HISTOIRE DE LA GRÈCE

HUITIÈME VOLUME

CHAPITRE III — DEPUIS LE COMMENCEMENT DE LA SECONDE ANNÉE JUSQU’À LA FIN DE LA TROISIÈME ANNÉE DE LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE (suite).

 

 

Deux années pleines s’étaient déjà écoulées (429 av. J.-C.) depuis le commencement réel de la guerre par l’attaque de Platée par les Thêbains. Cependant les Péloponnésiens n’avaient rien accompli de ce qu’ils avaient espéré. Ils n’avaient pas délivré Potidæa, et leur invasion renouvelée deux fois, bien qu’aidée par les désastres inattendus résultant de l’épidémie, n’avaient pas encore non plus réduit Athènes à un abaissement suffisant, quoiqu’il se puisse que les ambassadeurs qu’elle avait envoyés pendant l’été précédent avec des propositions de paix (contrairement à l’avis de Periklês) aient produit l’impression qu’elle ne pouvait plus tenir longtemps. En même temps, les Péloponnésiens, de leur côté, n’avaient souffert que peu de dommage, puisque les ravages infligés par la flotte athénienne sur leurs côtes peuvent avoir été presque compensés par le butin que fit en Attique leur armée d’invasion. Probablement, vers cette époque, l’opinion publique en Grèce s’était malheureusement familiarisée avec l’état de guerre, de sorte que rien, si ce n’est des pertes et une humiliation décisives, d’un côté du moins, sinon des deux, ne suffisait pour la terminer. Dans ce troisième printemps, les Péloponnésiens ne renouvelèrent pas leur marche annuelle en Attique, — détournés en partie, nous pouvons le supposer, par la crainte de l’épidémie qui y exerçait encore ses ravages, — mais plus encore par l’ardent désir qu’avaient les Thêbains de prendre leur revanche sur Platée.

C’est contre cette malheureuse cité qu’Archidamos marche sur-le-champ à la tête de l’armée confédérée. Il ne fut pas plus tôt entré dans le territoire qu’il commençait à ravager, que les hérauts platæens s’avancèrent pour arrêter son bras, et l’accostèrent dans les termes suivants: — Archidamos, et vous, hommes de Lacédæmone, vous agissez mal et d’une manière indigne de vous-mêmes et de vos pères, en envahissant ainsi le territoire de Platée. Car le Lacédæmonien Pausanias, fils de Kleombrotos, après avoir délivré la Grèce des Perses, conjointement avec ces Grecs qui se mettaient en avant pour avoir leur part du danger, offrit un sacrifice à Zeus Eleutherios, dans la place du marché à Platée ; et là, en présence de tous les alliés, il assigna aux Platæens leur ville et leur territoire à tenir en autonomie complète, pour que personne ne les envahît injustement ou en vue de les asservir : si sine telle invasion venait à se faire, les alliés présents s’engageaient à s’avancer avec toutes leurs forces comme protecteurs. Voilà le don que nous firent vos pères en considération de notre valeur et de notre zèle dans cette périlleuse conjoncture : et vous, vous faites aujourd’hui précisément le contraire ; vous venez avec les Thêbains ; nos plus cruels ennemis, pour nous asservir. Pour nous, de notre côté, nous vous adjurons, en prenant à témoin les dieux qui ont sanctionné ce serment, aussi bien que les dieux de vos pères et ceux de notre patrie, de ne pas violer le serment en causant du dommage au territoire platæen, mais de nous laisser vivre dans cette autonomie que nous garantissait Pausanias[1].

A ces mots, Archidamos répondit : Vous parlez avec justice, hommes de Platée, si votre conduite est en harmonie avec vos paroles. Demeurez autonomes vous-mêmes, comme Pausanias vous l’a accordé, et aidez-nous à délivrer ces autres Grecs qui, après avoir partagé les mêmes dangers et prononcé le même serment que vous, ont été alors asservis par les Athéniens. C’est pour leur délivrance et pour celle des autres Grecs qu’a été fait ce formidable armement de guerre. Conformément à vos serments, vous devez en toute justice, et nous vous y invitons maintenant, prendre une part active à cet objet. Mais si vous ne pouvez pas agir ainsi, du moins restez tranquilles, conformément aux avertissements que nous vous  avons déjà envoyés. Jouissez de votre propre territoire, et demeurez neutres,recevez les deux parties comme amies, mais ni l’une ni l’autre dans des desseins de guerre. Voilà ce dont nous nous contenterons.

