HISTOIRE DE LA GRÈCE

TREIZIÈME VOLUME

CHAPITRE III — OPÉRATIONS DES DIX MILLE GRECS DEPUIS LE MOMENT QU’ILS PARVINRENT À TRAPÉZONTE, JUSQU’À LEUR JONCTION AVEC L’ARMÉE LACÉDÆMIONIENNE EN ASIE MINEURE (suite).

 

 

La situation devint alors extrêmement critique, vu qu’il n’était pas facile de livrer u la vengeance d’un traître comme Dexippos leurs camarades, dont la cause était parfaitement juste, bien qu’ils l’eussent soutenue par une violence illégale. Quand l’armée fut réunie en assemblée, plusieurs des  soldats allèrent jusqu’à traiter la menace de Kleandros avec mépris. Mais Xénophon s’appliqua â, les redresser sur ce point. Soldats (dit-il), ce ne sera pas un léger malheur si Kleandros part, comme il menace de le faire, dans ses dispositions actuelles à notre égard. Nous sommes ici tout prés aies villes grecques ; or les Lacédæmoniens sont la puissance souveraine en Grèce, et non seulement leurs officiers autorisés peuvent faire ce qu’il leur plaît dans les diverses cités, mais cela est encore permis à chacun de leurs citoyens individuellement. Si donc Kleandros commence par nous interdire l’entrée de Byzantion, et ordonne ensuite aux harmostes lacédæmoniens de faire de même, nous déclarant hors la loi et désobéissants à Sparte ;si, en outre, on en dit autant sur notre compte à Anaxibios, l’amiral lacédæmonien de la flotte,nous serons dans un cruel embarras soit pour rester, soit pour partir ; car les Lacédæmoniens sont à présent maîtres et sur terre et sur mer[1]. Nous ne devons pas, à cause d’un ou de deux hommes, souffrir que toute l’armée soit exclue de la Grèce. Nous devons obéir à tout ce que les Lacédæmoniens nous ordonnent, d’autant plus que les cités, auxquelles nous appartenons respectivement, leur obéissent aujourd’hui. Quant à ce qui me regarde, je sais que Dexippos a dit à Kleandros qu’Agasias n’aurait jamais fait une pareille démarche si ce n’est par mon ordre. Or, si Agasias lui-même le déclare, je suis prêt à vous décharger, lui et vous tous, et à me livrer pour recevoir le dernier châtiment. Je soutiens aussi que tout autre homme accusé par Kleandros doit également se livrer pour être jugé, afin que vous soyez déchargés collectivement de l’imputation. Il serait pénible, en effet, au moment où nous touchons à la Grèce, non seulement d’être privés des éloges et de l’honneur que nous espérions, mais encore d’être dégradés au-dessous du niveau des autres et ale nous voir fermer les cités grecques[2].

Après ce discours de Xénophon, l’ami de Lacédæmone, — témoignage significatif de l’ascendant et de l’intervention illimités des Lacédæmoniens dans toute la Grèce, — Agasias se leva et déclara qu’il n’avait agi ni par les ordres, ni au su de Xénophon ; qu’il l’avait fait dans un mouvement personnel de colère, en voyant son soldat honnête et innocent entraîné par le traître Dexippos ; mais qu’actuellement il consentait à se livrer comme victime, afin de détourner de l’armée le mécontentement des Lacédæmoniens. Ce sacrifice volontaire et généreux qui, au moment, ne promettait rien qu’un résultat fatal pour Agasias, fût accepté par l’armée ; et les généraux le conduisirent à Kleandros, lui et le soldat qu’il avait délivrés ; comme prisonniers. Se présentant comme la personne responsable, Agasias expliqua en même temps à Kleandros l’infâme conduite de Dexippos à l’égard de l’armée, et lui dit qu’il n’aurait agi envers personne autre de la même manière ; tandis que le soldat qu’il avait sauvé, et qui était livré avec lui, affirmait aussi n’être intervenu que pour empêcher Dexippos et quelques autres de violer, pour leur avantage individuel, un ordre proclamé par l’armée entière. Kleandros, après avoir fait observer que, si Dexippos avait fait ce qu’on lui affirmait, il serait le dernier à le défendre, mais que personne n’aurait dû être assailli de pierres sans jugement, — demanda que les personnes livrées fussent laissées à sa merci, et en même temps il rétracta ses expressions de mécontentement en ce qui concernait tous les autres[3].

Les généraux se retirèrent alors, laissant Kleandros en possession des prisonniers et sur le point de prendre son dîner. Mais ils se retiraient avec des sentiments de tristesse, et Xénophon convoqua bientôt tous les soldats pour proposer qu’on envoyât à Kleandros une députation générale chargée d’implorer sa clémence à l’égard de leurs deux camarades. Cette proposition étant acceptée cordialement, Xénophon, à la tête d’une députation comprenant Drakontios le Spartiate, aussi bien que les principaux officiers, fit à Kleandros un appel sérieux, lui représentant que son honneur avait été satisfait par la reddition sans condition des deux personnes demandées, ; que l’armée, s’intéressant vivement à deux camarades méritants, le priait actuellement de montrer de la clémence et d’épargner leurs vies ; qu’elle lui promettait en retour l’obéissance la plus complète, et le suppliait de prendre le commandement, afin qu’il plat avoir une connaissance personnelle de leur exacte discipline, et comparer son mérite avec celui de Dexippos. Kleandros fut non seulement apaisé, mais complètement gagné par ce discours ; et il dit en réponse que la conduite des généraux démentait complètement ce qu’on lui avait dit (sans doute Dexippos), qu’ils cherchaient à éloigner l’armée des Lacédæmoniens. Non seulement il rendit les deux hommes qu’il avait entre les mains, mais encore il accepta le commandement de l’armée, et promit de la ramener en, Grèce[4].

Les espérances de l’armée parurent alors grandement améliorées ; d’autant plus que Kleandros, en entrant dans, ses nouvelles fonctions en qualité de commandant, trouva les soldats si allègres et si dociles, qu’il fut extrêmement satisfait, et qu’il échangea avec Xénophon des marques personnelles d’amitié et d’hospitalité. Mais quand on en vint à offrir les sacrifices pour commencer la marche vers la patrie, les signes furent si défavorables, pendant trois jours successifs, que Kleandros ne put se décider à braver de tels augures au début de sa carrière. En conséquence, il dit aux généraux que les dieux lui défendaient évidemment, et se réservaient à eux-mêmes, de conduire l’armée en Grèce ; qu’en conséquence il retournerait à Byzantion, et recevrait l’armée de son mieux quand elle arriverait au Bosphore. Après un échange de présents avec les soldats, il partit ensuite avec ses deux trirèmes[5].

On verra que les sentiments favorables établis actuellement dans le cœur de Kleandros furent bientôt très utiles aux soldats de Cyrus à Byzantion ; mais ils avaient raison de regretter profondément les sacrifices défavorables- qui l’avaient détourné de prendre le commandement effectif à Kalpê. Dans la demande qu’ils lui firent de vouloir se rendre au Bosphore comme leur commandant, nous pouvons reconnaître un plan et un plan très bien combiné de. Xénophon, qui avait auparavant désiré quitter l’armée à Hêrakleia, et qui voyait clairement que les difficultés augmenteraient pour un commandant, à moins qu’il ne fût un Lacédæmonien d’un rang élevé et d’une grande influence, à chaque pas qui les rapprocherait de la Grèce. Si Kleandros eut accepté le commandement, les soldats auraient été mieux traités, tandis que Xénophon lui-même aurait pu ou bien rester auprès de lui comme conseiller ou retourner dans son pays. Il aurait choisi probablement le dernier parti.

Sous le commandement de leurs propres officiers, les soldats de Cyrus se rendirent alors, à travers la Bithynia, de Kalpê à Chrysopolis[6] — dans le territoire de Chalkêdon, sur le côté asiatique du Bosphore, immédiatement en face de Byzantion, comme Scutari l’est aujourd’hui de Constantinople —, où ils restèrent sept jours, échangeant contre de l’argent les esclaves et le butin qu’ils avaient recueillis. Malheureusement pour eux, l’amiral lacédæmonien Anaxibios était à ce moment à Byzantion, de sorte que leur ami Kleandros était sous son commandement supérieur. Et Pharnabazos, le satrape persan des régions nord-ouest de l’Asie Mineure, redoutant beaucoup qu’ils n’envahissent sa satrapie, envoya un message secret à Anaxibios, qu’il décida, par la promesse de présents considérables, à transporter l’armée immédiatement sur le côté européen du Bosphore[7]. En conséquence, Anaxibios, faisant venir les généraux et les lochagi à Byzantion, engagea l’armée à passer le détroit, et assura que, dès que les soldats seraient en Europe, il leur fournirait une paye. Les autres officiers lui dirent qu’ils retourneraient avec ce message et consulteraient le sentiment de l’armée ; mais Xénophon, pour son propre compte, dit qu’il ne retournerait pas, mais qu’il quitterait alors l’armée et partirait de Byzantion. Ce ne fut que sur les instantes prières d’Anaxibios qu’il se décida à aller à Chrysopolis et à conduire l’armée à travers le détroit ; il était entendu qu’il s’en irait immédiatement après.

