ESSAI SUR MARC-AURÈLE D'APRÈS LES MONUMENTS ÉPIGRAPHIQUES

 

PAR M. NOËL DES VERGERS.

Correspondant du l'Institut, membre de la Société des Antiquaires de France, de l'Institut de correspondance archéologique de Rome, de l'Académie pontificale d'archéologie, etc.

PARIS - FIRMIN DIDOT FRÈRES - 1840

 

 

La statue équestre de Marc-Aurèle domine encore, du haut du Capitole, la Rome des anciens jours. De tant de statues en bronze élevées, dans l'antiquité, à la mémoire des empereurs, c'est la seule qui ait été épargnée par l'action destructive des siècles ou par l'avidité des hommes plus destructive encore. Cette exception était bien due au meilleur et au plus glorieux des Antonins. Avec lui, ainsi qu'on l'a dit, la philosophie s'était assise sur le trône, philosophie active, efficace, dirigeant vers le bien de l'humanité les forces redoutables que mettait alors aux mains d'un seul homme le titre d'empereur des Romains. Malheureusement, si le bronze et le marbre nous ont conservé l'image d'un prince que la reconnaissance publique avait placé parmi les dieux pénates et que chacun voulait posséder dans sa maison[1], ses actes nous sont aussi peu connus que ses traits nous sont familiers. Un règne de vingt années, glorieux pour l'empire, heureux pour les peuples, n'a pas trouvé d'historiens dignes de lui. La sèche biographie de Jules Capitolin, l'extrait de Dion Cassius par Xiphilin, quelques pages d'Hérodien, d'Aurélius Victor ou d'Eutrope, et les bas-reliefs de la colonne Antonine, voilà ce qui nous reste sur les événements extérieurs. Quant à l'homme, il s'est fait pleinement connaître en nous laissant, dans Ses œuvres morales, un des plus beaux livres de l'antiquité païenne. Voyons s'il nous sera possible d'emprunter aux monuments contemporains, aux inscriptions surtout, quelques détails ignorés sur les institutions d'un souverain, dont le nom rappelle l'époque la plus heureuse pour l'humanité pendant la longue durée de l'empire.

Issu d'une famille qui avait été établie longtemps dans la Bétique, Marc-Aurèle eut pour père Annius Verus, et pour mère Domitia Lucilla, à laquelle on donne à tort le nom de Calvilla, ainsi que Borghesi l'a établi par des preuves incontestables empruntées à l'épigraphie [note 1]. Le futur empereur, fils d'un simple particulier, naquit à Rome, dans la villa que possédait sa famille sur le mont Cœlius, le sixième jour avant les calendes de mai, sous le consulat d'Augur et d'Annius Verus, son grand-père, c'est-à-dire en l'an de Rome 874 [26 avril de l'année 121 de notre ère], ainsi que nous l'apprennent non-seulement Capitolin, mais l'inscription donnée par Marini (Atti de' Fratelli Arvali, II, p. 387) et qui porte en tête : NATALES CÆSARUM. Son père mourut jeune, n'étant encore parvenu qu'à la préture, dans cette carrière des honneurs que les membres des familles patriciennes parcouraient d'une marche progressive et presque toujours régulière. L'enfant fut adopté par son aïeul deux fois consulaire. Bientôt il plut à l'empereur Adrien, à la famille duquel il était allié et qui admirait son bon naturel, sa docilité, son extrême franchise : aussi le prince, par une aimable plaisanterie, l'appelait-il non pas Verus, mais Verissimus, et nous voyons que, fier d'un nom qui convenait si bien à sa loyauté, Marc-Aurèle le prit quelquefois sur ses médailles[2]. A six ans le jeune Annius fut inscrit dans l'ordre des chevaliers, et deux ans plus tard dans le collège des prêtres saliens [note 2]. Sa nomination à un sacerdoce, dans un âge si tendre, semble indiquer que déjà l'empereur songeait à fonder par l'adoption une dynastie et prévoyait que le jeune enfant, qui lui devenait chaque jour plus cher, serait un digne héritier de l'empire du monde. Annius Verus, le grand-père de Marc-Aurèle, ne négligeait rien de son côté pour que l'éducation la plus complète mit en relief les dons heureux d'une précoce intelligence : Je rends grâces aux dieux, a dit plus tard Marc-Aurèle, d'avoir eu de si bons parents. J'ai dû à leur tendre sollicitude l'avantage d'avoir reçu, dans le sein de la famille et sans fréquenter les écoles publiques, les leçons d'excellents maîtres. Ils m'apprirent à diriger tous les mouvements de mon âme et à éviter tout acte qui n'aurait pas été conforme aux lois de la raison (Pensées, l. I, 4, 17).

L'histoire a conservé le nom de ces maîtres, qui comprenaient leur tâche et devinrent plus tard les amis ou les conseillers de l'empereur. Fronton, Hérode Atticus, Apollonius de Chalcis, Junius Rusticus, Sextus de Chéronée, plusieurs autres, orateurs, philosophes ou grammairiens, lui apprirent l'art de la parole et l'initièrent à cette philosophie stoïcienne que le travail latent de la civilisation adoucissait chaque jour et dont plus tard le jeune élève devait résumer la plus parfaite expression. La correspondance de Fronton avec Marc-Aurèle, retrouvée Il y a quelques années par le cardinal Maï dans les palimpsestes de la bibliothèque Ambrosienne et de la Vaticane, nous a appris sur la jeunesse du prince et la marche imprimée à ses études littéraires plus qu'il ne nous est donné de connaître sur les années les plus glorieuses de son règne. Sous l'afféterie du style de cette correspondance, défaut d'une époque de décadence, et défaut plus saillant encore dans les lettres du professeur, on reconnaît dans celles de Marc-Aurèle une grâce bienveillante et la reconnaissance d'un cœur qui s'épanche à chaque ligne en expressions de gratitude pour l'enseignement du maitre, ou de sollicitude pour la santé de l'ami : Comment veux-tu que j'étudie, lui dit l'aimable disciple, quand je sais que tu souffres ? (l. V, ep. 19) et ailleurs : Je t'aime plus que personne ne t'aime, plus que tu ne t'aimes toi-même : je ne pourrais lutter de tendresse qu'avec ta fille Gratia, et j'ai bien peur encore de la vaincre. Ta lettre a été pour moi un trésor d'affection, une source jaillissante de bonté, un foyer d'amour ; elle a élevé mon âme à un tel degré de joie que mes paroles ne suffisent pas à le redire (l. II, ep. 5). Malgré l'affectation de ce langage, on aime à voir dans ces lettres, en les parcourant toutes, le témoignage d'une profonde affection, dont l'expression se trouve malheureusement affaiblie par l'exagération qu'inspiraient alors les habitudes de la littérature, ainsi que par les relations de disciple à professeur qui faisaient, de ces témoignages d'une sincère sympathie, des espèces d'exercices oratoires.

La jeunesse de Marc-Aurèle se passa dans de sérieuses études, que de fréquents voyages à la campagne, à Lorium, à Lavinium ou sur les bords du golfe de Naples, n'interrompaient jamais complètement. A peine si les distractions de la chasse ou des vendanges, sous le beau ciel de la Campanie, enlevaient quelques heures à la lecture ou à la composition. Cependant cet heureux climat réunit, au dire de Marc-Aurèle, toutes les séductions des lieux les plus favorisés. La première moitié de la nuit, écrit-il à Fronton, est douce comme une nuit du Laurentin ; au chant du coq, c'est la fraîcheur de Lanuvium ; au lever du soleil, on se croirait dans les hautes forêts de l'Algide ; puis peu à peu le ciel s'embrase, on éprouve d'abord la douce température de Tusculum ; quand le soleil est à son midi, on sent la chaleur de Pouzzoles, pour se retrouver enfin vers le soir aussi dispos que sous les frais ombrages de Tibur[3] : Nous allons souvent entendre nos faiseurs de panégyriques : ce sont des Grecs, il est vrai, mais de merveilleux mortels : croirais-tu que moi, qui suis aussi étranger à la littérature grecque que le mont Cælius, qui m'a vu naître, est étranger au sol de la Grèce, je ne désespère pas, grâce à leurs leçons, d'égaler l'éloquent Théopompe ?[4]J'ai entendu, il y a trois jours, déclamer Polémon. Veux-tu savoir ce que j'en pense ? voici ma réponse : Je le comparerais volontiers au cultivateur habile et plein d'expérience qui ne demande à son champ que du blé et de la vigne. Il a sans doute d'heureuses vendanges et d'abondantes récoltes ; mais on cherche en vain, dans ce domaine, le figuier de Pompéi ou la rose de Tarente : en vain on voudrait se reposer à l'ombre d'un platane. Tout est utile, rien n'est agréable ; il faut louer froidement ce qui ne saurait charmer. Tu trouveras peut-être mon jugement bien téméraire quand il s'agit d'une si grande gloire ; mais c'est à toi que j'écris, mon maître, et je sais que ma témérité ne te déplaît pas[5]. — J'ai lu aujourd'hui depuis la septième heure, dit-il encore, et j'ai trouvé dix images ou sujets de comparaisons... Je passe ici les nuits à étudier : je viens de faire pendant ces dernières journées les extraits de soixante livres en cinq tomes ! Soixante ! Mais, quand tu liras parmi tout cela du Novius, des Atellanes, de petits discours de Scipion, tu seras moins effrayé du nombre[6].

Nous emprunterons encore à cette correspondance une dernière citation, qui prouve qu'au milieu de celte vie sérieuse il y avait place quelquefois pour l'entrain de la jeunesse, et qui prouve encore que dans l'Italie méridionale les routes n'étaient pas beaucoup plus sûres, au beau temps des Antonins, qu'elles ne le sont aujourd'hui : J'étais monté à cheval, dit le prince, et je m'étais avancé assez loin sur la route. Tout à coup nous apercevons au beau milieu du chemin un nombreux troupeau de moutons. La place était solitaire : deux bergers, quatre chiens, rien de plus. L'un des bergers dit à l'autre, en apercevant notre cavalcade : Prenons garde, ces gens m'ont l'air des plus grands voleurs du monde. — J'entends le propos, et, piquant des deux, je me précipite sur le troupeau : les brebis effrayées se dispersent pêle-mêle en bêlant. Le berger me lance sa houlette ; elle va tomber sur le cavalier qui me suit ; nous repartons au plus vite, et voilà comme le pauvre homme, qui croyait perdre son troupeau, ne perdit que sa houlette[7].

La rhétorique de Fronton avait une puissante rivale dans le cœur de Marc-Aurèle ; c'était la philosophie. Dès l'âge de douze ans, dit Jules Capitolin[8], il avait pris le costume de philosophe et en pratiquait toutes les austérités. Il étudiait enveloppé du manteau grec, et couchait sur la dure. Il fallut les plus grandes instances de sa mère pour le décider à mettre quelques peaux sur sa couche, et plus d'une fois ce renoncement à toute espèce de bien être compromit sa santé, que fatiguait déjà l'ardeur de ses études. A l'âge de quinze ans il prit la robe virile et fut fiancé à la fille d'Ælius César, alors l'héritier du trône. Peu de temps après, il fut créé préfet de Rome pendant les féries latines, c'est-à-dire qu'en l'absence des consuls allant présider aux fêtes du mont Albain, il devint le premier magistrat de la ville. Il fit briller, dit-on, dans cette haute fonction, comme dans les festins qu'il offrit par ordre de l'empereur, une grande magnificence. Ainsi s'annonçait, chaque jour, par de nouvelles faveurs, la brillante destinée du jeune philosophe, qui, loin d'ambitionner de nouveaux honneurs, semblait se détacher davantage des biens du monde et céda à sa sœur tout le patrimoine qui lui venait de son père[9]. A la mort d'Ælius, en l'an de Rome 891 (de J.-C. 138), Antonin fut adopté par Adrien, créé César, et associé à la puissance tribunitienne, sous la condition d'adopter Marc-Aurèle, alors âgé de dix-sept ans, et le jeune Lucius Verus, fils du César qui venait de mourir. C'est alors que le prince dont nous écrivons l'histoire changea le nom de son père, Annius Verus, contre le nom d'Aurélius, qu'il prit en entrant par l'adoption dans la famille Aurélia, qui était celle d'Antonin.

Adrien ne survécut que peu de mois aux dispositions qu'il venait de prendre pour assurer à l'empire une ère prospère en désignant ainsi les héritiers de son pouvoir. Il mourut à Baies, le 10 juillet ; et Marc-Aurèle, alors questeur, fut choisi par le nouvel empereur pour être, malgré sa grande jeunesse, son collègue dans le consulat. Il devint dès lors l'associé de toutes les charges ainsi que de toutes les grandeurs du rang suprême. Il eut à la fois pouvoir administratif, pouvoir militaire, pouvoir religieux ; un décret du sénat l'agrégea dans la même journée à tous les grands sacerdoces [note 3]. Dès lors commença la vie d'abnégation et de philosophie pratique qu'il devait mener pendant ces quarante années, qui sont, dans les tristes annales de l'empire, ce qu'est l'oasis au milieu du désert. Entraîné par un profond amour de l'humanité, par la rectitude de son jugement, par sa conscience, il ne voulait plus entendre que la voix sévère du stoïcisme ; il étudiait sans relâche la doctrine du Portique, tempérée dès lors par je ne sais quel souffle de christianisme qui passait sur le monde et dont il eut le tort de méconnaître l'origine tout en éprouvant sa douce influence. Ses aspirations vers la science étaient plus vives que jamais ; mais il voulait avant tout apprendre à se gouverner lui-même, puisqu'il se savait appelé à gouverner les autres. Fronton se désolait de voir son élève, tout occupé de la morale stoïcienne, négliger ces exercices de rhéteur qui avaient fait sa propre gloire et dont il s'exagérait l'importance : Cherche, lui dit-il, à atteindre la sagesse de Zénon ou de Cléanthe ; mais n'oublie pas qu'il te faudra revêtir le manteau de pourpre, et non le manteau de laine grossière des philosophes. Si l'étude de la philosophie n'avait à s'occuper que des choses, je m'étonnerais moins de te voir mépriser le talent de la parole : et cependant n'as-tu pas recherché autrefois toutes les ressources des orateurs, l'adresse à réfuter, le talent d'émouvoir, de charmer, d'exciter, de détendre les passions de ceux qui t'écoutent ? Si tu méprises cette science pour l'avoir apprise, tu mépriseras aussi la philosophie en l'apprenant[10]. Marc-Aurèle, cependant, laissait dire l'éloquent rhéteur : il aimait son bon maitre, lui écrivait souvent, le consolait par son affection, mais écoutait les leçons du philosophe Rusticus : Ce sage précepteur, dit-il, m'a fait comprendre que j'avais besoin de redresser, de cultiver mon caractère ; il m'a détourné des fausses voies où entraînent les sophistes ; il m'a dissuadé d'écrire sur les sciences spéculatives, de déclamer de petites harangues qui ne visent qu'aux applaudissements, de chercher à ravir l'admiration des hommes par une ostentation de munificence. Je lui dois d'être resté étranger à la rhétorique, à la poétique, à toute affectation d'élégance dans le style, et d'écrire avec simplicité. Je lui dois encore de me montrer prêt au pardon dès l'instant où ceux qui m'ont offensé par leurs paroles ou leur conduite veulent revenir à moi ; de mettre à mes lectures une scrupuleuse attention, de ne jamais donner avec légèreté mon assentiment aux grands discoureurs ; enfin je lui dois d'avoir eu entre les mains les commentaires d'Épictète ; c'est lui-même qui m'a prêté ce livre[11].

C'est en l'an de Rome 893 (de notre ère 140) que Marc-Aurèle parvint pour la première fois à l'honneur des faisceaux consulaires. Une statue, déposée maintenant au musée de Palerme et qui a été trouvée à Tyndaris, le représente sous des habits sacerdotaux, présidant à un sacrifice : elle lui a été probablement consacrée à l'occasion de son avènement à ce premier consulat, ainsi que le font présumer l'air de jeunesse répandu sur ses traits et l'inscription gravée sur la statue[12]. De nombreux monuments épigraphiques parvenus jusqu'à nous, et où Marc-Aurèle ne porte encore que le titre de César, prouvent que de semblables honneurs étaient rendus souvent par les villes de province au fils adoptif d'Antonin [note 4]. Déjà consul désigné, le jeune prince avait été nommé sevir turmis equitum romanorum, c'est-à-dire commandant de l'un des six escadrons de chevaliers romains. Sans l'expression de seoir employée à ce propos par J. Capitolin, on serait tenté de croire qu'il s'agit ici du commandement général des six escadrons formés par la noblesse romaine, commandement qui appartenait aux jeunes Césars, princes de la jeunesse[13], attendu que le simple lévirat, ou commandement d'un escadron, précédait le plus souvent la questure, et se trouve même quelquefois concédé avant le vigintivirat. Toutefois les inscriptions nous fournissent quelques exemples de sevirs ayant déjà été questeurs [note 5].

Dès l'âge de quinze ans, Marc-Aurèle avait été fiancé par la volonté d'Adrien à la fille du César Ælius Verus : lorsque Antonin devint maître de l'empire, il voulut marier sa fille Faustine à son fils adoptif ; mais, malgré la raison d'État, malgré la parfaite convenance que cette alliance semblait offrir, tel était le respect du jeune César pour la foi jurée qu'il semble n'avoir cédé qu'à la considération de la grande différence d'âge qui existait entre lui et la fille d'Ælius Verus. Et cependant Faustine n'était pas seulement la fille de l'empereur ; elle était bien belle, ainsi que nous l'attestent ses bustes, ses statues, ses médailles. Plus tard Marc-Aurèle prouva combien il l'aimait, en se montrant aveugle sur ses défauts. Cet aveuglement ne peut même trouver d'excuse que dans la passion ; sans elle il toucherait au ridicule. Désigné sur la scène, comme un mari trompé, par des bouffons qui nommaient au public les amants de Faustine, jamais il ne voulut se reconnaître, et, quoiqu'on ait prétendu qu'il répondait à ceux qui le pressaient de répudier sa femme : Alors il faut rendre la dot, or la dot, c'était l'empire, nous croyons qu'un autre sentiment que la reconnaissance des bienfaits d'Antonin lui fit garder près de lui la mère de ses enfants. Il ne la vit jamais ce qu'elle était ; ou plutôt il la vit toujours ce qu'elle avait été lorsque, jeune, charmante et sans doute encore fidèle, elle habitait avec lui sa villa de Lorium ou sa belle retraite de Lanuvium sur les dernières pentes du mont Albain. C'est de là qu'il décrivait à Fronton son bonheur intérieur, les joies immenses de la paternité ou ses inquiétudes pour la santé de ses enfants encore tout jeunes. Là il se délassait, au milieu des affections de famille, de l'étude ou du fardeau des affaires ; car Antonin l'avait associé à l'empire en lui accordant la puissance tribunitienne [note 6]. Dès lors il eut sa part dans tous les événements de ce règne de vingt ans sur lequel l'histoire nous a laissé moins de souvenirs encore que sur le sien propre, bien qu'il ait été également consacré tout entier au bonheur de l'humanité. Pas de conquêtes, peu de guerres : Antonin, dit Eutrope, ne rechercha jamais les triomphes qu'on obtient par les armes. Il défendit les provinces, mais il ne voulut pas les agrandir ; et cependant il inspirait aux nations alliées tant de vénération et de crainte respectueuse que, renonçant à faire entre elles usage de la force, elles lui exposaient leurs griefs et s'en rapportaient à sa justice (Hist. rom., VIII, 8).

Tous les documents historiques sont muets sur ce bienfaisant patronage auquel Marc-Aurèle, dans sa droiture et sa justice, eut probablement une si grande part. Heureux les peuples qui n'ont pas d'histoire, a-t-on dit ; peut-être pourrait-on dire aussi : Heureux les princes dont la vie n'est pas chantée par les pontes ou célébrée par les cent voix de la renommée. Ils ont passé sur la terre, non comme de brillants météores qui éclairent en brûlant, mais comme des consolateurs dont la mission providentielle est d'essuyer les larmes qui sont trop souvent le prix auquel on achète la gloire.

En l'an 161 de notre ère, dans les premiers jours de mars, Antonin, se sentant mourir, fit porter dans la chambre de Marc-Aurèle une statue d'or de la Fortune, qui, selon l'usage, devait toujours se trouver dans l'appartement de l'empereur ; puis, donnant pour mol d'ordre au tribun de service le nom de la vertu que le stoïcisme plaçait avant toutes les autres, æquanimitas, égalité d'âme, il expira. Par l'adoption, par le don de la puissance tribunitienne, par cet envoi de la statue de la Fortune, symbole de la fortune de l'empire, Marc-Aurèle se trouvait désigné comme seul héritier du trône. Cependant il n'hésita pas un instant à y faire asseoir à ses côtés Lucius Verus, plus jeune que lui de neuf ans (Marc-Aurèle en avait alors quarante), et l'ou vit pour la première fois deux Augustes se partager le fardeau de la souveraine puissance, fardeau que rendirent lourd les événements qui éclatèrent au début du nouveau règne. Le bonheur et la sécurité dont on devait jouir sous un si bon prince, dit Jules Capitolin dans sa Vie de Marc-Aurèle, furent troublés tout d'abord par de terribles fléaux. Le Tibre déborda d'une manière plus désastreuse qu'on ne l'avait encore vu, entraînant la destruction d'un grand nombre d'édifices, la perte de beaucoup de bestiaux, et causant une grande famine qui fut la suite de ces premiers malheurs. Dans le même temps eut lieu la guerre des Parthes ; la guerre était en outre imminente en Bretagne, et les Cattes avaient fait une irruption dans la Germanie et dans la Rhétie. Calpurnius Agricola fut envoyé contre les Bretons, et Aufidius Victorinus contre les Cattes. Quant à la guerre des Parthes, L. Verus en fut chargé, du consentement du sénat, tandis que Marc-Aurèle restait à Rome, où le soin des affaires exigeait sa présence[14].

Telle est la manière sèche et concise dont Capitolin présente des faits aussi importants. Aucune date précise, aucuns détails sur la cause des événements. Peut-être, cependant, parviendrons-nous, à l'aide du rapprochement de ce simple énoncé avec d'autres documents recueillis sur l'état des provinces, à suppléer au silence de l'histoire. Une inscription nous apprend que, pendant les dernières années du règne d'Antonin, la légation de la Bretagne était confiée à un vaillant et habile général, Statius Priscus, dont les victoires en Arménie valurent plus tard à Marc-Aurèle et à Verus le surnom d'Arméniques[15]. Que Priscus eût été légat de la Bretagne vers la fin du règne d'Antonin, nous n'en pouvons douter ; car les fastes nous apprennent qu'il fut consul en l'an de Jésus-Christ 159, et, la légation de Bretagne étant consulaire, il ne pouvait l'exercer qu'après avoir obtenu l'honneur des faisceaux ; or, Antonin étant mort en 161, Priscus doit avoir été nommé légat peu de temps après son consulat, puisque l'inscription de Bretagne qui nous l'a fait connaître comme chef de cette province, l'appelle LEGATVS AVG., légat de l'empereur, et non pas LEGATVS AVGG., légat des empereurs, ainsi qu'on n'aurait pas manqué de le nommer s'il était parvenu à cette charge alors que Marc-Aurèle et Verus étaient déjà montés sur le trône. Une fois ce premier point arrêté, nous pouvons arriver à reconnaître de quelle nature étaient les troubles qui décidèrent l'envoi d'un nouveau légat en Angleterre. Un fragment de Porphyrogénète nous apprend que, vers cette époque, l'armée de Bretagne voulut élire pour empereur son chef, nommé Priscus, qui se refusa à ses vœux[16]. Le mouvement n'eut donc pas de suite, mais il suffit à expliquer les paroles de Capitolin et le rappel du gouverneur de la province. Il est naturel, en effet, d'une part, que cette manifestation en faveur d'un chef aimé de ses soldats ait eu lieu de préférence à l'époque d'un changement de règne, et, d'autre part, que, malgré le refus par lequel Statius Priscus repoussa l'offre de l'empire, Marc-Aurèle, sans se priver des services d'un bon et fidèle général, n'ait pas voulu le laisser à la tête des troupes qui venaient de pousser le dévouement en sa faveur jusqu'à lui offrir la pourpre impériale.