La réponse d’Archidamos révèle par allusion une circonstance que l’historien n’avait pas encore mentionnée directement ; à savoir, que les Lacédæmoniens avaient formellement sommé les Platæens de renoncer à leur alliance avec Athènes, et de rester neutres. A quel moment se place ce fait[2], c’est ce que nous ignorons ; mais il marque le sentiment particulier qui s’attachait à la ville. Mais les Platæens ne se conformèrent pas à l’invitation ainsi répétée. Les hérauts, après être retournés dans la ville pour prendre des instructions, rapportèrent pour réponse que les Platæens ne pouvaient faire ce qui était demandé, sans le consentement des Athéniens, puisque leurs épouses et leurs familles étaient maintenant réfugiés à Athènes : en outre, que s’ils se déclaraient neutres, et admettaient les deux parties comme amies, les Thêbains pourraient tenter encore de surprendre leur ville. Pour répondre à ces scrupules, Archidamos leur parla de nouveau : Eh bien ! alors,livrez-nous votre ville et vos maisons à nous autres Lacédæmoniens ; montrez-nous les limites de votre territoire ; spécifiez le nombre de vos arbre ; à fruits, et de toutes vos autres propriétés qui peuvent être comptées ; et puis retirez-vous où vous voudrez, aussi longtemps que durera la guerre. Aussitôt qu’elle sera terminée, nous vous rendrons tout ce que nous aurons reçu,dans l’intervalle, nous le tiendrons en dépôt, et en état de culture, et nous vous payerons une redevance proportionnée à vos besoins[3].

La proposition faite alors était si belle et si tentante que le, corps général des Platæens inclina d’abord à l’accepter, pourvu que les Athéniens voulussent y acquiescer. Ils obtinrent d’Archidamos une trêve assez longue pour pouvoir envoyer des ambassadeurs à Athènes. Après en avoir donné communication à l’assemblée athénienne, les ambassadeurs retournèrent à Platée, portant la réponse suivante : Hommes de Platée, les Athéniens disent qu’ils n’ont jamais souffert qu’on vous fit injure depuis que l’alliance a commencé pour la première fois,et ils ne vous trahiront pas maintenant, mais ils vous aideront du mieux qu’il leur sera possible. Et ils vous adjurent, par les serments que leur ont faits vos pères, de n’abandonner leur alliance en aucune manière.

Ce message réveilla dans le cœur des Platæens leur sentiment ancien et tenace dans toute sa force. Ils résolurent de maintenir à tout prix, et même jusqu’à leur dernière ruine, s’il le fallait, leur alliance avec Athènes. Il était, en effet, impossible qu’ils pussent faire autrement (si l’on considère la position de leurs épouses et de leurs familles) sans le consentement des Athéniens. Bien que nous puissions nous étonner que ces derniers le refusassent, nous pouvons cependant faire remarquer que, clans leur situation, un allié parfaitement généreux aurait bien pu l’accorder. Car les troupes de Platée comptaient pour peu de chose comme partie de la force collective d’Athènes ; et il n’était pas possible que les Athéniens la protégeassent contre les troupes de terre supérieures de leurs ennemis. Dans le fait, le tenter présentait si peu de chances de succès qu’ils ne l’essayèrent même jamais, pendant toute la durée du long blocus qui suivit.

Le refus définitif des Platæens fut annoncé à Archidamos de vive voix du haut des remparts, puisqu’on ne jugeait pas sûr de faire sortir aucun messager. Aussitôt que le prince spartiate entendit la réponse, il se prépara pour commencer les opérations du siège, — apparemment avec une répugnance très sincère, attestée dans l’invocation suivante, qu’il prononça avec force :

Vous, dieux et héros, qui possédez le territoire platæen, soyez-moi témoins que dans le premier moment,ni avant que ces Platæens eussent renoncé à ces serments qui nous lient tous,nous n’avons pas envahi injustement ce territoire, dans lequel nos pères défirent les Perses après vous avoir priés, et que vous avez accordé aux Grecs comme étant avantageux pour combattre ; et que nous ne serons pas injustes dans,ce que nous pourrons faire ultérieurement, car nous nous sommes efforcés d’offrir des conditions raisonnables, mais sans succès. Aussi permettez que ceux qui commettent les premiers l’injustice en reçoivent la punition, et que ceux qui s’appliquent à infliger le châtiment selon le droit, réussissent dans leur projet.

