SEIZIÈME VOLUME
L’assassinat de Dion, raconté dans le chapitre précédent, parait avoir été médité et exécuté habilement pour servir les desseins de son auteur, l’Athénien Kallippos. Succédant à la fois au commandement des soldats, auprès desquels il avait été auparavant très populaire, — et à la domination clans Ortygia, — il fut en réalité maître à Syracuse (353 av. J.-C.). Nous lisons dans Cornélius Nepos qu’après l’assassinat de Dion il y eut une douleur publique profonde et une forte réaction en sa faveur, attestées par de magnifiques obsèques auxquelles assista la masse de la population[1]. Mais cette assertion est difficile à croire, non seulement parce que Kallippos garda longtemps le pouvoir sans être inquiété, mais encore parce qu’il jeta en prison les parentes de Dion, — sa sœur Aristomachê et son épouse, Arêtê, alors enceinte, vengeant par cet acte de méchanceté le faux serment qu’il avait tout récemment été forcé de faire, afin d’endormir leurs soupçons[2]. Arêtê accoucha d’un fils en prison. Il semblerait que ces femmes infortunées furent détenues pendant tout le temps, plus d’une année, que Kallippos resta maître. Quand il fut déposé, on les relâcha ; alors un Syracusain nommé Hiketas, ami de Dion décédé, affecta de les prendre sous sa protection. Après une courte période de bons traitements, il les mit — bord d’un navire en partance pour le Péloponnèse, mais il les fit tuer en route et jeter leurs corps à la mer. On dit qu’il fut poussé à cette conduite cruelle par les ennemis de Dion ; et l’acte ne prouve que trop clairement combien ces ennemis étaient implacables[3]. Comment Kallippos se maintint-il dans Syracuse, — par quel appui, par quelles violences ou par quelles promesses, — et contre quelles difficultés eut-il à lutter, — c’est ce qu’il ne nous est pas donné de savoir. Il semble avoir d’abord promis de rendre la liberté, et l’on nous dit même qu’il adressa une lettre publique a. sa patrie, la cité d’Athènes[4], — dans laquelle il réclamait sans doute les honneurs du tyrannicide, se représentant comme le libérateur de Syracuse. Comment cette lettre fut-elle accueillie par l’assemblée athénienne, c’est ce qu’on ne nous apprend pas. Mais quant à Platon et aux habitués de l’Académie, la nouvelle de la mort de Dion leur causa le plus profond chagrin, comme on peut le lire encore dans les lettres du philosophe. Kallippos se maintint pendant une année dans la plénitude de l’éclat et de la domination. Le mécontentement avait grandi alors ; et les amis de Dion ; ou peut-être les ennemis de Kallippos prenant ce nom, — se montrèrent en force dans Syracuse. Toutefois, Kallippos les défit et les força à se réfugier à Leontini[5], ville dont nous trouvons bientôt Hiketas despote. Encouragé probablement par ce succès, Kallippos commit une foule d’énormités, et se rendit si odieux[6], que la famille dionysienne expulsée commenta à concevoir l’espérance de recouvrer sa domination. Il avait quitté Syracuse pour faire une expédition contre Katane ; Hipparinos profita de cette absence et effectua son entrée dans Syracuse, à la tête de forces suffisantes, combinées avec le mécontentement populaire, pour l’exclure de la cité. Kallippos revint à la hâte, mais il fut défait par Hipparinos, et forcé de se contenter de l’échange peu avantageux de Katane à la place de Syracuse[7]. Hipparinos et Nysæos étaient les deux fils de Denys l’Ancien et d’Aristomachê, et conséquemment ils étaient neveux de Dion. Bien que Hipparinos devint probablement maître d’Ortygia, la portion la plus forte de Syracuse, cependant il semblerait que dans les autres portions de la ville il y avait des partis opposants qui contestaient son gouvernement : d’abord les partisans de Denys le Jeune et de sa famille, — ensuite la masse qui désirait se débarrasser des deux familles et établir une constitution populaire libre. Tel est l’état des faits que nous recueillons des lettres de Platon[8]. Mais nous sommes trop dépourvus de documents pour établir quelque chose de distinct relativement à la condition de Syracuse ou de la Sicile entre 353 et 354 avant J.-C., — depuis la mort de Dion jusqu’à l’invitation envoyée à Corinthe, qui détermina la mission de Timoleôn. On nous assure qu’en général ce fut une période de conflits, de désordres et de souffrances intolérables, que même les temples et les tombes étaient négligés[9] ; que le peuple était foulé partout par des despotes et des mercenaires étrangers ; que les despotes étaient fréquemment renversés par la violence ou par la trahison, toutefois pour être remplacés par d’autres aussi mauvais ou pires ; que la multiplication de soldats étrangers, rarement payés régulièrement, répandait partout le pillage et la violence[10]. Le philosophe Platon, — dans une lettre écrite (vraisemblablement après l’expulsion de Kallippos) environ une année ou plus après la mort de Dion, et adressée aux parents et aux amis survivants du dernier, — trace un tableau lamentable de l’état et de Syracuse et de la Sicile. Il va jusqu’à dire que, dans le trouble et la désolation qui régnaient, il était probable qu’on verrait la race et la langue hellénique disparaître de l’île, et faire place aux Carthaginois ou aux Osques[11]. Il adjure les partis en lutte a Syracuse de détourner cette issue misérable en en venant a un compromis et en établissant un gouvernement modéré et populaire, — cependant, avec quelques droits réservés aux familles régnantes, parmi lesquelles il désire voir une association fraternelle établie, tripartite dans son caractère ; — comprenant Denys le Jeune (alors a Lokri), — Hipparinos, fils de Denys l’Ancien, — et le fils de Dion. Sur l’absolue nécessité d’un pareil compromis et d’un pareil accord, pour préserver et peuple et despotes d’une ruine commune, Platon donne les conseils les plus pathétiques. Il recommande une triple royauté coordonnée, passant par transmission héréditaire dans les familles des trois personnes qui viennent d’être nommées, et comprenant la présidence des cérémonies religieuses avec une ample mesure de dignité et de respect, mais avec très peu de pouvoir politique actif. Donnant le conseil d’invoquer des arbitres impartiaux, respectés de tous pour régler les termes du compromis, il implore ardemment chacun des combattants d’acquiescer pacifiquement à leur décision[12]. Platon, qui avait sous les yeux la double ligne des rois spartiates, les seuls rois héréditaires en Grèce, ne jugeait pas du tout impraticable l’existence de trois familles de rois coordonnées ; et dans le fait elle ne l’était pas, si l’on considère la petite étendue de pouvoir politique qui leur était accordée. Mais au milieu des passions furieuses qui se donnaient carrière alors, et de la masse de maux qui avaient été faits et soufferts de tous les côtés, il n’était pas probable qu’un arbitre pacifique, quelle que fût sa position ou son caractère, trouvât à se faire écouter, ou fût en état d’opérer un accommodement salutaire pareil à celui qu’avait effectué le Mantineien Demônax à Kyrênê, — entre les Kyrénæens mécontents et la dynastie des princes Battiades[13]. La recommandation de Platon passa inaperçue. Il mourut en 348-347 avant J.-C., sans voir mitiger en rien ces malheurs de la Sicile qui attristèrent les derniers jours de sa longue vie. Au contraire, l’état de Syracuse ne fit qu’empirer. Denys le Jeune parvint à opérer son retour, en chassant d’Ortygia Hipparinos et Nysæos, et en s’y établissant de nouveau comme maître. Comme il avait une longue série d’anciennes humiliations à venger, son gouvernement eut ce caractère oppressif que l’ancien proverbe reconnaissait comme appartenant aux rois rétablis après un exil[14]. De tous ces princes qui descendaient de Denys l’Ancien, pas un n’hérita de la sobriété et de la tempérance qui avaient tant contribué à son succès. Tous eurent, dit-on, des habitudes d’ivrognerie et de débauche[15], — Denys le Jeune et son fils Apollokratês, aussi bien qu’Hipparinos et Nysæos. Hipparinos fut assassiné dans un moment où il était ivre, dé sorte que Nysæos devint le représentant de cette famille, jusqu’à ce qu’il fut chassé d’Ortygia par le retour de Denys le Jeune. Ce prince, depuis sa première expulsion de Syracuse, avait résidé surtout à Lokri en Italie, ville Natale de sa mère Doris. Nous avons déjà dit que Denys l’Ancien avait augmenté et choyé Lokri par tous les moyens qui- étaient en son pouvoir, comme une appartenance de sa propre domination à Syracuse. Il avait ajouté à son territoire toute la péninsule la plus septentrionale de l’Italie (comprise en deçà d’une ligne tirée du golfe de Terina à celui de Skylletion), appartenant jadis à Rhegium, à Kaulonia et à Hipponium. Mais, bien que le pouvoir de Lokri fût ainsi augmenté, cette ville avait cessé d’être libre, étant convertie en une dépendance de la famille dionysienne[16]. Comme telle, elle devint la résidence du second Denys, quand il ne put plus se maintenir dans Syracuse. Nous ayons peu de détails sur ce qu’il accomplit, bien qu’on mous dise qu’il fit renaître une portion de la cité démantelée de Rhegium sous le nom de Phœbia[17]. Cette ville de Rhegium reparaît elle-même peu après comme communauté sous son propre nom, et fut probablement rétablie à la chute complète du second Denys. Le temps qui s’écoula entre 356 et 346 avant J.-C. fut une époque de grandes calamités et de vives souffrances pour tous les Grecs italiens, causées par l’accroissement de la puissance des Lucaniens et des Brutiens de l’intérieur. Ces Brutiens, qui occupaient la Calabre la plus méridionale, étaient une fraction détachée du corps général des Lucaniens qui s’était affranchie ; elle avait consisté surtout en serfs ruraux indigènes dés communautés des montagnes, qui secouèrent le joug de leurs maîtres lucaniens et formèrent un agrégat indépendant par eux-mêmes. Ces hommes, surtout dans l’effort énergique qui signala leur ancienne indépendance, furent des ennemis formidables pour les Grecs de la côte, depuis Tarente jusqu’au détroit de Sicile, et redoutables même pour les Spartiates et les Épirotes, appelés par les Grecs comme auxiliaires. Il paraît que le second Denys, quand il se retira à Lokri la première fois qu’il eut perdu son pouvoir à Syracuse, ne tarda pas à s’apercevoir que son gouvernement était mal vu et sa personne impopulaire. Il se maintint, vraisemblablement dés le commencement, au moyen de deux citadelles distinctes dans la ville, avec une armée permanente sous le commandement du Spartiate Pharax, homme de désordres et de violence[18]. La conduite de Denys devint à la, fin si odieuse, qu’il n’y eut qu’une force extrême qui pût contenir le ressentiment des citoyens. Nous lisons qu’il était dans l’habitude d’exercer l’outrage le plus licencieux à l’égard des jeunes filles nubiles de, bonne famille dans Lokri. La haine soulevée ainsi contre lui fut réprimée par ses forces supérieures, — non pas, nous pouvons en être sûrs, sans de nombreuses cruautés commises contre