Dans ce cas, comme dans beaucoup d'autres qui se représentent dans l'histoire de Rome, les troubles indiqués si sommairement par les historiens n'avaient pas leur origine dans le peuple, mais dans l'armée. Ce fut un mouvement tout militaire. Quant aux provinciaux, leur voix ne comptait que lorsqu'ils étaient enrôlés sous les étendards de la légion romaine. Alors ils pouvaient faire et défaire des empereurs ; tandis que, habitants des municipes, ils ne pouvaient qu'accepter avec reconnaissance ou supporter avec résignation le légat qui leur était envoyé, selon qu'il se montrait administrateur intègre ou avide despote. Sans doute, on voit à cette époque les habitants des provinces réclamer leur part des honneurs ou du pouvoir que Rome accorde à ceux qui la servent. Ils arrivent aux premières dignités, franchissent même les degrés du trône et s'y assoient avec Trajan ou Adrien. Marc-Aurèle lui-même appartient à une famille originaire de la Bétique : mais il faut d'abord conquérir la cité romaine, et la cité romaine s'ouvre surtout aux soldats qui ont versé leur sang pour elle. La légion est donc la force de l'État : ceux qu'elle proclame règnent sur le monde romain, des frontières de la Perse aux forêts de la Calédonie. Si le maître du monde meurt et devient dieu, chaque armée provinciale s'agite et voudrait lui nommer pour successeur le chef qui la conduit. La reconnaissance du nouvel élu assurera aux compagnons qui l'auront proclamé une part plus prompte dans les dépouilles de l'univers. De là les mouvements qui agitent l'empire au siècle des Antonins, dont le règne fut cependant un repos pour l'humanité. De là cette révolte des armées de Bretagne lorsqu'elles apprirent la mort du fils adoptif d'Adrien, comme nous verrons, quelques années plus tard, les armées d'Asie proclamer Avidius Cassius, à la fausse nouvelle de la mort de Marc-Aurèle.

Les historiens ne nous en apprennent guère plus sur les causes da la guerre parthique que sur celles des mouvements qui avaient lieu vers le même temps dans la Bretagne. Il est vrai que les querelles si fréquentes entre Rome et les Parthes semblent s'être ranimées au début du règne d'Antonin, lorsque ce prince donna à l'Arménie un nouveau roi (en l'an de Rome 893, de Jésus-Christ 140)[17] ; mais la Parthie était alors gouvernée par Vologèse II, prince pacifique qui n'avait point oublié ce que son pays avait eu à souffrir de la guerre contra Rome au temps de Trajan, et qui dissimula son ressentiment. Lorsque Vologèse III monta sur le trône, vers l'an de Rome 902 (de Jésus-Christ 149)[18], il était disposé à se montrer moins endurant ; mais il semble, d'après un passage de Capitolin, que les lettres d'Antonin aient suffi pour le détourner alors d'attaquer l'Arménie, fidèle alliée des Romains. Ce fut à la mort de l'empereur que tout à coup le roi des Parthes fondit sur cette contrée, rupture qui semble du reste avoir été prévue par Antonin, s'il est vrai, comme l'affirme son biographe, que, dans sa dernière maladie, il rie parlait que des rois qui l'avaient mécontenté : Nihil aliud quartz de regibus quibus irascebatur loquutus est[19]. Quoi qu'il en soit, l'Arménie se trouvait alors dégarnie des forces qui auraient pu la défendre. Sévérianus, légat de la Cappadoce, s'était porté vers la ville d'Elégie (maintenant Ilidjah), sur la rive gauche de l'Euphrate, à l'entrée de la vaste plaine d'Erzeroum ; mais il y avait été conduit bien plus par les fausses prédictions d'un imposteur[20] que par suite de plans stratégiques formés en prévision d'une invasion de la part des Parthes. En effet, les préparatifs de la défense étaient nuls ; en trois jours la ville fut prise. Une légion, peut-être la vingt-deuxième[21] qui portait le nom de Dejotariana, avait été taillée en pièces, Sévérianus lui-même n'avait pas survécu à sa défaite[22] : la Syrie fut envahie, et, la nouvelle de ces désastres étant parvenue à Rome, Verus se mit en marche pour l'Orient, où l'on espérait que la présence d'un des deux empereurs allait relever l'ardeur des soldats, amollis par un long repos et découragés par la défaite. A en croire Fronton, l'armée d'Asie était en effet bien dégénérée de son antique valeur et de son ancienne discipline : On t'a confié, écrit-il à Verus, une armée pervertie par le désordre, l'oisiveté et la débauche ; des soldats habitués à applaudir chaque jour les histrions d'Antioche, et que l'on trouve plus souvent dans des lieux infâmes que sous leurs enseignes ; des chevaux mal tenus ; des vêtements luxueux ; des armes impuissantes, à ce point que Liulianus Pontius, homme des anciens jours, brisait du bout de ses doigts les cuirasses, et fit arracher la plume dont les cavaliers avaient garni leurs selles[23]. Le frère adoptif de Marc-Aurèle n'avait pas les vertus guerrières et l'austère énergie qui auraient pu remédier à tant d'abus. Il se laissa séduire à son tour par cet air énervant qui avait fait d'Antioche, ainsi que de son faubourg Daphné, des lieux de plaisance, et ne combattit que par ses lieutenants. Mais Marc-Aurèle les lui avait choisis. Un diplôme militaire nous apprend que ce prince, à peine parvenu à l'empire, c'est-à-dire dès le mois de mai 914 (de Jésus-Christ 161), avait cédé le consulat, qu'il exerçait depuis les calendes de janvier, à Avidius Cassius, qu'il voulait pouvoir mettre comme personnage consulaire à la tête de cette expédition, dont il prévoyait que son collègue ne serait que le chef nominal [note 7]. Un autre consul substitué (consul suffectus) de la même année, Furius Saturninus, dut aussi probablement sa nomination au besoin qu'on avait de généraux consulaires, pour une guerre qui menaçait d'être longue et pénible ; du moins on peut le présumer en combinant le passage où Lucien en parle comme ayant pris part à la guerre parthique (Quomodo hist. sit conscrib., c. 21) avec les inscriptions données par Maffei (Mus. Ver., p. 249, 8) et Orelli (3667, 3668). Statius Priscus, qui avait été rappelé de la Bretagne, à l'occasion' des troubles dont nous avons parlé tout à l'heure, et auquel on avait confié la légation de la Cappadoce en remplacement de Sévérianus, tué dans la première attaque des Parthes ; T. Claudius Fronton, qui s'intitule dans une inscription honoraire légat propréteur des deux Augustes, pour la conduite de l'armée légionnaire et des troupes auxiliaires envoyées en Orient dans l'Arménie, l'Osrhoène et l'Anthémusie (Orelli, 5478 et 5479), Martius Verus, P. Julius Géminius Marcianns, LEG. AVGG SVper VEXILLATIONES IN. CAPPADOCIA (Corpus I. gr., n° 5366), contribuèrent à venger la gloire des armes romaines, tandis que le jeune Auguste vivait dans les villes de Syrie, bien plus en débauché qu'en soldat.

Cependant Marc-Aurèle, après avoir reconduit jusque dans la Campanie son frère partant pour l'Orient, était revenu à Rome, où il avait sans doute à pourvoir aux désastres causés par l'inondation du Tibre et la disette qui en avait été la conséquence. Tout porte à croire que c'est à ce propos qu'il s'occupa activement d'une œuvre de bienfaisance à peine indiquée par les historiens, mais dont nous retrouvons des traces fréquentes dans les monuments épigraphiques. Lorsque Nerva et Trajan eurent fondé cette belle institution d'assistance publique qui consistait à assigner à l'éducation et à l'entretien des jeunes enfants de condition libre, en Italie, des sommes considérables placées par l'État sur hypothèque, la surintendance de ces revenus fut confiée à des procurateurs, simples chevaliers, ainsi que nous l'apprennent de nombreuses inscriptions relatives aux personnages revêtus de cette charge publique [note 8]. Les choses restèrent en cet état sous les règnes d'Adrien et d'Antonin ; mais, dès les premières années du règne de Marc-Aurèle, nous voyons des consulaires ou des préteurs mis à la tête de cette institution, dans les différentes provinces de l'Italie, sous le titre de préfets alimentaires, præfecti alimentorum. Il est à présumer que Marc-Aurèle, animé des sentiments de commisération qu'il devait à un naturel bienveillant, et que favorisait dès lors le stoïcisme régénéré, donna à l'institution philanthropique de ses prédécesseurs des bases plus larges encore, et voulut, dans son zèle pour les classes souffrantes, que les administrateurs de ces deniers du pauvre fussent revêtus de pouvoirs plus grands, afin qu'ils pussent faire plus de bien. C'est à ce changement des procurateurs alimentaires en préfets, des simples chevaliers en consulaires, changement dont nous devons la connaissance à l'épigraphie, qu'il nous faut probablement rapporter une phrase de Jules Capitolin, où il dit d'une manière trop vague que l'empereur prit de sages mesures pour la distribution des aliments publies : De alimentis publicis mulla prudentes invenit[24]. A l'occasion de l'union de sa fille Lucile, fiancée avec Lucius Verus qu'elle alla rejoindre en Syrie où fut célébré le mariage, Marc-Aurèle créa aussi de nouvelles catégories de jeunes enfants que l'État devait désormais se charger d'entretenir à l'aide des dons consacrés par les deux empereurs à cet usage : tout nous porte à croire que, de même qu'on avait donné le nom de Faustiniani ou d'Ulpia, aux enfants secourus par les fondations dues à Faustine, la femme d'Antonin, ou à Trajan, qui appartenait à la famille Ulpia, de même on appela Aureliani ou Veriani les enfants admis à profiter de la nouvelle fondation. Ainsi s'expliquerait une phrase de Capitolin, par laquelle il nous apprend qu'en faveur de l'heureuse alliance qui venait unir encore plus étroitement les deux empereurs, ils appelèrent à profiter de l'assistance publique de jeunes garçons et de jeunes filles auxquels on donna de nouveaux noms, pour les distinguer de ceux qui recevaient leur pension alimentaire sur les fondations précédentes : Pueros et puellas novorum nominum frumentariæ perceptioni adscribi præceperant. Nous croyons devoir suivre ici la correction proposée par Saumaise, qui lit dans œ passage novorum nominum, au lieu de novorum hominum, expression qui Se présenterait ici sous un aspect insolite[25].

C'est encore pendant le séjour de L. Verus en Orient que nous devons placer une réforme opérée par Marc-Aurèle dans l'administration de l'Italie ; et sur laquelle Capitolin s'exprime avec sa concision ou pour mieux dire sa sécheresse ordinaire : Il donna, dit-il, des juges à l'Italie, suivant l'exemple d'Adrien, qui avait chargé des consulaires d'y rendre la justice[26]. En effet, Spartien confirme la dernière partie de cette assertion dans sa vie d'Adrien, lorsqu'il nous apprend que cet empereur avait nommé juges quatre personnages consulaires dont la juridiction s'étendait sur toute la péninsule[27], et qui, ainsi que l'a conjecturé Noria, avaient probablement pour mission de diminuer, au profit de la centralisation ou du pouvoir impérial, l'indépendance des magistratures municipales. Rien de plus dans les historiens sur cette institution, si ce n'est que nous apprenons par Appien d'Alexandrie qu'elle cessa d'exister peu de temps après la mort d'Adrien[28] : mais ici encore l'épigraphie vient à notre secours. De nombreuses inscriptions, mentionnant les nouveaux juges ou Juridici institués par Marc-Aurèle, nous font connaître, d'abord, que l'institution primitive avait été changée en ce point que ce n'étaient plus des consulaires, mais des personnages prétoriens, c'est-à-dire n'ayant encore exercé que la préture, qui étaient nommés à ces nouvelles fonctions, puis ensuite que leur nombre avait été porté de quatre à cinq, entre lesquels se trouvaient partagées les onze régions de l'Italie délimitées par Auguste, ou plutôt neuf de ces régions : en effet, nous ne trouvons aucune trace de Juridici dans la première région, composée du Latium et de la Campanie, non plus que dans la septième, qui formait l'Étrurie. Probablement ces deux régions, placées dans le voisinage de Rome, en appelaient directement aux tribunaux de la capitale, se trouvant d'ailleurs comprises, pour la plus grande partie, dans le rayon de cent milles sur lequel s'étendait la juridiction du préfet de la ville[29]. Maintenant, et toujours à l'aide des inscriptions, nous pouvons supposer qu'à leurs fonctions de juges suprêmes, les Juridici ajoutaient encore le soin important de veiller à l'approvisionnement des contrées dans lesquelles ils administraient la justice. Nous voyons du moins, par une inscription de Rimini, qu'un Juridicus, qui administrait l'Ombrie et la Flaminienne, reçoit des actions de grâce pour les services rendus à une époque de disette[30], tandis qu'une autre inscription de Concordia, qui a pour nous l'avantage de rappeler le premier Juridicus envoyé par Marc-Aurèle dans la Transpadane, le félicite également d'avoir su remédier aux difficultés de l'annone : Providentia maximorum imperatorum missus urgentis annonæ difficultates juvit[31]. Comme la seule disette mentionnée par Capitolin, sous le règne de Marc-Aurèle, eut lieu dès les premiers temps de son avènement, à la suite des débordements du Tibre qui ravagèrent la contrée alors qu'éclataient les mouvements de la Bretagne et la guerre parthique, nous obtenons la date approximative de l'institution des Juridici, qui semble avoir été l'une des premières réformes accomplies sous le nouveau règne.

Vers la même époque, et même un peu de temps auparavant, Marc-Aurèle instituait une magistrature destinée à veiller sur le sort des enfants privés de leurs parents : c'était la préture tutélaire. Capitolin nous dit eu effet que l'empereur créa, le premier, un préteur des tutelles chargé de surveiller les tuteurs, qui jusqu'alors n'avaient eu de comptes à rendre qu'aux consuls[32]. On voit que, dans toutes ces créations, l'enfance, le dé-nûment, la faiblesse ou la misère, avaient le privilège d'attirer les premières pensées du prince, dont la philosophie semble avoir été une continuelle préoccupation du bonheur de l'humanité. Par une singulière coïncidence, le premier préteur des tutelles devint, au sortir de cette charge, le premier Juridicus envoyé dans la Transpadane et dont nous parlions tout à l'heure. L'inscription où nous est conservée la liste des fonctions qu'il a remplies, et où nous lisons que ce fut à lui que Dit confiée pour la première fois par les empereurs très-sacrés la magistrature qui devait veiller sur les pupilles, Cui primo juricdictio pupillaris a sanctissimis imperatoribus mandata est[33], ne nous a pas appris comment se nommait ce magistrat. Elle est acéphale, et les premières lignes, où devaient se trouver ses noms, contiennent à peine quelques traces de lettres. Toutefois le savant Borghesi, par de nombreuses inductions et les rapprochements les plus ingénieux, a reconnu que ce personnage, qui a joué un rôle si important dans les nouvelles institutions de Marc Aurèle, devait être Arrius Antoninus, parent de l'empereur Antonin, et auquel Fronton a adressé quelques lettres, alors justement qu'il exerçait les fonctions de Juridicus dans la Transpadane.

L'une des premières conditions nécessaires à la bonne exécution des mesures d'assistance publique auxquelles Marc-Aurèle attachait tant d'importance, était de constater l'état des enfants qui naissaient en Italie. Dans ce but, l'empereur établit, pour les différentes régions de la Péninsule, des officiers de l'état civil chargés de recevoir la déclaration que les parents de condition libre furent obligés de faire dans les trente jours qui suivaient la naissance de leurs enfants. Quant aux enfants qui naissaient à Rome, ils étaient inscrits sur les registres des préfets du trésor de Saturne, afin d'avoir à prendre rang suivant leurs besoins dans les distributions publiques de l'annone[34]. Non-seulement l'empereur s'occupait ainsi de ce qui regardait les personnes, mais il parait avoir aussi réglé la transmission des biens et avoir fait, ainsi que nous l'apprend J. Capitolin, de nouvelles ordonnances concernant les ventes à l'encan[35]. On pourrait croire, d'après cette indication, qu'on lui doit l'institution des préteurs hastaires, prætores hastarii, chargés des ventes aux enchères ; d'autant plus que, des deux inscriptions qui nous les font connaître, l'une est datée du règne de Marc-Aurèle : mais, si l'inscription, où nous trouvons mentionné un prætor ad hastas, est authentique, ce dont on a douté[36], elle ferait remonter cette charge jusqu'au règne de Tibère, puisqu'elle est consacrée à un certain Novellius Torquatus, qui, sous les yeux et au grand étonnement de cet empereur, avait avalé d'un seul trait trois conges de vin, c'est-à-dire près de dix litres, ainsi que Pline nous l'apprend[37].

Aucun prince, dit encore le biographe de Marc-Aurèle, ne montra plus de déférence pour le sénat romain, que les empereurs du premier siècle de notre ère avaient courbé sous leur despotisme. Afin d'entourer les sénateurs d'une plus grande considération, il confiait, par délégation, à ceux d'entre eux qui étaient préteurs ou consulaires la décision d'affaires importantes ; il attribua à ce grand corps de l'État la connaissance de tous les cas où on en avait appelé de la décision des consuls, et il confia souvent à des sénateurs la curatelle des cités [note 9]. Si Marc-Aurèle se trouvait à Rome, il se faisait une loi d'assister aux séances, alors même que rien n'y réclamait sa présence : s'il avait à y traiter quelque sujet qui l'intéressât, il revenait à jour fixe, fût-ce même du fond de la Campanie, et souvent on le vit assister aux comices jusqu'à la nuit, ne quittant pas sa place que le consul n'eût prononcé la formule consacrée : Nous ne vous retenons plus, pères conscrits : Nihil vos morarnur, patres conscripti. Persuadé qu'il n'y a pas de bonne justice si elle est lente à se montrer, il veilla surtout à la prompte expédition des affaires : aussi crut-il devoir ajouter aux fastes un certain nombre de jours pendant lesquels les tribunaux restaient ouverts, de telle sorte qu'il avait porté au nombre de deux cent trente par année les jours où il était permis de rendre la justice.

Pour opérer tant de réformes utiles, Marc-Aurèle s'entourait des hommes qu'il croyait les plus capables de le seconder dans ses vues philanthropiques, et parmi eux il n'avait garde d'oublier les disciples du Portique qui l'avaient initié à la pratique de la philosophie stoïcienne, telle qu'on la comprenait alors, c'est-à-dire dépouillée de cette rigueur première qui aurait voulu faire de la pitié une faiblesse indigne de l'homme. Dès la seconde année de son règne, l'empereur nomma consul son maitre Junius Rusticus : Thémistius nous dit que Marc-Aurèle l'avait arraché à ses livres pour partager avec lui le fardeau de l'empire (Orat. 13 et 17). C'était, en effet, le second consulat qu'obtenait le maitre bien-aimé de la jeunesse du prince, et il ne devait en sortir que pour exercer la préfecture de Rome, haute dignité qui, à cette époque, amenait immédiatement à la seconde nomination consulaire, ou bien ne s'accordait qu'à celui qui avait été deux fois consul, ainsi qu'on peut le prouver par de nombreux exemples[38]. Rusticus exerça pendant plusieurs années ces fonctions, qui lui assuraient une des premières places dans les conseils du prince : nous en avons la preuve non-seulement dans le rescrit du Digeste adressé par Marc-Aurèle et Verus à Rusticus, préfet de la ville : Ad Junium Rusticum amicum nostrum præfectum urbis[39], mais aussi dans la condamnation de saint Justin prononcée par Rusticus pendant sa magistrature et que les calculs d'Eusèbe placent en l'an de Rome 920 (de J.-C. 167), cinq ans après son second consulat. Nous pouvons ajouter à ce sujet que quelques poids anciens, qui portent pour inscription EXAVCT. Q. JVNII RVSTICI PR. VRB, avaient fait supposer à Tillemont, ainsi qu'à plusieurs autres historiens ou antiquaires, que Rusticus avait été préteur de la ville, Prætor Urbanus[40] ; mais il s'agit ici de ces mêmes fonctions de préfet qu'il remplit après son second consulat, et les sigles PR. sont dans ce cas, contre l'habitude du style épigraphique, l'abréviation de præfectus, ainsi que l'a prouvé une inscription trouvée à Mayence et publiée par Orelli[41].

Pendant que Marc-Aurèle, entouré de sages conseillers, veillait sur l'empire et modifiait dans l'intérêt du peuple l'administration de l'Italie, Lucius Verus, se livrant dans la ville d'Antioche au goût qu'il avait pour le plaisir, confiait à ses généraux le commandement de son armée[42]. Grâce à leur habileté, les armes romaines n'eurent point à souffrir de l'incapacité du jeune empereur. Statius Priscus, qui s'était dirigé sur l'Arménie, prit Artaxate, la capitale du pays, qu'il rendit à son souverain légitime[43], tandis qu'Avidius Cassius, marchant contre les Parthes, les forçait à battre en retraite, envahissait la Mésopotamie, pillait ou brûlait Séleucie, rasait le palais des rois de Perse à Ctésiphon, et pénétrait jusqu'à Babylone [note 10]. Ces brillants succès forcèrent Vologèse à demander la paix, et il dut l'acheter par la perte de la Mésopotamie. La guerre avait duré cinq années, pendant lesquelles Verus avait à peine quitté les bosquets de Daphné ou son palais d'Antioche pour s'avancer d'abord jusqu'à l'Euphrate, puis pour aller, en 164, jusqu'à Éphèse au devant de sa fiancée, la jeune Lucile, fille de Marc-Aurèle. Cependant les victoires des Romains eurent un retentissement qui porta leur nom jusqu'aux extrémités orientales de l'Asie, s'il faut croire les historiens de la Chine sur un fait dont ceux de Rome ne font aucune mention. La première ambassade romaine envoyée aux princes du Céleste Empire est placée par les annalistes de cette contrée dans l'année 166 de notre ère, celle même où fut conclue la paix entre les Parthes et les Romains. On lit dans les textes chinois que cette ambassade avait été envoyée par l'empereur An-tun, c'est-à-dire Marc-Aurèle-Antonin. Les ambassadeurs envoyés dans ces régions, alors si inconnues à l'Europe, pour y étudier sans doute le commerce de la soie qu'on payait au poids de l'or, portaient en présent à l'empereur de Chine Hiouan-ti des dents d'éléphants, des cornes de rhinocéros, des écailles de tortues. Ils avaient pénétré dans le pays, ainsi que le font remarquer les historiens chinois, par la frontière méridionale et non pas par la route ordinaire de l'Asie centrale ; ce qui s'explique, puisque cette route se trouvait alors au pouvoir des Parthes, et que les envoyés de Rome, pour être rendus auprès de l'empereur de Chine en 166, savaient dû partir avant la conclusion de la paix[44].