Ce fut ainsi qu’Archidamos, dans des paroles prononcées probablement au pied des murs, et que pouvaient entendre les citoyens dont ils étaient garnis, tâcha de se concilier les dieux et les héros de cette ville, qu’il était sur le point de ruiner et de dépeupler. L’ensemble de ce débat préliminaire[4], présenté par Thucydide d’une manière si frappante et si dramatique, explique la respectueuse répugnance avec laquelle les Lacédæmoniens se décidèrent d’abord à attaquer ce théâtre de la gloire de leurs pères. Ce qui mérite d’être remarqué, c’est que leur sentiment direct s’attache non à tout le peuple platæen, mais seulement au territoire platæen. Il est purement local, bien que, par une association d’idées secondaire, il finisse par être transporté en partie au peuple, comme occupant cet endroit. Nous voyons en effet que rien, si ce n’est l’antipathie ancienne et prolongée des Thébains, n’engagea Archidamos à se charger de l’entreprise ; car la conquête de Platée n’était d’aucune utilité à l’égard des objets principaux de la guerre, bien que la situation exposée de la ville fit qu’elle fût écrasée entre les deux grandes forces rivales de la Grèce.

Archidamos commença alors le siège sans différer, plein de l’espoir que sa nombreuse armée, composée des forces entières de la confédération péloponnésienne, prendrait bientôt la place, de médiocre grandeur et probablement assez mal fortifiée, — défendue toutefois par une garnison résolue de quatre cents citoyens indigènes, avec quatre-vingts Athéniens[5]. Il n’y avait personne autre dans la ville, si ce n’est cent dix femmes esclaves pour cuisiner. Les arbres à fruits, qu’on avait coupés en dévastant les terres cultivées, suffirent pour former une forte palissade tout à l’entour de la ville, de manière à enfermer complètement les habitants. Ensuite, Archidamos, qui avait sous la main du bois en abondance dans les forêts du Kithærôn, se mit en devoir d’élever un rempart contre une portion du mur de la ville, de manière à pouvoir l’escalader par un plan incliné et à prendre ainsi la place d’assaut. Bois, pierres et terre furent empilés en un vaste monceau, — des palissades transversales de bois étant menées de chaque côté de ce rempart en lignes parallèles à angles droits avec le mur de la ville, en vue de maintenir la masse peu compacte des matériaux. Ce travail occupa l’armée pendant soixante-dix jours et autant de nuits, sans aucune interruption ; les soldats se remplaçant tour à tour pour prendre de la nourriture et du repos ; et grâce à cette incessante assiduité, le rempart s’éleva presque à la hauteur du mur de la ville. Rais à mesure qu’il montait graduellement, les Platæens n’étaient pas inactifs de leur côté : ils construisirent en plus un mur de bois, qu’ils établirent sur le sommet de leurs propres murailles, de manière à élever la partie en contact avec le rempart de l’ennemi ; ils le soutinrent par derrière au moyen d’un briquetage dont les maisons voisines fournissaient les matériaux. On suspendit par-devant des cuirs, bruts aussi bien que préparés, afin de protéger les travailleurs contre les traits, et le, boisage contre les flèches armées de feu[6]. Et comme les assiégeants continuaient encore à entasser des matériaux, pour élever leur rempart à la hauteur même de l’addition récente, les Platæens les déjouèrent en faisant un trou dans la partie inférieure de leur propre mur et en y attirant la terre de la partie inférieure du rempart, qui s’affaissa alors par en haut et laissa un espace vacant près du mur. Les assiégeants remplirent cet espace en faisant descendre des quantités d’argile dure enroulée dans des roseaux tressés, qui ne pouvaient être emportées de la même manière. De nouveau, les Platæens creusèrent un passage souterrain de l’intérieur de leur ville jusqu’au terrain placé immédiatement sous le rempart et enlevèrent ainsi sans être vus la terre qui lui servait de fondement, de sorte que les assiégeants virent leur rempart s’affaisser continuellement, malgré de nouvelles additions faites en haut, — sans toutefois en savoir la raison. Néanmoins, il était évident que ces stratagèmes finiraient par être inefficaces, et en conséquence, les Platæens construisirent un nouveau mur intérieur, en forme de croissant, qui partait de l’ancien mur de chaque côté du rempart ennemi. Les assiégés se virent alors privés de tout l’avantage du rempart, en admettant qu’il fût achevé complètement ; puisque, quand ils l’eurent dépassé, il y avait devant eux un nouveau mur qu’il était nécessaire d’emporter clé la même manière.