des personnes individuellement qui se tenaient sur la défensive, — jusqu’au moment où lui et son fils Apollokratês effectuèrent leur second retour à Ortygia. Pour assurer une acquisition aussi importante, Denys diminua ses forces militaires à Lokri, où en même temps il laissa son épouse, ses deux filles et son jeune fils. Mais, après son départ, les Lokriens se mirent en insurrection, accablèrent la garnison réduite et firent prisonniers ces membres infortunés de sa famille. C’est sur leurs têtes innocentes que tombèrent toutes les terreurs des représailles provoquées par les énormités du despote. Ce fut en vain que et Denys lui-même et les Tarentins[19] demandèrent avec prière la permission de racheter les captifs au prix de la rançon la plus élevée. Ce fut en vain que la ville de Lokri fut assiégée et son territoire désolé. Les Lokriens ne purent être détournés par les présents ni empêchés par des menaces de rassasier une fureur de vengeance poussée à ses dernières limites. Après des cruautés et des brutalités multipliées, la femme et la famille de Denys furent enfin étranglées, ce qui leur épargna de nouvelles souffrances[20]. C’est par cette tragédie révoltante que se terminèrent les funestes relations maritales commencées entre Denys l’Ancien et l’oligarchie de Lokri. Isar la manière dont Denys exerça son pouvoir dans cette ville, nous pouvons juger comment il dut se- conduire à Syracuse. Les Syracusains endurèrent plus de maux, que jamais, sans savoir où chercher du secours. Hiketas le Syracusain — jadis l’ami de Dion, finalement le meurtrier de le veuve et de la sœur de ce dernier — s’était établi alors comme despote à Leontini. C’est vers lui qu’ils se tournèrent comme vers un auxiliaire, espérant obtenir ainsi des forces suffisantes pour expulser Denys. Hiketas accepta volontiers la proposition, se promettant bien de recueillir pour lui-même la récompense de cette expulsion quand elle serait accomplie. De plus, un nuage formidable grossissait en ce moment chu côté de Carthage. Quelles causes avaient rendu cet État inactif pendant les quelques dernières années, tandis, que, la Sicile était si faible et si désunie, — c’est ce que nous ne savons pas ; mais Carthage était devenue actuellement agressive une fois de plus ; elle étendait ses alliances parmi lés despotes de l’île, et lançait une armée et une flotte considérables, de manière à menacer l’indépendance et de la Sicile et de l’Italie méridionale[21]. L’apparition de ce nouvel ennemi réduisit les Syracusains au désespoir, et ne leur laissa pas d’autre espérance de salut que l’aide de Corinthe. Ils envoyèrent a cette cité un appel pathétique et pressant, et lui exposèrent et leurs souffrances actuelles et le péril qui approchait du dehors. Et en effet le péril était tel que, même aux yeux d’un observateur calme, il pouvait bien sembler que la triste prophétie de Platon était sur le point de recevoir son accomplissement, — à savoir que l’hellénisme aussi bien que la liberté allait disparaître de l’île. Hiketas s’associa à la demande de secours adressée à Corinthe, mais il le fit contre son gré. Il avait décidé que, pour son dessein, il valait mieux se joindre aux Carthaginois, avec lesquels il avait déjà ouvert des négociations, — et employer leurs forces d’abord à chasser Denys, ensuite à gouverner Syracuse par lui-même. Mais c’étaient des projets à ne pas divulguer ; en conséquence, Hiketas affecta de concourir à la supplication pressante envoyée à Corinthe par les Syracusains, tout en ayant l’intention dès le début de la faire échouer[22]. Dans le fait, il espérait que les Corinthiens refuseraient eux-mêmes d’accéder à la demande, car l’entreprise qu’on leur proposait était pleine de difficulté ; ils n’avaient ni injure à venger, ni profit à attendre ; tandis que la force de sympathie, sans doute considérable pour une colonie souffrante, serait probablement neutralisée par l’état de trouble et d’abaissement dans lequel toute la Grèce centrale était alors en train de tomber rapidement, par suite des pas ambitieux de Philippe de Macédoine. Les envoyés syracusains arrivèrent à Corinthe à un moment favorable. Mais il est triste d’appeler l’attention sur la diminution générale de la puissance grecque, en tant que comparée avec le temps où (soixante-dix années auparavant) leurs ancêtres y avaient envoyé solliciter des secours contre l’armement d’Athènes qui les assiégeait, temps où Athènes, Sparte et Syracuse elle-même étaient toutes dans une vigueur exubérante aussi bien qu’elles jouissaient d’une liberté encore entière. Toutefois il se trouva que, dans cette conjoncture, les Corinthiens avaient les mains et les esprits assez libres, de sorte que la voix d’une affliction véritable, venant de la plus estimée de toutes leurs colonies, fut écoutée avec faveur et sympathie On rendit un décret, à l’unanimité et de bon cœur, à l’effet d’accorder l’aide demandée[23]. Il s’agit ensuite de choisir un chef. Mais on eut de la peine à en trouver un. L’entreprise était peu tentante, elle ne présentait que des dangers et des difficultés eh grand nombre aussi bien que certains. Les discordes sans espoir de Syracuse, pendant les années passées, étaient bien connues de tous les politiques ou des généraux principaux de Corinthe. Les archontes proposèrent successivement les noms de tous ou de la plupart d’entre eux ; mais tous refusèrent d’un commun accord. A la fin, tandis que les archontes ne savaient sur qui fixer leur choix, une voix inconnue dans la foule prononça le nom de Timoleôn, fils de Timodêmos. L’auteur de la motion sembla poussé par une inspiration divine[24], tant le choix était inattendu et tant il se trouva être excellent au plus haut degré. Timoleôn fut nommé, — sans difficulté et sans beaucoup d1ntention de lui faire honneur, — à un poste que refusaient tous les autres personnages principaux. Il y a ici à mentionner quelques points de la vie antérieure de cet homme remarquable. Il appartenait à une illustre famille de Corinthe, et à ce moment il était d’un âge mûr, — il avait peut-être cinquante ans. Il se faisait remarquer non moins par son courage que par la- douceur de son caractère. Peu mû : par la vanité personnelle ou par l’ambition, il avait un patriotisme plein de dévouement et une haine sans réserve à L’égard des despotes aussi bien que des traîtres[25]. Le gouvernement de Corinthe était oligarchique, et il l’avait toujours été ; mais C’était une oligarchie régulière, constitutionnelle, tandis que l’antipathie corinthienne contre les despotes était d’ancienne date[26], — et n’était guère moins farte que celle de la démocratique Athènes. Comme soldat dans les rangs, des hoplites corinthiens, la bravoure de Timoleôn, et sa soumission à la discipline, étaient également remarquables. Ces points de son caractère ressortent d’une manière d’autant plus frappante par le contraste avec sols frère aille Timophanês, qui possédait les mérites militaires de la bravoure et de l’esprit énergique d’entreprise, mais qui-y joignait une ambition sans principes, et une poursuite peu scrupuleuse d’un avancement égoïste aux dépens des autres. Toutefois les qualités militaires de Timophanês lui gagnèrent tant de popularité qu’il était placé haut comme officier au service corinthien. Timoleôn,animé d’un attachement fraternel illimité, essayait non seulement de cacher ses défauts aussi bien que de faire valoir ses mérites, mais encore il affronta les plus grands dangers afin de lui sauver la vie : Dans une bataille contre les Argiens et les Kleonæens, Timophanês commandait la cavalerie, quand son cheval, étant blessé, le jeta à terre tout près de l’ennemi. Les autres cavaliers s’enfuirent, abandonnant leur commandant à une perte qui semblait certaine ; mais Timoleôn, qui servait parmi les hoplites, s’élança seul hors des rangs le plus rapidement possible, et couvrit Timophanês de son bouclier, au moment même où l’ennemi était sur le point de. le percer. Il lui tint tête seul, en parant les lances et les traits qui l’accablaient, et il réussit à protéger son frère tombé jusqu’à l’arrivée d’un secours, bien qu’aux dépens de plusieurs blessures qu’il reçut lui-même[27]. Cet acte de généreux dévouement excita une grande admiration à l’égard de Timoleôn. Mais il assura aussi de la sympathie à Timophanês, qui la méritait moins. Les Corinthiens avaient récemment couru le grand danger de voir leur cité tomber entre les mains de leurs alliés athéniens, qui avaient formé le plan de s’en emparer, mais qui furent désappointés par un avis donné à Corinthe en temps opportun[28]. Armer le peuple étant regardé comme dangereux pour l’oligarchie actuelle[29], on jugea à propos- d’équiper une force armée permanente de quatre cents soldats mercenaires payés, et de les établir comme garnison à demeure dans la citadelle forte et élevée. On confia à Timophanês le commandement de cette garnison, ainsi que celui du port. On n’aurait pas pu faire un plus mauvais choix. Le nouveau commandant, — secondé non seulement par son régiment et par sa forte position, mais encore par quelques partisans violents qu’il prit à sa solde et qu’il arma, parmi les citoyens pauvres, — ne tarda pas à se présenter comme despote, et à prendre tout le gouvernement entre ses mains. Il arrêta beaucoup d’entre lés principaux citoyens, probablement tous les membres des conseils oligarchiques qui résistaient à ses ordres, et les mit à mort, même sans forme de procès[30]. C’est alors, quand il était trop tard, que les Corinthiens se repentirent du vote mal entendu qui avait suscité parmi eux un nouveau Periandros. Mais Timoleôn ressentit des crimes de son frère une honte et une douleur extrêmes. Il monta d’abord à l’acropolis[31] pour lui faire des remontrances, et il le conjura avec instance, par les motifs les plus sacrés publics aussi bien que privés, de renoncer à ses désastreux projets. Timophanês repoussa cet appel avec mépris. Timoleôn eut alors à choisir entre son frère et son pays. Il retourna à l’acropolis, accompagné, d’Æschylos, frère de l’épouse de Timophanês, — du prophète Orthagoras, son ami intime, — peut-être aussi d’un autre ami nommé Telekleidês. Admis en présence de Timophanês, ils renouvelèrent leurs prières et leurs supplications, le priant même à ce moment de renoncer à ses procédés tyranniques. Mais tous leurs arguments furent sans effet. Timophanês commença par les couvrir de ridicule et de mépris ; bientôt il devint exaspéré, et ne voulut pas en entendre davantage. Voyant que les paroles étaient inutiles, ils tirèrent alors leurs épées et le mirent à mort. Timoleôn ne prêta pas la main à ce meurtre, mais il se tint à quelque distance, se cachant le visage et répandant un flot de larmes[32]. Avec la vie de Timophanês s’évanouit le despotisme qui avait déjà commencé à faire sentir à Corinthe son influence accablante. La force mercenaire fut ou congédiée ou placée en mains sûres ; l’acropolis redevint partie d’une cité libre ; la constitution