu'en 1648 par le traité de Westphalie. Si pendant cette période de quatre-vingt-seize ans la France occupa Metz, Toul et Verdun, cette occupation ne tranchait pas, en droit, les liens de subordination féodale qui rattachaient encore ces villes à l'empire d'Allemagne. Comme administrateur du temporel de l'évêché de Metz[5], comme seigneur du pays messin, le cardinal de Lorraine était donc vassal de l'empereur d'Allemagne ; il en recevait l'investiture, et les appels ressortissaient à la cour impériale. Au même titre il pouvait nommer et destituer les capitaines des villes et places du diocèse de Metz et recevoir leur serment, exercer enfin tous les droits de la souveraineté[6]. Déjà, l'année précédente, le cardinal avait convoqué et assemblé à Vic, chef-lieu du temporel de l'évêché, tous ses vassaux pour qu'ils lui fissent les reprinses de leurs fiefs et nobles tènements, et lui rendissent et prêtassent foy et hommage comme ils estaient tenus[7]. En 1565, il résolut d'assembler de nouveau ses vassaux pour écouter leurs doléances et mettre un terme aux vexations dont ils étaient l'objet. Leur situation, en effet, était intolérable, ayant à se défendre à la fois contre les calvinistes de France, qui ne négligeaient aucune occasion de faire retomber sur eux la haine qu'ils portaient aux princes de la maison de Guise, et contre les reîtres allemands, qui, a chaque invasion, ravageaient et pillaient le pays messin. Pour inspirer à ces derniers quelque retenue, les gouverneurs étaient obligés d'attacher sur les chemins les panonceaux de l'Empire[8]. Ces mesures n'ayant pas suffi, le cardinal, après l'assemblée tenue à Vic, présenta une requête a l'empereur Maximilien, dans laquelle il se disait son vassal et prince de l'Empire à cause de l'évêché de Metz. En cette qualité, il recommandoit à ce monarque sa juridiction et le pays messin, et le supplioit de vouloir bien le défendre et le fortifier contre les violences, les incursions et les vexations de ses ennemis. Sur cette requête, l'Empereur lui avait accordé des lettres, communément appelées de protection, en forme d'édit, en date du 5 mai 1565[9]. Le cardinal, étant arrivé à Rambervilliers le 25 juin, voulut faire publier les lettres de l'Empereur. Mais Pierre Salcède[10], fermier des impositions et gouverneur de Marsal pour le roi de France, s'opposa énergiquement à leur publication, fit chasser l'officier du cardinal et s'empara de Vic et d'Albertroff. Telle fut l'origine de la guerre cardinale, guerre qui fournit aux ennemis des Guises de nouveaux prétextes à diffamation ; car ils ne manquèrent pas de dire que le cardinal de Lorraine, subissant toujours l'influence étrangère, avait voulu s'attirer la faveur de l'empereur d'Allemagne, en faisant retomber sous la domination de l'Empire les Trois-Évêchés, dont il avait lui-même favorisé la conquête[11]. Le cardinal n'était pas homme à se laisser intimider par les injures de ses ennemis, ni par les menaces d'un Salcède, Il assembla immédiatement ses vassaux pour leur expliquer ses intentions et pour qu'ils l'aidassent à défendre leurs droits, écrivit aussi à la reine mère pour l'informer des événements, et leva sans retard une petite armée dont Lignières et Bassompierre eurent tour à tour le commandement. En même temps les lettres de l'Empereur furent publiées à Rambervilliers, à Baccarat et à Moyenvic, par son ordre. Sans attendre la réponse de Catherine de Médicis, le prélat envoya sa petite armée devant Vic, dont la citadelle, fortement battue en brèche par les canons du duc de Lorraine, capitula le 25 juillet. Peu de jours après, Bassompierre faisait également le siège d'Albertroff. Ce fut pendant qu'Albertroff était sur le point de retomber en son pouvoir que le cardinal reçut les lettres que le roi lui écrivait pour le blâmer de la précipitation qu'il avait mise à prendre les armes et pour l'engager à venir le rejoindre. Avant de quitter les Vosges pour se rendre à Moulins, où la cour se trouvait en ce moment, le cardinal fit mettre bas les armes à sa petite armée et consentit à ce que le capitaine Jacques entrât dans Albertroff, au nom de d'Aniance, gouverneur de Metz, mais seulement lorsque