Cette paix signée, Verus revint à Rome, où les deux empereurs célébrèrent leur victoire par un triomphe et des jeux solennels auxquels ils assistèrent en costume de triomphateurs[45]. Le sénat, dans son enthousiasme, leur vota par acclamations les titres de Pères de la patrie : ils avaient déjà ceux de Parthiques, d'Arméniaques et de Médiques. Il y avait même eu à ce sujet combat de générosité entre les deux frères, l'un ne voulant pas de ces titres si son collègue ne les acceptait pas, l'autre refusant de porter de glorieux surnoms dus à des succès obtenus en Orient tandis qu'il était à Rome. Fronton, qui ne put assister à la séance où eut lieu le débat, lut ensuite le discours prononcé à cette occasion par Marc-Aurèle et les lettres de Verus. Il les loue avec cette emphase de rhéteur qui gâte la plupart de ses lettres : Lequel louer davantage, dit-il, ou celui qui demandait, ou celui auquel on demandait ? D'un côté, Antonin, ayant le commandement, mais soumis ; et de l'autre, toi, Lucius, gardant ta déférence, mais impérieux à force d'amour. C'est sous tes auspices et par tes armes que Dausara, Nicéphore et Artaxate ont été pris[46] : mais cette forteresse inexpugnable placée dans le cœur de ton frère, quelles autres forces que celles de ton éloquence l'ont assaillie au point d'amener ce frère à accepter le nom d'Arméniaque, qu'il avait refusé ?[47] Le refus de Marc-Aurèle était sincère : nous en avons la preuve, puisqu'il quitta bientôt des titres auxquels il ne se reconnaissait pas de droits. Quant à Lucius Verus, nous savons pertinemment qu'il n'était pas modeste tous les jours : témoin cette lettre où il explique naïvement à Fronton, qui devait être l'historiographe de la guerre parthique, les meilleurs moyens de le mettre en relief auprès de la postérité : Tu connaîtras les événements de la guerre, lui dit-il, par les lettres que m'ont écrites les chefs chargés de la conduite de chaque affaire. Notre Sallustius t'en donnera des copies. Pour moi, afin que tu puisses te rendre compte de mes plans, je t'enverrai mes lettres, où l'ordre à suivre en toutes choses est tracé. Si tu désires aussi quelques dessins (pictural), tu pourras les recevoir de Fulvianus ; mais, pour te mettre encore plus les faits sous les yeux, j'ai mandé à Cassius Avidius et à Martius Verus de m'écrire quelques mémoires que je t'enverrai et qui te donneront l'intelligence des mœurs et de la richesse du pays. Si tu veux aussi que je te rédige quelques notes, dis-moi dans quelle forme tu les désires, et je les écrirai, car je suis prêt à tout pour obtenir que mes actions te doivent leur célébrité. Ne néglige pas non plus mes discours au sénat ou mes allocutions à l'armée. Je t'enverrai encore mes conférences avec les barbares. Tous ces matériaux te seront d'un grand usage. Puis il est une chose que l'élève aurait mauvaise grâce à vouloir démontrer au maitre, mais sur laquelle cependant j'appelle ton attention : insiste longtemps sur les causes et l'origine de la guerre, et même sur les désastres éprouvés en mon absence ; je crois surtout qu'il est nécessaire de faire ressortir toute la supériorité des Parthes avant mon arrivée, afin que nos opérations apparaissent dans toute leur grandeur[48]. Malgré ces épanchements d'une vanité qui voulait reporter tout à elle, la lettre de Verus est intéressante pour l'histoire d'une campagne sur laquelle nous avions si peu de documents. Elle confirme par l'aveu même du prince ce fait que les deux généraux Avidius Cassius et Martius Verus avaient eu la conduite d'expéditions sur lesquelles seuls ils pouvaient donner des renseignements authentiques ; puis elle prouve que, dans leurs guerres lointaines, les Romains recueillirent avec soin les matériaux qui pouvaient les éclairer sur les mœurs et les productions des pays parcourus par leurs armées. Si l'histoire de la guerre parthique écrite par Fronton nous était parvenue, nous y trouverions probablement, au milieu de ses déclamations oratoires, plus d'un renseignement précieux[49], et nous y verrions peut-être la confirmation de ce que nous apprennent les historiens de la Chine sur les relations qui s'étaient établies à cette époque entre l'Asie orientale et l'empire romain.

L'histoire, qui nous a mesuré d'une main si avare les documents relatifs à la guerre des Parthes sous Marc-Aurèle, est muette sur cette autre expédition de Bretagne pour laquelle nous avons vu partir le légat propréteur Calpurnius Agricola. Que les troubles de cette province aient été occasionnés par un mouvement des troupes en faveur de Statius Priscus, ou que les Bretons se soient révoltés, ce qui parait moins probable, il n'en est pas moins vrai que, sous le règne de Marc-Aurèle, la puissance romaine ne fit aucun progrès en Bretagne, et semble au contraire avoir perdu du terrain. L'un des légats d'Antonin, Lollius Urbicus, s'avançant à quatre-vingts milles au nord de la muraille construite par les ordres d'Adrien pour servir de frontière à la province, avait élevé un second rempart entre le Frith of Forth et la Clyde, là où l'Écosse méridionale se trouve comme coupée par les golfes qui, à l'embouchure de ces deux fleuves, la pénètrent profondément. Or cette seconde muraille ne put longtemps servir de défense contre les terribles enfants des brouillards, qui, de l'embouchure du Tay aux lacs d'Argyle, couraient aux armes dès qu'il s'agissait d'assaillir l'ennemi commun. Le manque complet d'inscriptions rappelant le nom de Marc-Aurèle en Écosse semble nous indiquer que, dès la mort d'Antonin, les corps légionnaires y étaient en petit nombre, et que l'aigle romaine n'a jamais trouvé où abriter son aire sur le sol de la Calédonie. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'une inscription où le nom de Calpurnius Agricola se trouve mentionné, a été exhumée sur l'emplacement du rempart d'Adrien dans le Northumberland[50]. Ce monument épigraphique prouve qu'Agricola, qui a dû venir en Bretagne vers l'an 915 de Rome, c'est-à-dire dès les premiers temps de l'avènement des deux frères, y était encore après la mort de L. Verus arrivée en 922, puisque le légat y est appelé LEGATVS AVGUSTI, légat d'Auguste, et non pas LEGATVS AUGG, légat des deux Augustes, ce qui n'aurait pas manqué d'être gravé sur le marbre si le collègue de Marc-Aurèle avait alors vécu. A peine si nous trouvons la Bretagne nommée encore une ou deux fois vers cette époque. Dion Cassius nous apprend que le satrape Tiridate, qui avait soulevé toute l'Arménie et combattu Martius Verus, légat de Cappadoce, ayant été fait prisonnier, fut exilé par Marc-Aurèle chez les Bretons ; il nous dit aussi que les Iazyges, qui habitaient vers les embouchures du Danube, ayant fait alliance avec le même empereur, lui fournirent pour le recrutement des armées romaines huit mille cavaliers, dont cinq mille cinq cents furent également envoyés en Bretagne[51]. Telles sont les faibles lueurs qui viennent éclairer l'histoire de cette province pendant les vingt années du règne de Marc-Aurèle. Une guerre ou une révolte qui exigea la nomination d'un nouveau légat au commencement de ce règne, et, vers la fin, l'envoi de renforts qui semblent annoncer la continuation d'un état de troubles, voilà tout ce qui reste des annales bretonnes dans l'espace de près d'un quart de siècle.

Lors du retour de Verus, un danger plus grand que celui qui avait pu résulter d'une guerre d'Orient ou d'une révolte en Bretagne menaçait l'Italie. Une ligue s'était formée parmi les nombreuses tribus habitant au nord de l'empire, depuis les sources du Danube jusqu'aux frontières de l'Illyrie. Marcomans, Alains, Iazyges, Quades, Sarmates, et beaucoup d'autres peuples encore, avaient fait irruption sur le territoire de l'empire, et déjà, pendant la guerre parthique, on avait conçu de graves inquiétudes à leur sujet. A peine les deux empereurs étaient-ils réunis, qu'ils durent penser à marcher en personne, et à pousser la guerre avec vigueur contre ces pépinières de barbares dont Rome surveillait avec terreur les mouvements, prévoyant déjà, peut-être, que de là lui viendrait sa ruine. Malgré l'éclat du récent triomphe, les circonstances étaient tristes : les secours prodigués par l'empereur à l'Italie n'avaient pu remédier complètement à la disette ; fléau qui semble avoir duré plusieurs années, et l'armée de Verus avait rapporté d'Orient la peste, qui se répandit bientôt à la suite des légions dans toutes les provinces de l'empire. Pour rassurer les esprits et inspirer la confiance, Marc-Aurèle, oubliant cette philosophie élevée sur laquelle il devait écrire chez les Quades de si belles pages, eut recours à tout l'arsenal des superstitions païennes. Des sacrifices expiatoires furent offerts aux dieux du Panthéon romain. On célébra pendant sept jours les fêtes du lectisterne ; on fit appel à tous les rites étrangers : et qui sait si les préventions qu'un prince naturellement bienveillant conçut contre cette admirable religion chrétienne dont il aurait dit comprendre et aimer la divine morale, ne vinrent pas du refus des chrétiens, qui ne pouvaient s'unir aux vaines cérémonies que lui dictait sa politique ? Mais nous aurons à revenir sur l'étrange aberration qui porta ce prince, chrétien par le cœur, à persécuter le christianisme. Disons d'abord que, malgré les lectisternes et les sacrifices expiatoires, le terrible fléau fit de si grands ravages que tous les chars de la ville étaient employés au transport des cadavres. Les deux empereurs firent à cette occasion des lois très-sévères sur les inhumations et les lieux où l'on pourrait élever des tombeaux ; ils ordonnèrent que les citoyens pauvres fussent inhumés aux frais de l'État, puis ils partirent pour l'armée de Germanie.

Cette guerre du Nord que commençaient les deux frères devait se continuer avec des succès différents pendant tout le règne de Marc-Aurèle, dont la résidence se trouva, dès lors, plus souvent fixée dans la Pannonie que dans la capitale de l'empire[52]. Malheureusement, les quelques détails qui nous ont été conservés par les historiens sont si confus, si parfaitement prives de tout ordre et de toutes dates, qu'on ne saurait en tirer aucune narration suivie. Les médailles sont, dans ce cas, notre guide le plus sûr. En rapprochant le chiffre de la puissance tribunitienne qui donne la date du règne, du chiffre des acclamations impériales qui ne change qu'à la suite d'une victoire, on obtient quelques lueurs sur la conduite de la guerre et les diverses phases de la lutte ; mais on comprendra facilement combien de tels documents sont secs et incomplets. Lucius Verus était revenu à Rome dès l'année 949. Son troisième consulat, qu'il prit aux calendes de janvier de l'année suivante, 920 (de Jésus-Christ 167), indique que le départ des empereurs n'eut lieu que postérieurement à cette investiture : il est même probable qu'il fut différé jusqu'à ce que la belle saison permit d'ouvrir la campagne. Effrayés des grands préparatifs que les Romains avaient faits pour porter la guerre dans le Nord, et voyant les deux empereurs réunis pour les combattre, les barbares sentirent se calmer l'ardeur qui les avait tous réunis contre l'aigle romaine. La division se mit entre eux : Marc-Aurèle et Verus étaient à peine arrivés à Aquilée, que les chefs principaux de la ligue se retirèrent avec leurs troupes au delà du Danube, d'où ils firent demander la paix, mettant à mort les conseillers qui les avaient encouragés à la guerre. La réaction était alors si complète que les Quades, qui avaient perdu leur roi, déclarèrent ne vouloir en recevoir un autre que de la main des deux empereurs. Capitolin ajoute à ces détails que L Verus, entraîné par son amour du plaisir, voulait après ce succès retourner à Rome, et que Marc-Aurèle n'y consentit pas[53]. Il parait cependant bien certain que les deux princes retournèrent dans leur capitale après la conclusion de cette paix, ou, pour mieux dire, de cette trêve. Non-seulement nous en avons pour preuve des médailles datées de cette même année 920, et qui offrent le type de la Fortune avec l'épigraphe Fortuna redux, médailles que l'on frappait ordinairement pour célébrer le retour des empereurs ; mais nous avons un texte d'Ulpien, dans lequel il cite un discours de Marc-Aurèle, prononcé à Rome, dans le camp des Prétoriens, au 8 des ides de janvier, sous le consulat de Paulus et d'Apronianus, c'est-à-dire dans les premiers jours de l'année 921[54]. Ce témoignage permet difficilement de douter que les deux princes ne soient revenus à Rome aussitôt après la pacification apparente des provinces du nord de l'Empire.

Cependant Sarmates, Daces, Quades, Marcomans, Victovales, n'ont fait qu'une courte halte dans leur campagne contre la puissance romaine. Les hostilités recommencent bientôt. Dans le courant de l'année 922 (de Jésus-Christ 169), les deux empereurs quittent de nouveau la ville pour aller passer l'hiver à Aquilée. Là ils comptaient rassembler toutes les forces dont ils disposaient, afin d'être en mesure de pousser avec vigueur les opérations de la guerre au printemps de l'année suivante : mais la concentration des troupes développa bientôt avec une nouvelle force les germes dg peste rapportés d'Orient par l'armée de Verus. Le célèbre Galien fut appelé pour arrêter, s'il était possible, les progrès du mal ; ce fut en vain. Tout l'art de la médecine semblait inutile [note 11]. Le fléau redoublait ses ravages, et les empereurs résolurent de reprendre au milieu de l'hiver la route d'Italie. Ils voyageaient dans la même litière et s'approchaient de la ville d'Altinum dans la Vénétie, lorsque Verus, frappé d'apoplexie, mourut subitement.

Marc-Aurèle accompagna jusqu'à Rome le corps de son collègue, et le fit déposer dans le mausolée élevé par Adrien à la famille impériale. En remerciant le sénat d'avoir décrété l'apothéose de Verus, il laissa entendre, à ce que nous dit Jules Capitolin, que les victoires remportées sur les Parthes, dont on avait fait honneur à son frère adoptif, n'avaient été dues qu'à ses propres conseils, et qu'il allait enfin commencer à gouverner l'État sans voir ses plans entravés par un collègue qui ne l'avait guère aidé jusqu'alors (Marc-Aurèle, XX). C'était là, il faut l'avouer, une étrange manière de justifier, auprès des sénateurs, l'admission de Verus au rang des dieux. On peut concevoir, du reste, que Marc-Aurèle ait cédé à son amour pour la vérité, et peut-être à un sentiment d'orgueil, en réclamant pour lui la plus grande part de ce qui s'était accompli jusqu'alors à la gloire de l'empire. On ne concevrait pas un reproche bien autrement grave qui lui a été adressé par Dion Cassius. Cet historien parait croire que la mort de Verus n'a pas été naturelle, et que Marc-Aurèle a prévenu par ce triste attentat les mauvais desseins que son collègue tramait contre lui[55]. Tout, dans la vie du prince philosophe, repousse une telle accusation, et l'on peut dire, avec Capitolin, qu'aucun prince n'est à l'abri de la calomnie, puisqu'on a voulu entacher la mémoire de Marc-Aurèle[56].

Cependant la guerre des Marcomans avait continué sous le commandement des généraux qui étaient restés en Pannonie à la tête des légions. Marc-Aurèle quitta Rome une troisième fois, dans le courant de l'année 922, ainsi que le prouvent les médailles frappées alors, et qui portent pour légende Profectio Augusti[57]. Il allait reprendre la conduite d'une expédition qui demandait toute sa sagesse et tout son courage, en même temps qu'il chercherait à adoucir par l'accomplissement de ses devoirs un chagrin profond qu'il venait d'éprouver : Marc-Aurèle était un père tendre, ainsi que le prouvent plusieurs passages de sa correspondance[58], et son séjour en Italie avait été marqué par une perte cruelle. Annius Verus, son plus jeune fils, qui donnait de grandes espérances, lui avait été enlevé par l'impéritie des médecins qu'il eut le courage de consoler lui-même en voyant combien ils étaient affectés de la responsabilité qui pesait sur eux. Des médailles, des statues votées à l'occasion de cette mort, nous ont conservé les traits du jeune Annius, qui, comme son frère Commode, offre une grande ressemblance avec Marc-Aurèle, ce que Fronton nous aurait appris à défaut des monuments, lorsqu'il écrit à son royal élève : J'ai vu tes petits enfants, et nul spectacle n'aura été plus doux pour moi, car ils te ressemblent tellement de visage que rien n'est plus ressemblant que cette ressemblance : Tam simili facie tibi, ut nihil sit hoc simili similius. Me voilà bien dédommagé de mon voyage à Lorium, de ce chemin glissant, de ces rudes montées. Je te voyais doublé, pour ainsi dire, et je te contemplais à la fois à ma droite et à ma gauche. Du reste, j'ai trouvé à ces chers petits, grâces aux dieux, un bon teint, une voix forte. L'un tenait du pain bien blanc, comme il convient au fils d'un roi ; l'autre, du pain bis, comme il convient au fils d'un philosophe. Je prie les dieux qu'ils conservent a le semeur et les semences, qu'ils gardent avec soin la moisson qui porte des épis si ressemblants. J'ai entendu a aussi leurs petites voix si douces, et dans ce joli gazouillement je croyais reconnaître déjà le son limpide et harmonieux de ta voix d'orateur[59].

Les deux enfants dont Fronton parlait avec cette tendresse de cœur et cette afféterie de langage étaient Commode et Antonin, son frère jumeau, qui mourut à l'âge de quatre ans. Commode, plus encore qu'Annius Verus, ressemblait au meilleur des empereurs, et on se prend à regretter cette conformité de visage. On aimerait mieux, quand on sait quelle a été la conduite de Faustine, croire, avec quelques historiens du temps, qu'il était le fils d'un gladiateur. Alors Marc-Aurèle semblerait moins responsable de cet indigne successeur dont il ne sut pas corriger les cruels instincts. L'empereur était bon, sans doute, mais les temps étaient mauvais. La dégradation des classes aristocratiques avait été prompte et complète, depuis que, décimées par la cruelle persécution des premiers Césars, elles avaient cherché leur salut dans l'obéissance et l'avilissement. Les meilleurs princes s'accoutumèrent trop vite à voir mendier leurs faveurs. Ils rapprochaient volontiers de leurs personnes ceux qui employaient avec eux les formes les plus humbles, et se souvinrent trop tard qu'on ne s'appuie que sur ce qui résiste. Que dire de ce précepteur qui fit brûler dans la fournaise du bain destiné à Commode une peau de mouton, afin que l'odeur fit croire à ce cruel enfant qu'on y avait jeté l'étuviste dont il avait ordonné le supplice, pour le punir de ce que le bain n'était pas assez chaud[60] ? Commode avait alors douze ans : Marc-Aurèle était absent, occupé de cette guerre des Marcomans, pour laquelle nous venons de le voir partir. C'est là son excuse, s'il peut y en avoir une au mauvais choix des maîtres auxquels un père confie l'éducation de son fils.

Quelles étaient les forces militaires dont disposait l'empereur à son arrivée sur le théâtre de la guerre ? L'histoire n'en dit rien ; mais là encore l'épigraphie vient à son secours et peut combler quelques lacunes. Des trente légions qui composaient la force principale de l'empire et devaient en assurer les frontières, depuis les forêts de la Calédonie jusqu'à la Perse à peine soumise, en Asie, et jusqu'aux sables du grand désert, en Afrique, nous en trouvons près de la moitié dont la présence au nord de l'Europe, pendant le règne de Marc-Aurèle, constate une part active dans les pénibles campagnes de ce prince. Parmi ces légions, deux furent créées sous son règne, la seconde légion surnommée Italica, et la troisième à laquelle on avait donné la même appellation, probablement parce qu'elles avaient été toutes deux levées en Italie pour les besoins de la guerre[61]. L'une était en Norique, l'autre en Rhétie, au temps de Dion Cassius[62]. C'est probablement de la première légion Adjutrix, que parle Capitolin, lorsqu'il nous dit que, sous Marc-Aurèle, Pertinax, chargé du commandement de la première légion, délivra la Rhétie et la Norique des ennemis de l'empire[63]. Il y a tout lieu de croire, en effet, que la première Adjutrix faisait alors partie de l'armée du Nord, puisque nous apprenons, par une inscription gravée en l'honneur du consul Césonius Macer Rufinianus, qu'étant tribun de cette légion, il reçut de Marc-Aurèle des récompenses militaires[64]. Ces distinctions ne peuvent avoir été méritées par l'officier qui les obtint que dans les guerres dont il s'agit, et qui furent seules dirigées par Marc-Aurèle : s'il s'agissait des guerres parthiques, les récompenses auraient été données par L. Verus. En effet, Dion place de son temps la première légion Adjutrix dans la Pannonie inférieure, où un grand nombre d'inscriptions trouvées parmi les ruines romaines éparses dans le pays prouvent sa longue résidence[65]. La première légion Minervia, que Verus avait conduite à la guerre parthique, revint ensuite dans la Germanie, ainsi que le démontrent plusieurs inscriptions du Rhin recueillies par Steiner[66]. Quant à la première légion Italica, créée par Néron et qui prit part sous Trajan aux guerres daciques, elle était cantonnée, ainsi que nous l'apprend Ptolémée, dans la Mœsie inférieure, où elle se trouvait encore au temps de Dion Cassius[67]. Elle était donc assez voisine de la Sarmatie pour que nous devions croire qu'elle a joué un rôle dans la guerre. La seconde légion, nommée Adjutrix comme l'une des premières, et créée par Vespasien, avait fait ses premières armes dans la guerre contre Civilis[68]. Elle fut aussi employée probablement sous Trajan dans les guerres daciques, et nous en aurions une preuve directe si l'inscription donnée par Orelli, n° 799, et répétée n° 3048, n'était pas suspecte. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle resta longtemps dans la Pannonie inférieure, où nous trouvons plusieurs inscriptions qui en font mention, et on ne peut guère douter qu'elle n'ait pris part aux campagnes de Marc-Aurèle[69]. La quatrième légion, qui portait les surnoms de Flavia felix, se trouvait aussi dans ces provinces septentrionales attaquées sur tant de points par les barbares. Une inscription donnée par Steiner, et trouvée sur les bords du Rhin, mentionne un de ses soldats qui prit part à l'expédition contre les Germains[70], et un autre monument épigraphique cite encore un membre de la légion, deux fois récompensé par l'empereur Marc-Antonin dans la guerre qu'il fit en Germanie[71]. La cinquième légion, surnommée Macedonica, et qui contribua sous Trajan à la soumission de la Dacie, avait continué d'occuper cette nouvelle conquête, de telle sorte que nous pouvons très-probablement la compter au nombre des troupes que Marc-Aurèle avait alors à sa disposition[72]. Il en est de même de la huitième légion Augusta : on a trouvé dans le Wurtemberg plusieurs monuments qui prouvent la résidence de cette légion dans le pays jusqu'au règne de Commode[73] ; elle y était donc sous Marc-Aurèle. La dixième légion Gemina, après avoir résidé tour à tour en Espagne et dans la Germanie inférieure, se trouvait dans la Pannonie supérieure sous le règne d'Antonin le Pieux, ainsi que nous l'apprend Ptolémée, d'accord en cela avec l'Itinéraire d'Antonin, qui lui donne pour garnison la ville de Vindobona[74]. Une inscription, rapportée par Gruter, prouve qu'elle y était encore au temps de Septime-Sévère[75]. Ces deux termes extrêmes nous donnent donc pour la dixième Gemina, comme pour la huitième Augusta, la preuve qu'elle s'était trouvée sous Marc-Aurèle au fort de l'action. La onzième légion Claudia est encore une de celles qui, sans fournir de monuments précis pour l'époque dont nous nous occupons, a cependant de grandes chances en sa faveur, quand on veut faire le recensement des corps militaires composant l'armée de Germanie. Elle s'était distinguée dans ces contrées sous Domitien, et plusieurs inscriptions y prouvent son long séjour[76]. Quant à la douzième légion Fulminata, que Marc- Aurèle avait appelée de Cappadoce pour lui faire prendre part à son expédition contre les Quades, nous aurons l'occasion d'y revenir tout à l'heure, à propos d'un des événements de la guerre, sur lequel elle aurait eu die grande influence, à ce que nous apprend Xiphilin, l'abréviateur de Dion. Vient ensuite la treizième légion Gemina, qui, après avoir pris part, en Italie, aux guerres civiles dont fut suivie la mort de Néron, occupa la Pannonie. Trajan la conduisit en Dacie[77], où elle parait être restée jusqu'au temps de Gallien, ayant évidemment sa part d'action dans tous les mouvements militaires opérés sur les rives du Danube. La Pannonie supérieure se trouvait, au temps des Antonins, occupée par la quatorzième légion Gemina Martia Victrix ; un de ses légats, nommé L. Urinatius Quintianus, y obtint des récompenses militaires sous le règne du fils de Marc-Aurèle[78]. Nous n'avons plus à mentionner que deux légions : la vingt-deuxième Primigenia, qui se trouvait en Germanie, où une quantité d'inscriptions prouveraient son séjour depuis l'an de Rome 931 jusqu'à 985[79], quand même Spartien ne nous dirait pas qu'elle y était, sous Marc-Aurèle, commandée par Didius Julianus[80], puis la trentième Ulpia Victrix, dont les inscriptions nous indiquent la résidence sur les bords du Rhin pour l'époque qui nous occupe[81].

