JEAN JOUVENEL

 

CHAPITRE VIII. — L'ÉMEUTE CABOCHIENNE, 1413.

 

 

La guerre civile des Armagnacs et des Bourguignons avait définitivement éclaté ; le roi et le royaume étaient l'enjeu de la partie. Au milieu des troubles qui vont se succéder sans interruption, les esprits modérés fondaient quelque espoir sur le fils aîné du roi, le dauphin Louis, duc de Guyenne. Celui-ci, en effet, va chercher à jouer un rôle ; mais on ne pouvait rien attendre d'un jeune homme de seize ans, inconstant et frivole, déjà affaibli par les excès.

Le 22 août 1412, avait été conclue à Auxerre une trêve entre Jean sans Peur et les princes d'Orléans[1]. Le dauphin, qui présidait à la conclusion de la paix, avait pensé qu'il en pourrait profiter pour rester maître du pouvoir, lui, ou plutôt les conseillers ambitieux qui le conduisaient. Ce fut le duc de Bourgogne qui eut tout le bénéfice ; le gouvernement resta entre ses mains.

Au bout de quelque temps, le dauphin se trouva si mortifié de sa déconvenue qu'un jour il quitta Paris brusquement, alla se réfugier dans le château de Melun, y appela le duc d'Orléans, fils du prince assassiné, lui fit le meilleur accueil, et ainsi prépara un centre d'action contre Jean sans Peur. Paris avait pour prévôt à ce moment un personnage fort peu recommandable par ses dilapidations, ses fourberies et ses trahisons, Pierre des Essarts. Le duc de Bourgogne comptait sur lui ; celui-ci traitait sous main avec la cour de Melun.

Se sentant menacé, Jean sans Peur voulut s'appuyer sur le peuple. Il convoqua d'abord des États généraux à Paris pour le début de l'année 1413[2]. Cette assemblée se réunit, elle était en majorité bourguignonne. Sur l'ordre du duc, un carme, Eustache de Pavilly, prit la parole et dans un long discours attaqua le dauphin, les ducs d'Orléans et dénonça le prévôt Pierre des Essarts, dont la trahison venait d'être découverte[3].

Le lendemain, Pierre des Essarts prit la fuite et alla se réfugier dans la ville de Cherbourg dont il était capitaine.

Puis le duc de Bourgogne fit exciter le peuple de Paris. C'était une grande ressource, mais singulièrement dangereuse. Jean sans Peur était et avait toujours été populaire auprès des Parisiens. Cette faveur, du reste, s'expliquait. Pendant que le défunt duc d'Orléans, sans grand apanage, sans écu ni maille, passait son temps à lever des impôts pour payer ses prodigalités, et à provoquer la haine commune par ses exactions, le duc de Bourgogne plus économe, et d'ailleurs largement rente par ses opulents pays de Flandre, s'élevait contre ces contributions, les supprimait lorsqu'il en avait le moyen, et prêchait au peuple qu'il ne devait rien payer. A une époque où l'impôt était pour les pauvres gens la plus grosse affaire du temps, il n'en fallait pas davantage pour obtenir leur faveur.

La partie la plus active, la plus riche et la plus puissante du peuple de Paris, se trouvait au centre même de la ville, groupée autour de l'église de Saint-Jacques-la-Boucherie. Il y avait là un certain nombre de gros bouchers, fortunés, florissants, dont dépendaient toute une tourbe de tueurs de bêtes, d'écorcheurs, de tripiers. C'était une population robuste, habituée à manier le couteau et la massue, faite au sang, compacte et violente[4]. Le duc de Bourgogne trouva là une armée prête à l'action.

Au fond, les bouchers étaient-ils bien pour Jean sans Peur ? C'est une question. A ce moment, en Europe, où la royauté semble partout s'éclipser, où le roi de France est fou, l'empereur Wenceslas ivre, la papauté brisée en deux pontifes qui s'excommunient, où, en Angleterre, Lancastre renverse Richard II, il semble que les peuples éprouvent le besoin de faire sentir qu'ils existent : ce sont les Cabochiens à Paris, les Chaperons blancs en Flandre, les Ciompi à Florence. Plus vraisemblablement, il faut reconnaître dans ce que le parti des bouchers a eu de meilleur des individus de bonne foi qui, lassés de voir les princes se disputer sur leur dos et à leurs dépens, se sont mis d'accord pour les jeter dehors et faire leurs affaires tout seuls. Malheureusement, il y a dans tout parti foison de méchantes gens. Ce sont les modérés qui commencent le mouvement ; ce sont ceux-ci qui le terminent, ou plutôt le mènent on ne sait où.

Le duc de Bourgogne faisait agir ses émissaires : l'agitation gagnait autour de Saint-Jacques. En l'absence de tout pouvoir régulier, et avec la connivence tacite de Jean sans Peur, les bouchers parlaient en maîtres, délibéraient, s'imposaient. Leurs violences commençaient à effrayer les bourgeois paisibles. Les choses en vinrent à un tel point que Jouvenel prit la résolution assez hardie d'aller trouver le duc de Bourgogne pour appeler son attention sur le danger que présentait cette excitation des esprits, et le prier d'user de son autorité pour y mettre bon ordre. Il avait été, du reste, fortement poussé à cette démarche par plusieurs seigneurs tant de la Conté que de la duché de Bourgongne, ses parents, lesquels l'aimoient bien et en luy avoient fiance.

Il dut se présenter plusieurs fois à l'hôtel d'Artois avant d'être reçu. Un soir pourtant, Jean sans Peur finit par lui donner audience, et l'écouta. Jouvenel lui parla de la mort du duc d'Orléans et lui dit qu'il avait tort de se vanter de ce meurtre, à quoi le duc se borna à répondre qu'il ne cuidoit point avoir failly et qu'il ne le confesseroit jamais. Puis, abordant la question des bouchers, l'avocat général osa dire au prince que ce n'estoit point son honneur. Le duc répliqua qu'il falloit qu'il se fit et qu'il n'en seroit autre chose. La conversation en resta là[5].