Là, à Byzantion, il reçut une première communication du prince thrace Seuthês, qui envoya Mendosadês pour lui offrir une récompense s’il voulait faire passer le détroit à l’armée. Xénophon répondit que l’armée le traverserait ; qu’aucune récompense donnée par Seuthês n’était nécessaire pour que ce mouvement s’effectuât ; mais que lui-même était sur le point de partir, laissant le commandement en d’autres mains. En effet, toute l’armée passa le détroit sans tarder beaucoup, débarqua en Europe et se trouva dans les murs de Byzantion[8]. Xénophon, qui l’avait accompagnée, rendit peu après visite à son ami l’harmoste Kleandros, et prit congé de lui comme étant sur le point de partir immédiatement. Mais Kleandros lui dit qu’il ne devait pas songer à se retirer avant que l’armée fût hors de la ville, et qu’il serait responsable si elle s’arrêtait. Au fond, Kleandros était fort inquiet tant que les soldats étaient dans l’intérieur des murs, et il savait bien que ce ne serait pas chose facile que de les engager à en sortir. Car Anaxibios avait commis une fraude grossière en leur promettant une paye, qu’il n’avait ni la faculté ni le goût de leur fournir. Sans leur donner une paye ni même les moyens d’acheter des provisions, il leur ordonna de s’avancer avec armes et bagages, et de se ranger hors des portes afin d’y être comptés pour une marche immédiate, ajoutant que quiconque demeurerait en arrière serait considéré comme punissable. Cette proclamation était à la fois inattendue et blessante pour les soldats, qui sentaient qu’ils avaient été joués, et obéissaient avec beaucoup de répugnance. Aussi Kleandros ; tout en pressant Xénophon de différer son départ jusqu’à ce qu’il eût conduit l’armée en dehors des murs, ajouta-t-il : — Va comme situ étais prêt à accompagner les soldats ; une fois dehors, tu pourras partir dès qu’il te plaira[9]. Xénophon répondit que cette affaire devait être arrangée avec Anaxibios ; en conséquence, ils allèrent ensemble trouver ce dernier, qui leur répéta les mêmes ordres, d’une manière plus péremptoire encore. Bien qu’il fût évident pour Xénophon qu’il se faisait en quelque sorte l’instrument de la fraude qu’Anaxibios avait commise à l’égard de l’armée, cependant il n’eut pas d’autre alternative que d’obéir. En conséquence, lui, aussi bien que les autres généraux, se mit à la tête des troupes qui les suivirent, bien qu’à contrecœur, et arrivèrent pour la plupart en dehors, des portes. Eteonikos — officier lacédæmonien de considération, mentionné plus d’une fois dans le chapitre quatrième du onzième volume de cette Histoire —, qui commandait à la porte, s’y tint tout près en personne, afin que, quand tous les soldats de Cyrus seraient sortis, il pût immédiatement la fermer et l’assurer au moyen de la barre[10].

Anaxibios savait bien ce qu’il faisait. Il s’attendait bien que la communication des derniers ordres occasionnerait une explosion parmi les soldats de Cyrus, et il désirait la différer jusqu’à ce qu’ils fussent dehors. Mais quand il ne resta plus que les compagnies d’arrière-garde encore à l’intérieur et en marche, tout le reste étant sorti, — il crut le danger passé, et convoqua les généraux et les capitaines, qui tous probablement étaient près des portes à surveiller la marche. Il paraît que Xénophon, qui avait fait connaître son intention de partir, ne répondit pas à cet appel, comme l’un des généraux, mais resta en dehors avec les soldats. — Prenez (dit Anaxibios) les provisions dont vous avez besoin dans les villages thraces voisins, qui sont bien fournis de blé, d’orge et d’autres nécessités. Une fois approvisionnés, poussez jusqu’à la Chersonèse, et là Kyniskos vous donnera une paye[11].

Ce fut pour la première fois qu’Anaxibios donna à entendre qu’il n’avait pas l’intention d’accomplir sa promesse de trouver une paye pour les soldats. Qui était Kyniskos, c’est ce que nous ne savons pas, et qu’ignoraient probablement les soldats de Cyrus ; mais la marche qu’Anaxibios ordonnait était au moins de 150 milles anglais (= 241 kilomètres) et pouvait être beaucoup plus longue. La route n’était pas indiquée, et les généraux eurent à demander à Anaxibios s’ils devaient aller par ce qu’on appelait la Montagne Sainte (c’est-à-dire par la ligne plus courte, sur les bords de la côte septentrionale de la Propontis), ou par une route plus à l’intérieur et plus ruineuse à travers la Thrace, — et s’ils devaient regarder le prince thrace Seuthês, comme un ami ou comme un ennemi[12].

Au lieu de la paye qui leur avait été formellement promise par Anaxibios s’ils voulaient passer d’Asie à Byzantion, les soldats de Cyrus se voyaient renvoyés les mains vides pour une longue marche, — à travers une autre contrée barbare, sans autres provisions que celles que leur fournirait le hasard et dont leurs efforts seuls les rendraient maîtres, — et avec un sort inconnu et incertain à la fin de cette marche ; tandis que, s’ils étaient restés en Asie, ils auraient eu en tout cas la riche satrapie de Pharnabazos à leur portée. A un procédé si perfide s’ajoutait actuellement tune brutale expulsion de Byzantion, sans même les manifestations les plus ordinaires d’hospitalité ; faisant un contraste signalé avec le traitement que l’armée avait récemment éprouvé à Trapézonte, à Sinopê et à Hêrakleia, où elle avait été bien accueillie non seulement avec , des compliments sur ses exploits passés, mais encore avec un ample présent de farine, de viande et de vin. Une telle conduite ne pouvait manquer de provoquer l’indignation la plus violente dans le cœur des soldats ; aussi Anaxibios avait-il différé de donner l’ordre jusqu’à ce que les derniers d’entre eux fussent en marche pour sortir, pensant que l’armée n’en entendrait rien dire jusqu’à ce que les généraux allassent hors des portes l’en informer ; de sorte, que les portes seraient fermées, et les murs garnis d’hommes pour résister à toute attaque du dehors. Mais ses calculs ne se réalisèrent pas. Ou bien un des soldats qui passait par là l’entendit donner l’ordre, ou l’un des capitaines qui composaient son auditoire s’en retira à la dérobée, et alla en toute hâte instruire ses camarades en dehors de la ville. Le gros de l’armée, déjà irrité par la manière inhospitalière avec laquelle on l’avait expulsé, n’avait pas besoin d’autre chose pour Vitre poussé à une mutinerie et à une attaque spontanées. Pendant que les généraux à l’intérieur — qui ou bien prirent la communication plus patiemment, ou du moins, voyant un peu plus loin, comprirent que toute tentative pour venger ou repousser les mauvais traitements de l’amiral spartiate ne ferait qu’aggraver leur position —, pendant que les généraux, dis-je, discutaient avec Anaxibios les détails de la marche qu’il venait de leur ordonner, — les soldats du dehors, éclatant en un mouvement spontané, par une impulsion simultanée et fougueuse, se précipitèrent en arrière pour,prendre possession de la porte. Mais Eteonikos, qui vit leur mouvement, la ferma sans un moment de retard, et mit la barre. Les soldats, arrivant à la porte et la trouvant barrée, demandèrent à grands cris qu’on la leur ouvrît, menacèrent de la briser, et même se mirent à la frapper avec violence. Quelques-uns coururent jusqu’au rivage de la mer, et pénétrèrent dans la ville en tournant la ligne de pierres à la base de la muraille qui protégeait Byzantion contre lés flots ; tandis que les soldats de l’arrière-garde, qui n’étaient pas encore sortis, voyant ce qui se passait, et craignant d’être coupés de leurs camarades, attaquèrent la porte de l’intérieur, séparèrent les fermetures avec des haches et l’ouvrirent toute grande à l’armée[13]. Tous les soldats se précipitèrent alors, et se trouvèrent de nouveau dans Byzantion.

Rien ne put dépasser la terreur des Lacédæmoniens aussi bien que des Byzantins indigènes, quand ils virent les soldats furieux de nouveau dans l’intérieur des murs. La ville semblait déjà prise et sur le point d’être pillée. Ni Anaxibios, ni Eteonikos ne prirent la plus petite précaution pour résister ; ils ne restèrent même pas pour braver l’approche des soldats, dont ils avaient bien conscience d’avoir mérité la colère. Tous deux se réfugièrent dans la citadelle, — le premier courant d’abord jusqu’au rivage, et se jetant dans un bateau pêcheur pour s’y rendre par mer. Il pensa même que la citadelle n’était pas tenable avec sa garnison actuelle, et il envoya chercher un renfort à Chalkêdon. Les citoyens de la ville furent encore plus terrifiés. Tous ceux qui se trouvaient dans la place du marché s’enfuirent à l’instant ; quelques-uns vers leurs maisons, d’autres,vers les bâtiments marchands qui étaient dans le port, d’autres vers les trirèmes ou vaisseaux de guerre, qu’ils traînèrent jusqu’à l’eau, et mirent ainsi à la mer[14].

A la perfidie et à la dureté de l’amiral spartiate s’ajoutait ainsi, dans la manière d’exécuter le projet, un manque de précaution qui menaçait de causer la ruine totale de Byzantion. Car il n’était que trop probable que les soldats de Cyrus, poussés par le vif ressentiment de la récente injure, rassasieraient leur vengeance, et se dédommageraient du défaut d’hospitalité à leur égard, sans distinguer la garnison lacédæmonienne des citoyens byzantins, et cela encore par leur seule impulsion, et non seulement sans l’ordre, mais malgré la défense de leurs généraux. Telle était la perspective que présentait le cas, quand ils se trouvèrent réunis de nouveau en masse en dedans des portes, et telle- aurait été probablement la réalité, si Xénophon avait exécuté soif projet de se retirer plus tôt, de manière à laisser les autres généraux agir sans lui. Étant en dehors avec les soldats, Xénophon comprit immédiatement, dès qu’il vit les portes forcées et l’armée de nouveau dans la ville, la terrible éventualité qui menaçait ; d’abord le sac de Byzantion, ensuite l’horreur et l’antipathie dans toute la Grèce à l’égard des officiers et des soldats de l’armée de Cyrus indistinctement, — enfin, un châtiment infligé à tous par la puissance impitoyable de Sparte. Accablé par ces inquiétudes, il s’élança dans la ville avec la multitude, faisant tous ses efforts pour calmer ses soldats et rétablir l’ordre parmi eux. Ceux-ci, de leur côté, charmés de le voir avec eux, et ayant conscience de leur force, cherchaient à le porter au même point d’exaltation qu’eux-mêmes, et à le décider à seconder et à régler leur triomphe présent. Le moment est venu pour toi, Xénophon (s’écriaient-ils) de te montrer homme. Tu as ici une ville,tu as des trirèmes,tu as de l’argent,tu as une quantité de soldats. Maintenant donc, si tu-le veux, tu peux nous enrichir, et nous en retour nous pouvons te rendre puissant. — Vous parlez bien (répondit-il), je ferai ce que vous me proposez ; mais si vous désirez faire quelque chose, vous devez sur-le-champ vous mettre en rangs. — Il savait que c’était la seule condition de revenir à un état qui ressemblât à la tranquillité, et par un très heureux hasard, l’espace appelé le Thrakion, touchant immédiatement, à la porte à l’intérieur, était uni, spacieux et libre de maisons ; il présentait une excellente place d’armes ou lieu pour une revue. Toute l’armée, — en partie par suite de sa longue pratique militaire, en partie dans la pensée que Xénophon était réellement sur le point de seconder ses désirs et de diriger quelque opération agressive, — se plaça presque spontanément en ordre régulier sur le Thrakion, les hoplites au nombre de huit en profondeur, les peltastes sur chaque flanc. Ils étaient dans cette position quand Xénophon leur adressa les paroles suivantes :