A ces légions, qui formaient un ensemble de près de cent mille hommes, il faut ajouter les troupes auxiliaires qui devaient doubler ce nombre ; car à chaque légion composée de six mille soldats, nous trouvons joint en général un nombre à peu près égal d'auxiliaires, de telle sorte que toute légion, soutenue par des cohortes faisant partie des auxilia, peut être regardée comme un petit corps d'armée dont l'effectif montait à environ 12.000 combattants [note 12].

Un diplôme de congé militaire accordé par Marc-Aurèle aux troupes auxiliaires qui se trouvaient en Pannonie après les premiers succès qui signalèrent les commencements de la guerre, et les inscriptions éparses sur le sol, nous font connaître une partie des cohortes et des alæ ou corps de cavalerie appelés à la défense de la frontière du Nord[82]. On y constate la politique suivie constamment par Rome, qui, après avoir soumis les plus belles contrées du monde alors connu, opposait les unes aux autres les forces qu'elle empruntait aux nations subjuguées, de la même manière que quelques États modernes composés de nationalités différentes envoient les Italiens en Allemagne, les Hongrois en Vénétie, les Tartares en Livonie ou les Finlandais en Crimée.

Nous avons déjà dit combien peu nous connaissons l'ordre des événements qui se passèrent en Pannonie pendant plusieurs années. La guerre se poursuivit avec des chances diverses, et plus d'une fois les Marcomans virent fuir les Romains. Une fois même ils les poursuivirent jusque dans Aquilée, qui eût été prise sans le courage et l'habileté déployés par la garnison. L'armée romaine se trouvait alors affaiblie et découragée : affaiblie par cette peste d'Orient qui n'avait cessé d'exercer ses ravages depuis la fin de la guerre parthique ; découragée par l'insuccès. C'est alors probablement que Marc-Aurèle créa deux légions nouvelles qui auraient été composées d'éléments bien hétérogènes, s'il faut croire les historiens lorsqu'ils nous disent qu'on fut obligé d'enrôler des gardes de police, des gladiateurs, des exilés et jusqu'à des esclaves. L'épuisement du trésor publie, sans doute occasionné par les distributions gratuites qu'avait amenées une longue disette, força l'empereur à des sacrifices personnels qu'il accepta sans regret. Il donna l'ordre de vendre aux enchères, dans le forum de Trajan, les ornements impériaux, les coupes d'or ou de cristal, les vases murrhins, les vêtements de soie, les joyaux qu'il avait trouvés dans le trésor particulier d'Adrien. Cette vente dura deux mois, dit Jules Capitolin, et remplit de nouveau le trésor. Désormais Marc-Aurèle pouvait reprendre l'offensive : il en était temps. Les Germains qui habitaient les bords du Rhin s'étaient joints aux riverains du Danube ; toutes les dissensions, si fréquentes entre ces petits Étais barbares, étaient oubliées. Jamais peut-être la résistance de ces peuplades à la bravoure et à la discipline des Romains n'avait été plus opiniâtre. On trouvait des femmes tout armées parmi les morts tombés sur le champ de bataille : l'hiver même ne pouvait arrêter l'ardeur des combattants. Dion Cassius nous a laissé le récit d'une sanglante action entre les Romains et les Iazyges, dont la scène fut le lit glacé du Danube. Habitués à leurs rudes saisons, les troupes barbares supposaient que les Romains ne sauraient résister sur cette surface polie on chaque mouvement imprévu exposait à une chute. Aussi leur attaque avait-elle encore été plus impétueuse que de coutume : ils se croyaient sûrs de la victoire, et l'auraient remportée complète, en effet, si les légionnaires n'eussent eu l'idée de poser sur la glace leurs boucliers. Appuyant le pied sur cette surface solide, ils ne craignaient plus de s'attacher à l'ennemi, de l'attirer à eux, de le renverser, sauf à tomber avec, car ils étaient mieux armés, et dans ce combat corps à corps, ils reprirent leur supériorité habituelle : les Iazyges furent vaincus après avoir éprouvé de grandes pertes[83]. Pertinax, légat de la première légion Adjutrix ; Pompeianus, auquel Marc-Aurèle avait donné en mariage sa fille Lucile, veuve de L. Verus, reprirent plusieurs des provinces danubiennes[84]. L'empereur donnait l'exemple de la longanimité, de la persistance et de ce froid courage qui consiste plus encore à braver les rigueurs du climat ou les ennuis d'une longue campagne qu'à défier les périls du combat. Juste avec les soldats, il les récompensait quand ils l'avaient mérité, mais n'accordait rien à leurs exigences. Nous avons plusieurs exemples sous le règne de Marc-Aurèle d'une récompense nouvelle qui fut accordée par ce prince aux consulaires ayant obtenu les succès qui à une époque antérieure leur auraient valu les ornements du triomphe, ornamenta triumphalia. Ce sont des décrets du sénat par lesquels ce corps de l'État, sur la proposition de l'empereur, vote une ou plusieurs statues dans le forum de Trajan, ou dans quelqu'un des temples de Rome, au chef qui s'est distingué par sa conduite ou bien est mort sur le champ de bataille. Ainsi, par exemple, Dion nous apprend que Vindex, préfet du prétoire, ayant succombé dans un combat où les Marcomans furent vainqueurs, l'empereur lui fit ériger trois statues ; et une inscription en l'honneur de Bassœus Rufus, qui avait succédé à Vindex comme préfet prétorien, nous apprend qu'en récompense de sa conduite dans la guerre contre les Germains et les Sarmates, le sénat lui a également décrété par l'ordre de Marc-Aurèle trois statues, l'une dorée au forum de Trajan, l'autre, avec la toge, dans le temple d'Antonin ; la troisième, avec la cuirasse, dans le temple de Mars Vengeur[85]. Il ne faut pas supposer toutefois que Marc-Aurèle soit l'auteur du changement qui remplaça, par l'érection d'une ou plusieurs statues, la haute récompense qui consistait à accorder à un général les ornements du triomphe. Les derniers exemples des ornamenta triumphalia que peut offrir l'épigraphie datent du règne de Trajan. On pourrait supposer, il est vrai, que le manque d'expéditions militaires pendant les longs règnes d'Adrien et d'Antonin le Pieux est la cause pour laquelle les monuments épigraphiques datés de ces règnes pacifiques ne font pas mention de cette haute récompense qu'on avait instituée pour les généraux vainqueurs, alors que lès empereurs seuls avaient le droit de monter en triomphateurs au Capitole. Toutefois il parait plus naturel, ainsi que l'avait déjà fait Boulenger et comme Borghesi le confirme, d'attribuer la suppression des ornements triomphaux, longtemps récompense spéciale des généraux, à l'usage qui en fut accordé à tous les consuls. Restera maintenant à déterminer quelle fut l'époque où, ainsi que le dit Asconius, la toge brodée de palmes était devenue le vêtement du consul pendant la paix comme celui du triomphateur après la victoire[86]. Ce qu'il y a de certain à cet égard, c'est que du temps de Juvénal, et par conséquent au plus tard sous Adrien, ainsi que nous le voyons par la dixième satire du poète, les consuls avaient déjà la toga picta, la couronne d'or et le sceptre surmonté de l'aigle éployée pour présider aux jeux du Cirque[87]. C'étaient bien là les insignes qui n'avaient longtemps été pris qu'à l'heure du triomphe, et il est probable qu'en les accordant ainsi à la grande magistrature curule, les empereurs les remplacèrent par d'autres récompenses purement militaires, telles qu'étaient la statua armata ou loricata dont nous voyons plusieurs exemples dans les inscriptions du règne de Marc-Aurèle.

A peine la guerre des Iazyges était-elle terminée par la bataille livrée sur le lit glacé du Danube, que l'empereur entreprit une autre expédition contre les Quades, dans laquelle, ainsi que le veut Xiphilin, les Romains furent visiblement protégés par la grâce divine. On était alors en l'an de J.-C. 174 (de Rome 927) ; les chaleurs de l'été avaient rapidement succédé à un long hiver, et les Romains, engagés dans l'intérieur du pays, se trouvèrent acculés, après des marches fatigantes, dans une impasse où ils se virent tout à coup enveloppés par l'armée ennemie. Accablés de chaleur, dévorés par une soif ardente et brûlés par le soleil, les soldats romains recevaient, sans avoir la force de les rendre, les coups de l'ennemi, et ils auraient péri jusqu'au dernier si on n'eût vu tout à coup les nuées s'assembler, se condenser et verser sur les légions une pluie abondante. Tandis que les soldats ; rafraîchis par la bienfaisante ondée, tendent leurs boucliers et leurs casques pour recevoir l'eau du ciel et apaiser leur soif, les ennemis les attaquent avec une fureur toujours croissante. Le danger eût été plus pressant que jamais si la foudre et la grêle, tombant sur les Quades, ne les eussent mis en complète déroute ; de telle sorte que l'orage, qui rafraîchissait les Romains et leur donnait une vigueur nouvelle, brûlait leurs ennemis des feux du ciel et les forçait à fuir ou à se réfugier, humbles et désarmés, dans le camp des légionnaires. Cette victoire valut à l'empereur la soumission partielle du pays et sa septième salutation impériale[88]. Tel est le récit de Dion Cassius, qui attribue le prodige à un magicien de l'Égypte attaché à l'armée de Marc-Aurèle, et dont les puissantes incantations surent évoquer l'eau et la foudre par l'intervention des dieux de l'Olympe. En effet, la colonne Antonine représente dans cette longue histoire des campagnes de l'empereur, qui s'y déroule sculptée sur le marbre, un Jupiter Plu-vins, gigantesque figure dont les bras, les cheveux et la barbe ruissellent d'une eau que les Romains s'empressent de recueillir, tandis que lés barbares sont frappés et renversés par le tonnerre. Toutefois, Xiphilin, l'abréviateur de Dion, attribue le miracle aux prières des chrétiens, dont se trouvait composée une légion tout entière venue de Mélitène, en Asie, et qui, en récompense du secours céleste qu'elle avait imploré pour l'armée romaine, reçut de Marc-Aurèle le surnom de fulminante, τό κεραυνοβόλον[89]. Il ne peut s'agir ici que de la douzième légion, qui, après avoir pris part au siège de Jérusalem sous Vespasien, avait été envoyée en garnison à Mélitène, sur les bords de l'Euphrate, où elle resta longtemps et d'où elle ne fut probablement rappelée que momentanément en Europe, si elle le fut, pour les besoins de la guerre du Danube[90]. Mais en tout cas, et bien que le récit de Xiphilin ait été célébré par saint Apollinaire, par Tertullien, par Eusèbe, par saint Jérôme, par saint Grégoire, par la chronique d'Alexandrie et par tous ceux qui, depuis, ont suivi ces autorités ecclésiastiques, il faut bien reconnaître que le danger couru par l'armée romaine chez les Quades, et la manière dont elle en fut délivrée, n'ont eu aucune influence sur le surnom donné à la douzième légion. Déjà une inscription rapportée par Gruter nous avait prouvé que, dès le temps de Nerva, ce corps militaire portait l'appellation à laquelle Xiphilin donne une origine si miraculeuse[91]. Depuis lors, on a trouvé gravé sur le piédestal de la statue de Memnon, en Égypte, le nom d'un centurion de cette même légion[92], et une autre inscription de la même province nous montre un Aulus Instuleius Tenax primipilaris leg. XII Fulminatæ[93]. Ce dernier monument épigraphique est daté de la onzième année du règne de Néron, au XVI des calendes d'avril. Nous acquérons donc ainsi la preuve qu'un siècle avant le règne de Marc-Aurèle, la douzième légion était déjà en possession du surnom de Fulminata, et non pas de Fulminatrix, ainsi qu'on avait expliqué les abréviations avant, d'avoir rencontré le mot écrit tout entier. Ce dernier fait a été confirmé par la récente découverte, à Tarquinies, d'une base de statue consacrée à P. Tullius Varron, consul qui vécut au temps de Trajan, et qui s'intitule légat de la douzième légion Fulminata : LEGatus LEGionis XII FVLMINATÆ[94].

Traités faits et rompus, paix partielles, nouvelles attaques, occupaient et retenaient Marc-Aurèle dans la Pannonie, lorsqu'il apprit tout à coup qu'un chef habile, dans lequel il avait eu la plus grande confiance pour la conduite des affaires d'Orient, venait de prendre le titre d'Auguste et de faire soulever toutes les provinces de son gouvernement. Ce chef était Avidius Cassius, descendant du meurtrier de César, et dont les vieilles traditions républicaines n'avaient pas résisté à l'attrait du rang suprême[95]. C'était du reste un général habile, et nous avons vu que les victoires parthiques, qui avaient signalé l'avènement du règne de Marc-Aurèle et de Verus, lui étaient dues en partie : Le tribun que tu as envoyé, lui écrivait alors Fronton, vient d'apporter à Rome des lettres couronnées de lauriers, et il a été partout le panégyriste empressé de tes opérations, de ton habileté, de ta vigilance. J'ai obtenu de lui les récits les plus intéressants de tes marches, de ta fermeté dans le commandement, de la discipline rétablie sur l'ancien pied, de ta valeur dans l'action, de la sûreté et de la promptitude de ton coup d'œil[96]. Ces brillantes qualités cachaient-elles déjà, au commencement du règne de Marc-Aurèle, l'ambition du pouvoir à tout prix ? on serait tenté de le croire en lisant, dans Vulcatius Gallicanes, une lettre de Verus, par laquelle il engage son collègue à ne pas laisser à la tête des armées un homme dont les desseins secrets peuvent être dangereux pour la paix publique ou pour la famille de l'empereur. Marc-Aurèle, dans sa réponse, donne une nouvelle preuve de ce renoncement aux intérêts personnels, de ce détachement des affections les plus légitimes que se proposait le stoïcisme, épuré par la doctrine d'Épictète, comme le but final de la philosophie : J'ai lu, dit-il, la lettre par laquelle vous me manifestez des craintes qui ne sauraient convenir à un empereur ou à un gouvernement tel que le nôtre. Si les dieux destinent l'empire à Cassius, nous ne pourrons nous opposer à leur volonté : jamais prince, ainsi que le disait votre aïeul, n'a fait périr son successeur : si son règne n'est pas écrit dans le ciel, les tentatives qu'il pourrait faire seraient sa perte... Pourquoi nous priver, sur de simples soupçons, d'un excellent général nécessaire à la république ? Sa mort, dites-vous, assurerait la sécurité de mes enfants : ah ! périssent les enfants de Marc-Aurèle si Cassius mérite plus qu'eux d'être aimé, si plus qu'eux il doit faire le bonheur du peuple[97].

Non-seulement l'empereur repoussait ainsi les soupçons de Verus, mais, après la guerre parthique, il confia à Avidius Cassius le commandement supérieur des forces romaines en Orient, en lui conservant la légation de Syrie, poste dans lequel ce général se montra pendant plusieurs années dévoué aux intérêts de l'empire et fidèle à la personne de l'empereur. Une révolte qui avait éclaté en Égypte fut apaisée par lui[98], et Dion nous apprend qu'il avait guidé jusque dans l'Arabie l'aigle des légions romaines [note 13]. Dut-il à la fatale inspiration de Fans-fine, comme le pense Dion Cassius, le projet de s'emparer du trône, ou la fausse nouvelle de la mort de Marc-Aurèle lui inspira-t-elle l'ambition de se porter héritier de l'empire ? Le fait est qu'il fut acclamé par les légions qu'il commandait et soutenu dans sa révolte par une partie des provinces orientales. Marc-Aurèle a sincèrement voulu le bonheur de ses sujets ; mais a-t-il toujours réalisé les conceptions de sa philosophie ? il est permis d'en douter. Les agents qu'il employa ne se sont pas toujours montrés dignes de le comprendre. Son indulgence même pour les coupables et sa répugnance à sévir ont laissé trop longtemps à la tête des provinces des chefs avides qui les traitaient en pays conquis. Il serait injuste sans doute de s'en rapporter aux appréciations d'un rival : cependant les historiens nous représentent Avidius Cassius comme un homme qui, tout en combattant Marc-Aurèle, n'avait jamais parlé de lui qu'avec justice et modération ; or il disait de l'empereur : Marc-Aurèle est sans doute un homme de bien ; mais, pour faire louer sa clémence, il accorde l'impunité à ceux dont il blâme la conduite. Où est Caton ? où sont les vertus de nos ancêtres ? Elles ont disparu depuis longtemps, et on ne songe guère à les faire revivre. Marc-Aurèle fait son métier de philosophe, disserte sur la clémence, sur la nature de l'âme, sur le juste et l'injuste ; mais que sentit pour la patrie ? Que dire de ceux qu'il envoie gouverner les provinces ? Faut-il les appeler proconsuls et gouverneurs, ces hommes qui croient que de tels postes leur sont confiés par le sénat ou l'empereur pour qu'ils y vivent dans la débauche et s'y gorgent de richesses ! On le connaît, le préfet du prétoire de notre empereur philosophe : c'était un mendiant trois jours avant sa nomination ; tout à coup il fut riche. Comment ? je le demande, si ce n'est en dévorant les provinces et l'État[99]. Tout en faisant la part de l'exagération dans ces récriminations, inspirées sans doute par le désir de justifier son usurpation, on ne peut admettre que Cassius ait entièrement calomnié le gouvernement de Marc-Aurèle. La profonde corruption des classes élevées demandait plus de sévérité que de clémence, et les guerres ou les rébellions qui occupèrent constamment le règne du meilleur des Antonins indiquent un malaise dont il faut chercher la cause dans son entourage. Jamais, en effet, il n'eut la force d'en réprimer les funestes penchants. Ne devait-il pas un jour faire rendre les honneurs divins à une épouse qui déshonorait son nom, et laisser pour successeur le plus cruel des tyrans !

La nouvelle de la révolte d'Avidius Cassius avait causé à Rome les plus vives inquiétudes. Marc-Aurèle était au fond de la Pannonie : on craignait la prompte arrivée d'un prétendant connu par sa sévérité, et les sénateurs se voyaient déjà proscrivant, à regret, sans doute, mais conformément à leurs habitudes, le prince déchu pour acclamer le vainqueur. L'épée d'un légionnaire leur épargna cette nécessité à laquelle on était toujours sûr de les voir obéir. Avidius, qui, après avoir soumis l'Égypte, la Syrie et une partie de l'Asie antérieure, avait trouvé de la résistance dans la Cappadoce, commandée par Martius Verus, et dans la Bithynie, où Claude Albin était légat, fut tué par un centurion de sa propre armée, et sa mort mit fin à la révolte. Marc-Aurèle, en entrant à Rome, où il s'était hâté de revenir, n'aurait eu qu'à punir ceux qui s'étaient laissé détourner de leur devoir, si son cœur, alors comme toujours, ne lui avait conseillé la clémence. Déjà, dans la proclamation qu'il avait adressée à ses soldats, il avait amèrement déploré la nécessité de soutenir une guerre civile, et de tourner ses armes contre son peuple. Sa plus grande crainte était, disait-il, que Cassius, soit honte ou remords, ne mit fin à sa vie, ou ne tombât sous les coups de quelque sujet loyal. Son plus grand désir était d'accorder un pardon absolu, paroles sincères, inspirées par les plus nobles sentiments. Quand on lui apporta la tête de Cassius, il rejeta avec horreur la sanglante offrande et refusa d'admettre les meurtriers en sa présence : Qu'on ne verse pas de sang, écrivait-il au sénat à l'occasion du procès intenté aux complices d'Avidius ; que les déportés soient rappelés ; que ceux dont les biens ont été confisqués les recouvrent. Plût aux dieux que je pusse rappeler aussi ceux qui sont dans le tombeau ! rien n'est moins digne d'un souverain que de venger ses injures personnelles. Vous accorderez donc un plein pardon aux fils d'Avidius Cassius, à son gendre, à sa femme. Et pourquoi parler de pardon ? Ils ne sont pas criminels. Qu'ils vivent en sécurité, dans la tranquille possession de leur patrimoine ; qu'ils soient riches et libres d'aller où ils voudront ; qu'ils portent en tout pays des témoignages de ma bonté, des preuves de la vôtre. Mais pardonner aux femmes ou aux enfants de ceux que la mort a frappés, Pères conscrits, est-ce là de la clémence ? Je demande encore que les complices d'Avidius, qui appartiendraient à l'ordre du sénat ou des chevaliers, soient à l'abri de la mort, de la confiscation, de la crainte, de la haine, de l'injure. Ménagez cette gloire à mon règne, qu'à l'occasion d'une révolte où il s'agissait du trône, la mort n'ait frappé les rebelles que sur le champ de bataille[100]. Marc-Aurèle fut obéi dans son désir de clémence, et l'on rapporte que Martius Férus, qui se trouvait en Syrie, ayant pris possession de toute la correspondance de Cassius, la jeta au feu en disant qu'il croyait répondre ainsi au vœu de l'empereur. D'autres prétendent que ce fut Marc-Aurèle qui brûla ces lettres sans les ouvrir[101].

Tertullien a remarqué que pas un chrétien n'avait pris part à la révolte de Cassius : Car, dit-il à ce propos, un chrétien n'est l'ennemi de personne, et moins encore de son souverain : sachant que c'est de Dieu qu'il tient sa puissance, il se croit obligé de l'aimer, de l'honorer, de souhaiter sa conservation et celle de l'État[102]. Comment se fait-il donc que Marc-Aurèle, si indulgent pour des coupables, se soit montré si implacable pour ces chrétiens auxquels il aurait dû tendre la main comme à des frères, en retrouvant dans leur morale divine des préceptes plus sublimes encore que ceux de la plus pure morale du stoïcisme ? La seule explication possible à ce contraste est l'inquiétude que faisait naître dans l'esprit du chef de l'empire la diffusion rapide du christianisme, diffusion dont les fouilles continuées depuis quelques années dans les catacombes confirment l'action sur la société romaine, bien que cette action ait été niée ou affaiblie par ceux qui croyaient à l'exagération des écrivains ecclésiastiques, avant que les monuments ne se fussent montrés d'accord avec eux. C'est à l'époque même dont nous nous occupons, c'est-à-dire au siècle des Antonins, que l'auteur de l'épître à Diognète parle du culte des chrétiens répandu dans toutes les cités du monde romain[103] ; que saint Justin affirme qu'il n'y a pas un coin de la terre, même chez les peuples barbares, où l'on ne prie au nom de Jésus-Christ mort sur la croix[104] ; que saint Irénée croit à l'expansion de l'Église dans l'univers entier[105] ; que Tertullien dit : Nous ne sommes que d'hier, et déjà nous peuplons votre empire, vos villes, vos conseils, vos camps, vos tribus, le palais, le sénat, le forum, nous ne vous laissons que vos temples. Sans recourir aux armes, nous pourrions vous combattre en nous séparant de vous : vous seriez effrayés de votre solitude[106]. Paroles inspirées sans doute par le pressentiment d'un avenir prochain et qu'il ne faut peut-être pas prendre à la lettre, mais qui prouvent toutefois l'élan des populations vers une lumière plus pure que celle dont les reflets douteux éclairaient à peine le monde païen. D'ailleurs, et dès les premières années du second siècle, Pline n'écrit-il pas à Trajan en le consultant sur les procès que l'on fait aux chrétiens : L'affaire m'a paru digne de vos réflexions par la multitude de ceux qui sont enveloppés dans ce péril : car un très-grand nombre de personnes de tout âge, de tout ordre, de tout sexe, sont et seront tous les jours impliquées dans cette accusation[107].