Et ce ne fut pas la seule méthode d’attaque employée. Archidamos fit, en outre, dresser en haut des machines de siège, dont l’une ébranla beaucoup et compromit la hauteur additionnelle de muraille construite par les Platæens contre le rempart ; tandis qu’on en amena d’autres sur différentes parties de l’enceinte du mur. Contre ces nouveaux assaillants, on employa divers moyens de défense. Les défenseurs du haut des murs jetaient en bas de grosses cordes, saisissaient la tête de la machine qui approchait, et la tiraient avec une grande forcé hors de la ligne droite, soit en haut, soit de côté ; ou bien ils préparaient sur le mur de lourds madriers, chacun d’eux attaché aux deux extrémités par de longues chaînes de fer à deux poutres s’avançant en dehors à angles droits avec le mur ; au moyen de ces poutres, le madrier était levé et tenu en l’air, de sorte qu’au moment convenable, quand la machine de siège approchait du mur, on lâchait tout à coup la chaîne, et le madrier tombait avec une grande violence directement sur l’engin et en brisait la tête avancée[7]. Quelque grossiers que puissent paraître ces procédés défensifs, ils se trouvèrent efficaces contre les assiégeants, qui se virent, au bout de trois mois d’efforts inutiles, obligés de renoncer à l’idée de prendre la ville par aucun autre moyen que par celui d’un blocus et de la famine, — moyen à la fois ennuyeux et coûteux[8].

Toutefois, avant de se soumettre à une telle gêne, ils eurent recours à un autre stratagème, — celui d’essayer d’incendier la ville. Du haut de leur rempart, ils jetèrent des quantités considérables de fascines, en partie dans l’espace entre le rempart et le mur en croissant nouvellement construit, — en partie, aussi loin qu’ils purent atteindre, dans d’autres quartiers de la ville ; on lança ensuite de la poix et d’autres matières combustibles, et toute la masse prit feu. L’incendie fut terrible, et tel qu’on n’en avait jamais vu auparavant de pareil : une grande partie de la ville devint inabordable, et elle échappa de bien peu tout entière à la destruction. Rien n’aurait pu la sauver, si le vent avait été plus favorable. On raconta en effet ultérieurement qu’un orage vint à propos éteindre les flammes, ce que Thucydide ne semble pas croire[9]. Malgré un grand dommage partiel, la ville demeura encore défendable et l’ardeur des habitants non réduite.

Il ne resta alors pas d’autre ressource que de construire un mur de circonvallation autour de Platée et de compter sur l’action lente de la famine. La tâche fut répartie en fractions proportionnées entre les diverses cités confédérées, et achevée vers le milieu de septembre, un peu avant l’équinoxe d’automne[10]. On construisit deux murs distincts, avec seize pieds d’un espace intermédiaire tout couvert, de sorte qu’ils ressemblaient à un seul mur très épais. Il y eut en outre deux fossés, d’où l’on avait tiré les briques pour le mur, l’un à l’intérieur, du côté de Platée, et l’autre à l’extérieur, contre toute armée étrangère qui viendrait au secours de la ville. L’espace couvert intérieur entre les murs était destiné à servir de quartiers permanents pour les troupes laissées à la garde de la ville, consistant par moitié en Bœôtiens et en Péloponnésiens[11].