Soldats, je ne suis pas surpris que vous soyez irrités, et que vous vous regardiez comme scandaleusement trompés et maltraités. Mais si nous donnons cours à notre colère,si nous punissons de leur perfidie ces Lacédæmoniens qui sont maintenant devant vous, et si nous pillons cette ville innocente,songez quelle sera la conséquence. Nous serons déclarés sur-le-champ ennemis des Lacédæmoniens et de leurs alliés, et quelle sorte de guerre il s’ensuivra, c’est ce que peuvent aisément s’imaginer ceux qui ont vu et se rappellent encore les faits récents de l’histoire. Nous autres, Athéniens, avons commencé la guerre contre Sparte avec une armée et une flotte puissantes, un revenu abondant, et de nombreuses cités tributaires en Asie aussi bien qu’en Europe,entre autres était cette même ville de Byzantion dans laquelle nous sommes actuellement. Nous avons été vaincus de la manière que brous savez tous. Et quelle sera alors le sort de nous autres soldats, quand nous aurons pour ennemis réunis Sparte avec tous ses anciens alliés et Athènes en outre, — Tissaphernês et les forces barbares sur la côte, — et surtout le Grand Roi que nous étions allés pour détrôner et pour tuer si nous le pouvions ? Est-il quelqu’un assez fou pour croire que nous ayons chance de tenir tête à tant d’ennemis combinés ? Ne nous plongeons pas follement dans le déshonneur et la ruine, et n’encourons pas l’inimitié de nos pères et de nos amis : ils sont dans les villes qui prendront les armes contre nous,et elles les prendront justement si nous, qui nous sommes abstenus de nous emparer d’aucune cité barbare, même quand nous étions en force suffisante, nous allons néanmoins piller actuellement la première ville grecque dans laquelle nous avons été admis. Pour ce qui me regarde, puissé-je être enterré à dix mille pieds sous terre plutôt que de vous voir faire de telle choses ! et, je vous exhorte aussi, comme Grecs, à obéir aux, chefs de la Grèce. Tâchez, en vous montrant obéissants ainsi, d’obtenir ce qui est votre juste droit ; mais si vous échouez dans cette tentative, soumettez-vous à l’injustice plutôt que de vous fermer le monde grec. Envoyez informer Anaxibios que vous êtes entrés dans la ville, non en vue de commettre, quelque violence, mais dans l’espérance, s’il est possible, d’obtenir de lui les avantages qu’il vous a promis. Si nous ne réussissons pas, nous lui prouverons du moins que nous quittons la ville, non par suite de ses manœuvres frauduleuses, mais par le sentiment que nous avons nous-mêmes du devoir de l’obéissance[15].

Ce discours arrêta entièrement le mouvement impétueux de l’armée, l’amena à un sentiment vrai de sa — situation, et l’engagea à adopter la proposition de Xénophon. Elle resta sans bouger dans sa position sur le Thrakion, tandis que trois des capitaines furent envoyés pour se mettre en communication avec Anaxibios. Pendant qu’ils attendaient ainsi, un Thêbain, nommé Kœratadas, approcha ; il avait déjà commandé dans Byzantion, sous les Lacédæmoniens, dans la guerre antérieure. Il était devenu depuis une sorte de condottiere ou général de profession, cherchant une armée à commander partout où il en pouvait trouver une, et proposant ses services à toute ville qui voulait l’engager. Il parla aux soldats de Cyrus réunis, et leur offrit, s’ils voulaient l’accepter comme général, de-les conduire contre le Delta de Thrace (l’espace compris entre l’extrémité nord-ouest de la Propontis et l’extrémité sud-ouest de l’Euxin), qu’il assurait être un riche territoire présentant de grandes facilités pour le pillage ; il s’engagea en outre à leur fournir une abondante subsistance pendant la marche, Bientôt revinrent les députés, apportant la réponse d’Anaxibios : l’amiral reçut favorablement le message ; il promit que non seulement l’armée n’aurait pas lieu de regretter son obéissances mais qu’il adresserait un rapport sur sa bonne conduite aux autorités de Sparte, et qu’en même temps il ferait tout son possible pour contribuer à son bien-être[16]. Il ne, parla pas de les prendre à sa solde, cette fraude ayant actuellement rempli son but. Les soldats, en entendant la communication, adoptèrent la résolution d’accepter Kœratadas comme leur futur commandant, et ils sortirent ensuite de la ville. Aussitôt qu’ils furent dehors, Anaxibios, non content de fermer les portes sur eux, fit une proclamation publique dans laquelle il annonçait que si l’on trouvait l’un d’eux dans la ville, il serait immédiatement vendu comme esclave.

Il y a peu de cas d’un bout à l’autre de l’histoire grecque où un discours habile ait servi à détourner autant de malheurs qu’il en fut détourné par ce discours de Xénophon à l’armée dans Byzantion. Et jamais non plus, dans toute la période de son commandement, il ne lui rendit un service plus signalé. Xénophon expose plutôt au-dessous qu’au-dessus de la réalité les tristes conséquences qui auraient suivi si l’armée eût persisté dans son mouvement agressif, — d’abord pour les citoyens de la ville, finalement pour eux-mêmes ; tandis qu’Anaxibios, la seule personne coupable, avait le moyen de s’échapper par mer, même dans les circonstances les plus fâcheuses. En même temps, jamais un orateur ne se chargea d’une affaire plus difficile, ni ne remporta un triomphe plus complet dans des conditions aussi ingrates. Si nous considérons les sentiments et la position de l’armée à l’instant où elle pénétra de force dans la ville, nous serons étonnés qu’un commandant quelconque ait pu arrêter ses mouvements. Bien que la gloire de sa retraite fût toute fraîche, elle avait d’abord été attirée perfidement d’Asie, puis durement expulsée par Anaxibios, et bien qu’on puisse dire avec vérité que les citoyens de Byzantion n’avaient part ni à l’un ni à l’autre de ces deux actes, cependant on prend peu (le soin, dans les opérations militaires, d’établir une distinction entre une garnison et des citoyens dans une ville attaquée. Ayant des armes dans les mains, avec la conscience d’une force créée par leurs exploits en Asie, les soldats de Cyrus étaient en même temps enflammés par l’occasion qui se présentait tant de venger une injure grossière et récente que de s’enrichir en exécutant cette vengeance ; à cela nous pouvons ajouter l’excitation produite par cet élan impétueux qui leur avait procuré leur rentrée, et cet autre fait qu’en dehors des portes ils n’avaient rien à attendre, si ce n’est un service en Thrace, pauvre, pénible et peu séduisant. Avec des soldats déjà sous l’empire d’une impulsion dominante de cette nature, quelle chance y avait-il qu’un général qui se retirait, près de quitter, l’armée, pat agir sur leurs esprits au point de les amener à renoncer à la proie qu’ils avaient sous les yeux ? Xénophon n’avait rien à invoquer que des considérations, en partie de réputation hellénique, surtout de prudence, considérations, il est vrai, d’une réalité incontestable et d’une prodigieuse grandeur, appartenant toutefois toutes à un avenir lointain, et n’ayant par conséquent que peu de force relativement, si ce n’est quand I’orateur les présentait sous des traits amplifiés. Quiconque étudiera son discours reconnaîtra avec quelle puissance il agit sur les esprits de ses auditeurs, de manière à dégager ces dangers éloignés du nuage du sentiment présent qui les cachait, — avec quelle habileté il employa comme moyen d’explication l’exemple de sa ville natale. Jamais ses mérites athéniens, — son talent pour exprimer d’importantes pensées, — sa promptitude à saisir une situation présente et à diriger les sentiments d’une multitude impétueuse, — ne parurent sous un plus beau jour que quand il fut soudainement appelé ainsi à affronter une éventualité terrible. Sa réputation préétablie et l’habitude d’obéir à ses ordres furent sans doute des conditions essentielles de succès. Mais aucun des commandants ses collègues n’aurait été capable d’opérer un changement aussi mémorable dans les esprits des soldats, on d’obtenir obéissance par une simple défense reposant sur l’autorité ; bien plus, il est probable que, si Xénophon n’eut pas été là, les antres généraux auraient suivi le mouvement passionné, même l’eussent-ils fait avec répugnance, — par simple impuissance de le réprimer[17]. De plus, quels qu’aient pu être les mérites de Xénophon, il est certain que même lui n’aurait pu agir sur les esprits de ces soldats soulevés, s’ils : n’eussent été Grecs et citoyens aussi bien que soldats, nourris dans des sympathies helléniques et accoutumés à un ordre hellénique, avec une autorité agissant par la voix et 1a, persuasion, et non par le fouet et les instruments de torture usités chez les Perses. Le discours mémorable prononcé sur le Thrakion à Byzantion explique l’action de cette influence persuasive qui formait une des forces permanentes et l’un d’es charmes remarquables de l’Hellénisme. Il nous apprend que si l’orateur pouvait parfois accuser des personnes innocentes et pervertir des assemblées bien disposées, — partie du cas que les historiens de la Grèce présentent souvent comme le tout, — il pouvait aussi, et cela dans les circonstances les plus critiques, combattre la force la plus grande d’une passion actuelle, et faire ressortir d’une manière vive las traits à demi obscurcis du devoir et de la raison prévoyante.

