HISTOIRE DE LA GRÈCE

HUITIÈME VOLUME

CHAPITRE III — DEPUIS LE COMMENCEMENT DE LA SECONDE ANNÉE JUSQU’À LA FIN DE LA TROISIÈME ANNÉE DE LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE.

 

 

A la fin de la première année qui suivit la tentative de surprise faite sur Platée par les Thêbains, les parties belligérantes en Grèce restèrent dans la même position quant à leur force relative (430 av. J.-C.). Il n’avait été rien accompli de décisif d’aucun côté, ni par l’invasion de l’Attique, ni par les descentes volantes autour de la côte du Péloponnèse. Malgré le dommage qu’on s’infligeait de part et d’autre, et qui sans doute pesait sur l’Attique, dans la plus grande mesure, — on n’avait fait encore aucun progrès vers l’accomplissement de ces objets qui avaient poussé les Péloponnésiens à faire la guerre. En particulier, le plus ardent de tous leurs désirs, — la délivrance de Potidæa, — n’était nullement avancé ; car les Athéniens n’avaient pas jugé nécessaire de relâcher le blocus de cette ville. Le résultat des opérations de la première année avaient ainsi servi à désappointer les espérances des Corinthiens et des autres ardents instigateurs de la guerre, tandis qu’il justifiait les prévisions et de Periklês et d’Archidamos.

Une seconde dévastation de l’Attique fut résolue pour le commencement du printemps, et l’on prit des mesures afin de la porter partout sur ce territoire, puisqu’on connaissait, à cette époque, la politique arrêtée d’Athènes de ne pas hasarder une bataille avec les envahisseurs. Vers la fin de mars ou au commencement d’avril, toute l’armée péloponnésienne (deux tiers de chaque ville confédérée comme auparavant) fut réunie sous le commandement d’Archidamos et entra en Attique. Cette fois elle appliqua l’œuvre d’une destruction systématique, non seulement à la plaine Thriasienne et à celle qui avoisinait immédiatement Athènes ; mais elle l’étendit aussi aux parties plus méridionales de l’Attique, aussi loin même que les mines de Laureion. Elle traversa et ravagea et la côte orientale et l’occidentale, et ne resta pas moins de quarante jours dans le pays. Elle trouva le territoire abandonné comme auparavant, toute la population s’étant retirée dans l’intérieur des murs[1].

Par rapport à cette seconde invasion, Periklês recommanda la même politique défensive qu’il avait appliquée à la première ; et apparemment les citoyens en étaient venus alors à y acquiescer, sinon volontiers, du moins avec une conviction absolue de sa nécessité. Mais à ce moment s’était présenté un nouveau fléau, qui détourna leur attention de l’envahisseur, tout en aggravant énormément leurs souffrances. Peu de jours après l’entrée d’Archidamos en Attique, une peste ou maladie épidémique éclata inopinément à Athènes.

Il parait que cette terrible maladie avait sévi pendant quelque temps dans tous les pays situés autour de la Méditerranée : elle avait commencé, croyait-on, en Éthiopie, — de là elle avait passé en Égypte et en Libye, et s’était répandue sur une portion considérable de l’Asie soumise au gouvernement persan. Environ seize ans auparavant, il y avait eu aussi une calamité semblable à Rome et dans diverses parties de l’Italie.’ Récemment, elle s’était fait sentir à Lemnos et dans quelques autres îles de la mer Ægée, non pas toutefois vraisemblablement avec une intensité assez grande pour éveiller beaucoup l’attention dans le monde grec en général : enfin, elle arriva à Athènes, et se manifesta d’abord dans le Peiræeus. Le progrès du mal fut aussi rapide et aussi destructif que sols apparition avait été soudaine ; tandis que l’accumulation extraordinaire d’hommes dans l’intérieur de la ville et des Longs Murs, par suite de la présence des envahisseurs dans le pays, n’était que trop favorable à toute nature de contagion. Des familles resserrées dams des cabanes étroites et dans des lieux d’abri temporaire[2], — d’une extrémité à l’autre d’une ville construite (comme la plupart de celles de la Grèce) avec peu de souci des conditions de salubrité, — et étant dans un état de chagrin moral causé par l’abandon et le sacrifice forcés de leurs biens de la campagne, — ces familles, dis-je, se transmettaient la maladie les unes aux autres avec une facilité fatale. Comme le mal commença vers le milieu d’avril, la chaleur croissante de l’été favorisa encore ses progrès, dont les symptômes violents et soudains à la fois se firent d’autant plus remarquer que l’année était particulièrement exempte de maladies de tout autre genre[3].

Cette peste, — ou (pour parler plus exactement) cette fièvre typhoïde éruptive[4], distincte de la petite vérole, bien qu’ayant des analogies avec elle, — a été décrite d’une manière non moins claire que touchante par l’historien Thucydide, qui en fut non seulement spectateur, mais qui en fut lui-même atteint. Ce n’est pas un de ses moindres mérites que la mention qu’il fait des symptômes, à une phase si peu avancée de la science et de l’observation médicales, soit telle qu’elle instruise le médecin de nos jours qui la lit, et qu’elle lui permette de comprendre et d’identifier la maladie. Les observations qui précèdent cette mention méritent une attention particulière. — Quant à cette maladie (dit-il), que chacun, médecin ou non, dise ce qu’il pense relativement à son origine probable, et aux causes qu’il croit assez puissantes pour avoir produit une si grande révolution. Pour moi, qui ai eu moi-même la maladie, et qui en ai vu d’autres personnes atteintes, je dirai ce qu’elle fut réellement, et j’indiquerai en outre d’autres choses qui fourniront à tout homme, qui s’en souviendra, une connaissance du mal et les moyens de le calculer à l’avance, dans le cas où le même malheur viendrait un jour à se présenter de nouveau[5]. Consigner les faits passés comme base pour une prévision rationnelle par rapport à l’avenir, — sentiment analogue à celui que Thucydide mentionne dans sa préface[6], comme l’ayant excité à composer son histoire, — c’était à cette époque un devoir si peu compris,, que nous avons raison d’admirer autant la manière dont il le remplit dans la pratique, que la netteté avec laquelle il le conçoit en théorie. Nous pouvons conclure de son langage que là spéculation s’occupait activement à son époque de rechercher les causes de cette peste, suivant la médecine vague et capricieuse, et le fonds modique de faits certifiés, qui étaient tout ce que l’on pouvait consulter alors. En résistant à l’envie de faire une théorie d’après une de ces vagues hypothèses qui paraissaient alors expliquer toute chose d’une manière plausible, il renonça probablement au point de vue d’où il devait tirer à cette époque le plus de crédit et d’intérêt. Mais son sommaire simple et précis de faits observés renferme en lui une impérissable valeur, et même, donne des raisons de croire qu’il n’était pas étranger aux habitudes et à l’éducation de son contemporain Hippokratês et des autres Asklêpiades de Kôs[7].

Il n’est guère du ressort d’un historien de la Grèce de répéter après Thucydide la pénible énumération des symptômes, violents à l’extrême et dominant dans toutes les parties du système du corps, qui marquèrent cette effrayante maladie. Après avoir commencé dans le Peiræeus, elle rie tarda pas à gagner la ville, et l’un et l’autre furent bientôt remplis de douleurs et de souffrances telles qu’on en avait jamais auparavant vu de pareilles. On était saisi soudainement par le mal, et les personnes attaquées périssaient dans une proportion considérable après une affreuse agonie vers le septième ou le neuvième jour. D’autres, que la force de leur constitution menait au delà de cette période, devenaient dans .la suite victimes d’une diarrhée incurable qui les épuisait. Chez d’autres encore, après avoir traversé ces deux phases, la maladie se fixait dans un membre particulier, dans les yeux, les parties génitales, les mains ou les pieds, qui perdaient pour toujours leur usage, ou dans quelques cas étaient amputés, même quand le patient se rétablissait. Il y en eut aussi quelques-uns dont la guérison fut accompagnée d’une perte absolue de la mémoire, au point qu’ils ne se connaissaient plus ni lie reconnaissaient leurs amis. Comme les traitements ou les remèdes ne paraissaient pas produire d’effet salutaire, si ce n’est dans des cas accidentels, les médecins ou chirurgiens dont on invoquait le secours se trouvèrent complètement en défaut. Tandis qu’ils essayaient inutilement leurs moyens accoutumés, ils finirent bientôt par gagner la contagion eux-mêmes et par périr. Les charmes et les incantations[8], auxquels le malheureux patient avait recours, n’étaient pas de nature à être plus efficaces. Pendant que quelques-uns affirmaient que les Péloponnésiens avaient empoisonné les citernes, d’autres rapportaient le châtiment à la colère dés dieux, et en particulier à Apollon, connu par les auditeurs de l’Iliade, comme l’auteur d’une peste dans l’armée grecque devant Troie. On se rappelait que ce dieu delphien avait promis aux Lacédæmoniens, en réponse à la demande qu’ils lui avaient faite immédiatement avant la guerre, de les aider, qu’il fût invoqué ou non, — et on attribuait la maladie qui sévissait actuellement à l’intervention de leur allié, auquel personne ne pouvait résister : en outre, les vieillards rappelaient un vers de l’oracle que l’on chantait dans le temps de leur jeunesse, — La guerre dôrienne viendra, et la peste avec elle[9]. Dans la détresse qui inspirait ces idées sombres, et qui était réciproquement aggravée par elles, on consultait des prophètes, et l’on faisait aux temples des supplications avec des processions solennelles, pour apaiser la colère divine.

