TREIZIÈME VOLUME
Nous commençons actuellement un troisième acte de l’histoire de cette mémorable armée. Après avoir suivi ces soldats de Sardes jusqu’à Kunaxa comme mercenaires destinés à procurer le trône à Cyrus, — puis de Kunaxa à Trapézonte comme des hommes désireux seulement de s’échapper, et achetant leur salut par une bravoure, par une patience et par une organisation merveilleuses, nous suivrons maintenant leurs opérations dans les colonies grecques du Pont-Euxin et au Bosphore de Thrace, auxquelles succédèrent leurs luttes contre les bassesses du prince thrace Seuthês, aussi bien que contre la perfidie et la dureté arbitraire des commandants lacédæmoniens Anaxibios et Aristarchos. Trapézonte, aujourd’hui Trébizonde, où l’armée avait récemment trouvé le repos, était une colonie de Sinopê, aussi bien que Kérasonte et Kotyôra plus loin à l’ouest, chacune d’elles recevant un harmoste ou gouverneur de la cité-mère, et lui payant un tribut annuel. Ces trois villes étaient placées sur la bande étroite de terre séparant le Pont-Euxin de la chaîne de montagnes élevées qui touche de si près à sa côte méridionale. A Sinopê elle-même, la terre s’étend et forme une péninsule défendable, avec un port sûr et un sol fertile adjacent d’une largeur considérable. Un emplacement si séduisant engagea les Milésiens, même avant l’année 600 avant J.-C., à y établir une colonie, et donna à Sinopê l’espoir de parvenir à beaucoup de prospérité et de puissance. Plus loin à l’ouest, à une distance de Byzance qui ne dépassait pas une longue journée de route pour un vaisseau mû par des rameurs, était située la colonie mégarienne d’Hêrakleia, dans le territoire des Maryandini, Les indigènes occupant cette ligne de côtes, que dérangèrent les colons grecs (en comptant par l’ouest), étaient les Thraces bithyniens, les Maryandini, les Paphlagoniens, les Tibarêni, les Chalybes, les Mosynœski, les Drilæ, et les Kolchi. Ici comme ailleurs, ces indigènes trouvèrent utiles des ports de mer grecs, cil ce qu’ils donnaient une nouvelle valeur aux produits de l’intérieur, et qu’ils fournissaient aux grands personnages des ornements et dès objets de luxe auxquels ils n’auraient pas eu accès autrement. Lés citoyens d’Hêrakleia avaient mis sous leur dépendance une partie considérable des Maryandini voisins, et les maintenaient dans des rapports semblables a ceux qui existent entre les indigènes de l’Esthonie et de la Livonie et les colonies allemandes de la mer Baltique. Quelques-uns des villages kolchi étaient aussi soumis de la même manière aux Trapézontains[1], et sans doute Sinopê possédait à l’intérieur une domination semblable de plus ou moins d’étendue. Mais la principale richesse de cette ville importante provenait de sa marine et de son commerce maritime, de la riche pêche de thons attachée à son promontoire, des oliviers dans son voisinage immédiat qui étaient une culture non pas indigène, mais seulement naturalisée par les Grecs sur le bord de la mer, des produits Variés de l’intérieur, comprenant d’abondants troupeaux de bétail, des mines .d’argent, de fer et de cuivre, dans les montagnes voisines, du bois pour la construction des vaisseaux, aussi bien que pour l’ameublement des maisons, et des esclaves indigènes[2]. C’était la même chose pour les trois colonies de Sinopê, plus à l’ouest, — Kotyôra, Kérasonte et Trapézonte, si ce n’est que les montagnes qui touchent au Pont Euxin, s’approchant graduellement de plus en plus du rivage, laissaient à chacune d’elles une bande plus bornée de terre cultivable. Le temps n’était pas encore arrivé pour ces cités d’être conquises et absorbées dans les monarchies de l’intérieur autour d’elles, comme l’avait été Milêtos et les villes situées sur la côte occidentale de l’Asie Mineure. Les Paphlagoniens étaient à cette époque le seul peuple indigène de ces régions qui formât une force collective considérable, sous un prince nommé Korylas, prince tributaire de la Perse, toutefois à moitié indépendant, — puisqu’il avait désobéi à la sommation que lui avait faite Artaxerxés de venir l’aider à repousser Cyrus[3], et à ce moment en termes d’alliance établie avec Sinopê, bien que non sans de secrets desseins contre cette ville pour l’exécution desquels il ne lui manquait que la force nécessaire[4]. Les autres tribus indigènes à l’est étaient des montagnards à la fois plats rudes et plus divisés, belliqueux sur leurs propres hauteurs, mais peu capables de combinaisons agressives. Bien qu’on nous dise que Periklês avait jadis envoyé un détachement de colons athéniens à Sinopê[5], et en avait chassé le despote Timesilaos, — cependant ni cette ville ni aucune de ses voisines ne paraissent avoir pris part à la guerre du Péloponnèse, soit pour soit contre Athènes, et elles n’étaient pas non plus au nombre des tributaires de la Perse. Elles connurent sans doute la marche de Cyrus vers la haute Asie, marche qui avait troublé l’Asie tout entière et probablement elles n’ignorèrent pas les périls et l’état critique de son armée grecque. Mais ce fut avec un sentiment de surprise, mêlé d’admiration et d’alarme, qu’elles virent cette armée descendre de la région montagneuse, reconnue seulement jusque-là comme la demeure des Kolchi, des Makrônes, et d’autres tribus analogues, au milieu desquelles était,perchée la ville de mines, Gymnias. Même après toutes les pertes et les extrêmes souffrances de la retraite, les Grecs comptaient encore, quand on fit l’appel à Kérasonte[6], huit mille six cents hoplites, avec des peltastes ou targers, des archers, des frondeurs, etc., faisant un total de plus de dix mille militaires. Jamais on m’avait vu auparavant une pareille armée dans le Pont-Euxin. Si l’on considère tant le nombre que la discipliné acquise alors des soldats de Cyrus et la confiance qu’ils avaient en eux-mêmes, Sinopê elle-même n’aurait, pas pu lever des forces capables de les affronter sur le champ de bataille. Cependant ils n’appartenaient à aucune cité, et ils ne recevaient d’ordres d’aucun gouvernement établi. Ils ressemblaient à ces armées mercenaires qui marchaient çà et là en Italie pendant le quatorzième siècle sous les généraux appelés condottieri, prenant du service parfois dans une cité, parfois dans une autre. Personne ne pouvait prédire quels plans ils pourraient former ; ni quelle conduite ils pourraient tenir à l’égard des communautés établies sur les rivages du Pont-Euxin. Si nous imaginions qu’une pareille adnée eût paru, soudainement en Sicile, peu avant l’expédition athénienne contre Syracuse, elle eût été probablement enrôlée par Leontini et par Katane dans leur guerre contre Syracuse. Si les habitants de Trapézonte avaient désiré renverser la domination de Sinopê, — ou si Korylas le Paphlagonien songeait à faire la guerre à cette ville, — c’étaient de formidables auxiliaires pour seconder leurs désirs. En outre, il y avait divers emplacements séduisants, propres : à la formation d’une nouvelle colonie, qui, avec un corps si nombreux de colons grecs, comme premiers fondateurs, se serait probablement élevée au-dessus de Sinopê elle-même. Il n’y avait à compter sur aucune cause restrictive, si ce n’est sur les sympathies helléniques et sur l’éducation générale de l’armée de Cyrus ; et ce qui n’avait pas moins d’importance,’c’était le fait que ce n’étaient pas des soldats mercenaires de profession permanente, tels qu’ils se multiplièrent d’une manière si formidable en Grèce dans la génération suivante, — mais des citoyens établis qui étaient partis pour servir spécialement sous Cyrus, avec l’intention bien arrêtée, après une année d’une entreprise lucrative, de retourner dans leurs foyers et dans leurs familles[7]. Nous verrons cette gravitation vers la patrie en action constante clans toutes les opérations futures de l’armée. Mais au moment où elle sortit pour la première fois des montagnes, personne ne pouvait être sûr qu’il en serait ainsi. Il y avait d’amples motifs d’inquiétude pour les Grecs du Pont-Euxin, en particulier polir les Sinopiens, dont la suprématie n’avait jamais été auparavant exposée au danger. Un repos de trente jours que rien ne troubla permit aux soldats de Cyrus de se remettre de leurs fatigues, de parler de leurs dangers passés, et de s’enorgueillir de l’effet anticipé que leur exploit sans pareil ne pouvait manquer de produire en Grèce. Après s’être acquittés de leurs vœux et avoir célébré leurs fêtes en l’honneur des dieux, ils tenaient une assemblée pour discuter leurs opérations futures, quand un soldat thurien, nommé Antileôn, s’écria : Camarades, je suis déjà fatigué d’emballer, de marcher, de courir, de porter mes armes, de me mettre en ligne, de monter la garde et de combattre. Maintenant que nous avons ici la mer devant nous, Je désire être soulagé de toutes ces fatigues, naviguer le reste du chemin, et arriver en Grèce étendu et endormi, comme Odysseus. Ces énergiques paroles furent accueillies avec de véhémentes acclamations, et tous y répondirent chaleureusement. Alors Cheirisophos offrit, si l’armée voulait l’autoriser, de faire voile sur-le-champ pour Byzantion, où il pensait pouvoir obtenir de son ami l’amiral lacédæmonien Anaxibios assez de vaisseaux pour la transporter. Sa proposition fut acceptée avec- plaisir, et il partit pour exécuter ce projet. Xénophon proposa ensuite à l’armée diverses résolutions et mesures, propres à mettre les affaires en ordre pendant l’absence de Cheirisophos. L’armée était obligée de se nourrir au moyen d’expéditions de