Jean sans Peur ne pouvait répondre autrement. Au fond, il était mené par les événements plus qu'il ne les conduisait.

Sur ces entrefaites, Pierre des Essarts revint tout à coup de Cherbourg, se jeta dans la Bastille, en ferma les portes et arma. Ce fut le signal ; le mouvement populaire éclata. Les bouchers auxquels on donna le surnom de Cabochiens, d'un de leurs chefs, Caboche, forment immédiatement une colonne de 3.000 hommes et marchent sur la Bastille. En même temps, une foule de vingt mille individus, dirigée par l'échevin Jean de Troyes, un vieux chirurgien, entourait le Louvre, où se trouvait le duc de Guyenne, avec l'intention affirmée hautement d'en finir avec les conseillers du jeune dauphin, qui étaient cause, proclamait-on, de tout le mal que le peuple souffrait.

Le dauphin parut à une fenêtre et demanda ce que le peuple voulait. Jean de Troyes répondit qu'on voulait le débarrasser de conseillers perfides qui, en favorisant ses débauches, le rendraient à bref délai incapable de régner. Le chancelier du duc de Guyenne demanda quelles étaient les personnes dont on parlait. Jean de Troyes lui fit porter une liste de cinquante officiers du dauphin, en tête desquels figurait le chancelier lui-même. Le duc de Guyenne, outré de colère, ne répondit rien et rentra dans ses appartements.

Aussitôt la foule s'élança ; elle enfonça les portes, brisa tout ce qui s'opposa à son passage, se répandit dans le palais, et arrêta le duc de Bar, cousin du roi, le chancelier de Guyenne, de Vailly, Jacques de la Rivière, chambellan, Jean d'Angennes et Jean de Boissay, Gilles et Michel de Vitry, les beaux-frères de Jouvenel, tous deux valets de chambre du duc de Guyenne. Michel de Vitry fut arraché aux bras de la duchesse de Guyenne qui voulait le sauver.

Pendant ce temps, à la Bastille, Pierre des Essarts, assiégé, finissait par se rendre, sur le conseil du duc de Bourgogne, qui lui assurait qu'on ne lui ferait aucun mal, et il était immédiatement incarcéré dans un cachot du grand Châtelet[6].

Ces événements firent une grande impression dans Paris. Les gens de l'université et du parlement furent indignés surtout de voir ainsi l'autorité sans force, et tout le pouvoir passer entre les mains d'individus pauvres et de rien qui ne reculaient devant aucune extrémité. On devait s'attendre aux pires extrémités.

Eustache de Pavilly réunit en secret, aux Carmes de Vaugirard, un certain nombre de personnes, magistrats et universitaires, pour s'entretenir des faits qui venaient de se produire, et examiner le parti que l'on pourrait bien prendre. La réunion eut lieu dans sa chambre. Jouvenel avait été convoqué ; on savait qu'il estoit bien notable homme et qui avoit eu le gouvernement de la ville de Paris longtemps et avoit toujours monstre de [tout] son pouvoir avoir amour au roy et au royaume et à la chose publique. On causa, on délibéra, et parlèrent de choses anciennes ; ils conclurent que toutes les choses qu'on faisoit et le gouvernement tel qu'il estoit pouvoit signifier mutation de seigneurie au royaume, et par ce moyen le roy d'Angleterre, qui prétendoit à avoir droict au royaume de France, y pourroit parvenir et que les choses estoient bien dangereuses et périlleuses. L'un des assistants observa qu'il avait lu dans plusieurs histoires que le royaume de France avait été prospère toutes les fois que les papes et les rois avaient vécu en parfaite union, mais tout ce qui se voyait présentement était assurément l'effet des excommunications de Boniface VIII et de Benoît XIII. Jouvenel fut d'avis que le seul moyen de mettre un terme aux troubles qui désolaient la ville et allaient encore augmenter, était de trouver une bonne paix ferme entre les seigneurs et que chacun y devoit travailler. Mais il s'éleva surtout contre ceux qui avaient signé des traités avec les Anglais ; il demanda que ces traités fussent rompus et mis à néant . Il ne s'agissait pas seulement, dans cette allusion, du duc de Bourgogne qui avait été à Calais et en avait ramené le comte d'Arondel, preuve d'une entente suspecte, mais aussi des Armagnacs, nom nouveau du parti d'Orléans, qui avaient fait venir le duc de Clarence. Jouvenel se doutoit que telles choses, jointes les divisions, ne donnassent courage aux ennemis d'entreprendre sur le royaume. Toutes les personnes présentes estimèrent que le droit remède estoit d'entendre à bonne paix. On se sépara là-dessus sans autrement conclure ; et, d'ailleurs, Eustache de Pavilly était, au fond, du parti de Bourgogne. On ne pouvait rien faire en sa compagnie[7].

Les incidents suivaient leur cours ; l'émeute, car c'était une véritable émeute, triomphait. Le cabochien Jacqueville avait été fait capitaine de Paris, Denisot de Chaumont commandait le pont de Saint-Cloud, toutes créatures des bouchers, Caboche celui de Charenton. Ceux qui le pouvaient, s'en allaient, prenaient la fuite[8]. On avait mis la main sur plus de soixante bourgeois des plus notables de la ville[9] et un jour que Jacqueville était allé voir la Rivière dans sa prison, il s'était pris de querelle avec le prisonnier et d'un coup de hachette l'avait assommé[10]. Le chancelier Arnaud de Corbie avait été destitué comme suspect de n'être pas favorable aux Cabochiens ; on avait mis à sa place un homme plus complaisant, Eustache de Laître.