Quand il fut reconnu que ni le prêtre ni le médecin ne pouvaient retarder la propagation ni mitiger l’intensité de la maladie, les Athéniens s’abandonnèrent au désespoir, et l’espace placé dans l’intérieur des murs devint un théâtre de lamentable misère. Tout homme attaqué par la maladie perdit immédiatement courage, — état d’accablement, en lui-même un des traits les plus tristes de l’affection, qui le faisait se coucher pour mourir, sans qu’il essayât de chercher des préservatifs. Et bien que d’abord des amis et des parents prêtassent leur aide pour veiller le malade avec les sympathies ordinaires de famille, cependant si effrayant fut le nombre des personnes dans cette position qui périrent, comme des moutons, par suite d’un tel contact, qu’à la fin personne ne voulut plus s’exposer ; tandis que les cœurs les plus généreux, qui persistèrent le plus longtemps à remplir leur devoir, furent emportés en nombre très considérable[10]. Le patient était ainsi réduit à mourir seul et abandonné. Parfois tous les habitants d’une maison étaient enlevés les uns après les autres, personne ne voulant en approcher : abandon d’un côté, soins de l’autre, contribuaient à la fois à aggraver la calamité. Il ne restait que ceux qui, après avoir eu la maladie et s’être rétablis, étaient disposés à soigner les malades. Ces hommes formaient la seule exception à la misère qui régnait partout à cette époque ; — car rarement le mal attaquait quelqu’un deux fois, et quand il le faisait, la seconde attaque n’était jamais fatale. Fiers d’avoir échappé à la mort, ils se croyaient hors de l’atteinte de toute maladie et se montraient pleins d’une bienveillance compatissante pour d’autres dont les souffrances lie faisaient que de commencer. Ce fut d’eux aussi que vint la principale attention accordée aux corps des victimes du fléau ; car l’état d’effroi et de douleur était tel que même les plus proches parents négligeaient les devoirs funèbres , sacrés plus que tous les autres aux yeux d’un Grec. Et il n’y a rien qui nous donne une idée si vive du chagrin et du désespoir régnant alors, que de lire dans les paroles d’un témoin oculaire que dans cette foule compacte les décès n’étaient pas accompagnés des moindres marques de décence et d’attention[11] ; — que les morts et les mourants étaient entassés les uns sur les autres, non seulement sur la voie publique, hais même dans les temples, malgré la souillure qu’en recevait, dans l’opinion de tous, l’édifice sacré ; — qu’on voyait des malades à demi morts couchés autour des fontaines, dévorés par une soif insupportable ; — que les corps nombreux ainsi privés de sépulture et exposés, étaient dans un état tel que les chiens qui y touchaient mouraient par suite de ce contact, tandis que ni les vautours ni les autres oiseaux d’habitudes semblables n’en approchaient jamais. Les corps que l’on n’abandonnait pas complètement étaient brûlés ou ensevelis[12] sans la tristesse accoutumée et avec une négligence inconvenante. Dans quelques cas, les porteurs d’un corps, passant près d’un bûcher funèbre sur lequel un autre corps était en train de brûler, y mettaient le leur pour y être brûlé aussi[13] ; ou peut-être, si le bûcher était préparé pour un corps qui n’était pas encore arrivé, ils y déposaient leur fardeau, mettaient le feu, au bûcher et s’éloignaient. Cette confusion indécente eût été intolérable aux sentiments des Athéniens dans des temps ordinaires.

A toutes ces scènes de souffrances physiques, de mort et de désespoir insouciant, — s’ajoutait un autre mal, qui affectait ceux qui étaient assez heureux pour échapper aux autres. Les liens et de la loi et de la moralité se relâchèrent, par suite de cette incertitude absolue dans laquelle était chacun, tant pour sa propre vie que pour celle des autres. On ne songeait ni à s’abstenir du mal, dans des circonstances où il n’était pas vraisemblable qu’on serait atteint par le châtiment, — ni à mettre un frein à ses passions et à endurer des privations, même pour obéir aux convictions les plus fortes, quand on avait une si faible chance de vivre assez pour obtenir une récompense ou rencontrer plus tard quelque estime. Tout ce que ces hommes cherchaient, c’était de jouir d’un intervalle, court et agréable, avant que leur sort flat accompli, — avant qu’ils fussent plongés dans la misère universelle qu’ils voyaient autour d’eux et qui accablait indistinctement les bons et les méchants ; ils embrassaient avec avidité les plaisirs immédiats des sens, aussi bien que ces gains positifs, quoique mal acquis, dont ils pouvaient user pour se les procurer, et ils mettaient de côté toute pensée et d’honneur et d’avantage calculé longtemps à l’avance. La vie et les biens étant également éphémères, on n’espérait plus rien, si ce n’est de saisir un moment de jouissance, avant que la main étendue de la destinée s’abattit sur ses victimes.

Le tableau d’une société frappée d’une épidémie meurtrière, avec son cortége de douleurs physiques, de misère et de démoralisation, a été tracé par plus d’un auteur éminent, mais par aucun avec une fidélité et une concision plus saisissantes que par Thucydide[14], qui n’a à copier ni prédécesseur, ni rien autre chose que la réalité. Nous pouvons faire remarquer qu’au milieu de tous les tristes accessoires de l’époque, il n’y pas de sacrifices humains, pareils à ceux qu’on offrait à Carthage pendant une peste pour apaiser la colère des dieux, — il n’y a pas de persécutions cruelles contre des auteurs imaginaires de la maladie, semblables à celles qui furent dirigées contre les Untori (qui oignent les portes) dans la peste de Milan, en 1630[15].

Ce fléau désola Athènes pendant trois années entières : continûment, durant toute la seconde et toute la troisième année de la guerre, — après lesquelles il y eut une période d’affaiblissement prononcé pendant un an et demi ; mais il se ranima alors et dura une autre année avec la même fureur que la première fois. Les pertes publiques, outre les malheurs privés que cet ennemi inattendu infligea à Athènes, furent incalculables. De douze cents cavaliers, tous pris parmi les hommes riches de l’État, trois cents moururent de l’épidémie, outre quatre mille quatre cents hoplites inscrits sur le rôle régulièrement tenu, et une quantité de gens de la population pauvre si grande qu’elle défie tout calcul[16]. Aucun effort de la part des Péloponnésiens n’aurait pu faire autant pour ruiner Athènes, ni pour amener la guerre à un terme tel qu’ils le désiraient ; et la maladie agit d’autant plus en leur faveur qu’elle ne se répandit jamais dans le Péloponnèse, bien qu’elle passât d’Athènes dans quelques-unes des îles les plus populeuses[17]. L’armée lacédæmonienne fut rappelée de l’Attique un peu plus tôt qu’elle ne l’eût été dans d’autres circonstances, de crainte qu’elle ne gagnât la contagion[18].

Mais ce fut pendant que les Lacédæmoniens étaient encore en Attique, et pendant la première nouveauté de la terrible maladie, que Periklês équipa et fit sortir du Peiræeus un armement de cent trirèmes et de quatre mille hoplites pour attaquer les côtes du Péloponnèse ; on mena aussi trois cents cavaliers dans quelques transports pour chevaux qu’on avait préparés pour l’occasion, en employant de vieilles trirèmes. Diminuer la foule accumulée dans la ville, c’était sans doute une mesure salutaire, et peut-être ceux qui s’embarquèrent la regardèrent-ils comme une chance de salut en quittant une patrie infectée. Renforcés par cinquante vaisseaux de guerre de Chios et de Lesbos, les Athéniens débarquèrent d’abord près d’Epidauros, dans le Péloponnèse ; ils ravagèrent le territoire et dirigèrent une vaine tentative contre la, ville ; ensuite ils firent de semblables incursions dans les parties les plus méridionales de la péninsule argolique, — Trœzen, Halieis et Hermionê ; et enfin ils attaquèrent et prirent Prasiæ, sur la côte orientale de la Laconie. De retour à Athènes, le même armement fut immédiatement conduit, sous Agnôn et Theopompos, pour presser le siége de Potidæa, dont le blocus continuait encore sans aucun progrès visible. En y arrivant, on fit une attaque contre les murs au moyen de béliers et des autres méthodes agressives usitées alors ; mais on n’arriva à aucun résultat. Dans le fait, l’armement devint incapable clé faire d’effort sérieux, à cause de l’aggravation que prit ici la maladie, communiquée par les soldats nouvellement venus d’Athènes à ceux qui en avaient été exempts jusque-là, à Potidæa. La mortalité fut si effrayante que, sur les quatre mille hoplites commandés par Agnon, il n’en mourut pas moins de mille cinquante dans le court espace de quarante jours. L’armement fut ramené à Athènes dans cet état déplorable, tandis que la réduction de Potidæa fut laissée comme auparavant à la marche lente d’un blocus[19].

A son retour de l’expédition contre le Péloponnèse, Periklês trouva ses compatriotes presque rendus fous par leurs souffrances de toute sorte[20] Outre l’épidémie qui sévissait, les citoyens venaient de parcourir l’Attique et s’étaient assurés des dévastations commises parles envahisseurs, pendant leur long séjour de quarante jours, dans tout le territoire — excepté dans la Tetrapolis marathonienne[21] et à Dekeleia, — districts épargnés, nous dit-on, grâce à une indulgence fondée sur une ancienne sympathie légendaire —. Les riches avaient trouvé leurs confortables demeures et leurs belles fermes, les pauvres leurs modestes cabanes, dans les différents dèmes, démolies et ruinées. La mort[22], la maladie, la perte de leurs biens et le désespoir pour l’avenir rendirent alors les Athéniens furieux et intraitables au dernier degré. Ils exhalèrent leurs sentiments contre Periklês comme étant la cause, non seulement de la guerre, mais encore de tout ce qu’ils enduraient actuellement. Soit avec soit sans son consentement, ils envoyèrent à Sparte des ambassadeurs chargés d’ouvrir des négociations de pais ; mais les Spartiates firent la sourde oreille à la proposition. Ce nouveau désappointement les rendit encore plus furieux contre Periklês, dont les ennemis politiques constants trouvèrent sans doute à ce moment de fortes sympathies quand ils dénoncèrent son caractère et sa politique. Cette fermeté inébranlable et majestueuse, qui tenait le premier rang parmi ses nombreuses et éminentes qualités, ne fut jamais plus impérieusement nécessaire, et jamais elle ne se manifesta d’une manière plus efficace. .