Salcède en serait sorti avec ses gens. Le prélat souscrivit à toutes les conditions présentées par le roi, qui, du reste, avait aussi blâmé Salcède, et la guerre cardinale n'eut pas d'autre suite. Le roi et la reine, ayant passé une partie de l'hiver à Blois après leur voyage de Bayonne, étaient venus à Moulins, où ils avaient convoqué le grand conseil pour délibérer sur les affaires publiques du royaume, qui étaient fort en souffrance, et pour mettre fin aux poursuites que les Guises dirigeaient contre tous ceux qu'ils accusaient d'avoir trempé clans le crime de Poltrot, et principalement contre Coligny. Tous les grands du royaume et les chevaliers de l'ordre, répondirent à l'appel qui leur avait été adressé. Dans la chambre du conseil se trouvèrent réunis à côté du roi, de la reine mère, du duc d'Anjou et du chancelier Michel de l'Hôpital, Christophe de Thou, premier président au parlement de Paris (père de l'historien), et Pierre Seguier, président, ainsi que les présidents des parlements de Toulouse, de Bordeaux, de Grenoble, de Dijon et d'Aix, tous illustres par leur dignité et par l'intégrité de leur vie[12] ; venaient ensuite Charles cardinal de Bourbon, Louis prince de Condé, le duc de Montpensier et son fils, les cardinaux Charles de Lorraine et Louis de Guise ; les ducs de Nemours, de Longueville et de Nevers, Anne de Montmorency, connétable de France, et ses neveux ; le cardinal Odet de Châtillon, l'amiral Gaspard de Coligny et d'Andelot colonel de l'infanterie française, tous trois fils de la sœur du connétable ; d'Anville son fils, Bourdillon et Vieilville ; des maréchaux, des évêques, des capitaines, parmi lesquels Montluc, les secrétaires d'État et les chevaliers de l'ordre. Ce fut devant cette assemblée que le roi se leva et prit le premier la parole pour rappeler que, dès son avènement au trône, il avait voulu parcourir toutes les provinces en son obéissance et entendre les plaintes de ses sujets, que les précédentes guerres civiles avaient vivement éprouvés ; il ajouta que c'était pour ce motif qu'il avait rassemblé les membres de son conseil, et les priait et au besoin leur ordonnait, au nom de l'autorité royale, qu'ils y pensassent sérieusement et selon qu'il l'espéroit de l'amour qu'ils avoient de luy et de l'État, afin d'obéir à la volonté de Dieu et descharger sa conscience, de soulager le peuple et de restablir la justice dans sa première gloire et dans sa première pureté. Le chancelier Michel de l'Hôpital, qui prit la parole après le roi, prononça un long discours, très sage et très modéré, mais dans lequel. il fit un tableau très exact de la situation où se trouvait le royaume. Il dit qu'il ne fallait point accuser le temps, ni attribuer cela à la malice des hommes ; qu'il fallait corriger les fautes des hommes et les ramener dans le devoir plutôt que de blasphémer le temps, qui suit toujours les mœurs des hommes. Il passa en revue les diverses questions dont le conseil avait à s'occuper, donna son avis et celui du gouvernement sur les réformes à apporter dans la magistrature, dans les lois civiles qui donnaient trop sujet à procès, sur l'autorité des tribunaux et des parlements, et, bien qu'il n'y eût déjà que trop d'édits, en proposa de nouveaux pour abroger les anciens tombés en désuétude ou qui, après avoir été trop souvent violés, avaient fini par n'avoir plus force de loi. Comme la plupart des membres du conseil étaient gens compétents en la matière et animés d'intentions excellentes, la question ne traîna point, et un édit qui prit le nom de la ville où il avait été rédigé fut lancé immédiatement pour être soumis aux parlements des provinces et de Paris. Le parlement de Paris opposa d'abord quelque résistance, mais enfin il finit par l'enregistrer, à la grande satisfaction du chancelier. L'édit de Moulins apportait de sages réformes dans les poursuites judiciaires exercées contre les. débiteurs insolvables, dans les donations entre vifs, les jeux de hasard et certains usages où la superstition jouait un plus grand rôle que la justice. Mais cet édit fut célèbre surtout par l'incident auquel donna lieu la réunion du grand conseil rassemblé en apparence pour