Dans le même temps où Archidamos commençait le siège de Platée, les Athéniens de leur côté envoyèrent une armée de deux mille hoplites et de deux cents cavaliers à la péninsule chalkidique, sous Xénophon, fils d’Euripidês (avec deux collègues), le même qui avait accordé si récemment la capitulation de Potidæa. Il était nécessaire sans doute de transporter et d’établir les nouveaux coloris qui étaient sur le point d’occuper l’emplacement abandonné de Potidæa. De plus, le général avait acquis quelque connaissance de la position et des partis des villes chalkidiques, et il espérait être en état d’agir contre eux avec effet. Il commença par envahir le territoire appartenant à la ville bottiæenne de Spartôlos, non sans espérer que la ville elle-même lui serait livrée au moyen d’intelligences qu’il avait à l’intérieur. Mais cet espoir fut trompé par l’arrivée de troupes additionnelles venues d’Olynthos, composées en partie d’hoplites, en partie de peltastes. Ces peltastes, sorte de troupes tenant le milieu entre les soldats pesamment armés, et les soldats armés k la légère, portant une peltê (ou bouclier léger) et une courte lance ou javeline, semblent avoir paru pour la première fois chez ces Grecs chalkidiques, en ce qu’ils avaient un équipement moitié grec et moitié thrace ; nous les trouverons ci-après très perfectionnés et employés avec avantage par, quelques-uns des plus habiles généraux grecs. Les hoplites chalkidiques sont en général de qualité inférieure ; d’autre part, leur cavalerie et leurs peltastes sont très bons. Dans l’action qui s’engagea alors sous les murs de Spartôlos, les hoplites athéniens défirent ceux de l’ennemi ; mais leur cavalerie et leurs troupes légères furent complètement battues par celles des Chalkidiens. Ces dernières, renforcées encore par l’arrivée de nouveaux peltastes d’Olynthos, se hasardèrent même à attaquer les hoplites athéniens, qui jugèrent prudent de se replier sur les deux compagnies laissées en réserve pour garder les bagages. Pendant cette retraite, ils furent harcelés par la cavalerie et par les troupes légères chalkidiques, qui se retiraient quand les Athéniens faisaient volte-face, mais qui les attaquaient de tous les côtés dans leur marche, et faisaient usage de traits d’une manière si efficace que les hoplites en se retirant ne purent plus conserver un ordre ferme, mais se mirent à fuir et cherchèrent un refuge à Potidæa. Quatre cent trente hoplites, presque un quart de toute l’armée, avec leurs trois généraux, périrent dans cette défaite, tandis que l’expédition retourna déshonorée à Athènes[12].

Dans les parties occidentales de la Grèce, les armes d’Athènes et de ses alliés furent plus heureuses. Les Ambrakiotes, exaspérés d’avoir été repoussés d’Argos d’Amphilochia, l’année précédente, avaient été amenés à concevoir des plans nouveaux et plus étendus d’attaque contre et les Akarnaniens et les Athéniens. De concert avec Corinthe leur métropole, où ils obtinrent un chaleureux appui, ils déterminèrent les Lacédæmoniens à prendre part à une attaque simultanée de l’Akarnania,par terre aussi bien que par mer, qui empêcherait les Akarnaniens de concentrer leurs forces sur un seul point quelconque, et réduirait chacun de leurs municipes à la nécessité de se défendre isolément ; de sorte qu’on pourrait les accabler tous successivement, et les détacher, avec Kephallenia et Zakvnthos (Zante), de l’alliance athénienne. On regardait la flotte de Phormiôn à Naupaktos, composée seulement de vingt trirèmes, comme hors d’état de tenir tête à une flotte péloponnésienne telle que celle qu’on pouvait armer à Corinthe. On eut même quelque espoir que l’importante station à Naupaktos pourrait être prise elle-même, de manière à chasser complètement les Athéniens de ces parages.

Le plan d’opérations projetées alors était beaucoup plus compréhensif que tout ce que la guerre avait encore présenté. Les forces de terre des Ambrakiotes, avec leurs voisins et leurs compagnons de colonie,. les Leukadiens et les Anaktoriens, se réunirent près de leur propre ville ; tandis que leurs forces navales se rassemblèrent à Leukas, sur la côte Akarnanienne. L’armée à Ambrakia fut rejointe non seulement par Knêmos, l’amiral lacédæmonien, avec mille hoplites péloponnésiens, qui trouvèrent moyen de venir du Péloponnèse, en trompant la vigilance de Phormiôn, — mais aussi par un corps nombreux d’auxiliaires épirotiques et macédoniens, réuni même dans les tribus éloignées et les plus septentrionales. Mille Chaoniens furent présents, sous le commandement de Photyoset de Nikanor, deux chefs annuels choisis dans la gens royale. Ni cette tribu, ni les Thesprotiens qui vinrent avec eux, ne reconnaissaient de roi héréditaire. Les Molosses et les Atintanes, qui rejoignirent également l’armée, étaient sous les ordres de Sabylinthos, régent au nom du jeune prince Tharypas. Il vint en outre les Parauæi, des rives du fleuve Aôos, sous leur roi Orœdos, avec mille Orestæ, tribu plutôt macédonienne qu’épirotique, envoyée par leur roi Antiochos. Même le roi Perdikkas, quoiqu’il fût de nom allié d’Athènes, envoya mille de ses sujets macédoniens, qui cependant arrivèrent trop tard pour être d’aucune utilité[13]. Ce corps considérable d’envahisseurs épirotiques, composé d’éléments divers, phénomène nouveau dans l’histoire grecque, et réuni sans doute par l’espoir du pillage, prouve les relations étendues des tribus de l’intérieur avec la cité d’Ambrakia, — cité destinée à devenir plus tard la capitale du roi des Épirotes, Pyrrhus.