En sa qualité de stratège ou général, Periklês con, tiqua une assemblée régulière du peuple, dans le dessein de se défendre publiquement contre le sentiment dominant, et de recommander la persévérance dans sa ligne de politique. Thucydide ne donne pas les discours faits par ses adversaires, pleins assurément d’amertume ; mais celui de Periklês est rapporté avec une longueur considérable, et c’est un discours mémorable. Il met en relief d’une manière frappante et le caractère de l’homme et l’empreinte faite sur, lui par les circonstances actuelles, — esprit inébranlable, qui a conscience non seulement de desseins droits, mais encore de prévisions justes et raisonnables, et se soutient avec énergie ou même avec défi contre la difficulté naturelle du cas, augmentée par un malheur incalculable porté à l’extrême. Il avait prévu[23], tout en conseillant primitivement la guerre, l’impatience probable de ses compatriotes dans ses premiers maux ; mais il ne pouvait pas prévoir l’épidémie qui avait exaspéré cette impatience et l’avait transformée en folie, et actuellement il leur parlait, non seulement avec une fidélité entière à ses convictions réfléchies, mais encore sur un ton de reproche et de remontrance au sujet de leur changement immérité de sentiment à son égard, — et il cherchait en même temps à combattre ce désespoir irrésistible, qui pour le moment étouffait à la fois leur orgueil et leur patriotisme. Loin de s’abaisser devant le sentiment présent, c’est alors qu’il expose ses titres à leur estime de la manière la plus entière et la plus directe, et qu’il réclame la continuation de celle qu’ils lui ont si longtemps accordée, comme quelque chose qui lui appartient par un droit acquis.

Son principal objet, d’un bout à l’autre de ce discours, est de remplir l’esprit de son auditoire de sympathie patriotique pour le bien de la république entière, de manière à contrebalancer le, sentiment absorbant du malheur privé. Si la cité fleurit collectivement (dit-il), des calamités particulières peuvent du moins se supporter ; mais aucune somme de prospérité privée ne servira de rien, si la république entière tombe (proposition littéralement vraie dans l’antiquité et dans les circonstances de l’ancienne guerre, — bien qu’elle le soit moins à présent). Bouleversés par des maux domestiques, vous êtes maintenant irrités et contre moi qui vous ai conseillé de faire la guerre, et contre vous-mêmes qui avez suivi mon avis. Vous écoutiez un homme qui, comme moi, se considère comme supérieur aux autres par le jugement, l’éloquence, le patriotisme, et par une incorruptible probité[24] ; — et je ne devrais pas maintenant être considéré comme coupable pour vous avoir donné cet avis, alors qu’en réalité la guerre était inévitable et qu’il y aurait eu plus de danger encore à reculer devant elle. Je suis le même homme, qui n’a pas encore changé ; — mais vous, dans vos infortunes, vous ne pouvez pas rester fidèles aux convictions que vous adoptiez quand vous n’aviez pas encore souffert. Extrêmes et imprévues, il est vrai, sont les peines qui ont fondu sur vous ; cependant habitant comme vous le faites une grande cité, et élevés dans des dispositions dignes d’elle, vous devez aussi vous résoudre à résister aux calamités les .plus terribles, et ne jamais renoncer à votre dignité. Je vous ai plus d’une fois expliqué que vous n’avez nulle raison de douter d’un succès éventuel dans la guerre, mais je vous rappellerai aujourd’hui, avec plus d’insistance que jamais, et même avec une certaine ostentation qui convient comme stimulant à l’accablement peu naturel où vous êtes plongés maintenant, — que vos forces navales vous rendent maîtres non seulement de vos alliés, mais de la mer entière[25], — moitié du champ visible réservé à l’action et à l’emploi de votre pouvoir. Comparé avec une si vaste puissance, la jouissance temporaire de vos maisons et de votre territoire. n’a que peu de valeur, ornement accessoire indigne de considération ; et cela encore, si vous conservez votre liberté, vous ne tarderez pas à le recouvrer. Ce sont vos pères qui les premiers ont acquis cet empire, sans aucun des avantages dont vous jouissez maintenant : vous ne devez pas vous déshonorer en perdant ce qu’ils ont acquis. Charmés comme vous l’êtes tous de l’honneur et de l’empire, apanage de la république, vous ne devez pas reculer devant les peines qui seules peuvent aider à soutenir cet honneur ; en outre, vous combattez actuellement, non pas seulement pour être libres au lieu d’être esclaves, mais encore pour l’empire qu’il s’agit de ne pas perdre, avec tous les périls qu’entraîne l’impopularité attachée à la souveraineté. Aujourd’hui il n’est pas sans danger pour vous d’abdiquer, quand même vous le voudriez : car votre empire ressemble au despotisme, — injuste peut-être quand il a été acquis primitivement, ruineux si on l’abandonne une fois acquis. Ne vous irritez pas contre moi, dont vous suivîtes les avis en faisant la guerre, parce que les ennemis vous ont causé les dommages auxquels on pouvait s’attendre de leur part ; encore moins à cause de cette maladie imprévue : je sais qu’elle me rend en ce moment l’objet de votre haine spéciale, quoique très injustement, à moins que vous ne consentiez à me faire honneur aussi de toute bonne fortune inattendue qui peut se présenter. Notre république tire sa gloire particulière d’une constance inébranlable dans l’infortune ; sa puissance, son nom, son empire de Grecs sur des Grecs, sont tels qu’on n’en avilit jamais vu auparavant de pareils ; et si nous voulons être grands, nous devons accepter la conséquence de cette envie et de cette haine temporaires, prix nécessaire d’une renommée durable. Tenez maintenant une conduite digne de cette gloire ; déployez ce courage qui est essentiel pour vous protéger à présent contre la honte, aussi bien que pour garantir votre honneur dans l’avenir. N’envoyez plus d’ambassade à Sparte, et supportez vos malheurs sans montrer des symptômes d’affliction[26].

La raison irrésistible, aussi bien que le caractère fier et résolu de ce discours, prononcé avec une éloquence qu’il n’est pas possible à Thucydide de reproduire, — en même temps que l’âge et le caractère de Periklês, — entraîna l’assentiment du peuple assemblé ; occupé dans la Pnyx, suivant l’habitude, d’affaires publiques, il oubliait un moment ; ses souffrances privées pour ne considérer que le salut et la grandeur d’Athènes. Dans le fait, il est possible que ces souffrances, bien qu’elles durassent encore, aient été quelque peu allégées quand les envahisseurs quittèrent l’Attique, et quand il ne fut plus indispensable que toute la population se confinât dans l’intérieur des murs. En conséquence, l’assemblée décida qu’il ne serait plus fait de propositions de paix, et que la guerre serait poursuivie avec vigueur.

Mais bien que la résolution publique ainsi adoptée montrât l’ancienne habitude de déférence à l’autorité de Periklês, les sentiments des individus pris séparément furent encore des sentiments de colère contre lui, comme étant l’auteur de ce système qui les avait amenés à une si grande misère. Ses adversaires politiques, — Kleôn, Simmias ou Lakratidas, peut être tous les trois réunis, — s’appliquèrent à fournir à cette irritation régnante une occasion de se traduire en acte, en portant une accusation contre lui devant le dikasterion. Le chef d’accusation fut, dit-on, une malversation pécuniaire, et elle finit par une sentence qui le condamna à payer une amende considérable, dont le montant est différemment rapporté, — quinze, cinquante ou quatre-vingts talents, — par différents auteurs[27]. Le parti de l’accusation parut ainsi être arrivé à ses fins, et avoir déshonoré, aussi bien qu’exclu d’une réélection le vétéran politique. Toutefois son attente fut désappointée par l’événement. La condamnation à une amende non seulement rassasia toute l’irritation du peuple contre lui, niais même occasionna une sérieuse réaction en sa faveur, et ramena aussi fortement que jamais l’ancien sentiment d’estime et d’admiration. On ne tarda pas à trouver que ceux qui avaient succédé à Periklês en qualité de généraux ne possédaient ni ne méritaient à un degré égal la confiance publique. En conséquence, il fut bientôt réélu, avec autant de pouvoir et d’influence qu’il en avait jamais eu de sa vie[28].

Mais cette vie longue, honorable et utile, s’était déjà prolongée beaucoup au delà de soixante ans, et il n’y avait que trop de circonstances, outre l’amende récente, qui contribuaient à en hâter aussi bien qu’à en empoisonner la fin. Au moment même où Periklês prêchait à ses compatriotes, d’un ton presque de reproche, la nécessité d’un dévouement énergique et non affaibli à la patrie commune, au milieu des souffrances privées, il fut au nombre de ceux qui souffrirent le plus, et il fut le plus fortement contraint de donner l’exemple de l’observation de ses propres préceptes. L’épidémie emporta non seulement ses deux fils (les deux seuls légitimes qu’il eût, Xanthippos et Paralos), mais encore sa sœur, plusieurs autres parents, et ses amis politiques les meilleurs et les plus utiles. Au milieu de cet enchaînement de calamités domestiques, et pendant les obsèques funèbres de tant de ses amis les plus chers, il resta maître de sa douleur, et conserva son empire habituel sur lui-même jusqu’au dernier malheur, — la mort de son fils favori Paralos, qui laissa sa maison sans représentant légitime pour perpétuer la famille et les rites sacrés héréditaires. A ce coup fatal, bien qu’il fit des efforts pour se dominer comme auparavant, toutefois aux obsèques de ce jeune homme, quand il dut placer une couronne sur le cadavre, sa douleur devint irrésistible, et il éclata, pour la première fois de sa vie, en larmes et en sanglots abondants[29].

Au milieu de ces diverses épreuves personnelles, il apprit d’Alkibiadês et de quelques autres amis qu’il avait recouvré la confiance du peuple et qu’il était réélu à la charge de stratège. Mais ce ne fut pas sans difficulté qu’on lui persuada de reparaître à l’assemblée publique et de reprendre la direction des affaires. Les dispositions actuelles de la république lui exprimèrent formellement le regret du peuple à propos de la sentence récente, — peut-être dans le fait il se peut que l’amende lui ait été rendue, ou qu’on lui ait permis de l’éluder de quelque façon, tout en respectant les formes de la loi[30] ; — ces dispositions se manifestèrent encore à son égard en ce que, par une faveur remarquable, on l’exempta d’une loi qu’il avait proposée lui-même dans l’origine. Il avait lui-même été, quelques années auparavant,. l’auteur de cette loi, en vertu de laquelle le droit de cité d’Athènes était restreint aux personnes nées de pères athéniens et de mères athéniennes, restriction par laquelle plusieurs milliers de personnes, illégitimes du côté de leur mère, furent privées, dit-on, du droit de cité, à l’occasion d’une distribution publique de blé. Jaloux, à ce qu’il parut, d’accorder à Periklês uniquement l’exemption d’une loi qui avait été si rigoureusement imposée à tant d’autres, le peuple fut alors poussé non moins par la compassion que par le désir de réparer sa sévérité antérieure. Sans un héritier légitime, la maison de Periklês, une des branches de la grande Gens alkmæônide du côté de sa mère, devait rester abandonnée, et la continuité des rites sacrés de famille interrompue, — malheur douloureusement senti par toute famille athénienne, en ce qu’il était fait pour léser tous les membres décédés et pour provoquer leur mécontentement posthume à l’égard de la république. En conséquence, on accorda à Periklês la permission de légitimer et d’inscrire dans sa gens et sa phratrie son fils naturel, qu’il avait eu d’Aspasia et qui portait son propre nom[31].