Après avoir conduit l’armée hors de la ville, Xénophon envoya, par l’entremise de Kleandros, un message à Anaxibios, demandant qu’il lui fût permis de rentrer seul dans Byzantion, afin de partir par mer. On accéda à sa requête, non sans beaucoup de difficulté ; alors il prit congé de l’armée et reçut d’elle les expressions les plus fortes d’affection et de gratitude[18], et il entra dans la ville avec Kleandros ; tandis que le lendemain Kœratadas vint prendre le commandement suivant la convention, et amena avec lui un prophète et des animaux qui devaient être sacrifiés. II y avait dans sa suite vingt hommes qui portaient des sacs de farine d’orge, vingt autres chargés de jarres de vin, trois chargés d’olives, et un seul homme avec des bottes d’ail et d’oignons. Une fois ces provisions déposées, Kœratadas se mit en devoir d’offrir un sacrifice, comme préliminaire de la distribution à faire entre les soldats. Le premier jour, les sacrifices étant défavorables, il n’y eut pas de distribution ; le second jouir, Kœratadas était debout devant l’autel avec la couronne sur la tête, et les victimes à côté de lui, prêt à renouveler son sacrifice, quand Timasiôn et les autres officiers intervinrent, le prièrent d’y renoncer et lui retirèrent le commandement. Il se peut que les premiers sacrifices défavorables les aient en partie poussés à agir ainsi. Mais la raison principale était la chétive quantité de provisions, au-dessous même des besoins de l’armée pendant un jour, qu’avait apportée Kœratadas, — et l’insuffisance évidente de ses moyens[19].

Lors du départ de Kœratadas, l’armée se mît en marche pour prendre ses quartiers dans quelques villages’ thraces peu éloignés de Byzantion, sous ses anciens officiers, qui toutefois ne purent s’accorder quant à leur ordre futur de marche. Kleanor et Phryniskos, qui avaient reçu des présents de Seuthês, faisaient valoir l’avantage qu’il y aurait à accepter les services de ce prince thrace ; Neôn conseillait d’aller à la Chersonèse pour être sous lès officiers lacédæmoniens de cette péninsule (comme Anaxibios l’avait projeté), dans l’idée que lui, comme Lacédæmonien ; y obtiendrait le commandement de toute l’armée ; tandis que .Timasiôn, en vue de rentrer dans sa ville natale de Dardanos, proposait de retourner sur le côté asiatique du détroit.

Bien que ce dernier plan rencontrât une faveur décidée auprès de l’armée, il ne pouvait être exécuté sans vaisseaux. Timasiôn n’avait que peu ou pas de moyens de s’en : procurer ; de sorte qu’il se passa un délai considérable pendant lequel les soldats, ne recevant pas de paye, tombèrent dans une grande détresse. Beaucoup d’entre eux furent même obligés de vendre leurs armes afin de e nourrir ; tandis, que d’autres obtinrent la permission de s’établir dans quelques-unes des villes voisines, à condition d’être désarmés. Toute l’armée se fondait ainsi insensiblement, à la grande satisfaction d’Anaxibios, qui désirait voir s’accomplir les desseins de Pharnabazos. Il est probable que par degrés elle se serait dissoute complètement si un changement d’intérêt de la part d’Anaxibios ne l’avait engagé à favoriser sa réorganisation. Il se rendit de Byzantion à la côte asiatique pour informer Pharnabazos que les soldats de Cyrus ne pouvaient plus causer d’inquiétude, et pour réclamer la récompense qui lui avait été promise. En outre, il parait que Xénophon lui-même partit de Byzantion par la même occasion. Quand ils parvinrent à Kyzikos, ils rencontrèrent le Lacédæmonien Aristarchos, qui venait en qualité d’harmoste de Byzantion nouvellement nommé pour remplacer Kleandros, et qui apprit à Anaxibios que Polos était sur le point d’arriver pour le remplacer comme amiral. Désireux de voir Pharnabazos et de s’assurer son présent, Anaxibios recommanda à Aristarchos, comme ordre d’adieu, de vendre comme esclaves tous les soldats de Cyrus qu’il pourrait trouver à Byzantion à son arrivée, et ensuite il continua son voyage le long de la côte méridionale de la Propontis jusqu’à Parion. Mais Pharnabazos, qui avait déjà reçu avis du changement d’amiraux, savait que l’amitié d’Anaxibios n’avait plus aucune valeur, et il ne s’occupa plus de lui ; tandis qu’en même temps il envoya à Byzantion faire le même arrangement avec Aristarchos contre l’armée de Cyrus[20].

Anaxibios fut piqué au vif de cette combinaison de désappointement et d’insulte de"la part du satrape. Pour s’en venger, il résolut d’employer ces mêmes soldats qu’il avait d’abord amenés en Europe par fraude et en se laissant gagner, qu’il avait ensuite jetés hors de Byzantion, et enfin qui, d’après son ordre, devaient être vendus comme esclaves, s’il s’en trouvait encore dans cette ville. Il résolut alors de les ramener en Asie dans le dessein d’agir contre Byzantion. En conséquence, il s’adressa à Xénophon et lui ordonna de rejoindre l’armée sans un moment de retard, afin de la tenir réunie, de rappeler les soldats qui étaient partis, et de transporter tout le corps en Asie. Il lui fournit un vaisseau armé à trente rames pour passer de Parion à Perinthos, et l’envoya aux Périnthiens un ordre péremptoire de lui donner des chevaux afin qu’il pût arriver à l’armée le plus rapidement possible[21]. Peut-être n’eût-il pas été sans danger de désobéir à cet ordre en toute circonstance. Mais l’idée d’agir avec l’armée en Asie contre Pharnabazos, sous la sanction lacédæmonienne, lui était probablement très agréable. Il se hâta de se rendre à l’armée, qui accueillit son retour avec joie, et embrassa avec satisfaction la proposition de passer en Asie, ce qui était une grande amélioration dams son état d’abandon et de dénuement. En conséquence, il la conduisit à Perinthos, et il campa sous les murs de la ville, refusant, — quand il passa par Selymbria, une seconde proposition que lui fit Seuthês de prendre les soldats à son service.

Tandis que Xénophon à Perinthos s’évertuait à se procurer des transports pour le passage de l’armée, Aristarchos, le nouvel harmoste, y arriva de Byzantion avec deux trirèmes. Il paraît que non seulement la ville de Byzantion, mais encore celles de Perinthos et de Selymbria étaient comprises dans son gouvernement comme harmoste. Dés gon arrivée à Byzantion pour remplacer Kleandros, il ne trouva pas moins de quatre cents soldats de Cyrus, surtout des malades et des blessés ; Kleandros, en dépit du mauvais vouloir d’Anaxibios, avait non seulement refusé de les vendre, comme esclaves, mais il les avait logés chez les citoyens et soignés avec sollicitude, tant ses bons sentiments à l’égard de Xénophon et de l’armée se donnaient carrière alors. Nous lisons avec indignation qu’Aristarchos, dès qu’il arriva à Byzantion pour le remplacer, ne se contenta pas même d’envoyer ces quatre cents hommes hors de la ville, mais qu’il les saisit, bien qu’ils fussent des Grecs, des citoyens et des soldats, — et qu’il les fit vendre comme esclaves[22]. Instruit des mouvements de Xénophon et de l’armée, il vint alors à Perinthos pour s’opposer à son passage en Asie ; il mit l’embargo sur les transports dans le port, et se présenta en personne devant l’armée assemblée pour interdire aux soldats de traverser le détroit. Quand Xénophon lui apprit que n’était Anaxibios qui avait donné l’ordre de passer, et l’avait envoyé exprès pour les conduire, — Aristarchos répliqua : — Anaxibios n’est plus en fonctions comme amiral, et je suis harmoste de cette ville. Si je surprends l’un de vous en mer, je le coulerai à fond. Le lendemain, il envoya inviter les généraux et les capitaines (lochagi) à une conférence dans l’intérieur des murs. Ils étaient sur le point de passer les portes, quand Xénophon, qui était du nombre, reçut un avertissement secret que, s’il entrait dans la ville, Aristarchos se saisirait de lui et le mettrait à mort, ou bien l’enverrait prisonnier à Pharnabazos. En conséquence, Xénophon envoya les autres en avant, et il resta lui-même avec l’armée, alléguant l’obligation de faire un sacrifice. La conduite d’Aristarchos qui, en voyant arriver les autres sans Xénophon, les renvoya et les pria de revenir tous dans l’après-midi, — confirma la justesse de ses soupçons quant au danger imminent dont il avait été préservé par cet avertissement accidentel[23]. Il n’est guère besoin d’ajouter que Xénophon dédaigna la seconde invitation non moins que la première ; de plus une troisième invitation, qu’Aristarchos envoya plus tard, fut méprisée par tous.

Nous avons ici un harmoste lacédæmonien qui ne se fait pas scrupule de tendre un piège de perfidie aussi flagrant que celui qu’avait employé. Tissaphernês sur les bords du Zab pour surprendre Klearchos et ses collègues, — et cela encore contre un Grec, et un officier du rang et du mérite le plus élevés, qui venait de préserver Byzantion du pillage, et était alors réellement occupé à exécuter les ordres donnés par l’amiral lacédæmonien Anaxibios. Assurément, si l’avertissement accidentel eût été retenu, Xénophon n’aurait pas manqué de tomber dans un piège, et nous n’aurions pu avec raison l’accuser d’imprudence, — tant il avait droit de compter sur une conduite loyale dans les circonstances. Mais on ne peut en dire autant de Klearchos, qui montra une crédulité déplorable, tout aussi funeste que la fraude dont il devint la victime.

