HISTOIRE DE LA GRÈCE

NEUVIÈME VOLUME

CHAPITRE III — HUITIÈME ANNÉE DE LA GUERRE.

 

 

La huitième année de la guerre, à laquelle nous touchons actuellement, présente des événements d’un caractère plus important et plus décisif qu’aucune des années- précédentes. En passant en revue ces années, nous remarquons que, bien qu’il y ait beaucoup de combats, avec des misères et des privations infligées des deux côtés, cependant-les opérations ont pour la plupart un caractère irrégulier, qui n’est pas fait pour déterminer l’issue de la guerre. Mais la prise de Sphakteria et de ses prisonniers, jointe à la reddition de toute la flotte lacédæmonienne, était un événement gros de conséquences et imposant aux veux de toute la Grèce. Il poussa les Athéniens à une série d’opérations, plus étendues et plus ambitieuses que tout ce qu’ils avaient encore imaginé — non seulement dirigées contre Sparte dans son propre pays, mais encore destinées à reconquérir cet ascendant à Megara et en Bœôtia, qu’ils avaient perdu lors de la trêve de Trente ans ou avant cette trêve. D’autre part, il intimida tellement et Ies Lacédæmoniens et les alliés chalkidiques d’Athènes en Thrace, qui s’étaient révoltés, et Perdikkas, roi de Macédoine, qu’ils concertèrent entre eux l’expédition de Brasidas, qui porta un coup si grave à l’empire athénien. Ainsi cette année est le pivot de la guerre. Si les opérations d’Athènes avaient réussi, elle aurait regagné une puissance presque aussi grande que celle dont elle jouissait avant la trêve de Trente ans. Mais il arriva que Sparte, ou plutôt le Spartiate Brasidas, fut heureux et remporta assez de succès pour neutraliser tous les avantages que la prise de Sphakteria avait procurés à Athènes.

La première expédition entreprise par les Athéniens dans le courant du printemps fut contre file de Kythêra, sur la côte méridionale de la Laconie. Elle était habitée par des Periœki lacédæmoniens, et administrée par un gouverneur et une garnison d’hoplites, qu’on y envoyait tous les ans. S’était le point habituel de débarquement pour les bâtiments marchands venant de Libye et d’Égypte ; et comme elle était située très près du cap Malea, immédiatement en face du golfe de Gythion, — la seule partie accessible de la côte de la Laconie en général inhospitalière, — la chance qu’elle pût tomber entre les mains d’un ennemi était considérée comme si menaçante pour Sparte, que quelques hommes politiques souhaitaient, dit-on, que l’île fût au fond de la mer[1]. Nikias, conjointement avec Nikostratos et Autoklês, y conduisit une flotte de soixante trirèmes, avec eux mille hoplites athéniens, un petit nombre de cavaliers, et un corps d’alliés en grande partie milésiens.

Il y avait dans l’île deux villes, — Kythêra et Skandeia ; la première avait iule ville basse tout près de la mer, faisant face au cap Malea, et une ville haute sur la colline au-dessus ; la dernière vraisemblablement sur la côte méridionale ou occidentale. Toutes deux furent attaquées en même temps — par ordre de Nikias. Dix trirèmes et un corps d’hoplites milésiens[2] débarquèrent et s’emparèrent de Skandeia ; tandis que les Athéniens prirent terre à Kythêra et refoulèrent les habitants de la ville basse dans la ville haute, où ils ne tardèrent pas à capituler. Un certain parti parmi eux avait dans le fait demandé secrètement l’arrivée de Nikias, intrigue qui procura aux habitants des conditions faciles. Un petit nombre d’hommes, indiqués par les Kythériens, d’accord avec Nikias, furent emmenés comme prisonniers à Athènes ; mais on laissa les autres sans les inquiéter, et on les inscrivit au nombre des alliés tributaires, sous l’obligation de payer quatre talents par an ; on plaça une garnison athénienne à Kythêra pour protéger l’île. Ensuite Nikias consacra sept jours à des descentes et à des incursions sur la côte, près d’Helos, d’Asinê, d’Aphrodisia, de Kotyrta, et ailleurs. Les forces lacédæmoniennes étaient disséminées en petites garnisons, qui restèrent chacune pour la défense de son propre poste séparé, sans se réunir pour repousser les Athéniens, de sorte qu’il n’y eut qu’un seul engagement, et encore de peu d’importance, que les Athéniens jugèrent digne d’un trophée.

En revenant de Kythæra vers Athènes, Nikias ravagea d’abord la petite bande de terre cultivée près d’Epidauros Limêra, sur la côte orientale de la Laconie, hérissée de rochers, et il attaqua ensuite la colonie Æginétaine à Thyrea, bande formant la frontière entre la Laconie et l’Argolis. Cette ville et ce district avaient été cédés par Sparte aux Æginétains, à l’époque où ils furent chassés de leur propre île par Athènes dans la première année de la guerre. Les nouveaux habitants, trouvant la ville trop éloignée de la mer[3] pour leurs habitudes maritimes, étaient occupés à ce moment a construire une fortification tout près du rivage ; dans ce travail ils étaient aidés par un détachement lacédæmonien sous les ordres de Tantalos, de garde dans ce voisinage. Quand les Athéniens débarquèrent, les Æginétains et les Lacédæmoniens abandonnèrent sur-le-champ la nouvelle fortification. Les Æginétains, avec l’officier commandant Tantalos, occupèrent la ville haute de Thyrea ; mais les troupes lacédæmoniennes, ne la jugeant pas tenable, refusèrent de prendre part à la .défense, et se retirèrent sur les montagnes voisines, malgré les instantes prières des Æginétains. Immédiatement après leur débarquement, les Athéniens marchèrent vers la ville de Thyrea, qu’ils emportèrent d’assaut, y brûlant et détruisant tout. Tous les Æginétains furent ou tués ou faits prisonniers, et Tantalos lui-même, mis hors de combat par ses blessures, tomba aussi, entre les mains de l’ennemi. De là l’armement retourna à Athènes, où l’on vota sur le sort des prisonniers. Les 11ythériens amenés a Athènes furent répartis dans les îles dépendantes pour être tenus sous bonne garde ; Tantalos fut retenu avec les prisonniers de Sphakteria ; mais un sort plus dur était réservé aux 1Eginétains. Ils furent tous mis à mort, victimes de la longue et constante antipathie entre Athènes et Ægina. Cet acte cruel ne fut riais` de plus qu’une rigoureuse application des coutumes ale guerre admises à cette époque. Si les Lacédœmoniens avaient été vainqueurs, on ne peut guère douter qu’ils n’eussent agi avec une égale rigueur[4].

L’occupation de Kythêra, outre Pylos, par une garnison athénienne, suivant de près le désastre capital de Sphakteria, produisit dans l’esprit des Spartiates des sentiments d’alarme et d’abattement tels qu’ils n’en avaient jamais éprouvé auparavant de pareils. Dans le courant d’un petit nombre de mois leur position avait complètement changé : de supérieurs et d’agresseurs qu’ils étaient au dehors, ils étaient exposés chez eux à l’insulte et à l’inquiétude. Ils ne prévoyaient rien moins que des attaqués étrangères incessantes sur tous leurs points faibles, avec toute probabilité de défection intérieure, par suite du mécontentement constant des Ilotes. Ils n’ignoraient pas que Kythêra elle-même avait été perdue en partie par trahison. La prise de Sphakteria avait causé une émotion particulière parmi les Ilotes, auxquels les Lacédæmoniens avaient adressé à la fois des appels et des promesses d’émancipation, afin d’obtenir du secours pour leurs hoplites, alors qu’ils étaient bloqués dans file. Si la reddition finale de ces hoplites avait diminué les terreurs que causait la valeur lacédæmonienne dans toute la Grèce, cet effet s’était produit à un plus haut degré encore parmi les Ilotes opprimés. Ils avaient actuellement sous les yeux un refuge à Pylos, et un noyau qui présentait quelque possibilité de se répandre dans la Messênia régénérée ; tandis que l’établissement d’une garnison athénienne à Kythêra ouvrait un nouveau canal de communication avec les ennemis de Sparte, de manière à tenter tous les Ilotes d’un caractère entreprenant de se mettre en avant comme libérateurs de leur race asservie[5]. Les Lacédæmoniens, habituellement circonspects en toute circonstance, croyaient maintenant que le courant de la fortune avait décidément tourné contre eux, et ils agissaient avec an redoublement de méfiance et d’effroi, — se bornant à des mesures strictement défensives, mais organisant une troupe de quatre cents hommes de cavalerie, avec un corps d’archers, au delà de leur règle ordinaire.