régler les affaires de l'État et en réalité pour vider la querelle qui existait, depuis l'assassinat de François de Lorraine, entre la maison de Guise et les Châtillon, querelle qui s'était encore envenimée par l'agression dont le cardinal Charles avait été victime à Paris. Il nous faut ici reprendre les événements d'un peu loin. Dans l'interrogatoire qu'il subit et avant d'avoir été soumis à la question, le lendemain même de son arrestation au village d'Olivet (20 février 1562) dans les environs d'Orléans, Poltrot de Méré déclara qu'il avait été poussé à assassiner le duc de Guise par Coligny, Théodore de Bèze, un autre ministre protestant dont il refusa énergiquement de dire le nom, et par la Rochefoucauld ; par contre, il disculpa entièrement Condé, d'Andelot et Soubise. Les trois chefs protestants que nous venons de nommer, en apprenant l'accusation qui pesait sur eux, adressèrent à la reine une déclaration collective dans laquelle ils niaient toute participation directe ou indirecte avec l'attentat accompli par Poltrot. Cependant ne pensez pas, ajoutait Coligny, que ce que j'en ai dict, soit pour regret que j'aye de la mort de M. de Guise, car j'estime que ce soit le plus grand bien qui pouvoit advenir à ce royaume et à l'Église de Dieu, et particulièrement à moi et toute ma maison. Plus tard il avoua aussi que pendant la bataille de Dreux il avait surtout désigné Guise aux coups de ses soldats... ; que s'il eust pu braquer un canon contre lui pour le tuer il l'eust faict. Cette franchise, poussée jusqu'à la brutalité n'avait jamais été pour les Guises une preuve bien convaincante de l'innocence de l'amiral. Condé, de son côté, prit la défense de Coligny en s'efforçant, par son propre témoignage et son appui personnel de corroborer les déclarations de l'amiral. Les princes de la maison de Guise et leurs alliés avaient présente au roi et à la reine une requête par laquelle ils demandaient justice du meurtre commis sur la personne du feu duc et permission de poursuivre les complices de l'assassin. Cette requête était signée : Charles, cardinal de Bourbon ; Louis de Bourbon, duc de Montpensier ; Anne d'Este (veuve du feu duc) ; Léonard d'Orléans duc de Longueville ; Henri de Lorraine, duc de Guise ; Louis, cardinal de Guise ; Claude de Lorraine, duc d'Aumale ; Jacques de Savoie, duc de Nemours[13], et René de Lorraine, marquis d'Elbeuf. Le mémoire pour la défense de Coligny que Condé adressa à la reine décida le conseil du roi à lancer un arrêt (16 mai 1562 ) par lequel ladicte poursuite fust sursise et suspendue jusques après la pacification (du royaume) de ses dictes affaires, les armes déposées, ou que par Sa Majesté austrement en oust esté ordonné. Le 15 juin 1562, Charles IX déclara dans un édit qu'il entendait retenir à lui et devant sa personne la connaissance de ce procès, et qu'il le tenait en suspens pour le terme de trois ans. Cette résolution avait été prise pour éviter que les Guises ne portassent l'affaire devant le parlement de Paris, qui leur était dévoué, et devant, lequel Coligny n'aurait jamais voulu se présenter. Enfin, quelques mois plus tard (26 septembre), tous les hauts personnages qui avaient signé la requête et auxquels se joignirent Antoinette de Bourbon, mère du duc assassiné, le comte de Vaudemont, et une foule considérable d'amis, vinrent tous à Melun, en habits de deuil, se précipiter sur les pas du roi au moment où Charles IX sortait des vêpres. Les hommes étaient graves et solennels, et les princesses portaient des robes à grandes traînes, tandis que les femmes de leur service avaient la tête couverte d'un voile noir et faisaient entendre de longs gémissements. Ce spectacle émut profondément le jeune roi, qui permit immédiatement que poursuite fust faicte si bonne, que Dieu et le monde en demeurassent satisfaicts et sa conscience deschargée. Mais Catherine de Médicis embrouilla si bien les choses, que pas un parlement ne put être agréé des parties, et que le procès ne put jamais venir devant une cour quelconque. Au mois de novembre, les Guises et les Châtillon allèrent a Paris, pour soutenir auprès du roi, qui était au Louvre, leurs prétentions réciproques. Malgré