Le mouvement populaire échappait aux maîtres bouchers, à ces honnêtes seigneurs héréditaires des étaux de la grande boucherie et de la boucherie Sainte-Geneviève, à ces gens rangés, dévots même qui, comme le boucher Alain, achetaient une lucarne pour voir la messe de chez eux ; ou, comme le boucher Haussecul, obtenaient une clef de Saint-Jacques pour y faire à toute heure leurs dévotions[11]. Il était entre les mains de leur armée de valets, garçons, tueurs, écorcheurs, assommeurs, gens brutaux et terribles.

Il leur fallait de l'argent. Ils en prirent à ceux qui en avaient, magistrats du parlement, marchands, bourgeois ; on appelait l'homme désigné ; on lui disait qu'il fallait sur le champ prêter telle ou telle somme ; s'il refusait, on le jetait en prison, et on mettait dans sa maison force sergents à nourrir, jusqu'à ce, qu'il eût capitulé et porté son or[12].

Jouvenel reçut Tordre de donner deux mille écus ; il répondit qu'il ne donnerait rien. Les meneurs commandèrent aussitôt de s'emparer de sa personne et de le conduire dans un cachot du petit Châtelet. Jouvenel fît observer qu'étant avocat général il ne pouvait être traduit que devant le parlement ; on ne l'écouta pas. On le conduisit en prison et on le contraignit à livrer une partie de la somme avec promesse de payer le reste à une époque fixée, puis on le relâcha[13].

Le désordre croissait. Les émeutiers avaient quitté les couleurs de Bourgogne pour prendre en signe de ralliement à eux un chaperon blanc, et ils avaient obligé Jean sans Peur à adopter leur couleur. Pierre des Essarts avait été tiré de sa prison, jugé, condamné, exécuté, sans que personne eût osé lui porter secours ; la hardiesse du peuple excité en était arrivée au point que, une nuit, entre onze heures et minuit, voyant qu'on dansait encore chez le duc de Guyenne, le capitaine Jacqueville était monté avec sa suite et avait signifié qu'il fallait que ces scandales prissent fin. Un seigneur du dauphin, la Trimouille, répondit qu'en vérité c'était là une démarche bien hautaine et impertinente. La Trimouille et Jacqueville se prirent de querelle. Le dauphin, hors de lui, tira une petite dague qu'il portait à sa ceinture et en donna trois coups dans la poitrine du capitaine cabochien. Celui-ci n'eut aucun mal, il avait bon haubergeon dessous sa robe. Le lendemain, les cabochiens seraient allés tuer chez lui la Trimouille ; le duc de Bourgogne s'interposa. Le duc de Guyenne fut si impressionné de cette scène qu'il en fut malade trois jours et cracha le sang[14].

Les choses ne pouvaient durer en cet état ; il n'y avait qu'un moyen d'y mettre un terme, c'était de faire la paix entre les seigneurs. Les Armagnacs ne demandaient pas mieux, ils rentraient dans Paris ; Jean sans Peur, déconsidéré par les excès de ses alliés, et, d'ailleurs, se voyant débordé par eux, ne pouvait s'opposer à un rapprochement. Des colloques eurent lieu à Verneuil.

La nouvelle produisit un effet désagréable sur les Cabochiens. La paix faite, tout le monde allait se retourner contre eux, c'était la fin de leur puissance et sans doute aussi le signal des expiations. Les meneurs entreprirent de tout faire pour s'opposer à la conclusion de cette paix. Ils redoublèrent de violence, mais il était trop tard ; le terme de leur domination approchait.

Ce fut Jouvenel qui se trouva être en partie l'auteur de leur défaite.

Il suivait depuis longtemps avec chagrin le désordre dans lequel était tombé le gouvernement du royaume ; souvent il allait voir le duc de Berry, qui demeurait au cloître Notre-Dame[15], chez un docteur en médecine, nommé maître Simon Allegret, et il s'entretenait avec lui des malheurs du temps. Le duc se désolait : Serons-nous toujours en ce poinct que ces méchantes gens ayent autorité et domination ? disait-il. Ayez espérance en Dieu, répondait Jouvenel, car en brief temps vous les verrez destruits et venus en grande confusion.

Une nuit il sembla à Jouvenel, vers le point du jour, entendre une voix qui lui disait : Surgite cum sederitis qui manducatis panem doloris. La même phrase lui fut répétée trois nuits de suite. Et un matin, madame sa femme, qui estoit une bonne et dévote dame, luy dit : Mon amy et mary, j'ay ouy au matin que vous disiez ou qu'on vous disoit ces mots contenus en mes Heures, où il y a : Surgite cum sederitis qui manducatis panem doloris. Qu'est-ce à dire ? Et le bon seigneur [de Trainel] lui respondit : Ma mie, nous avons onze enfants et est bien mestier que nous prions Dieu qu'il nous doint bonne paix et ayons espérance en luy et il nous aidera.

Jouvenel se demandait comment il ferait pour s'employer à arrêter le désordre. Or, tous le jours ne pensoit, ne imaginoit que la manière comme il pourroit faire et délibéra d'y remédier... Et estoit en grand soucy comme il pourroit scavoir si aucuns de la ville seroient avec luy et de son imagination : car il n'ozoit découvrir à personne, combien que plusieurs de Paris, des plus grands et moyens, estoient de sa volonté.

Le hasard le servit heureusement. Il y avait dans la Cité deux drapiers, quarteniers de la ville, nommés Etienne d'Ancenne et Gervaisot de Merilles. C'étaient deux braves gens, honnêtes, pacifiques qui partageaient l'opinion de tous les modérés et déploraient la domination des Cabochiens. Ils se rencontrèrent un jour chez le duc de Berry avec Jouvenel et la conversation, qui porta naturellement sur les événements, leur fit connaître mutuellement l'identité de leur manière de voir. Ils étaient d'accord ; immédiatement ils s'entendirent et conclurent qu'ils vivroient et mourroient ensemble et exposeroient corps et biens à rompre les entreprises desdits bouchers et de leurs alliez et rompre leur faict[16].