A la seconde entrevue avec les autres officiers ; t4ristarchos, tout en défendant u l’armée de traverser le détroit, lui ordonna de se frayer de force un chemin par terre à travers les Thraces qui occupaient la Montagne Sainte, et de parvenir ainsi à la Chersonèse, où (disait-il) elle recevrait une paye. Neôn le Lacédæmonien, avec environ 800 hoplites attachés à son commandement séparé, recommanda ce plan comme le meilleur. Toutefois, il y avait à lui opposer la proposition faite par Seuthês de prendre l’armée à sa soldé ; ce que Xénophon était disposé à préférer, inquiet u la pensée d’être enfermé dans l’étroite péninsule de la Chersonèse, sous le commandement absolu de l’harmoste lacédæmonien, avec une grande incertitude d’avoir et une paye et des provisions[24]. De plus, c’était une nécessité impérieuse pour ces troupes désappointées de faire quelque mouvement immédiat ; car elles avaient été amenées aux portes de Perinthos dans l’espérance de s’embarquer immédiatement : on était au milieu de l’hiver, — elles étaient campées dans les champs, exposées au froid rigoureux de la Thrace ; elles n’avaient ni provisions assurées, ni même d’argent pour en acheter, si un marché avait été à proximité[25]. Xénophon, qui les avait amenées dans le voisinage de Perinthos, était alors de nouveau chargé de la responsabilité de les tirer de cette situation non tenable ; et il commença par offrir des sacrifices, suivant son habitude, pour s’assurer si les dieux l’encourageaient à recommander un pacte avec Seuthês. Les sacrifices furent si favorables que lui-même en personne, avec un officier de confiance de chacun des généraux, alla de nuit rendre visite à Seuthês, afin de connaître distinctement ses offres et ses desseins.

Mœsadês, père de Seuthês, avait été apparemment un prince dépendant de la grande monarchie des Thraces Odrysiens, si formidable dans les premières années de la guerre du Péloponnèse. Mais des secousses intestines lui avaient enlevé sa principauté sur trois tribus thraces : l’ambition de Seuthês était actuellement de les recouvrer, arec l’aide de l’armée de Cyrus. Il offrit à chaque soldat un statère de Kyzikos — environ 20 drachmes attiques ou presque la même somme que celle qu’ils avaient reçue primitivement de Cyrus —, comme paye par mois ; deux fois autant à chaque lochagos ou capitaine, — quatre fois autant à chacun des généraux. Dans le cas où ils encourraient l’inimitié des Lacédæmoniens en se joignant à lui, il leur garantissait tous les droits à un établissement et à une protection fraternelle dans son territoire. A chacun des généraux, outre la pave, il s’engagea à assigner un fort sur la côte de la mer, avec un lot de terre alentour, et des bœufs pour le cultiver. Pt à Xénophon en particulier il offrit la possession de Bisanthê, son meilleur point sur la côte. Je veux aussi (ajouta-t-il en s’adressant à Xénophon) te donner ma fille en mariage ; et si tu as une fille, je te l’achèterai comme femme, suivant la coutume de la Thrace[26]. Seuthês s’engagea de plus à ne les conduire jamais en aucune occasion à plus de sept journées de marche de la mer, au plus loin.

Les offres étaient aussi libérales que l’armée pouvait les espérer ; et Xénophon lui-même, se méfiant des Lacédæmoniens aussi bien qu’ils se méfiaient de lui, semble avoir considéré pour l’avenir l’acquisition d’une forteresse sur la côte et d’un territoire en Thrace (tels qu’en avaient obtenu avant lui Miltiadês, Alkibiadês et d’autres chefs athéniens), comme un précieux refuge en cas de besoin[27]. Mais même la promesse eût-elle été moins favorable, les soldats de Cyrus n’avaient pas d’autre alternative, car ils n’avaient pas même de provisions actuelles, encore moins de moyens de subsistance pour tout l’hiver ; tandis qu’un départ par mer était rendu impossible par les Lacédæmoniens. Le lendemain, Xénophon et les autres généraux présentèrent Seuthês à l’armée, qui accepta ses offres et conclut le marché.

Les soldats restèrent deux mois à son service ; engagés dans une guerre contre diverses tribus thraces, qu’il put, grâce à leur concours, vaincre et dépouiller ; de sorte qu’à la fin de cette période, il fut en possession d’une domination étendue, d’une force armée indigène nombreuse et d’un tribut considérable. Bien que la souffrance causée par le froid fût extrême, pendant ces deux mois d’un hiver rigoureux et au milieu des montagnes neigeuses de la Thrace, l’armée néanmoins put, au moyen de ses expéditions avec Seuthês, se procurer une subsistance abondante, ce qu’elle n’aurait pu guère faire d’une autre manière. Mais la paye qu’il avait offerte ne fut jamais liquidée ; du moins, en récompense de ses deux mois de service, elle ne reçut de paye que pour vingt jours et un peu plus. Et Xénophon lui-même, loin d’obtenir l’accomplissement de ces magnifiques promesses que Seuthês lui avait faites personnellement, semble n’avoir pas même reçu sa solde comme l’un des généraux. Pour lui, le résultat fut singulièrement malheureux, puisqu’il perdit le bon vouloir de Seuthês par des demandes et des plaintes importunes en vue d’obtenir la paye due aux soldats ; tandis que ceux-ci, de leur côté, imputant à sa connivence le non accomplissement de la promesse, finirent partiellement par se détacher de lui. Une grande partie de ce tort résulta des intrigues et des calomnies perfides d’un Grec corrompu de Maroneia, nommé Herakleidês, qui agissait comme ministre et trésorier de Seuthês.

Le manque d’espace me force à omettre le récit donné par Xénophon, tant des relations de l’armée avec Seuthês que de la guerre faite contre les tribus thraces hostiles, — quelque intéressant que le rende la juxtaposition des coutumes grecques et thraces. Il paraît avoir été composé par Xénophon dans des sentiments d’amer désappointement personnel, et probablement en réfutation de calomnies dirigées contre lui-même comme s’il avait fait du tort à l’armée. Aussi pouvons-nous y reconnaître un ton de plainte — exagérée au sujet de l’ingratitude des soldats à son égard. Il est vrai qu’une partie de l’armée, dans la croyance qu’il avait été richement récompensé par Seuthês, tandis qu’elle n’avait pas reçu sa solde stipulée, exprima des sentiments et des mensonges violents contre lui[28]. Jusqu’à ce que ces soupçons fussent réfutés, il n’est pas étonnant que l’armée s’éloignât de lui ; mais elle était parfaitement disposée à entendre les deux côtés, et Xénophon prouva d’une manière triomphante la fausseté de l’accusation. Qu’à la fin ses sentiments à son égard fussent ceux de la faveur et de l’estime, c’est ce qu’attestent ses propres paroles[29], qui prouvent que l’ingratitude dont il se plaint était le fait de quelques-uns, à la vérité, mais non de tous.

Toutefois il est difficile de dire quel eût été le sort de cette vaillante armée, quand Seuthês, après avoir obtenu de ses armes en deux mois tout ce qu’il désirait, avait fini par ne plus désirer qu’une chose, c’était de la renvoyer sans solde, si elle n’avait été tirée d’embarras par un changement d’intérêt et de politique de la part de la toute-puissante Sparte. Les Lacédæmoniens venaient de déclarer la guerre à Tissaphernês et à Pharnabazos — ils envoyaient Thimbrôn en Asie pour commencer les opérations militaires. Ils finirent alors par désirer extrêmement transporter les soldats de Cyrus en Asie, ce que leur harmoste, Aristarchos avait interdit jusqu’alors, — et les prendre à leur solde d’une manière permanente ; dans ce but, deux Lacédæmoniens, Charminos et Polynikos, furent chargés par Thimbrôn d’offrir à l’armée la même solde que celle qui avait été promise, mais non payée, par Seuthês, et que celle qui avait été payée primitivement par Cyrus. Seuthês et Herakleidês, impatients de hâter le départ des soldats, s’efforcèrent de se faire honneur auprès des Lacédæmoniens en aidant leurs vues[30]. L’armée accepta cette offre avec joie, bien qu’elle se plaignît hautement de la fraude commise à son égard par Seuthês, fraude que Charminos, à la prière de Xénophon, pressa vainement le prince thrace de réparer[31]. Il envoya même Xénophon demander l’arriéré de la paye au nom des Lacédœmoniens, ce qui fournit à l’Athénien une occasion d’administrer à Seuthês une sévère leçon[32]. Mais ce dernier ne se trouva pas aussi accessible à l’action de l’éloquence que les soldats réunis de Cyrus. Et Xénophon n’obtint rien de plus qu’un misérable dividende sur la somme due, — avec des expressions civiles pour lui-même personnellement, — une invitation de rester à. son service avec mille hoplites au lieu d’aller en Asie avec l’armée, — et de nouvelles promesses, qui n’étaient pas de nature actuellement à inspirer une grande confiance, d’un fort et d’un présent de terres.