Les précautions qu’ils jugèrent à propos de prendre par rapport aux Ilotes donnent la meilleure mesure de leurs appréhensions du moment, et offrent en outre un raffinement de fraude et de cruauté rarement égalé dans l’histoire. Désirant choisir dans le corps général ceux qui étaient les plus courageux et les plus vaillants, les éphores firent une proclamation portant que ceux des Ilotes qui croyaient avoir gagné leur liberté par des services signalés dans la guerre, eussent à se présenter pour la réclamer. Un nombre considérable d’entre eux répondirent à l’appel, — probablement beaucoup de ceux qui avaient affronté des dangers imminents l’été précédent, afin de porter des provisions aux soldats bloqués dans Sphakteria[6]. Après avoir été examinés par le gouvernement, deux mille furent choisis comme entièrement dignes d’être émancipés ; ce qui leur fut accordé sur-le-champ dans une cérémonie publique, — avec des couronnes, des visites au temple, et tout l’appareil d’une solennité religieuse. Le gouvernement avait fait alors le choix qu’il désirait ; bientôt tous ceux qui faisaient partie de ces Ilotes nouvellement affranchis furent tués — personne ne sut comment[7]. Un stratagème à la fois si perfide dans la combinaison, si meurtrier dans le but ; et si complet dans l’exécution, est sans exemple dans l’histoire grecque, — nous pourrions presque dire sans exemple dans aucune histoire. Il implique une dépravation beaucoup plus grande que l’exécution rigoureuse d’une loi usuelle et barbare contre des prisonniers de guerre ou des rebelles, même en nombre considérable. Les éphores ont dû employer de nombreux instruments, séparément les uns des autres, pour accomplir cet acte sanglant. Cependant il paraît qu’on ne put obtenir aucune connaissance certaine des détails, — preuve frappante de la puissance mystérieuse de ce Conseil des Cinq, surpassant même celle du Conseil des Dix à Venise, — aussi bien que de l’absence absolue de curiosité ou de discussion publique.

Ce fut pendant que les Lacédæmoniens étaient dans cet état d’inquiétude à l’intérieur que des ambassadeurs leur vinrent de la part de Perdikkas de Macédoine et des Chalkidiens de Thrace, demandant du secours contre Athènes, que, dans le cours actuel de ses succès, ils croyaient disposée à reprendre des mesures agressives contre eux. Il y eut en outre d’autres partis, dans les villes voisines[8] sujettes d’Athènes, qui favorisèrent secrètement la demande, s’engageant à se mettre en révolte ouverte aussitôt qu’une armée auxiliaire arriverait pour les garantir contre les dangers qu’ils affronteraient. Perdikkas — qui avait sur les bras avec son parent Arrhibæos, prince des Lynkestæ-Macédoniens, une dispute qu’il désirait pouvoir terminer heureusement — et les Chalkidiens offrirent en même temps de pourvoir à la paye et à l’entretien, aussi bien que de faciliter le passage des troupes qui leur seraient envoyées. Et ce qui était d’une importance plus grande encore pour le succès de l’entreprise, — ils demandèrent spécialement que Brasidas fût investi du commandement[9]. Il était remis alors des blessures qu’il avait reçues à Pylos, et sa réputation de bravoure aventureuse, quelque grandeur qu’elle dût à son mérite réel, ressortait encore d’une manière d’autant plus remarquable qu’aucun autre Spartiate isolé ne s’était distingué jusque-là. Il n’avait pas encore montré ses autres grandes qualités, séparément de sa vaillance personnelle ; car il n’avait jamais été revêtu d’aucun commandement suprême. Mais il brûlait d’impatience de se charger de l’opération que lui destinaient les ambassadeurs ; bien qu’à cette époque elle ait dû paraître si grosse de difficultés et de dangers, que probablement aucun autre spartiate que lui n’aurait conçu à son égard d’espérances de succès. Susciter des embarras à Athènes en Thrace était un objet de grande importance pour Sparte, tandis qu’elle trouvait ainsi une occasion d’envoyer au loin un autre détachement d’Ilotes dangereux. On arma sept cents de ces derniers comme hoplites et on les mit sous les ordres de Brasidas ; mais les Lacédæmoniens ne voulurent lui confier aucune de leurs propres forces. C’est avec la sanction du nom spartiate, — avec sept cents hoplites ilotes, et avec les autres hoplites qu’il put lever dans le Péloponnèse au moyen des fonds fournis par les Chalkidiens, — que Brasidas se prépara à entreprendre cette expédition, aussi aventureuse qu’importante.

Si les Athéniens avaient eu quelque soupçon de son dessein, ils auraient facilement pu l’empêcher d’arriver jamais en Thrace. Mais ils n’en surent rien avant qu’il eût réellement rejoint Perdikkas, et ils ne s’attendaient à aucune attaque sérieuse du côté de Sparte, à un moment où elle était si abattue, — et encore moins à une entreprise bien plus hardie qu’aucune de celles que, au dire de tous, elle eût jamais entreprises. Ils étaient actuellement animés par l’espoir de conquêtes à venir de leur propre côté, — leurs affaires étaient si prospères et donnaient de telles espérances, que des partis favorables à leurs intérêts commençaient à revivre, tant à Megara qu’en Bœôtia ; tandis qu’Hippokratês et Demosthenês, les deux principaux stratêgi de l’année, étaient des hommes d’énergie, doués de toutes les dualités voulues tant pour projeter que pour exécuter des entreprises militaires.

La première occasion se présenta à propos de Megara. Les habitants de cette ville avaient plus souffert de la guerre qu’aucun des autres Grecs. Ils avaient été la cause principale qui avait attiré la guerre sur Athènes, et les Athéniens se vengeaient sur eux de tous les maux qu’ils avaient endurés eux = mêmes par suite de l’invasion lacédæmonienne. Deux fois par an ils dévastaient la Mégaris, qui confinait à leur propre territoire, et cela aussi avec une efficacité si destructive dans son étendue limitée, qu’ils interceptaient toute subsistance des terres voisines de la ville, — en même temps ils tenaient le port de Nisæa étroitement bloqué. Dans des conditions si dures les Mégariens trouvaient beaucoup de difficulté à subvenir même aux premiers besoins de la vie[10]. Mais leur position était devenue récemment, dans le court intervalle de quelques mois, encore plus intolérable par un soulèvement intérieur de la ville, se terminant par l’expulsion d’un corps puissant d’exilés, qui s’emparèrent de Pêgæ, le port mégarien du golfe de Corinthe, et le tinrent en leur possession. Probablement des importations de Pêgæ avaient été antérieurement leur principale ressource contre la destruction qui venait fondre sur eux du côté d’Athènes : de sorte qu’il leur devint à peine possible de se nourrir, quand les, exilés de Pêgæ non seulement les privèrent de cette ressource, mais se mirent positivement aussi à les harceler. Ces exilés étaient d’un parti oligarchique, et le gouvernement de Megara était devenu alors plus ou moins démocratique. Mais les privations dans la ville en vinrent bientôt à un tel point, que plusieurs citoyens commencèrent à travailler à un compromis, en vertu duquel les exilés de Pêgæ seraient réintégrés dans la ville. Il était évident pour les chefs de Megara que la masse des citoyens ne pourrait pas soutenir longtemps le poids d’ennemis venant de deux. côtés, -- mais ils pensaient aussi que les exilés réfugiés à Pêgæ, leurs rivaux politiques acharnés, étaient des ennemis pires que les Athéniens, et que le retour de ces exilés serait une sentence de mort pour eux-mêmes. Afin d’empêcher cette contre-révolution, ils ouvrirent une correspondance secrète avec Hippokratês et Demosthenês, s’engageant à livrer et Megara et Nisæa aux Athéniens ; bien que Nisæa, le port de Megara à environ un mille (= 1,600 met.) de la ville, fût une forteresse séparée, occupée par une garnison péloponnésienne, et par elle exclusivement, aussi bien que les Longs Murs, en vue de tenir Megara attachée à la confédération lacédæmonienne[11].

Le plan de surprise fut concerté, et ce qui est plus remarquable, — dans l’extrême publicité de toutes les affaires athéniennes, et dans une affaire dont bien des gens ont dû avoir connaissance, — il fut tenu secret jusqu’à l’instant de l’exécution. Une armée athénienne considérable, quatre mille hoplites et six cents cavaliers, reçut ordre de marcher de nuit par la grande route qui allait par Éleusis à Megara : mais Hippokratês et Demosthenês de leur personne allèrent à bord d’un vaisseau de Peiræeus à l’île de Minoa ; qui était tout près de Nisæa, et qui avait été pendant quelque temps occupée par une garnison athénienne, Hippokratês s’y cacha avec six cents hoplites, dans un creux d’où l’on avait tiré de la terre à brique, sur le continent opposé à Minoa, et non loin de la porte du Long Mur qui s’ouvrait près de la jonction de ce mur avec le fossé et le mur entourant Nisæa ; tandis que Demosthenês, avec quelques Platæens armés à la légère et un détachement de jeunes Athéniens agiles (appelés Peripoli, et qui servaient comme garde mobile de l’Attique) dans leur première ou seconde année de service militaire, se plaça en embuscade dans l’enceinte sacrée d’Arès, encore plus près de la même porte.