corinthienne fut remise en vigueur comme auparavant. De quelle manière ce changement fut-il accompli, ou dans quelle mesure fut-il accompagné de violence, c’est ce qu’on nous laisse ignorer ; car Plutarque ne nous dit guère que ce qui concerne personnellement Timoleôn. Toutefois, on nous dit que les démonstrations de joie parmi les citoyens, à la mort de Timophanês et au rétablissement de la constitution, furent véhémentes et universelles. Ce courant de sentiment eut tant de force qu’il entraîna avec lui, en apparence, même ceux qui regrettaient réellement le despotisme évanoui. Craignant de dire leur opinion réelle au sujet de l’acte, ces hommes se bornèrent à exhaler d’autant plus abondamment leur haine contre l’auteur. Bien qu’il fût bon que Timophanês fût tué (disaient-ils), cependant, qu’il le flet par son frère et par soli beau-frère, c’était un acte qui souillait les deux acteurs d’un crime et d’une abomination inexpiables. Toutefois, la majorité du public corinthien, ainsi que les citoyens les plus distingués, considéra la chose d’une manière tout opposée Elle exprima l’admiration la plus chaleureuse, aussi bien pour l’auteur que pour l’acte. Elle vanta la combinaison de vive affection de famille avec la magnanimité et le patriotisme pleins de dévouement, chacun d sa vraie place et dans une juste balance, qui marquaient la conduite de Timoleôn. Il avait déployé son affection fraternelle en affrontant les plus grands périls dans la bataille afin de sauver la vie de Timophanês. Mais quand ce frère, au lieu de rester citoyen inoffensif, devint le pire ennemi de Corinthe, Timoleôn avait alors obéi à l’appel impératif du patriotisme, ait mépris de son bien-être et de son intérêt, non moins que de sa tendresse fraternelle[33]. Tel fut le verdict décidé que prononça la majorité, — majorité aussi bien sous le rapport de l’importance que du nombre, — relativement à la conduite de Timoleôn. Toutefois le concert général d’éloges ne suffit pas pour étouffer, in même pour compenser le langage de reproche — en lui-même d’autant plus poignant, qui émanait de la minorité. Dans cette minorité se trouvait une personne dont la voix seule fit sur lui une profonde impression, — c’était sa mère Demaristê, mère aussi de Timophanês, la victime, le meurtre de son fils non seulement remplit Demaristê du chagrin maternel le plus amer, mais il lui inspira l’horreur et l’exécration lès plus grandes pour ses auteurs. Elle appela des malédictions sur la tête de Timoleôn refusa même de le revoir, et lui interdit toute visite, malgré les plus instantes supplications. Il ne manquait plus rien pour rendre Timoleôn complètement misérable, au milieu de la reconnaissance presque universelle de Corinthe. Quant à sa vive tendresse fraternelle pour Timophanês, sa conduite antérieure ne laisse aucun doute. Il dut triompher de cette tendresse afin d’accompagner ses amis tyrannicides à l’acropolis, et sans doute elle revint avec une extrême amertume dans son âme après que le meurtre eut été accompli. Mais lorsqu’à cette source intérieure de chagrin s’ajouta la vue de personnes qui fuyaient son contact comme celui d’un fratricide, en même temps que l’aiguillon de l’Erynnis maternelle, — sa douleur, alla même jusqu’au délire. La vie lui fut odieuse ; il refusa pendant quelque temps toute nourriture et résolut de se laisser mourir de faim. Il n’y eut que la sollicitude pressante d’amis qui l’empêcha d’exécuter son projet. Mais aucune parole de consolation ne put lui donner l’ardeur nécessaire pour remplir les devoirs de la vie publique. Il fuit la cité et les lieux fréquentés par les hommes ; il s’ensevelit dans la solitude, au milieu de ses champs, à la campagne, et s’abstint de voir personne ou de parler à qui que ce fût. Pendant plusieurs années, il se cacha ainsi, comme un criminel qui s’est condamné lui-même, et même lorsque le temps eut un peu apaisé l’intensité de sa douleur, il évita encore toute position éminente, n’accomplissant rien de plus que ses devoirs indispensables comme citoyen. Un intervalle de vingt ans[34] s’était alors écoulé depuis la mort de Timophanês jusqu’à l’arrivée de la demande de secours que firent les Syracusains. Pendant tout ce temps, Timoleôn, malgré la sympathie et le bon vouloir de concitoyens qui l’admiraient, n’avait jamais voulu accepter aucun commandement ni aucun emploi important. A la fin, la vox Dei se fait entendre, à l’improviste, au milieu de la foule ; elle dissipe le cruel cauchemar qui avait si longtemps pesé sur son âme, et le rend à une activité salutaire et honorable. Il n’y a pas lieu de douter que la conduite de Timoleôn et d’Æschylos en tuant Timophanês n’ait été au plus haut degré tutélaire pour Corinthe. Le despote avait déjà teint ses mains du sang de ses compatriotes, et il aurait été condamné, par une nécessité fatale, à aller de mal en pis, en multipliant le nombre de ses victimes, s’il eût voulu conserver son pouvoir. Dire que le meurtre n’aurait pas dû être commis par de proches parents équivaut à dire qu’il n’aurait pas dû être commis du tout ; car il n’y avait que des parents qui auraient pu obtenir cet accès facile qui leur permit de l’effectuer. Et même ce ne fut pas sans le plus grand danger pour eux-mêmes que Timoleôn et Æschylos purent le tenter. Selon toute probabilité, la mort de Timophanês devait être vengée sur-le-champ, et l’on ne nous dit pas comment ils échappèrent a cette vengeance de la part des soldats qui, étaient tout près. Nous avons déjà dit que le sentiment des contemporains à l’égard de Timoleôn se partagea entre l’admiration pour le patriote héroïque et l’horreur pour le fratricide, toutefois avec une large prépondérance du côté de l’admiration, surtout dans les esprits les plus élevés et les meilleurs. Dans les temps modernes, la prépondérance serait en sens opposé. Le sentiment du devoir à l’égard de la famille couvre une partie plus considérable du champ de la morale, en tant que comparé avec les obligations à l’égard de la patrie, qu’il ne faisait dans l’antiquité, tandis qu’on ne connaît plus aujourd’hui cette antipathie intense contre un despote qui s’élève au-dessus des lois et les outrepasse, antipathie qui le regarde comme le pire des criminels et qui occupait le premier plan de la vertu ancienne. L’usurpation de l’autorité suprême est regardée en général parmi le publie européen comme un crime ; seulement, là où elle déplace un roi établi déjà en possession de l’autorité, là où il n’y a pas de roi, l’usurpateur heureux rencontre plutôt la sympathie que le blâme, et peu de lecteurs eussent été mécontents de Timoleôn même s’il eût secondé la tentative de son frère. Mais, aux yeux de Timoleôn et de son époque, la neutralité même paraissait une sorte de trahison à l’égard de son pays, quand il n’y avait que lui qui prit le délivrer du despote. Ce sentiment est compris d’une manière frappante dans les commentaires de Plutarque, qui admire le tyrannicide fraternel comme un acte de patriotisme sublime et se plaint seulement que les émotions intérieures de Timoleôn ne fussent pas au niveau de la sublimité de l’acte ; que la grande souffrance d’esprit qu’il endura dans la suite témoignât d’une faiblesse indigne de caractère : selon lui, la conviction d’un devoir patriotique impératif, ayant été une fois adoptée résolument, aurait dû l’armer contre des scrupules, et le préserver de cette honte et de ce repentir éprouvés après coup, qui enlevaient à cet acte héroïque la moitié de sa gloire. L’opposition, entre Plutarque et le point de vue européen moderne, est marquée ici, bien que je ne regarde pas ses critiques comme justifiées. Il n’y a pas de raison pour présumer que Timoleôn ait jamais éprouvé de la honte et du repentir pour avoir tué son frère. Placé dans la pénible condition d’un homme agité par des sentiments en conflit et obéissant à celui qui, à ses yeux, entraînait l’obligation la plus sacrée, il souffrit nécessairement de la violation de l’autre. Probablement, la pensée qu’il avait sauvé lui-même la vie à Timophanês uniquement pour que ce dernier détruisît les libertés de son pays contribua essentiellement à sa résolution définitive, résolution dans laquelle Æschylos, autre proche parent, prit une part même plus grande que lui. Ce fut dans cet état d’esprit que Timoleôn fut appelé à prendre le commandement des auxiliaires destinés à Syracuse. Aussitôt que le vote eut été rendu, Telekleidês lui adressa quelques mots, en l’exhortant avec force à déployer toute son énergie et à montrer tout ce qu’il valait, — avec ce point remarquable pour finir : — Si tu en sors actuellement avec succès et gloire, nous passerons pour avoir tué un despote ; si tu échoues, nous serons regardés comme des fratricides[35]. Il se mit immédiatement à préparer des navires et des soldats. Mais les Corinthiens, bien qu’ils eussent résolu l’expédition, n’étaient prêts ni à voter de subside considérable, ni à servir en grand nombre comme volontaires. Les moyens de Timoleôn étaient limités au point qu’il né put équiper plus de sept trirèmes, auxquelles les Korkyræens, excités par une sympathie commune pour Syracuse, comme jadis à l’époque du despote Hippokratês[36], en ajoutèrent deux, et les Leukadiens une. Il ne put non plus — réunir plus de mille soldats, renforcés plus tard dans le voyage jusqu’à douze cents. Quelques-uns des principaux Corinthiens, — et de ce nombre Eukleidês, Telemachos et Neôn, — l’accompagnèrent. Mais les soldats semblent avoir été surtout des mercenaires mêlés, dont quelques-uns avaient servi sous les Phokiens dans la Guerre Sacrée (terminée récemment), et avaient encouru tant de haine pour avoir pris part à la spoliation du temple de Delphes qu’ils étaient contents de chercher du service à l’étranger n’importe où[37]. Dans le fait, il fallait quelque enthousiasme pour décider des volontaires à s’associer à une entreprise dont les formidables difficultés et les récompenses douteuses étaient manifestes dès le commencement. Mais même avant que les préparatifs fussent complétés, il arriva une nouvelle qui semblait la rendre presque désespérée. Hiketas envoya un second message, où il rétractait tout ce qu’il avait dit dans le premier et demandait qu’aucune expédition ne fût envoyée de Corinthe. N’ayant pas reçu à temps le secours corinthien (disait-il), il avait été forcé de faire alliance avec les Carthaginois, qui ne permettraient à aucun soldat corinthien de mettre le pied en Sicile. Cette communication, qui exaspéra extrêmement les Corinthiens contre Hiketas, leur fit souhaiter plus ardemment de le renverser. Cependant leur zèle pour un service actif, loin de croître, fut probablement même diminué par l’aggravation d’obstacles révélés ainsi. Même si Timoleôn arrivait en Sicile, il trouverait des ennemis innombrables, sans un seul ami d’importance ; car sans Hiketas, le peuple syracusain était presque dénué de secours. Plais il semblait actuellement impossible que Timoleôn, avec sa petite armée, pût