Quand l’armée, réduite maintenant par des pertes et des dispersions à 6.000 hommes[33], fut prête à passer en Asie, Xénophon désira retourner à Athènes, mais il fut persuadé de rester avec elle jusqu’à sa jonction avec Thimbrôn. Il était à ce moment si pauvre ayant à peine de quoi payer son voyage pour aller dans ses foyers, qu’il fut obligé de vendre son cheval à Lampsakos, la ville asiatique où l’armée débarqua. Là il trouva Eukleidês, prophète phliasien, avec lequel il était accoutumé d’avoir des relations et d’offrir des sacrifices à Athènes. Cet homme, ayant demandé à Xénophon combien il avait acquis pendant l’expédition, ne put le croire quand il affirma sa pauvreté. Mais quand ils se mirent ensemble à offrir un sacrifice de quelques animaux envoyés par les habitants de Lampsakos en présent à Xénophon, Eukleidês n’eut pas plus tôt examiné les entrailles des victimes, qu’il dit à Xénophon qu’il croyait pleinement son assertion. Je vois (dit-il) que même si jamais l’argent vient à toi, tu lui seras toi-même un obstacle, même s’il n’y en a pas d’autre (ici Xénophon acquiesça) ; Zeus Meilichios (le Gracieux)[34] est l’empêchement réel. Lui as-tu jamais offert en sacrifice des offrandes entières destinées au feu, comme nous avions coutume de le faire ensemble à Athènes ?Jamais (répondit Xénophon), pendant toute la marche.Fais-le donc maintenant (dit Eukleidês), et cela tournera à ton avantage. Le lendemain, en arrivant à Ophrynion, Xénophon obéit à l’injonction ; il sacrifia à Zeus Meilichios des petits cochons entiers, comme c’était l’usage à Athènes pendant la fête publique appelée Diasia. Et précisément le même jour il éprouva les effets salutaires de cette manière d’agir, car Bitôn et un autre député vinrent de Lacédæmone avec une avance de paye pour l’armées et avec des dispositions si favorables pour lui-même qu’ils lui rachetèrent son cheval, qu’il venait de vendre à Lampsakos pour cinquante dariques. Cela équivalait a lui donner plus d’une année de paye — celle qu’il aurait reçue comme général étant de quatre dariques par mois, ou quatre fois celle du soldat —, a un moment où l’on savait qu’il était sur le point de partir, et que, par conséquent, il ne resterait pas pour la gagner. Les lésineries de Seuthês furent alors compensées avec un intérêt immense, de sorte que Xénophon finit par être plus à son aise qu’aucun homme de l’armée, — bien que lui-même glisse sur la grandeur du cadeau, en le représentant comme un compliment délicat fait pour lui rendre un cheval favori.

C’est de cette manière reconnaissante et instantanée que Zeus le Gracieux répondit au sacrifice que Xénophon, après une longue omission, lui offrit, sur le conseil d’Eukleidês.

Et sans doute Xénophon fut plus que jamais confirmé dans la croyance, qui se manifeste d’un bout à l’autre de ses écrits, qu’un sacrifice non seulement indique, par l’aspect intérieur des victimes immolées, la teneur des événements futurs, — mais encore, selon qu’il est offert au dieu qu’il faut et au moment convenable, détermine sa volonté, et par conséquent le cours des événements, pour des dispensations favorables ou défavorables.

Mais les faveurs de Zeus le Gracieux, bien que commencées, n’étaient pas encore à leur fin. Xénophon conduisit l’armée à Antandros, par la Troade, et en franchissant le mont Ida ; de là le long de la côte de Lydia, par la plaine de Thêbê et la ville d’Adramyttion, en laissant Atarneus à droite ; il la mena a Pergamos en Mysia, ville sur une colline surplombant le fleuve et la plaine du Kaïkos. Ce district était occupé par les descendants de l’Érétrien Gongylos, qui, ayant été banni pour avoir embrassé la cause des Perses quand Xerxès envahit la Grèce, avait été récompensé (comme le roi spartiate Demaratos) par cette sorte de principauté sous l’empire persan. Son descendant, un autre Gongylos , occupait actuellement Pergamos avec sa femme Hellas et ses fils Gorgion et Gongylos. Xénophon y trouva un accueil très hospitalier. Hellas lui apprit qu’un Perse puissant, nommé Asidatês, habitait en ce moment, avec son épouse, sa famille et ses biens, une tour à peu de distance dans la plaine, et qu’une marche de nuit soudaine, avec 300 hommes, suffirait pour s’emparer de, cette précieuse proie, vers laquelle son propre cousin le guiderait. En conséquence, après avoir sacrifié et s’être assuré que les victimes étaient favorables, Xénophon communiqua son plan après le repas du soir à ceux des capitaines qui lui avaient été le plus attachés dans toute l’expédition, désirant leur faire participer au profit. Aussitôt que ce projet fut connu, il accourut une foule de volontaires, au nombre de 600, demandant à être autorisés à se joindre à lui. Rais les capitaines les repoussèrent, refusant d’en prendre plus de 300, afin que le butin pût fournir un plus grand dividende à chaque associé.

Commençant leur marche dans la soirée, Xénophon et son détachement de 300 hommes parvinrent vers minuit à la tour d’Asidatês. Elle était vaste, élevée, massive, et renfermait une garnison considérable. Elle servait à protéger son bétail et ses esclaves qui cultivaient la terre alentour, comme un château baronnial au moyen âge ; mais les assaillants négligèrent ce butin extérieur, afin d’être plus sûrs de prendre le château lui-même. Toutefois ses murailles se trouvèrent plus fortes qu’on ne s’y attendait ; et bien qu’on y fit une brèche de force vers l’aurore, cependant la défense de la garnison fut si vigoureuse qu’on ne put entrer. Asidatês fit des signaux et des cris de toute sorte pour se procurer l’aide des forces persanes du voisinage, dont un grand nombre commencèrent à arriver ; de sorte que Xénophon et sa compagnie furent obligés de se retirer. Et leur retraite ne finit par s’effectuer, après de cruelles souffrances et des blessures que reçurent presque la moitié des agresseurs, que grâce à l’aide de Gongylos avec ses forces (le Pergamos, et de Proklês (descendent de Demaratos) d’Halisarna, un peu plus loin vers la mer[35].

Bien que sa première entreprise eût échoué ainsi, Xénophon ne tarda pas à dresser des plans pour une seconde ; où il employa toute l’armée ; et il réussit à emmener Asidatês prisonnier à Pergamos, avec sa femme, ses enfants, ses chevaux et tout son bien personnel. C’est ainsi (dit-il, désireux avant tout de soutenir le crédit de la prophétie du sacrifice) que les sacrifices antérieurs — ceux qui avaient fait une promesse favorable avant la première tentative malheureuse — se trouvèrent alors être vrais[36]. Les personnes de cette famille furent sans doute rachetées pax leurs amis persans au prix d’une rançon considérable[37], qui, avec le butin enlevé, fit un total prodigieux à partager.

Quand on fit le partage, un tribut général de sympathie et d’admiration fut payé à Xénophon ; et toute l’armée, — généraux, capitaines et soldats, — et les Lacédæmoniens, en outre, — y concoururent unanimement (399 av. J.-C.). Comme Agamemnôn à Troie, il fut autorisé a choisit’ pour lui-même les lots triés de chevaux, de mulets, de bœufs et d’autres articles de butin, au point qu’il devint possesseur d’une part assez importante pour l’enrichir immédiatement, ajoutée aux cinquante dariques qu’il avait reçus auparavant. — Ici donc Xénophon (pour employer son propre langage)[38] n’eut pas de motif pour se plaindre du dieu (Zeus Meilichios). Nous pouvons ajouter, — ce qu’il aurait dû ajouter lui-même, si l’on considère les accusations qu’il avait énoncées auparavant, — qu’il n’eut pas non plus de motif pour se plaindre de l’ingratitude de l’armée.

Aussitôt que Thimbrôn fut arrivé avec ses propres forces, et que les soldats de Cyrus furent incorporés dans son armée, Xénophon prit congé d’eux. Après avoir déposé dans le temple à Ephesos cette portion qui lui avait été confiée comme général de la dîme mise de côté par l’armée à Kérasonte pour Artémis Ephésienne[39], il semble avoir exécuté son projet de retourner à Athènes[40]. Il a dû y arriver, après une absence d’environ deux ans et demi, peu de semaines au plus tard après la mort de son ami et maître Sokratês, dont j’ai raconté le procès et la condamnation dans mon dernier volume. Ce triste événement se passa certainement pendant son absence d’Athènes[41] ; mais était-il parvenu à sa connaissance avant qu’il fût arrivé à cette ville, c’est ce que nous ne savons pas. Quelle douleur et quelle indignation il excita en lui, c’est ce que nous pouvons voir par son recueil de notes relatives à la vie et aux conversations de Sokratês, connu sous le nom de Memorabilia, et réuni probablement peu après son arrivée.

Qu’il se trouvât en Asie, trois ans plus tard, en service militaire sous les ordres du roi lacédæmonien Agésilas, c’est un fait attesté par lui-même ; mais quant au moment précis auquel il quitta Athènes pour cette seconde visite en Asie, nous sommes réduits à des conjectures. J’incline à croire qu’il ne resta pas beaucoup de mois dans sa patrie, mais qu’il en repartit le printemps suivant pour rejoindre les soldats de Cyrus en Asie, — qu’il devint de nouveau leur commandant, — et qu’il servit pendant deux ans sous le général spartiate Derkyllidas avant l’arrivée d’Agésilas. Ce service militaire était sans doute tout à fait de son goût ; tandis qu’un séjour à Athènes, alors sujette et en paix, lui était probablement désagréable, tant à cause des habitudes de commandement qu’il avait contractées pendant les deux années précédentes que des sentiments produits en lui par la mort de Sokratês. Après un certain intervalle de repos, il dut être disposé à prendre part de nouveau à la guerre contre son ancien ennemi Tissaphernês, et son service continuait quand Agésilas arriva pour prendre le commandement[42].

