ESSAI SUR MARC-AURÈLE D'APRÈS LES MONUMENTS ÉPIGRAPHIQUES

 

NOTE 11.

 

 

Galien ne parait pas être resté longtemps à l'armée du Nord. Il revint à Rome, et ne suivit plus Marc-Aurèle dans ses expéditions de Pannonie. L'empereur lui avait confié le soin de veiller sur la santé de Commode, et il employait ses loisirs à la rédaction de ses nombreux ouvrages. Quoiqu'on ait bien peu de renseignements, jusqu'à présent, sur le service médical dans les armées romaines, on peut conclure de l'examen des documents parvenus jusqu'à nous qu'à l'époque de Haro-Aurèle l'État n'était pas indifférent sur la santé du soldat. Dans le livre que Galien écrivit : De compositione medicamentorum per genera, il explique, à propos des blessures, qu'il est de l'intérêt du chirurgien de connaître l'anatomie de l'homme, et nous apprend que de son temps il y avait des médecins dans les armées. Il est vrai qu'à son avis, faute d'études suffisantes, Hi traitaient leurs patients plutôt en bouchers qu'en praticiens ; fait d'autant plus regrettable, ajoute-t-il, que les guerres de Germanie auraient offert de nombreuses occasions pour disséquer les corps des barbares, et s'initier ainsi à la connaissance de la structure anatomique du corps humain (De compas. media. per genera, l. III, c. 2). Ce paragraphe semble suffisamment affirmatif sur l'existence d'un service médical, tout incomplet qu'il pût être, pendant le règne des Antonins ; et nous en voyons une confirmation dans Hygin le Gromatique, qui vivait sous Trajan et Adrien, lorsqu'il parle, à propos de la castramétation (De castrametatione), des proportions à donner dans un camp romain à l'emplacement réservé pour être l'hôpital militaire, le valetudinarium. Voilà, sous ce rapport, les témoignages les plus anciens que nous puissions citer dans les textes parvenus jusqu'à nous ; car Celse, antérieur à Galien de plus d'un siècle, bien qu'il ait parlé à plusieurs reprises dans ses ouvrages et avec une profonde connaissance du sujet, de l'extraction des armes de guerre (l. VII, c. 5), ne dit pas un mot des médecins des armées. Postérieurement à Galien, d'autres attestations sont venues corroborer la sienne. Aurélien, donnant des ordres pour la discipline de son armée, recommandait que ses soldats fussent traités gratuitement par les médecins (Vopiscus, Vie d'Aurélien, c. VII). Le Digeste, le code Justinien, contiennent plusieurs dispositions où il est question des médecins militaires ou des médecins de la légion, medicus legionis (Cod. Just., l. X, tit. 52). Végèce, écrivant au quatrième siècle et énumérant les devoirs du Præfectus castrorum, établit que non-seulement son autorité s'étend sur les soldats malades ainsi que sur les médecins auxquels ils sont confiés, mais qu'il doit régler les dépenses relatives à cet exercice (De re milit., l. II, c. 10). Rien de tout cela, cependant, n'est concluant sur les conditions ou les devoirs des médecins militaires ainsi que sur l'époque de leur institution régulière. Mais, si les historiens ou les hommes qui ont traité de l'art médical dans l'antiquité, si Tite-Live, Tacite, Celse lui-même, sont muets sur l'organisation des services médicaux dans les armées qui marchaient à la conquête du monde, nous trouvons quelques secours sous ce rapport en examinant les inscriptions militaires. Nous pouvons conclure de plusieurs d'entre elles que ces grandes agglomérations d'hommes qui avaient à soutenir les fatigues de longues campagnes, à braver les périls de climats meurtriers, les épidémies, les combats, trouvaient près d'elles, attachés à leur drapeau, des hommes dont la pratique pouvait guérir la maladie ou panser les blessures. Nous trouvons tout d'abord une dédicace à Esculape faite par les médecins d'une cohorte prétorienne : ASCLEPIO ET SALVTI || COMMILITONVM COH. VI PR || VOTO SVSCEPTO SEX TITIVS MEDIC. COH || VI PR. D. D. D. — Conférez une inscription presque toute semblable à celle-ci, où Sex. Titius est indiqué comme médecin de la cinquième cohorte. Il doit y avoir eu confusion entre les deux Monuments : ce dernier est daté du huitième consulat de Domitien dont le nom est effacé ; il ne reste que celui de son collègue T. Flavius Sabinus. Cette date nous reporte à l'année qui suivit l'avènement de Domitien, an 82 de notre ère. Gruter, p. LXVIII, 1 et 2 —. La quatrième cohorte prétorienne avait un MEDICVS CLINICVS, d'après une inscription du recueil de Reinesius (611, 7), de l'authenticité de laquelle Orelli avait douté, et dont Henzen a revendiqué la sincérité (3° vol. d'Orelli, p. 358, n° 3506). Nous trouvons pareillement un médecin dans la cinquième cohorte de Bette même garde prétorienne : D. M || L. VIBIO RVFO MEDICO || COH. V. PR. VALERIA || RYFINA CONIVG. OPTIM. FECIT (Kellermann, Vig., 138). Mais ce ne sont pas seulement ces troupes d'élite auxquelles l'État accorde ainsi des officiers de santé, nous en voyons auprès des cohortes auxiliaires. La première cohorte des Tongres, en garnison dans le nord de la Bretagne, avait son medicus ordinarius, ainsi que le prouve l'inscription suivante trouvée à Housesteads dans le Northumberland et maintenant déposée dans le musée de Newcastle-upon-Tyne : D. M || ANICIO || INGENVO || MEDICO || ORD. COH || I TVNG || VIX. AN. XXV (Bruce, the Roman Wall., p. 227). La quatrième cohorte des Aquitains nous offre un exemple semblable trouvé à Obernburg sur les bords du Mein : Rubrius Zosimus y est nommé comme médecin de la cohorte : APOLLINI ET ÆS||CVLAPIO.... || PRO SALVTE L. PETRONII FLORENTI||NI PRÆF. COH. IIII || AQ. EQ. C.M.M.RV || BRIVS ZOSIMVS || MEDICUS COH. Supra Scriptæ (Steiner, Cod. Insc. Rheni, n° 469). Les escadrons de cavalerie ou alæ avaient naturellement droit aux mêmes secours médicaux ; mais, les cadres étant moins nombreux, nous voyons un seul médecin pour deux alæ : M. Ulpius Sporus est MEDICVS ALARVM INDIANÆ ET TERTIÆ ASTVRVM (Orelli, 3507). Les cohortes de vigiles avaient plusieurs médecins dont les noms se trouvent inscrits sur un rôle de soldats dressé au temps de Caracalla : C. RVNNIVS HILARIS. C. IVLIVS HERMES. Q. FABIVS POLLVX S. LVTATIVS ECARPVS MEDICI (Kellermann, Vig., IV). Les médecins de légion étaient-ils plus élevés dans la hiérarchie du service médical de l'armée que ceux des cohortes ? c'est ce que nous ne savons pas. Nous en trouvons plusieurs indiqués par les inscriptions, et ce petit nombre nous suffit pour conclure avec toute probabilité que les trente légions qui formaient la principale force militaire de l'empire en étaient pourvues. L. Cœlius Arrianus était MEDICVS LEGIONIS II ITALICÆ, c'est-à-dire d'une des légions créées par Marc-Aurèle (Mus. Ver., p. CXX, 4) ; Ti. Claudius Hymnus était médecin de la légion vingt et unième : MEDICO LEG XXI (Orelli, 448) ; Besius Tertullus présidait aux soins médicaux de la onzième légion Claudia : M. BESIVS TERTVLLVS Medicus LEGionis XI Claudiæ P Fidelis ; M. Renier a trouvé en Afrique l'inscription d'un médecin de la troisième légion augusta, qui tenait garnison à Lambèse : M. CLAVDIANO MEDICO LEG. III AVg (Inscr. de l'Algérie, t. Ier, n° 506). Ces médecins militaires auraient eu des aides, s'il faut expliquer, sur un rôle de soldats et d'officiers trouvés à Rome, les lettres SM par Sub Medicus, ainsi que le propose Henzen (Index de l'Orelli). Peut-être, au contraire, le MEDICVS CASTRENSIS que nous fait connaître une inscription de Lyon (Boissieu, p. 355) avait-il la surintendance générale du service médical pour toutes les troupes comprises dans un camp romain. Ajoutons enfin que la marine parait avoir eu comme l'armée de terre ses officiers de santé, à en juger par une inscription du cap Misène où nous voyons nommé le médecin d'une trirème : D. M. || IVLIÆ VENERIÆ || M. SATRIVS LONGIN || MEDIC. DVPL. III CVPIP (voyez Mommsen, I. R. N., n° 2701).