Faire en sorte que la porte fût ouverte, telle était la tâche des conspirateurs de l’intérieur. Parmi les expédients auxquels les Mégariens avaient été réduits pour se procurer des provisions (surtout depuis qu’une armée de blocus avait été placée à Minoa), on n’oubliait pas de faire des sorties de nuit pour piller les environs. Quelques-uns de ces conspirateurs avaient été dans l’habitude, avant que l’intrigue avec Athènes fût projetée, de faire sortir de nuit un petit bateau à deux rames sur une charrette, par cette porte, avec la permission du commandant péloponnésien de Nisæa et des Longs Murs. Le bateau, une fois ainsi amené dehors, était d’abord transporté jusqu’au rivage le long du fond du fossé sec qui entourait le mur de Nisæa, — ensuite mis à la mer pour quelque entreprise nocturne, — et enfin, rapporté le long du fossé avant le jour le matin ; la porte étant ouverte, par permission, pour le laisser rentrer. C’était la seule voie par laquelle un navire mégarien pouvait aller à la mer, puisque les Athéniens à Minoa étaient complètement maîtres du port.

Le soir fixé pour la surprise, ce bateau fut transporté au-dehors et ramené à l’heure ordinaire. Mais au moment où la porte du Long Mur fut ouverte pour le recevoir, Demosthenês avec ses compagnons d’armes s’élança en avant pour se faire route par là ; en même temps les Mégariens qui accompagnaient le bateau attaquèrent les gardes et les tuèrent, pour faciliter son entrée. Cette bande agile et déterminée réussit à s’emparer de la porte, et à la tenir ouverte, jusqu’à ce que les six cents hoplites sous Hippokratês arrivassent, et pénétrassent dans l’espace intérieur compris entre les Longs Murs. Ils montèrent immédiatement sur les murs de chaque côté, à mesure qu’ils arrivaient, sans s’inquiéter beaucoup d’ordre, afin de chasser ou de faire périr les gardes péloponnésiens : ceux-ci, surpris et s’imaginant que les Mégariens en général étaient d’accord avec l’ennemi contre eux, — confirmés encore dans cette opinion en entendant le héraut athénien proclamer à haute vois que tout Mégarien qui le voudrait pourrait prendre son poste dans la ligne des hoplites athéniens[12], — firent d’abord quelque résistance ; mais ils se découragèrent bientôt et se réfugièrent dans Nisæa. Peu après le lever du jour, les Athéniens se trouvèrent maîtres de toute la Ligne des Longs Murs, et aux portes mêmes de Megara aussi bien due renforcés par la partie la plus grande de l’armée, qui après avoir marché par terre en traversant Éleusis, arriva au moment convenu.

Cependant les Mégariens de l’intérieur de la ville étaient dans le plus grand tumulte et la plus grande consternation. Mais les conspirateurs, dont le plan était prêt, avaient résolu de proposer qu’on ouvrît les portes et qu’on fit sortir toutes les forces de la cité pour combattre les Athéniens. Une fois que les portes seraient ouvertes, ils avaient eux-mêmes l’intention de prendre parti pour les Athéniens et de faciliter leur entrée, et ils s’étaient frotté le corps d’huilé afin d’être distingués visiblement aux yeux, de ces derniers. Le plan échoua seulement un instant avant qu’il fût sur le point d’être mis a exécution, et étant divulgué par un de leurs propres camarades. Leurs adversaires de la ville, informés de ce qu’on méditait, se rendirent en hâte à la porte, et se saisirent des hommes frottés d’huile au moment où ils se disposaient à l’ouvrir. Sans laisser voir qu’ils connussent le secret important qui venait de leur être révélé, ces adversaires protestèrent hautement contre l’idée d’ouvrir la porte et de sortir pour combattre un ennemi auquel, môme dans les moments de leur plus grande force, ils n’avaient jamais songé a tenir tête en rase campagne. Tout en, insistant seulement sur les malheurs publics de la mesure, ils se postèrent en même temps en armes contre la porte, et déclarèrent qu’ils périraient avant de permettre qu’on l’ouvrît. Les conspirateurs n’étaient pas préparés à une résistance si obstinée ; de sorte qu’ils furent forcés de renoncer à leur dessein et de laisser la porte fermée.           

Les généraux athéniens, qui attendaient qu’elle fit ouverte, s’aperçurent bientôt par le retard que leurs amis de l’intérieur avaient été déçus, et ils résolurent immédiatement de s’assurer de Nisæa qui était derrière eux ; acquisition importante non moins par elle-même que comme moyen probable de s’emparer de Megara. Ils accomplirent l’œuvre avec la rapidité caractéristique des Athéniens. On fit sur-le-champ venir d’Athènes, en grande quantité, des maçons et des outils ; l’armée se distribua le mur de circonvallation autour de Nisæa en parties distinctes. D’abord on éleva une construction dans l’espace intérieur entre les Longs Murs, de manière à couper la communication avec Megara ; ensuite on mena des murailles du côté extérieur des Longs Murs jusqu’à la mer, de manière à enfermer complètement Nisæa avec ses fortifications et son fossé. Les maisons dispersées, qui formaient une sorte de faubourg orné de Nisæa, fournirent des briques pour cette clôture, ou furent parfois même prises pour en faire partie comme elles étaient, avec les parapets sur leurs toits ; tandis qu’on coupa des arbres qui devaient fournir des matériaux partout où des palissades étaient nécessaires. En un jour et demi l’ouvrage de circonvallation fut presque achevé, de sorte que les Péloponnésiens de Nisæa n’eurent en perspective qu’un état de blocus sans espoir. Privés de toute communication, non seulement ils s’imaginaient que toute la ville de Megara s’était unie aux Athéniens, mais de plus ils n’avaient aucun moyen d’avoir de provisions ; car la ville leur avait toujours fourni des vivres par rations journalières. Désespérant d’avoir un prompt secours du Péloponnèse, ils acceptèrent les conditions peu rigoureuses de capitulation que leur offrirent les généraux athéniens[13]. Après qu’ils eurent rendu leurs armes, chaque homme dut payer un prix stipulé pour sa rançon ; on ne nous en dit pas le chiffre ; mais c’était sans doute une somme modérée. Toutefois on exigea que le commandant lacédæmonien et tels autres Lacédæmoniens qui pouvaient être dans Nisæa, se rendissent comme prisonniers aux Athéniens, pour rester à leur disposition. C’est à ces conditions que Nisæa fut livrée aux Athéniens, qui coupèrent ses communications avec Megara, en tenant dans un blocus effectif l’espace intermédiaire entre les Longs Murs, — dont ils avaient été eux-mêmes, dans les temps précédents, les premiers auteurs[14].

Cette interruption de communication. par les Longs Murs indiquait que les généraux athéniens étaient convaincus de l’impossibilité de se rendre maîtres de Megara. Mais la ville dans son état actuel de trouble serait certainement tombée entre leurs mains[15], si elle ne leur eût été enlevée par le voisinage accidentel et l’énergique intervention de Brasidas. Cet officier, occupé à lever des troupes pour son expédition en Thrace, était près de Corinthe et de Sikyôn quand il apprit pour la première fois que les Longs Murs avaient été surpris et enlevés. En partie par suite de l’alarme que cette nouvelle causa dans les villes péloponnésiennes, en partie par sa propre influence personnelle, il réunit ‘un corps de deux mille sept cents hoplites corinthiens, de sis cents Sikyoniens, et de quatre cents Phliasiens, outre sa propre petite armée, et il marcha avec ces .forces combinées vers Tripodiskos dans la Mégaris, à mi-chemin entre Megara et Pêgæ, sur la route qui passe par le mont Geraneia ; il avait d’abord envoyé une demande pressante aux Bœôtiens, pour les prier de le rejoindre à ce point avec des renforts. Il comptait par un mouvement rapide préserver Megara, et peut-être Nisæa ; mais en arrivant la nuit à Tripodiskos, il apprit que cette dernière place s’était déjà rendue. Alarmé pour le salut de Megara, il s’y rendit sans retard par une marche de nuit. Ne prenant avec lui qu’une troupe d’élite de trois cents hommes, il, se présenta, sans être attendu, aux portes de la ville ; il demanda à cure admis, et offrit de prêter son aide immédiate pour recouvrer Nisæa. L’un des deux partis de Megara aurait volontiers accédé à sa demande ; mais l’autre, sachant bief que dans ce cas Ies exilés de Pêgæ seraient ramenés pour le molester, était prêt à faire une vigoureuse résistance, et alors les forces athéniennes, qui n’étaient encore qu’à un mille de distance, auraient ‘été introduites comme auxiliaires. Dans ces circonstances les deux partis en vinrent à un compromis et s’accordèrent mutuellement pour refuser d’admettre Brasidas. Ils s’attendaient à ce qu’une bataille fût livrée entre lui et les Athéniens, et chacun d’eux comptait que Megara suivrait la fortune du vainqueur[16].