jamais toucher le rivage sicilien, en face d’une flotte carthaginoise nombreuse et active[38]. Tandis que les circonstances humaines paraissaient hostiles ainsi, les dieux présentaient à Timoleôn les signes et les présages les plus favorables. Non seulement il reçut à Delphes une réponse encourageante, mais au moment même où il était dans le temple, un bandeau, avec des couronnes et des symboles de victoire entrelacés, tomba d’une des statues sur sa tête. Les prêtresses de Persephonê apprirent en rêve de la déesse qu’elle était sur le point de partir avec Timoleôn pour la Sicile, son île favorite. Conséquemment, il fit équiper une nouvelle trirème spéciale, consacrée aux deux déesses (Dêmêtêr et Persephonê), qui devaient l’accompagner. Et quand, après avoir quitté Korkyra, l’escadre traversait la mer, pendant la nuit, pour gagner la côte italienne, on vit cette trirème sacrée illuminée par un éclat de lumière venu du ciel, tandis qu’une torche enflammée sur lé haut du navire, semblable à celle que l’on portait habituellement dans les mystères d’Eleusis, accompagna le navire et guida le pilote jusqu’au lieu convenable pour débarquer à Metapontum. Ces manifestations de la présence et de l’encouragement divins, certifiés et commentés convenablement par les prophètes, firent concevoir une espérance universelle à l’armement pendant tout le voyage[39]. Toutefois, ces espérances furent tristement rabattues quand, après avoir dédaigné un avertissement formel d’un vaisseau de guerre carthaginois, ils longèrent en la descendant la côte de l’Italie et arrivèrent enfin à Rhegium. Cette cité, qui avait été auparavant rendue en partie à la vie sous le nom de Phœbia, par Denys le Jeune, paraît actuellement comme rétablie sous son ancien nom et avec toute son autonomie d’autrefois, depuis le renversement du gouvernement de ce prince à Lokri et dans l’Italie en général. Vingt trirèmes carthaginoises, le double des forces de Timoleôn, se trouvaient à Rhegium, attendant son arrivée, — avec des députés d’Hiketas à bord. Ces députés vinrent avec ce qu’ils prétendaient être une bonne nouvelle : Hiketas avait récemment gagné une victoire capitale sur Denys, qu’il avait expulsé de la plus grande partie de Syracuse, et qu’il tenait maintenant bloqué dans Ortygia, ayant l’espoir de le réduire bientôt à la famine, avec l’aide d’une flotte carthaginoise. L’ennemi commun étant ainsi au bout de ses ressourcés, la guerre ne pouvait pas être prolongée. Hiketas comptait donc que Timoleôn renverrait à Corinthe sa flotte et ses troupes, actuellement devenues superflues. Si Timoleôn le faisait, lui (Hiketas) serait charmé de le voir personnellement à Syracuse et le consulterait volontiers dans le nouvel établissement de cette malheureuse cité. Mais il ne pouvait admettre l’armement corinthien dans l’île ; de plus, l’eût-il voulu, les Carthaginois le défendaient péremptoirement et étaient prêts, en cas de besoin, à le repousser avec leurs forces navales, supérieures dans le détroit en ce moment[40]. Le jeu que jouait Hiketas avec les Carthaginois fut alors pleinement révélé, à la vive indignation de l’armement., Au lieu d’être son ami, ou même neutre, il n’était rien moins qu’un ennemi déclaré, qui ne délivrait Syracuse de Denys que pour la partager entre lui-même et les Carthaginois. Cependant, bien que l’armement fût plein d’ardeur, il était impossible de franchir le détroit en face d’une flotte ennemie double en force. En conséquence, Timoleôn eut recours à un stratagème auquel concoururent les chefs et le peuple de Rhegium, qui sympathisaient ardemment avec les projets de l’émancipation sicilienne. Dans une entrevue avec les députés d’Hiketas, aussi bien qu’avec les commandants carthaginois, il affecta d’accepter les conditions prescrites par Hiketas,’ admettant tout de suite qu’il était inutile d’y résister. Mais en même temps il leur rappela qu’on lui avait confié le commandement de l’armement pour des desseins en Sicile, — et qu’il serait un homme déshonoré s’il le ramenait actuellement sans toucher l’île, si ce n’est sous la pression de quelque nécessité non seulement réelle, mais démontrable à tous et attestée par des témoins irrécusables. Il les pria donc de paraître, en même temps que lui, devant l’assemblée publique de Rhegium, cité neutre et amie commune des deux parties. Ils répéteraient alors publiquement la communication qu’ils lui avaient déjà faite, et ils prendraient l’engagement formel que les Syracusains seraient bien traités, dès l’expulsion de Denys. Cette manière d’agir ferait du peuple de Rhegium un témoin sur les deux points. Il attesterait en sa faveur, quand il en viendrait, à se défendre à Corinthe, qu’il n’était revenu sur ses pas que devant une nécessité invincible, et qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir en vue de garantir Syracuse ; il attesterait également en faveur des Syracusains, dans le cas où la garantie donnée actuellement serait éludée plus tard[41]. Ni les députés d’Hiketas, ni les commandants carthaginois n’avaient de motif pour refuser ce qui leur semblait être une cérémonie insignifiante. Conséquemment, les uns et les autres assistèrent, avec Timoleôn, à l’assemblée publique de Rhegium, convoquée dans les formes. On ferma les portes de la cité (coutume usitée pendant le temps d’une assemblée publique) ; les vaisseaux de guerre carthaginois étaient comme d’habitude tout grés, mais non pas en état de se mettre immédiatement en mouvement, et peut-être beaucoup des équipages étaient-ils sur le rivage, puisque toute chance d’hostilité paraissait être évanouie. Ce qui avait été déjà communiqué à Timoleôn, de la part d’Hiketas et des Carthaginois, fut répété alors dans une déclaration formelle devant l’assemblée, les députés d’Hiketas s’étendant probablement plus en détail sur l’affaire avec certaines fleurs de langage que leur inspira leur vanité. Timoleôn était là comme auditeur attentif ; mais, avant qu’il pût se lever pour répondre, divers orateurs rhégiens s’avancèrent avec des commentaires ou des questions qui rappelèrent les députés. Il se passa insensiblement un long temps, pendant lequel Timoleôn essaya souvent de trouver l’occasion de parler, mais fut toujours en apparence forcé de laisser parler quelques Rhégiens importuns. Toutefois, pendant tout ce temps, ses trirèmes dans le port n’étaient pas oisives. Une par une, avec aussi peu de bruit que possible, elles quittaient leur mouillage et s’avançaient la rague en pleine mer, en dirigeant leur course vers la Sicile. Bien que la flotte carthaginoise vît cette manœuvre, elle ne savait pas ce qu’elle signifiait, ni elle n’avait d’ordre pour l’empêcher. A la fin, les autres trirèmes grecques furent toutes à flot et en marche, celle de Timoleôn restant seule dans le port. Avis lui étant donné secrètement pendant qu’il siégeait, dans l’assemblée, il se glissa hors de la foule, ses amis dissimulant sa retraite, — et il s’embarqua immédiatement. On ne s’aperçut pas d’abord de son absence ; en effet, le débat continuait comme s’il était encore présent, et les orateurs rhégiens le prolongeaient avec intention. A la fin, il fut impossible de cacher la vérité plus longtemps. Les députés et les Carthaginois reconnurent que l’assemblée et le débat n’étaient que de purs stratagèmes et que leur ennemi réel avait disparu. Mais ils le reconnurent trop tard. Timoleôn avec ses trirèmes était déjà, en route pour Tauromenium, en Sicile, oui ils arrivèrent tous sains et saufs et sans obstacle. Dupés et humiliés, ses ennemis quittèrent l’assemblée dans une violente colère contre les Rhégiens qui leur rappelèrent que des Carthaginois devraient être les derniers à se plaindre d’une supercherie chez les autres[42]. Le stratagème habilement combiné, à l’aide duquel Timoleôn avait surmonté une difficulté, selon toute apparence insurmontable, augmenta à la fois sa réputation et l’ardeur de ses soldats. Ils étaient actuellement en sûreté en Sicile, à Tauromenium, établissement récent près de l’emplacement de l’ancienne Naxos, et ils recevaient un accueil plein de cordialité d’Andromachos, le principal citoyen de l’endroit, — dont l’influence était exercée avec tant de douceur, et donnait pane satisfaction si complète qu’elle dura pendant et après la réforme de Timoleôn, quand les citoyens auraient certainement pu s’en délivrer s’ils l’avaient voulu. Andromachos, qui s’était empressé d’inviter Timoleôn à venir, se prépara alors à coopérer avec lui, et fit une réponse courageuse aux menaces que les Carthaginois lui envoyèrent de Rhegium, après qu’ils eurent poursuivi en vain l’escadre corinthienne jusqu’à Tauromenium. Mais Andromachos et Tauromenium n’étaient que de chétifs auxiliaires, comparés avec les ennemis contre lesquels Timoleôn avait à lutter, ennemis actuellement plus formidables que jamais. Car Hiketas, irrité du stratagème mis en œuvre à Rhegium, et craignant l’interruption du blocus qu’il continuait contre Ortygia, demanda une escadre additionnelle de vaisseaux de guerre carthaginois pour Syracuse, ville dont le port fut bientôt complètement entouré[43]. Une considérable armée de terre carthaginoise agissait également sous Hannon, dans les régions occidentales de l’île, avec un grand succès contre les Campaniens d’Entella et autres[44]. Les villes siciliennes avaient leurs despotes indigènes, Mamerkos à Katane, — Leptinês à Apollonia[45], — Nikodêmos à Kentoripa, — Apolloniadês à Agyrion[46], — desquels Timoleôn ne pouvait espérer de secours, si ce n’est qu’autant qu’ils pourraient éprouver une crainte prédominante des Carthaginois. Et les Syracusains, même quand ils apprirent son arrivée à Tauromenium, osèrent à peine concevoir l’espérance d’un secours sérieux de la part d’une si petite poignée d’hommes, contre le formidable déploiement de forces d’Hiketas et des Carthaginois sous leurs murs. De plus, quelle garantie avaient-ils que Timoleôn se montrerait meilleur que Dion, Kallippos et autres avant lui ? Après de séduisantes promesses d’affranchissement, s’ils réussissaient, ils oubliaient les paroles qui leur avaient servi à gagner les cœurs des hommes’, et lie songeaient qu’à s’approprier le sceptre du despote précédent, peut-être même en aggravant tout ce qu’il y avait de mauvais dans son gouvernement ? Telle était la réflexion que faisait plus d’un citoyen malheureux de Syracuse, au milieu de ce désespoir et de cette défaillance de cœur qui faisaient que le nom d’un libérateur armé sonnait à leurs oreilles seulement comme celui d’un nouveau trompeur et d’un nouveau fléau[47]. C’était par des actes seuls que Timoleôn pouvait réfuter ces soupçons si bien fondés. Mais d’abord, personne, ne crut en lui, et il ne put échapper aux effets funestes de cette méfiance que ses prédécesseurs avaient inspirée en tous lieux. Les messagers qu’il envoya partout furent si froidement reçus, qu’il regarda comme vraisemblable, qu’il ne trouverait pas d’alliés au delà des murs de Tauromenium. A la fin, il lui arriva une invitation de grande importance, — de la ville d’Adranum, à environ quarante tailles (= 64 kilom. 