Ce fut ainsi que Periklês fut réintégré dans son poste de stratège, aussi bien que dans son ascendant sur les conseils publics, — vraisemblablement vers août ou septembre, — 430 avant J.-C. Il vécut environ une année encore, et semble avoir conservé son influence aussi longtemps que sa santé le permit. Cependant nous n’entendons rien dire de lui après ce moment, et il succomba victime non des violents symptômes de l’épidémie, mais d’une fièvre lente et épuisante[32], qui mina sa force aussi bien que ses facultés. Dans cette maladie, un de ses amis venant lui demander de ses nouvelles, Periklês répondit en lui montrant un charme ou amulette que les femmes de sa famille avaient attaché à son cou, — ce qui prouve combien il était tombé bas et comme il était devenu complètement un objet passif entre les mains des autres. Et suivant une autre anecdote que nous lisons, encore plus intéressante et servant également à jeter du jour sur son caractère, — pendant ses derniers moments, quand il était couché inconscient et insensible en apparence, ses amis qui entouraient son lit passaient en revue les actes de sa vie et les neuf trophées qu’il avait élevés à différentes époques pour tant de victoires. Il entendit ce qu’ils disaient, bien qu’ils s’imaginassent qu’il était hors d’état d’entendre, et les interrompit en leur disant : Ce que vous louez dans ma vie appartient en partie à la bonne fortuneet m’est commun, tout au plus, avec beaucoup d’autres généraux. Mais la chose particulière dont je suis le plus fier, vous ne l’avez pas mentionnée : c’est qu’aucun Athénien n’a jamais pris le deuil par ma faute[33].

Une telle raison de se féliciter soi-même, sans cloute plus agréable à rappeler,à un tel moment que toute autre, explique ce calcul à longue portée, cette aversion pour toute entreprise éloignée ou hasardeuse, et cette économie des forces publiques, qui marquèrent sa carrière politique entière ; carrière longue, sans pendant aucun dans l’histoire d’Athènes, — puisqu’il conserva une grande influence, qui s’éleva graduellement jusqu’à un ascendant personnel décisif, pendant un temps qui dura entre trente et quarante ans. Son caractère a été présenté sous des jours bien différents par différents auteurs tant anciens que modernes, et les matériaux que nous possédons pour établir la balance ne sont pas aussi bons que nous pourrions le désirer. Mais sa suprématie immense et prolongée, aussi bien que son incomparable éloquence, sont des faits attestés non moins par ses ennemis que par ses amis, — qui plus est, même d’une manière plus forte par les premiers que par les seconds. Les auteurs comiques, qui le haïssaient, et dont c’était le métier de railler et d’avilir tout caractère politique supérieur, épuisent leurs moyens d’explication à faire ressortir l’une et l’autre[34]. Telekleidês, Kratinus, Eupolis, Aristophane, tous, ses auditeurs et tous ses ennemis, le comparent à Zeus Olympien lançant la foudre et l’éclair, — à Hêraklês et à Achille — ils disent que c’était le seul orateur sur les lèvres duquel siégeât la persuasion et qui laissât son dard dans l’âme de son auditoire : tandis que le philosophe Platon[35], qui désapprouvait son action politique et les effets moraux qu’il produisait sur Athènes, vante néanmoins son ascendant intellectuel et oratoire, — sa majestueuse intelligence — dans un langage non moins décisif que Thucydide. Il y a un autre point d’éloge, non moins important, sur lequel les témoignages paraissent ne pas rencontrer de contradiction. Dans toute sa longue carrière, au milieu des animosités politiques les plus ardentes, la conduite de Periklês à l’égard de ses adversaires fut toujours douce et libérale[36]. L’estime consciente de soi-même et l’arrogance de manières que lui reprochait le poète contemporain Iôn[37], en l’opposant à la simplicité sans prétention de son patron Kimôn, — bien que probablement exagérées par envie, sont sans doute bien fondées en substance, et, si l’on lit le dernier discours que nous avons donné plus haut en l’empruntant de Thucydide, on y reconnaîtra tout de suite cet attribut. Son goût naturel, son amour de recherches philosophiques, et son infatigable application aux affaires publiques, contribuèrent tous à le détourner de la familiarité ordinaire, et à le rendre insouciant, peut-être à tort, des moyens secondaires de se concilier la faveur publique.

Mais en admettant que ce dernier reproche soit bien fondé, comme il semble l’être, il sert à démentir le crime politique plus grave et plus grand qui lui a été imputé, de sacrifier la moralité et le bien-être permanents de l’État au maintien de son propre pouvoir politique, — de corrompre le peuple en lui distribuant l’argent public. Il lâcha les rênes au peuple (dit Plutarque)[38] et administra en vue de sa faveur immédiate, en lui procurant toujours à l’intérieur quelque spectacle public, soit fête, soit procession, élevant ainsi la république dans des jouissances élégantes, — et en envoyant chaque année au dehors soixante trirèmes montées pendant huit mois par des marins citoyens avec paye entière, qui étaient exercés ainsi et acquéraient l’habileté nautique.

Or l’accusation portée ici contre Periklês, et appuyée par des allégations honorables en elles-mêmes plutôt qu’autrement, — d’un vicieux désir d’obtenir une popularité immédiate, et d’inconvenantes concessions faites aux sentiments immédiats du peuple contre ses intérêts permanents, — cette accusation, dis-je, est ce que Thucydide nie de la manière la plus formelle ; et non seulement il la nie, mais il oppose Periklês à ses successeurs expressément sur ce point, qu’ils le firent, tandis que lui ne le fit pas. Les paroles de l’historien contemporain méritent bien d’être citées[39] :

Periklês, puissant par la dignité de son caractère et par sa sagesse, et manifestement au-dessus de toute souillure de corruption, contint le peuple avec une main libre, et il le mena réellement au lieu d’être mené par lui. En effet, comme il ne recherchait pas le pouvoir par des moyens indignes, il ne parlait pas en vue d’une faveur actuelle, mais il avait assez le sentiment de sa dignité pour le contredire à l’occasion, même en bravant son mécontentement. C’est ainsi que toutes les fois qu’il le voyait plein d’une confiance insolente et inopportune, il parlait de manière à l’alarmer et à l’abattre ; si, au contraire, il le voyait effrayé sans raison, il s’efforçait de combattre cette disposition et de lui rendre la confiance : de sorte que le gouvernement était une démocratie de nom, mais qu’en réalité c’était un empire exercé par le premier citoyen dans l’État. Mais ceux qui le remplacèrent après sa mort, étant plus égaux entre eux, et désirant tous l’emporter sur les autres, adoptèrent une marche différente ; ils flattèrent le peuple et sacrifièrent à cet objet les intérêts de l’État les plus importants. Dé là résultèrent maintes autres mesures mauvaises, comme on pouvait s’y attendre dans une république grande et souveraine, et en particulier l’expédition de Sicile, etc.

On verra que le jugement de Thucydide cité ici contredit, d’une manière absolue, les reproches adressés ordinairement à Periklês d’avoir corrompu le peuple athénien, — en lui distribuant l’argent public, et en cédant à ses caprices insensés, — en vue d’acquérir et de conserver son pouvoir politique. Bien plus, l’historien indique les qualités opposées,

l’appréciation de soi-même, la dignité consciente, l’indifférence pour l’approbation ou la colère populaire immédiate s’élevant contre ce qui est constamment juste et utile, — comme le trait caractéristique et spécial de ce grand homme d’État. On pouvait, il est vrai, faire une distinction, et Plutarque déclare la signaler, entre la première et la seconde partie de sa longue carrière politique. Periklês commença (à ce que dit le biographe) par corrompre le peuple afin d’acquérir le pouvoir ; et après l’avoir acquis, il s’en servit d’une manière indépendante et patriotique, de sorte que le jugement de Thucydide, vrai relativement à la seconde partie de sa vie, ne serait pas applicable à la première. Il se peut que cette distinction soit bien fondée jusqu’à un certain point, en ce que le pouvoir d’opposer une résistance hardie et heureuse à des aberrations temporaires de l’esprit public implique nécessairement une influence établie, et ne peut jamais guère être exercé même par l’homme politique le plus ferme dans les années de son début. Il est nécessairement alors joint à quelque parti ou à quelque tendance qu’il trouve en train d’agir déjà, et il a à se mettre en avant activement et assidûment avant de se créer pour lui-même une influence personnelle séparée. Mais si nous admettons la distinction dans cette mesure, il n’y a rien qui nous autorise à restreindre l’éloge de Thucydide exclusivement à la seconde partie de la vie de Periklês, ou à représenter la première comme formant un contraste signalé avec cet éloge. En expliquant sans parti pris ce que dit l’historien, on verra qu’évidemment il ne comprenait pas ainsi la première vie de Periklês. Ou les changements politiques qui, selon Platon, Aristote, Plutarque et autres, démontrent l’effet corrupteur de Periklês et de son ascendant politique, tels que la limitation des fonctions de l’aréopage aussi bien -que du pouvoir des magistrats, l’établissement des nombreux et fréquents dikasteria populaires avec une paye régulière, et peut-être aussi l’allocation d’une paye à ceux qui assistaient à l’ekklêsia, les dépenses pour travaux publics, pour édifices et monuments religieux, la Diobelie — ou distribution de deux oboles par tête aux citoyens pauvres aux diverses fêtes, afin qu’ils fussent en état de payer leurs places au théâtre —, à la prendre telle qu’elle était alors, etc., — ou ces changements, dis-je, ne parurent pas à Thucydide nuisibles et corrupteurs, comme les jugeaient ces autres écrivains, ou bien il ne les rapporta pas particulièrement à Periklês.

Probablement les deux suppositions sont vraies, dans une certaine mesure. Les changements politiques intérieurs à Athènes, relativement à l’aréopage et aux dikasteria, s’effectuèrent à une époque où Periklês était un jeune homme, et où l’on ne peut supposer qu’il eût encore acquis l’immense valeur personnelle qui lui appartint plus tard — Ephialtês, en effet, semble avoir été dans ces premiers temps un homme plus grand que Periklês, si nous en pouvons juger par ce fait, que ses adversaires politiques le choisirent pour l’assassiner, — de sorte qu’on pouvait les attribuer à plus juste titre au parti auquel Periklês était rattaché qu’il cet homme d’État lui-même. Mais ensuite, nous n’avons pas de motif pour présumer que Thucydide considérât ces changements comme nuisibles, ou comme ayant détérioré le caractère athénien. Tout ce qu’il dit quant à l’influence exercée par Periklês sur les sentiments et sur les actions de ses compatriotes est éminemment favorable. Il représente la présidence de cet homme d’État comme modérée, prudente, conservatrice et heureuse : il le dépeint détournant uniformément le peuple d’entreprises téméraires, et de tentatives en vue d’étendre son empire, voyant à l’avance la nécessité d’une guerre, et maintenant les forces navales, militaires et financières de la république constamment en état de la soutenir, — calculant, avec une sagesse à longue portée, les conditions d’où dépendait un succès définitif. Si nous suivons la harangue funèbre élaborée de Periklês — que Thucydide, puisqu’il la reproduit tout au long, considérait probablement comme expliquant fidèlement le point de vue politique de cet homme d’État —, nous découvrirons une conception de l’égalité démocratique non moins rationnelle que généreuse ; un soin inquiet de la récréation et du bien-être des citoyens, mais nulle disposition à les affranchir d’obligations actives, soit publiques, soit privées, et encore bien moins quelque idée de les dispenser,de cette activité par des largesses abusives qu’aurait fournies le revenu public. Tout le tableau que Periklês fait d’Athènes, comme étant l’école de la Grèce, implique un développement remarquable d’industrie et de commerce privés non moins que des qualités publiques du citoyen et du soldat, — des lettres, des arts et des variétés récréatives du goût.

Bien que Thucydide ne discute pas directement les changements constitutionnels effectués à Athènes sous Periklês, cependant tout ce qu’il dit nous amène à croire qu’il considérait l’action exercée par cet homme d’État, en général, sur la puissance athénienne aussi bien que sur le caractère athénien, comme éminemment importante, et sa mort comme une perte irréparable. Et nous pouvons ainsi faire appel au jugement d’un historien qui est notre meilleur témoin à tous égards, comme étant une puissante réponse à l’accusation portée contre Periklês d’avoir corrompu les habitudes, le caractère et le gouvernement des Athéniens. S’il consacra une partie considérable du trésor public à dés édifices et à des ornements religieux, et à de magnifiques travaux pour la cité, — cependant la somme qu’il laissa intacte, prête à être employée au commencement de la guerre du Péloponnèse, était telle qu’elle parut plus que suffisante polir tous les projets de défense, ou de sûreté publique, ou d’honneur militaire. On ne peut prouver que Periklês ait jamais sacrifié le but plus grand au moindre, — l’objet permanent et réellement important à l’objet transitoire et brillant, — des possessions actuelles et assurées au désir immodéré de conquêtes nouvelles, éloignées ou incertaines. Si l’on eût écouté son avis, on aurait évité la témérité qui amena la défaite de l’Athénien Tolmidês à Korôneia en Bœôtia, et Athènes aurait probablement gardé son ascendant sur Megara et la Bœôtia, ce qui aurait mis son territoire à l’abri de l’invasion, et donné une tournure nouvelle à l’histoire subséquente. On ne doit pas considérer Periklês comme l’auteur du caractère athénien : il le trouva avec ses traits caractéristiques positifs et ses susceptibilités bien marquées, et ceux de ces traits qu’il fit ressortir particulièrement et qu’il améliora furent les meilleurs. Il réprima le désir des expéditions contre les Perses, que Kimôn aurait poussées jusqu’en Égypte et à Kypros, après que ce désir eut produit tout ce qu’on pouvait utilement rechercher. Il modéra plutôt qu’il n’encouragea l’ambition d’Athènes ; il régularisa le mouvement démocratique de la république et l’amena à produire des institutions judiciaires qui se placèrent au nombre des traits saillants de la vie athénienne, et il le fit, à mon avis, avec une somme très considérable d’avantages polir, l’esprit national aussi bien que pour la sécurité individuelle, malgré les nombreux défauts qu’elles présentent dans leur caractère direct en tant que tribunaux. Mais le point dans lequel il y eut la plus grande différence entre Athènes telle que Periklês la trouva et Athènes telle qu’il la laissa, c’est incontestablement le développement pacifique et intellectuel, — rhétorique, poésie, arts, recherches philosophiques et variété récréative. Si à cela nous ajoutons une grande amélioration dans la culture du sol attique, — l’extension du commerce athénien, — l’acquisition et la conservation laborieuse du maximum d’habileté maritime (attestées par les batailles de Phormiôn), — l’agrandissement de l’espace offrant une sécurité complète par la construction des Longs-Murs, — enfin, Athènes revêtue de son manteau royal, au moyen des ornements de l’architecture et de la sculpture, — nous reconnaîtrons un cas de progrès véritable réalisé pendant la vie politique de Periklês, tel que les maux qu’on lui impute, bien plus imaginaires que réels, ne pourront guère l’amoindrir. Combien peu, relativement parlant, du tableau tracé par Periklês dans son oraison funèbre de 431 avant J.-C., aurait été exact, si la harangue avait été prononcée en l’honneur des guerriers qui succombèrent à Tanagra vingt-sept ans auparavant !

M. Bœckh a fait remarquer[40] que Periklês sacrifiait les propriétaires fonciers de l’Attique aux intérêts et à l’empire maritimes d’Athènes. Cette observation est naturellement fondée sur les invasions destructives du pays pendant la guerre péloponnésienne ; car jusqu’au commencement de cette guerre la position des cultivateurs et des propriétaires de l’Attique fut particulièrement cligne d’envie ; et par conséquent la critique de M. Bœckh dépend de cette question, à savoir dans quelle mesure Periklês contribua à produire, ou s’il était en son pouvoir de détourner cette déplorable guerre, si fatale dans ses résultats non seulement à Athènes, mais à toute la race grecque. Or, ici encore, si nous suivons attentivement le récit de Thucydide, nous verrons que, dans l’opinion de cet historien, non seulement Periklês n’amena pas la guerre, mais qu’il n’aurait pu l’a détourner sans des concessions qu’interdisait péremptoirement la prudence athénienne aussi bien que le patriotisme athénien. De plus, nous verrons que les calculs sur lesquels Periklês fondait ses espérances de succès s’il était contraint de faire la guerre, étaient (aux yeux de l’historien) parfaitement sûrs et légitimes. Nous pouvons même aller plus loin et affirmer que l’administration de Periklês, pendant les quatorze années qui précèdent la guerre, montre une modération (pour employer les termes de Thucydide)[41] dictée surtout par le désir d’éviter les causes qui pourraient la faire naître. Si dans les mois qui précédèrent immédiatement l’explosion de la guerre, après la conduite des Corinthiens à Potidæa et la décision du congrès de Sparte, il résista énergiquement à toute idée d’accéder aux demandes spéciales de cette ville, — nous devons nous rappeler que ces demandes manquaient essentiellement de sincérité, et qu’y accéder en partie eût abaissé la dignité d’Athènes sans assurer la paix. Les histoires au, sujet de Pheidias, d’Aspasia et des Mégariens, même en accordant qu’il y a au fond quelque chose de vrai, doivent, selon Thucydide, être regardées au pis comme des accessoires et des prétextes, plutôt que comme des causes réelles de la guerre ; bien que des auteurs modernes, en parlant de Periklês, ne soient que trop disposés à employer des expressions admettant tacitement que ces histoires sont bien fondées.

Ainsi, en voyant que Periklês n’amena pas la guerre du Péloponnèse, et qu’il n’aurait pu la détourner, — qu’il dirigea sa marche, eu égard à cet événement, avec la prudence à longue portée d’un homme qui savait que le salut et la dignité de la souveraine Athènes y étaient essentiellement mêlés, — nous n’avons pas le droit de le blâmer pour avoir sacrifié les propriétaires fonciers de l’Attique. Ces propriétaires pouvaient, il est vrai, être excusés de se plaindre, en souffrant d’une manière si ruineuse. Mais l’historien impartial, qui considère l’ensemble du cas, ne peut admettre leurs plaintes comme raison pour critiquer l’homme d’État athénien.

Quant au rapport d’Athènes à l’égard de ses alliés, le point faible de sa position, il était au delà du pouvoir de Periklês de l’amender sérieusement, probablement aussi au delà de sa volonté, puisque l’idée d’une incorporation politique, aussi bien que celle d’établir un lien confédéré soutenu par une autorité fédérale effective, entre différentes cités, était rarement nourrie même par les meilleurs esprits grecs[42]. On nous dit qu’il essaya de réunir à Athènes un congrès de députés de toutes les cités de la Grèce, y compris les alliés d’Athènes[43] ; mais le projet ne put être mis à exécution, par suite de la résistance, nullement surprenante, des Péloponnésiens. En pratique, les alliés ne furent pas mal traités pendant son administration ; et si entre autres funestes conséquences de la guerre prolongée, eux aussi bien qu’Athènes et tous les autres Grecs en vinrent à souffrir de plus en plus, ceci dépend de causes qui ne lui sont pas imputables, et d’actes qui s’écartèrent complètement de ses calculs sages et modérés. A le prendre tout entier, avec ses facultés de pensée, de parole et d’action, — avec sa compétence civile et militaire, dans le conseil comme en campagne, — avec son intelligence vigoureuse et cultivée et ses idées compréhensives d’une communauté jouissant d’un développement pacifique et varié ; — avec sa moralité publique, sa prudence et sa fermeté incorruptibles dans un pays où toutes ces qualités étaient rares, et leur réunion dans le même individu naturellement beaucoup plus rare encore, — nous verrons qu’il fut sans pareil d’un bout à l’autre de toute l’histoire grecque.