C'étaient deux hommes importants que deux quarteniers. Il y en avait un à la tête de chaque quartier, il était le chef du quartier, il représentait l'autorité de la ville vis-à-vis des habitants, et les bourgeois vis-à-vis de l'autorité[17] ; lorsque les habitants s'armaient, le quartenier devenait le capitaine de son quartier ; en temps ordinaire, il assurait l'ordre dans les rues sur lesquelles il avait autorité. Sous sa dépendance étaient des cinquanteniers et des dizainiers plus en rapport avec les habitants, et qui transmettaient ses instructions. En cas d'armement, le cinquantenier commandait cinquante hommes, et le dizainier dix[18]. On juge de l'influence que pouvait avoir ce quartenier sur des bourgeois qu'il connaissait tous, dont il était l'élu, qui avaient confiance en lui, et sur lesquels il exerçait un pouvoir considérable[19].

En s'associant avec Etienne d'Ancenne et Gervaisot de Merilles, Jouvenel savait sur quelle force il s'appuyait ; il ne doutait pas que ces deux hommes n'eussent derrière eux leurs bourgeois, et que ceux-ci ne pensassent comme leurs chefs. Et, en effet, les deux quarteniers qui souvent conversoient avec leurs... dizeniers... sentoient bien par leurs paroles qu'ils estoient bien mal contens des Cabochiens.

Restait à trouver le moyen d'entrer en action. Les événements le fournirent d'eux-mêmes.

L'idée de la paix entre les seigneurs avait fait son chemin ; elle était presque réalisée. Le gouvernement avait envoyé à Pont-de-l'Arche, où étaient les princes, pour les supplier, au nom du roi, de hâter leur entente définitive ; les princes avaient manifesté la ferme intention d'en finir[20].

Les Cabochiens furent exaspérés. Ils sentaient que le peuple fatigué les abandonnait et grommeloit fort. En réalité, la colère de la population était vive contre les émeutiers[21]. La réprobation que soulevait l'émeute était unanime.

Les bouchers cherchèrent à réagir, et, en même temps, à discréditer la paix auprès des Parisiens. Ils firent courir de méchants bruits ; ils voulurent faire croire que, si les seigneurs s'accordaient, c'est qu'ils avaient l'intention de destruire la ville et faire tuer des plus grands et prendre leurs femmes et les faire épouser à leurs valets et serviteurs et plusieurs autres langages non véritables. Personne n'y ajouta foi[22].

Pendant ce temps, la paix était signée à Pontoise dans le courant de juillet 1413[23].

Le 1er août, qui était un mardi, on devait donner lecture solennelle des articles de la paix devant le roi, le duc de Guyenne et une foule de seigneurs. Les bouchers, en tête desquels marchaient Caboche, Jean de Troyes, Saint-Yon, Legoix envahirent tumultueusement l'hôtel Saint-Paul et déclarèrent qu'ils voulaient voir les articles, qu'ils avaient l'intention d'assembler le peuple de Paris, afin d'en délibérer, et que la chose leur touchoit grandement. Cette prétention de ne vouloir accepter la paix qu'autant qu'ils l'auraient examinée et votée déplut extrêmement à l'entourage de Charles VI : c'était le comble de la tyrannie odieuse et insolente. Il fut répondu aux Cabochiens que le roy vouloit paix et qu'ils entendroient lire les articles s'ils vouloient, mais qu'ils n'en auroient aucune copie[24].

Le mercredi matin, 2 août, les Cabochiens convoquèrent une grande assemblée à la place de Grève : il y vint bien un millier de personnes. Jean de Troyes s'était procuré le texte du traité ; il s'agissait maintenant de provoquer un mouvement du peuple contre cette paix. En concentrant tout leur parti, en place de Grève, car ce parti, comme celui des violents, n'était pas nombreux, ils espéraient donner l'illusion du sentiment populaire tout entier. Malheureusement pour eux, un certain nombre de modérés s'étaient donné le mot pour venir assister à la réunion ; et l'un d'eux, un avocat nommé Jean Rapiot, bien notable homme qui avoit belle parole et haute, demanda à parler le premier. Jouvenel n'était pas là ; il était retenu au parlement, où avait lieu ce jour-là, comme à l'université, une grande assemblée pour discuter et approuver la paix[25]. Rapiot soutint que la paix était excellente, que tout le monde la voulait. Les Cabochiens ripostèrent vivement qu'il estoit bon que, préalablement, voire nécessaire, qu'on monstrast aux seigneurs d'Orléans, Bourbon et Alençon et à leurs alliez, les mauvaistiez et trahisons qu'ils avoient faict ou voulu faire, afin qu'ils cogneussent quelle grâce on leur faisoit d'avoir paix avec eux. Ils réclamèrent la lecture à haute voix des articles de la paix ; Jean de Troyes tenait à la main une feuille de papier et il se disposait à lire.

Mais tout à coup un de la ville demanda la parole et, faisant ressortir que la matière étoit haute et grande, proposa de ne point discuter la paix en place de Grève, en assemblée générale, où il y avait trop de monde, ce qui nuisait à la clarté de la discussion et empêchait qu'elle ne fût approfondie, et où d'ailleurs le peuple entier ne se trouvait pas, mais de la faire examiner séparément dans chaque quartier sous la forme ordinaire, c'est-à-dire dans des réunions des bourgeois convoqués et présidés par les quarteniers. Les modérés qui étaient dans l'assistance appuyèrent immédiatement en criant : Par les quartiers, par les quartiers ! La foule, un instant indécise, finit par suivre le mouvement et à crier : Par les quartiers ! elle tombait dans le piège. Il était évident, en effet, que, si les bouchers pouvaient espérer quelque succès en concentrant leurs forces sur la place de Grève, ils étaient sûrs d'être battus du moment où ils se dispersaient et qu'ils laissaient aux habitants des quartiers, c'est-à-dire à la majorité, le soin de discuter l'affaire. Dans les discussions calmes de chaque quartier, les modérés reprendraient leur autorité et les autres bourgeois suivraient.

Aussi Caboche et les siens firent tout se qu'ils purent pour arrêter cette proposition. Saint-Yon, qui estoit armé et au bout du grand banc, répondit qu'on ne pouvait pas retarder la délibération, fût-ce au lendemain, qu'il le falloit faire promptement et que la chose estoit hastive. Mais l'assemblée était engagée dans sa nouvelle voie, elle cria de plus belle : Par les quartiers ! Le terrain se dérobait sous les meneurs. Legoix fit entendre avec colère que quiconque le voulust voir, il se feroit promptement audit lieu. Alors un charpentier-huchier du cimetière Saint-Jean, Guillaume Cirasse, qui était échevin et quartenier du quartier de la place Baudoyer, prit la parole et montrant que la plus grande partie estoit d'opinion que il se fist par les quartiers, conclut qu'il fallait renvoyer la délibération aux quartiers. Furieux, les bouchers l'entourèrent, le menaçant, l'injuriant ; Saint-Yon et Legoix lui dirent que malgré son visage la discussion aurait lieu sur-le-champ. Cirasse riposta avec énergie qu'elle aurait lieu dans les quartiers, et que, si les Cabochiens le vouloient empescher, il y avoit à Paris autant de frappeurs de cognées que de assommeurs de bœufs ou vaches. La partie était perdue pour Caboche et les siens, la foule se retirait, convoquée dans ses quartiers pour le lendemain jeudi.

Le jeudi au matin, Jean de Troyes, qui était concierge du palais[26], fît rapidement réunir l'assemblée de quartier de la Cité ; il allait chercher à la diriger. Ce jour-là encore, le parlement était réuni en conseil pour discuter de la paix ; Jouvenel s'y trouvait[27]. Etienne d'Ancenne et Gervaisot de Mérilles le firent sur-le-champ prévenir de la convocation soudaine des bourgeois de la Cité et de l'attitude de Jean de Troyes ; on se rappelle que Jouvenel, qui habitait rue Glatigny, appartenait à ce quartier. Sans retard, l'avocat général quitta le parlement et vint rejoindre les deux quarteniers.

L'assemblée de la Cité se tenait au cloître Saint-Eloi. Lorsque Jouvenel arriva, Jean de Troyes parlait déjà ; il tenait en main une lettre qui énumérait tous les motifs que les Cabochiens avaient de redouter la rentrée des princes à Paris, les menaces contre la ville qu'on prêtait à ceux-ci, leurs prétendus projets de décimer les bourgeois, de les humilier. L'orateur commentait cette épître sous le prétexte de proposer qu'on la portât au roi pour toute réponse à la demande d'approbation de la paix. A la vue de Jouvenel, il fut fort contrarié, connaissant l'éloquence et l'autorité de l'avocat général. Il lui fit cependant bon accueil, lui dit qu'il fust le très bien venu et qu'il estoit bien joyeux de sa venue. Puis, un peu troublé, il relut la lettre qu'il tenait à la main et demanda audit seigneur de Traignel qu'il luy en sembloit, et s'il n'estoit pas bon qu'on la monstrast au roy et à ceux de son conseil avant qu'on ac-cordast aucunement les articles de la paix. Jouvenel répondit avec fermeté qu'il luy sembloit que, puisqu'il plaisoit au roy que toutes les choses qui avoient esté dites ou faites au temps passé fussent oubliées et abolies tant d'un costé que d'autre, sans que jamais en fust faite mention, que rien ne se devoit plus ramentevoir ; et que les choses contenues en ladite cedule estoient toutes séditieuses et taillées d'empescher le traité de paix, laquelle le peuple devoit désirer.

L'assistance approuva bruyamment Jouvenel ; on cria qu'il disoit bien et qu'il falloit avoir paix, qu'on devoit deschirer ladite cedule que tenoit ledit de Troyes, et en effet on arracha la lettre des mains de Jean de Troyes et on la déchira en morceaux. Un seul mot dominait le tumulte : la paix, la paix ; il fut jugé inutile de continuer la réunion, celle-ci avait donné son avis.

On apprit rapidement dans Paris les incidents qui s'étaient produits à l'assemblée de la Cité. Tous les quartiers suivirent l'exemple ; dans tous, sauf deux, celui des Halles et de l'hôtel d'Artois, qu'habitait Jean sans Peur, les bourgeois se séparèrent aux cris de vive la paix !

Jouvenel était demeuré en permanence à la Cité avec ses quarteniers et une trentaine de bourgeois. Vers la fin de la matinée, lorsqu'on eut apporté le résultat de toutes les réunions de quartier, il fut décidé qu'on agirait sans perdre de temps. Jouvenel, escorté de ce groupe, se mit en marche pour aller trouver le roi à l'hôtel Saint-Paul, lui faire connaître la décision des bourgeois, et par là, en regard des Cabochiens, constituer de fait un parti actif et résolu de Parisiens. Sur la route, cette petite troupe se grossit d'une foule de bourgeois qui suivirent. On trouva le roi à son hôtel ; le duc de Bourgogne était avec lui. Jouvenel exposa l'objet de sa démarche en monstrant les maux qui estoient advenus par les divisions et que la paix estoit nécessaire ; et luy supplioient ses bons bourgeois de Paris qu'il voulust tellement entendre et faire que bonne paix et ferme fust faite et pour parvenir à ce qu'il en voulust, charger Monseigneur de Guyenne, son fils.

Le roi remercia Jouvenel en lui disant que sa requeste estoit raisonnable, et que c'estoit bien raison que ainsi fust fait. Tout le monde était fort content que les choses prissent cette tournure, et qu'aux lieu et place des violents Cabochiens, de bonnes gens vinssent assurer le roi des sentiments pacifiques du peuple de Paris. Le duc de Bourgogne en fut contrarié, il ne put s'empêcher de dire d'un ton de mauvaise humeur : Jouvenel, Jouvenel, entendez-vous bien, ce n'est pas la manière de venir ainsi. Mais Jouvenel lui répondit que autrement on ne pouvoit venir à conclusion de paix.

De là Jouvenel, toujours suivi d'une foule qui croissait sans cesse, se rendit chez le dauphin. Le dauphin parut à une fenêtre du Louvre. On lui répéta ce qui avait été dit au roi, il se hâta d'approuver vivement. On lui demanda d'exiger du duc de Bourgogne la remise des clefs de la Bastille, ce qu'il fit ; Jean sans Peur dut s'exécuter. Puis, afin de manifester publiquement l'ordre nouveau qui s'établissait, le dauphin fut prié de monter à cheval le lendemain vendredi et de chevaucher par la ville de Paris. Il dit qu'il le ferait.

La foule se sépara. Les gens de la Cité suivirent Jouvenel ; ceux du cimetière Saint-Jean, Guillaume Cirasse ; ceux de Saint-Germain-l'Auxerrois, Pierre Oger ; et ceux de Sainte-Opportune, Etienne de Bonpuis.

Le lendemain, au matin, Jouvenel alla entendre la messe à la petite église de la Madeleine qui était tout près de sa maison. Le duc de Berry l'envoya chercher et lui demanda ce qu'il comptait faire, et ce que lui, duc, pourrait bien faire de son côté pour l'aider. Jouvenel répondit : Monseigneur, passez la rivière et faites mener vos chevaux autour et allez à l'hostel de Monseigneur de Guyenne et luy dites qu'il monte à cheval et s'en vienne au long de la rue de Saint-Antoine vers le Louvre et il délivrera Messeigneurs les ducs de Bavière et de Bar. Et ne vous souciez, car aujourd'huy j'ay espérance en Dieu que tout se portera bien et que serez paisible capitaine de Paris ; j'iroy avec les autres et nous rendrons tous à Monseigneur le dauphin et à vous.

On apprit que les Cabochiens, se sentant perdus, s'étaient concentrés sur la place de Grève en armes, au nombre de mille à douze cents ; Jouvenel fut d'avis, après avoir réuni son monde de la Cité, d'aller rejoindre les gens du quartier de Saint-Germain-l'Auxerrois que groupait Pierre Oger ; réunis, on serait plus fort. Le mouvement s'exécuta. Avec les gens de Saint-Germain-TAuxerrois, on marcha alors vers la place de Grève. Les Cabochiens ne résistèrent pas, se laissèrent traverser par la foule. L'un d'eux, Laurent Gallot, neveu de Jean de Troyes, arrêta par la bride de son cheval Jean, le fils aîné de Jouvenel qui suivait son père[28], et lui demanda ce qu'ils allaient faire : Suivez-nous, répondit Jean, et vous ne pourrez faillir. La foule, se dirigeant vers le pont Notre-Dame, prit le long de la rivière par le Châtelet ; elle allait au Louvre. Les Cabochiens, noyés dans tout ce peuple, s'étaient mis à suivre. A la hauteur de Saint-Germain-l'Auxerrois, un individu nommé Gervaisot Dyonnis, tapissier, qui avait quelque vieille rancune contre Jean de Troyes, l'apercevant, fondit sur lui, l'épée à la main, soutenu par quelques compagnons en criant : Hibaut, traistre, à ce coup je t'auray. Les Cabochiens, comprenant qu'ils n'étaient plus en sûreté glissèrent immédiatement, se faufilèrent, disparurent. On demanda à Jouvenel s'il fallait fermer les portes de la ville pour les arrêter. Jouvenel répondit : Qu'on laissast tout ouvert et s'en allast qui voudroit et qui voudroit demeurer demeurast et que on ne vouloit que paix et bon amour ensemble.

L'émeute cabochienne était terminée.

Le duc de Bourgogne inquiet aurait fait demandera Jouvenel s'il n'avait rien à craindre de ce nouveau mouvement populaire ; Jouvenel lui fît dire : Qu'ils mourroient tous avant que on luy fit desplaisir de sa personne.

On prit le dauphin, on revint à l'Hôtel de ville, on se rendit dans une des salles de l'Hôtel où se trouvaient le prévôt des marchands et les échevins. Le duc de Guyenne dit à Jouvenel : Jouvenel, dites ce que nous avons à faire comme je vous ay dit. L'avocat général montra en quelques mots les malheurs que venait de subir la ville, puis se tournant vers le prévôt des marchands, Andriet de Pernon, il lui dit qu'il estoit bon prud'homme, qu'on n'avait rien à lui reprocher, et qu'il garderait ses fonctions, mais que de ses quatre échevins il y avait deux cabochiens, Jean de Troyes et du Belloy, dont on ne voulait plus et qu'on nommait en leur place Guillaume Cirasse et Gervaisot de Morilles qui l'avaient si bien mérité ; que Monseigneur de Bcrry seroit capitaine de Paris, que Monseigneur de Guyenne prendroit la Bastille de sainct Antoine en sa main et y mettroit Monseigneur de Bavière, son oncle, pour son lieutenant, et le duc de Bar seroit capitaine du Louvre. Tanneguy du Châtel fut nommé prévôt de Paris.

Or est une chose merveilleuse que oncques après ladite mutation ne en icelle faisant, il n'y eut aucune personne frappée, prix ny pillée, ny oncques personne n'entra en maison. Toute l'après-midi on chevauchait librement par la ville et estoit le peuple tout resjouy. La réaction dans laquelle Jouvenel venait de jouer un rôle aussi important avait été pacifique.

Derrière les cabochiens, c'était le duc de Bourgogne, en définitive, qui était vaincu. Il tenta de prendre sa revanche et de détruire tout l'effet de la défaite des bouchers en ce qui concernait l'amoindrissement de sa propre autorité. Le dimanche matin, il vint trouver le roi ; il faisait fort beau, et Charles VI estoit comme en transes de sa maladie. Il lui proposa d'aller chasser à Vincennes ; le prince accepta. Le duc ne voulait ni plus ni moins que l'enlever. Dès que la chose fut connue dans Paris, Jouvenel fit monter à cheval une troupe de 4 à 500 bourgeois et les décida à courir sur Vincennes. A la porte Saint-Antoine, on rencontra le duc de Bavière que Jouvenel pria d'aller sans retard occuper le pont de Charenton avec 200 chevaux pour empêcher Jean sans Peur de fuir de ce côté. On arriva à Vincennes, on y trouva le roi, Jouvenel lui dit : Sire, venez-vous-en en vostre bonne ville de Paris, le temps est bien chaud pour vous tenir sur les champs. Le duc de Bourgogne repartit à Jouvenel que ce n'estoit pas la manière de faire telles choses et qu'il menoit le roy voler. L'avocat général se borna à répondre qu'il le menoit trop loin voler et qu'il voyoit bien que tous ses gens estoient housez et si avoit ses trompettes qui avoient leurs instruments es fourreaux. Charles VI ne fit pas difficulté de rentrer à Paris ; quant à Jean sans Peur, ayant perdu la partie, il s'en alla[29].

Comme conclusion de l'affaire, Jean de Troyes eut la tête tranchée aux Halles[30], Jean Caboche de même[31] ; leurs complices s'enfuirent en Flandre ou en Angleterre[32]. Charles VI écrivit le 10 septembre au roi de ce dernier pays, Henri V, pour lui demander de faire arrêter et de lui envoyer ces factieux[33]. Le premier président Henri de Marie fut nommé chancelier de France à la place d'Eustache de Laître, Arnaud de Corbie ayant refusé de reprendre les sceaux à cause de son grand âge[34].

Le lundi 7 août, Jouvenel qui n'était pas encore très sûr de la paix, vint demander au parlement en compagnie de J. le Bugle, procureur de la ville, et de Guillaume Cirasse, le nouvel échevin, que ce jour-là le parlement ne tînt pas séance, afin qu'on pût donner ses soins à la tranquillité publique. La cour décida comme il lui était demandé[35].

Quelle allait être la récompense de Jouvenel pour l'activité qu'il avait déployée dans tous ces événements et les services qu'il avait rendus à l'ordre public ?

Il était très estimé au parlement ; en toutes circonstances, il s'était montré le défenseur convaincu des privilèges de la cour. Quelques mois auparavant, en février de cette même année 1413, on avait à élire un procureur général. Le gouvernement mené par le duc de Bourgogne voulait nommer d'office à ces fonctions Jean Rapiot, l'avocat que nous avons plus haut ; le parlement protesta vivement, et ce fut Jouvenel qui fut chargé de transmettre au roi les réclamations de la cour en faveur de ses privilèges[36].

Aussi, le samedi 12 août, lorsqu'eut lieu au parlement l'élection d'un premier président, en remplacement du nouveau chancelier Henri de Marie, nous trouvons Jouvenel au nombre des trois magistrats qui obtiennent des voix au scrutin. Jouvenel d'ailleurs ne fut pas élu ; ce fut un des présidents, Raoul Mauger, qui passa avec 42 voix sur 61 votants. Lorsqu'il s'agit de nommer un président à la place de Raoul Mauger, Jouvenel obtint encore des suffrages. Ceci marque la place qu'il s'était faite dans le monde du parlement, et le cas qu'on faisait de lu[37].

La compensation ne se fît pas longtemps attendre, et, le 23 août, quelques jours après, Jouvenel était appelé à un poste de confiance exceptionnel auprès de l'héritier du trône, auprès du dauphin : il était nommé chancelier du duc de Guyenne. C'est même avant le 23 août qu'il dut être nommé, car ce jour est la date où fut élu en parlement le successeur de l'avocat général le chancelier céans... par voie de scrutins ou lieu de maistre J. Juvenel, naguères advocat du roy et à présent chancellier de Guyenne et a eu plus de voix de trop maistre Guillaume le Tur[38]...

 

 

 



[1] Religieux de S. Denis, t. IV, p. 708. Le Religieux de S. Denis (t. IV et V, liv. XXXIII et XXXIV) est avec Monstrelet (t. II, éd. Douet d'Arcq), et Juvénal des Ursins, la plus importante source à consulter pour l'affaire des Cabochiens. Il faut y joindre le récit de la chancellerie royale (lettres de Charles VI du 18 septembre 1413, au roi d'Angleterre, Rymer, Acta publica, t. IV, part. II, p. 46-48), Pierre Cochon, Guillaume Cousinot, le Rapport adressé au roi sur les doléances du clergé aux États généraux de 1413 (Bibl. de l'Éc. des Chartes, 1844-45, t. VI, p. 281), et la Correspondance entre le corps municipal de la ville de Paris et celui de la ville de Noyon en 1413 (Ibid., 1845-46, t. VII, p. 60.)

[2] Monstrelet, t. II, p. 307. Ces États furent très peu généraux ; il n'y vint presque personne, à peine quelques délégués des villes du centre. Il est vrai que les chemins étaient impraticables.

[3] Religieux de S. Denis, t. IV, p. 747, qui donne le discours en entier.

[4] Voy. sur S. Jacques-la-Boucherie les deux ouvrages du savant et consciencieux Villain : Essai d'une histoire de la paroisse de S. Jacques-de-la-Boucherie... Paris, Prault, 1758, in-12°, et Histoire critique de Nicolas Flamel et de Pernelle, sa femme... Paris, G. Desprez, 1761, in-12°.