1/2) de Tauromenium, dans l’intérieur de l’île, ville sikel indigène, vraisemblablement hellénisée en partie, de dimensions peu considérables, mais vénérée comme consacrée au dieu Adranos, dont le culte était répandu dans toute la Sicile. Comme les Adranites étaient divisés politiquement, dans le même temps qu’un des deux partis envoya l’invitation à Timoleôn, l’autre expédia un semblable message à Hiketas. Soit à Syracuse soit à Leontini, Hiketas était plus près d’Adranum que Timoleôn à Tauromenium, et il ne perdit pas de temps en s’y rendant avec cinq mille hommes de troupes, pour occuper une place si importante. Il y arriva le soir, ne trouva pas d’ennemi, et établit son camp en dehors des murs, se croyant déjà maître de la ville. Timoleôn, avec sa troupe inférieure en nombre, savait bien qu’il n’avait de chance de succès qu’en essayant une surprise. En conséquence, quand il partit de Tauromenium il n’avança pas beaucoup le premier jour, afin qu’il n’arrivât à Adranum aucune nouvelle de son approche ; mais le lendemain matin il marcha le plus rapidement possible, en prenant les sentiers les plus courts et les plus raboteux. En arrivant à trois milles (= 4 kilom. 800 mèt.) d’Adranum, il apprit que les troupes de Syracuse, qui venaient de terminer leur marche, s’étaient campées près de la ville, sans savoir qu’un ennemi quelconque fût à peu de distance. Ses officiers désiraient laisser rafraîchir les hommes après leur marche très fatigante, avant de se risquer à attaquer une armée quatre fois supérieure en nombre. Niais Timoleôn protesta vivement contre un pareil délai, et les supplia de le suivre immédiatement contre l’ennemi, comme la seule chance de le trouver non préparé. Pour les encourager, il prit aussitôt son bouclier et marcha à leur tête, le portant à son bras — le bouclier du général était habituellement porté pour lui par une ordonnance — malgré la fatigue de la marche, qu’il avait lui-même faite à pied aussi bien qu’eux. Les soldats obéirent, et l’effort fut couronné d’un succès complet. Les troupes d’Hiketas, non armées et en train de souper, furent si complètement prises à l’improviste, que malgré leur nombre supérieur elles s’enfuirent sans faire à peine de résistance. La rapidité de leur fuite fit que trois cents hommes seulement furent tués. Mais on fit six cents prisonniers, et tout le camp, y compris ses dépendances, fut pris, sans qu’on eût perdu à peine un homme. Hiketas s’enfuit avec le reste à Syracuse[48]. Cette victoire, — si rapidement et si habilement gagnée, — et l’acquisition d’Adranum qui la suivit, — produisirent la sensation la plus vive d’une extrémité à l’autre de la Sicile. Elle compta même pour plus d’une victoire : les dieux se déclaraient en faveur de Timoleôn. Les habitants de la ville sainte, ouvrant leurs portes et l’abordant avec un respect mêlé de crainte, racontèrent les manifestations visibles du dieu Adranos en sa faveur. Au moment où la bataille commençait, ils avaient vu les portes de leur temple s’ouvrir spontanément et le dieu brandir sa lance avec une transpiration abondante sur le visage[49]. De pareils faits, — vérifiés et attestés dans un endroit d’une sainteté particulière et mis en circulation de là dans toutes les communautés voisines, ne contribuèrent guère moins’ que la victoire à augmenter la gloire de Timoleôn. Il reçut des offres d’alliance de Tyndaris et de plusieurs autres villes, aussi bien que de Mamerkos, despote de Katane, un des princes les plus belliqueux et les plus puissants de l’île[50]. Les renforts qu’il acquit de cette manière furent si nombreux, et son récent succès agrandit tellement sa confiance, qu’il osa alors s’avancer même jusque sous les murs de Syracuse et défier Hiketas, qui ne jugea pas prudent de risquer un second engagement avec le vainqueur d’Adranum[51]. Hiketas était encore maître de toute Syracuse, — à l’exception d’Ortygia, contre laquelle il avait construit des lignes de blocus, conjointement avec la flotte carthaginoise qui occupait le port. Timoleôn n’était pas en état d’attaquer la place, et il aurait été obligé de se retirer promptement, vu que ses ennemis ne voulaient pas sortir. Mais on vit bientôt que les manifestations des Deux déesses et du dieu Adranos n’étaient ni stériles ni trompeuses. Une faveur réelle vint alors le trouver, faveur que ni l’habileté ni la valeur n’auraient pu lui procurer. Denys, bloqué dans Ortygia avec un fonds chétif de provisions, vit du haut de ses murs approcher l’armée de Timoleôn, et il apprit la victoire d’Adranum. Il avait déjà commencé à désespérer de sa propre position d’Ortygia[52] où, dans le fait, il aurait peut-être pu tenir par un effort hardi et une patience fermé, mais sans aucune chance raisonnable de redevenir maître de Syracuse, chance que Timoleôn et l’intervention corinthienne enlevaient plus décidément que jamais. Non seulement Denys n’avait pas le caractère énergique et l’ascendant personnel de son père ; qui aurait pu tenir tête à de pareilles difficultés, — mais il était indolent, avait des habitudes d’ivrognerie, ne trouvait pas de goût à un sceptre que l’on ne pouvait conserver que par de rudes combats, et n’était pas assez opiniâtre pour résister jusqu’à la fin, uniquement comme cause de guerre[53]. Dans ces dispositions, l’arrivée de Timoleôn lui suggéra à la fois l’idée, et lui fournit le moyen de faire servir son abdication à l’acquisition d’un asile sûr et d’une existence confortable à l’avenir ; car pour un despote grec, avec l’odieux que ses rigueurs passées avaient accumulé sur sa tête, la renonciation au pouvoir n’était guère jamais possible, d’une manière compatible avec sa sécurité personnelle[54]. Mais Denys avait l’assurance qu’il pouvait compter, sur la garantie de Timoleôn et des Corinthiens pour trouver asile et protection à Corinthe, avec autant de richesses qu’il pourrait en emporter avec lui, vu qu’il avait le moyen d’acheter cette garantie par la reddition d’Ortygia, — trésor d’urne inestimable valeur. En conséquence, il résolut de proposer une capitulation, et il envoya à Timoleôn des députés dans ce dessein. Les arrangements offrirent peu de difficulté. Denys stipula seulement un passage sur avec ses biens mobiliers jusqu’à Corinthe et une résidence tranquille dans cette cité ; il offrait en échange la reddition à discrétion d’Ortygia avec tout ce qu’elle renfermait, garnison, armes et magasins. La convention fut conclue immédiatement, et trois officiers corinthiens, — Telemachos, Eukleidês et Neôn, — y furent envoyés avec quatre cents hommes pour prendre possession de la place. Leur entrée s’accomplit heureusement, bien qu’ils fussent obligés d’éluder le blocus en y pénétrant furtivement à plusieurs fois et en petites compagnies. Leur abandonnait la possession d’Ortygia, ainsi que le commandement de sa garnison, Denys passa, avec quelque argent et un petit nombre de compagnons, dans le camp de Timoleôn, qui l’emmena, en quittant en même temps le voisinage de Syracuse[55]. Imaginez la position et les sentiments de Denys ; prisonnier dans le camp de Timoleôn, traversant cette île sur laquelle son père aussi bien que lui-même avait régné tout-puissant, et se sachant l’objet ou de la haine ou du mépris de tout le monde, — si ce n’est que l’immense bienfait dont on lui était redevable, par la reddition d’Ortygia, lui valait de l’indulgence et des ménagements ! Il était sans doute impatient de partir immédiatement pour Corinthe, tandis que Timoleôn n’était pas moins désireux de l’y envoyer, comme la preuve vivante du triomphe obtenu[56]. Bien qu’il ne se fût pas encore écoulé cinquante jours depuis le débarquement de Timoleôn en Sicile, il pouvait déjà annoncer une victoire décisive, une grande confédération groupée autour de lui, et la possession de l’inexpugnable position d’Ortygia, avec une garnison égale en nombre à sa propre armée, les dépêches étant accompagnées de la présence de ce despote même, qui portait le terrible nom de Denys, et contre qui l’expédition avait été principalement dirigée. Timoleôn envoya à Corinthe une trirème spéciale[57] pour transporter Denys et communiquer ces importantes nouvelles, en même temps que la convention qui garantissait au roi détrôné une résidence tranquille dans cette cité. L’impression que produisit à Corinthe l’arrivée de cette trirème et de ses passagers fut puissante au delà de toute comparaison. L’admiration et l’étonnement furent universels : car l’expédition de Timoleôn était partie comme une aventure désespérée, dans laquelle à peine un des principaux Corinthiens avait été disposé à s’embarquer, et personne n’avait imaginé la possibilité d’un succès aussi rapide et aussi complet. Mais la perspective de victoires en Sicile, au service du général heureux, était actuellement la passion générale des citoyens. On vota et on équipa immédiatement un renfort de deux mille hoplites et de deux cent chevaux[58]. Si le triomphe excita l’étonnement et la joie, la personne de Denys lui-même ne fit pas un appel moins puissant à d’autres sentiments. Un despote déchu était un spectacle refusé à des yeux grecs ; quiconque aspirait au despotisme risquait son tout, en renonçant à ses chances de rentrer dans une condition privée. Par un remarquable concours de circonstances, l’exception d cette règle se présentait précisément au moment où il était le moins vraisemblable qu’elle s’offrirait, dans le cas du despotisme le plus formidable et le plus odieux qui eût jamais pesé sur le monde grec. Pendant près d’un demi-siècle avant l’expédition de Dion contre Syracuse, chacun avait été accoutumé a prononcer le nom de Denys avec un mélange de crainte et de haine ; — le sentiment de l’abattement devant une force irrésistible. Nous avons déjà raconté combien Dion lui-même eût de difficulté à triompher de cette impression dans l’esprit de ses propres soldats. Bien que dissipée par le succès de Dion, l’alarme antérieure reprit, quand Denys recouvra sa possession d’Ortygia, et quand les Syracusains adressèrent à Corinthe un appel pathétique pour obtenir du secours contre lui. Et voilà que, soudain, le représentant de cette grandeur évanouie, qui porte lui-même le nom redouté de Denys, entre dans Corinthe en vertu d’une convention, ne demandant que l’humble domicile et la simple sécurité d’un citoyen ordinaire[59]. L’esprit grec sentait vivement ces contrastes, qui entraient largement dans les idées de chacun sur les affaires humaines, et étaient reproduites sous mille formes par les écrivains et les orateurs. L’affluence des visiteurs ; qui vinrent en foule pour contempler Denys et lui parler, non seulement de Corinthe, mais des autres cités de la Grèce, — fut immense ; quelques-uns furent poussés par la simple Curiosité, d’autres par la compassion, un petit nombre même par un sentiment de dérision insultante. Les anecdotes que l’on raconte