maraude. faites dans les tribus hostiles des montagnes. Ces expéditions durent conséquemment être régularisées : il ne fut permis ni à des soldats individuellement, ni à de petites, compagnies dé sortir à leur gré, sans en prévenir les généraux ; de plus, le camp dut être tenu avec une garde et des éclaireurs en permanence, en cas de surprise de la part d’un ennemi prenant sa revanche. Il était prudent aussi de prendre les meilleures mesures possibles pour se procurer des vaisseaux ; puisque, après tout, il se pouvait faire que Cheirisophos ne réussît pas à en amener un nombre suffisant. Ils devaient emprunter quelques vaisseaux de guerre aux Trapézontains, et retenir tous les bâtiments marchands qu’ils voyaient, démontant les gouvernails, plaçant les cargaisons sous bonne garde, et nourrissant l’équipage tout le temps que les navires pouvaient être nécessaires pour le transport de l’armée. On voyait souvent passer de nombreux bâtiments marchands pareils[8] ; de sorte qu’ils acquerraient ainsi les moyens de transport, même quand Cheirisophos n’en amènerait que peu ou point de Byzantion. Enfin, Xénophon proposa de demander aux cités grecques de réparer et de mettre en état la route le long de la côte pour une marche de terre, vu que peut-être, avec tous leurs efforts, on trouverait impossible de réunir une quantité suffisante de transports. Toutes les propositions furent adoptées sans peine par l’armée, excepté la dernière. Mais la seule mention d’une nouvelle marche de terre excita des murmures de répugnance si universels qu’il n’osa pas mettre la question aux voix. Toutefois il prit sur lui d’envoyer des messages aux villes grecques sous sa propre responsabilité, les invitant à réparer les routes, afin de faciliter le départ de l’almée. Et il trouva les villes assez disposées à répondre à ses désirs jusqu’à Kotyôra[9]. On vit bientôt combien étaient sages ces précautions suggérées par Xénophon ; car non seulement Cheirisophos échoua dans sa tentative, mais il fut forcé de rester éloigné pendant un temps considérable. Un pentekontêrs (ou vaisseau armé de cinquante rames) fut emprunté aux Trapézontains, et confié aux soins d’un periœkos lacédæmonien, nommé Dexippos, dans le dessein de retenir les navires marchands qui passaient. Cet homme ayant violé sa promesse, et employé le navire à se sauver de l’Euxin, on obtint un second vaisseau que l’on confia à un Athénien, Polykratês, qui amena successivement plusieurs bâtiments marchands. Les Grecs ne les pillèrent pas, mais ils mirent les cargaisons sous une garde suffisante, et réservèrent seulement les na vives comme transports. Toutefois, il devenait graduellement de plus en plus difficile de fournir le camp de provisions. Bien que l’armée fût partagée en détachements suffisants pour piller les villages kolchi sur les collines, et s’emparer du bétail et de prisonniers destinés à être vendus, cependant ces expéditions ne réussissaient pas toujours ; en effet, dans une occasion, deux lochi ou compagnies de Grecs se trouvèrent engagés clans un terrain si difficile qu’ils furent anéantis jusqu’au dernier. Les Kolchi se réunirent sur les hauteurs en nombre plus grand et plus menaçant, au point qu’une garde plus considérable devint nécessaire pour le camp ; tandis que les Trapézontains, — fatigués du séjour prolongé de l’armée, aussi bien que désireux d’exempter du pillage les indigènes de leur voisinage immédiat ; ne conduisaient les détachements que dans dés villages à la fois éloignés et d’un difficile accès. Ce fut ainsi que des forces considérables, sous Xénophon en personne, attaquèrent sur un terrain raboteux le boulevard élevé des Drilæ, — les montagnards les plus : belliqueux du voisinage de l’Euxin, bien armés, et qui importunaient Trapézonte par leurs incursions. Après une marche et une attaque difficiles, que Xénophon décrit avec d’intéressants détails, et où les Grecs ne coururent pas une médiocre chance d’une ruineuse défaite, — ils revinrent à la fin après un succès complet et avec un riche butin[10]. Enfin, après avoir attendu longtemps en vain que Cheirisophos reparla, l’augmentation de la disette et de la fatigue les détermina à quitter Trapézonte. On avait réuni un nombre suffisant de navires pour transporter les femmes, les malades, les blessés et les bagages. En conséquence, on les embarqua tous sous le commandement de Philesios et de Sophænetos, les deux plus vieux généraux ; tandis que le reste de l’armée marcha par terre, ensuivant une route qui avait récemment été rendue praticable sur les représentations de Xénophon. En trois jours ils parvinrent a Kérasonte, autre colonie maritime des Sinopiens, encore dans le territoire portant le nom des Kolchi ; ils s’y arrêtèrent dix jours ; l’armée fut passée en revue et comptée, et on partagea l’argent produit par la vente des prisonniers. On trouva qu’il restait encore huit mille six cents hoplites, d’un total qui dépassait probablement onze mille, outre les peltastes et diverses troupes légères[11]. Pendant la halte à Kérasonte, le déclin de la discipline dans l’armée devint manifeste à mesure que les soldats se rapprochaient de chez eux. Divers actes d’outrage furent commis, ayant leur source actuellement, comme plus tard, dans les intrigues d’officiers perfides. Un capitaine, nommé Klearetos, persuada sa compagnie de tenter le pillage d’un village des Kolchi près de Kérasonte, qui avait amicalement fourni un marché aux Grecs, et demeurait en sécurité sur la foi de relations pacifiques. Il avait l’intention de s’esquiver séparément avec le butin dans un des navires ; mais son attaque fut repoussée, et lui-même fut tué. Les habitants du village offensé envoyèrent trois de leurs vieillards comme hérauts pour adresser une remontrance aux autorités grecques ; mais quelques-uns des pillards repoussés, ayant aperçu ces hérauts à Kérasonte, les tuèrent. Il s’ensuivit alors un tumulte partiel, dans lequel les magistrats de Kérasonte eux-mêmes coururent’ un grand danger, et n’échappèrent à la poursuite des soldats qu’en courant dans la mer. Cette énormité, bien que commise sous les yeux des généraux, immédiatement avant leur départ de Kérasonte, resta sans être recherchée ni punie, à cause du grand nombre de gens qui y étaient mêlés. Entre Kérasonte et Kotyôra, il n’y avait pas alors (pas plus qu’aujourd’hui) de route régulière[12]. Cette marche ne coûta pas moins de dix jours à l’armée de Cyrus, par un chemin à l’intérieur s’éloignant du rivage de la mer, et à travers les montagnes qu’habitaient les tribus indigènes des Mosynœki et des Chalybes. Ces derniers, célèbres par leurs ouvrages en fer, étaient sous la dépendance des premiers. Comme les Mosynœki refusèrent d’accorder un passage amical à travers leur territoire, l’armée fut forcée de s’y faire un chemin de vive force en ennemis, avec l’aide d’une section de ces peuplades elles-mêmes, alliance que leur procura le Trapézontain Timesitheos, qui était proxenos des Mosynœki et comprenait leur langue. Les Grecs prirent les places fortes de ce peuple dans les montagnes, et pillèrent les tourelles de bois qui formaient leurs demeures. Xénophon donne de leurs coutumes particulières une description intéressante, que je ne puis copier faute d’espace[13]. Le territoire des Tibarêni fut plus aisé et plus accessible. Ce peuple vint à la rencontre des Grecs avec des présents, et offrit un passage amical. Mais les généraux déclinèrent d’abord les présents, préférant les traiter comme des. ennemis et les piller, ce qu’ils auraient fait réellement s’ils n’en eussent été détournés par des sacrifices de mauvais augure[14]. Près de Kotyôra, qui était située sur la côte des Tibarêni, toutefois sur les frontières de la Paphlagonia, ils restèrent quarante-cinq jours, attendant toujours que Cheirisophos parût avec lés transports pour les emmener par mer. L’harmoste, ou gouverneur sinopien, ne permit pas qu’on les reçût d’une manière aussi amicale qu’à Trapézonte. On ne leur fournit pas de marché, et on n’admit pas les malades dans l’intérieur des murs. Mais les fortifications de la ville n’étaient pas construites de manière à résister à une armée grecque, dont on n’avait jamais vu la pareille dans ces régions. Les généraux grecs trouvèrent un point faible, pénétrèrent par là, et prirent possession de quelques maisons pour y établir leurs malades, entretenant une garde à la porte pour s’assurer une sortie libre, mais ne faisant pas d’autre violence aux citoyens. Ils obtinrent leurs vivres en partie des villages kotyôrites, en partie du territoire voisin de la Paphlagonia, jusqu’à ce qu’enfin il arrivât des députés de Sinopê pour leur faire des remontrances à propos de leur conduite. Ces députés se présentèrent devant les soldats assemblés dans le camp, et Hekatonymos, le principal et le plus éloquent d’entre eus, commença par complimenter l’armée de ses vaillants exploits et de sa belle retraite. Il se plaignit ensuite de l’injure que Kotyôra, et Sinopê comme métropole de Kotyôra, avaient éprouvée de sa part, en violation d’une parenté hellénique commune. Si une pareille conduite continuait, il donna à entendre que Sinopê serait forcée pour sa propre défense de chercher l’alliance du prince paphlagonien Korylas, ou de tout autre auxiliaire barbare qui voudrait lui prêter son aide contre les Grecs[15]. Xénophon répondit que si les Kotyôrites avaient subi quelque dommage, c’était dû à leur propre mauvais vouloir et à l’harmoste sinopien de la ville ; que les généraux étaient dans