[5] Juvénal des Ursins, p. 249.

[6] Religieux de S. Denis, t. V, p. 25.

[7] Juvénal des Ursins, p. 251.

[8] Religieux de S. Denis, t. V, p. 33.

[9] Religieux de S. Denis, t. V, p. 33.

[10] Juvénal des Ursins, p. 254.

[11] Villain, Hist. de S. Jacques-la-Boucherie, p. 54.

[12] Juvénal des Ursins, p. 254.

[13] Juvénal des Ursins, p. 255.

[14] Juvénal des Ursins, p. 257.

[15] Le cloître Notre-Dame était derrière l'église Notre-Dame, et occupait toute la pointe de l'Île de la Cité. C'était tout un quartier composé d'une trentaine d'hôtels, fermé de tous côtés, et où on avait accès par quatre portes. Les chanoines y demeuraient. Voy. Germain Brice, Nouvelle description de la ville de Paris, Paris, 1725, 4 vol. in-16. — Dubreuil, les Antiquités de Paris, éd. de 1634, t. I, p. 43. — Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. XLII.

[16] Juvénal des Ursins, p. 258.

[17] Au début, les quarteniers n'avaient été que quatre dans Paris ; sous Philippe-Auguste, ils furent huit ; depuis Charles V ils étaient seize. Leurs fonctions étaient autant militaires que civiles.

[18] Chaque quartier avait en moyenne deux cinquanteniers et huit dizainiers. Après la révolte des Maillotins, Charles VI avait supprimé toutes ces institutions, nous l'avons vu. Mais depuis 1411, elles avaient reparu. (Ordonnances des rois de France, t. IX, p. 580, 20 avril 1414.) Les officiers municipaux avaient, au moment où nous sommes, pour premier devoir le guet et la garde de la ville ; ils étaient élus par les bourgeois. Ceux ci pour toute affaire s'assemblaient autour des dizainiers et des cinquanteniers et marchaient sous la conduite des quarteniers.

[19] Georges Picot, Recherches sur les quartiniers, cinquanteniers et dizainiers de La ville de Paris... (Extrait des Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Île-de-France, t. I, année 1875), p. 7-31. — Rittiez, l'Hôtel de ville et la bourgeoisie de Paris, p. 227.

[20] Juvénal des Ursins, p. 258.

[21] Le copiste Raoul Tainguy, copiant plus tard des manuscrits de Froissart, se fera l'écho des haines et des rancunes populaires du temps contre le parti des bouchers en interpolant dans le texte des injures à l'adresse des Cabochiens ; il les appellera tuffes, guieliers, bomules, termulons, tacriers, craffeurs, marrados, cratinaz, petaux, gars loubas... (S. Luce, La France pendant la guerre de Cent ans, p. 256-257.)

[22] Juvénal des Ursins, p. 258.

[23] Le Religieux de S. Denis donne le texte du traité, t. V, p. 115 et suiv.

[24] Les plus ardents de ces bouchers étaient les Legoix ; ils appartenaient à la boucherie de Sainte-Geneviève ; anciens vassaux de l'abbaye, ils vivaient très mal avec elle, et malgré l'abbé persistaient à vendre de la viande les jours maigres et à fondre du suif chez eux, au risque de mettre le feu au quartier. Placés au centre des écoles et des disputes, ils avaient l'air de partager l'exaltation du monde discuteur qui les entourait. La boucherie Sainte-Geneviève se trouvait située près de la Croix aux Carmes, à la porte du couvent des Carmes, où résidaient les plus fougueux harangueurs de l'université, amis de Juan sans Peur, comme Eustache de Pavilly.

[25] Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. 125.

[26] Nous reviendrons plus loin sur l'importante fonction de la conciergerie du palais.

[27] Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. 124.

[28] Ce Jean est le futur Juvénal des Ursins, l'historien ; c'est lui qui nous a laissé le récit des faits que nous racontons. On voit par ce détail qu'il en a été témoin oculaire.

[29] Juvénal des Ursins, p. 263 ; Monstrelet, t. II, p. 400. Le Religieux de S. Denis (t. V, p. 149), ne parle pas de cette partie de chasse. Monstrelet dit que Jean sans Peur entraîna le roi jusqu'à Villeneuve-Saint-Georges pour chasser, sans qu'il soit question d'enlèvement. Le duc de Bourgogne durant cette chasse aurait quitté brusquement le roi pour aller à Pont-Saint-Maxence et de là en Flandre. Une chronique manuscrite (citée par Douet d'Arcq, éd. de Monstrelet, t. II, p. 401, note), raconte que mena ledit de Bourgoigne cachier le roy en la forçât de Bondis.

[30] Juvénal des Ursins, p. 264.

[31] Monstrelet, t. II, p. 402.

[32] Monstrelet, t. II, p. 399.

[33] Rymer, Acta publica, part. II, p. 46-48. C'est à ce propos que la chancellerie royale donne un récit succinct des événements qui viennent de se produire à Paris.

[34] Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. 127. A ce propos Nicolas de Baye décrit une élection de chancelier.

[35] Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. 127.

[36] Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. 101.

[37] Journal de Nicolas de Baye, t. II, p. 134.

[38] Douet d'Arcq, Choix de pièces inédites relatives au règne de Charles VI, t. I, p. 366. Cf. Juvénal des Ursins, p. 264 ; Monstrelet, t. II, p. 400 ; Religieux de S. Denis, t. V. p. 143. — Dans la souscription d'une ordonnance du 29 août 1413, par laquelle Charles VI accorde abolition à ceux qui ont pris part aux troubles des mois précédents, Jouvenel figure sans sa nouvelle qualité (Ordonnances des rois de France, t. X, p. 165).