semblent destinées à donner une impression dégradante de cette dernière période de sa carrière. Mais même les devoirs ordinaires de la vie, — l’acquisition d’onguents et de condiments au cabaret[60], — la subtilité de critique montrée relativement à des robes et à des meubles[61] paraissaient dégradants quand ils étaient accomplis par l’ex-despote de Syracuse. Il n’était pas probable que son habitude de boire largement, contractée déjà, se corrigeât dans ces jours de mortification ; — cependant en général sa conduite semble avoir en plus de dignité qu’on n’aurait pu s’y attendre. Ses goûts littéraires, manifestés pendant le temps de ses relations avec Platon, sont impliqués même dans les anecdotes destinées à le ravaler. C’est ainsi, dit-on, qu’il ouvrit une école pour enseigner à lire à des enfants, et qu’il apprit aux chanteurs publics l’art de chanter ou de réciter de la poésie[62]. Son nom servit à des écrivains subséquents, tant grecs que romains, — comme ceux de Crésus, de Polykratês et de Xerxès servent à Hérodote, — d’exemple pour faire une moralité sur l’instabilité des événements humains. Cependant les anecdotes que l’on rapporte sur son compte peuvent rarement être vérifiées, et nous ne pouvons pas non plus distinguer les faits réels de ces mythes appropriés et frappants auxquels une situation si féconde devait nécessairement donner lien. Parmi ceux qui le. visitèrent à Corinthe fut Aristoxenos de Tarente ; car les chefs tarentins, présentés d’abord par Platon, avaient entretenu leur correspondance avec Denys même après sa première expulsion de Syracuse à Lokri, et avaient essayé vainement de sauver son épouse et ses filles infortunées de la fureur vengeresse des Lokriens. Pendant les jours glorieux de Denys, son ambassadeur Polyarchos avait été envoyé en mission à Tarente, où il eut une conversation avec le principal magistrat, Archytas. Cette conversation, Aristoxenos l’a consignée dans un écrit probablement d’après le témoignage personnel d’Archytas, dont il composa une biographie. Polyarchos insista star la richesse, le pouvoir et les plaisirs des sens, comme étant les seuls objets qui fussent dignes qu’on vécut pour eux, déclarant que ceux qui les possédaient en grande quantité étaient les seuls cures qui méritassent d’être admirés. Au point le plus élevé était le roi de Perse, que Polyarchos vantait comme de tous les mortels le plus digne d’envie et d’admiration. Après le roi de Perse (dit-il), bien qu’après un très grand intervalle, vient notre despote de Syracuse[63]. Qu’était devenu Polyarchos, c’est ce que nous ignorons ; mais Aristoxenos vécut pourvoir ce Denys envié dans la phase changée de son existence a Corinthe, et probablement pour être témoin de la ruine des rois de Perse aussi. Quand. on lui demandait quelle avait été la cause de son mécontentement contre Platon, Denys répondait, dans un langage bien différent de celui de son ancien ambassadeur Polyarchos ; qu’au milieu des mille maux qui entouraient un despote, aucun n’émit sic funeste que la répugnance de ses prétendus amis à lui dire la vérité. Ces faux amis avaient empoisonné les bons sentiments entre lui et Platon[64]. Cette anecdote a plus l’air d’être véritable que d’autres que nous lisons plus spirituelles et plus piquantes. Le philosophe cynique Diogène traitait Denys avec un mépris hautain parce qu’il se résignait à vivre dans une condition privée après avoir joui d’un ascendant si dominant. Tel était plus ou moins le sentiment de tout visiteur qui le voyait ; mais ce qui est à déplorer, c’est qu’il n’ait pas été dans une condition privée dès le commencement. Il était par nature peu propre à suivre, même avec avantage pour lui-même, le sentier périlleux et épineux d’un despote grec. Les vaisseaux chargés des renforts décrétés par les Corinthiens, bien qu’équipés sans délai et parvenus à Thurii, en Italie, ne purent avancer plus loin à cause de l’escadre carthaginoise postée au détroit, et ils furent condamnés à attendre une occasion favorable[65]. Mais le plus grand de tous les renforts pour Timoleôn fut l’acquisition d’Ortygia. Elle contenait non seulement une garnison de deux mille soldats, — qui passèrent (probablement à leur grande satisfaction) de la cause perdue de Denys sous la bannière victorieuse de Timoleôn, — mais encore toute espèce de provisions militaires. Il y avait des chevaux, des engins de siège, des béliers, des armes de trait de toute sorte, et en outre, des boucliers et des lances s’élevant au chiffre étonnant de 70.000, — si le renseignement de Plutarque est exact[66]. Après avoir renvoyé Denys, Timoleôn organisa un service de petites embarcations de Katane destinées à transporter des provisions par mer à Ortygia, en esquivant l’escadre de garde carthaginoise. Il trouva moyen de le faire avec un succès passable[67], en profitant des vents ou du mauvais temps, quand les vaisseaux de guerre ne pouvaient barrer l’entrée du petit port. Dans l’intervalle il retourna lui-même à Adranum, poste commode pour surveiller et, Leontini et Syracuse. Là deux assassins, gagnés par Hiketas, furent sur le point de le faire périr, pendant qu’il offrait un sacrifice à une fête ; et ils n’en furent empêchés que par un incident si remarquable, que tout le monde reconnut l’intervention visible des dieux pour le protéger[68]. Cependant Hiketas, étant décidé à se rendra maître d’Ortygia, invoqua le secours de toutes les forces carthaginoises sous Magôn. Le grand port de Syracuse fut bientôt occupé par une flotte écrasante de 150 vaisseaux de guerre carthaginois, tandis qu’une armée de terre, qui montait, élit-on, à 60.000 hommes, vint aussi pour rejoindre Hiketas, et fut lourée par lui dans les murs de Syracuse. Jamais auparavant aucune troupe carthaginoise n’avait iris le pied dans ces murs. C’est alors que sembla évanouie la liberté syracusaine, peut-être même l’hellénisme syracusain. Ortygia elle-même, malgré la bravoure de la garnison sous le Corinthien Neôn ne sembla plus tenable, contre les attaques répétées et les machines à battre en brèche, combinées avec un blocus rigoureux destiné à empêcher les provisions d’arriver par mer. Toutefois, bien que la garnison souffrît, quelque petite embarcation avec des provisions venant de tatane parvenait à se glisser dans la place ; fait qui engagea Hiketas et Magôn à former le plan d’attaquer cette ville, se croyant assez forts pour y réussir avec une partie de leurs forces, sans discontinuer le siège d’Ortygia. En conséquence, ils sortirent du port et partirent de la cité de Syracuse, avec la meilleure partie de leur armement, pour attaquer Katane, — laissant Ortygia encore bloquée. Mais les commandants qui restèrent, surveillèrent avec tant de négligence, que Neôn vit bientôt, du haut des murs d’Ortygia, l’occasion de les attaquer avec avantage. Faisant une sortie soudaine et vigoureuse, il, tomba à l’improviste sur l’armée de blocus, la mit en déroute sur, tous les points en lui infligeant des pertes sérieuses, et poussa sa poursuite si vivement, qu’il s’empara d’Achradina, en chassant l’ennemi de cette importante section de la cité. Les provisions et l’argent, qu’on y acquit à un moment critique, donnèrent un grand prix à cette victoire. Mais ce qui en fit le principal mérite ce fut la possession d’Achradina, que Neôn fit immédiatement unir à Ortygia par une nouvelle ligne de fortifications, reliant ainsi ces deux points[69]. Ortygia avait été auparavant (comme je l’ai déjà fait remarquer) complètement distincte d’Achradina. Il est probable que la population d’Achradina, heureuse d’être délivrée des Carthaginois, prêta une aide empressée à Neôn tant pour défendre ses murs que pour construire les nouvelles lignes qui devaient les rattacher à Ortygia ; travail pour lequel les nombreuses tombes intermédiaires fournissaient des matériaux. Ce vaillant exploit de Neôn changea d’une manière durable la, position des combattants à Syracuse. Un cavalier partit à l’instant pour porter la mauvaise nouvelle à Hiketas et à Magôn près de Katane. Ils revinrent tous deux sur-le-champ, mais ils ne revinrent que pour occuper la moitié de la cité, — Tycha, Neapolis et Epipolæ. Il devenait extrêmement difficile de poursuivre un siège ou un blocus heureux d’Ortygia et d’Achradina réunies ; en outre, Neôn avait alors obtenu d’abondantes provisions pour le moment. Cependant Timoleôn approchait aussi, renforcé par la nouvelle division corinthienne, qui, après avoir été retenue d’abord à Thurii et souffrant du délai, s’était rendue à Rhegium par l’intérieur des terres, en traversant le territoire brutien. Elle fut assez heureuse pour trouver le détroit non gardé ; car l’amiral carthaginois Hannon ; — ayant vu leurs vaisseaux désarmés à Thurii, et ne prévoyant pas leur marche parterre, était d’abord retourné avec son escadre au détroit de Messine ; puis, espérant effrayer par un stratagème la garnison d’Ortygia et l’amener à se rendre, il avait fait voile vers le port, de Syracuse avec ses trirèmes décorées comme après une victoire. Ses marins, des couronnes sur la tête, crièrent, en entrant dans le port et en passant sous les murs d’Ortygia, que l’escadre corinthienne avait été capturée tout entière au moment où elle approchait du détroit, et montrèrent comme preuves de la victoire certains boucliers grecs suspendus à bord. Par cette ruse grossière, Hannon produisit probablement une crainte sérieuse dans la garnison d’Ortygia. Mais s’il se donna cette satisfaction temporaire, il la paya en laissant le détroit non gardé, et en permettant à la division corinthienne de passer sans obstacle d’Italie en Sicile. En arrivant à Rhegium, ces Corinthiens trouvèrent non seulement le détroit libre, mais encore un calme complet et soudain, qui succédait à plusieurs jours de temps orageux. S’embarquant immédiatement dans les bacs et les bateaux pêcheurs qu’ils purent trouver, et faisant nager à côté des embarcations leurs chevaux qu’ils tenaient par la bride, ils atteignirent la côte de Sicile sans pertes ni difficulté[70]. C’est ainsi que les dieux montrèrent encore leur faveur à l’égard de Timoleôn par une combinaison extraordinaire de circonstances, et en frappant l’ennemi d’aveuglement. Le courant du succès l’accompagna tellement que l’importante ville de Messênê se déclara au nombre de ses alliés, et admit les nouveaux soldats corinthiens immédiatement à leur débarquement. Sans s’arrêter longtemps, ils se mirent en marche pour rejoindre Timoleôn, qui se crut assez ; fort, bien que même avec ce renfort il ne pût avoir sous ses ordres que quatre mille hommes, pour s’avancer jusque dans le voisinage de Syracuse, et pour y affronter l’armée infiniment supérieure de ses ennemis[71]. Il parait avoir campé prés de l’Olympieion et près du pont du fleuve Anapos. Bien que Timoleôn fût sûr de la coopération de Neôn et de la garnison corinthienne d’Ortygia et d’Achradina, cependant il était séparé d’eux par les forces considérables d’Hiketas et de Magôn, qui