la nécessité de se procurer des vivres pour les soldats, avec des logements pour les malades, et qu’ils n’avaient pris rien de plus, que les malades étaient placés dans la, ville, mais à leurs frais, tandis que les autres soldats étaient tous campés au dehors ; qu’ils avaient entretenu une amitié sincère avec les Trapézontains, et reconnu tous leurs bons offices ; qu’ils ne cherchaient pas d’ennemis si ce n’est par nécessité, désireux seulement qu’ils étaient de retourner en Grèce, et que, pour ce .qui concernait la menace relative à Korylas, ils savaient assez bien que ce prince était impatient de devenir maître de l’opulente cité de Sinopê, et qu’il tenterait promptement quelque entreprise de ce genre s’il pouvait obtenir les soldats de Cyrus comme auxiliaires [16]. Cette judicieuse réponse fit rougir les .collègues d’Hekatonymos au point qu’ils allèrent jusqu’à protester contre ce qu’il avait dit, et à affirmer qu’ils étaient venus avec des propositions de sympathie et d’amitié pour l’armée, aussi bien qu’avec des promesses de lui faire une réception hospitalière à Sinopê, si elle visitait cette ville en retournant dans son pays. Ln même temps les habitants de Kotyôra envoyèrent des présents à l’armée, et la bonne intelligence s’établit. Cet échange de bon vouloir avec la puissante cité de Sinopê fut un avantage inexprimable pour l’armée, — et dans le fait une condition essentielle pour qu’elle pût regagner ses foyers. Si les Grecs continuaient leur marche par terre, ce n’était que sous la conduite des Sinopiens et par leur médiation qu’ils pouvaient obtenir ou forcer le passage à travers la Paphlagonia tandis que pour un voyage par mer, il n’y avait aucune chance de se procurer un nombre suffisant de navires, si ce n’est à Sinopê, puisqu’on n’avait pas reçu de nouvelles de Cheirisophos. D’autre part, cette ville avait également un intérêt puissant à faciliter le passage des Grecs vers leur patrie, et à éloigner ainsi de formidables voisins dont on ne pouvait pas garantir les desseins ultérieurs. Après quelques entretiens préliminaires avec les députés sinopiens, les généraux convoquèrent l’armée en assemblée, et prièrent Hekatonymos et ses compagnons de leur donner un conseil quant au meilleur mode de s’avancer vers l’ouest jusqu’au Bosphore. Hekatonymos, après s’être excusé des insinuations menaçantes de son premier discours, et avoir protesté qu’il n’avait pas d’autre objet en vue, si ce n’est de signaler le plan de route le plus sûr et le plus facile pour l’armée, se mit à exposer les difficultés insurmontables d’une marche à travers la Paphlagonia. L’entrée même dans le pays devait être opérée par une ouverture étroite des montagnes, qu’il était impossible de forcer si elle était occupée par l’ennemi. Même en admettant qu’on surmontât cette difficulté, il y avait à traverser des plaines spacieuses, clans lesquelles une attaque de la cavalerie paphlagonienne, la plus nombreuse et la plus brave de l’Asie, serait presque irrésistible. Il y avait aussi trois ou quatre grands fleuves, que l’armée serait hors d’état de franchir, — le Thermôdôn et l’Iris, chacun de quatre-vingt-dix mètres de largeur, — l’Halys large de deux stades, ou près de quatre cents mètres, — le Parthenios également très considérable. Une telle série d’obstacles (affirmait-il) rendait impraticable le projet de traverser la Paphlagonia ; tandis que le voyage par mer de Kotyôra à Sinopê, et de Sinopê à Hêrakleia, était facile, et le passage de cette dernière ville soit par mer à Byzantion, soit par terre à travers la Thrace, plus facile encore[17]. Des difficultés semblables, apparemment tout à fait réelles, étaient plus que suffisantes pour déterminer le vote de l’armée, déjà malade de marcher et de combattre, en faveur du voyage par mer, bien qu’il ne manquât pas de soupçons au sujet de la sincérité d’Hekatonymos. Mais Xénophon, en communiquant à ce dernier la décision de l’armée, lui apprit distinctement que les Grecs ne souffriraient à aucun prix qu’on les séparât, qu’ils partiraient ou qu’ils resteraient en corps, et que des vaisseaux devraient être fournis en nombre suffisant pour les transporter tous. Hekatonymos les pria d’envoyer à Sinopê des députés choisis parmi eux pour faire les arrangements nécessaires. Conséquemment on dépêcha trois députés, — Aristôn, Athénien, Kallimachos, Arkadien, et Samolas, Achæen ; l’Athénien fut envoyé probablement, comme possédant le talent de parler dans le sénat ou assemblée de Sinopê[18]. Pendant l’absence de ces députés, l’armée resta encore près de, Kotyôra, avec un marché fourni parla ville, et avec des marchands de Sinopê et d’Hêrakleia, dans le camp. Ceux des soldats qui n’avaient pas d’argent pour acheter subsistaient en pillant la frontière voisine de la Paphlagonia[19]. Mais ils ne recevaient pas de paye ; chaque homme vivait de ses propres ressources ; — et au lieu de rapporter une bourse pleine en Grèce, comme chaque soldat l’avait espéré quand il avait pris pour la première fois du service sous Cyrus, il y avait tout lieu de croire qu’ils retourneraient plus pauvres qu’ils n’étaient quand ils avaient quitté leurs foyers[20]. De plus, l’armée se dirigeait alors en avant sans but défini, son mécontentement augmentait et la discipline décroissait, au point que Xénophon prévit les difficultés qui entoureraient les commandants responsables quand ils rentreraient dans les restrictions et les obligations plus rigoureuses du monde grec. Ces considérations contribuèrent à lui suggérer l’idée d’employer l’armée à quelque entreprise de conquête et de colonisation dans le Pont-Euxin même ; idée extrêmement flatteuse pour son ambition personnelle, surtout en ce que ses soldats étaient d’une force incomparable contre un ennemi, et qu’une seconde armée pareille ne pourrait jamais être réunie dans ces régions éloignées, Son patriotisme comme Grec était enflammé par la pensée de procurer à la Hellas une nouvelle cité autonome, occupée par une population hellénique considérable, possédant un territoire spacieux et exerçant une domination sur un grand nombre de voisins indigènes. Il semble avoir songé d’abord a attaquer et à conquérir quelque cité ; non hellénique établie acte que ses idées de moralité internationale n’interdisaient pas, dans le cas où il m’avait pas contracté d’engagement spécial avec les habitants, — bien que lui (aussi bien que Cheirisophos) protestât énergiquement contre la pensée de faire, tort à une communauté hellénique inoffensive quelconque[21]. Il songeait à employer l’armée entière à prendre Phasis ou quelque autre cité indigène ; après quoi, une fois l’établissement effectué d’une manière sûre, ceux des soldats qui aimeraient mieux retourner en Grèce plutôt que de rester comme colons, pourraient le faire sans mettre en péril ceux qui resteraient, et probablement avec leurs bourses remplies par le pillage et la conquête dans le voisinage. Fonder comme l’un des propriétaires et des chefs les plus riches, — peut être même en qualité d’Œkiste reconnu, comme Agnôn à Amphipolis, — une nouvelle cité hellénique qui ne pourrait guère manquer de devenir riche, puissante et importante, — c’était une séduisante perspective pour un homme qui avait alors acquis les habitudes du commandement. De plus, la suite prouvera combien Xénophon appréciait avec justesse le désagrément de ramener en Grèce l’armée sans paye et sans emploi certain. C’était l’usage de Xénophon, et l’avis de son maître Sokratês[22], dans des cas graves et douteux où la réflexion la plus soigneuse était en défaut, d’avoir recours à l’autorité inspirée d’un oracle, ou d’un prophète, et d’offrir- un sacrifice, avec l’entière confiance que les dieux daigneraient communiquer une révélation spéciale aux personnes qu’ils favorisaient. En conséquence, Xénophon, avant de communiquer aux soldats son nouveau projet, désira s’assurer de la volonté des dieux par un sacrifice spécial, pour lequel il invoqua la présence de l’Ambrakiote Silanos ; le principal prophète de l’armée. Ce prophète (comme je l’ai déjà mentionné), avant la bataille de Kunaxa, avait assuré à Cyrus qu’Artaxerxés ne combattrait pas pendant dix jours, — et la prophétie vint à se réaliser ; ce qui fit une telle impression sur Cyrus, qu’il le récompensa avec le prodigieux don de 3.000 dariques ou dix talents attiques. Pendant, que les autres retournaient pauvres, Silanos, s’étant arrangé pour conserver cette sommé pendant toutes les misères de la retraite, était extrêmement riche, et il ne désirait qu’une chose, c’était de retourner à la hâte dans ses. foyers avec son trésor en sûreté. Il apprit avec une vive répugnance le projet de rester dans le Pont-Euxin, et se décida à le traverser par une intrigue. A la vérité, pour ce qui concernait les sacrifices qu’il offrit séparément avec Xénophon, il fut obligé de reconnaître que les indications des victimes étaient favorables[23] ; Xénophon lui-même était trop familier avec le procédé pour qu’on pût lui en imposer. Mais, en même temps, il essaya de faire naître l’alarme en déclarant qu’un examen scrupuleux révélait la preuve de piéges perfides tendus par Xénophon, indications qu’il se mit lui-même à réaliser, en répandant au sein de l’armée grecque le bruit que le général athénien tramait des plans clandestins pour la tenir éloignée de la Grèce sans son assentiment[24]. Ainsi divulgué d’une manière prématurée et insidieuse, le plan trouva quelques partisans, mais un nombre d’adversaires beaucoup plus considérable, surtout