JEAN JOUVENEL

 

PRÉVÔT DES MARCHANDS DE LA VILLE DE PARIS (1360-1431)

CHAPITRE VIII. — MORT DE LOUIS XIII. RENTRÉE DE MADAME DE CHEVREUSE.

THÈSE DOCTORALE À LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS

PARIS - HONORÉ CHAMPION - 1894

 

AVANT-PROPOS.

CHAPITRE PREMIER. — L'origine des Jouvenel.

CHAPITRE II. — Les premières années de Jean Jouvenel.

CHAPITRE III. — Les débuts de Jouvenel à Paris.

CHAPITRE IV. — Jouvenel prévôt des marchands de Paris, première partie, 1389-1392.

CHAPITRE V. — Jouvenel prévôt des marchands de Paris, deuxième partie, 1392-1400.

CHAPITRE VI. — Jouvenel avocat général du roi au parlement, 1400-1406.

CHAPITRE VII. — Jouvenel avocat général du roi au parlement, 1406-1413.

CHAPITRE VIII. — L'émeute cabochienne, 1413.

CHAPITRE IX. — La rentrée des Bourguignons dans Paris, 1418.

CHAPITRE X. — Jouvenel président au parlement de Poitiers, sa mort, 1431.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

AVANT-PROPOS

 

La vie de Jean Jouvenel, a dit Pasquier, seroit digne d'une histoire particulière pour nous induire tous à bien faire[1].

Jouvenel peut être, en effet, considéré comme une des premières en date de ces figures parlementaires qui ont été l'honneur de l'ancienne magistrature française. Sa droiture, son courage au milieu des luttes politiques sanglantes de son temps, en font l’ancêtre de tous les présidents et conseillers qui, plus tard, dans les époques troublées du XVIe et du XVIIe siècle, excitèrent l'admiration de leurs contemporains par la fermeté avec laquelle ils défendirent la tradition du droit et de la modération. A travers les documents, trop peu nombreux, qui nous donnent, comme par fragments, les détails de ce que fut sa vie, ses traits semblent d'abord nous apparaître arrêtés dans cette impassibilité du magistrat intègre, rigoureux pour lui et pour les autres, presque dur et étroit. Il avouait qu'il était d'un caractère entier pour tout ce qui touchait à l'honneur, et un jour que, dans une affaire où ses propres intérêts étaient gravement engagés, on lui recommandait d'être facile et de dissimuler, il répondait que pareille chose lui était impossible et que il l’eust falu reffondre, car sa condition estoit telle.

Cette dignité sans reproche, cette haute conception de la vertu jointe au dévouement avec lequel, dans toute la simplicité d'un cœur droit, il s'exposait aux derniers périls pour accomplir son devoir — plus même que son devoir — font de Jouvenel un de ces sages preud'hommes et zélateurs du bien public dont Montaigne dit de leurs belles âmes qu'elles sont frappées à l'antique marque. A une époque du genre de celle de Charles VI où les caractères élevés sont si rares, un personnage comme Jouvenel paraît grandir à proportion de la taille des hommes qui l'environnent.

Mais il était aussi modeste et bon. Il avait su se faire aimer de ceux qui avaient affaire à lui, par de rares qualités de bienveillance. Sa famille, très nombreuse, fut un véritable modèle d'union ; ses fils le vénéraient. Prévôt des marchands, il eut la faveur populaire ; avocat général, l'estime des magistrats du Parlement ; homme politique, l’affection de Charles VI et la confiance des membres de la famille royale.

Michelet a remarqué dans son Tableau de la France que les Champenois — Jouvenel était Champenois — se distinguent des autres Français par la naïveté et la malignité. Naïf, Jouvenel n'est pas sans l'être quelque peu. Mais la malignité, dans le sens d'esprit railleur, il semble l'avoir échangée contre la qualité principale d'une toute autre race que la sienne ; il s'est montré, en effet, d'une si singulière application à tout ce qui concernait sa propre fortune ; il l'a accrue peu à peu avec une ténacité telle et en soutenant, ou en intentant un si grand nombre de procès, qu'on peut dire qu'il a remplacé cette malignité champenoise qu'il n'avait pas — il ne riait jamais — par la chicane normande. Ajoutons que, s'il parvint de la sorte à posséder d'assez beaux revenus, ce détail ne doit pas être de nature à lui faire encourir le reproche d'âpreté intéressée, car il sut, guidé par un touchant sentiment, ne pas hésiter à se ruiner, lui et les siens, et abandonner aux Anglais tout ce qu'il possédait, pour suivre, sur le chemin de Bourges, la précaire fortune de celui qui devait être le roi Charles VII.

Il y avait donc intérêt à réaliser le vœu de Pasquier et à mettre cette belle figure en lumière.

Sa biographie, d'ailleurs, n'était pas seulement attachante par les mérites du personnage lui-même, elle offrait encore l'occasion de suivre, avec tout le détail que peuvent donner les textes, l'existence d'un homme public au XVe siècle. Elle permettait de décrire de près les troubles politiques d'une partie du règne de Charles VI, et, chemin faisant, de nous initier, avec quelque précision, à bon nombre d'institutions de cette époque.

Nous avons, pour écrire la vie de Jouvenel, réuni tous les documents qu'il nous a été possible de rencontrer. On sait, lorsqu'il s'agit d'un sujet presque exclusivement parisien, combien la chose est malaisée depuis la disparition des archives communales de Paris. Pour les faits d'histoire générale dans lesquels Jouvenel a eu à jouer un rôle, nous nous sommes appliqué à les raconter aussi succinctement qu'il était possible de le faire, afin de rendre la suite des événements intelligible et d'expliquer les actes de notre personnage. Sur ces actes mêmes nous avons fait effort pour mettre Jean Jouvenel à la place exacte de l'histoire, qu'il a dû occuper, et nous nous sommes défendu contre l'entraînement de le rendre plus important qu'il ne fut.

Ainsi, nous avons tâché d'être précis et vrai.

Nous avouons n'avoir pas cherché à faire une œuvre plus ample, d'abord parce qu'un scrupule empêche le critique de dessiner un portrait à franche allure de Jouvenel : — Juvénal des Ursins, en effet, qui est la principale source de l'histoire de son père, ne dit assurément que des choses arrivées, mais on le devine trop fier de Jouvenel pour ne pas redouter qu'il n'ait, en plus d'un point, non pas précisément altéré la vérité, mais grossi un incident et forcé les traits ; — et, en second lieu, parce que notre préférence personnelle va plutôt à ceux qui, dans les recherches historiques, se persuadent que l’histoire est une science exacte, qu'elle doit se défier de tout ce qui tendrait, sous couleur d'exposition littéraire, à substituer aux faits précis donnés par les documents une interprétation subjective qui vaudrait ce que vaudrait l'imagination de l'auteur ; que par là, sans doute, elle peut perdre tout charme, mais qu'elle gagne en certitude et en impersonnalité, et que l'impersonnalité est la condition essentielle du progrès de la vérité historique.

 

L. B.

 

 

 



[1] Recherches de la France, t. I, p. 653.