Sous le coup de la grande mortalité et des ravages de la maladie à Athènes, les opérations de la guerre languirent naturellement, tandis que les ennemis aussi, quoique plus actifs, n’eurent que peu de succès. Les Lacédæmoniens envoyèrent une flotte de cent trirèmes, ayant à bord mille hoplites, sous les ordres de Knêmos, pour attaquer Zakynthos ; mais tout ce qu’elle accomplit, ce fut de dévaster les parties ouvertes de l’île ; puis elle retourna chez elle. Et ce fut peu de temps après cette expédition, vers le mois de septembre, que les Ambrakiotes attaquèrent la ville d’Amphilochia appelée Argos, située sur la côte méridionale du golfe d’Ambrakia ; ville qui, comme nous l’avons raconté dans le chapitre précédent, leur avait été enlevée deux ans auparavant par les Athéniens, sous Phormiôn, et avait été rendue aux habitants de l’Amphilochia et de l’Akarnania. Les Ambrakiotes, en qualité de colons et d’alliés de Corinthe, étaient à la fois animés par une inimitié active contre l’influence athénienne en Akarnania, et par le désir de recouvrer la ville perdue d’Argos. Après s’être procuré l’aide des Chaoniens et de quelques autres tribus épirotiques, ils marchèrent contre Argos, et après avoir dévasté je territoire, ils s’efforcèrent de prendre la ville d’assaut ; mais ils furent repoussés et obligés de se retirer[44]. Cette expédition paraît avoir fait comprendre aux Athéniens la nécessité d’une armée permanente pour protéger leurs intérêts dans ces parages ; de sorte qu’en automne Phormiôn fut envoyé avec une escadre de vingt trirèmes pour occuper Naupaktos (ville habitée alors par les Messêniens), comme station navale permanente[45], et pour surveiller l’entrée du golfe de Corinthe. Nous verrons dans les événements de l’année suivante une ample confirmation de cette nécessité.

Bien que les Péloponnésiens fussent trop inférieurs en forces navales pour entreprendre une guerre formelle sur mer contre Athènes, leurs corsaires isolés, surtout les corsaires mégariens du port de Nisæa, furent actifs à nuire à son commerce[46], — et non seulement au commerce d’Athènes, mais encore à celui des autres Grecs neutres, salis scrupule ni distinction. Plusieurs bâtiments marchands et des bateaux pêcheurs, avec un nombre considérable de prisonniers, furent capturés ainsi[47]. Les prisonniers qui tombèrent entre les mains des Lacédæmoniens, — même Grecs neutres aussi bien qu’Athéniens, — furent tous mis à mort, et leurs corps jetés dans les ravins des montagnes. Par rapport aux neutres, cette capture était digne de pirates, et le meurtre d’une cruauté sans excuse, à le juger même par l’usage admis chez les Grecs, tout imparfait qu’il était sous le rapport de l’humanité. Mais renvoyer ces prisonniers neutres ou les vendre comme esclaves, cela aurait donné de la publicité à une prise digne de pirates et provoqué les villes neutres ; de sorte qu’on tua les prisonniers comme le meilleur moyen de se débarrasser d’eux et de supprimer ainsi toute preuve[48].

Quelques-uns de ces corsaires péloponnésiens allaient jusque sur la côte sud-ouest de l’Asie Mineure, où ils trouvaient un abri temporaire, et interceptaient les navires marchands de Phasèlis et de Phénicie qui se rendaient à Athènes : pour protéger ceux-ci, cette ville envoya dans le courant de l’automne une escadre de six trirèmes, sous les ordres de Melèsandros. En outre, il reput l’ordre d’assurer la perception du tribut ordinaire des alliés sujets athéniens, et probablement de lever ailleurs les contributions qu’il pourrait. Pour accomplir ce dernier devoir, il entreprit une expédition en s’éloignant de la côte, et alla attaquer une des villes lykiennes de l’intérieur ; mais son attaque fut repoussée avec perte, et il fut tué lui-même[49].

Une occasion se présenta bientôt aux Athéniens de se venger de Sparte à cause du cruel traitement qu’elle avait infligé aux prisonniers faits sur mer. Afin d’exécuter l’idée projetée au commencement de la guerre, les Lacédæmoniens envoyèrent en Perse Anéristos et deux autres en qualité d’ambassadeurs, dans le dessein de solliciter du Grand Roi des secours d’argent et de troupes contre Athènes ; les dissensions qui divisaient les Grecs devant lui frayer ainsi la route par degrés pour reconquérir sa suprématie dans la mer Ægée. Timagoras de Tegea, avec un Argien nommé Pollis, sans mission formelle de sa cité, et le Corinthien Aristeus, les accompagnaient. Comme la mer était au pouvoir d’Athènes, ils voyagèrent par terre à travers la Thrace jusqu’à l’Hellespont. Aristeus, désireux de ne rien négliger pour délivrer Potidæa, les détermina à s’adresser à Sitalkês, roi des Thraces Odrysiens. Ce prince était alors dans l’alliance d’Athènes, et son fils Sadokos avait même revu le don du droit de cité athénien. Cependant les envoyés crurent qu’il était possible, non seulement de le détacher de l’alliance d’Athènes, mais même d’obtenir de lui une armée pour agir contre les Athéniens, et faire lever le blocus de Potidæa. Sur son refus, ils lui demandèrent en dernier lieu une escorte sûre, jusqu’aux rivages de l’Hellespont, dans leur voyage vers la Perse. Mais Learchos et Ameiniadês, alors résidents athéniens près de la personne de Sitalkês, eurent assez d’influence, non seulement pour faire rejeter leurs requêtes, mais encore pour engager Sadokos, à donner un témoignage de zèle dans son nouveau caractère de citoyen athénien, en les aidant à s’emparer d’Aristeus et de ses compagnons, dans leur voyage à travers la Thrace. Conséquemment, toutes ces ‘personnes furent saisies et conduites comme prisonnières à Athènes, où elles furent mises à mort sur-le-champ, sans jugement ni permission de parler, — et leurs corps furent jetés dans des abîmes de rochers, nomme représaille pour le meurtre des marins prisonniers tués par les Lacédæmoniens[50].

Cette vengeance tirée d’Aristeus, l’instigateur de la révolte de Potidæa, délivra les Athéniens d’un ennemi dangereux ; et cette ville bloquée fut alors abandonnée à son sort. Vers le milieu de l’hiver (janvier 429, av. J.-C.), elle capitula, après un blocus de deux ans, et après avoir passé par les souffrances extrêmes de la famine, à un point tel, que quelques-uns de ceux qui moururent furent même mangés par les survivants. Malgré une détresse si intolérable, les généraux athéniens, Xénophon, fils d’Euripidês, et ses deux collègues, leur accordèrent des conditions favorables de capitulation, — ils permirent à toute la population et aux alliés Corinthiens de se retirer librement, avec une somme spécifiée d’argent par tête, aussi bien qu’avec un vêtement pour chaque homme, et deux pour chaque femme, — de sorte qu’ils trouvèrent asile dans les municipes chalkidiques du voisinage. Ces conditions étaient singulièrement favorables, à considérer l’état désespéré de la ville, qui aurait été forcée dans un très court délai de se rendre à discrétion. Mais les maux que souffrait même l’armée au dehors, par le froid de l’hiver, étaient très cruels, et les Athéniens s’étaient complètement fatigués et de la durée et des dépenses du siége. Les frais pour Athènes n’avaient pas été de moins de deux mille talents ; puisque l’armée d’attaque n’avait jamais été au-dessous de trois mille hoplites, pendant les deux années entières du siége, et que pendant une partie du temps elle avait été considérablement plus grande, — chaque hoplite recevant deux drachmes per diem. A Athènes, lorsqu’on apprit les termes de la capitulation, on fut mécontent des généraux à cause de l’indulgence qu’ils avaient montrée, — puisqu’un peu de patience de plus aurait contraint la ville à se rendre à discrétion ; auquel cas on eût été indemnisé en partie de la dépense par la vente des prisonniers comme esclaves, — et les Athéniens auraient probablement satisfait leur vengeance en mettant les guerriers à mort[51]. On envoya d’Athènes un corps de mille colons pour occuper Potidæa et son territoire vacant[52].

 

À suivre

 

 

 



[1] Thucydide, II, 47-55.

[2] Thucydide, II, 52 ; Diodore, XII, 45 ; Plutarque, Periklês, c. 34. Il est à remarquer que les Athéniens, quoique leurs personnes et leurs biens mobiliers fussent pressés dans l’intérieur des murs, n’y avaient pas fait entrer aussi leurs moutons et leur bétail, mais les avaient transportés en Eubœa et dans les îles voisines (Thucydide, II, 14). Par là ils évitèrent une sérieuse aggravation de leur épidémie ; car dans les récits des épidémies qui désolèrent Rome dans des circonstances semblables , nous trouvons l’accumulation d’une grande quantité de bétail, avec les êtres humains, spécifiée comme une terrible addition à la calamité (V. Tite-Live, III, 66 ; Denys Hal., Ant. Rom., X, 53 : cf. Niebuhr, Rœmisch. Gesch., vol. II, p. 90).

[3] Thucydide, II, 49. Hippokratês, dans sa description de la fièvre épidémique à Thasos, fait une semblable remarque sur l’absence de toute autre maladie au moment (Epidem., I, 8, vol. II, p. 640, éd. Littré).

[4] La description de Thucydide (fait observer M. Littré, dans son introduction aux œuvres d’Hippokratês, tom. I, p. 122) est tellement bonne, qu’elle suffit pleinement pour nous faire comprendre ce que cette ancienne maladie a été ; et il est fort à regretter que des médecins tels qu’Hippocrate et Galien n’aient rien écrit sur les grandes épidémies dont ils ont été les spectateurs. Hippocrate a été témoin de cette peste racontée par Thucydide, et il ne nous en a pas laissé la description. Galien vit également la fièvre éruptive qui désola le monde sous Marc-Aurèle, et qu’il appelle lui-même la grande peste. Cependant, excepté quelque mots épars dans ses volumineux ouvrages, il ne nous a rien transmis sur un événement médical aussi important ; a ce point que si nous n’avions pas le récit de Thucydide, il nous serait, fort difficile de nous faire une idée de celle qu’a vue Galien, et qui est la même (comme M. Hecker s’est attaché à le démontrer) que la maladie connue sous le nom de peste d’Athènes. C’était une fièvre éruptive, différente de la variole, et éteinte aujourd’hui. On a cru en voir les traces dans les charbons (άνθρακες) des livres hippocratiques.

Krauss (Disquisitio de naturà morbi Atheniensium, Stuttgart, 1831, p. 38) et Haeuser (Historisch-Patholog. Untersuchungen, Drésden, 1839, p. 50) assimilent tous deux les phénomènes pathologiques spécifiés par Thucydide a différentes parties des Έπιδήμιαι d’Hippokratês. M. Littré croit que la ressemblance n’est ni exacte ni précise, au point de permettre d’identifier les uns avec les antres. Le tableau si frappant qu’en a tracé ce grand historien ne se reproduit pas certainement avec une netteté suffisante dans les brefs détails donnés par Hippocrate. La maladie d’Athènes avait un type si tranché, que tous ceux qui en ont parlé ont dû le reproduire dans ses parties essentielles. (Argument au deuxième livre des Épidémies, œuvres d’Hippocrate, tom. V, p. 64). Il semble qu’il y a de bonnes raisons pour croire que la grande épidémie qui régna dans le monde romain sous Marc-Aurèle (Pestis Antoniniana) était un renouvellement de ce qu’on appelle la peste d’Athènes.

[5] Thucydide, II, 48.

Demokritos, entre autres, rattachait la génération de ces épidémies à son système général d’atomes, d’effluves atmosphériques et d’εϊδωλα : voir Plutarque, Symposiac., VIII, 9, p. 733. Demokriti Fragm., éd. Mullach, liv. IV, p. 409).

Il se peut que les causes de l’épidémie athénienne telles que les donne Diodore (XII, 58), — pluies extraordinaires, qualité aqueuse des grains, absence des vents étésiens, etc., soient vraies du retour de l’épidémie dans la cinquième année de la guerre ; mais elles ne peuvent l’être de sa première apparition, puisque Thucydide affirme qu’à d’autres égards l’année était extraordinairement saine, et que l’épidémie fut évidemment apportée au Peiræeus des pays étrangers.

[6] Thucydide, I, 22.

[7] V. les mots de Thucydide, II, 49, — ce qui semblerait indiquer qu’il était familier avec la terminologie médicale : cf. aussi son allusion aux spéculations des médecins, citées dans la note précédente, et c. 51.

Pour prouver combien, dans l’antiquité, on comprenait rarement l’importance qu’il y avait à recueillir et à consigner les faits médicaux particuliers, je transcris les observations suivantes de M. Littré (Œuvres d’Hippocrate, t. IV, p. 646. Remarques rétrospectives) :

Toutefois ce qu’il importe ici de constater, ce n’est pas qu’Hippocrate a observé de telle ou telle manière, mais c’est qu’il a eu l’idée de recueillir et de consigner, des faits particuliers. En effet, rien, dans l’antiquité, n’a été plus rare que ce soin ; outre Hippocrate, je ne connais qu’Erasistrate qui se soit occupé de relater sous cette forme les résultats de son expérience clinique. Ni Galien lui-même, ni Arétée, ni Solanus, ni les antres qui sont arrivés jusqu’à nous, n’ont suivi un aussi louable exemple. Les observations consignées dans la collection hippocratique constituent la plus grande partie, à beaucoup près, de ce ‘que l’antiquité a possédé en ce genre ; et si, en commentant le travail d’Hippocrate, on l’avait un peu imité, nous aurions des matériaux à l’aide desquels nous prendrions une idée bien plus précise de la pathologie de ces siècles reculés... Plais tout en exprimant ce regret et en reconnaissant cette utilité relative à nous autres modernes et véritablement considérable, il faut ajouter que l’antiquité avait dans les faits et la doctrine hippocratiques un aliment qui lui a suffi, — et qu’une collection — même étendue — d’histoires particulières n’aurait pas alors modifié la médecine, du moins la médecine scientifique, essentiellement et au delà de la limite que comportait la physiologie. Je pourrai montrer ailleurs que la doctrine d’Hippocrate et de l’école de Cos a été la seule solide, la seule fondée sur un aperçu vrai de la nature organisée, et que les sectes postérieures, méthodisme et pneumatisme, n’ont bâti leurs théories que sur des hypothèses sans consistance. Mais ici je me contente de remarquer que la pathologie, en tant que science, ne peut marcher qu’à la suite de la physiologie, dont elle n’est qu’une des faces ; et d’Hippocrate à Galien inclusivement, la physiologie ne fit pas assez de progrès pour rendre insuffisante la conception hippocratique. Il en résulte nécessairement que la pathologie, toujours considérée comme science, n’aurait pu, par quelque procédé que ce fût, gagner des corrections et des augmentations de détail.

[8] Cf. l’histoire de Thalêtas apaisant une épidémie à Sparte par sa musique et son chant (Plutarque, De Musicâ, p. 1146).

Quelques-uns des anciens médecins croyaient fermement à l’efficacité de ces charmes et de ces incantations. Alexandre de Tralles dit qu’après les avoir traités dans l’origine avec mépris, il s’était convaincu de leur importance par une observation personnelle, et avait changé d’opinion (IX, 4). V. une bonne et intéressante dissertation, Origines contagii, par le docteur C. P. Marx (Stuttgart, 1824, p. 129).

Hêraklês, dans les douleurs que lui cause la tunique empoisonnée, invoque le άοίδός en même temps que le χειροτέχνης ίατορίας (Sophokle, Trachin., 1005).

[9] Thucydide, II, 54.

V. aussi la première des épîtres attribuées à l’orateur Æschine relativement à un λοιμός à Dêlos.

Il parait qu’il y avait débat sur la question de savoir si, dans ce vers hexamètre, λιμός (famine) ou λοιμός (peste) était la leçon exacte ; et la probabilité est qu’il avait été composé dans l’origine avec le mot λιμός, — car on pouvait bien se figurer à l’avance que la famine serait la conséquence de la guerre dôrienne, mais il n’était pas vraisemblable qu’on imaginât la peste comme l’accompagnant. Cependant (dit Thucydide) la leçon λοιμός fut tenue incontestablement pour préférable, comme s’adaptant le mieux aux circonstances actuelles. Et si (va-t-il jusqu’à dire), il y avait jamais ci-après une autre guerre dôrienne, et une famine avec elle, l’oracle serait probablement reproduit avec le mot λιμός, comme en faisant partie.

Ceci mérite attention, comme servant à expliquer l’espèce de licence admise avec laquelle on torturait les oracles ou prophéties, de manière à rencontrer les sentiments du moment actuel.

[10] Cf. Diodore, XIV, 70, qui mentionne des maux semblables dans l’armée carthaginoise assiégeant Syracuse, pendant la terrible épidémie dont elle fut attaquée en 395 avant J.-C ; et Tite-Live, XXV, 26, relativement à l’épidémie qui sévit à Syracuse quand elle fut assiégée par Marcellus et les Romains.

[11] Thucydide, II, 53.

[12] Thucydide, II, 50. Cf. Tite-Live, XLI, 21, décrivant l’épidémie à Rome en 174 avant J.-C. Cadavera, intacta à canibus et vulturibus, tabes absumebat ; satisque constabat, nec illo, nec priore anno in tanta strage boum hominumque vulturium usquam visum.

[13] Thucydide, II, 53. D’après le langage de Thucydide, nous voyons que c’était regardé à Athènes comme extrêmement inconvenant. Cependant un passage de Plutarque semble indiquer que, de son temps, c’était très ordinaire de brûler plusieurs corps sur le même bûcher funèbre (Plutarque, Symposiac, III, 4, p. 651).

[14] La description dans le sixième livre de Lucrèce, que le poète a empruntée de Thucydide en la traduisant et en la développant, — celle de la peste de Florence en 1319, par laquelle commence le Decameron de Boccace, — et celle de Defoe dans son History of the Plague in London, — sont toutes bien connues.

[15] Carthaginienses, cum inter cetera mala etiam peste laborarent, cruentâ sacrorum religione, et scelere pro remedio, usi sunt : quippe homines ut victimas immolabant ; pacem deorum sanguine eorum exposcentes, pro quorum vitâ Dii rogari maxime solent (Justin, XVIII, 6).

Pour les faits relatifs à la peste de Milan et aux Untori, voir l’intéressante nouvelle de Manzoni, — Promessi Sposi, — et l’ouvrage historique du même auteur, — Storia della Colonna infame.

[16] Thucydide, III, 87. Diodore porte le chiffre à plus de dix mille (XII, 58) hommes libres et esclaves ensemble, ce qui doit être beaucoup au-dessous de la réalité.

[17] Thucydide, II, 54. Il ne spécifie pas quels étaient ces endroits : peut-être Chios, mais difficilement Lesbos ; autrement le fait aurait été signalé lors de la révolte de cette île.

[18] Thucydide, II, 57.

[19] Thucydide, II, 56-58.

[20] Thucydide, II, 59.

[21] Diodore, XII, 45 ; Isterap., Schol. ad Sophocle, Œdipe Colon., 689 ; Hérodote, IX.

[22] Thucydide, II, 65.

[23] Thucydide, I, 140.

[24] Thucydide, II, 60.

[25] Thucydide, II, 62.

[26] Thucydide, II, 60-64. Je donne un sommaire général de ce mémorable discours, sans présenter tout son contenu, encore moins les termes exacts.