Il avait été convenu que la flotte péloponnésienne de Corinthe rejoindrait celle qui était déjà réunie à Leukas, et qu’elle agirait sur la côte d’Akarnania en même temps que l’armée de terre entrerait dans ce territoire. Mais Knêmos, trouvant l’armée de terre rassemblée et prête dans les environs d’Ambrakia, jugea inutile d’attendre la flotte de Corinthe, et il entra en Akarnania, par Limnæa, territoire d’un village sur la frontière, appartenant à Argos d’Amphilochia. Il dirigea sa marche sur Stratos, — ville intérieure, capitale de l’Akarnania, — dont la prise devait entraîner probablement avec elle la reddition du reste ; d’autant plus que les Akarnaniens, troublés par la présence des vaisseaux à Leukas, et alarmés par le corps considérable d’envahisseurs qui étaient sur leur frontière, n’osaient pas laisser leurs propres demeures dispersées, de sorte que la ville de Stratos était abandonnée complètement à ses propres citoyens. Et Phormiôn, bien qu’ils lui eussent envoyé un pressant message, n’était nullement en état de les secourir ; puisqu’il ne pouvait laisser Naupaktos non gardée, quand on savait que la grande flotte de Corinthe approchait. Dans de telles circonstances, Knêmos et son armée se livrèrent au confiant espoir d’accabler Stratos sans difficulté. Ils marchèrent en trois divisions : les Épirotes au centre, — les Leukadiens et les Anaktoriens à droite, — les Péloponnésiens et les Ambrakiotes, avec Knêmos lui-même, à gauche. On s’attendait si peu à trouver de résistance, que ces trois divisions ne prirent pas la peine de rester rapprochées, ni même en vue l’une de l’antre. Les deux divisions grecques, il est vrai, conservèrent un bon ordre de marche, et se faisaient accompagner d’habiles éclaireurs qui observaient le terrain ; mais les Épirotes avancèrent sans soin ni ordre ; en particulier les Chaoniens, qui formaient l’avant-garde. Ces hommes, regardés comme les plus belliqueux de toutes les tribus épirotiques, étaient tellement remplis de suffisance et de témérité, que, quand ils approchèrent de Stratos, ils ne voulurent pas s’arrêter pour camper et attaquer la ville conjointement avec les Grecs ; mais ils marchèrent avec les autres Épirotes tout droit sur la ville, décidés à l’attaquer seuls, et comptant l’emporter au premier assaut avant l’arrivée des Grecs, de sorte que toute la gloire serait pour eux. Les Stratiens remarquèrent cette imprudence et en profitèrent. Ils établirent des embuscades dans des endroits convenables, laissèrent les Épirotes approcher des portes sans soupçon ; puis ils firent une sortie soudaine et les attaquèrent ; de leur côté, les troupes sortirent de leur embuscade et les assaillirent en même temps. Les Chaoniens qui formaient l’avant-garde, surpris ainsi complètement, furent mis en déroute et beaucoup furent massacrés ; tandis que les autres Épirotes s’enfuirent, après n’avoir fait que peu de résistance. Ils avaient tellement devancé leurs alliés grecs, que ni la division de droite ni celle de gauche ne connaissait la bataille, avant que les barbares en fuite ; vivement poursuivis par les Akarnaniens, la leur eussent apprise. Alors les deux divisions se réunirent, protégèrent les fugitifs, et arrêtèrent toute nouvelle poursuite, — les Stratiens évitant d’en venir aux mains avec elles avant l’arrivée des autres Akarnaniens. Toutefois ils tourmentèrent sérieusement les forces de Knêmos ; en frondant à distance, exercice dans lequel les Akarnaniens avaient une habileté supérieure. Knêmos ne se soucia pas de persévérer clans son attaque au milieu de circonstances aussi décourageantes. Aussitôt que la nuit fut arrivée, ce qui faisait qu’il n’y avait plus rien à craindre des frondeurs, il se retira sur le fleuve Anapos, à une distance de neuf à dix milles (14 kil. 500 m., - 16 kil). Sachant bien que la nouvelle de la victoire attirerait immédiatement d’autres forces akarnaniennes à l’aide de Stratos, il profita de l’arrivée de ses propres alliés akarnaniens d’Œniadæ (la seule ville du pays qui fût attachée à l’intérêt lacédæmonien) et chercha un abri près de leur ville. De là ses troupes se dispersèrent et retournèrent dans leurs patries respectives[14].