Étant revenu saris succès à Tripodiskos, Brasidas y fut rejoint le matin de bonne heure par deux mille hoplites Bœôtiens et par six cents cavaliers ; car les Bœôtiens avaient été mis en mouvement par la même nouvelle que lui, et avaient môme commencé leur marche avant l’arrivée de son messager, avec une célérité telle qu’ils avaient déjà atteint Platée[17]. Le total des forces sous les ordres de Brasidas monta ainsi à six mille hoplites et à six cents cavaliers, avec lesquels il marcha droit vers le voisinage de Megara. Les troupes légères athéniennes, dispersées dans la plaine, furent surprises et repoussées par la cavalerie bœôtienne ; mais la cavalerie athénienne, venant à leur secours, soutint avec les assaillants une lutte violente, dans laquelle, après quelques pertes des deux côtés, il resta un léger avantage aux Athéniens. Ils accordèrent une trêve pour l’enterrement de l’officier de la cavalerie bœôtienne, qui avait été tué avec quelques autres. Après cette escarmouche indécise de cavalerie, Brasidas s’avança avec le gros de ses forces dans la plaine entre Megara et la mer, et prit position près des hoplites athéniens qui étaient rangés en bataille tout près de Nisæa et des Longs Murs. Il leur offrit ainsi le combat s’ils le voulaient ; mais chaque parti attendait que l’autre attaquât ; et ni l’un ni l’autre ne se souciait de commencer l’attaque de son côté. Brasidas savait bien que si les Athéniens refusaient de combattre, Megara serait préservée du danger de tomber entre leurs mains, — perte que son principal objet était de prévenir, et qui dans le,fait avait déjà été prévenue par sa seule arrivée. S’il attaquait et qu’il fût battu, il perdrait cet avantage, — tandis que, s’il était victorieux, il ne pouvait guère espérer obtenir beaucoup plus. Les généraux athéniens, de leur côté, songeaient qu’ils s’étaient déjà assuré une acquisition importante dans Nisæa, qui coupait les communications entre Megara et leur mer, que l’armée qu’ils avaient devant eux était non seulement supérieure par le nombre des hoplites, mais encore composée de contingents de maintes cités différentes, de sorte qu’aucune cité ne hasardait autant dans l’action ; tandis que leur propre armée était toute athénienne et composée des meilleurs hoplites d’Athènes, ce qui rendrait une défaite cruellement ruineuse pour la ville. Ils ne croyaient pas qu’il valut la peine d’affronter ce danger, même dans le dessein de se rendre maîtres de Megara. Les chefs des deux côtés étant dans de tels sentiments, les deux armées restèrent en position pendant quelque temps, ‘chacune d’elle attendant que l’autre attaquât. A la fin les Athéniens, voyant que leurs adversaires ne songeaient à aucun mouvement  agressif, furent les premiers à se retirer dans Nisæa, Laissé ainsi maître du terrain, Brasidas retourna en triomphe vers Megara, dont les portes s’ouvrirent cette fois sans réserve pour le recevoir[18].

L’armée de Brasidas, ayant obtenu le point principal pour lequel elle était réunie, ne tarda pas à se disperser, — lui-même reprit ses préparatifs pour la Thrace ; tandis que les Athéniens de leur côté retournèrent aussi chez eus, laissant une garnison suffisante pour occuper et Nisæa et les Longs Murs. Mais il s’opéra dans l’intérieur de Megara une révolution complète et violente. Tandis que les chefs amis d’Athènes, ne jugeant pas qu’il fût sûr pour eux de rester, s’enfuirent sur-le-champ et cherchèrent un asile chez les Athéniens[19], — le parti opposé ouvrit des communications avec les exilés à Pêgæ et les réintégra dans la ville ; les obligeant toutefois par les engagements les plus solennels à observer une amnistie absolue pour le passé, et à ne songer qu’au bonheur de la cité commune. Les nouveaux venus ne tinrent leur parole que pendant l’intervalle qui s’écoula jusqu’au moment où ils eurent acquis assez de pouvoir pour la violer avec effet. Ils parvinrent bientôt à être placés dans les premiers commandements de l’État, et trouvèrent moyen de faire servir les forces militaires à leurs propres desseins. Une revue des hoplites de la ville et une inspection de leurs armes ayant été ordonnées, les lochi mégariens furent rangés et commandés de manière à permettre aux chefs de choisir telles victimes qu’ils jugeraient à propos. Ils saisirent un grand nombre de leurs ennemis les plus odieux, — dont quelques-uns étaient soupçonnés d’être complices dans la récente conspiration tramée avec Athènes. Les hommes saisis ainsi furent soumis aux formes d’un jugement public, devant ce qu’on appelait une assemblée publique, où chaque votant, agissant sous la terreur inspirée par les soldats, fut obligé de donner ouvertement son suffrage. Tous furent condamnés à mort et exécutés, au nombre de cent[20]. La constitution de Megara fut transformée en une oligarchie de l’espèce la plus fermée possible, les hommes les plus violents en petit nombre prenant possession complète du gouvernement. Mais ils doivent probablement l’avoir dirigé avec vigueur et prudence pour leurs propres desseins, puisque Thucydide fait remarquer qu’il fut rare de voir une révolution accomplie par un parti si faible, et cependant si durable. Quelle fut sa durée, c’est ce qu’il ne mentionne pas. Quelques mois après ces incidents, les Mégariens rentrèrent en possession de leurs Longs Murs, en les prenant aux Athéniens[21] (auxquels en effet ils n’auraient pu être d’une utilité essentielle), et ils les rasèrent dans toute leur longueur : mais les Athéniens conservèrent encore Nisæa. Nous pouvons faire remarquer, pour expliquer en partie la durée de ce nouveau gouvernement, que la trêve conclue au commencement de l’année suivante a dû considérablement diminuer les difficultés de tout gouvernement, oligarchique ou démocratique, à Megara.

Le projet de surprendre Megara avait été conçu et exécuté avec habileté ; il n’avait échoué que par un accident auquel de tels plans sont toujours exposés, aussi bien que par la célérité inattendue de Brasidas. De plus ; il avait assez réussi pour permettre aux Athéniens d’emporter Nisæa, — un des postes qu’ils avaient livrés en vertu de la trêve de Trente ans, et qui avait pour eux une importance positive considérable ; de sorte qu’en somme il compta pour unie victoire, en laissant les généraux avec un surcroît d’encouragement libres de tourner leur activité ailleurs. En conséquence, -tout aussitôt après que les troupes eurent été ramenées de la Mégaris[22], Hippokratês et Demosthenês concertèrent un plan encore plus étendu pour l’invasion de la Bœôtia, conjointement avec quelques mécontents des villes bœôtiennes, qui désiraient abattre les gouvernements oligarchiques et les remplacer par des démocraties, — et surtout par l’action d’un exilé thêbain nommé Ptœodôros. Demosthenês, avec quarante trirèmes, fut envoyé autour du Péloponnèse, jusqu’à Naupaktos ; ses instructions lui prescrivaient de réunir une armée akarnanienne, — de s’avancer jusqu’à l’extrémité la plus intérieure du golfe Corinthien ou Krissæen, — et d’occuper Siphæ, ville maritime appartenant à Thespiæ de Bœôtia, où l’on avait déjà établi des intelligences. Le même jour, déterminé à l’avance, I3ippokratês s’engagea à entrer en Bœôtia, avec les forces principales d’Athènes, à l’extrémité sud-est du territoire près de Tanagra, et de fortifier Dêlion, temple d’Apollon sur la côte du détroit Eubœen, tandis qu’on convint en même temps que quelques mécontents bœôtiens et phokiens se rendraient maîtres de Chæroneia, sur les frontières de la Phokis. La Bœôtia serait ainsi attaquée de trois côtés à la fois, de sorte que les forces du pays seraient divisées et hors d’état d’agir de concert. En outre, on s’attendait que des mouvements intérieurs éclateraient dans quelques-unes des villes, mouvements qui permettraient peut-être d’établir des gouvernements démocratiques et de les faire entrer à la =fois dans l’alliance des Athéniens.

En conséquence, vers le mois d’août, Demosthenês alla d’Athènes à Naupaktos, où il réunit ses alliés akarnaniens, — alors plus forts et plus unis que jamais, depuis que les habitants réfractaires d’Œniadæ avaient fini par être forcés de se joindre à leurs frères akarnaniens ; en outre, les Agræens voisins, avec leur prince Salynthios, furent également amenés à faire partie de l’alliance athénienne. Au jour désigné, vraisemblablement vers le commencement d’octobre, il fit voile avec une armée considérable de ces alliés vers Siphæ, comptant complètement que cette ville lui serait livrée par trahison[23]. Mais l’exécution de cette entreprise fut moins heureuse que celle qu’il avait dirigée contre Megara. D’abord, il y eut une méprise quant au jour convenu entre Hippokratês et Demosthenês ; ensuite, le complot entier fut découvert et révélé par un Phokien de Phanoteus (confinant à Chæroneia), nommé Nikomachos, — communiqué d’abord aux Lacédæmoniens, et par eux aux Bœôtarques. Siphæ et Chæroneia furent immédiatement mises en si bon état de défense, que Demosthenês, en arrivant à la première ville, non seulement ne trouva pas dans ses murs de parti qui lui fût favorable, mais encore rencontra une formidable armée bœôtienne qui rendit toute attaque inutile. En outre, Hippokratês ne s’était pas encore mis en marche, de sorte que les défenseurs n’eurent rien qui détournât leur attention de Siphæ[24]. Dans ces circonstances, tandis que Demosthenês fut obligé de se retirer sans coup férir et de se contenter d’une descente malheureuse sur le territoire de Sikyôn[25], — tous les  mouvements intérieurs attendus en Bœôtia ne purent éclater.