parmi les officiera qui étaient jaloux de l’ascendant de Xénophon. Timasiôn et Thorax l’employèrent comme moyen d’alarmer les marchands d’Hêrakleia et de Sinopê qui étaient dans le camp ; ils leur dirent que, s’ils ne fournissaient non pas seulement des transports, mais encore une paye pour les soldats, Xénophon trouverait moyen de retenir l’armée dans le Pont-Euxin, et emploierait les transports, une fois arrivés, non pour le retour en Grèce, mais pour ses projets de conquête. Cette nouvelle répandit tant de terreur et dans Sinopê et dans Hêrakleia, que les deux villes firent à Timasiôn des offres considérables d’argent, à condition qu’il assurerait le départ de l’armée aussitôt que les navires seraient réunis à Kotyôra. En conséquence, ces officiers, convoquant les soldats en assemblée, protestèrent contre la duplicité de Xénophon qui préparait ainsi des plans importants sans discussion ni décision publique. Et Timasiôn, secondé par Thorax, non seulement pressa vivement l’armée de retourner, mais il alla jusqu’à lui promettre, sur la foi des assurances venues d’Hêrakleia et de Sinopê, une future paye à un taux libéral, à partir de la première nouvelle lune après son départ ; et en même temps un accueil hospitalier dans sa ville natale de Dardanos sur l’Hellespont, d’où elle pourrait faire des incursions sur la riche satrapie voisine de Pharnabazos[25]. Toutefois, ce ne fut pas avant que ces attaques eussent été répétées de plus d’un côté, — avant que les Achæens Philêsios et Lykôn eussent hautement accusé Xénophon de manœuvrer sous main pour faire perfidement rester l’armée contre sa volonté, — que ce dernier se leva pour repousser l’imputation ; disant qu’il n’avait fait qu’une chose, c’était de consulter les dieux pour savoir s’il vaudrait mieux exposer son projet devant l’armée ou le garder dans son cœur. La réponse encourageante des dieux, comme l’apportaient les victimes et l’attestait Silanos lui-même, prouvait que le projet n’était pas mal conçu ; néanmoins (fit-il remarquer) Silanos s’était mis à lui tendre des pièges, réalisant par ses propres actes une indication collatérale qu’il avait annoncée être visible dans les victimes : Si (ajouta Xénophon) vous étiez restés dépourvus de tout et sans provisions, comme vous l’étiez précisément alors, j’aurais encore considéré comme une ressource la prise de quelque ville qui aurait permis à ceux d’entre, vous qui l’auraient -voulu de partir aussitôt, tandis que les autres seraient restés pour s’enrichir. Mais maintenant il n’y a plus aucune nécessité, puisque Hêrakleia et Sinope envoient de transports, et que Timasiôn vous promet une nouvelle paye pour la nouvelle lune prochaine. Tout est pour le mieux, vous retournerez sains et saufs en Grèce, et vous recevrez, une paye pour y aller. Je renonce tout de suite à mon projet, et j’invite tous ceux qui l’approuvaient à y renoncer également. Seulement restons tous ensemble jusqu’à ce que nous soyons en lieu de sûreté, et condamnons comme malfaiteur tout homme qui traînera en arrière ou qui se sauvera[26]. Xénophon mit immédiatement la question aux voix, et maous levèrent la main en sa faveur. Il n’y eut personne de Jus déconcerté par ce vote que le prophète Silanos, qui réclama bruyamment contre l’injustice de ceux qui voulaient retenir quiconque désirait partir. Mais les soldats le réduisirent au silence par leur véhémente désapprobation, le menaçant de le châtier certainement s’ils le surprenaient essayant de se sauver. Son intrigue contre Xénophon retomba ainsi sur lui-même, pour le moment. Mais peu après, quand l’armée arriva à Hêrakleia, il saisit une occasion favorable pour s’enfuir furtivement, et trouva à retourner en Grèce avec ses 3.000 dariques[27]. Si cette manœuvre réussit peu à Silanos, Timasiôn et ceux de son parti y gagnèrent encore moins. Car dès qu’il fut connu que l’armée avait pris une résolution formelle de retourner en Grèce, et que Xénophon lui-même avait fait la proposition, les habitants de Sinopê et d’Hêrakleia se sentirent à l’aise. Ils envoyèrent les transports, mais ils retinrent l’argent qu’ils avaient promis à Timasiôn et à Thorax. Par là, ces officiers furent exposés au déshonneur et au péril ; car, après s’être positivement engagés à trouver une paye pour l’armée, ils étaient actuellement dans l’impossibilité de tenir leur parole. Leurs appréhensions furent si vives, qu’ils vinrent trouver Xénophon et lui dirent qu’ils avaient changé d’idée, et que maintenant ils croyaient que le meilleur était d’employer les transports nouvellement arrivés à transporter l’armée non pas en Grèce, mais contre la ville et le territoire de Phasis, à l’extrémité orientale du Pont-Euxin[28]. Xénophon répondit qu’ils pouvaient réunir lés soldats et faire la proposition, s’ils le voulaient, mais qu’il n’aurait rien à dire à ce sujet. Faire eux-mêmes cette même proposition, pour laquelle ils avaient tant invectivé contre Xénophon, était impossible sans quelque préparation ; de sorte que chacun d’eux commença individuellement à sonder ses capitaines, et à faire suggérer le plan par eux. Durant cet intervalle, les soldats furent informés de la manœuvre, à leur grand mécontentement et à leur grande indignation ; ce dont profita Neôn (lieutenant de Cheirisophos absent) pour jeter tout le blâme sur Xénophon ; alléguant que c’était lui qui avait converti les autres officiers à son projet primitif, et qu’il avait l’intention, aussitôt que les soldats seraient embarqués, de les transporter frauduleusement à Phasis, et non en Grèce. Il y avait quelque chose de si plausible dans ce mensonge manifeste, qui représentait Xénophon comme l’auteur du projet renouvelé, naguère le sien, — et quelque chose de si improbable dans, le fait que les autres officiers eussent spontanément renoncé à leurs opinions bien arrêtées pour adopter les siennes, — que nous ne pouvons guère nous étonner de la facile créance que la calomnie de Neôn trouva dans l’armée. L’exaspération des soldats contre Xénophon devint si intense, qu’ils se réunirent en groupes furieux ; et il y eut même à craindre qu’ils n’éclatassent en violence mutine, comme ils l’avaient fait auparavant contre les magistrats de Kérasonte. Connaissant bien le danger de ces rassemblements spontanés et irréguliers, et l’importance des formes habituelles de convocation et d’arrangement, pour assurer soit une discussion, soit une défense légitime[29], — Xénophon envoya immédiatement le héraut convoquer l’armée en agora régulière, avec la méthode et la cérémonie habituelles. On obéit à la convocation avec un empressement inaccoutumé, et Xénophon parla alors aux soldats, — s’abstenant, avec autant de générosité que de prudence, de rien dire au sujet de la dernière proposition que Timasiôn et autres lui avaient faite. S’il l’avait mentionnée, la question serait devenue une question de vie et de mort entre lui et ces autres officiers. Soldats (dit-il), je sais qu’il y a ici quelques hommes qui me calomnient, comme si j’avais l’intention de vous tromper et de vous mener à Phasis. Écoutez-moi donc, au nom des dieux. Si l’on démontre que j’ai tort, ne me laissez point sortir d’ici impuni ; mais si, au contraire, il est prouvé que les calomniateurs sont de méchantes gens, traitez-les comme ils le méritent. Assurément vous savez bien où le soleil se lève et où il se couche ; vous savez que si un homme désire parvenir en Grèce, il doit aller à l’ouest ; — s’il veut gagner les territoires barbares, il doit aller à l’est. Quelques peut-il espérer vous tromper sur ce point, et vous persuader que le soleil se lève de ce côté-ci et se couche de ce côté là ? Quelqu’un peut-il par fraude vous faire embarquer avec un vent qui vous éloignerait de la Grèce ? Supposez même que je vous fasse embarquer à un moment où il n’y ait pas de vent du tout. Comment vous forcerai-je à faire voile avec moi contre votre volonté, — moi étant seulement dans un vaisseau, vous dans cent et plus ? Imaginez cependant que je puisse même vous tromper et vous conduire à Phasis. En y débarquant, vous saurez aussitôt que vous n’êtes pas en Grèce ; et à quel sort puis-je m’attendre alors, — imposteur reconnu au milieu de dix mille hommes ayant des armes dans les mains ? Non, -ces contes proviennent d’hommes insensés, qui sont jaloux de mon influence sur vous ; jaloux encore sans raison, — car je ne les empêche pas de me dépasser dans votre faveur, s’ils pensent vous rendre plus de services, non plus que vous de les choisir pour commandants, si vous le jugez bon. En voilà assez maintenant sur ce point : je défie quiconque de s’avancer et de dire comment il est possible soit de tromper, soit d’être trompé, de la manière dont on me fait un crime[30]. Après avoir combattu ainsi directement les calomnies de ses ennemis, et les avoir dissipées de façon à produire sans doute une réaction en sa faveur, Xénophon profita de l’occasion pour dénoncer les désordres croissants de l’armée, qu’il peignit comme tels que, si l’on n’y appliquait pas en correctif, le déshonneur et le mépris devaient retomber sur tous. Comme Il s’arrêtait après cette remontrance générale, les soldats lui demandèrent avec des cris d’entrer dans des détails ; alors il se mit à rappeler, avec une simplicité claire et frappante, les outrages qui avaient été commis à Kérasonte et auprès de cette ville, — l’attaque dirigée salas autorisation ni provocation par Klearetos et sa compagnie sur un village voisin qui était en commerce amiral avec l’armée ; — le meurtre des trois anciens du village, qui étaient venus comme hérauts se plaindre aux généraux de cette injustice ; — l’agression mutine faite par des soldats en désordre, même contre les magistrats de Kérasonte, et cela au moment où ils faisaient aux généraux des remontrances sur ce qui s’était passé ; agression qui exposait ces magistrats au plus grand péril et couvrait d’ignominie les généraux eux-mêmes[31]. Si telle devait être votre manière d’agir (continua Xénophon), voyez bien à quel état l’armée sera réduite. Vous, le corps collectif[32], vous ne serez plus l’autorité souveraine pour faire la guerre ou la paix avec qui vous voudrez ; chacun individuellement parmi vous conduira l’armée contre qui il lui plaira. Et même s’il vient à vous des hommes comme députés, soit pour la paix, soit, pour d’autres desseins, il se peut qu’ils soient tués par un ennemi isolé quelconque ; de sorte que vous serez privés de toutes communications publiques. Ensuite, ceux que votre suffrage universel aura choisis pour commandants n’auront aucune autorité ; tandis que tout général élu par lui-même qui veut prononcer le mot : Jette, jette (i. e. des traits ou des pierres) peut mettre à mort sans jugement tel officier ou tel soldat qu’il lui plaira, c’est-à-dire s’il vous trouve prêts à lui obéir, comme cela est arrivé à Kérasonte. Voyez maintenant ce que ces chefs, élus par eux-mêmes, ont fait pour vous. Le magistrat de Kérasonte, s’il était réellement coupable d’injustice envers vous, a pu échapper avec impunité ; s’il était innocent, il a été obligé de se sauver de vous, comme seul moyen d’éviter la mort sans prétexte ni jugement. Ceux qui lapidèrent les hérauts ont amené les choses à cette extrémité que vous seuls, de tous les Grecs, ne pouvez entrer dans la ville de Kérasonte en sûreté, si ce n’est avec des forces supérieures, et que nous ne pouvons pas même y envoyer un héraut pour relever nos morts (Klearetos et ceux qui furent tués dans l’attaque du village kérasontain), afin de leur donner la sépulture, bien que d’abord ceux qui les avaient tués pour leur défense personnelle fussent désireux de nous livrer les corps. En effet, qui voudra s’exposer à aller comme héraut, parmi ceux qui, ont donné l’exemple de mettre les hérauts à mort ? Nous autres, généraux, nous fûmes obligés de prier les Kérasontains d’ensevelir les corps pour nous[33]. Continuant cette énergique protestation contre les désordres et les outrages récents, Xénophon finit par réussir à communiquer son sentiment aux soldats, qui l’adaptèrent sincèrement et unanimement. Ils rendirent un vote ordonnant que les meneurs de la mutinerie à Kérasonte seraient punis ; que si quelqu’un se rendait coupable d’outrages semblables dans l’avenir, il serait cité par les généraux. devant les lochagi ou capitaines, comme juges, et, s’il était condamné par eux, mis à mort ; et que les mêmes personnes prononceraient encore sur toute autre injustice commise depuis la mort de Cyrus. On ordonna également, à ; la prière de Xénophon et des prophètes, qu’une cérémonie religieuse appropriée fût célébrée pour purifier l’armée[34]. Ce discours fournit un spécimen intéressant de la moralité politique universelle d’une extrémité, à l’autre du monde grec, bien que plus profonde et plus prédominante au sein de ses meilleures sections, Dans l’agrégat mêlé, et la société temporaire, rassemblés à, ce moment à. Kotyôra, Xénophon insiste sur le suffrage universel de tout le corps, comme étant la légitime autorité souveraine pour la direction de chaque volonté individuelle ; sur la décision de la,majorité, recueillie équitablement et selon les formes, — comme donnant un titre pour triompher de toute minorité dissidente ; sur les généraux choisis à la majorité des suffrages, comme étant les seules personnes ayant droit à l’obéissance. C’est le principe cardinal qu’il invoque, comme la base de l’obligation politique dans l’esprit de chaque homme ou de chaque fraction séparément, comme la condition de tout succès, de toute sécurité et de toute action commune ; comme la seule condition soit pour punir le mal, soit pour protéger le bien ; comme indispensable pour entretenir les sympathies de ses compagnies pour les communautés helléniques ; et leur dignité soit comme soldats, soit comme citoyens. Le succès complet de son discours prouve qu’il connaissait le moyen de toucher la corde qu’il fallait pour émouvoir le sentiment grec. Aucun acte sérieux d’insubordination individuelle ne se présente dans la suite, bien que l’armée collectivement faillît dans plus d’une occasion. Et ce qui n’est pas moins important à, mentionner, — c’est que l’influence de Xénophon lui-même, après sa remontrance courageuse et sans réserve, semble avoir été sensiblement augmentée, — certainement elle ne fut nullement diminuée. Les circonstances qui suivirent immédiatement étaient, en vérité, bien faites pour l’augmenter. Car il fut résolu, sur la proposition de Xénophon lui-même[35], que les généraux eux-mêmes seraient jugés devant le tribunal nouvellement constitué des lochagi ou capitaines, dans le cas où quelqu’un aurait à former une plainte contre eux pour des faits passés, conformément à l’habitude athénienne de soumettre tout magistrat à un jugement de responsabilité quand il sortait de charge. Dans le cours de cette enquête, Philesios et Xanthiklês furent condamnés à une amende de vingt mines, pour combler un déficit assignable de ce montant dans les cargaisons des navires marchands qui avaient été retenus à Trapézonte pour le transport de l’armée ; Sophænetos, qui avait la surveillance générale de ces marchandises, mais qui s’était acquitté de ce devoir avec négligence, fut condamné à dix mines. Ensuite le rom de Xénophon fut mis sur le tapis, quand plusieurs personnes s’avancèrent pour l’accuser de les avoir battues et maltraitées. En sa qualité de commandant de l’arrière-garde, son devoir était de beaucoup le plus pénible et le plus difficile, surtout pendant le froid intense et la neige épaisse, vu que les malades et les blessés, aussi bien que les traîneurs et les pillards, tombaient tous sous son inspection. Un homme en particulier se plaignit hautement de lui, et Xénophon le questionna sur les détails de son affaire devant l’armée assemblée. Il parut qu’il lui avait donné des coups, parce que cet homme, à qui l’on avait confié la tâche de porter un soldat malade ; état sur le point d’esquiver ce devoir en enterrant le moribond vivant encore[36]. Cet intéressant débat (raconté tout au long dans l’Anabasis) se termina par une complète approbation donnée par l’armée à la conduite de Xénophon, accompagnée du regret qu’il n’eût pas traité cet homme encore plus sévèrement. Les assertions de Xénophon lui-même nous dorment une vive idée de la discipline de l’armée, même en tant, due dirigée par un officier prudent et d’un bon caractère. Je reconnais (dit-il aux soldats) avoir frappé bien des gens pour une conduite désordonnée ; gens qui se contentaient de devoir leur salut à votre marche régulière et à vos combats constants, tandis qu’eux-mêmes couraient çà et là, pour piller et s’enrichir à vos dépens. Si nous avions tous agi comme eux, nous aurions péri jusqu’au dernier. Quelquefois aussi j’ai frappé des hommes qui traînaient derrière à cause du froid et de la fatigue ; ou qui fermaient la voie, de manière à empêcher les autres d’avancer ; je les frappais du poing[37] afin de les sauver de la lance de l’ennemi. Vous-mêmes vous étiez présents, et vous me voyiez : vous aviez des armes entre les mains, et cependant aucun de vous n’est intervenu pour m’empêcher. Je le faisais pour leur bien ainsi que pour le vôtre, et non par quelque disposition insolente ; car c’était un temps où nous souffrions tous également de la chaleur, de la faim et de la fatigue ; tandis que maintenant je vis relativement bien : je bois plus de vin et passe des jours faciles, — et cependant je ne frappe personne. Vous verrez que les hommes qui faisaient le plus de fautes clans ce temps de misère sont aujourd’hui les plus turbulents et les, plus coupables de l’armée. Il y a Boïskos[38], le pugile thessalien qui se disait malade pendant la marche, afin d’éviter la fatigue de porter son bouclier, — et maintenant, comme on me l’apprend, il a dépouillé plusieurs citoyens de Kotyôra de leurs vêtements. Si (dit-il en terminant) les coups que j’ai donnés à l’occasion en cas de nécessité sont prouvés en ce moment, — j’en appelle aussi à ceux d’entre vous, auxquels j’ai prêté aide et protection, et les prie de se lever et de témoigner en ma faveur[39]. Plus d’un individu répondit à cet appel, si bien que Xénophon non seulement fut acquitté, mais qu’il grandit encore dans l’opinion de l’armée. Sa défense nous apprend que, pour un officier commandant, frapper un soldat du poing, s’il manquait à son devoir, n’était pas regardé comme inconvenant, du moins dans des circonstances telles que celles de la retraite. Mais ce qui mérite plus encore d’être remarqué, c’est l’influence extraordinaire que le talent de la parole que possédait Xénophon lui donna sur l’armée. Il se distinguait des autres généraux lacédæmoniens, arkadiens, achæens, etc., en ce qu’il avait le pouvoir d’agir sur l’esprit des soldats, collectivement, et nous voyons qu’il avait le bon sens, aussi bien que le courage, de ne pas hésiter à leur dire des vérités désagréables. Malgré cette franchise, — ou plutôt en partie grâce à cette franchise, son ascendant comme chef non seulement resta entier, en