occupaient Epipolæ, Neapolis et Tycha, en même temps que le terrain bas entre Epipolæ et le Grand Port, tandis que la nombreuse flotte carthaginoise remplissait le Port lui-même. D’après un calcul raisonnable, Timoleôn semblait avoir peu de chance de succès. Mais déjà il s’était élevé dans l’esprit de Magôn un soupçon qui semait les germes de la désunion entre lui et Hiketas. L’alliance entre Grecs et Carthaginois n’était naturelle pour aucune des deux parties, et elle était exposée à être traversée, à chaque revers, par une défiance mutuelle, produite par l’antipathie dont chaque partie se sentait animée et qu’elle savait exister dans l’autre. Le malheureux projet de marcher sur Katane, aussi bien que la victoire capitale que Neôn gagna par suite de cette absence, fit croire à Magôn qu’Hiketas le trahissait. Il fut confirmé dans ses craintes quand il vit en face de lui l’armée de Timoleôn postée sur le fleuve Anapos, — et quand il sentit qu’il était dans une cité grecque en général mal disposée pour lui, tandis que Neôn était sur ses derrières dans Ortygia et Achradina. Dans ces circonstances, Magôn crut que le salut de ses Carthaginois dépendait tout entier de la coopération zélée et fidèle d’Hiketas, auquel il avait cessé actuellement de se fier. Et sa défiance, une fois suggérée, fut aggravée par les communications amicales qu’il vit s’établir entre les soldats de Timoleôn et ceux d’Hiketas. Ces soldats, tous Grecs et mercenaires, combattant pour un pays qui n’était pas le leur, se rencontraient sur le champ de bataille comme des ennemis, — mais se fréquentaient d’une manière pacifique et amicale, pendant les intervalles, dans leurs camps respectifs. Les uns et les autres étaient occupés alors, sans s’inquiéter mutuellement, à prendre des anguilles dans le terrain humide et marécageux situé entre Epipolæ et l’Anapos. Échangeant librement leurs remarques, ils admiraient la magnificence et la grandeur de Syracuse ainsi que le grand avantage de sa, situation maritime, — quand un des soldats de Timoleôn fit observer à ceux d’Hiketas : — Et cette magnifique ville, vous autres Grecs, vous vous efforcez de la rendre barbare en établissant, ces coupe-jarret carthaginois plus près de nous qu’ils ne le sont actuellement, bien que notre premier soin dût être de les tenir éloignés de la Grèce autant que possible. Supposez-vous réellement qu’ils où amené cette armée de l’Atlantique et des Colonnes d’Hêraklês, uniquement dans l’intérêt d’Hiketas et de son gouvernement ? Mais si Hiketas appréciait les choses comme un véritable maître, il ne renverrait pas ainsi ses frères et s’introduirait pas un ennemi de son pays ; il s’assurerait un empire honorable, en arrivant à s’entendre avec les Corinthiens et Timoleôn. Tel fut le colloque que les soldats de Timoleôn et ceux d’Hiketas eurent ensemble, et qui ne tarda pas à être rapporté aux Carthaginois. Après avoir fait, a ce qu’il parait, une forte impression sur ceux auxquels il était adressé, il justifia les craintes de Magôn, qui fut amené a croire qu’il ne pouvait plus se fier à ses alliés siciliens. Sans un moment de retard, il embarqua toutes ses troupes ; et en dépit des remontrances les plus vives d’Hiketas ; il fit voile pour l’Afrique[72]. Le lendemain, quand Timoleôn s’avança pour l’attaque, il fut surpris de trouver l’armée et sa flotte carthaginoises parties. Ses soldats, en croyant à peine leurs yeux, couvrirent de ridicule et de mépris la lâcheté de Magôn. Toutefois Hiketas résolut encore de défendre Syracuse avec ses propres troupes, malgré le coup cruel que lui porta la désertion de Magôn. Cette désertion avait laissé ouverts et le Port et le terrain bas près du Port ; de sorte que Timoleôn put se mettre en communication directe avec sa garnison d’Ortygia et d’Achradina, et dresser des plans pour une triple attaque simultanée. Il se chargea lui-même d’attaquer le front méridional d’Epipolæ vers le fleuve Anapos, où la cité était la plus forte ; le Corinthien Isias eut pour instructions de donner un assaut vigoureux à Achradina sur le côté oriental, tandis que Deinarchos et Demaretos, les généraux qui avaient amené le récent renfort de Corinthe, reçurent l’ordre d’attaquer le mur septentrional d’Epipolæ, ou l’Hexapylon[73] ; on les envoya probablement d’Ortygia, par mer, pour qu’ils débarquassent à Trogilos. Hiketas, qui occupait l’agrégat composé d’Epipolæ, de Tycha et de Neapolis, fut attaqué de trois côtés à la fois. Il avait une position très défendable, qu’un bon commandant, avec des troupes braves et fidèles, aurait pu conserver contre des forces plus nombreuses que celles de Timoleôn. Cependant, malgré de pareils avantages, on ne résista réellement pas ; on ne l’essaya même point. Non seulement Timoleôn prit la place, mais il s’en empara sans perdre un seul homme, tué ou blessé. Hiketas et ses partisans s’enfuirent à Leontini[74]. La désertion de Magôn explique naturellement beaucoup de découragement parmi les soldats d’Hiketas. Mais quand nous lisons la facilité étonnante avec laquelle la ville fut prise, il est évident qu’il a dû y avoir quelque chose de plus flue du découragement. Les soldats de la défense furent réellement peu disposés à se servir de leurs armes pour repousser Timoleôn et maintenir la domination d’Hiketas dans Syracuse. Quand nous lisons ce sentiment si puissamment manifesté, nous rie pouvons nous empêcher de reconnaître que la répugnance de ces hommes a servir dans ce qu’ils regardaient comme une cause carthaginoise, jeta dans les mains de Timoleôn une victoire aisée, et que la retraite méfiante de Magôn ne fut ni aussi absurde ni aussi lâche que Plutarque le dit[75]. Toutefois, le public grec, qui ne rechercha pas minutieusement les événements préliminaires, apprit cette prise aisée comme un fait, et l’apprit avec un enthousiasme, sans bornes. De Sicile et d’Italie, la nouvelle passa rapidement à Corinthe et dans les autres parties de la Grèce. Partout le sentiment fut le même, étonnement et admiration, à cause non seulement de la grandeur de la conquête, mais encore de la facilité et de la promptitude avec lesquelles elle avait été faite. L’arrivée du captif Denys à Corinthe avait été en elle-même un événement qui avait produit la plus grande impression. Mais à ce moment les Corinthiens apprenaient la disparition de l’immense armée carthaginoise et la prise totale de Syracuse, sans la perte d’un seul homme ; et cela encore avant même d’être sors si leur second renfort, qu’ils savaient avoir été bloqué a Thurii, avait pu toucher le rivage sicilien. Ces nouveautés extraordinaires excitèrent même en Grèce, et beaucoup plus encore, dans la Sicile elle-même, un sentiment a l’égard de Timoleôn tel qu’aucun Grec peut-être n’en avait jamais encore provoqué de pareil. Sa bravoure, l’habileté de ses plans, la rapidité de ses mouvements étaient, il est vrai, admirées comme elles le méritaient. Mais sous ce rapport, d’autres l’avaient égalé auparavant ; et nous pouvons faire remarquer que même le Corinthien Neôn, en prenant Achradina, avait rivalisé avec son supérieur en tout ce que ce dernier avait accompli, Mais ce qui dans Timoleôn était sans pareil, ce en quoi personne ne l’approchait et qui imprimait un caractère particulier à toutes ses qualités méritoires, — c’était sa bonne fortune surhumaine, ou, — ce qui aux yeux de la plupart des Grecs était la même chose en d’autres termes, — la faveur illimitée dont les dieux avaient entouré et sa personne et son entreprise. Bien que comblé d’éloges comme un homme brave et capable, Timoleôn était salué plus affectueusement encore comme un homme digne d’envie[76]. Jamais on n’avait vu les dieux manifester ainsi leurs dispositions de bonté à l’égard d’un mortel[77]. Le résultat que Telekleidês avait déclaré être indécis au moment où l’on nommait Timoleôn, se trouvait actuellement déterminé d’une manière triomphante. Après la prise de Syracuse, nous pouvons être sûrs que personne ne dénonça jamais Timoleôn comme fratricide ; — chacun le vanta comme un tyrannicide. Les grands exploits d’autres hommes éminents, tels qu’Agésilas et Epaminondas, avaient coûté des fatigues, de cruels combats, des blessures et la mort à ceux qui les avaient accomplis, et tout cela contribuait à diminuer d’autant pour le spectateur sa complète satisfaction d’esprit. Comme un discours ou un poème qui sent l’huile, ils ne portaient que trop clairement les marques d’un travail et d’une fatigue préliminaires. Mais Timoleôn, à l’instar des dieux immortels qui, descendant pour combattre dans la plaine de Troie, accomplissaient de magnifiques faits d’armes, — Timoleôn, dis je, triomphait de ce qui semblait être des obstacles insurmontables, sans aucun effort : pour cela, il n’avait qu’à se montrer. Il offrait aux yeux un magnifique résultat, obtenu avec toute cette apparente facilité qui appartient comme un privilège aux inspirations d’un génie de premier ordre[78]. Un pareil spectacle de mérite et de bonne fortune combinée, — achèvement glorieux avec une facilité pleine de grâce, était chose nouvelle pour le monde grec. |
[1] Cornélius Nepos, Dion, c. 10.
[2] Plutarque, Dion, c. 56, 57.
[3] Plutarque, Dion, c. 58.
[4] Plutarque, Dion, c. 58.
[5] Plutarque, Dion, c. 58 ; Diodore, XVI, 31-36.
[6] Plutarque, Timoleôn, c. 11 ; Plutarque, Comparaison de Timoleôn et de Paul-Émile, c. 2.
[7] Cela semble résulter de Plutarque, Dion, c. 58, comparé avec Diodore, XVI, 36.
[8] Platon, Epist. VIII, p. 353, 355, 356.
[9] Platon, Epist. VIII, 356 B.
[10] Plutarque, Timoleôn, c. 1.
[11] Platon, Epist. VIII, p. 353 F.
[12] Platon, Epist. VIII, p. 356.
[13] Hérodote, IV, 161.
[14] Plutarque, Timoleôn, c. 1.
[15] Aristote et Théopompe, ap. Athenæum, X, p. 435, 436 ; Theopomp. Fragm. 146, 204, 213, éd. Didot.
[16] Aristote, Politique, V, 6, 7.
[17] Strabon, VI, p. 258.
[18] Plutarque, Timoleôn, c. 11. Comparaison de Timoleôn et de Paul-Émile, c. 2 ; Théopompe, ap. Athenæ. XII, p. 536 ; Plutarque, Reip. Gerend. Prœcept., p. 821 D. Au sujet des deux citadelles de Lokri, V. Tite-Live, XXIX, 6.
Il se peut probablement que ce fût une flotte destinée à piller au service de Denys le Jeune, qui, comme le mentionne Tite-Live, ravageait la côte du Latium, en coopérant avec les Gaulois contre des portions du territoire romain (Tite-Live, VII, 25, 26).
[19] Il semblerait que les relations d’amitié, ou de dépendance amicale existaient encore entre Denys le Jeune et les Tarentins. On voyait, dans le prytaneion ou palais du gouvernement de Tarente, un magnifique lustre ayant trois cent soixante-cinq becs, présent de Denys (Euphorion, ap. Athenæ, XV, p. 700).
[20] Strabon, VI, p 250, 260 ; Athénée, XII, p. 511.
[21] Diodore, XVI, 67.
[22] Plutarque, Timoleôn, c. 2.
[23] Plutarque, Timoleôn, c. 3.
[24] Plutarque, Timoleôn, c. 3.
[25] Plutarque, Timoleôn, c. 3.
[26] Hérodote, V, 92.
[27] Plutarque, Timoleôn, c. 4. On ne peut déterminer à quelle époque se livra cette bataille.
[28] Plutarque, Timoleôn, c. 4.