Pendant ce temps-là, la flotte péloponnésienne de Corinthe, qui avait été destinée à coopérer avec Knêmos à la hauteur de l’Akarnania, avait trouvé dans son passage des difficultés également inattendues et insurmontables. Réunissant quarante-sept trirèmes de Corinthe, de Sikyôn et d’autres villes, avec un corps de soldats à bord et des bâtiments pour les provisions qui l’accompagnaient, — elle partit du port de Corinthe et s’avança le long de la côte septentrionale de l’Achaïa. Les chefs, qui n’avaient pas l’intention d’avoir affaire à Phormiôn et à ses vingt vaisseaux à Naupaktos, n’imaginèrent jamais qu’il se hasarderait à attaquer un nombre tellement supérieur. En conséquence, les trirèmes furent disposées plutôt comme transport pour des soldats nombreux qu’en vue d’un combat naval, — et avec peu d’attention apportée au choix de rameurs habiles[15].

Excepté dans le combat près de Korkyra, et là seulement en partie, — les Péloponnésiens n’avaient jamais encore fait une épreuve réelle de la puissance maritime athénienne, au point d’excellence qu’elle avait atteint. Conservant eux-mêmes l’ancien mode non perfectionné de combattre et de manœuvrer les vaisseaux sur mer, ils n’avaient aucune idée pratique du degré auquel il avait été remplacé par l’éducation athénienne. Chez les Athéniens, au contraire, non seulement les marins en général avaient un sentiment invétéré de leur propre supériorité, — mais Phormiôn en particulier, le plus capable de tous leurs capitaines, familiarisait toujours ses hommes avec la conviction qu’il n’était pas possible qu’aucune flotte péloponnésienne, quelque considérable qu’elle fût, pût combattre contre eux avec succès[16]. Conséquemment les amiraux corinthiens, Machaôn et ses deux collègues, furent surpris de voir que Phormiôn avec sa petite escadre athénienne, au lieu de rester en sûreté à Naupaktos, s’avançait en ligne parallèle avec eux et guettait leurs progrès jusqu’à ce qu’ils fussent sortis du golfe de Corinthe pour entrer dans une mer plus ouverte. Après s’être avancés le long de la côte septentrionale du Péloponnèse, jusqu’à Patræ, en Achaïa, ils changèrent alors leur course et se portèrent au nord-ouest, afin de se rendre vers la côte étolienne, dans leur marche vers l’Akarnania. Toutefois, en faisant ce mouvement, ils s’aperçurent que Phormiôn courait sur eux de Chalkis et de l’embouchure du fleuve Euênos ; et alors ils découvrirent pour la première fois qu’il se disposait à les attaquer. Déconcertés par l’incident, et peu portés à un combat naval dans la mer large et ouverte, ils modifièrent leur plan de passage, retournèrent à la côte du Péloponnèse et mirent en panne pour la nuit à quelque point voisin de Rhion, endroit où le détroit est le plus resserré. Leur mise en panne n’était qu’une feinte destinée à tromper Phormiôn et à l’engager à retourner pour la nuit à sa propre côte ; en effet, dans le courant de la nuit ils quittèrent leur station et essayèrent de traverser la largeur du golfe, là où il était voisin du détroit et relativement resserré, avant que Phormiôn pût courir sur eux. Et si le capitaine athénien fût réellement retourné pour faire une station de nuit sur sa propre côte, ils auraient probablement gagné la côte ætolienne ou septentrionale sans être aucunement molestés en pleine -mer. Mais il guetta leurs mouvements de près, tint la mer toute la nuit, et fut ainsi en mesure de les attaquer au milieu du canal, même pendant le court passage près du détroit, aux premières lueurs du matin[17]. En le voyant approcher, les amiraux corinthiens rangèrent leurs trirèmes en cercle avec les proues en dehors, — comme les rayons d’une roue. Le cercle fut fait aussi large qu’il pouvait l’être sans laisser aux navires agresseurs athéniens l’occasion de pratiquer la manœuvre du diekplous[18], et l’espace intérieur était suffisant non seulement pour les navires de provisions, mais encore pour cinq trirèmes d’élite, qui étaient tenues comme réserve pour se lancer au besoin par les intervalles laissés entre les trirèmes extérieures.