Nous avons trouvé des preuves nouvelles de cette vaillante aspiration depuis que les cryptes du cimetière de Saint-Caliste, ouvertes sous la direction habile du chevalier de Rossi, ont donné accès aux parties les plus anciennes de la Rome souterraine. Le style des peintures et de l'ornementation, le choix des matériaux, la paléographie, les inscriptions, ont guidé le savant archéologue par les soins duquel s'est opérée cette résurrection historique[108]. Il a pu assigner ainsi un ordre chronologique aux galeries sans nombre où les chrétiens plaçaient leurs morts sous l'invocation des martyrs, et démontrer la diffusion de la foi à Rome dès la fin du second siècle de notre ère. Quelques historiens modernes supposent trop facilement que les empereurs qui se sont trouvés en face du christianisme naissant n'eurent que du dédain pour les dogmes nouveaux. Sans doute la religion païenne ne se crut pas d'abord sérieusement menacée, et le pouvoir s'alarmait peu d'un mouvement qui agitait surtout les esprits dans les classes les plus humbles de la société. Cependant l'antagonisme se révéla plus promptement qu'on ne le suppose. Rome n'avait jamais eu la tolérance qu'on lui a souvent prêtée pour ce qu'elle appelait les superstitions étrangères. Elle admit au droit de cité les dieux des nations vaincues, à la condition que ces dieux, satisfaits d'occuper une petite place dans le Panthéon romain, se contenteraient d'encens et de prières. Toute tendance religieuse qui se montrait exclusive, et ne s'inscrivait pas ouvertement pour prendre rang dans le polythéisme de l'État, était poursuivie par les rigueurs de la loi romaine.

Déjà, sous la république, le consul Posthumius disait au sénat : Combien de fois, au temps de nos pères et de nos aïeux, les magistrats n'ont-ils pas été chargés d'interdire les cultes étrangers, de chasser les prêtres ou les devins, de brûler les livres prophétiques, d'abolir tout rit, tout sacrifice qui s'écartait de la discipline romaine ![109] C'est ainsi que, sous le règne de Claude, les juifs ont été chassés de Rome[110] ; que, dans la Bretagne et dans les Gaules, le druidisme fut persécuté par cet empereur, alors que sous tout autre rapport il se montrait si favorable aux Gaulois. Les druides, en effet, caste sacerdotale et politique, voulaient commander non-seulement à la foi, mais aux actes : ils se regardaient comme les interprètes de la loi divine, et imposaient en son nom la loi humaine à leurs sectateurs. Les Romains abattirent leurs autels, abolirent leur culte, les poursuivirent, le fer à la main, jusque dans les forêts de la Bretagne et les îles sauvages de la mer d'Irlande[111]. Les noms de Claude et de la Bretagne nous ramènent à l'une des premières femmes chrétiennes qui ait excité les soupçons d'un gouvernement jaloux. Tacite nous apprend que Pomponia Græcina, matrone de haute naissance, femme d'Aulus Plautius, qui sous Claude avait mérité l'ovation comme conquérant de la Bretagne, fut accusée, pendant le règne de Néron, de se livrer a des superstitions étrangères, superstitionis externæ rea. Le jugement de l'affaire fut remis entre les mains du mari ; après avoir, selon l'ancienne coutume, instruit en présence des parents ce procès, d'où dépendait, ajoute Tacite, l'honneur et la vie de sa femme, il la déclara innocente. Depuis cette époque elle vécut dans la retraite ; pendant quarante ans elle ne porta que des habits de deuil, et s'éloigna des plaisirs, quoiqu'elle fût recherchée et honorée de tous[112]. Cette vie d'abnégation, cette solitude volontaire au milieu de la capitale du monde, cet abandon de toute vanité dans les soins de la personne, ont fait supposer que Græcina était chrétienne[113], convertie, sans doute, par quelqu'une de ces esclaves d'Orient qui avaient entendu la parole des apôtres et s'étaient pénétrées de cette religion d'amour et de charité dont la morale parle si haut au cœur tendre et dévoué de la femme.

Dès le temps de Domitien, nous savons par Eusèbe qu'une idée vague des dogmes du christianisme et du judaïsme, alors confondus par les Romains, préoccupait le chef de l'État[114]. Ce règne glorieux qu'on attendait, cet avènement d'un Messie qui devait régner sur la Jérusalem éternelle, faisait craindre que les nouveaux prosélytes ne cherchassent un changement de dynastie ; et cependant le successeur de saint Pierre pouvait alors répondre avec vérité que son royaume n'était pas de ce monde. Sous Trajan, les mêmes appréhensions se renouvelèrent[115]. Les confréries, les sociétés secrètes étaient surveillées avec soin ou dissoutes [note 14], le refus de sacrifier à l'empereur semblait confirmer ces aspirations vers un changement de pouvoir contre lequel protestait encore saint Justin au temps des Antonins : Si vous entendez dire que nous attendons un royaume, écrit-il, et que vous supposiez qu'il s'agit d'un royaume terrestre, vous êtes dans l'erreur : nous n'attendons que le royaume de Dieu. (Apologie, I, § 2.)

Cependant chaque jour la prédication ou l'exemple faisaient des prosélytes au nom du Christ. Cette morale, si consolante pour les misères de la vie, qui pénétrait tout d'abord dans la partie souffrante de la société, puis, remontait dans les classes élevées, a eu, nous le croyons, une influence marquée sur les princes, alors même qu'ils redoutaient le christianisme et le combattaient par la violence. Des maximes étranges pour le monde ancien circulaient de toutes parts. L'esclavage n'était plus de droit commun ; la pauvreté était mise en relief ; l'égalité, principe inconnu jusqu'alors, se trouvait proclamée par la religion nouvelle. Il a dû se passer, à cette époque, un fait analogue à celui que nous avons vu de nos jours. On croyait à une expansion de théories sociales, dangereuses pour le salut de l'État, subversives de tout ce qui avait existé jusqu'alors. On était décidé à les repousser à tout prix ; mais on comprenait qu'il fallait faire quelque chose pour ces classes jusqu'alors déshéritées, chez lesquelles se développait rapidement l'espoir d'un meilleur avenir.

On ne put croire à l'abnégation qui ne leur faisait espérer cet avenir que dans une patrie céleste. On les prenait pour des mécontents, et sans se l'avouer on comptait avec eux. De là ces maximes plus humaines, cet adoucissement dans les mœurs publiques, cette législation moins rude, qui signalent l'avènement du second siècle. La philosophie du Portique, répudiant ce qu'elle avait d'austère et de personnel, en arrivait sous Marc-Aurèle jusqu'à une charité presque chrétienne. Les chrétiens eux-mêmes semblent avoir eu conscience du bien qu'ils faisaient à la société païenne par laquelle ils étaient persécutés avec tant d'aveuglement : Nous pourrions, dit Saint-Justin s'adressant à Antonin et à Marc-Aurèle, vous citer beaucoup de personnes parmi les vôtres qui ont renoncé à leurs violences et à leurs tyrannies, depuis qu'elles ont pu connaître toute la patience et la force d'âme des chrétiens dont elles se sont trouvées rapprochées par le hasard ou des relations d'affaires[116].

Malheureusement Marc-Aurèle, dont les écrits offrent des préceptes moraux qu'on croirait inspirés par un esprit évangélique, ne vit jamais dans le christianisme que la doctrine d'une secte opiniâtre qui rêvait le renversement de l'état. Ce reproche d'opiniâtreté est l'un de ceux que l'on rencontre le plus fréquemment formulé par les païens contre les prosélytes de la foi chrétienne. Pline, dans sa lettre à Trajan, insiste pour punir leur obstination inflexible, pervicaciam certe et inflexibilem obstinationem debere puniri[117]. Marc-Aurèle dit, dans ses Pensées, qu'il faut savoir braver la mort avec gravité et réflexion, mais non par pure opiniâtreté, comme les chrétiens[118]. Tertullien fait plus d'une fois allusion à ce reproche, contre lequel il défend ses frères[119]. Il semble que les polythéistes, n'ayant plus de conviction, n'aient pu l'accepter chez les autres. Il fallait, à leur avis, une mauvaise volonté bien persistante pour refuser la place qu'on aurait offerte au vrai Dieu dans ce Panthéon républicain où l'on admettait toutes les idoles. L'empereur, qui avait horreur du sang versé et ne voulut assister aux combats du Cirque qu'après avoir fait donner aux gladiateurs des armes émoussées[120], était du moins loin des provinces où ses lieutenants égorgèrent de saints martyrs. A Lyon, Pothin, le chef de l'Église gauloise, Sanctus, Maturus, Attale de Pergame, Blandine, bien d'autres encore confessèrent la foi du Christ au milieu des tortures, et furent déchirés par des animaux féroces : les chrétiens qui étaient citoyens romains eurent, par privilège, la tête tranchée : tous scellaient ainsi de leur sang la première pierre de l'Église des Gaules. Une lettre, écrite sans doute par un des témoins qui avaient échappé au supplice après avoir assisté à la persécution, nous a été conservée par Eusèbe[121]. C'est l'une des pages les plus touchantes de l'histoire du christianisme. Joseph Scaliger déclare qu'il ne la lisait jamais sans devenir meilleur et se sentir transporté d'une ardeur immense pour la foi. La mort des courageux athlètes qui lassent, sans faiblir, la cruauté des bourreaux ; le triomphe de l'esclave Blandine exposée dans un filet aux attaques d'un taureau furieux, encourageant ses compagnons et mourant la dernière de tous, semblable à une noble mère, dit le chroniqueur, qui, après avoir exhorté ses fils durant le combat, les envoie en avant vers le roi comme des messagers de victoire ; tout annonce, dans cette sainte légende, que la force morale va l'emporter sur la force matérielle, que les dieux s'en vont pour faire place à un Dieu unique, et que le sang des martyrs sera la sève de sa religion. Eusèbe rapporte qu'on avait écrit à Marc-Aurèle les circonstances du procès et que la réponse de César décida qu'il fallait renvoyer absous les accusés qui renieraient, mais punir selon la loi les opiniâtres qui persisteraient à se dire chrétiens. Sans doute qu'alors comme toujours on n'avait voulu faire voir à l'empereur, dans la secte nouvelle, qu'une de ces associations dangereuses recrutées parmi les déshérités des biens de ce monde et armées contre l'ordre social de toute la haine qu'inspire l'envie. Pourquoi faut-il que les passions religieuses ou politiques aient de si terribles entraînements, et que les meilleurs princes soient souvent détournés de la vérité par ceux-là même qui ont reçu d'eux la mission de la découvrir ! Si Marc-Aurèle ne s'était pas laissé tromper par les hommes qui accomplissaient tant d'horreurs loin de ses yeux, il n'aurait pas à répondre de leurs actes devant la postérité [note 15].

L'empereur, après la mort d'Avidius Cassius, voulut apaiser par sa présence les derniers troubles de l'Orient, et parcourir ces belles provinces qu'il ne connaissait pas encore. Une lettre qui nous a été conservée par Philostrate semble d'ailleurs indiquer que, dans les périls de la guerre du Nord, Marc-Aurèle avait formé le vœu d'aller se présenter à l'initiation des mystères d'Eleusis[122]. Son esprit élevé ne pouvait trouver aucune satisfaction dans le polythéisme romain. Ses aspirations allaient plus haut : Servons Dieu et faisons du bien aux hommes, disait-il ; et cette maxime l'amenait bien près du christianisme qu'il avait si cruellement méconnu. Combien de fois, sous le ciel brumeux de l'Allemagne, alors que, retiré dans sa tente, il confiait à ses tablettes les pensées qu'il a datées du pays des Quades ou de Carnuntum, combien de fois, contemplant ce monde païen qui s'écroulait autour de lui, voyant que les temps du vieil Olympe étaient finis, et que l'humanité, revenue de son ivresse, n'éprouvait qu'angoisses et incertitudes, se sera-t-il demandé avec amertume quelles étaient donc les voies de la Providence : Quelle est la nature de l'univers, dit-il, quelle est la mienne ? Que sont les rapports de celle-ci avec l'autre, et quelle partie est-elle du tout, et de quel tout ![123] Fatigué de chercher ainsi la vérité qui se dérobait à lui, il se sentait pris souvent d'une sorte de découragement, d'une lassitude d'esprit, et s'écriait alors comme le roi-prophète : Mon âme, pourquoi êtes-vous triste et pourquoi me troublez-vous ?

Marc-Aurèle était-il d'abord revenu à Rome, où il aurait élevé Commode à la puissance tribunitienne, l'associant ainsi au gouvernement de l'empire, puis serait-il parti de Rome pour l'Orient, où il conduisit avec lui sa femme et son fils ? C'est ce qu'il est bien difficile de décider, dans la pénurie où nous sommes de documents qui puissent nous donner une date certaine pour les faits accomplis à cette époque. Ce qui parait avéré c'est que le voyage de l'empereur se prolongea pendant près d'une année, de l'an de notre ère 175 à 176. Faustine mourut au pied du Taurus, dans un bourg nominé Halala, où son mari fonda plus tard, en son honneur, une colonie qu'on appela Faustinopolis. Dion hésite entre deux traditions, dont l'une attribue la mort de l'impératrice à un accès de goutte, tandis que, d'après l'autre, elle aurait mis elle-même fin à ses jours, dans la crainte qu'on ne découvrît la part qu'elle avait prise à la révolte de Cassius[124]. Marc-Aurèle, comme dernière preuve d'affection, la fit mettre au nombre des déesses dans ce Panthéon auquel, du reste, il ne croyait plus. Un des bas-reliefs de l'arc qui lui a été consacré, et qu'on voit encore dans l'escalier du palais des conservateurs au Capitole, représente Faustine enlevée au ciel par une Renommée, tandis que l'empereur la suit d'un regard plein d'amour. En voyant l'image charmante de cette princesse dans ses bustes et ses statues, on se demande s'il faut pardonner à l'excès de tendresse qui voila aux yeux de Marc-Aurèle l'indigne conduite de la fille d'Antonin dont les honteuses passions cherchaient pâture parmi les matelots et les gladiateurs. Faiblesse aveugle pour ceux qu'il aimait, faiblesse coupable, puisqu'elle devait laisser l'empire aux mains d'un tyran, alors que les impénétrables décrets de la Providence confiaient à une autorité sans contrôle le sort de tant de provinces.

Tous les peuples qui avaient acclamé Cassius furent traités par Marc-Aurèle avec la plus grande indulgence. Les habitants d'Antioche seuls furent soumis à quelques mesures de rigueur. L'empereur leur interdit d'abord les réunions publiques et les spectacles, mais il ne tarda pas à les comprendre dans l'amnistie générale qu'il avait accordée. L'Égypte, qu'il visita ensuite, et où Cassius avait eu de nombreux partisans, n'aurait pu croire qu'elle recevait un souverain dont elle avait trahi la cause : il visita ses temples, ses écoles, et se montra plein de respect pour les uns, de bienveillance pour les autres. Les souverains de l'Orient s'empressèrent de lui envoyer des ambassadeurs, et renouvelèrent avec lui les traités qui leur garantissaient l'amitié du peuple romain. A Smyrne, il désira entendre le sophiste Aristide, qui ne consentit à parler devant l'empereur qu'à la condition qu'il serait entouré de ses disciples, et qu'ils auraient la liberté d'applaudir. Acceptant la condition du vaniteux rhéteur, dont il admira du reste l'éloquence, Marc-Aurèle ne voulut avoir d'autre privilège que de donner le premier le signal des applaudissements[125]. A Athènes, où il fonda quelques chaires publiques pour les sciences et les lettres, il accomplit son vœu et se fit initier aux mystères de Cérès. Il pénétra seul, dit-on, dans le lieu le plus secret, avide de trouver quelque satisfaction à ses doutes, et de savoir si, sous les doutes et les allégories de ces rites mystérieux, se cachait la vérité.

Ce n'était pas là qu'il pouvait la rencontrer, et la déesse, peu reconnaissante pour son nouvel adepte, ne le protégea même pas au retour. Son vaisseau fut battu de la tempête et n'aborda à Brindes qu'avec peine[126]. En posant le pied sur cette terre d'Italie où les soldats redevenaient citoyens, il leur fit quitter leurs armes et prendre la toge. A Rome il triompha avec son fils, auquel il donna le consulat. Sur les médailles de cette année et de l'année précédente, il porte le titre d'imperator pour la huitième fois, titre obtenu probablement à la suite de quelque avantage remporté dans le Nord par ses généraux, puisque lui-même n'avait eu en Orient aucune occasion de combattre[127]. On peut remarquer à ce propos que, sous le règne de Marc-Aurèle, la guerre ne fut, pour ainsi dire, jamais interrompue dans les provinces danubiennes, et c'est probablement à l'occasion de la nécessité où l'on était d'y entretenir constamment de nombreuses armées qu'eut lieu, dans leur organisation, un changement dont l'épigraphie nous donne connaissance. Jusqu'à l'avènement de ce prince, la Dacie fut une province prétorienne, c'est-à-dire que le gouvernement en fut confié par les empereurs à des hommes ayant exercé la préture et qui n'étaient pas encore parvenus au consulat. Ainsi nous voyons, vers la fin du règne d'Antonin, Statius Priscus, légat en Dacie, prendre sur les inscriptions le titre de consul désigné[128], et l'année même où Marc-Aurèle monte sur le trône (en l'an de Rome 914, de J.-C. 161), la Dacie est encore confiée à un préteur P. Furius Saturnines, désigné consul pour l'année suivante[129]. Puis, quelques années plus tard, immédiatement après la mort de L Verus, la légation de Dacie est devenue consulaire : ainsi M. Claudius Fronton s'intitule, sur un marbre trouvé en Hongrie, consul et légat de l'empereur dans les trois Dacies et la Mœsie supérieure[130]. Ce changement opéré dans l'administration de la Dacie explique et justifie une phrase de Jules Capitolin, par laquelle il exprime la nécessité où Marc-Aurèle s'est trouvé, par suite des guerres qui éclatèrent sous son règne, de donner à des consulaires le gouvernement de provinces qui avaient été confiées jusque-là à des personnages d'un rang moins élevé[131]. Nous voyons aussi qu'au lieu d'un simple procurateur qui administrait auparavant la Rhétie et la Norique, il y envoya Pertinax alors qu'il avait déjà été préteur[132]. Ajoutons que c'est encore l'inscription de M. Cl. Fronton, citée tout à l'heure, qui nous donne pour la première fois connaissance de trois Dacies, tandis que jusqu'alors cette province, comme la Mœsie, la Pannonie, la Germanie, semble avoir eu deux subdivisions seulement, la Dacie supérieure et la Dacie inférieure [note 16].

Marc-Aurèle resta à Rome pendant toute l'année 177 et la première moitié de l'année 178. En l'honneur de Faustine, il y institua de nouveaux secours alimentaires pour de jeunes filles qui prirent le nom de Puellæ Faustinianæ. Un élégant bas-relief, appartenant au musée de la villa Albani, représente de jeunes filles qui se pressent autour de Faustine versant du blé dans les plis du vêtement que lui tend l'une d'elles : il a été revendiqué par M. Henzen comme appartenant à cette fondation, bien que Zoëga voulût le rapporter à la mère de Faustin junior, femme d'Antonin le Pieux[133]. Ce fut aussi vers cette époque que Commode épousa Crispine, fille de Bruttius Præsens[134]. Les médailles nous apprennent que de grandes largesses furent faites au peuple à cette occasion[135] : l'empereur fit briller sur le Forum les titres des dettes contractées envers l'État, puis il envoya à Smyrne, qui venait d'être détruite par un tremblement de terre, les sommes nécessaires pour reconstruire dans son ancienne magnificence cette belle capitale de l'Ionie. Sans doute la crise financière qu'avaient amenée la guerre et la disette, au commencement du règne de Marc-Aurèle, avait cessé par la bonne administration du prince.

Deux frères connus par leurs grandes qualités, leurs richesses, leur attachement réciproque, et plus tard par leurs malheurs, les Quintilius, dont la magnifique villa forme encore une des ruines les plus imposantes de la Campagne de Rome[136], se trouvaient alors en partie chargés de la conduite de la guerre du Nord. Pertinax, qui depuis sa légation de la Rhétie et de la Norique avait été appelé au consulat, en était sorti pour devenir légat des trois Dacies et continuer la lutte contre les barbares. Ces chefs militaires désirèrent la présence de Marc-Aurèle, et, rappelé par eux sur le théâtre de la guerre, il quitta, le 5 août de l'année 178 de notre ère, Rome, qu'il ne devait plus revoir. Dion nous a conservé dans son récit la preuve du soin avec lequel l'empereur, au milieu de ses doutes, cherchait à frapper les Romains par l'observation minutieuse de rites païens auxquels son esprit élevé n'avait aucune confiance. Le fer d'une pique prise dans le temple de Mars fut trempé dans le sang et lancé par le prince, selon l'ancienne coutume, dans la direction du pays où il allait combattre[137]. Ce qui devait l'encourager plus que cette vaine cérémonie, au milieu des dangers qu'il allait courir, c'était le sentiment de sa conscience, et la certitude d'avoir voulu sincèrement le bien qu'il n'avait pds toujours fait, d'avoir amèrement déploré les maux qu'il n'avait pu prévenir.

Une dernière victoire lui valut le titre d'Imperator pour la dixième fois[138]. La ligue des barbares semblait rompue, et la guerre touchait à sa fin, lorsque, près de Vienne ou do Sirmium (les historiens varient sur ce point), il fut atteint d'une maladie dangereuse, probablement de la peste. Elle n'avait pas cessé d'exercer ses ravages dans ces contrées et s'y conserva quelques années encore, ainsi que le prouve une inscription trouvée à Bauerkirchen, sur les frontières de la Bavière et de l'Autriche, inscription datée de l'an 182 de notre ère, c'est-à-dire postérieure de deux ans à la mort de Marc-Aurèle et constatant l'extinction de toute une famille par suite de ce terrible fléau[139]. Dion, qui ne parle pas de peste, pense que la maladie eût épargné l'empereur, mais que les médecins, gagnés par Commode, lui donnèrent du poison. Sans accuser de parricide l'indigne fils de Marc-Aurèle, Capitolin rapporte qu'appelé près de son père mourant, il ne témoigna d'autre désir que celui d'échapper par une prompte retraite au danger de la contagion. Ce fut alors peut-être que les yeux de Marc-Aurèle s'ouvrirent à la vérité, et qu'entrevoyant le sort préparé au monde romain par son aveugle tendresse, il répondit à ses amis lui demandant à qui il confiait son fils : A vous, s'il en est digne ! Puis, s'enveloppant la tête de ce manteau de philosophe qu'il avait préféré toute sa vie à la pourpre impériale, il ne pensa plus qu'à mourir avec calme, voyant approcher sans frayeur la crise suprême. Sans doute il se rappelait ces paroles que lui avait inspirées le stoïcisme épuré dont il avait fait profession : L'homme doit vivre selon la nature pendant le peu de jours qui lui sont donnés sur la terre ; et, quand le moment de la retraite est venu, se soumettre avec douceur comme une olive mûre qui en tombant bénit l'arbre qui l'a produite, et rend grâce au rameau qui l'a portée. On était au 17 mars de l'an de notre ère 180 (de Rome 933). Marc-Aurèle avait été empereur dix-neuf ans ; et depuis trente-trois ans, associé à l'empire par son père adoptif, il exerçait la puissance tribunitienne.

Ses cendres furent apportées à Rome, pour y être déposées dans le mausolée d'Adrien : Telle était la vénération qu'on portait à ce grand prince, dit Jules Capitolin, que le jour de ses funérailles, et malgré la douleur publique, personne ne croyait devoir le pleurer ; tant l'on était persuadé que, prêté par les dieux à la terre, il était retourné vers eux. On assure qu'avant la fin de la cérémonie, le peuple et le sénat l'avaient nommé tout d'une voix le dieu propice ; ce qui ne s'était jamais fait jusque-là, et ce qui ne se fit jamais depuis. Vous-même, illustre empereur, ajoute le chroniqueur en s'adressant à Dioclétien auquel il dédie son ouvrage, vous le regardez comme un dieu. Il n'est même pas pour vous une divinité ordinaire ; vous lui avez voué un culte particulier, et vous formez souvent le vœu d'imiter la conduite d'un prince sur lequel Platon lui-même, avec toute sa philosophie, ne saurait l'emporter[140]. Ce qui redoublait les regrets, c'était de voir la série des victoires qui venaient d'assurer les frontières de l'empire, interrompue par sa mort. Si nous jetons un coup d'œil sur ce qu'était alors, chez les Romains, ce qu'on appellerait aujourd'hui la politique extérieure, nous la trouvons menaçante pour l'intégrité de leurs possessions et la durée de leur puissance. Les races de barbares se rassemblent et s'unissent pour accomplir les destinées du vieux monde, pour commencer celles du monde nouveau. Les Parthes, les Arabes, s'agitent dans l'Orient ; les Maures se soulèvent en Afrique et pénètrent en Espagne : en Bretagne, les Calédoniens font reculer l'aigle romaine des bords de la Clyde à ceux du Solway. Les Germains menacent les Gaules. De l'embouchure du Dniester à celle du Rhin, des peuples dont les noms sauvages sont encore défigurés par la transcription latine, Sosibes, Sicobotes, Costoboques, Buriens, Latringes, Hermundures, Peucéniens, joints aux Alains, aux Roxolans, aux Victovales, aux Iazyges, aux Sarmates, aux Vandales, aux Quades, aux Marcomans, aux Bastarnes ; races slaves, germaniques, finnoises ou tartares, enserrent l'empire romain dans un cercle chaque jour plus étroit. Cette grande conquête que Rome avait faite de l'ancien monde avait cessé avec l'établissement de l'empire. L'histoire des premiers Césars n'avait plus étonné l'univers par l'éclat de cette domination militaire que les Romains de la république avaient imposée au monde. Trajan fut le dernier empereur qui, se laissant entraîner par la passion des armes, eût conquis à l'État de nouvelles provinces. Ses conquêtes effrayèrent les barbares et assurèrent à ses successeurs des règnes pendant lesquels on put croire que l'empire, c'était la paix. Paix armée toutefois, paix qui n'avait pas été glorieuse pour Adrien, obligé d'abandonner trois provinces et de faire pour la première fois reculer le dieu Terme. Marc-Aurèle, par son courage personnel ou par la bonne direction imprimée aux armées, reprit du terrain et écarta pour quelque temps encore le fléau des invasions. Les Parthes avaient été vaincus, les Maures repoussés en Espagne : Quum Mauri Hispanias omnes vastarent, res per legatos bene gestæ surit, dit Capitolin[141]. Le même chroniqueur ajoute que la Sarmatie et la Marcomanie étaient sur le point de devenir des provinces romaines. La ville de Tyras, dans la Sarmatie, sur les bords du Dniester, reçut de Marc-Aurèle des lettres qui lui accordaient certains privilèges et qui y constatent l'action de la puissance romaine à cette époque, ainsi qu'on peut le voir par une inscription récemment trouvée près de la ville d'Akkermann, bâtie sur les ruines de l'ancienne colonie milésienne[142]. L'activité déployée par l'empereur dans les longues guerres de la Pannonie et de la Sarmatie, sous un rude climat et au milieu d'épidémies sévissant constamment pendant les dix dernières années de son règne, achevèrent de détruire une santé qui était naturellement faible, ainsi que nous l'apprennent les historiens et les correspondances du prince lui-même. Seule l'énergie de sa volonté le soutenait : il avait l'estomac si débile, à ce que rapporte Dion, qu'il ne prenait souvent qu'un peu de thériaque ou mangeait seulement assez pour pouvoir haranguer ses soldats[143]. Sa force était toute morale ; il l'usa au service de l'État, et sacrifia sa vie à ses devoirs. Rome reconnaissante éleva de glorieux monuments à des victoires si chèrement achetées. L'un d'eux fut l'arc de triomphe qui se voyait encore au dix-septième siècle dans le Corso, près du palais Fiano, et que le pape Alexandre VII (Chigi) fit abattre en 1662, parce qu'il gênait le passage des masques dans les jours de carnaval, ainsi que nous l'apprend Nibby[144]. Cet arc, dit à ce propos M. Ampère dans un de ses spirituels articles sur l'histoire romaine à Rome, avait échappé aux barbares, au moyen âge, à la renaissance : quelle fortune ! Mais un pape s'est trouvé qui a eu l'audace de le détruire, et, ce qui est plus incroyable, la naïveté de s'en vanter dans une inscription qu'on peut bien lire encore aujourd'hui[145]. Deux bas-reliefs qui ornaient le monument quand une rectification de voirie bien peu intelligente le fit ainsi disparaître ont été du moins transportés au Capitole et décorent l'escalier du palais des conservateurs. Dans l'un d'eux, Marc-Aurèle, dont la belle figure est si facilement reconnaissable, donne à son fils, devant le génie du peuple romain et le sénat personnifiés, le titre de César ; il est assisté des consuls et du préfet du prétoire. Dans le second bas-relief, on a représenté l'apothéose de Faustine, dont nous avons parlé déjà. Quatre autres sculptures, qui existaient au commencement du seizième siècle dans l'église de Sainte-Martine, se rapportent aussi probablement à l'arc de Marc-Aurèle, dont elles auront été précédemment détachées, et on les a pareillement déposées au Capitole. On y a représenté quelques actes relatifs aux guerres de Pannonie. Dans un de ces bas-reliefs, le prince accueille les prières des ennemis vaincus qui semblent lui demander grâce, et étend vers eux la main par un geste semblable à celui que lui a prêté l'artiste qui l'a représenté dans sa statue équestre. Son retour à Rome, son triomphe, le sacrifice qu'il offre devant les portes du temple de Jupiter Capitolin[146], complètent cette glorification des derniers actes de sa vie. Une inscription nous a été conservée par l'anonyme d'Einsiedeln, qui semble devoir être celle de l'arc de Marc-Aurèle ; elle est consacrée à ce prince dans la trentième année de sa puissance tribunitienne, alors qu'il avait été huit fois acclamé imperator et trois fois consul, c'est-à-dire en l'an 176 de notre ère, quand il revint à Rome après avoir apaisé la révolte d'Avidius Cassius et qu'il triompha des Sarmates. Le triomphateur est loué dans la forme officielle et la solennité concise du style épigraphique, comme ayant surpassé la gloire des plus glorieux empereurs par les victoires qu'il a remportées sur les peuples les plus belliqueux de l'univers[147]. Un autre monument fut encore élevé en l'honneur de ses victoires, mais les papes se sont montrés peu favorables à Marc-Aurèle. Alexandre VII avait détruit l'arc qui lui était consacré. Sixte-Quint lui a dénié sa colonne ; et l'inscription moderne, gravée sur la base par ordre de ce pontife, l'attribue encore aujourd'hui à Antonin le Pieux. Il est vrai que, si l'inscription subsiste toujours, l'erreur est reconnue depuis longtemps. Cette colonne, imitation de la colonne Trajane, se compose, comme cette dernière, de tambours de marbre superposés, autour desquels s'enroulent en spirale les bas-reliefs représentant la seule histoire de la guerre des Marcomans qui soit parvenue jusqu'à nous. Histoire muette, il est vrai, qui ne parle qu'aux yeux, et où nous ne voyons, à défaut des noms et du texte, qu'une suite de marches, de passages de rivières, de combats où les Romains sont toujours vainqueurs, debout, frappant l'ennemi ; où les malheureux barbares sont battus, renversés, taillés en pièces. Il est probable qu'après avoir résisté dix ans à toutes tes forces de l'empire, sans être entièrement soumis, et sans que la Sarmatie ou le pays des Marcomans eussent été réduits en province romaine, ces peuples avaient eu leurs jours de victoire. Aussi n'est-il pas impossible que quelque Sarmate, venant plus tard contempler à Rome ce tableau peu fidèle, n'ait dit comme le lion de la fable :

Avec plus de raison nous aurions le dessus,

Si mes confrères savaient peindre.

Ce dont on peut juger, toutefois, dans cette répétition de scènes de carnage ou de triomphe, c'est que la plus grande difficulté à surmonter pour les Romains consistait dans la nature du pays, coupé par de vastes fleuves et de nombreux marais. Plusieurs fois se répètent sur la colonne Antonine le passage des rivières par le moyen de ponts de bateaux, ou la représentation de barques remplies de soldats, ou celle de légionnaires poursuivant l'ennemi au milieu de roseaux qui indiquent la constitution marécageuse du sol. On comprend qu'il fallait, pour vaincre ces obstacles, un matériel considérable, et ce que nous appellerions maintenant des équipages de pont. Sans avoir aucun détail bien précis sur cette partie de l'organisation militaire des Romains au temps de l'empire, nous savons que, sous ce rapport, l'État ne négligeait rien pour venir en aide à ses légions. La nécessité d'une navigation fluviale s'était fait sentir dès que l'esprit de conquête avait conduit les aigles romaines jusque dans le Nord, où le Rhin et le Danube seraient devenus, sans ce secours, des barrières infranchissables. Sous le règne d'Auguste, Drusus, ayant fait construire des ponts à Bonn et à Gelduba, chez les Ubiens, fit protéger ces ouvrages pour des flottes, à ce que nous apprend Florus : Bonnam et Geldubam pontibis junxit, classibusque firmavit[148]. Plus tard nous voyons Germanicus embarquer quatre légions sur l'Ems[149], et établir la flotte du Rhin, qui lui était de la plus grande utilité pour le transport de ses troupes. Il l'avait portée à mille vaisseaux, dit Tacite, par lesquels nous devons entendre mille barques, dont un grand nombre étaient pontées toutefois et pouvaient résister aux flots de la mer[150]. Une inscription de Mayence nous fait connaître un M. ÆMILIUS CRESCENS PRÆFectus CLASSis GERManicæ P Fidelis[151]. Deux autres inscriptions de Bonn mentionnent des soldats de cette même flotte germanique qui se tenait sur le fleuve, toujours prête à transporter les troupes d'un bord à l'autre ou le long du rivage[152]. La flotte du Danube, dont l'origine est due sans doute aux premières guerres de Pannonie[153], et dont l'active coopération pendant les longues campagnes de Marc-Aurèle est attestée par les sculptures de la colonne Antonine, était divisée en flotte de Pannonie et flotte de Mœsie ; classis Pannonica et classis Mœsica[154].

Sous le rapport de l'art, la colonne Antonine, puisque c'est ainsi qu'on désigne la colonne élevée en l'honneur de Marc-Aurèle, accuse déjà une certaine décadence : elle ne répond plus à ces frises élégantes, à ces fines sculptures que nous admirons encore au temple d'Antonin et de Faustine, élevé sous le règne précédent[155]. Les vingt années de guerre dont se compose le règne de Marc-Aurèle ne pouvaient avoir qu'un effet fâcheux sur des arts amis de la paix. L'austérité du stoïcisme, d'ailleurs, ne favorisait pas le génie des sculpteurs ou des architectes. Ils accomplissaient encore honnêtement leur tâche, et subissaient la dernière influence de l'art grec, favorisée par Adrien. Mais on sent que chaque jour le goût s'altère, et que ce qui était la lumière n'est plus qu'un reflet. Bientôt la verve sera remplacée par le métier ; la création, par l'imitation ; l'invention, par la copie. Toutefois la belle statue équestre de Marc-Aurèle[156], quelques autres statues ou bustes de ce prince, de Verus et de Faustine la jeune, les bas-reliefs de l'arc élevé au vainqueur des Sarmates, suffisent à prouver qu'il y avait encore à Rome de grands artistes, sachant allier la gravité, la majesté du style à la simplicité, à la vérité, et quelquefois même à la grâce.

Bien qu'un souffle de cet art grec, qui va s'éteindre, anime ainsi quelques-uns des monuments élevés sous le règne de Marc-Aurèle, les plus glorieux pour sa mémoire sont moins les temples, les statues, la colonne ou les arcs qu'on lui a dédiés, que les pensées dont il nous a laissé le recueil. C'est dans ce livre qu'il faut apprendre à le connaître. Il l'écrivit selon son cœur. Le lire, c'est lire dans ce cœur où il a su trouver les formes les plus touchantes pour exprimer le besoin de justice et de vérité qu'il portait en lui.

Au temps de la plus grande corruption romaine, à cette époque de transition où le christianisme naissant s'abritait encore dans des retraites obscures, où le culte absurde du polythéisme était tombé sous le mépris général, où l'incrédulité engendrait une telle dépravation des mœurs que l'historien recule devant le tableau des vices d'un monde peuplé d'athées, on vit la vertu stoïque des Antonins tenter une réforme qu'elle aurait opérée s'il avait été donné à l'homme de l'accomplir. Nous n'avons pas caché que, sans croire à l'ingénieux paradoxe de ceux qui affirment le christianisme d'Épictète ou les relations de Sénèque avec saint Paul, nous pensions que le stoïcisme, alors si différent de ce que l'avait fait l'enseignement de Zénon ou de Cléanthe, avait subi je ne sais quelle influence de la loi chrétienne, sans la reconnaître toutefois, et sans savoir de quel côté lui venait ce souffle vivifiant. C'est dans la doctrine épurée de Marc-Aurèle que ce changement nous semble le plus manifeste ; c'est elle qui, pour la première fois, nous offre avec la morale évangélique une incontestable ressemblance. Là, en effet, la philosophie du Portique ne se propose plus d'élever l'âme par l'orgueil ou de l'affermir par l'insensibilité. La modération, l'abnégation, l'amour de l'humanité, ont remplacé ces vertus austères, dont M. Villemain a dit qu'elles voulaient détruire la nature plutôt que la régler.

Aux yeux de Marc-Aurèle les hommes sont des frères, et se dévouer à leur bonheur devient pour lui le  but réel de la vie : Tu aimeras les hommes, dit-il, si tu viens à penser que tu es leur frère, que c'est par ignorance ou malgré eux qu'ils font des fautes et que tous, bientôt, vous devez mourir.

Pour bien comprendre le caractère de cette morale, il ne faut pas perdre de vue qu'elle trouve tout en elle, et n'emprunte rien aux aspirations d'une vie meilleure, à l'espoir des récompenses ou à la crainte du châtiment. Dieu se confond pour Marc-Aurèle avec la nature. Toutes choses sont liées entre elles ; tous les êtres sont coordonnés ensemble ; tout concourt à l'harmonie du même monde. Il n'y a qu'un seul monde qui comprend tout, une seule matière, une seule loi, une raison commune à tous les êtres doués d'intelligence[157]. La nature nous a faits raisonnables ; c'est obéir à Dieu ou à la nature que d'obéir à la raison : Il faut vivre avec les dieux, dit-il ; c'est vivre avec eux que de leur montrer sans cesse une âme satisfaite de son partage, obéissant à tous les ordres du génie qui est son guide : ce génie, c'est l'intelligence et la raison de chaque homme[158]. Si cette espèce de panthéisme fait le fond de la philosophie de Marc-Aurèle, il ne lui ôte rien de sa constante sollicitude pour le bien de l'humanité et le perfectionnement incessant de l'homme intérieur. La raison doit être employée tout entière à détruire en soi jusqu'au dernier germe des affections vicieuses ; à supporter l'injure et à la pardonner, à fortifier son âme dans l'amour de ses semblables, à sacrifier ses penchants à ses devoirs.

Comment, dit-il, t'es-tu comporté jusqu'à ce jour envers les dieux, envers tes parents, tes amis, ton prochain, tes serviteurs ? Peux-tu dire : Jamais je n'ai fait tort à personne, ni par mes actions, ni par mes paroles ? Si tu le peux, tu as rempli ta tâche. — Dans un instant tu ne seras plus que cendre, poussière, un nom, ou pas même un nom ! Et qu'est-ce qu'un nom, si ce n'est un bruit, un écho ? Ce que nous estimons le plus dans la vie n'est que vide et petitesse. Attends donc avec calme l'instant où tu vas t'éteindre, te déplacer peut-être ! Jusqu'à ce que ce temps arrive, que te faut-il ? Honorer les dieux et faire du bien aux hommes. — Il est en ton pouvoir de couler toujours une vie heureuse puisque tu peux toujours suivre le droit chemin, c'est-à-dire soumettre à la règle tes pensées et tes actions. Voici deux principes qui sont communs à l'âme de la Divinité et à celle de l'homme : l'un, c'est que rien d'extérieur ne doit entraver nos actions ; l'autre, qu'il faut faire consister le bien à vouloir ce qui est juste et ne jamais désirer que la justice[159]. — Le monde est comme une cité, dit-il ailleurs ; c'est de cette cité commune que nous viennent l'intelligence, la raison, et la loi qui nous régit. Sinan d'où viendraient-elles ?[160]

D'où viendraient-elles ? C'est la question qu'il se pose souvent et dont la solution, moins certaine pour lui qu'il ne voudrait se le persuader, le trouble et l'inquiète. S'il eût reconnu ce principe de tout bien et de toute vertu que l'Évangile allait rendre accessible aux esprits les plus humbles, Marc-Aurèle n'eût point été pour son siècle cette brillante exception dont les sublimes préceptes ne devaient pas éveiller d'écho ; car ils demandaient une perfection qui n'appartient qu'à des âmes d'élite. Combien peu d'hommes, dans ce siècle d'égoïsme, auraient su trouver au fond de leur cœur, sans autre guide que la conscience, sans autre espoir de récompense que la satisfaction du devoir accompli, les sentiments de tendre compassion, de justice indulgente, ou d'ardente charité, qui éclatent à chaque page dans les pensées de Marc-Aurèle ! Qui pouvait alors imiter son désintéressement et cette humilité d'un cœur se dérobant à toute reconnaissance ! Lorsque tu as voulu faire du bien, disait-il, et que tu y es parvenu, pourquoi rechercher autre chose encore ? Pourquoi vouloir la réputation de bienfaisance ou la gratitude ?[161]Quand tu te plains d'un ingrat, reviens sur toi-même ; car c'est évidemment ta faute d'avoir eu en faisant du bien une autre pensée que celle d'en faire. Ne te suffit-il pas d'avoir agi selon ta nature ? Tu veux en être récompensé ! c'est comme si l'œil demandait soue salaire parce qu'il voit, ou les pieds parce qu'ils marchent[162]. — Tel homme, dès qu'il a fait plaisir à quelqu'un, se hâte de lui porter cette faveur en compte. Un autre a toujours présent à la pensée le service qu'il a rendu, et regarde celui qui l'a reçu comme son débiteur. Un troisième ne songe pas même à ce qu'il a fait, semblable à la vigne qui, après avoir porté du raisin, ne demande rien de plus, contente d'avoir donné le fruit qui lui est propre. Le cheval qui a couru, le chien qui a chassé, l'abeille qui a fait son miel, l'homme qui a fait du bien, ne le crient pas par le monde, mais passent à un autre acte de même nature, comme fait la vigne qui donne d'autres raisins quand revient la saison nouvelle[163]. Dans cette immense ardeur du bien qui lui inspire de plus brillantes images que ne le faisaient, pendant sa jeunesse, les froids préceptes du rhéteur Fronton, Marc-Aurèle compare l'âme bienfaisante à la lumière du soleil. Chaque jour cette lumière se répand sur la nature et illumine toute l'atmosphère sans jamais s'épuiser. Si l'un de ses rayons pénètre, à travers une étroite ouverture, dans un lieu bien clos, il s'allonge en ligne droite jusqu'à ce qu'il rencontre l'obstacle qui s'oppose à son passage. Là il s'arrête et se divise sans glisser, sans tomber. Ainsi l'âme doit se verser, s'épancher au dehors. Jamais d'épuisement, point de violence, point d'abattement quand des obstacles l'entravent. Qu'elle s'arrête alors et qu'elle éclaire ce qui peut recevoir sa lumière. Ceux qui refusent de s'en laisser pénétrer s'en seront privés eux-mêmes[164].

Malheureusement la voix éloquente de Marc-Aurèle s'adressait à un peuple corrompu à la fois par les vices de la superstition et de l'impiété. Les autels des divinités du paganisme étaient arrosés du sang des victimes. Les collèges de prêtres n'avaient jamais été plus nombreux. On briguait les sacerdoces ; mais la piété véritable était éteinte dans tous les cœurs. La multiplicité des dieux avait détruit toute idée d'une Providence. Lucien, qui écrivait sous Marc-Aurèle, se moque hautement de l'Olympe et de ces nouveaux venus qu'on installe chaque jour dans le Panthéon des Romains : D'où sont tombés au milieu de nous, dit-il, cet Atys, ce Corybas, ce Sabazius ? Quel est ce Mède Mithra coiffé de la tiare ? Il ne comprend pas le grec et ne sait ce qu'on lui veut quand on lui porte une santé. Les Scythes et les Gètes, voyant combien il est facile de faire des immortels, se sont cru le droit d'inscrire frauduleusement sur nos registres leur Zamolxis, un esclave qui se trouve ici je ne sais pourquoi. Encore si nous n'avions pas l'Anubis, à la tête de chien, et le taureau de Memphis ! mais ils ont des prêtres et rendent des oracles. Et toi, grand Jupiter, de quel œil vois-tu ces cornes de bélier qu'on t'a plantées sur le front ?[165] L'arme du ridicule faisait son œuvre, le polythéisme croulait de toutes parts et rien ne le remplaçait encore. Les barrières étaient tombées devant le flot des passions humaines. Chacun pensait à soi et faisait servir à sa propre satisfaction tous ses instincts, toute sa puissance. En vain l'empereur philosophe disait : Les hommes sont faits les uns pour les autres ; corrigeons-les donc ou supportons-les[166]. Il les supportait, les secourut, les aimait ; mais les corriger fut impossible. C'était à la religion nouvelle d'accomplir ce que la philosophie n'avait pu faire.