Mais pendant les deux années qui suivirent ce dernier événement, Athènes devint partie à la guerre contre Sparte, et entra en liaison avec le roi de Perse aussi bien qu’avec les Thêbains et autres ; tandis que Xénophon, continuant son service en qualité de commandant des soldats de Cyrus, et accompagnant Agésilas d’Asie en Grèce, se trouva engagé contre les troupes athéniennes et leurs alliés bœôtiens à la sanglante bataille de Korôneia. Dans ces circonstances, nous ne pouvons pas nous étonner que les Athéniens aient rendu contre lui une sentence de bannissement, non lias parce que dans l’origine il avait pris part à l’aide prêtée à Cyrus contre Artaxerxés, ni parce que ses sentiments politiques étaient hostiles à la démocratie, comme on l’a souvent affirmé par erreur, — mais parce qu’il était à ce moment ouvertement en armes et revêtu d’un commandement élevé contre son propre pays[43]. Étant devenu ainsi un banni, Xénophon fut autorisé par les Lacédæmoniens à s’établir à Skillonte, un des villages de la Triphylia, près d’Olympia, dans le Péloponnèse, qu’ils avaient récemment affranchi des Eleiens. A l’une des fêtes olympiques suivantes, Megabyzos, le surveillant dag temple d’Artemis à Ephesos, vint comme spectateur ; il apportait avec lui l’argent que Xénophon y avait dédié à Artemis l’Ephésienne. Xénophon appliqua cet argent à i’acquisition de terres à Skillonte, qui seraient consacrées à la déesse d’une manière permanente, après l’avoir consultée préalablement au moyen d’un sacrifice pour s’assumer si elle approuvait l’emplacement qu’il avait en vue, et qui lui était recommandé par sa ressemblance en certains points avec celui du temple Ephésien. Ainsi, il y avait près de chacun d’eux une rivière appelée Sélinonte du même nom, ayant du poisson et tin fond abondant en coquilles. Xénophon construisit une chapelle, un autel, et une statue de la déesse faite de bois de cyprès, toutes copies exactes, sur urne échelle réduite, du temple et de la statue d’or à Ephesos. Une colonne placée à côté portait gravés les mots suivants : — Ce lieu est consacré à Artemis. Quiconque possédera ce bien et en recueillera les fruits devra lui sacrifier la élime chaque année et entretenir la chapelle en bon état avec le reste. Si quelqu’un omet ce devoir, la déesse elle-même en fera son affaire[44].

Immédiatement auprès de la chapelle se trouvait un verger de toutes sortes d’arbres fruitiers, tandis que le domaine alentour comprenait un cercle étendu de prairies, de bois et de montagnes, — avec une colline adjacente, encore plus élevée, appelée Pholoê. Il y avait ainsi un abondant pâturage pour des chevaux, des bœufs, des moutons, etc., et une excellente chasse à côté, pour le daim et autre gibier, avantages qui ne se rencontraient pas auprès de l’Artemision à Ephesos. Résidant tout près sur sa propriété, présent des Lacédœmoniens, Xénophon surveillait ce domaine comme intendant d’Artemis ; peut-être comptait-il sur la sainteté du nom de la déesse pour empêcher qu’il ne fût troublé par les Eleiens qui voyaient d’un œil jaloux les colons lacédæmoniens[45] à Skillonte, et protestaient contre la paix et la convention favorisées par Athènes après la bataille de Leuktra, parce que cet État reconnaissait cet endroit, en même temps que les municipes de la Triphylia, comme autonomes. Chaque année Xénophon faisait un splendide sacrifice de la dîme de tous les fruits de la propriété, et à cette solennité étaient invités non seulement tous les Skillontains, mais encore tous les villages environnants. On dressait des baraques pour les visiteurs, auxquels la déesse fournissait (telles sont les paroles de Xénophon) un ample dîner de farine d’orge, de pains de froment, de viande, de gibier et de sucreries[46] ; le gibier était fourni par une chasse générale que conduisaient les fils de Xénophon, et à laquelle tous les voisins prenaient part s’ils le voulaient. Xénophon lui-même jouissait du produit du domaine, sauf cette dîme et sous réserve de l’obligation d’entretenir en bon état la sainte demeure. Il avait un goût prononcé pour la chasse et l’équitation, et il. fut un des premiers auteurs, à notre connaissance, qui aient jamais fait de ces occupations, ainsi que du soin des chevaux et des chiens, le sujet d’une étude et d’une description rationnelles.

Tel fut l’usage auquel Xénophon appliqua la dîme que l’armée à Kérasonte avait votée à Artemis l’Ephésienne ; l’autre dîme, votée en même temps en l’honneur d’Apollon, il la dédia à Delphes dans le trésor des Athéniens, et il inscrivit sur l’offrande son propre nom et celui de Proxenos. Sa résidence n’étant qu’à la distance de vingt stades (= 3 kil. 700 mèt.) du grand temple d’Olympia, il put jouir de la société de toute sorte de Grecs, — et obtenir d’abondantes informations au sujet de la politique grecque, surtout de personnes favorables à la Laconie, et avec le point de vue lacédæmonien qui prédominait dans son esprit ; tandis qu’il avait du loisir pour composer ses divers ouvrages. L’intéressante description qu’il fait lui-même de sa résidence à Skillonte implique un état de choses non actuel et durable[47], mais passé et évanoui ; d’autres témoignages aussi, quoique confus et contradictoires, semblent prouver que l’établissement lacédæmonien à Skillonte ne dura pas plus longtemps que la puissance de Lacédæmone fut en état de le soutenir. Pendant les malheurs qui accablèrent cette cité après la bataille de Leuktra (371 av. J.-C.), Xénophon, avec sa famille et ses compagnons de colonie, fut chassé par les Eleiens ; et on dit qu’il trouva un asile à Corinthe. Mais comme Athènes ne tarda pas à être non seulement en paix, mais en intime alliance avec Sparte, — la sentence de bannissement contre Xénophon fut révoquée ; de sorte que la dernière partie de sa vie se passa de nouveau dans la jouissance de son droit de naissance comme citoyen athénien et chevalier[48]. Deux de ses fils, Gryllos et Diodoros, combattirent parmi les cavaliers athéniens au combat de cavalerie qui précéda la bataille de Mantineia, où le premier fut tué après avoir montré une bravoure signalée ; tandis que son petit-fils Xénophon devint dans la génération suivante le sujet d’un plaidoyer devant le Dikasterion Athénien., composé Par l’orateur Dinarque[49].

En accompagnant ce chef éminent et accompli jusqu’à la fin de cette pénible retraite des Grecs qu’il avait conduite avec tant d’honneur, j’ai jugé nécessaire d’anticiper un peu sur l’avenir, afin de jeter un coup d’œil sur sa destinée subséquente. C’est à son exil (à ce point de vue non moins utile que celui de Thucydide) que nous devons probablement beaucoup de ces compositions d’où nous avons tiré une si grande partie de ce que nous savons des affaires grecques. Mais pour le monde contemporain, la retraite que Xénophon conduisit si heureusement fournit une leçon bien plus propre a faire impression qu’aucune de ses compositions littéraires. Elle apprit de la manière la plus frappante l’impuissance de l’armée de terre des Perces, manifestée non moins dans les généraux que dans les soldats. Elle prouva que les chefs persans étaient impropres à toute opération systématique, même avec les avantages les plus grands possibles contre un petit nombre de guerriers disciplinés, résolument déterminés a la résistance ; qu’ils étaient trop stupides et trop insouciants pour s’opposer au passage des fleuves, ou pour détruire les routes, ou pour intercepter les provisions. Elle confirma surabondamment le langage méprisant que leur appliqua Cyrus lui-même avant la bataille de Kunaxa, quand il déclara qu’il enviait aux Grecs leur liberté, et qu’il rougissait de l’indignité de ses compatriotes[50]. En face d’une faiblesse et d’une désorganisation poussées si loin, rien n’empêcha le succès dés Grecs avec Cyrus, si ce n’est son paroxysme d’antipathie fraternelle[51]. Et nous verrons ci-après les chefs militaires et politiques de la Grèce, — Agésilas, Jasôn de Pheræ[52] et autres jusqu’à Philippe et Alexandre[53], fermement convaincus qu’avec une armée grecque assez nombreuse et bien équipée, combinée avec l’absence d’ennemis grecs, ils pourraient réussir à renverser ou à démembrer l’empire persan. Cette conviction, si importante dans l’histoire subséquente de la Grèce, date de la retraite des Dix Mille. Nous trouverons, il est vrai, la Perse exerçant une influence importante pendant deux générations à venir — et à la paix d’Antalkidas une influence plus forte que jamais sur les destinées de la Grèce. Mais on verra que c’est le résultat de la trahison de Sparte, le chef du monde Hellénique, qui abandonne les Grecs asiatiques, et même s’arme du nom et des forces de la Perse dans des vues d’agrandissement et de domination pour elle-même. La Perse est forte parce qu’elle est mise à même d’employer une force hellénique contre la causé hellénique ; parce qu’elle prête de l’argent ou une flotte à un côté des partis intérieurs grecs, et qu’elle finit par être ainsi fortifiée artificiellement contre les deux. Mais l’Anabasis de Xénophon trahit sa faiblesse réelle contre une attaque vigoureuse quelconque ; tandis qu’en même temps elle montre par des exemples la discipline, la patience, le pouvoir d’agir par soi-même et de se plier aux circonstances, la disposition à subir l’influence de la parole et de la discussion, la combinaison de l’obéissance réfléchie du citoyen avec la régularité mécanique du soldat, — qualités qui donnent au, caractère hellénique sa distinction immortelle. L’importance de cette expédition et de cette retraite, comme jetant du jour sur les qualités et la supériorité helléniques, justifiera l’espace considérable qui leur a été consacré dans cette Histoire.

 

 

 



[1] Xénophon, Anabase, VI, 6, 12.

[2] Xénophon, Anabase, VI, 6, 12-16.

[3] Xénophon, Anabase, VI, 6, 22-28.

[4] Xénophon, Anabase, VI, 6, 31-36.

[5] Xénophon, Anabase, VI, 6, 36, 37.

[6] A peu près la même marche transversale fut faite par le général athénien Lamachos, la huitième année de la guerre du Péloponnèse, après qu’il eut perdu ses trirèmes par une crue soudaine des eaux à l’embouchure du fleuve Kalex, dans le territoire d’Hêrakleia (Thucydide, IV, 75).

[7] Xénophon, Anabase, VII, 1, 2. Cf. VII, 2, 7, quand Anaxibios réclama en vain l’accomplissement de cette promesse.

[8] Xénophon, Anabase, VII, 1, 5-7.