une ordonnance royale qui défendait aux Guises et aux Châtillon de se, faire suivre d'une escorte de plus de quarante personnes, l'amiral entra dans la capitale accompagné de plus de cinq cents gentilshommes, qui, par leur attitude menaçante, témoignaient éloquemment des sentiments belliqueux de leur chef. D'Aumale et d'Elbeuf ne jugèrent pas prudent d'accepter le défi qui leur était ainsi ouvertement jeté, de trancher par les armes un différend de famille, d'autant plus que le roi et Catherine de Médicis avaient fait désarmer depuis peu la milice parisienne. La cour elle-même, ne se croyant pas en sureté dans le Louvre, se vit contrainte de renforcer la garde ordinaire de Charles IX de quelques compagnies françaises placées sous le commandement de Charry. Le capitaine Charry était un vaillant officier qui s'était souvent distingué dans les guerres du Piémont, et dont Montluc avait fait son lieutenant ; il était de plus un protégé des Guises et leur était profondément dévoué. Son arrivée dans Paris en un pareil moment excita vivement le mécontentement des huguenots, qui voyaient dans cette mesure de précaution une menace à leur adresse. D'Andelot, que Charry affectait de traiter en ennemi personnel, s'en montra le plus affecté. Un jour, le colonel de l'infanterie française montait un escalier du Louvre, lorsque Charry, tout fier de son grade et des bonnes grâces dont il était l'objet de la part des dames de la cour et surtout des demoiselles d'honneur de la reine, le heurta. D'Andelot était suivi de plusieurs gentilshommes ou capitaines qui, témoins de l'injure, résolurent de la venger. Deux d'entre eux se détachèrent du groupe, et, après être allés chercher Châtelier, dont le frère avait été tué en duel par Charry, s'embusquèrent dans une boutique du pont Saint-Michel ; lorsque le capitaine fut près d'eux, ils sortirent bout à coup pour lui barrer le chemin, et, avant qu'il se fût mis en défense, Châtelier lui passa son épée au travers du corps (31 décembre 1563). Les auteurs de ce lâche guet-apens, qui étaient Portans, Mouvans et Châtelier, guides de la compagnie de Coligny, ne furent jamais poursuivis. Toutefois Charles IX fut vivement affecté de cet assassinat, commis presque sous ses yeux, et il s'en souvint plus tard. Ce fut le fils du maréchal Strozzi qui remplaça Charry dans son commandement. Devant les airs insolents que prenait Coligny et l'impunité dont semblait jouir, d'Aumale et d'Elbeuf, qui n'étaient pas en mesure d'opposer la force à la force, résolurent de ne pas même sortir de leur hôtel de Cluny, où ils étaient enfermés avec le jeune duc de Guise ; ce furent donc le cardinal Charles et Anne d'Este qui se chargèrent de voir le roi et la reine au Louvre. Dans une de ces entrevues, la veuve du duc de Guise fut vivement apostrophée par sa mère, Mme Claude de France, duchesse de Ferrare, qui, convertie au protestantisme, reprochait à sa fille de méconnaître les sentiments d'un chevalier tel que Coligny. Le 5 janvier 1564, par ordre formel du roi, une promesse fui signée par le cardinal de Guise, Claude et René de Lorraine d'une part, et Odet, Gaspar et François de Châtillon d'autre part, d'après laquelle par nul des membres de l'une des deux familles, ne de leur part, ne seroit faict, entrepris ni attent directement ou indirectement, aucune chose de faict ne de parole, contre les personnes vie ou honneur des membres de l'autre. Ce que voulait Catherine, c'était de gagner du temps et de laisser les grands du royaume dans cet état d'hostilité aiguë qui la faisait l'arbitre de leur cause. Toute sa politique reposait sur ces rivalités qui affaiblissaient la puissance des chefs des partis et empêchaient tout rapprochement entre eux. Elle aurait eu peur, s'ils avaient été unis, de les voir se liguer contre elle et la forcer à leur céder les rênes du gouvernement. Elle oubliait seulement que les armes dont elle se servait ne portaient pas toujours juste contre ceux qu'elle visait, et qu'en revanche tous les coups qu'elle lançait atteignaient la France en plein cœur. Telle était donc la situation des esprits et des partis, et particulièrement des Guises et des Châtillon, lorsque le roi Charles IX résolut à Moulins de les réunir tous en sa présence pour les obliger à se réconcilier. Le conseil devant lequel comparurent les Guises et les Châtillon était également présidé par le roi et composé de tous les personnages, princes, seigneurs, magistrats, capitaines et chevaliers qui avaient été convoqués pour délibérer sur les affaires de l'État. Le cardinal Charles fut chargé, au nom de la veuve du duc de Guise et de tous les membres de sa famille, d'articuler les griefs reprochés à Coligny et de demander encore une fois réparation du crime. L'amiral affirma par serment qu'il n'estoit aulcunement coupable de l'homicide du duc de Guise, estimant tousjours tout homme qui l'avoit faict meschant et matheux, en suppliant Leurs Majestez de combattre quiconque pourroit l'en accuser. Le roi retint encore une fois l'affaire par devers lui, et, après avoir délibéré avec son conseil, rendit un arrêt solennel déclarant l'innocence de l'amiral, sur sa propre affirmation, donnée en présence du roi et de son conseil comme devant Dieu, qu'il n'avait fait faire ni approuvé ledict homicide. Bourdillon et Coligny s'entremirent aussi pour amener une réconciliation entre le cardinal, d'Aumale et le maréchal de Montmorency. Le roi les ayant de nouveau tous réunis et leur ayant signifié son arrêt, Anne d'Este et le cardinal embrassèrent Coligny. A leur exemple, tous les membres et amis de la famille de Guise embrassèrent les membres et amis de la famille de Châtillon et de Montmorency, et la paix fut déclarée entre ces rivaux irréconciliables. Un seul personnage, à ce qu'il est dit dans les Mémoires du prince de Condé, se tint à l'écart, froid et sévère pendant que les uns et les autres se donnaient ces accolades hypocrites et mensongères c'était le jeune Henri de Guise, le fils du héros mort assassiné[14]. En recueillant le dernier soupir de son père il avait juré de le venger ; et la comédie que les ennemis de sa cause et de sa religion, aussi bien que ses parents, sa mère même, jouaient devant lui, n'était pas de nature à lui faire oublier son terrible serment. Il pouvait contenir son courroux, car, tout jeune, il était déjà habile dans l'art de la dissimulation ; mais Coligny devait lire dans le regard de Guise les passions et les colères qui grondaient au fond de son cœur[15]. |
[1] Mémoires de Michel de Castelnau, livre VI, chap. II.
[2] Conjuration des lettres et armes, etc.
[3] Relation des ambassadeurs vénitiens, t. II, p. 121.
[4] De Thou, livre XXXVII.
[5] L'évêque de Metz était François de Beauvais.
[6] Le Cardinal de Lorraine, par J.-J. Guillemin, professeur d'histoire au collège royal de Reims ; Paris, chez Jaubert, 1847.
[7] Bibliothèque nationale, mss. de Béthune, 8655-3136, f° 96, lettre du cardinal Charles de Lorraine au duc de Nevers (Clerevault, dernier jour de mai 1564). Le duc de Nevers, à cause de sa baronnie d'Aspremont, était vassal de son oncle le cardinal Charles.
[8] Le Cardinal de Lorraine, par Guillemin.
[9] De Thou, Hist. universelle, livre XXXVII.
[10] Ce Pierre Salcède était un Espagnol protégé jusque-là par le cardinal, qui croyait pouvoir compter sur son dévouement. Pierre Salcède fut tué à la Saint-Barthélemy ; il eut un fils, qui joua plus tard un triste rôle dans les Flandres et fut écartelé pour ce fait.
[11] Le Cardinal de Lorraine, par J.-J. Guillemin.
[12] De Thou, livre XXXIX.
[13] Le duc de Nemours était le chevalier d'Anne d'Este, dont il portait les couleurs, et qu'il épousa en 1566.
[14] D'après de Thou, Tavannes et plusieurs historiens, Henri de Guise était encore en Hongrie ; il est dit, par contre, dans les Mémoires de Condé et dans l'Histoire de Charles IX, que le prince, revenu de Hongrie depuis peu, assistait à la scène de réconciliation que nous venons de rapporter, mais qu'il se refusa à y prendre part.
[15] ... Les plus éclairés ne laissèrent pas de juger à sa mine qu'il (Henri de Lorraine) ne se tenait point obligé d'observer l'accommodement, et qu'il se vengerait à la première occasion qui lui serait présentée par la fortune ou par l'imprudence de ses ennemis, comme il arriva. (Histoire de Charles IX, par le sieur de Varillas ; Paris, 1678.)