Le règne de Marc-Aurèle, remarquable sous tant de rapports, l'est surtout par la lutte qui s'établit à cette époque entre le christianisme naissant et le paganisme représenté, au sommet de l'échelle sociale, par les plus hautes vertus que puisse inspirer la raison humaine. Cette lutte a produit non-seulement les premiers panégyristes chrétiens dont les œuvres soient parvenues jusqu'à nous, les Justin, les Méliton, les Athénagore, les Tatien, les Théophile d'Alexandrie, tous contemporains de Marc-Aurèle ; mais elle vit naître un homme qui, pour la première fois, se crut obligé de défendre, la plume à la main, la religion du paganisme. Pour la première fois les païens ne se contentèrent plus de cette sanglante polémique confiée jusqu'alors à la hache du bourreau. Le philosophe Celsus, prenant à la lettre ces mystères du christianisme qui renferment les secrets de la création, rejeta sur les disciples du Christ le reproche de fétichisme dont ils flétrissaient le culte des idoles. Nous n'avons plus son œuvre, et nous ne la connaissons que par la réfutation d'Origène ; mais il y a dans ce fait seul, à ce qu'il nous semble, toute une révolution. Du jour où la controverse est engagée, du jour où la philosophie discute la religion nouvelle, on prévoit le triomphe de cette religion. Ce que n'avaient pu faire les sublimes vertus de Marc-Aurèle, qui le pourra ? Chaque année verra croître l'ascendant salutaire de la morale évangélique qui soutient notre faiblesse dans une vie d'épreuves, qui défend l'homme contre l'emportement de ses passions par la croyance de ses fins immortelles et parfaites. Faute d'avoir accepté le secours de ce levier puissant, la grande âme de Marc-Aurèle ne put accomplir sa tâche. Il ne put même laisser à ses peuples un successeur digne de lui, et, debout sur les ruines du stoïcisme tombé de si haut, Commode riva, pour plus d'un siècle encore, les chaînes d'un honteux despotisme.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] On traitait de sacrilège, dit Jules Capitolin, quiconque n'avait pas chez soi l'effigie de Marc-Aurèle ; aujourd'hui même, ajoute ce chroniqueur qui écrivait sous Dioclétien, on trouve dans beaucoup de maisons des statues de Marc-Aurèle à côté de celles des dieux pénates (Vie de Marc-Aurèle, c. XVIII). Alors même que ce prince n'était encore que César, l'enthousiasme qu'il inspirait multipliait ses portraits à l'usage du peuple : Tu sais, lui écrit Fronton, que, sur toutes les tables des changeurs, dans toutes les boutiques, dans toutes les tavernes, dans tous les vestibules, à tous les auvents, à toutes les fenêtres, partout enfin, on voit exposées tes images, la plupart, à la vérité, mal peintes ou grossièrement sculptées. Eh bien ! chaque fois que je rencontre sur mon chemin un de ces portraits si peu ressemblants, ma bouche s'entrouvre pour t'envoyer un baiser. (Lettres de Marc-Aurèle et de Fronton, éd. Cassan, t. I, p. 265.)

[2] Voyez la médaille citée par Vaillant, num. græc., p. 58, où on lit autour de la tête de Marc-Aurèle ΒΗΡΙΣΣΜΟΣ.ΚΑΙΣΑΡ. S. Justin adresse son apologie du christianisme à l'empereur Antonin et à son fils Vérissimus le philosophe, Ούηρισσίμω υίώ φιλοσόφω.

[3] L. II, epist. 2.

[4] L. II, epist. 2.

[5] L. II, epist. 3.

[6] L. II, epist. 9.

[7] L. II, epist. 17.

[8] Vie de Marc-Antonin, c. 2.

[9] Lorsque sa mère Domitia Lucilla l'appela au partage, dit J. Capitolin, il répondit que les biens de son aïeul lui suffisaient, et il ajouta qu'il la laissait libre de disposer en faveur de sa sœur, Annia Cornificia, de tout ce qu'elle possédait elle-même (Vie de M. Aur., c. IV). Marc-Aurèle conserva sa mère encore quelques années ; cependant elle mourut avant son avènement à l'empire, contrairement à l'opinion émise par Fabretti et quelques autres archéologues, qui ont voulu lui attribuer les médailles portant pour légende LUCILLA AUGUSTA. Visconti, en publiant l'inscription métrique consacrée par Hérode Atticus à sa femme Régal (Iscr. Triopee, opere varie, t. I, p. 284), a remarqué à ce sujet que, l'auteur de l'inscription ayant placé la mère de l'empereur aux Champs-Élysées parmi les héroïnes et non parmi les déesses, on en pouvait conclure qu'elle n'avait pas porté le titre d'Augusta, et que, par conséquent, son fils n'était encore que César lorsqu'elle mourut. Les nombreuses empreintes sur briques, tuiles ou poteries, qui portent le nom de Domitia Lucilla cessent en effet de paraître après l'an de Rome 908 (de J.-C. 155). Au lieu de trouver sur ces monuments : T. Claudius Secundinus ex prædiis Luciliæ veri, on y trouve : T. Claudius Secundinus ex prædiis Cœsaris nostri. C'est donc dans l'intervalle qui s'est écoulé entre l'année 908 et le mois de mars de l'année 914, date de l'avènement de Marc-Aurèle, que ce prince perdit sa mère. Dans tous les cas, elle n'avait pas disposé de tous ses biens en faveur de sa fille, puisque son fils eut en partage les propriétés où se trouvaient les briqueteries.

[10] Lettre de Fronton à Marc-Aurèle sur l'éloquence, édit. et trad. de M. Cassan, t. II, p. 17.

[11] Pensées de l'empereur Marc-Aurèle, l. I, c. 7, trad. de M. Al. Pierron, p. 3.

[12] M. AVRELIO || VERO. CÆSARE. COS || IMP || T.ÆLI. HADRIANI || ANTONINI. AUG || PII || FILIO || P. P. D. D. Voyez Bull. de l'inst. archéol., année 1845, p. 55. Les deux sigles P. P. qui ne peuvent signifier ici, d'après M. Borghesi, que Permissu Proconsulis sont une des singularités de cette inscription. Cette formule, dit l'éminent épigraphiste, ne s'était rencontrée jusqu'à présent que dans la province d'Afrique.

[13] Le titre de Princeps juventutis n'est jamais donné à Marc-Aurèle, ni par les historiens, ni sur les inscriptions ou les monnaies, à moins qu'on ne veuille prendre pour une commémoration de ce titre une médaille qui appartient à l'année de son premier consulat, et qui porte pour exergue IVVENTAS. S. C. avec la figure d'un jeune homme près d'un trophée tenant une lance de la main gauche, type qu'on retrouve fréquemment sur les monnaies des Césars avec l'inscription PRINCEPS IVVENTVTIS. Voyez Eckhel, t. VII, p. 45.

[14] J. Capitolin, Vie de Marc-Aurèle, c. VIII.

[15] M. Statio M.F.CL. PRISCO || LICINIO.ITALICO.LEGATO AVGVSTORVM || PR. PR. PROV CAPPADOCIÆ. LEG.AVG || PR. PR. PROV. BRITANNIÆ. etc. Cette longue inscription, dont nous ne citons ici que les quatre premières lignes et qui a été trouvée à Rome où elle décorait probablement la base d'une statue, a été publiée par Gruter, 4931 ; Manuce, Ort., 103 ; Smet., 66, 1 ; Panv., Civ. r., 49 ; Horsley, Brit. rom., 270 ; Henzen, 3e vol. d'Orelli, 5480. Elle nous apprend, avec la brièveté du style lapidaire, toutes les dignités auxquelles Priscus fut appelé pendant la durée de trois règnes. Nous savons par elle que ses longs services dans les armées romaines commencèrent en Judée, où, sous le règne d'Adrien, il fut préfet de la quatrième cohorte des Lingones et obtint des récompenses militaires. Tribun dans la première légion, dans la dixième et dans la quatrième, préfet d'une aile de cavalerie, légat de la treizième et de la quatorzième légion, il connaissait toutes les armes et avait pour lui l'expérience de nombreux services militaires. Ses charges civiles n'avaient pas été moins nombreuses. Procurateur de l'impôt du vingtième sur les successions, dans la Narbonnaise et dans l'Aquitaine, questeur, tribun du peuple, préteur, légat de l'empereur dans la Dacie, il fut nommé consul ordinaire, puis bientôt après légat de Bretagne, d'où il fut rappelé pour être envoyé en Orient. L'histoire est d'accord avec l'épigraphie pour nous signaler Statius Priscus comme l'un des hommes qui contribuèrent le plus à la gloire militaire du règne de Marc-Aurèle.

[16] Ότι οί έν Βριταννία στρατώται Πρίσκον ύποστράτηγον εΐλοντο αύτοκράτορα ό δε παρητήσατο κ. τ. λ. Mai, p. 224. Borghesi (Giorn. arcad., 1829, p. 224, De fragm. constantinianis), se fondant sur l'inscription que nous avons citée dans la note précédente, rapporte cette manifestation des troupes romaines en Bretagne à la légation de Statius Priscus, tandis que Bekker (Remarques sur Dion, LXXII, 9, § 2) croit qu'il s'agit d'une autre tentative de révolte qui éclata vers l'époque de la mort de Pérennis, sous Commode, tentative dont Spartien parle en ces termes : Appellatus est Commodus etiam Britannicus ab adulatoribus, eum Britanni etiam imperatorem contra eum diligere voluerint (Vie de Commode, 8). Le nom de Priscus dans le fragment de Porphyrogénète, et la connaissance que nous avons de la légation en Bretagne de Statius Priscus, connaissance que nous devons à son inscription honoraire, donnent à la conjecture de M. Borghesi toute espèce de probabilité.

[17] Voyez Eckhel, t. VII, p. 15.

[18] Voyez Visconti, Icon. Gr., t. II, c. 15.

[19] Capitolin, Vie d'Antonin le Pieux, c. XII.

[20] Lucien, Alexander, seu Pseudomantis, XXXII, 27, éd. Didot.

[21] Voyez la conjecture formée à ce sujet par M. Borghesi, Inscrizioni del Reno, Ann. de l'Inst. arch., 1839, 172-173, et comparez l'article Légion par Grotefend dans le Real Encyclopädia de Pauly, vol. IV, p. 856, sqq.

[22] Lucien, Quomodo historia sit conscribenda, XXV, 21, éd. Didot. Cf. Dion Cassius, l. LXXI, 2.

[23] Lettres de Fronton à L. Verus, Cassan, t. II, p. 193.

[24] Vie de Marc-Aurèle, c. XI.

[25] Voyez la note de Saumaise dans l'édition des Script. Hist. Aug cum notis variorum, Leyde, 1671, t. I, p. 318, et Henzen, Tab. alim. Bæbian., p. 20.

[26] Vie de Marc-Aurèle, c. XI.

[27] Vie d'Adrien, c. XXI.

[28] Apparet enim tunc quoque regiones Italiæ distributas fuisse proconsulibus ; qui mos, quidem, longo post tempore renovatus est ab Adriano imperatore ; sed non diu post ejus obitum duravit (De Bello civil., l. I, c. 38).

[29] La dixième région de l'Italie, ou la Vénétie, et la onzième, ou la Transpadane, furent réunies sous un même Juridicus appelé Juridicus Transpadanæ ou Juridicus per Transpadum. La neuvième région, ou la Ligurie, et la huitième, ou l'Émilie, étaient de même réunies sous le Juridicus per Æmiliam et Liguriam. La seconde région de Pline, composée de l'Apulie et de la Calabre, avait à sa tête le Juridicus per Apuliam et Calabriam. La troisième région, comprenant la Lucanie et le Bruttium, nous offre un Juridicus per Lucaniam et Brittios. Un autre Juridicus présidait aux cinquième et sixième régions de Pline, c'est-à-dire au Picenum et à l'Ombrie, sous le titre de Juridicus per Flaminiam et Umbriam. Quant à la quatrième région de Pline, renfermant les Frentani, les Maruccini, les Peligni, les Samnites, les Sabins, et pour laquelle on ne trouve pas dans les inscriptions de Juridicus particulier, M. Borghesi suppose qu'elle avait été divisée entre les deux Juridici du Picenum et de l'Apulie (Voyez le Mémoire sur une inscription honoraire de Concordia, inséré par M. Borghesi dans les Annales de corresp. archéol., 1833, p. 196-209).

[30] C. Cornelius Félix Thrallus, Juridicus per Flaminiam et Umbriam, est complimenté par les habitants des sept quartiers qui formaient la ville d'Ariminum et par les différentes corporations de cette ville ob eximiam moderationem et in sterilitate annonæ laboriosam erga ipsos fidem et industriam ut et civibus annona superesset et vicinis civilatibus subveniretur (Voyez pour cette inscription, trouvée à Rimini, près de l'arc d'Auguste, l'Histoire de Rimini, par le docteur Tonini, t. I, p. 363, et Orelli, 3177). On ne saurait confondre les attributions des Juridici, relativement à l'approvisionnement des provinces, avec les fonctions remplies par les præfecti alimentorum, dont nous avons parlé tout à l'heure.

[31] Ann. de l'Institut archéol., 1853, p. 188.

[32] Vie d'Antonin le Philosophe, c. X.

[33] Inscrizione onoraria di Concordia, Borghesi, Ann. de l'Inst. archéol., 1853, p. 188-227.

[34] J. Capitolin, Vie de Marc-Antonin le Philosophe, c. IX.

[35] J. Capitolin, Vie de Marc-Antonin le Philosophe, c. IX.

[36] Voyez Muratori, 750, 9 ; — Borghesi, Ann. Inst. archeol., 1846, p. 317 ; — Henzen, 3e vol. d'Orelli, 6453. Mommsen dit, à propos de cette inscription : Mihi titulus a Muratorio ex schedis editus valde suspectus est.

[37] H. N., l. XIV, c. 28.

[38] Voyez ceux de Catilius Sévérus, d'Annius Verus, de Valérius Asiaticus, de Salvius Julianus, de Sergius Paulus, d'Aufidius Victorinus, d'Helvius Pertinax, etc., appartenant à peu près à la même époque et cités par Borghesi dans son Mémoire sur l'Età di Giovenale, Rome, 1847.

[39] Digeste, l. XLIX, t. 1, l. 3.

[40] Voyez Tillemont, Hist. des empereurs, t. II, p. 348.

[41] EX AVCTORITATE Q. IVNI. RVSTICI. PRÆF. VRBIS (Orelli, n° 4345).

[42] Il semble résulter d'un passage de Fronton que L. Verus ait voulu d'abord obtenir la paix à tout prix, et qu'il ne se soit déterminé à faire combattre ses troupes qu'après avoir vu ses propositions refusées par Vologèse. Fidèle à son rôle de panégyriste, le précepteur des deux princes ne voit dans cette conduite honteuse d'un de ses élèves qu'un noble élan d'humanité : Il s'était empressé d'écrire, dit-il, pour demander la paix. Le barbare, ayant refusé ses offres avec dédain, en fut sévèrement puni. Rien ne prouve mieux combien Lucius avait à cœur la conservation des troupes qu'il commandait, puisqu'il voulait acheter au prix de sa gloire une paix qui n'eût pas coûté de sang ; bien différent de Trajan, qui préférait une gloire acquise par le sang du soldat (voyez Fronton, Principia historiæ, dans les lettres de Marc-Aurèle et de Fronton, éd. Cassan, t. II, p. 333).

[43] Ce roi s'appelait Soème ainsi que nous l'apprenons de Photius. Chassé de son royaume par les Parthes, il s'était réfugié à Rome, où il fut admis dans le sénat et nommé consul. La victoire de Priscus lui rendit son trône ; on frappa à cette occasion en l'honneur de L. Verus des médailles où on le voit assis sur un siège élevé et posant la couronne sur la tête d'un personnage qui se tient debout devant lui. On lit pour exergue : REX ARMENIIS DATVS EMP II. TR.POT. IIII. COS.II. S.C. La quatrième puissance tribunitienne de Verus nous donne pour date de la conquête de l'Arménie l'an de Rome 917 (de 164).

[44] Voyez Gaubil, Hist. abr. de l'astron. chin. dans les observ. math. astron., etc. du P. Souciet, t. II, p. 118. — Klaproth, Tabl. histor. de l'Asie, p. 69. — Hist. des relations polit. de la Chine avec les puissances occidentales, par G. Pauthier, p. 17-20. — M. Letronne doute que les Européens qui pénétrèrent en Chine à cette époque aient été envoyés par Marc-Aurèle : Ces ambassadeurs, dit-il, étaient selon toute apparence des marchands qui voulaient se donner du relief (Mémoire où l'on discute la réalité d'une mission arienne exécutée dans l'Inde sous le règne de l'empereur Constance. Mém. de l'Acad. des Inscr. et Belles-Lettres, nouvelle série, t. X, p. 227).

[45] Le triomphe des deux empereurs à l'occasion de la guerre parthique a été cité par les historiens comme l'un des plus magnifiques qu'on eût encore offert aux yeux des Romains. Pour la première fois deux empereurs étaient montés sur le même char : ils avaient avec eux leurs enfants, qu'ils présentaient au peuple comme un gage de long avenir. Commode et Annius Verus, fils de Marc-Aurèle, furent créés Césars à cette occasion, et la date précise de cette nomination, qui nous a été conservée par Lampride dans sa vie de Commode (c. XII), nous donne, par conséquent, celle du triomphe parthique des deux empereurs. Cette date est indiquée au 4 des ides d'octobre, sous le consulat de Q. Servilius Pudens et de L. Fufidius Pollion, c'est-à-dire en l'an de J.-C. 166 (de Rome 919). D'autre part, une inscription de la même année, datée du X des calendes de septembre (Gruter, MIX, 12), donne déjà aux deux frères le titre de Médiques qui leur fut conféré par le sénat à l'occasion du triomphe. Il est à présumer, d'après cela, que la séance dans laquelle cette appellation honorifique fut offerte et acceptée précéda de quelques semaines le jour où les deux frères montèrent au Capitole.

[46] Ces trois villes furent prises par Statius Priscus (cf. Capitolin, c. IX). Leur conquête date de l'année 916 et valut aux deux empereurs la seconde acclamation impériale. La première leur avait été décernée lors de leur avènement. La troisième date de 918, ainsi que nous l'apprennent les monnaies, et fut accordée aux deux frères en conséquence de la prise de Ctésiphon par Avidius Cassius. On leur décerna la quatrième après l'envahissement de la Médie, qui eut pour conséquence le traité de paix avec Vologèse en 919. Les deux princes se trouvaient donc imperatores pour la quatrième fois lors de leur triomphe, qui eut lieu la même année, ainsi que le prouvent les médailles frappées à l'occasion de cette solennité, où on lit : TR. POT. XX. IMP. IIII. COS. II. sur la médaille de Marc-Aurèle, et : TR. POT. VI IMP. IIII. COS. II. sur la médaille consacrée à L. Verus. Voyez les observations présentées sur ces deux médailles par l'abbé Belley dans l'Hist. de l'Acad. des Insc. et Belles-Lettres, t. XXV, p. 82-93.

[47] Lettres de Marc-Aurèle et de Fronton, édit. et trad. par M. Armand Cassan, t. II, p. 178-181.

[48] Lettres, etc., t. II, p. 200-202.

[49] Si nous n'avons pas l'histoire de la guerre des Parthes par Fronton, nous savons du moins qu'un grand nombre d'auteurs contemporains s'empressèrent de décrire les événements de cette longue campagne, et que les inexactitudes commises à cette occasion furent la cause du traité que Lucien crut devoir composer Sur la manière d'écrire l'histoire : ΠΩΣ ΔΕΙ ΙΣΤΟΡΙΑΝ ΣΥΤΤΡΑΦΕΙΝ. Les noms de Calpurnianus de Pompéiopolis, de Callimorphe, médecin d'une légion, d'Antiochianus, de Démétrius de Sagalessus, d'Asinius Quadratus, sont parvenus jusqu'à nous.

[50] DEÆ SVRIÆ SUB CALPURMO AGRICOLA LEG. AUG. PR. PR. A. LICINIUS CLEMENS PRÆF... III... A .IOR. Inscription trouvée à Littlechesters, dans le Northumberland. Elle a été publiée par Camden, p. 1070 ; — Gruter, 86, 7 ; — Donati, 60, 5 ; — Horsley, p. 192, n° 22, LIII ; Newton, Excerpt. de Britan., n° 91 ; — Hodgson, part. II, vol. 3, p. 137 ; — Henzen, 3e vol. de l'Orelli, n° 5861.

[51] Dion Cassius, l. LXXI, 14 et 16.

[52] Eutrope considère la guerre des Marcomans comme l'une des plus redoutables qu'ait eu à soutenir l'empire romain ; à ce point qu'elle fut comparable, dit-il, aux guerres puniques (l. VIII, c. 12).

[53] Capitolin, Vie de Marc-Aurèle, c. XIV.

[54] Jus civile ante Just., Aug. Maï, De excusat. Tutorum, p. 48.

[55] L. XXXI, § 2.

[56] Vie de Marc-Aurèle, c. 15.

[57] Voyez Eckhel, D. N. V., t. VIII, p. 58.

[58] César à Fronton : Par la volonté des dieux nous croyons retrouver quelques, espérances de salut. Les plus fâcheux symptômes ont disparu ; les accès de fièvre ont cessé ; il reste pourtant encore quelque maigreur et un peu de toux. Tu devines bien que je te parle là de notre chère petite Faustine, qui nous a donné une vive inquiétude (Lettres inédites de Marc-Aurèle et de Fronton, éd. A. Cassan, t. I, p. 258-259). — Fronton lui répond dans son style prétentieux : Je sais que Faustine est pour toi ce qu'est une lumière sereine, une espérance prochaine, un jour de fête, un vœu exaucé, une joie entière, une pure et grande renommée. Peu de temps après Marc-Aurèle perdit cette petite-fille qu'il aimait si tendrement. On a retrouvé au mausolée d'Adrien son inscription funéraire, qui portait : DOMITIA FAVSTINA. M. AVRELII CÆSARIS FILIA. IMP. ANTONI. P. P. NEPTIS (Voyez Mabillon, Vet. analecta, p. 363, et Orelli, n° 872).

[59] Lettres de Fronton et de Marc-Aurèle, éd. Cassan, t. II, p. 52-54.

[60] Lampride, Vie de Commode, c. 1.

[61] Il y avait alors plusieurs légions portant le même signe numérique. Elles étaient distinguées par leur surnom.

[62] L. LV, § 24.

[63] J. Capitolin, Vie de Pertinax, c. 2.

[64] C. CÆSONIO. C. F. QVIR. MACRO RVFINIANO ODNSVLARI.... TRIB. LEG. I. ADIVTRIC DONATO DOMS MILITARIB. A. DIVO. MARCO (Gruter, p. 381, 1).

[65] Voyez Borghesi, Annali dell' Inst., 1839, p. 141.

[66] Voyez Cod. Inscr. Rom. Rheni, n° 618, 723, 768, 781, 785, 786, 788, 880, 910, 962, 964.

[67] LV, 24.

[68] Tacite, Ann., IV, 68 ; V, 14, 16, 20.

[69] Voyez Orelli, 1234, 1645, 1921.

[70] D. M AVRL. VITALI. MIL.LEG. IIII. FL. STIP. VII VIXIT AN. XXV. AGENS. EXPEDITIONE GERMANIÆ (Codex Inscriptionum Romanarum Rheni, Steiner, n° 177).

[71] L. PETRONIO L. F. PVB SABINO.... DONIS DON. AB. IMP. MARCO ANTONINO. IN. BELLO GERM. BIS. HASTA PVRA ET CORONIS VALLARI ET MVRALI (Murat., p. 730, 1).

[72] M. Borghesi a prouvé, dans son Mémoire sur Salvius Liberalis, que la cinquième légion, Macedonica, après avoir assisté au siège de Jérusalem, fut envoyée par Titus pour garder la Mœsie, d'où, suivant Dion (l. LV, ch. 23), elle passa dans la Dacie. Elle y était commandée par Pompeus Falco dans une des guerres daciques de Trajan, et ce chef y obtint les récompenses militaires (Voyez le Mém. sur Burbuleius, Borghesi, p. 24). L'Itinéraire d'Antonin la place dans la Mœsie inférieure, fait confirmé par deux inscriptions de Gruter (p. CCCCLXXXII, 1, et CCCCXC, 2).

[73] Voyez le Wurtembergische Jahrbücher, 1835, 1, p. 15, 39, 43, 46, 48, 50, 54, 93. — Cf. Steiner, Cod. Inscr. Rom. Rheni, n° 19, 27, 65, 86, 91, 125, 153, 165, 247, 254, 272, 317, 339, 375, 386, 613, 627, 753. — Cette légion reçut, sous le fils de Marc-Aurèle, les noms de Pia, Fidelis, Constans, Commoda, ainsi que nous l'apprend l'inscription de Fabretti, p. 665, n° 517.

[74] Ptolémée, l. II, c. 15.

[75] On a trouvé à Vienne, en Autriche, une inscription consacrée à Jupiter Sérapis pour en obtenir la santé de Septime-Sévère et de son fils Caracalla, sous l'invocation de L. QVIRINALIS MAXIMVS TRIB. MIL. LEG. X. GEM. (Gruter, p. XXII, 7). — Cf. une autre inscription du même recueil, p. LXXIV, 6, qui prouve qu'en l'an de Rome 1002 (de J.-C. 249), sous le règne de Philippe, la dixième légion Gemina était encore à Vienne.

[76] Neuf inscriptions sur marbre et plusieurs terres cuites ont été recueillies par Steiner dans ses inscriptions rhénanes : Mommsen en a inséré onze dans ses inscriptions de l'Helvétie, presque toutes trouvées sur l'emplacement de l'ancienne Vindonissa, près du confluent de l'Aar avec le Rhin, dans l'Argovie. Aucun de ces monuments épigraphiques ne porte de date consulaire. Un d'eux, où Orelli avait cru lire (n° 439) : M. APRONIVS M. F. VAVIVS. SEG.... M. S. M. AV. CO. AVG. MILES. LEG. C.P.F., a paru à M. Borghesi devoir être expliqué ainsi : M. Apronius, etc., qui Mililavit Sub Marco AVrelio COmodo AVGusto (voyez Borghesi, Inscrizioni del Reno, Ann. de l'Institut archéol., 1839, p. 155-156) ; mais une meilleure lecture du texte épigraphique, donnée par Mommsen (Inscriptiones helvetica., n° 251), ne permet plus cette conjecture, et nous laisse dans l'incertitude sur l'époque jusqu'à laquelle la onzième légion Claudia resta sur les bords du Rhin. Nous la retrouvons ensuite dans la Mœsie inférieure (Dion Cassius, l. LV, 23), et une inscription relative à un membre de la légion a même été trouvée près de Kherson, vers l'embouchure du Dnieper : D. M. AVR. SALVIANVS TVBicen LeG. XI. CL. QVI MILITAVIT ANNOS XIIII VIXIT ANNOS XXXVI (Marquardt, Röm. alterthum, t. III, 108).

[77] Voyez Gruter, 329, I.

[78] Voyez Gruter, MXXIX, 1, et Maffei, Mus. Veron, p. CXIII, 2.

[79] Voyez Steiner, Cod. Inscr. Rom. Rheni. La vingt-deuxième légion avait son quartier général à Mayence, où ont été trouvées un grand nombre d'inscriptions qui la mentionnent.

[80] Spartien, Vie de Didius Julianus, c. 1.

[81] Voyez Steiner, l. c., qui a recueilli vingt-six inscriptions, parmi lesquelles celles qui sont de date certaine vont de l'an 935 à 992. La plus grande partie de ces monuments ont été trouvés dans la province de Clèves et à Cologne.

[82] Voyez Steiner, Codex Inscr. Rom. Rheni, passim. — Dacien aus den Ueberresten des Klassichen Alterthums, par le docteur Neigebaur. — Voyez encore le diplôme inséré sous le n° XXIII des Diplomi imperiali, de Cardinali ; les trois diplômes X, XI et XII donnés par Arneth (Zwölf Römisch militar., diplome, Wien, 1843, p. 64-72) et le Diploma militare inséré par Henzen dans les Annales de l'Institut archéologique, 1854, p. 29 et suiv.

[83] Dion Cassius, l. LXXI, § 7.

[84] Le mariage de Lucile avec Claudius Pompéianus avait eu lieu vers la fin de 189, moins d'une année après la mort de Verus. Voyez sur Pompéianus et sur Cn. Claudius Sevérus, autre gendre de Marc-Aurèle, une dissertation de M. Borghesi, publiée dans le Bulletin napolitain d'archéologie, t. III, p. 121 et suiv.

[85] Huic senaTUS AVCTORIBVS.IMPP. ANTONINO. ET || commoDO AVGG STATVAM. AVRATAM. IN. FORO || Divi TrajaNI ET ALIAM CIVILI AMICTV. IN. TEMPLO || Divi Pii TERTIAM LORICATAM. IN. TEM || plo Martis ultoris poNENDAS CENSVIT. Voyez Kellermann, Vigiles, n° 42, et Borghesi, Inscrizioni di Fuligno, Ann. de l'Inst. archéol., 1848, p. 347.

[86] Iste habitus (palmatæ vestis) ut in pace consulis est, sic in victoria triumphantis. (Ascon. de Grat. act. post consul.)

[87] Voyez Juvénal, sat. X, v. 36-43.

[88] Voyez Dion, l. LXXI, c. 10, et les monnaies frappées dans l'année de cette victoire, c'est-à-dire portant le chiffre de la vingt-huitième puissance tribunitienne. Des médailles de cette mème année, avec la légende ADVENTVS AVGusti, semblent indiquer que l'empereur revint alors pour quelque temps à Rome, bien que ses biographes, dont le récit est d'ailleurs si laconique, ne parlent pas de ce voyage (voyez Eckhel, D. N. V., t. VII, p. 61).

[89] Voyez Dion, l. LXXI, § 8-11.

[90] Voyez sur les exploits de la douzième légion au siège de Jérusalem, ainsi que sur son envoi à Mélitène, Josèphe, Bell. Jud., VII, 1, 3. Une monnaie frappée sous Adrien à Césarée de Cappadoce, et une autre monnaie frappée à Ancyre sous Antonin le Pieux, mentionnent toutes deux la douzième légion, et nous apprennent ainsi que, pendant le règne de ces princes, elle n'avait pas quitté l'Asie (Sestini, Lettere, etc., VI, 71, 72). Ce serait donc Marc-Aurèle qui aurait appelé à la défense des frontières du Nord une des légions destinées à protéger l'Orient alors pacifié, et cette légion serait retournée plus tard dans son ancienne garnison, où nous la retrouvons sous Alexandre Sévère (Dion Cassius, LV, 23). M. Grotefend va jusqu'à ne pas admettre le témoignage de Xiphilin sur la présence en Pannonie de la légion Fulminata, et suppose qu'elle n'avait pas quitté l'Asie. Le récit de l'abréviateur de Dion ne serait, d'après lui, qu'une fable (Voyez Geschichte der einzelnen röm. Legionen in der Kaiserzeit in Pauly's Realencycl., IV, p. 868-901).

[91] Q. PETRONIVS. C. F. PVB. MODESTVS Primi Pilus. LEG. XII. FVLM. Voyez Gruter, CXCIII, 3. Cf. Kellermann, Vig. Rom. Lat., p. 36.

[92] Letronne, Statue vocale de Memnon, 149.

[93] Hamilton, Ægyp., p. 173. — Letronne, l. c., p. 119.

[94] Kellermann, Vig., n° 243, et Bull. de l'Inst. archéol., 1830, p. 198.

[95] C'est Vulcatius Gallicanus qui fait d'Avidius Cassius un descendant du complice de Brutus. Dion Cassius, au lieu de le rattacher ainsi à l'une des plus anciennes familles de Rome, dit qu'il était né en Syrie, où il avait eu pour père un certain Héliodore, qui, d'habile rhéteur, était devenu préfet de l'Égypte (l. LXXI, § 22).

[96] Frontonis epistulæ ad amicos, éd. Cassan, t. II, p. 242-245.

[97] Vulcat. Gallic., Vie d'Avidius Cassius, c. 2.

[98] Une partie de la population nomade de l'Égypte avait été soulevée, à ce que nous apprend Dion, par les efforts d'un prêtre du pays et d'un autre chef nommé Isidore. Ayant revêtu des habits de femme, ils s'étaient introduits auprès d'un centurion romain, sous prétexte de traiter de la rançon de quelques prisonniers, avaient tué cet officier et dévoré ses entrailles dans un horrible festin, où ils s'étaient engagés à combattre Rome par les serments les plus solennels. Isidore avait un grand talent militaire. Il remporta des avantages éclatants sur les Romains, et était près de s'emparer d'Alexandrie lorsque Cassius vint de Syrie s'opposer à ses progrès. Il n'osa tout d'abord hasarder le combat contre des ennemis nombreux et dont le désespoir doublait le courage ; mais il sut, par d'habiles intrigues, jeter parmi eux la division et ruiner en peu de temps cette ligue formidable (Dion, l. LXXI, § 4). La place assignée au récit de la révolte des Bricoles (c'est ainsi qu'on appelait ces hordes de pasteurs) par Capitolin et Dion Cassius, a engagé Tillemont à assigner à cet événement la date de l'an de Jésus-Christ 170 (de Rome 923), alors que Marc-Aurèle venait de retourner en Allemagne, après avoir accompagné à Rome le corps de L. Verus (Tillemont, Hist. des Emp., t. II, p. 366).

[99] Vulcat. Gallican., Vie Cassius, c. 13. Il nous semble encore résulter d'un passage de Spartien que, sous le règne de Marc-Aurèle, les provinces ont eu souvent à se plaindre de leurs administrateurs : Pescennius Niger, dit ce chroniqueur, jouissait d'une telle autorité que, voyant les provinces ruinées par suite des fréquents changements opérés dans l'administration, il en écrivit d'abord à Marc-Aurèle, puis à Commode. (Vie de Pescen. Niger, c. 7.)

[100] Vulcatius Gallicanus, Vie d'Avidius Cassius, c. 12.

[101] Voyez Dion, l. LXXI, c. 29. — Amm. Marcellin, l. XXI.

[102] Tertullien, ad Scap., c. 3.

[103] Ch. VI, vol. I, p. 482 de l'éd. des Œuvres de saint Justin, par Otto.

[104] Dial. av. Tryphon, § 47.

[105] Advers. Hæres., III, 4, 2.

[106] Apologétique, ch. 37.

[107] Epist., l. X, lettre 97.

[108] Voyez ma Lettre à M. J. de Witte sur les fouilles dans les catacombes de Rome, Athenæum. français, 1854, p. 662-663.

[109] Tite-Live, l. XXXIX, 16.

[110] Suétone, Vie de Claude, c. 15.

[111] Tacite, Annal., l. XIV, 29 et suiv.

[112] Tacite, Annal., l. XIII, 32.

[113] Cf. Baronius (Ann. eccl. ad annum III Neronis). — De Sanctis, Del Sepolcro del Plauzi, Ravenne, 1784, p. 6.

[114] Eusèbe, Hist. Ecclés., III, 20.

[115] Eusèbe, Hist. Ecclés., III, 32.

[116] Apologie, § 16, p. 42.

[117] L. X, 97.

[118] Pensées, l. XI, 3.

[119] De spectac., c. 1 ; ad nation., I, 17, 18 ; de patient., c. 2.

[120] Dion, l. LXXI, c. 29.

[121] Voyez Hist. ecclés., l. V, c. 1.

[122] Philostrate, De vit. sophist., l. II, § 12.

[123] Pensées de Marc-Aurèle, l. II, 9.

[124] L. LXXI, 29.

[125] Philostrate, De vit. sophist., 35.

[126] J. Capitolin, Ant. Philos., c. 27. Une médaille datée de cette année et dont le revers représente une nef avec de nombreux rameurs fait allusion à ce retour aventureux. Elle porte pour exergue FELICITATI AVGVSTI. Voyez Eckhel, D. N. V., t. VII, p. 64.

[127] Les médailles frappées dans cette même année à l'occasion du triomphe de Marc-Aurèle indiquent qu'il triompha des Germains et des Sarmates. Elles portent au revers des trophées d'armes, et pour exergues DE GERM. ou DE SARM. Cf. Eckhel, l. c.

[128] Orelli, 2521 ; Bull. de l'Inst. archéol., 1848, p. 162.

[129] Maffei, Mus. Veron., p. 249 ; cf. Bull. archéol., l. c.

[130] Bull. du baron de Férussac, 1824, sect. VII, p. 299 ; — Maï, Préface des lettres de Fronton, p. XXII. Cf. Borghesi, Lettre à Henzen sur un diplôme militaire du règne d'Antonin le Pieux.

[131] Vie de Marc-Aurèle, c. 22.

[132] Cf. Borghesi, l. c.

[133] Cf. Henzen, Tab. alim. Bœbian. Ann. de l'Inst. arch., 1845, p. 20, et Zoëga, Bassirilievi, t. I, p. 154 et suiv.

[134] Bruttius Præsens appartenait à l'une des familles les plus éminentes de l'Italie méridionale, ainsi qu'on peut en juger par une lettre que Pline le Jeune adressait au père de ce personnage, et où il lui dit : Voulez-vous demeurer éternellement tantôt dans la Lucanie, tantôt dans la Campanie ? Vous me direz que vous êtes né dans la première de ces provinces et que votre femme est née dans la seconde. C'est une raison d'y séjourner plus longtemps, mais non d'y demeurer toujours. Que ne revenez-vous à Rome, où votre rang, votre gloire, vos amis vous appellent ? Jusqu'à quand ferez-vous le roi où vous êtes ? (L. VII, ep. 3.) C'est en effet dans la Lucanie, à Volceii, le moderne Buccin, qu'on a trouvé une inscription qui nous donne tous les noms de Bruttius Præsens L. FVLVIO. C.F.POM. || BRVITIO PRÆSENTI MIN || valERIO. MAXIMO. POMPEIO. L || VALENTI. CORNELIO. PROCVLO || AQVILIO. VEIENTONI. COS. II. PR || cRitisPINÆ. AVG. SOCERO. LMP. || HADRIANIALI (sic). SODALI. ANTONIN || MARCIANO. COMITI. IMPP. ANT || EXPEDITIONIS SARMATICÆ... || TORI. AVG. TR. MIL. LEG. III GALLIC || AB. IMP. DIVO. ANTONINO. AVG P... (Mommsen, I. R. N., n° 217.) Une autre inscription de la Lucanie, datée du consulat de Commode et de Quintilius (en 177 de notre ère), contient des vœux en l'honneur de Crispine, probablement à l'occasion de son mariage. Commode y porte le titre d'Imperator qui lui avait été conféré à l'occasion de son triomphe (voyez Mommsen, I. R. N., 271). Dès lors le fils de Marc-Aurèle, qui a reçu la puissance tribunitienne, prend le titre d'Auguste et a sa part dans tous les actes du pouvoir. Voyez l'inscription donnée par Marini (Iscriz. alb., p. 2S) : IMP. CÆSAR M. AVRELIVS || ANTONINVS AVGVSTVS... ET || IMP CÆSAR L AVRELIVS || COMMODVS AVG. || GERMANICVS SARMATIC || HOS LAPIDES CONSTITVTI IVSSERVNT || PROPTER CONTROVERSIAS QVÆ || INTER MERCATORES ET MANCIPES || ORTÆ ERANT VTI FINEM || DEMONSTRARENT VECTIGALI FORICVLIARII ET ANSARII || PROMERCALIVM SECVNDVM || VETEREM LEGEM SEMEL DVM ||TAXAT EXIGVNDO ; puis encore une inscription de l'Algérie rapportée par M. Rénier (n° 1650) : IMP. CÆSARES M. AVRELIVS ANTONINVS ET || L. AVRELIVS COMMODVS AVG. GERMANICI || SARMATICI FORTISSIMI AMPHITHEATRVM || VETVSTATE CORRVPTVM A SOLO RESTI || TVERVNT PER COH. VI COMMAG || A IVLIO POMPILIO PISONE LÆVILLO LEG || AVG. PR. PR. CVRANTE ÆLIO SERENO PRÆF.

[135] Cf. Eckhel, D. N. V., t. VII, p. 64.

[136] Voyez Canins, Via Appia, t. I, p. 133 et suiv.

[137] L. LXXI, c. 33.

[138] Dion, l. c., et les médailles.

[139] Voyez Henzen, 3e vol. d'Orelli, n° 5489.

[140] Vie de Marc-Aurèle, c. 18 et 19.

[141] Vita Anton. Phil., c. 21.

[142] L'inscription fut trouvée près du village de Korot-Koje, sur la rive gauche du Dniester, et publiée dans les actes de la Société des antiquaires d'Odessa, t. Il, p. 416-469, puis dans les annales de l'Institut archéologique, 1854, p. 67. 11 résulte du texte, qui contient trente et une lignes en langue latine et quatorze en grec, que les habitants de la ville de Tyras, colonie milésienne placée dans la Sarmatie d'Europe, avaient reçu depuis longtemps certains privilèges relatifs à des exemptions de taxes douanières, privilèges dont l'origine semblait perdue et dont ils ne pouvaient fournir la preuve. Les magistrats romains de la province voisine, qui parait avoir été la Mœsie inférieure, contestèrent plus d'une fois les droits que s'arrogeaient les habitants de Tyras, auxquels ne restait alors d'autre ressource que de recourir à la bienveillance des empereurs pour faire confirmer par eux leurs franchises, et de se servir de cette confirmation comme d'un nouveau titre. C'est ainsi qu'ils citent des lettres de Marc-Aurèle et des deux frères, c'est-à-dire de Marc-Aurèle et de Verus : EXEMPLVM EPISTVLÆ AD HERACLITVM || QVAMQVAM TYRANORVM CIVITAS OREGINEM || DATI BENEFICII NON OSTENDAT NEC FACILE QVÆ || PER ERROREM AVT LICENTIAM VSVRPATA SVNT PRÆ || SCRIPTIONE TEMPORTS CONFIRMENTVR TAMEN || QVONIAM DIVI ANTONINI PARENTIS NOSTRI LITTE || RAS SED ET FRATRVM IMPERATORVM COGITAMVS ITEM || ANTONII HIBERI GRAVISSIMI PRÆSIDIS QVOD ATTINET || AD IPSOS TYRANOS QVIQVE AB IIS SECVNDVM LEGES || EORVM IN NVMERVM CIVIVM ADSVMPTI SVNT EX PRI || STINO MORE NIHIL MVTARI VOLVMVS, etc. Nous voyons ainsi que deux fois Marc-Aurèle, soit lorsqu'il était associé à Verus pour l'exercice du souverain pouvoir, c'est-à-dire pendant la guerre parthique, soit lorsqu'il régna seul, c'est-à-dire pendant les longues guerres. soutenues contre les Sarmates et les Marcomans, agissait comme souverain reconnu de ces contrées éloignées, qui avaient été rattachées à la Mœsie au lieu de l'être à la Dacie, par cette raison décisive, que la conquête de la Dacie ne remontait qu'à l'époque de Trajan, tandis que l'annexion de Tyras à l'empire datait au moins du règne de Vespasien, peut-être même du règne de Néron, ainsi que nous l'apprennent les médailles et l'année de l'ère provinciale indiquée dans l'inscription avec la date consulaire du décret.

[143] Dion, l. LXXI, § 6.

[144] Quest' arco... dava specialmente incommodo al popolo nella grande affluenza del carnevale, e perciò Alessandro VII, che principalmente contribui a far regolare la linea del Corso, lo fece demolire l'anno 1662. (Roma nell' anno MDCCCXXXVIII descritta da Antonio Nibby, t. I, p. 475-476.)

[145] Revue des Deux-Mondes, 15 avril 1857.

[146] Le fronton du temple de Jupiter Capitolin, figuré sur ce bas-relief, est représenté dans les monuments inédits publiés par l'Institut de correspondance archéologique (vol. V, pl. XXXVI). M. Brunn, dans un Mémoire lu à la séance publique tenue en mémoire de la fondation de Rome, en 1851, en a étudié tous les détails, persuadé que le sujet, malgré ses proportions réduites, est une imitation à peu près complète du fameux temple qui présida si longtemps aux destinées du peuple romain, tel qu'il existait après la reconstruction opérée par Domitien. (Voyez Ann. de l'Inst. arch., 1851, p. 289-297.)

[147] S. P. Q. R. IMP. CÆS. DIVI ANTONINI F. DIVI VERI PARTH. MAX. FRATRI || DIVI HADRIANI NEP. DIVI TRAIANI PARTH. PRONEP. DIVI NERVÆ ABNEP. || M. AVRELIO ANTONINO AVG. GERM. SARM. PONTIF. MAXIM. TRIBVNIC. POT. XXX. IMP. VIII || COS. III. P. P. || QVOD OMNES OMNIUM ANTE SE MAXIMORVM IMPP. GLORIAS || SVPERGRESSVS BELLICOSISSIMIS GENTIBVS DELETIS AVT SVBACTIS. Cette inscription a été donnée inexactement par Gruter, 260, 4, et par Orelli, 861. Le texte que nous reproduisons ici est corrigé d'après l'anonyme d'Einsiedeln. (Ed. Haenel, Archiv. f. Phil., V, I, p. 124 ; cf. De Rossi, le Prime raccolle d' antiche iscrizioni, p. 134-135.)

[148] Hist. rom., l. IV, c. 12.

[149] Tacite, Ann., l. I, § 83.

[150] L. II, § 8.

[151] Henzen, 6867.

[152] Voyez Henzen, 3e vol. d'Orelli, 6865, 6886, et Orelli, 3604.

[153] Tacite, Ann., XII, 30.

[154] Classis Mesica, Orelli, 3601, 3602, 6868 ; Pannonica, 3601, dite Flavia, 6868 ; Léon Renier, I. A., 2165.

[155] Le style de l'ornementation, quelques passages des régionnaires, les médailles, la différence qui existe entre les caractères de l'inscription d'Antonin et de celle de Faustine, tout est d'accord pour prouver que le temple fut d'abord consacré par Antonin à la femme qu'il avait perdue, et qu'il date par conséquent de la première moitié du second siècle. Après la mort de l'empereur on ajouta son nom sur le fronton, et le sanctuaire fut consacré aux deux époux.

[156] La statue équestre de Marc-Aurèle resta parmi les ruines du Forum jusqu'en 1187, époque à laquelle elle fut placée par Clément III devant le palais de Latran, sous le nom de statue de Constantin, nom qui la protégea probablement contre la destruction. Elle y resta jusqu'en 1538, puis on la transporta sur le Capitole, à la place qu'elle occupe aujourd'hui. On croit avoir retrouvé sa base, il y a quelques années, entre le mille d'or et l'arc de Septime Sévère. Voyez, à ce sujet, une note insérée par Fea dans le Bulletin de l'Institut de correspondance archéologique, 1834, p. 112.

[157] Voyez Pensées de Marc-Aurèle, éd. Pierron, l. VII, 9, p. 104.

[158] Voyez Pensées de Marc-Aurèle, l. V, 27, p. 73-74.

[159] Voyez Pensées de Marc-Aurèle, l. V, 31, 33, 34, p. 75-77.

[160] Voyez Pensées de Marc-Aurèle, l. IV, 4, p. 40.

[161] Voyez Pensées de Marc-Aurèle, l. VII, 73, p. 124.

[162] Voyez Pensées de Marc-Aurèle, l. IX, 42, p. 166.

[163] Voyez Pensées de Marc-Aurèle, l. V, 6, p. 62.

[164] Voyez Pensées de Marc-Aurèle, l. VIII, 57, p. 145-146.

[165] Dialogues de Lucien, l'Assemblée des dieux.

[166] Pensées, l. VIII, 59.