Ce ne fut qu’après que les troupes bœôtiennes, ayant repoussé l’attaque par mer, s’étaient retirées de Siphæ, qu’Hippokratês partit d’Athènes pour envahir le territoire bœôtien, près de Tanagra. Il fut probablement encouragé par de fausses promesses d’exilés bœôtiens, autrement il parait surprenant qu’il ait persisté à exécuter seul sa part du plan, après avoir connu l’insuccès de l’autre- part. Cependant elle fut exécutée d’une manière qui implique une ardeur et une confiance extraordinaires. On fit avancer toute la population militaire d’Athènes en Bœôtia, jUsqu’au, voisinage de Dêlion, l’extrémité orientale de la Ote du territoire appartenant à la ville bœôtienne de Tanagra ; L’expédition comprenait toutes les classes, non seulement des citoyens, niais encore des metœki ou habitants ne jouissant pas des droits de bourgeoisie, et même des étrangers qui ne résidaient pas à Athènes et qui s’y trouvaient accidentellement. Naturellement on ne doit comprendre ce renseignement qu’avec la réserve de troupes nombreuses laissées derrière pour la garde de la ville ; mais outre le chiffré réellement effectif de 7.000 hoplites et de plusieurs centaines de cavaliers, il paraît qu’il n’y a pas eu moins de 25.000 hommes armés à la légère, à demi armés ou sans armes, accompagnant la marche[26]. Le nombre d’hoplites est ici prodigieusement grand ; il avait été réuni par une proclamation générale adressée à tout le monde, et non composé par un choix spécial des stratêgi dans les noms inscrits sur le rôle, comme c’était ordinairement le cas pour une expédition éloignée[27]. Quant aux hommes légèrement armés, il n’y avait pas à cette époque de troupes instruites de cette sorte à Athènes, excepté un petit corps d’archers. On n’avait pris aucune peine pour organiser soit des akontistæ (qui lancent des traits), soit des frondeurs ; les hoplites, les cavaliers et les marins constituaient toutes les forces effectives de la ville. Dans le fait, il paraît que les Bœôtiens aussi n’étaient guère moins dépourvus que les Athéniens d’akontistæ et de frondeurs indigènes ; puisque ceux qu’ils employèrent dans le siége subséquent de Dêlion étaient en grande partie soudoyés dans le golfe Maliaque[28]. Employer en même temps des hommes pesamment armés et des hommes armés à la légère, n’était naturel à aucune communauté grecque ; mais c’était un usage qui naquit de l’expérience et de la nécessité. Le sentiment athénien, tel qu’il est manifesté dans les Persæ d’Æschyle, peu d’années après l’échec, de Xerxès, proclame un orgueil attaché exclusivement à la lance et au bouclier, avec du mépris pour l’arc. C’était seulement pendant cette même année, qu’alarmés de l’occupation de Pylos et de Kythæra par les Athéniens, les Lacédæmoniens, contrairement à leur usage antérieur, avaient commencé à organiser un régiment d’archers[29]. La manière efficace dont Demosthenês avait employé les hommes armés à la légère dans Sphakteria contre les hoplites lacédæmoniens, était bien faite pour donner une leçon instructive quant à l’importance de la première espèce de troupes.

Le Dêlion bœôtien[30] qu’Hippokratês avait alors l’intention d’occuper et de fortifier, était un temple d’Apollon, fortement situé, surplombant la mer à environ cinq milles (8 kilom.) de Tanagra, et à un peu plus d’un mille (1,600 m.) du territoire frontière d’Orôpos, — territoire bœôtien dans l’origine, mais à cette époque dépendant d’Athènes, et même incorporé en partie dans la communauté politique d’Athènes, sous le nom du dème de Græa[31]. Orôpos elle-même était à environ une journée de marche d’Athènes, — par la route qui traversait Dekeleia et Sphendalê, entre les monts Parnês et Phelleus ; de sorte que comme la distance à franchir était si peu considérable, et due le sentiment général dû moment était celui de la confiance, il est probable que des hommes de tout âge, de toute arme et de toute disposition, affluèrent pour se joindre à la marche, — en partie par curiosité et excitation pures. Hippokratês arriva à Dêlion le lendemain de son départ d’Athènes. Le jour suivant il commença son travail de fortification, qui fut achevé en deux jours et demi, — toutes mains aidant, et des outils aussi bien que des ouvriers ayant été amenés d’Athènes avec l’armée. Après avoir creusé un fossé tout autour du terrain sacré, il éleva la terre en terrasse le long du fossé, plantant des pieux, y jetant des fascines, et ajoutant des couches de pierres et de briques pour consolider l’ouvrage et en faire un rempart d’une hauteur et d’une solidité passables. On coupa pour avoir du bois les vignes[32] autour du temple, en même temps que les échalas qui leur servaient d’appuis ; les maisons adjacentes fournirent des briques et de la pierre ; les bâtiments extérieurs du temple aussi, sur quelques-uns des côtés, servirent dans l’état où ils étaient à faciliter et à fortifier la défense. Mais il existait un côté sur lequel le bâtiment qui y était annexé, jadis portique, s’était écroulé ; et là les Athéniens construisirent quelques tours de bois comme secours pour les défenseurs. Vers le milieu du cinquième jour après le départ d’Athènes, l’ouvrage était si près d’être achevé, que l’armée quitta Dêlion et commença sa marche vers ses foyers en sortant de la Bœôtia ; et après s’être avancée environ un mille et un quart (= 2 kilom.), elle fit halte sur le territoire athénien d’Orôpos. Ce fut là que les hoplites attendirent l’arrivée d’Hippokratês, qui restait encore à Dêlion pour y placer la garnison et donner ses derniers ordres au sujet d’une défense future ; tandis que le plus grand nombre des hommes armés à la légère et des hommes non armés, se séparant des hoplites, et vraisemblablement sans aucune prévision du danger prochain, continuèrent leur marche de retour vers Athènes[33]. La position des hoplites était probablement vers l’extrémité occidentale de la plaine d’Orôpos, sur le bord des hauteurs peu élevées entre cette plaine et Dêlion[34].

Toutefois, pendant ces cinq jours, les forces : de tontes les parties de la Bœôtia avaient eu le temps de se réunir à Tanagra. Leur nombre venait d’être complété au moment où les Athéniens commençaient leur marche sur Athènes après avoir quitté Dêlion. Les contingents étaient arrivés, non seulement de Thèbes et des municipes à l’entour qui dépendaient d’elle, mais encore d’Haliartos, de Korôneia, d’Orchomenos, de Kôpæ et de Thespiæ ; celui de Tanagra se joignit aux autres sur le lieu même. Le gouvernement de la confédération bœôtienne à cette époque était entre les mains de onze bœôtarques, dont deux choisis dans Thêbes, le reste dans une proportion inconnue par les autres cités, membres immédiats de la confédération, — et de quatre sénats ou conseils, dont la constitution n’est pas connue.

Bien que tous les bœôtarques, assemblés alors à Tanagra, formassent une sorte de conseil de guerre ; cependant le commandement suprême appartenait à Pagondas et à Arianthidès, les bœôtarques de Thèbes, — soit à Pagondas comme le plus âgé des deux, soit peut-être à tous deux, alternant l’un avec l’autre jour par jour[35]. Comme les Athéniens étaient évidemment en pleine retraite et avaient déjà passé la frontière, tous les autres bœôtarques, excepté Pagondas, peu désireux de hasarder une bataille[36] sur un sol non bœôtien, étaient disposés à les laisser retourner chez eux sans obstacle. Cette répugnance n’a rien de surprenant, quand nous songeons que les chances de défaite étaient considérables, et que probablement quelques-uns de ces bœôtarques redoutaient l’accroissement de pouvoir qu’une victoire donnerait aux tendances oppressives de Thèbes. Mais Pagondas s’opposa énergiquement à cette proposition, et entraîna avec lui les soldats des diverses villes, même contrairement aux sentiments de leurs chefs séparés, en faveur d’un combat immédiat. Il les convoqua à part et s’adressa à eux par divisions séparées, afin qu’ils’ ne quittassent pas tous leurs armes au même moment[37]. Il qualifia le sentiment des autres bœôtarques de manifestation indigne de faiblesse, qui, à la bien considérer, n’avait pas même la recommandation d’une prudence supérieure. Car les Athéniens, qui venaient d’envahir le pays et de construire un fort dans le dessein de le dévaster continuellement, n’étaient pas moins des ennemis d’un côté de la frontière que de l’autre. De plus, ils étaient de tous les ennemis les plus remuants et les plus disposés à empiéter ; de sorte que les Bœôtiens, qui avaient le malheur d’être leurs voisins, ne pouvaient avoir de sécurité contre eux que par la promptitude la plus résolue à se défendre aussi bien qu’à rendre les coups reçus. S’ils désiraient sauver leur autonomie et leurs biens de l’état d’esclavage qui avait accablé longtemps leurs voisins d’Eubœa, aussi bien que tant d’autres parties de la Grèce, leur seule chance était de marcher en avant et de battre ces envahisseurs, en suivant le glorieux exemple de leurs pères et prédécesseurs dans le combat de Korôneia. Les sacrifices étaient favorables pour un mouvement en avant, tandis qu’Apollon, dont les Athéniens avaient profané le temple en le convertissant en un lieu fortifié, prêterait de cœur son aide à la défense de la Bœôtia[38].