[9] Xénophon, Anabase, VII, 1, 7-10.

[10] Xénophon, Anabase, VII, 1, 12.

[11] Xénophon, Anabase, VII, 1, 13.

[12] Xénophon, Anabase, VII, 1, 14.

[13] Xénophon, Anabase, VII, 1, 15-17.

[14] Xénophon, Anabase, VII, 1, 18, 19.

[15] Xénophon, Anabase, VII, 1, 30, 31.

[16] Xénophon, Anabase, VII, 1, 32-35.

[17] C’est également ce que dit Tacite au sujet du général romain Spurinna (gouverneur de Placentia pour Othon contre Vitellius), et de son armée soulevée qui sortit pour combattre les généraux Vitelliens malgré ses énergiques remontrances (Tacite, Histoires, II, 18).

[18] Xénophon, Anabase, VII, 6, 33.

[19] Xénophon, Anabase, VII, 1, 34-40.

[20] Xénophon, Anabase, VII, 2, 7.

[21] Xénophon, Anabase, VII, 2, 8-25.

Le vif intérêt qu’Anaxibios prenait ce nouveau projet est marqué par force du langage de Xénophon : une extrême célérité est recommandée à trois reprises différentes.

[22] Xénophon, Anabase, VII, 2.

[23] Xénophon, Anabase, VII, 2, 14-16. Cf. VII, 3, 2.

[24] Xénophon, Anabase, VII, 2, 15 ; VII, 3, 3 ; VII, 6, 13.

[25] Xénophon, Anabase, VII, 6, 24. Probablement le mois de décembre.

[26] Xénophon, Anabase, VII, 2, 17-38.

[27] Xénophon, Anabase, VII, 6, 34.

[28] Xénophon, Anabase, VII, 6, 9, 10.

[29] Xénophon, Anabase, VII, 7, 55-57.

[30] Xénophon, Anabase, VII, 6, 1-7.

[31] Xénophon, Anabase, VII, 7, 15.

[32] Xénophon, Anabase, VII, 7, 21-47.

La leçon est d’une prolixité inconvenante, quand nous considérons la personne à qui, et les circonstances dans lesquelles elle prétend avoir été donnée.

[33] Xénophon, Anabase, VII, 7, 23.

[34] Il parait que l’épithète Meilichios le Gracieux est appliquée ici à Zeus dans le même sens d’euphémisme que la dénomination de Euménides aux déesses vengeresses. Zeus est conçu comme ayant réellement infligé un malheur, ou étant en disposition de le faire : le sacrifice qu’on lui offre sous ce nom représente un sentiment de crainte et un sacrifice de réparation, d’expiation ou de purification, destiné à détourner son mécontentement ; mais le surnom lui-même doit être interprété comme proleptique, pour employer le terme des critiques — il désigne non la disposition actuelle de Zeus (ou d’autres dieux), mais cette disposition que la sacrifice est destiné à créer en lui.

V Pausanias, I, 37, 3 ; II, 20, 3, K. F. Hermann, Gottendienst. Alterthümer der Griechen, s. 58 ; Van Stegeren, De Grœcorum Diebus Festis, p. 5 (Utrecht, 1849).

[35] Xénophon, Anabase, VII, 8, 10-19.

[36] Xénophon, Anabase, VII, 8.

[37] Plutarque, Kimôn, c. 9 ; et Xénophon, Helléniques, IV, 8, 21.

[38] Xénophon, Anabase, VII, 8, 23.

[39] Xénophon, Anabase, V, 3, 6. Il semble évident que ce dépôt a dû être fait pour la première fois dans la présente occasion.

[40] Cf. Anabasis, VII, 7, 57 ; VII, 8, 2.

[41] Xénophon, Mémorables, IV, 8, 4 — aussi bien que la phrase qui commence l’ouvrage.

[42] V. Xénophon, Helléniques, III, 2, 7 — passage que Morus rapporte, avec beaucoup de probabilité, je pense, à Xénophon lui même.

Les détails très circonstanciés que donne Xénophon (III, 1, 11-23), au sujet de la conduite de Derkyllidas contre Meidias dans la Troade, semblent également indiquer qu’il y servait en personne.

[43] Que la sentence de bannissement contre Xénophon n’ait été rendue par les Athéniens qu’après la bataille de Korôneia, c’est ce que prouve clairement l’Anabasis, V, 3, 7. Cette bataille se livra en août 394 av. J.-C.

On verra également que Pausanias est d’accord avec cette assertion, quant à l’époque du bannissement (IV, 6, 4). Or, ce ne fut pas avant 396 ou 395 av. J.-C. que le roi de Perse commença à manifester les moindres symptômes de bon vouloir à l’égard d’Athènes, et non pas avant la bataille de Knidos (un peu avant celle de Korôneia, dans la même année), qu’il témoigna sa bonne volonté par des services signalés et effectifs. Si donc le motif qu’avaient les Athéniens de bannir Xénophon provint des bons sentiments de la part du roi de Perse à leur égard, le bannissement n’a pu être prononcé avant 395 av. J.-C., et il n’est pas probable qu’il ne l’ait été qu’après 394 av. J.-C. ; ce qui est ce que Xénophon lui-même donne à entendre, comme nous l’avons dit plus haut.

Enfin, Diogène Laërte (II, 52) dit, ce que je crois être en somme la vérité, que la sentence clé bannissement contre Xénophon fut rendue par les Athéniens à cause de son attachement pour les Lacédæmoniens.

Krüger et autres paraissent croire que Xénophon fut banni parce qu’il prit du service sous Cyrus, qui avait été l’ennemi mortel d’Athènes. Il est vrai que Sokratês, consulté d’abord, craignit d’avance que ce parti ne lui attirât le mécontentement d’Athènes (Xénophon, Anabase, III, 1, 5). Mais on doit se rappeler qu’à cette époque le roi de Perse était précisément autant l’ennemi d’Athènes que Cyrus ; et que Cyrus, en effet, lui avait fait la guerre avec les forces et les trésors du roi. Artaxerxés et Cyrus étant ainsi, dans ce temps, tous deux ennemis d’Athènes, il importait peu aux Athéniens que Cyrus réussit ou échouât dans son entreprise. Mais quand Artaxerxés, six ans plus tard, devint leur ami, leurs sentiments à l’égard de ses ennemis changèrent.

Le passage de Pausanias cité plus, haut, si on le comprend comme affirmant la cause principale du bannissement de Xénophon, est inexact, à mon sens. Xénophon fut banni pour Laconisme, c’est-à-dire pour être attaché à Sparte contre son pays ; le fait d’avoir servi sous Cyrus contre Artaxerxés ne compta tout au plus que comme motif secondaire.

[44] Xénophon, Anabase, V, 3, 13.

Relativement à une ancienne copie de cette inscription, V. Bœckh, Corp. Inscript., n° 1926, et Public Econ. of Athens, de Bœckh, l. 3, ch. 6, note 101.

[45] Xénophon, Helléniques, VI, 5, 2.

[46] Xénophon, Anabase, V, 31 9.

[47] Xénophon, Anabase, V, 3, 9.

[48] Diogène Laërte, II, 53, 54, 59. Pausanias (V, 6, 4) atteste que Skillonte fut reconquise par les Eleiens, mais il ajoute (sur l’autorité έξηγηταί ou guides éleiens) qu’ils permirent Xénophon, après un examen judiciaire devant le sénat olympique, de continuer à y vivre en paix. Je crois ce dernier point inexact.

Les derniers ouvrages de Xénophon (De Vectigalibus, De Officio Magistri Equitum, etc.) semblent impliquer évidemment qu’il avait été réintégré dans le droit de cité, et qu’il en était vertu à prendre de nouveau connaissance de la politique à Athènes.

[49] Diogène Laërte, ut sup. Denys d’Halicarnasse, De Dinarcho, p. 664, éd. Reiske. Denys mentionne ce discours nous le titre de Άποστασίου άπολογία Δίσχλου πρός Ξενοφώντα. Et Diogène y fait également allusion.

Schneider, dans son Epimetrum (ad casum Anabaseos, p. 573), relatif à d’exil de Xénophon, raisonne comme si la personne contre laquelle était dirigé le discours de Dinarque était Xénophon lui-même, le général de Cyrus et l’auteur. Mais cela, je pense, est chronologiquement presque impossible ; car Dinarque n’était pas né ayant 361 av. J.-C., et il composa son premier discours en 336 av. J.-C.

Cependant Dinarque, dans soit discours contre Xénophon, mentionnait sans doute plusieurs faits relatifs an Xénophon de Cyrus, ce qui implique que ce dernier était parent de la personne contre laquelle le discours était dirigé. Je me permets de la présenter comme petit-fils, sur cette preuve, combinée avec l’identité de nom et la convenance en fait de temps. Elle pouvait bien être fils de Gryllos qui fut tué en combattant à la bataille de Mantineia, en 362 av. J.-C.

Il est tout naturel qu’un orateur, composant — un discours contre Xénophon le petit fils, touchant les actes et le caractère de Xénophon le grand-père. V. pour une analogie le discours d’Isocrate, De Bigis, entre autres.

[50] Xénophon, Anabase, I, 7, 4. Cf. Plutarque, Artaxerxés, C. 20 ; et Isocrate, Panegyr., Or. IV, s. 168, 169, sqq.

Le dernier chapitre de la Cyropædie de Xénophon tV11I, 8, 20, 21-26) exprime énergiquement la même conviction de la faiblesse et de la désorganisation militaires de l’empire persan, non défendable sans l’aide des Grecs.

[51] Isocrate, Orat. V (Philipp.), s. 104-106.

[52] Isocrate, Orat. V (Philipp.), s. 141 ; Xénophon, Helléniques, VI, 1, 12.

[53] Voir combien Alexandre le Grand insistait sur les aventures des Dix Mille, dans le discours qu’il prononça pour encourager ses soldats avant la bataille d’Issus (Arrien, Exp. Alex., II, 7, 8).