ÉTUDE SUR MARC-AURÈLE

 

SA VIE ET SA DOCTRINE

PAR ÉDOUARD DE SUCKAU.

PARIS - DURAND - 1857

 

 

PRÉFACE.

 

PREMIÈRE PARTIE.

ENFANCE ET JEUNESSE DE MARC-AURÈLE. SON ÉDUCATION ET SOCIÉTÉ DE SON TEMPS.

Son origine. Ses adoptions. Sa vie à la campagne. Sa correspondance avec Fronton. Ses études littéraires. Ses maîtres de philosophie. Sa prédilection pour les questions morales. Sa reconnaissance pour ses maîtres. — Ses premières dignités. Son éloignement pour le pouvoir. Causes de cet éloignement. Entourage du prince. Exemple des empereurs. Marc-Aurèle n'échappe pas à cette influence. Misère et abaissement du peuple. Corruption des mœurs. Impiété. Superstitions. Stoïcisme et christianisme. Faux philosophes et faux chrétiens.

 

DEUXIÈME PARTIE.

DOCTRINE, MORALE ET MÉTAPHYSIQUE DE MARC-AURÈLE.

Accord de la science et de la vertu. - Conditions de la science pratique : Emploi de l'analyse. - Théorie de la liberté. Principes de la charité. 1° Le mal moral est nécessaire. 2° Il ne fait de tort qu'au méchant. 3° Il est involontaire. 4° Tout homme petit le commettre. 5° Tout homme peut s'en délivrer, parce qu'il a la raison. — Unité et divinité de la raison. Accord de la morale et de la piété. La destinée humaine renfermée dans la vie sociale. La Providence. Optimisme. La mort. L'immortalité de l'âme.

 

TROISIÈME PARTIE.

VIE PUBLIQUE ET PRIVÉE DE MARC-AURÈLE.

Gouvernement et législation. - Importance rendue au sénat. La loi romaine transformée par les jurisconsultes stoïciens. Sort nouveau fait à l'esclave, à l'enfant, à la femme. - Administration judiciaire de Marc-Aurèle. Examen de son intolérance prétendue contre le christianisme. — Guerres. - Guerre contrôles Parthes conduite par Verus. - Guerre contre les Germains. Marc-Aurèle les combat en personne pendant quatre années. - Révolte d'Avidius Cassius. - Voyages de Marc-Aurèle en Orient. Son retour à Rome après huit ans d'absence. - Nouvelle guerre avec les Marcomans. Mort de Marc-Aurèle. — Vie intérieure. - Affection de Marc-Aurèle pour sa famille, pour sa mère, pour sa sœur. Son mariage, ses enfants. - Ses rapports avec son frère adoptif. - Critique des accusations contre Faustine et des reproches adressés à Marc-Aurèle pour son indulgence envers sa femme et son fils.

 

CONCLUSION.

Caractère et rôle de Marc-Aurèle. Hommages rendus à sa mémoire.

 

La vie de Marc-Aurèle avait eu de nombreux historiens et biographes. C'est le témoignage d'Hérodien au commencement de son histoire. La satire de Lucien contre les rapporteurs de la guerre des Parthes doit affaiblir l'éloge d'Hérodien et aussi nos regrets. Cependant, quelle que fût la faiblesse ou même l'inexactitude de ces récits, nous y aurions trouvé des renseignements précieux que nous cherchons en vain ailleurs.

La perte la plus regrettable est celle des Mémoires que Marc-Aurèle avait composés lui-même pour servir à l'éducation de son fils, et dont il laissa le manuscrit à Commode. Pourquoi cet ouvrage ne nous a-t-il pas été conservé avec les Pensées ? Il nous aurait fourni un précieux commentaire de ce livre admirable ; nous y aurions vu l'application constante au gouvernement, à la législation et à tous les évènements de la vie, des beaux principes de la doctrine stoïcienne.

Les Pensées elles-mêmes ne nous font connaître que le dernier développement de l'âme de Marc-Aurèle. Elles nous la montrent dans sa force et sa plénitude, tout entière recueillie en face de la mort, dans l'achèvement d'une vie noble et bien remplie. Elles sont la plus pure expression du stoïcisme et du caractère d'un grand homme. Mais elles ne nous apprennent que peu de chose de la vie de Marc-Aurèle et des circonstances dans lesquelles elles ont été écrites.

La correspondance entre Marc-Aurèle et Fronton renferme des détails précieux sur les premières années de Marc-Aurèle, sur ses études et sur sa vie intime ; mais elle nous laisse entièrement ignorer la vie politique du prince et les bienfaits de son règne. C'est cependant, après les Pensées, la source la plus abondante, et où il faut surtout puiser pour une biographie de Marc-Aurèle.

Les grands recueils des lois romaines contiennent un grand nombre de rescrits de Marc-Aurèle et de sénatus-consultes qu'il fit rendre. Mais, au milieu des compilations faites par ordre de Justinien, l'œuvre législative des Antonins ne se retrouve que dispersée, morcelée et incomplète. On a réuni ces fragments avec un soin religieux ; mais, isolés, ils perdent de leur valeur, et même dans leur ensemble ils ne forment qu'une faible partie du monument qu'on voudrait retrouver dans toute sa grandeur et sa beauté. Quels qu'ils soient cependant, ils sont de la plus grande importance pour aider à apprécier le caractère et le rôle de Marc-Aurèle.

Parmi les historiens qu'Hérodien indique sans les nommer, le plus célèbre était Marins Maximus[1] : c'est à lui qu'ont emprunté au hasard les abréviateurs et les compilateurs qui l'ont suivi, et qui seuls nous conservent aujourd'hui quelques détails sur l'époque des Antonins. L'ouvrage de Dion Cassius renferme surtout des récits de la guerre de Germanie. Capitolin, le biographe d'Antonin, de Marc-Aurèle et de Verus, nous offre des faits intéressants, mais réunis sans choix et sans méthode ; l'ordre du temps n'est pas suivi ; bien des évènements sont omis ou confondus ; la critique manque partout. Spartien, Lampride, et surtout Vulcatius Gallicanus, le biographe d'Avidius Cassius, ajoutent quelques traits au portrait et à l'histoire de Marc-Aurèle. Mais, au milieu de tous ces tableaux à demi effacés ou chargés par places de trop fortes couleurs, la vérité semble disparaître, les caractères nous échappent, et nous ne pouvons surtout découvrir l'état de la société et des mœurs.

Pour y suppléer, il faut s'adresser à Lucien, à Aulu-Gelle, à Apulée, à Épictète, à Plutarque ; il faut se rappeler des traits empruntés à Pétrone, à Sénèque, à Tacite, et qui n'ont pas encore vieilli ; enfin il faut interroger les apologistes, tels que Justin, Tatien, Athénagore, et aussi les grands hérésiarques qui prennent encore au second siècle le nom de chrétiens.

Ce n'est qu'en réunissant tous ces témoignages, en les contrôlant les uns par les autres, qu'on peut répandre quelque lumière sur le temps et la vie de Marc-Aurèle. C'est ce que nous avons cherché à faire, sans penser y être entièrement parvenu. Que de choses, en effet, nous n'avons fait qu'entrevoir, et combien d'autres qui sont pour nous restées dans l'ombre ! Cependant notre travail, tel qu'il est, pourra peut-être aider à faire connaître une époque et un homme trop peu connus et si dignes de l'être. Au moins il offrira, réunis dans un certain ordre, des matériaux dont un autre saura mieux se servir.

Nous n'avons pas pu étudier la vie de Marc-Aurèle sans étudier sa doctrine. Elle est une trop grande partie de lui-même, elle sert trop à expliquer son caractère et sa vie, pour que nous ayons voulu la négliger. Ici nous avons retrouvé dans les Pensées un guide sûr que nous n'avons eu qu'à suivre pas à pas. En laissant presque toujours la parole au maître, en nous abstenant le plus possible d'intervenir et de commenter, nous avons voulu montrer dans son unité et sa pureté cette doctrine à la fois morale et religieuse, qui ne sépare jamais les choses divines des choses humaines, et à laquelle l'âme douce et triste de Marc-Aurèle donne une expression si fière et si touchante.

Pour l'ensemble de notre travail, nous avons trouvé peu de modèles et peu de secours parmi les ouvrages modernes. Celui que nous avons consulté avec le plus de profit est celui de M. Ripault, intitulé : Histoire philosophique de l'empereur Marc-Aurèle[2]. L'auteur a restitué par les médailles un grand nombre de dates et de faits intéressants. Seulement l'ouvrage a le tort d'être en quatre volumes, d'entremêler perpétuellement l'exposition de la doctrine et le récit des faits, de n'avoir d'autre ordre que l'ordre chronologique, et de répéter plusieurs fois les mêmes détails, et surtout les mêmes maximes. Plein de l'admiration la plus sincère pour Marc-Aurèle, l'auteur croit qu'on ne se lassera pas d'entendre les admirables pensées de l'empereur philosophe, et il ne se lasse pas de les citer. Il ne quitte pas non plus le ton du panégyrique, et son admiration s'exprime le plus souvent dans un style qui n'a pas assez de naturel et de simplicité. Cependant le livre de M. Ripault demeure un ouvrage à consulter, surtout pour la partie chronologique.

Il est inutile de mentionner ici les ouvrages composés sur la vie et la doctrine de Marc-Aurèle par Guevara, en Espagne, au XVe siècle, et par Fessier, en Allemagne, au commencement de ce siècle Ce sont des romans où dominent la fantaisie et les idées de l'auteur, et où Marc-Aurèle tient le langage de l'évêque de Mondonedo, ou celui d'un libre penseur d'outre-Rhin.

L'éloge de Thomas est un panégyrique assez vide, où il s'agit moins de faire connaître Marc-Aurèle que de faire la leçon à Louis XV. Cette remarque que fait M. Ripault est très juste, et dispense d'insister sur cet ouvrage.

Pour la partie philosophique de notre travail, nous avons trouvé des secours précieux. Il ne faut pas oublier d'abord l'ouvrage de M. de Joly, où les pensées, élégamment traduites, sont réunies en groupe autour d'un certain nombre de titres ingénieusement choisis.

M. J. Simon, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, a écrit sur Marc-Aurèle un bel article renfermant plusieurs idées que nous avons été heureux de recueillir.

Dans son ouvrage sur la métaphysique d'Aristote, M. Ravaisson a consacré à l'étude du stoïcisme chez Marc-Aurèle quelques pages où le caractère que Marc-Aurèle imprime au stoïcisme se trouve nettement marqué.

Enfin, nous ne voulons pas omettre de témoigner notre reconnaissance à notre maître, M. Pierron, dont nous avons toujours consulté pour nos citations la traduction des Pensées.

 

 

 



[1] V. Vulcatius Gallicanus, Avidius Cassius, §§ 6, 9 ; J. Capitolin, M. Ant. le Phil., § 25.

[2] Nous exprimons ici nos remerciements au Dr. Ripault, de Dijon, qui a bien voulu mettre à notre disposition un exemplaire de la seconde édition de l'ouvrage de son père, enrichi de nombreuses notes inédites.