Trouvant ses exhortations favorablement accueillies, Pagondas conduisit l’armée par une marche rapide à une position très rapprochée des Athéniens. Il désirait les combattre avant qu’ils fussent plus avancés dans leur retraite ; de plus, le jour était presque écoulé, — il était déjà tard dans l’après-midi.

Après avoir atteint un endroit ois il n’était séparé des Athéniens que par une colline, il disposa ses troupes dans l’ordre propre pour combattre. Les hoplites thêbains, avec leurs alliés dépendants, rangés dans une profondeur qui n’avait pas moins de vingt-cinq boucliers, occupaient l’aile droite ; les hoplites d’Haliartos, de Korôneia, de Kôpæ et de son voisinage, étaient au centre ; ceux de Thespiæ, de Tanagra et d’Orchomenos, à la gauche ; car Orchomenos, étant la seconde ville de Bœôtia après Thêbes, obtint le second poste d’honneur à l’extrémité opposée de la ligne. Chaque contingent adopta sa propre manière de ranger ses hoplites et sa propre profondeur de files : sur ce point il n’y avait pas d’uniformité, — ce qui prouve d’une manière remarquable combien le dissentiment dominait en Grèce, et combien chaque ville, même parmi des confédérés, se tenait à part comme unité séparée[39]. Thucydide spécifie seulement la profondeur prodigieuse des hoplites thêbains ; quant au reste, il donne simplement à entendre qu’on ne suivit pas de règle commune. Il y a un autre point aussi qu’il ne spécifie pas, — mais qui, bien que nous ne l’apprenions que sur l’autorité inférieure de Diodore, paraît à la fois vrai et important. Les rangs de devant des Thêbains pesamment armés furent occupés par trois cents guerriers d’élite, distingués par leur force corporelle, leur valeur et leur discipline, — qui étaient accoutumés à combattre par couples, chaque homme étant attaché a son voisin par un lien particulier d’amitié intime. Ces couples étaient appelés les Heniochi et les Parabatæ, — conducteurs de chars et compagnons ; dénomination probablement transmise depuis les temps homériques, où les premiers héros combattaient réellement dans des chariots devant les simples soldats, — mais conservée alors après qu’elle avait survécu à son sens approprié[40]. Cette troupe, composée les hommes les plus beaux des diverses palæstres de Thèbes, fut plus tard dressée à une instruction particulière (pour la défense de la Kadmeia ou citadelle), détachée des premiers rangs de la phalange, et organisée en un régiment séparé sous le nom de Lochos ou Bataillon sacré ; nous verrons combien il contribua à l’ascendant militaire éphémère de Thèbes. Sur les deux flancs de cette masse d’hoplites bœôtiens, d’un nombre total de sept mille environ, étaient répartis mille cavaliers, cinq cents peltastes, et dix mille hommes armés à la légère ou non armés. Les paroles de l’historien semblent impliquer (lue les hommes légèrement armés du côté des Bœôtiens étaient quelque chose de plus efficace que la simple multitude qui suivait les Athéniens.

Tel fut l’ordre dans lequel Pagondas fit franchir la colline à son armée, s’arrêtant pendant un moment en face et en vue des Athéniens, pour voir si les rangs étaient bien alignés avant de donner le signal de l’attaque réelle[41]. Hippokratês, de son côté, informé, pendant qu’il était encore à Dêlion, que les Bœôtiens avaient quitté Tanagra, `envoya d’abord à son armée l’ordre de se ranger en bataille, et bientôt il arriva lui-même pour la commander ; il laissait trois cents chevaux à Dêlion, en partie comme garnison, en partie dans le dessein de les faire agir sur les derrières des Bœôtiens pendant la bataille. Les hoplites athéniens étaient rangés sur huit de profondeur le long de toute la ligne ; — avec la cavalerie et ceux des hommes armés, qui restaient encore, placés sur chaque flanc. Hippokratês, après être arrivé sur les lieux et avoir examiné le terrain occupé, marcha le long de la ligne, encourageant en peu de mots ses soldats, qui, comme la bataille allait précisément se livrer sur la frontière d’Orôpos, pouvaient s’imaginer qu’ils n’étaient pas dans leur propre pays, et que par conséquent ils étaient exposés sans nécessité. Lui aussi, dans un langage semblable à celui qu’avait adopté Pagondas, rappela aux Athéniens que d’un côté ou de l’autre de la frontière ils combattaient également pour la défense de l’Attique ; en tenant les Bœôtiens à distance ; puisque les Péloponnésiens n’oseraient jamais entrer dans le pays sans l’aide de la cavalerie bœôtienne[42]. De plus, il les fit souvenir du grand nom d’Athènes et de la mémorable victoire de Myronidês à Œnophyta, qui avait donné à leurs pères la possession de toute la Bœôtia. Mais il avait a peine parcouru la moitié de la ligne, qu’il fut forcé de s’arrêter par le son du pæan bœôtien. Pagondas, après avoir ajouté quelques phrases d’encouragement, avait donné le signal. On vit les hoplites bœôtiens charger en descendant la colline ; et les hoplites athéniens, non moins ardents, s’avançaient au pas de course pour les rencontrer[43].

A l’extrémité de la ligne de chaque côté, la présence de ravins qui se trouvaient entre les deux armées empêcha leur rencontre réelle ; mais sur tout le reste de la ligne, le choc fut formidable, et la conduite résolue des deux côtés. Les deux armées, conservant leurs rangs compactes et non rompus, en vinrent à un combat corps à corps, les boucliers se touchant et se poussant les uns les autres[44]. Sur la moitié de la gauche de la ligne bœôtienne, composée d’hoplites de Thespiæ, de Tanagra et d’Orchomenos, les Athéniens furent victorieux. Les Thespiens, qui résistèrent le plus longtemps, même après que leurs camarades avaient lâché pied, furent entourés et subirent les pertes les plus sérieuses de la part des Athéniens, qui, dans l’ardeur du succès, en faisant le tour pour envelopper l’ennemi, perdirent leurs rangs et en vinrent à combattre même avec leurs propres concitoyens, sans les reconnaître sur le moment : il en résulta la perte de quelques hommes.

Tandis que la gauche de la ligne bœôtienne était ainsi battue et forcée de chercher l’appui de la droite ; les Thébains de ce côté-la remportaient un avantage décidé Lien que la résolution et la discipline des Athéniens ne fussent nullement inférieures, cependant aussitôt qu’on en vint à combattre corps à corps et à se repousser avec le bouclier et la lance, la profondeur prodigieuse de la colonne thébaine (plus du triple de la profondeur des Athéniens, vingt-cinq contre huit) lui permit d’accabler ses ennemis par la seule supériorité du poids et de la masse. De plus, les Thébains paraissent avoir été supérieurs aux Athéniens en éducation gymnastique et en force corporelle acquise, comme ils leur étaient inférieurs tant en éloquence qu’en intelligence. Les guerriers thêbains d’élite au premier rang étaient surtout supérieurs ; mais, une telle supériorité à part, si nous admettons une simple égalité de force individuelle et de résolution des deux côtés[45], il est évident que quand les deux colonnes opposées en vinrent à combattre bouclier contre bouclier, — la force comparative d’une impulsion en avant devait décider de la victoire. Ce motif suffit pour expliquer la profondeur extraordinaire de la colonne thêbaine, — qui fut augmentée par Épaminondas un demi-siècle plus tard, à la bataille de Leuktra, et portée d’une profondeur de vingt-cinq hommes à la profondeur plus étonnante encore de cinquante. Nous n’avons pas besoin de soupçonner l’exactitude du texte, avec quelques critiques, — ni de supposer avec d’autres que la grande profondeur des files thêbaines résultait de la circonstance que les rangs de derrière étaient trop pauvres pour se pourvoir d’une armure[46]. Même dans une profondeur de huit hommes, qui était celle de la colonne athénienne dans l’engagement actuel[47], et vraisemblablement la profondeur ordinaire dans une bataille, — les lances des quatre rangs de derrière auraient difficilement pu sortir assez au delà de la première ligne pour faire quelque mal. L’usage principal de tous les rangs derrière. la première ligne était en partie de prendre la place de telles des premières lignes qui pouvaient être tuées, — en partie de pousser de derrière en avant les lignes qui étaient devant eux. Plus la profondeur des lignes était grande, plus cette force d’impulsion devenait irrésistible. C’est par là que les Thébains, à Dêlion aussi bien qu’à Leuktra, trouvèrent leur compte en donnant à la colonne plus de profondeur à un degré si remarquable, — mouvement auquel nous pouvons bien présumer que leurs hoplites étaient exercés à l’avance.

Les Thébains de la droite repoussèrent ainsi[48] les troupes à la gauche de la ligne athénienne, qui se retirèrent d’abord lentement et à une courte distance, conservant leur ordre non rompu, — de sorte que la victoire des Athéniens à leur droite aurait rétabli la bataille, si Pagondas n’avait pas détaché de l’arrière-garde deux escadrons de cavalerie, qui, faisant par derrière sans être vus le tour de la colline, parurent soudain pour secourir la gauche bœôtienne, et produisirent sur les Athéniens de ce côté, dont les rangs étaient déjà dérangés dans l’ardeur de la poursuite, l’effet intimidant d’une nouvelle- armée qui serait arrivée pour renforcer les Thêbains. Et ainsi, même à la droite, la partie victorieuse de leur ligne, les Athéniens perdirent courage et lâchèrent pied ; tandis qu’à la gauche, où ils avaient le dessous dès le commencement, ils se trouvèrent pressés de plus en plus par les Thêbains qui les poursuivaient ; de sorte qu’à, la fin toute l’armée athénienne fut rompue et ‘mise en fuite. La garnison de Dêlion, renforcée de trais cents chevaux qu’Hippokratês y avait laissés pour prendre les Bœôtiens par derrière pendant l’action, ou bien ne fit aucun mouvement vigoureux, on fut repoussée par une°réserve bœôtienne postée pour la surveiller.

 

À suivre

 

 

 



[1] THucydide, IV, 54 ; Hérodote, VII, 235. La manière dont Hérodote fait allusion aux dangers qui résulteraient pour Sparte de l’occupation de Kythêra par un ennemi, fournit une probabilité de plus tendant à prouver que son histoire fut composée avant l’occupation réelle de l’île par Nikias, dans la huitième année de la guerre an Péloponnèse. S’il avait connu ce dernier événement, il y aurait fait naturellement quelque allusion.

Voir les mots de Thucydide par rapport à l’île de Kythêra.

Je ne crois pas, avec le Dr Arnold et Goeller, que ce passage signifie que la Laconie était inattaquable par terre, mais très attaquable par mer. Il veut plutôt dire que la seule partie de la côte de la Laconie où un envahisseur maritime pût faire beaucoup de dommage, était dans l’intérieur du golfe Laconique, près de Helos, de Gythion, etc., — qui est en effet la seule partie plate de cette côte. Les deux promontoires avancés, qui se terminent, l’un par le cap Malea, l’autre par le cap Tænaros, sont élevés, hérissés de rochers, de pourvus de ports, et offrant à un ennemi très peu de tentation pour débarquer. — Toute la côte laconienne est une haute falaise avancée là où elle fait face à la mer de Sicile et à celle de Krête. L’île de Kythêra était particulièrement favorable pour faciliter des descentes sur le territoire près d’Helos et de Gythion. L’άλιμενότης de la Laconie est mentionnée dans Xénophon, Helléniques, IV, 8, 7, — ou il décrit l’occupation de l’île par Konôn et Pharnabazos.

V. dans le colonel Leake la description de cette côte et des hautes falaises, entre le cap Matapan (Tænaros) et Kalamata, qui font face à la mer de Sicile — aussi bien que de celles à l’est du cap Saint-Angelo ou Malca, qui font face à celle de Krête (Travels in Morea, vol. I, ch. 7, p. 261) — la côte de Meseamani tempétueuse, hérissée de rochers et dénude d’abri — ch. 81 p. 320 ; ch. 6, p. 905 ; Strabon, VIII, p. 368 ; Pausanias, III, ch. 56, 2).

[2] Thucydide, IV, 54. Il semble impossible de croire qu’i y ait eu jusqu’à deux mille hoplites milésiens, mais nous ne pouvons pas dire où est l’erreur.

[3] Thucydide, IV, 56. Il dit que Thyrea était éloignée de la mer de dix stades on environ un mille et un cinquième (1 kil. 900 mètres). Niais le colonel Leake (Travels in the Morea, vol. II, ch. 22, p. 492), qui a découvert des ruines tout à fait suffisantes pour identifier l’endroit, affirme qu’il y a au moins trois fois cette distance de la mer.

Ceci nous explique d’autant plus clairement pourquoi les Æginétains jugèrent nécessaire de construire leur nouveau fort.

[4] Thucydide, IV, 58 ; Diodore, XII, 65.

[5] Thucydide, IV, 41, 55, 56.

[6] Thucydide, IV, 80.

[7] Thucydide, IV, 80. Cf. Diodore, XII, 67.

Le Dr Thirlwall (History of Greece, vol. III, eh. 23, p. 244, 2e éd., note) pense que cet assassinat d’Ilotes par les Spartiates fut consommé à quelque autre moment inconnu, et non pas à l’époque indiquée ici. Je ne puis partager son opinion. Il me semble qu’il y a la raison probable la plus forte pour rapporter l’incident à l’époque qui suit immédiatement le désastre de Sphakteria, que Thucydide marque si spécialement (IV, 41) par des mots expressifs. C’était précisément après que les Messêniens furent établis pour la première fois à Pylos, et qu’ils commencèrent leurs incursions en Laconie, avec les tentations qu’ils pouvaient offrir aux Ilotes de déserter. Et il était naturellement juste alors que la crainte, inspirée aux Spartiates par leurs Ilotes, fût portée à son maximum et conduisit à l’accomplissement de l’acte mentionné dans le texte. Le Dr Thirlwall dit que le gouvernement spartiate ne devait pas ordonner le massacre des Ilotes à un moment où il pouvait les employer au service étranger. Mais on peut répondre à ceci que la prise de Sphakteria fut effectuée en juillet ou en août, tandis que l’expédition sous Brasidas ne fut pas organisée avant l’hiver ou le printemps suivant. Il y eut donc un intervalle de quelques mois, pendant lequel le gouvernement n’avait pas encore conçu l’idée d’employer les Ilotes au service étranger. Et cet intervalle est tout à fait suffisant pour donner un sens complet et distinct à l’expression καί τότε (Thucydide, IV, 80), sur laquelle insiste le Dr Thirlwall, sans qu’il soit besoin de remonter à quelque point éloigné de l’histoire antérieure.

[8] Thucydide, IV, 79.

[9] Thucydide, IV, 80.

[10] Le tableau tracé par Aristophane (Acharneis, 760) est une caricature, mais de souffrances qui n’étaient probablement que trop réelles.

[11] Thucydide IV, 66. Strabon (IX, p. 391) donne dix-huit stades comme étant la distance entre Megara et Nisæa ; Thucydide huit seulement. Il parait qu’il y à des raisons suffisantes pour préférer le dernier chiffre. Voir Reinganum, Das alte Medgaris, p, 121-180.

[12] Thucydide, IV, 68.

Ici nous avons la phrase : τίθεσθαι τά όπλα employée dans un cas où l’explication qu’en donne le Dr Arnold serait éminemment impropre. On ne pouvait songer à empiler les armes au moment critique d’un combat réel, avec un résultat douteux encore.

[13] Thucydide, IV, 69.

[14] Thucydide, I, 103 ; IV, 69. Diodore (XII, 66) abrége Thucydide.

[15] Thucydide, IV, 79.

[16] Thucydide, IV, 71.

[17] Thucydide, IV, 72.

[18] Thucydide, IV, 73.

[19] Nous trouvons quelques-uns d’entre eux plus tard au service d’Athènes, employés comme troupes légères dans, l’expédition de Sicile (Thucydide, VI, 43).

[20] Thucydide, IV, 74.

[21] Thucydide, IV, 109.

[22] Thucydide, IV, 76.

[23] Thucydide, IV, 77.

[24] Thucydide, IV, 89.

[25] Thucydide, IV, 101.

[26] Thucydide, IV, 93, 94. Il dit que les ψιλοί bœôtiens étaient au-dessus de dix mille, et que les ψιλοί athéniens étaient πολλαπλάσιοι τών έναντίων. Nous pouvons difficilement croire que ce nombre fût moindre que vingt-cinq mille (IV, 191).

Des serviteurs portaient les bagages et les provisions des hoplites, aussi bien que des cavaliers : V. Thucydide, III, 17 ; VII, 75.

[27] Thucydide, IV, 90 et IV, 94.

Le sens du mot πανόημαί est bien expliqué par Nikias dans son exhortation à l’armée athénienne près de Syracuse, immédiatement avant la première bataille avec les Syracusains, — levée en masse, en tant qu’opposée aux hoplites choisis spécialement (VI, 66-68).