C’est dans cette position qu’ils furent trouvés et attaqués peu après l’aurore par Phormiôn, qui courut sur eux avec ses vaisseaux en une seule file, tous admirables voiliers, et son propre vaisseau en tête ; à tous il était rigoureusement défendu d’attaquer avant qu’il donnât le signal. Il rama rapidement autour du cercle péloponnésien, approchant des proues de leurs vaisseaux aussi près que possible, et faisant constamment semblant d’être sur le point d’en venir aux mains. En partie par l’intimidation que causa cette manœuvre, tout à fait nouvelle pour les Péloponnésiens, — en partie par la difficulté naturelle, que connaissait bien Phormiôn, de conserver chaque vaisseau dans la position exacte qu’il occupait, — l’ordre du cercle, tant en dedans qu’en dehors, ne tarda pas à être dérangé. Il ne s’écoula pas beaucoup de temps avant qu’un nouvel allié vint à sors aide, allié sur lequel il comptait, en différant son attaque réelle jusqu’à ce que cet incident favorable se présentât. La forte brise de terre venant du golfe de Corinthe, qui avait coutume de s’élever peu après l’aurore, s’abattit sur la flotte péloponnésienne avec sa violence ordinaire, à un moment où déjà fléchissait un peu la fermeté de son ordre, et écarta plus que jamais ses vaisseaux de leur position convenable qu’ils occupaient l’un auprès de l’autre. Les trirèmes commencèrent à s’aborder, ou s’enchevêtrèrent dans les transports de provisions ; de sorte que dams chaque vaisseau les hommes du bord étaient obligés de repousser leurs voisins de chaque côté avec des gaffes, — non sans de grands cris et de mutuels reproches, qui empêchaient à la fois d’entendre les ordres du capitaine et la voix ou le chant qu’employait le keleustês pour encourager les rameurs et les maintenir en mesure. De plus, la brise fraîche avait occasionné sine telle houle, que ces rameurs, inhabiles dans toute circonstance, ne pouvaient dégager leurs rames de l’eau, et les pilotes perdaient ainsi tout empire sur leurs vaisseaux[19]. Le moment critique était venu alors, et Phormiôn donna le signal de l’attaque. Il commença par se jeter sur un des vaisseaux de l’amiral et le désempara, — ensuite ses camarades en attaquèrent d’autres avec un égal succès, — de sorte que les Péloponnésiens, confondus et terrifiés, n’essayèrent guère de résister, mais rompirent leur ordre et cherchèrent leur salut dans la fuite. Ils se réfugièrent en partie à Patræ, en partie à Dymê, en Achaïa, poursuivis par les Athéniens qui, après avoir à peine perdu un homme, prirent douze trirèmes,-enlevèrent presque tous les équipages, — et firent voile avec eux jusqu’à Molykreion ou Antirrhion, le cap septentrional situé à l’entrée étroite du golfe corinthien, en face du cap correspondant appelé Rhion, en Achaïa. Après avoir érigé à Antirrhion un trophée pour la victoire, en consacrant à Poseidôn une des trirèmes prises, ils retournèrent à Naupaktos, tandis que les vaisseaux Péloponnésiens longèrent la côte depuis Patræ jusqu’à Kyllênê, le principal port dans le territoire de l’Elis. Ils y furent bientôt après rejoints par Knêmos, qui passait avec son escadre en revenant de Leukas[20].

Ces deux incidents que nous venons de raconter, ainsi que leurs détails, — l’échec de Knêmos et de son armée devant Stratos, et la défaite de la flotte péloponnésienne par Phormiôn, — donnent lieu à quelques remarques intéressantes. