PARIS - LA RENAISSANCE DU LIVRE - 1919.
CHAPITRE PREMIER. — La déclaration de guerre. CHAPITRE II. — Le conseil exécutif. CHAPITRE III. — Les frontières naturelles et le procès du Roi. CHAPITRE IV. — La trahison de Dumouriez. CHAPITRE V. — Le comité de salut public. CHAPITRE VI. — L'opposition. - Les premières escarmouches. CHAPITRE VII. — Le complot de l'étranger. CHAPITRE VIII. — Le dénouement. AVANT-PROPOSCeci est un livre de bonne foi. La vérité sur Danton ne s'est faite dans mon esprit que par degrés, après de longues et patientes recherches. J'ai dû, d'abord, me débarrasser de tout ce qu'on m'avait appris, faire table rase. Au sortir de l'École normale, il y a plus de vingt ans, j'étais nourri de la légende, je croyais au généreux Danton assassiné traîtreusement par l'ambitieux Robespierre, je n'avais contre l'histoire officielle aucun parti pris. J'étais contre elle sans défense. Les doutes commencèrent quand je me mis à étudier, pour mes thèses de doctorat, les cultes révolutionnaires. Il me parut que le rôle de Robespierre dans l'élaboration de cette entreprise politico-religieuse avait été dénaturé et qu'il n'était pas le pontife qu'on prétendait. Je crus découvrir dans la déchristianisation, qu'il combattit, une surenchère démagogique dirigée contre le Comité de Salut public par un groupe de députés d'affaires, dont les friponneries étaient sur le point d'être révélées. L'idée me vint, dès lors, d'essayer de voir clair dans la difficile question des rapports de la finance et de la politique sous la Convention, Partout, dans mes recherches sur le fournisseur d'Espagnac, sur les députés Chabot Fabre, d'Eglantine et Julien de Toulouse, je rencontrais le nom de Danton. Ayant soumis Danton à l'enquête, je ne tardai pas à me convaincre que les accusations graves portées par tant de ses contemporains sur sa probité étaient fondées et que le Mirabeau de la populace avait été, comme l'autre, un homme d'argent qui ne vit dans la Révolution qu'une superbe occasion de s'enrichir. Il ne me paraissait pas encore que le grand démagogue révolutionnaire fût coupable d'autres délits ou d'autres crimes que ceux que la commune morale réprouve. Je le croyais déjà triis capable de trahir tour à tour et son parti et ceux qui l'employaient. Mais je n'étais pas encore arrivé à cette conclusion terrible que je vais développer dans ce volume : Danton fit, à l'occasion, bon marché des intérêts du pays ! L'étude attentive de sa conduite dans la politique étrangère ne permet pas de douter qu'il appela de tous ses vœux et de tous ses efforts, sous la Convention, une paix hâtive, une paix prématurée, qui aurait été fatale à la France et à la Révolution, mais qui aurait servi les ambitions démesurées de son auteur. Il y a deux Danton. Celui de la légende : le patriote ardent et cocardier qui rêve d'achever l'œuvre séculaire de la monarchie défunte en donnant à la France les frontières naturelles de l'ancienne Gaule, le tribun véhément qui jette en défi aux tyrans de l'Europe une tête de roi, l'homme de l'audace qui frappe du pied le sol national pour en faire surgir des légions de volontaires, le démagogue intransigeant qui incarne la lutte à outrance contre l'ennemi. C'est ce Danton-là que l'imagerie et la statuaire ont popularisé chez nous après 1870, le Danton que le parti républicain contemplait et vénérait à travers le Gambetta de la défense nationale, sa réplique, le Danton des manuels scolaires ad usum populi. Mais il y a un autre Danton bien différent, le vrai Danton : un politicien retors et sceptique qui désespère promptement du succès de la Révolution, un intrigant sans scrupules dont l'action secrète va directement à l'encontre de ses déclarations publiques, un roué du ruisseau qui cherche à profiter pour ses ambitions très basses de l'immense lassitude créée par la guerre en bâclant à tout prix une paix honteuse avec l'ennemi, le chef indulgent de tous les défaitistes de l'époque un défaitiste d'autant plus redoutable qu'il est plus habile et plus insaisissable, et dont le Comité de Salut public ne peut briser l'opposition souterraine que par le grand coup de force d'un procès révolutionnaire. Ce Danton-là, le Danton qui négocie par les portes dérobées avec les rois et qui appelle de ses efforts obstinés une paix qui se refuse, n'a pas tout à fait échappé aux historiens, mais il n'a retenu leur attention que d'une façon toute épisodique, et, chose étrange, il n'est pas rare que les mêmes qui louent Danton de sa politique belliqueuse et impérialiste le louent aussi de ses tractations secrètes avec l'ennemi et ne s'étonnent nullement du prix coûteux dont il cherchait à lui acheter une paix qui aurait brisé la Révolution dans sa force, détruit toutes les espérances nationales et livré aux vengeances aristocratiques et royales les peuples affranchis qui avaient cru aux promesses des Sans-Culottes, aux solennels engagements de Danton. Les malins ou les prudents nous diront peut-être que les deux Danton ne sont pas inconciliables, que la sagesse consiste justement pour un homme d'Etat à combattre tout ensemble et à négocier, que la logique des faits n'est pas celle des raisonnements et qu'il y a du temps à tout et pour tout. Sans doute, et toute la question sera d'examiner si le Danton qui négociait entendait sainement et servait uniquement l'intérêt français et si les contradictions de sa politique trouvent une explication suffisante et péremptoire dans le changement des circonstances, dans l'évolution des situations, ou si, par hasard, les gouvernants responsables, dont Danton contrariait sournoisement l'action, n'avaient pas raison contre lui. Je reprendrai les choses par le commencement. J'exposerai, textes authentiques en mains et en suivant l'ordre chronologique, quelle fut l'attitude publique et l'attitude secrète de Danton devant les problèmes de la guerre et de la paix. Je laisserai le plus souvent possible la parole aux documents et de préférence à ceux qui émanent de Danton lui-même ou des amis de Danton. Du rapprochement des faits et des dates, de la confrontation des témoins sortira la vérité. Les lecteurs jugeront eux-mêmes et sur pièces. |