[27] Thucydide, II, 65 ; Platon, Gorgias, p. 515, c. 71 ; Plutarque, Periklês, c. 35 ; Diodore, XII, c. 38-45. Sur Simmias, comme ennemi acharné de Periklês, V. Plutarque, Reipubl. Gerend. Prœcept., p. 805.

Plutarque et Diodore disent tous deus que Periklês fut non seulement condamne à une amende, mais encore destitué de sa charge de stratège. Thucydide mentionne l’amande, mais non la destitution ; et son silence me fait clouter complètement de la réalité du second fait. Car pour un homme tel que Periklês, un vote de destitution eût été une peine plus marquée et plus poignante que l’amende ; en outre, une destitution de charge, bien qu’elle pût être prononcée par un vote de l’assemblée publique, ne devait guère être infligée comme peine par le dikasterion.

J’imagine que les événements se sont passés comme il suit : les stratêgi, avec la plupart des officiers de la république, étaient changés ou réélus au commencement d’Hekatombæon, le premier mois de l’année attique ; c’est-à-dire à quelque moment vers la moitié de l’été. Or, l’armée péloponnésienne, qui envahit l’Attique vers le commencement de mars ou au commencement d’avril, et qui resta quarante jours, a dû quitter le pays vers la première semaine de mai. Periklês revint de son expédition du Péloponnèse peu après qu’ils eurent quitté l’Attique, c’est à dire vers le milieu de mai (Thucydide, II, 56) ; il restait donc encore un mois ou six semaines avant que sa charge de stratège expirât naturellement, et eût besoin d’être renouvelée. Ce fut pendant cet intervalle (ce que Thucydide exprime par les mots έτι δ̕ έστρατήγει, II, 59) qu’il convoqua l’assemblée et prononça la harangue mentionnée récemment.

Mais quand arriva le temps d’une nouvelle élection de stratêgi, les ennemis de Periklês s’opposèrent à sa réélection, et portèrent une accusation contre lui dans ce jugement de reddition de comptes auquel était exposé tout magistrat à Athènes, après son année de charge. Ils alléguèrent contre lui quelque méfait public par rapport aux fonds de l’État, — et le dikasterion lui infligea une amende. Sa réélection fut empêchée ainsi, et pour un homme qui avait été si souvent réélu, cela pouvait bien s’appeler en termes vagues a retrait de la charge de général, — de sorte que le langage de Plutarque et de Diodore, aussi bien que le silence de Thucydide, serait justifié sur cette supposition.

[28] Thucydide, II, 65.

[29] Plutarque, Periklês, c. 36.

[30] V. Plutarque, Démosthène, c. 27, sur la manière de venir à bout d’éluder ainsi une amende. Cf. aussi la lettre de M. Bœckh, dans Meineke, Fragm. Comic. Græcor., ad Fragm. Eupolid., II, 527.

[31] Plutarque, Periklês, c. 37.

[32] Plutarque (Periklês, c. 38) considère la maladie lente dont il souffrait comme une des formes de l’épidémie ; mais nous ne pouvons guère regarder cette opinion comme exacte, quand nous lisons le caractère très prononcé de cette dernière, tel que le décrit Thucydide.

[33] Plutarque, Periklês, c. 38.

[34] Plutarque, Periklês, c. 4, 8, 13, 16 ; Eupolis, Δήμοι, Fragm. 6, p. 459, éd. Meineke. Cicéron (De Orat., III, 34 ; Brutus, 9-11) et Quintilien (II, 16, 19 ; X, 1, 82) ne comptent que comme témoins de seconde main.

[35] Platon, Gorgias, c. 71, p. 516 ; Phædon, c. 54, p. 270. Platon, Menôn, p. 94 B.

[36] Plutarque, Periklês, c. 10-39.

[37] Plutarque, Periklês, c. 5.

[38] Plutarque, Periklês, c. 11.

Comparez c. 9, où Plutarque dit que Periklês, n’ayant pas d’autres moyens de lutter contre les abondantes largesses privées de son rival Kimôn, eut recours à l’expédient de distribuer l’argent publie entre 1&s citoyens, afin de gagner de l’influence ; agissant en cette affaire d’après l’avis de son ami Demonidês, selon l’assertion d’Aristote.

[39] Thucydide, II, 65. Cf. Plutarque, Nikias, c. 3.

Άξίωσις et άξίωμα, comme les emploie Thucydide, semblent différer en ce sens : Άξίωσις signifie la dignité d’un homme, ou ses prétentions à l’estime et à l’influence, en tant que sentie et mesurée par lui-même ; son sentiment de dignité ; Άξίωμα veut dire sa dignité, proprement appelée ainsi ; en tant que sentie et appréciée par les autres. V. I, 37, 41, 69.

[40] Bœckh, Public Economy of Athens, b. III, ch. 15, p. 399, trad. angl.

Kutzen, dans son second Appendice à son traité Periklês als Staatsmann (p. 169-200), a réuni et inséré une liste de divers caractères de Periklês, de vingt auteurs différents, Anglais, Français et Allemands. Celui de Wachsmuth est le meilleur de la collection, — bien que même il paraisse croire que Periklês est à blâmer pour avoir introduit un ensemble d’institutions que personne que lui ne pouvait faire bien fonctionner.

[41] Thucydide, II, 65 et I, 144.

[42] Hérodote (I, 170) mentionne qu’avant la conquête des douze cités ioniennes en Asie par Crésus, Thalês leur avait conseillé de se réunir toutes en un seul gouvernement municipal à Têos, et de réduire les cités existantes à de simples dêmes ou municipalités constitutives, fractionnaires. Il est à propos de faire observer qu’Hérodote accorde à cette idée un éloge sans réserve.

[43] Plutarque, Periklês, c. 17.

[44] Thucydide, II, 68.

[45] Thucydide, II, 69.

[46] Thucydide, III, 51.

[47] Thucydide, II, 67-69 ; Hérodote, VII, 137. Relativement à la course lacédæmonienne pendant la guerre du Péloponnèse, cf. Thucydide, V, 115 ; cf. aussi Xénophon, Helléniques, V, I, 29.

[48] Thucydide, II, 67.

L’amiral lacédæmonien Alkidas tua, tous les prisonniers faits à bord de bâtiments marchands, à la hauteur de la côte de l’Iônia, dans la guerre suivante (Thucydide, III, 32). Ceci même fut considéré comme extrêmement rigoureux, et excita de vives remontrances ; cependant les marins tués n’étaient pas des neutres, mais ils appartenaient aux alliés sujets d’Athènes ; de plus, Alkidas était en fuite, et obligé de faire un choix entre le meurtre des prisonniers ou leur mise en liberté.

[49] Thucydide, II, 69.

[50] Thucydide, II, 67. Le Dr Thirlwall (Hist. Greece, vol. III, ch. 20, p. 129) dit que les envoyés furent sacrifiés principalement pour colorer décemment l’infamie du meurtre d’Aristeus, de qui les Athéniens craignaient du mal dans la suite, à cause de ses capacités et de son esprit actif. Je ne pense pas que ce soit, à proprement parler, contenu dans les mots de Thucydide. Sans doute, il met au premier plan du motif athénien la crainte de l’énergie friture d’Aristeus ; ornais si cela avait été le seul motif, les Athéniens probablement l’auraient tué seul sans les autres ; ils n’auraient guère jugé nécessaire de donner à cet acte une couleur décente de la manière que suggère le Dr Thirlwall. Thucydide désigne le sentiment spécial des Athéniens contre Aristeus (à mon avis), surtout afin d’expliquer la précipitation avec laquelle ils exécutèrent la sentence de mort ; ils étaient sous l’influence de motifs combinés, — crainte, vengeance, représaille. Les ambassadeurs tués ici étaient fils de Sperthiês et de Bulis, les anciens hérauts spartiates qui s’étaient rendus auprès de Xerxès, à Suse, pour offrir leurs têtes en expiation de la conduite antérieure des Spartiates dans le meurtre des hérauts de Darius. Xerxês les renvoya sans leur faire de mal, — de sorte que la colère de Talthybios (le premier père héroïque de la famille des hérauts à Sparte) resta encore sans satisfaction ; elle ne fut satisfaite que par la mort de leurs deux fils tués alors par les Athéniens. Le fait que les deux personnes tuées à ce moment étaient fils de ces deux hérauts (Sperthiês et Bulis) qui étaient allés antérieurement à Suse offrir leurs têtes, — est traité de coïncidence romanesque et tragique. Mais il n’y a assurément guère lieu de s’en étonner. Les fonctions de héraut à Sparte étaient le privilège d’une gens ou famille particulière ; chaque héraut donc était ex officio le fils d’un héraut. Or, quand les Lacédæmoniens, au commencement de cette guerre péloponnésienne, cherchèrent deux membres de la Gens Héraldique pour les envoyer à Suse, sur qui devaient-ils naturellement fixer leur choix, si ce n’est sur le fils de ces deux hommes qui étaient allés à Suse auparavant ? Ces fils en avaient sans doute beaucoup entendu parler par leurs pères, — probablement avec intérêt et satisfaction, puisqu’ils tiraient une grande gloire de l’offre non acceptée de leur vie comme expiation. Il y avait une raison particulière pour laquelle ces deux hommes devaient être choisis, de préférence à tous les autres hérauts, pour remplir cette dangereuse mission ; et sans doute, quand ils y périrent, l’imagination religieuse des Lacédæmoniens groupa toute la série des événements comme l’accomplissement infligé par Talthybios dans sa colère (Hérodote, VII, 135).

Il parait qu’Anêristos, le héraut tué ici, s’était distingué personnellement dans cette capture de bateaux pêcheurs sur la côté du Péloponnèse par les Lacédæmoniens, acte pour lequel les Athéniens usaient alors de représailles (Hérodote, VII, 137). Bien que ce passage d’Hérodote ne soit pas clair, cependant le sens donné ici est le seul naturel, — et il est plus clair (à mon avis) que celui que O. Müller proposait à sa place (Dorians, II, p. 437).

[51] Thucydide, II, 70 ; III, 17. Cependant, le mécontentement des Athéniens à l’égard des commandants ne peut pas avoir été bien sérieux, puisque Xénophon fut sommé pour commander contre les Chalkidiens l’année suivante.

[52] Diodore, XII, 46.