tant que comparé avec celui des autres, mais il alla en augmentant. En effet, quoi qu’on puisse dire au sujet de la flatterie des orateurs comme moyen d’obtenir de l’influence sur le peuple, — on verra que, bien que plus d’un point particulier puisse être prouvé en ce sens, cependant toutes les fois que l’influence d’un orateur a été constante et prolongée (comme celle de Periklês[40] ou de Démosthène), cela est du en partie a ce fait qu’il a une opinion à lui, et qu’il n’est pas disposé à se plier constamment aux préjugés de ses auditeurs. Sans l’éloquence de Xénophon, il n’aurait existé aucun instrument pour enflammer ou soutenir le sensus communis des dix mille soldats de Cirrus réunis à Kotyôra, ou pour maintenir l’autorité morale de l’agrégat sur les membres et les fractions individuels. Les autres officiers pouvaient sans doute parler assez bien pour adresser aux soldats de brefs encouragements, ou pour leur donner de simples explications. Sans cette faculté, personne, n’était propre à exercer un commandement militaire sur des arecs. Mais l’éloquence de Xénophon était quelque chose d’un ordre plus élevé. Quiconque étudiera le discours qu’il prononça à Kotyôra remarquera une dextérité à manier des masses réunies, — un emploi habile et à propos parfois de l’appelle plus clair et le plus direct ; parfois d’une insinuation indirecte ou de transitions détournées pour circonvenir l’esprit des auditeurs, — un empire sur ces convictions politiques fondamentales qui demeuraient profondément dans l’esprit grec, mais qui souvent étaient tellement dominées par les nouveaux mouvements que produisait chaque situation successive, que quelque frottement positif : était nécessaire pour les tirer de leur état latent ; — enfin une puissance de développement et de répétition variée, — tels qu’un Athénien intelligent les acquérait tant par l’éducation que par la pratique, mais tels qu’on les trouvait rarement dans quelque autre cité grecque. L’énergie et le jugement montrés par Xénophon dans la retraite n’étaient sans doute pas moins essentiels à son influence que son talent de parole ; mais en ces points nous pouvons être sûrs que d’autres officiers étaient plutôt ses égaux. Les actes publics importants, décrits plus haut, non seulement rétablirent l’influence de Xénophon, mais encore firent disparaître une grande somme de mauvais sentiments, et diminuèrent sensiblement les habitudes mauvaises qui s’étaient développées dans l’armée. Une scène, qui ne tarda pas à se passer, ne fut pas sans effet pour favoriser les sympathies enjouées et amicales. Le prince paphlagonien Korylas, fatigué de la guerre décousue qui se faisait entre les Grecs et les habitants des frontières, envoya des députés au camp grec avec des présents de chevaux et de belles robes[41], et avec l’expression du désir de conclure la paix. Les généraux grecs acceptèrent les présents, et promirent de soumettre la proposition à l’armée. Mais d’abord ils traitèrent les députés dans un banquet, et ils disposèrent en même temps des jeux et des danses avec d’autres récréations amusantes, non seulement pour eux, mais encore pour les soldats en général. Les diverses danses, guerrières et pantomimes, des Thraces, des Mysiens, des Ænianes, des Magnêtes, etc., sont décrites par Xénophon d’une manière animée et intéressante. Elles furent suivies le lendemain d’une convention amicale conclue entre l’armée et les Paphlagoniens[42]. Peu après, — un nombre de transports, suffisant pour toute l’armée, ayant été réuni, venant d’Hêrakleia et de Sinopê, — tous les soldats furent transportés par mer à cette dernière ville, en passant près de l’embouchure des fleuves, le Thermôdôn, l’Iris, l’Halys, qu’il leur eût été impossible de franchir dans une marche par terre à travers la Paphlagonia. Après être arrivés à Sinopê après un jour et une nuit de navigation avec un bon vent, ils furent reçus d’une façon hospitalière, et logés dans le port de mer voisin d’Armênê, où les Sinopiens leur envoyèrent un présent considérable de farine d’orge et de vin, et où ils restèrent pendant cinq jours. Ce fut là qu’ils furent rejoints par Cheirisophos, dont l’absence s’était prolongée d’une manière si inattendue. Mais il ne vint qu’avec une seule trirème, n’apportant rien, si ce n’est un message d’Anaxibios, l’amiral lacédæmonien dans le Bosphore, qui complimentait l’armée et lui promettait qu’elle serait employée avec une solde aussitôt qu’elle serait sortie du Pont-Euxin. Les soldats, cruellement désappointés en le voyant arriver ainsi les mains villes ; n’en devinrent que plus fortement enclins à frapper quelque coup pour remplir leurs bourses avant d’arriver en Grèce. Sentant qu’il était nécessaire au succès d’un tel projet qu’il fût préparé non seulement avec adresse, mais encore en secret, ils résolurent d’élire un seul général au lieu de ce conseil de six (ou peut-être plus) qui étaient encore en fonction. A ce moment l’ascendant de Xénophon était tel, que le sentiment général de l’armée se tourna immédiatement vers lui, et les lochagi ou capitaines, lui communiquant ce qui était à l’état de projet, lui firent comprendre leurs vives espérances qu’il ne repousserait pas l’offre. Tenté par une proposition aussi Batteuse, il hésita d’abord sur la réponse qu’il donnerait. Mais enfin l’incertitude de pouvoir satisfaire les exigences de l’armée, et la crainte de compromettre ainsi la réputation qu’il avait déjà acquise, l’emportèrent sur les motifs opposés. Il fit dans ce cas douteux comme dans d’autres, — il offrit un sacrifice à Zeus Basileus, et la réponse rendue par les victimes fut de nature à le déterminer à refuser. En conséquence, quand l’armée se réunit, décidée d’avance à choisir un seul chef, et se mit en devoir de le nommer, — il refusa avec des termes de respect et de reconnaissance, sur le motif que Cheirisophos était lacédæmonien, et que lui-même ne l’était pas, ajoutant qu’il servirait avec plaisir sous tous chefs que les soldats nommeraient. Cependant son excuse fut repoussée, en particulier parles lochagi. Plusieurs de ces derniers étaient Arkadiens, et l’un d’eux, Agasias, s’écria, trouvant une sympathie complète auprès des soldats, que, si ce principe était admis, lui comme l’Arkadien devait résigner son commandement. Comme il vit que sa première raison n’était pas approuvée, Xénophon fit connaître à l’armée qu’il avait fait un sacrifice pour savoir s’il devait accepter le commandement, et que les dieux lui avaient péremptoirement défendu de le faire[43]. Cheirisophos fut alors élu seul commandant, et se chargea de la tache, disant qu’il aurait volontiers servi sous Xénophon si ce dernier eût accepté la charge ; mais que c’était une bonne chose pour Xénophon lui-même de l’avoir déclinée, — puisque Dexippos l’avait déjà noirci dans l’esprit d’Anaxibios, bien que lui (Cheirisophos) eût énergiquement combattu ses calomnies[44]. Le lendemain, l’armée fit voile en avant, sous le commandement de Cheirisophos, vers Hêrakleia ; près de cette ville, elle fut traitée d’une manière hospitalière, et gratifiée d’un présent de farine, de vin et clé bœufs, même plus grand que celui qu’elle avait reçu à Sinopê. On reconnut alors que Xénophon avait agi sagement en refusant de commander seul, et aussi que Cheirisophos, bien qu’il fût élu commandant, et qu’il eût cependant été absent très longtemps, n’avait pas en réalité une importance aussi grande que Xénophon aux yeux des .soldats. Dans le camp près d’Hêrakleia, les soldats s’impatientèrent de ce que les généraux (car l’habitude de considérer Xénophon comme l’un d’eux durait encore) ne prenaient pas de mesures pour leur procurer de l’argent. L’Achæen Lykôn proposa d’extorquer une contribution non inférieure à trois mille statères de Kyzikos (environ 60.000 drachmes attiques, ou 10 talents = 57.500 fr.) aux habitants d’Hêrakleia ; un autre enchérit immédiatement sur cette proposition, et proposa de demander dix mille statères, — tout un mois de paye pour l’armée. On fit la motion que Cheirisophos et Xénophon allassent vers les habitants d’Hêrakleia comme députés avec cette demande. Mais tous deux refusèrent avec indignation d’être mêlés à une extorsion aussi injuste à l’égard d’une ville grecque qui venait de recevoir l’armée avec bonté et avait envoyé de beaux présents. Conséquemment, Lykôn, avec deux officiers arkadiens, se chargea de la mission, et intima la demande aux habitants d’Hêrakleia non sans menaces en cas de non acquiescement. Ces derniers répondirent qu’ils la prendraient en considération. Mais ils n’attendaient que le départ des députés, et alors ils fermèrent immédiatement leurs portes, garnirent d’hommes leurs murailles, et firent rentrer dans la ville les biens qu’ils avaient en dehors. Le projet étant ainsi déjoué, Lykôn et les autres tournèrent leur mécontentement sur Cheirisophos et sur Xénophon qu’ils accusaient d’en avoir causé l’insuccès. Et-ils se mirent alors à crier qu’il était honteux pour les Arkadiens et les Achæens, qui formaient plus d’une moitié numérique de l’armée, et enduraient toute la fatigue, d’obéir à des généraux d’autres cités helléniques aussi bien : que de les enrichir, surtout à un Athénien seul qui ne fournissait pas de contingent à l’armée. Ici encore il est à remarquer que l’importance personnelle de Xénophon le faisait regarder toujours comme général, bien que Cheirisophos eût été revêtu du commandement par un vote en forme. Le mécontentement fut si vif, que tous les soldats arkadiens et achæens de, l’armée, au nombre de plus de quatre mille cinq cents hoplites, renoncèrent à l’autorité de Cheirisophos, se formèrent en une division distincte, et choisirent dix chefs dans-leur propre sein. Toute l’armée se trouva ainsi divisée en trois portions, — d’abord les Arkadiens, et les Achæens ; en second lieu, mille quatre cents hoplites et sept cents peltastes thraces, qui restèrent avec Cheirisophos ; enfin, mille sept cents hoplites, trois cents peltastes et quarante cavaliers (tous les cavaliers de l’armée) s’attachant à Xénophon, qui cependant prenait des mesures pour quitter individuellement Hêrakleia et abandonner l’armée complètement, ce qu’il aurait fait s’il n’eût été arrêté par des sacrifices défavorables[45]. La division arkadienne, partant la première dans des navires d’Hêrakleia, aborda au port de Kalpê, promontoire inhabité de la Thrace bithynienne ou asiatique, à mi-chemin entre Hêrakleia et Byzantion. De là ces soldats s’avancèrent immédiatement dans l’intérieur de la Bithynia, en vue de surprendre les villages et de faire du butin. Mais par suite de leur témérité et d’une mauvaise direction, ils subirent d’abord plusieurs pertes partielles, et finalement furent entourés sur une éminence par une multitude considérable des Bithyniens indigènes de tout le territoire environnant. Ils ne furent sauvés de leur perte que par l’apparition inattendue de Xénophon avec sa division, qui avait quitté Hêrakleia un peu plus tard, mais avait appris par hasard, en route, le danger de ses camarades. Toute l’armée se trouva ainsi de nouveau réunie à Kalpê, où les Arkadiens et les Achæens, dégoûtés du mauvais succès de leur expédition séparée, rétablirent l’ancienne union et les anciens généraux. Ils choisirent Neôn à la place de Cheirisophos qui, — affligé de l’humiliation qu’il avait subie, en ayant été d’abord nommé seul commandant, puis déposé dans l’espace d’une semaine, — était tombé malade d’une fièvre et était mort. Les plus anciens capitaines arkadiens firent en outre la motion que, si dorénavant quelqu’un proposait de partager l’armée en fractions, il fût mis à mort[46]. La localité de Kalpê était bien appropriée pour la fondation d’une colonie, que Xénophon évidemment aurait été content d’effectuer, bien qu’il ne prit pas de mesures directes tendant à ce but ; tandis que les soldats étaient si impatients de retourner en Grèce, et craignaient tant que Xénophon ne les surprit pour les faire rester, qu’ils évitaient presque de camper. Il se trouva qu’ils furent retenus là pendant quelques jours sans pouvoir avancer même à la recherche de provisions, parce que les sacrifices n’étaient pas favorables. Xénophon refusa de les mener dehors contre l’avis des sacrifices, — bien que l’armée le soupçonnât d’une manœuvre calculée en vue de la retenir. Cependant Neôn, .moins scrupuleux, conduisit au dehors un corps do deux mille hommes qui voulurent le suivre, dans une cruelle détresse faute de provisions. Mais surpris par les Bithyniens indigènes, avec l’aide de quelques troupes du satrape persan Pharnabazos, il fut défait, et ne perdit pas moins de cinq cents hommes, malheur que Xénophon regarde comme le châtiment naturel du mépris montré pour l’avertissement du sacrifice. On apprit bientôt au camp la position dangereuse de Neôn et du reste du détachement ; alors Xénophon déharnachant un bœuf d’un fourgon comme le seul animal qu’il eût sous la main, offrit immédiatement un sacrifice. En cette occasion, la victime fut aussitôt favorable ; de sorte qu’il fit sortir sans délai la plus grande partie de l’armée pour sauver le détachement exposé, qui fut ramené sain et sauf dans le camp. L’ennemi était devenu si hardi que le camp fut attaqué perdant la nuit. Les Grecs furent obligés le lendemain de se retirer sur un terrain offrant plus de sûreté, et de s’entourer d’un fossé et d’une palissade. Par bonheur il arriva un navire d’Hêrakleia, apportant au camp, à Kalpê, un secours de farine d’orge, de bétail et de vines ce qui rendit à l’armée son courage, et la mit en état de sortir .le, lendemain matin et de prendre l’offensive contre les Bithyniens et les troupes de Pharnabazos. Ces troupes furent complètement défaites et dispersées ; de sorte que les Grecs regagnèrent leur camp à Kalpê, le soir, à la fois en sûreté et maîtres du pays[47]. A Kalpê, ils restèrent quelque temps, attendant que Kleandros arrivât de Byzantion ; car il était, disait-on ; sur le point d’amener des vaisseaux pour les transporter. Ils étaient alors abondamment pourvus de provisions, non seulement par suite du pillage qu’ils effectuaient sans être dérangés dans les villages voisins, mais encore des visites de marchands qui venaient avec des cargaisons. En effet l’impression, — qu’ils se préparaient, sur les instances de Xénophon, à fonder une nouvelle ville Kalpê, — devint si forte, que plusieurs des villages indigènes voisins envoyèrent des députés demander à quelles conditions une alliance leur serait accordée. Enfin Kleandros arriva, mais avec deux trirèmes seulement[48]. Kleandros était l’harmoste, ou gouverneur lacédæmonien de Byzantion. Son apparition nous ouvre une nouvelle phase dans l’histoire si remplie d’événements de cette vaillante armée ; en même temps elle nous fait connaître l’état du monde grec sous l’empire lacédæmonien. Il vint accompagné du Lacédæmonien Dexippos, qui avait servi dans l’armée de Cyrus jusqu’à son arrivée à Trapézonte ; là on lui avait confié un vaisseau armé pour qu’il arrêtât des transports qui ramèneraient les troupes dans leurs foyers ; mais il avait abusé de la confiance qu’on avait eue en lui, et s’était sauvé avec le vaisseau à Byzantion. Il se trouva qu’au moment où arriva Kleandros, toute l’armée était sortie pour une excursion de maraude. L’ordre avait déjà été promulgué que tout ce qui était pris, par n’importe qui, quand toute l’armée était dehors, serait amené dans le camp et considéré comme propriété publique ; bien que les jours où l’armée était collectivement en repos, tout soldat pût sortir individuellement et garder pour lui tout ce qu’il pouvait prendre. Le jour où Kleandros arriva, et trouva toute l’armée sortie, quelques soldats rentraient justement avec un lot de moutons dont ils s’étaient emparés. De droit, les moutons auraient dû être remis pour être compris dans les provisions publiques. Mais ces soldats, désireux de se les approprier injustement, s’adressèrent à Dexippos, et lui en promirent une partie s’il voulait les mettre à même de garder le reste. En conséquence ce dernier intervint, chassa ceux qui réclamaient les moutons comme propriété publique, et les dénonça comme voleurs à Kleandros, qui le pria de les amener en sa présence. Dexippos arrêta l’un d’eux, soldat appartenant au lochos ou compagnie de l’un des meilleurs amis de Xénophon, — l’Arkadien Agasias. Celui-ci prit cet homme sous sa protection ; tandis que les soldats à l’entour, irrités non moins de la conduite passée que de la conduite présente de Dexippos, éclatèrent en manifestations violentes, l’appelèrent traître et l’accablèrent de pierres. Leur colère fut telle que ce ne fut pas Dexippos seul, mais l’équipage des trirèmes également, mais même Kleandros qui s’enfuirent, pleins d’alarme, malgré l’intervention de Xénophon et des autres généraux qui, d’un côté, expliquèrent a Kleandros que c’était un ordre établi pour l’armée que ces soldats cherchaient à faire respecter, — et, de l’autre, contrôlaient les mutins. Mais l’harmoste lacédæmonien fut tellement irrité, aussi bien à cause de sa propre frayeur que par les calomnies de Dexippos, qu’il menaça de partir immédiatement, et de déclarer les soldats de Cyrus ennemis de Sparte, de sorte qu’il serait interdit à toute cité hellénique de les recevoir[49]. Ce fut en vain que les généraux, connaissant bien les formidables conséquences d’une telle interdiction, le supplièrent de s’apaiser. Il ne voulut y consentir qu’à la, condition que le soldat qui avait commencé à lancer des pierres et Agasias, l’officier qui était intervenu, lui seraient livrés. C’est sur cette dernière demande qu’insista surtout Dexippos qui, haïssant Xénophon, avait déjà essayé de prévenir Anaxibios contre lui, et croyait qu’Agasias avait agi par son ordre[50]. |
[1] Strabon, XII, p. 542 ; Xénophon, Anabase, IV, 8, 24.
[2] Strabon, XII, p. 545, 546.
[3] Xénophon, Anabase, V, 6, 8.
[4] Xénophon, Anabase, V, 5, 28.
[5] Plutarque, Periklês, c. 20.
[6] Xénophon, Anabase, V, 3, 3 ; V, 7, 9.
Le maximum de l’armée grecque, quand on fit rappel à Issus, après la jonction de ces trois cents hommes qui abandonnèrent Abrokomas, était de treize mille neuf cents hommes. A la revue en Babylonia, trois jours avant la bataille de Kunaxa, l’appel n’en constata cependant que douze mille neuf cents (Anabase, I, 7, 10).
[7] Xénophon, Anabase, VI. 2, 8 ; passage cité déjà plus haut.
Cette assertion, relativement à la position de la plupart des soldats, est plus authentique, aussi bien que moins déshonorante que celle d’Isocrate (Or. IV, Panegyr., s.170).
Dans un autre discours, composé environ cinquante ans après l’expédition de Cyrus, Isocrate mentionne les primes considérables qu’il avait été antérieurement nécessaire de donner à ceux qui réunissaient des soldats mercenaires, outre la paye des soldats eux-mêmes (Isocrate, Orat. V, ad Philipp., s. 112) ; en tant que comparées à la multiplication excessive do mercenaires non employés à son époque plus récente (Ibid., s. 142 sqq.).
[8] Xénophon, Anabase, V, I, 3-13.
Cela prouve d’une manière frappante combien était étendu le commerce grec avec la ville et la région de Phasis, à l’extrémité orientale de l’Euxin.
[9] Xénophon, Anabase, V, 1, 15.
[10] Xénophon, Anabase, V, 2.
[11] Xénophon, Anabase, V, 3, 3. M. Kinneir (Travels in Asia Minor, p. 327) et beaucoup d’autres voyageurs ont présumé naturellement, à cause de l’analogie de nom, que la ville moderne Kerasoun (vers 38° 40’ de long.) correspond à celle de Kérasonte de Xénophon, qu’Arrien dans son Périple croit être identique à celle qui fut appelée plus tard Pharnakia.
Mais le docteur Cramer (Asia Min., vol I, p. 281) et M. Hamilton (Travels in Asia Minor, ch. 15, p. 250) font remarquer tous les deux que Kerasoun est trop loin de Trébizonde pour qu’on puisse admettre que Xénophon se soit rendu d’une ville à l’autre en trois jours ; ou même en moins de dix jours à l’avis de M. Hamilton. En conséquence, M. Hamilton met l’emplacement de la ville de Kérasonte de Xénophon bien plus près de Trébizonde (vers le 39° 20’ de long., comme on la voit dans la carte de l’Asie Mineure de Kiepert), près d’un fleuve appelé aujourd’hui le Kerasoun-Dere-Su.
[12] Ce ne fut pas sans grande difficulté que M. Kinneir se procura des chevaux pour traverser de Kotyôra à Kerasoun par terre. L’aga de la ville lui dit que c’était de la folie de songer à traverser par terre, et il commanda une felouque pour lui ; mais il finit par être décidé à fournir des chevaux. Il semble, en effet, qu’il n’y avait pas du tout de route régulière ou battue : les collines s’approchent tout près de la mer, et M. Kinneir fit tout le chemin le long du rivage, alternativement sur une plage sablonneuse et sur un bord bien boisé. Les collines, s’avançant par intervalles dans la mer, forment des caps et une foule de petites baies le long de la côte ; mais la nature du pays était toujours la même, c’est-à-dire garnie de bois de construction, de fleurs et de petits bois de cerisiers (Travels in Asia Minor, p. 324).
Kérasonte est le pays indigène du cerisier et l’origine de son nom.
Le professeur Koch pense que le nombre des journées de marche donné par Xénophon (dix jours) entre Kérasonte et Kotyôra, dépasse ce qui est compatible avec la distance réelle, même si Kérasonte était placée où M. Hamilton le suppose. Si le nombre est présenté d’une manière exacte, il présumé que les Grecs ont dû s’arrêter quelque part (Zug der Zehn. Tausend, p. 115, 116).
[13] Xénophon, Anabase, V, 5, 3.
[14] Xénophon, Anabase, V, 7, 18-25.
[15] Xénophon, Anabase, V, 5, 7-12.
[16] Xénophon, Anabase, V, 5, 13-22.
[17] Xénophon, Anabase, V, 6, 4-11.
[18] Xénophon, Anabase, V, 6, 14.
[19] Xénophon, Anabase, V, 6, 19 ; VI, 1, 2.
[20] Xénophon, Anabase, VI, 4, 8 ; VI, 2, 4.
[21] Xénophon, Anabase, V, 6, 15-30 ; VI, 2, 6 ; VII, 1, 25, 29.
Haken et d’autres commentateurs sont injustes envers Xénophon quand ils lui attribuent le dessein de s’emparer de la cité grecque de Kotyôra.
[22] Xénophon, Mémorables, I, 1, 8, 9.
Cf. des passages dans sa Cyropédie, 1, 6, 3 ; De Officio Magistr. Equit., IX, 9.
Les dieux (dit Euripide, dans la veine socratique), nous ont donné la sagesse pour comprendre et nous approprier les jouissances ordinaires de la vie ; dans des cas obscurs ou inintelligibles, nous pouvons nous instruire en regardant la flamme da feu, ou en consultant des prophètes qui comprennent Ies entrailles des victimes dit sacrifice et le vol des oiseaux, quand ils nous ont fourni ainsi une aussi excellente ressource pour la vie, qui, si ce n’est des enfants gâtés, pourrait être mécontent, et demander davantage ? Cependant la prudence humaine, pleine de suffisance, s’efforcera d’être plus puissante, et se croira plus sage que les dieux (Supplices, 2, 11).
On fera observer que cette effusion constante de révélations spéciales, par les prophètes, les présages, etc., était (aux yeux de ces penseurs socratiques) une partie essentielle du gouvernement divin, indispensable pour satisfaire leurs idées sur la bienveillance des dieux, vu que la prédiction rationnelle et scientifique était si ordinairement en défaut et incapable de sonder les phénomènes de l’avenir.
[23] Xénophon, Anabase, V, 6, 29.
[24] Bien que Xénophon regardât le sacrifice comme un préliminaire essentiel de toute action d’un résultat douteux, et qu’il ajoutât beaucoup de foi aux indications offertes par les victimes, comme signe des desseins futurs des dieux — il avait néanmoins très peu de confiance dans les prophètes de profession. Il les croyait tout à fait capables de supercherie grossière (V. Xénophon, Cyropédie, I, 6, 2, 3 : cf. Sophokle, Antigone, 1035, 1060 ; et Œdipe Tyr., p. 387).
[25] Xénophon, Anabase, V, 6, 19-26.
[26] Xénophon, Anabase, V, 6, 30-33.
[27] Xénophon, Anabase, V, 6, 34 ; VI, 4, 13.
[28] Xénophon, Anabase, V, 6, 36.
Je puis faire remarquer ici que cette Phasis dans l’Euxin veut dire la ville de ce nom, et non pas le fleuve.
[29] Xénophon, Anabase, V, 7,1-3.
La prudence de Xénophon à convoquer immédiatement l’assemblée est incontestable. Il n’aurait pu autrement empêcher les soldats de se réunir et de s’exciter les uns les autres à agir, sans aucune convocation en forme.
Le lecteur devra comparer cette scène avec celle qui se passa à Athènes (décrite dans Thucydide, II, 22, et dans le tome VIII, ch. 2, de cette histoire) pendant la première année de la guerre du Péloponnèse et la première invasion de l’Attique par les Péloponnésiens, quand les envahisseurs étaient à Acharnæ, en vue des murs d’Athènes, portant au sein du pays le fer et la flamme ; Malgré l’excitation la plus violente dans le peuple athénien et la plus vive impatience de sortir et de combattre, Periklês refusa constamment de convoquer une assemblée, craignant que le peuple ne prit la résolution de sortir. Et ce qui fut bien plus remarquable, — c’est que le peuple, mime dans cet état d’excitation, bien que réuni tout entier dans l’intérieur des mûrs, ne forma aucune assemblée irrégulière, et n’en vint à aucune résolution ni à aucun acte ; ce que les soldats de Cyrus auraient certainement fuit, s’ils s’étaient réunis en assemblée régulière.
Le contraste avec l’armée de Cyrus explique ici l’empire extraordinaire exercé parles formes constitutionnelles sur l’esprit des citoyens athéniens.
[30] Xénophon, Anabase, V, 7, 7-11.
[31] Xénophon, Anabase, V, 7, 13-26.
[32] Xénophon, Anabase, V, 7, 26, 27.
[33] Xénophon, Anabase, V, 7, 27-30.
[34] Xénophon, Anabase, V, 7, 34, 35.
[35] Xénophon, Anabase, V, 7, 35.
Dans la distribution des chapitres telle que la font les éditeurs, on fait a commencer le huitième chapitre au second έδοξε, ce qui ne me semble pas commode pour comprendre le sens complet. Je crois que le second έδοξε, aussi bien que le premier, se rattache aux mots παραινοΰντος Ξενοφώντος, et doit être compris non seulement dans le même chapitre qu’eux, mais encore dans la même phrase, sans qu’il en soit séparé par un point.
[36] Xénophon, Anabase, V, 8, 3-12.
[37] Xénophon, Anabase, V, 8, 16.
[38] L’idée que, de grands pugiles n’étaient pas de bons soldats dans une bataille est aussi ancienne chez les Grecs que l’Iliade. Le pugile sans rival de l’armée grecque homérique, Epeios, confesse son infériorité comme soldat (Iliade, XXIII, 667).
[39] Xénophon, Anabase, V, 8,13-25.
[40] V. les remarques frappantes de Thucydide (II, 65) sur Periklês.
[41] Xénophon, Anabase, VI, 1, 2.
Les chevaux envoyés étaient sans doute nés en Paphlagonia. Les robes étaient probablement le produit des métiers de Sinopê et de Kotyôra ; précisément comme les princes thraces avaient coutume de recevoir de beaux ouvrages tissés et métalliques d’Abdêra et des autres colonies grecques sur leur côte (Thucydide, II, 96). C’est probablement de la même industrie que provenaient les magnifiques regia textilia et l’abondance de vases d’or et d’argent, pris par le général romain Paulus Emilius, avec Perseus, dernier roi de Macédoine (Tite-Live, XLV, 33-35).
[42] Xénophon, Anabase, V, 1, 10-14.
[43] Xénophon, Anabase, VI, 1, 22-31.
[44] Xénophon, Anabase, VI, 1, 32.
[45] Xénophon, Anabase, VI, 2, 11-16.
[46] Xénophon, Anabase, VI, 3, 10-25 ; VI, 4, 11.
[47] Xénophon, Anabase, VI, 5.
[48] Xénophon, Anabase, VI, 6, 1-5.
[49] Xénophon, Anabase, VI, 6, 5-9.
[50] Xénophon, Anabase, VI, 1, 32 ; VI, 4, 11-15.