Quand on faisait un choix spécial, les noms des hoplites choisis par les généraux pour prendre part à un service particulier étaient écrits sur des tableaux suivant leurs tribus ; chacun de ces tableaux était attaché publiquement à la statue du héros Eponyme de la tribu à laquelle il se rapportait : Aristophane, Equites, 1369 ; Pac., 1184, avec le Scholiaste ; Waschsmuth, Hellen. Alterthumsk., II, p. 312.

[28] Thucydide, IV, 100.

[29] Thucydide, IV, 55.

[30] Thucydide, IV, 90 ; Tite-Live, XXXV, 51.

[31] Dikæarque, Βίος Έλλάδος, Fragm., éd. Fuhr, p. 142-230 ; Pausanias, I, 31, 2 ; Aristote ap. Stephan. Byz., v. Ώρωπός. V. aussi le colonel Leake, Athens and the Demi of Attica, vol. II, sect. 4, p. 123 ; M. Finlay, Oropus and the Diakria, p. 38 ; Ross, Die Demen von Attica, p. 6, où le dème de Græa est vérifié par une inscription et expliqué pour la première fois

La route prisé par l’armée d’Hippokratês dans la marelle de Dêlion était la même que celle par laquelle l’armée lacédæmonienne dans sa première invasion de l’Attique s’était retirée, d’Attique en Bœôtia (Thucydide, II, 23).

[32] Dikæarque (Βίος Έλλάδος, p.142, éd. Fuhr) est plein d’éloges sur l’excellence du vin bu à Tanagra, et des abondantes plantations d’oliviers sur la route entre Orôpos et Tanagra.

Puisque des outils et des maçons furent amenés d’Athènes pour fortifier Nisæa, — environ trois mois avant (Thucydide, IV, 69), — nous pouvons bien être sûr qu’on fit la même chose pour Dêlion, — bien que Thucydide ne le dise pas.

[33] Thucydide, IV, 90. Nous pouvons raisonnablement présumer que les vignes autour du temple avaient des échalas pour appuis qu fournirent les σταυρούς employés par les Athéniens : les mêmes que ces χάρακες dont il est parlé dans Korkyra, III, 70 ; cf. Pollux, I, 162.

[34] La plaine d’Oropus (fait observer le colonel Leake) se développe à partir de son angle supérieur à Oropo vers l’embouchure de l’Asopos, et s’étend environ cinq milles le long du rivage, du pied des collines de Markopulo, à l’est, jusqu’au village de Khalkuki, à l’ouest, où commencent quelques hauteurs qui vont à l’ouest vers Dhilisi, l’ancien Delium. — La plaine d’Oropus est séparée de la plaine de Tanagra, située plus avant dans les terres, par des gorges rocheuses par lesquelles coule l’Asopos. (Leake, Athens and the Demi of Attica, vol. II, sect. 4, p. 112.)

[35] Thucydide, IV, 93 ; V, 38. On petit probablement considérer Akræphiæ soit comme une dépendance de Thèbes, soit comme comprise dans l’expression générale de Thucydide après le mot Κωπαιήςοϊ περί λέμνην. Anthêdon et Lebadeia, qui sont reconnues dans diverses inscriptions bœôtiennes comme des municipes autonomes séparés, ne sont pas nommées ici dans Thucydide. Mais il n’y a pas de preuves certaines relativement au nombre des membres immédiats de la confédération bœôtienne : cf. les diverses conjectures dans Bœckh, Ad Corp. Inscript., tom. I, p, 727 ; Müller, Orchomenus, p. 402 ; Kruse, Hellas, tom. II, p. 548.

[36] Thucydide, IV, 91.

L’emploi du présent εϊσιν marque le nombre onze comme celui de tous Us bœôtarques, à cette époque, — selon l’opinion de Bœckh, Ad Corp. Inscript., I, vol. I, p. 729. Toutefois le nombre paraît avoir été variable.

[37] Thucydide, IV, 91.

Ici le docteur Arnold fait observer : Ceci confirme et explique ce qui a été dit dans la note sur II, 2, 5, quant à l’usage des soldats grecs d’empiler leurs armes dans un endroit particulier du camp au moment où ils s’arrêtaient, et d’assister toujours sans armes aux discours de leur général.

Dans le cas actuel, il paraît que les Bœôtiens vinrent par lochi séparés, conformément à l’ordre, pour entendre les paroles de Pagondas, — et aussi que chaque lochos abandonna ses armes pour le faire, bien que même ici il ne soit pas absolument certain que τά όπλα ne signifie pas le poste militaire, comme Duker l’explique. Mais le docteur Arnold généralise trop vite de là à un usage habituel comme existant entre les soldats et leur général. La conduite du général athénien Hippokratês, dans cette même occasion, près de Dêlion (qui sera mentionnée une page ou deux plus loin), présente un arrangement tout différent. De plus, la note sur II, 2, 5, à laquelle s’en réfère le docteur Arnold, n’a aucune sorte d’analogie avec le passage actuel, qui ne renferme pas les mots τίθεσθαι τά όπλα, — tandis que ces mots sont ce qu’il y a de capital dans le chap. II, 2, 5. Quiconque comparera attentivement les deux endroits, verra que le docteur Arnold (que suivent Poppo et Goeller) a étendu une explication qui convient au passage actuel, à d’autres passages auxquels elle n’est nullement applicable.

[38] Thucydide, IV, 92.

[39] Thucydide, IV, 93.

Ce qui est plus remarquable encore, — à la bataille de Mantineia, en 418 avant J.-C., — entre les Lacédæmoniens d’un côté, et les Athéniens, les Argiens et les Mantinæens, etc., de l’autre : — les différents lochi ou divisions de l’armée lacédæmonienne ne furent pas tous rangés avec la même profondeur de files. Chaque lochagos, ou commandant du lochos, ordonna la profondeur de sa propre division (Thucydide, V, 68).

[40] Diodore, XII, 70. Cf. Plutarque, Pélopidas, c. 18, 19.

[41] Thucydide, IV, 93.

Dans ce passage il est impossible d’admettre l’explication que le docteur Arnold, Poppo et Goeller donnent de ces mots έθεντο τά όπλα (V. Notes ad Thucydide, II, 2). Selon eux, ces mots signifient que les soldats entassèrent leurs armes en un monceau, — se désarmant pour le moment. Mais il n’est pas possible que les Bœôtiens, dans la situation décrite ici, aient quitté leurs aimes, — ils étaient précisément sur le point d’attaquer l’ennemi, — immédiatement après, Pagondas donne le signal : on entonne le pæan pour la charge, et le combat s’engage. Pagondas avait sans doute de bonnes raisons pour ordonner une halte momentanée, afin de voir si ses rangs étaient dans un état parfaitement bon avant que l’attaque commence. Mais commander à ses troupes d’entasser leurs armes devait être la dernière chose à laquelle il pensât.

Dans l’explication de τεταγμένοι ώσπερ έμελλον, je suis d’accord avec le Scholiaste, qui sous-entend μαχέσασθαι ou μαχεϊσθαι après έμελλον (cf. Thucydide, V, 66), différant du docteur Arnold et de Goeller, qui voudraient sous-entendre τάσσεσθαι, ce qui, à ce qu’il me semble, fait un sens très gauche, et n’est pas appuyé par la passage produit comme pendant (VIII, 51).

L’infinitif, sous-entendu après έμελλον, n’a pas besoin nécessairement d’être un verbe qui se trouve réellement avant, et peut être- un verbe suggéré par l’intention générale de la phrase : V. έμέλλησαν, IV, 123.

[42] Thucydide, IV, 95.

[43] Thucydide, IV, 95, 96.

Ce passage contredit ce qui est affirmé par le docteur Arnold, Poppo et Goeller, qui soutiennent que c’était un usage général pour les soldats d’entasser leurs armes et de toujours assister sans armes aux discours de leurs généraux. (V. sa note ad Thucydide, IV, 91.)

[44] Thucydide, IV, 96. Cf. Xénophon, Cyropædie, VII, 1, 32.

[45] L’expression proverbiale de Βοιωτίαν ΰν, la truie bœôtienne, — était ancienne même du temps de Pindare (Olymp., VI, 90, avec les Scholies et une note de Bœckh : cf. aussi Éphore, Fragment 67, éd. Marx ; Dikæarque, Βίος Έλλάδος, p. 143, éd. Fuhr ; Platon, Leg., 1, p. 636 ; et Symposion, p. 182 : — Pingues Thebani et valentes, Cicéron, De Fato, IV, 7. Xénophon (Memorab., III, 5, 2, 15 ; III, 12, 5 ; cf. Xénophon, De Athen. Republ., I, 13) soutient que les Athéniens ont naturellement une force corporelle égale à celle des Bœôtiens, mais il déplore le défaut de σωμασκία ou éducation corporelle.

[46] V. les notes du docteur Arnold et de Poppo, ad Thucydide, IV, 96.

[47] Cf. Thucydide, V, 68 ; VI, 67.

[48] Thucydide, IV, 96.

Le mot ώσάμεοι (cf. IV, 35 ; VI, 70) exprime exactement l’impulsion donnée par la masse des hoplites avec la lance et le bouclier.