Les Corinthiens faisaient la guerre à Thèbes, conjointement avec Athènes et Sparte, lorsque (en 366 avant J.-C.) les Athéniens formèrent leur plan de s’emparer de la cité. Les Corinthiens, l’ayant appris à temps, prirent des mesures pour le faire échotier.
V. Xénophon, Hellenica, VII, 4, 4-5.
[29] Aristote, Politique, V, 5, 9.
[30] Plutarque, Timoleôn, c. 4. Diodore (XVI, 65) s’accorde avec lui quant au fait principal, — mais, il diffère dans plusieurs détails.
[31] Plutarque, Timoleôn, c. 4.
[32] Plutarque, Timoleôn, c. 4 ; Cornélius Nepos, Timoleôn, c. 1 ; Plutarque, Reip. Gerend. Præcept., p. 808 A. Que Telekleidês fût présent et prît part au meurtre, — bien que Plutarque ne nomme directement qu’Æschylos et Orthagoras, — c’est ce qui me semble impliqué dans une allusion indirecte qui vient ensuite (c. 7), où Telekleidês dit à Timoleôn après sa nomination au commandement de l’expédition sicilienne : Άν νΰν καλώς άγωνίσης, τύρανιον άνηρηκέναι δόξομεν, άν δέ φαυλώς, άδελφόν.
La présence du prophète semble indiquer qu’ils venaient de faire un sacrifice, afin de s’assurer de la volonté des dieux relativement à ce qu’ils étaient sur le point de faire.
Nepos dit que Timoleôn n’était pas réellement présent au moment de la mort de son frère, mais qu’il se tenait en dehors de la pièce pour empêcher les serviteurs d’arriver.
Diodore (XVI, 65) dit que Timoleôn tua son frère dans la place du marché. Mais le récit de Plutarque parait préférable.
[33] Plutarque, Timoleôn, c. 5.
[34] Plutarque, Timoleôn, c. 7.
[35] Plutarque, Timoleôn, c. 7. Diodore (XVI, 65) présente cette antithèse frappante comme si elle était imposée à Timoleôn par le sénat, quand il lui conféra le nouveau commandement. Selon lui, la demande de Syracuse arriva à Corinthe peu après la mort de Timophanês, et tandis que le jugement de Timoleôn était encore pendant. Il dit que le sénat nomma Timoleôn au commandement, afin d’échapper à la nécessité de prononcer une sentence d’une manière ou d’une autre.
Je suis le récit de Plutarque, comme préférable, en reconnaissant un long intervalle entre la mort de Timophanês et la demande de Syracuse, intervalle de grande souffrance d’esprit pour Timoleôn.
[36] Hérodote, VII, 155.
[37] Plutarque, Timoleôn, c. 8, 11, 12, 30 ; Diodore, XVI, 66 ; Plutarque, Sacr. Num. Vind., p. 552. Dans le traité aristotélicien, Rhetorica ad Alexandrum, s. 9, il est dit que Timoleôn avait neuf vaisseaux.
[38] Plutarque, Timoleôn, c. 7.
[39] Plutarque, Timoleôn, c. 8 ; Diodore, XVI, 66.
[40] Plutarque, Timoleôn, c. 9 ; Diodore, XVI, 68.
[41] Plutarque, Timoleôn, c. 10.
[42] Plutarque, Timoleôn, c. 10, 11.
[43] Plutarque, Timoleôn, c. 11.
[44] Diodore, XVI, 67.
[45] Plutarque, Timoleôn, c. 13-24 ; Diodore, XVI, 72.
[46] Diodore, XVI, 82.
[47] Plutarque, Timoleôn, c. 11.
[48] Plutarque, Timoleôn, c, 12 ; Diodore, XVI, 68. Diodore et Plutarque s’accordent sur les chiffres tant des hommes tués que des prisonniers du côté d’Hiketas.
[49] Plutarque, Timoleôn, c. 12.
[50] Plutarque, Timoleôn, c. 13 ; Diodore, XVI, 69.
[51] Diodore, XVI, 68, 69. Que Timoleôn se soit mis en marche pour Syracuse, c’est ce qu’affirme Diodore, bien que Plutarque ne le dise pas. Je suis Diodore jusque-là, pares que cela rend les opérations subséquentes par rapport à Denys plus claires et plus intelligibles.
Mais Diodore ajoute deux autres choses, qui ne peuvent être exactes. Il affirme que Timoleôn poursuivit Hiketas au pas de course, immédiatement à partir du champ de bataille d’Adranum jusqu’à Syracuse, et qu’alors il se rendit maître de la partie de Syracuse appelée Epipolæ.
Or, ce fut avec quelque difficulté que Timoléon put conduire ses soldats même jusqu’au champ de bataille d’Adranum, sans quelque repos préalable, tant était longue et fatigante la marche qu’ils avaient faite depuis Tauromenium. Il est donc impossible qu’ils puissent avoir été ou disposés à poursuivre (à un pas accéléré) Hiketas immédiatement depuis le champ de bataille d’Adranum jusqu’à Syracuse, ou capables de le faire.
Ensuite, on verra par les opérations subséquentes que Timoleôn n’acquit, en cette occasion, aucune autre portion de Syracuse que pilot d’Ortygia, qui lui fut livré par Denys. Il n’entra, dans Epipolæ que plus tard.
[52] Plutarque, Timoleôn, c. 13.
[53] Tacite, Histoires, III, 70. Relativement aux derniers jours de l’empereur Vitellius : Quant à lui, également impuissant pour ordonner et pour défendre, il avait cessé d'être empereur, il n'était plus qu'un sujet de guerre.
[54] Voir, entre autres explications de ce fait, la remarque frappante de Solon (Plutarque, Solon, c. 14).
[55] Plutarque, Timoleôn, c. 13 ; Diodore, XVI, 70. Diodore me paraît mal dater ces faits, en plaçant la capitulation de Denys et la reddition d’Ortygia à Timoleôn, après la prise de l’autre portion de Syracuse par Timoleôn. Je suis la chronologie de Plutarque, qui place la capitulation d’Ortygia la première.
[56] Plutarque, Timoleôn, c. 16.
[57] Théopompe disait que Denys était allé de Sicile à Corinthe dans un navire marchand. Timée contredisait cette assertion, vraisemblablement avec sa rudesse habituelle, et affirmait que Denys avait été envoyé dans un vaisseau de guerre. Voir Timée, Fragm. 133 ; Théopompe, Fragm. 216, éd. Didot.
Diodore (XVI, 70) copie Théopompe.
Polybe (XII, 4 a) blâme Timée de ce qu’il chicane sur de petites inexactitudes semblables, comme si la différence entre les deux ne valait pas la peine d’être mentionnée. Il se peut que le langage de Timée ait mérité un blâme comme peu poli, mais le fait me parait avoir parfaitement mérité d’être rectifié. Envoyer Denys dans une trirème, c’était le traiter comme prisonnier d’une manière respectueuse, promesse que Timoleôn sans doute avait faite, et qu’il devait être disposé à tenir pour des raisons personnelles, si l’on songe qu’il avait un grand intérêt à faire de l’entrée de Denys comme captif dans Syracuse un spectacle saisissant. De plus, la trirème devait arriver à Corinthe plus vite qu’un navire marchand.
Que Denys allât dans un bâtiment de commerce, c’était une preuve de plus de sa fortune déchue, et ce semble avoir été la raison pour laquelle l’adopta Théopompe, — par suite de la passion, dominante parmi tant d’auteurs grecs, d’exagérer les contrastes.
[58] Plutarque, Timoleôn, c. 13, 14, 15.
[59] Plutarque, Timoleôn, c. 14 ; Diodore, XVI, 70. Les remarques de Tacite sur les dernières heures de l’empereur Vitellius ont leur application au sentiment grec en cette occasion (Histoires, III, 68) : — Il n'y avait pas de cœur assez oublieux des vicissitudes humaines pour n'être pas ému de compassion en voyant un empereur romain, naguère maître du monde, quitter le séjour de sa grandeur, et, à travers le peuple, à travers la ville consternée, descendre de l'empire. On n'avait jamais vu, jamais ouï rien de pareil, etc.
[60] Plutarque, Timoleôn, c. 14 ; Théopompe, Fragm. 217, éd. Didot ; Justin, XXI, 5.
[61] Timée, ap. Polybium, XII, 24.
[62] Plutarque, Timoleôn, c. 14 ; Cicéron, Tusculanes, Disp. III, 12, 7. Sa remarque, que Denys ouvrit l’école par désir d’avoir encore le plaisir d’exercer l’autorité, ne peut guère être regardée comme ayant l’intention d’être sérieuse.
Nous ne pouvons supposer que Denys, dans son exil à Corinthe, souffrît du manque d’un revenu confortable ; car il est mentionné que tous ses effets mobiliers furent achetés par son homonyme Denys, l’heureux despote de l’Hêrakleia du Pont ; et ce mobilier était si magnifique, que son acquisition compta au nombre des marques particulières d’ornement et de dignité pour la dynastie herakléotique. — V. les Fragments de l’historien Memnon d’Hêrakleia, ch. IV, p. 10, éd. Orelli, ap. Photium, cod. 224.
[63] Aristoxêne, Fragm. 15, éd. Didot, ap. Athenaæum, p. 545.
On voit que le mot τύραννος était employé même par ceux qui n’y attachaient pas un sens hostile ; — appliqué à son maître par un ambassadeur plein d’admiration pour lui.
[64] Plutarque, Timoleôn, c. 15. Aristoxêne apprit de Denys à Corinthe la remarquable anecdote au sujet du fidèle attachement des deux amis pythagoriciens, Damon et Phintias. L’incident avait fait une forte impression sur Denys, qui aimait à la raconter (Aristoxen. Fragm. 9, éd. Didot ; apud Jamblichum, Vit. Pythag., s. 233).
[65] Plutarque, Timoleôn, c. 16.
[66] Plutarque, Timoleôn, c. 13.
[67] Plutarque, Timoleôn, c. 18.
[68] Plutarque, Timoleôn, c. 16.
[69] Plutarque, Timoleôn, c. 18.
[70] Plutarque, Timoleôn, c. 19.
[71] Plutarque, Timoleôn, c. 20.
[72] Plutarque, Timoleôn, c. 20.
[73] Plutarque, Timoleôn, c. 21. Le récit que fait Plutarque de l’attaque de Timoleôn est très intelligible. Il affirme que le côté a Epipolæ faisant face au sud ou vers le fleuve Anapos était le plus fort.
Saverio Cavallari (zur Topographie von Syrakus, p. 22) confirme cette assertion, en faisant remarquer que le côté septentrional d’Epipolæ, vers Trogilos, est le plus faible et le plus facile à aborder ou à attaquer.
Nous voyons ainsi qu’Epipolæ fut la dernière partie de Syracuse dont Timoleôn se rendit maître, — non la première, comme le dit Diodore (XVI, 69).
[74] Plutarque, Timoleôn, c. 21.
[75] Plutarque, Timoleôn, c, 20, 21. Diodore implique aussi le même verdict (XVI, 69), quoique son récit soit bref aussi bien qu’obscur.
[76] Plutarque, Timoleôn, c. 21.
[77] Homère, Odyssée, III, 219 (Nestor parlant à Telemachos).
[78] Plutarque, Timoleôn, c. 36.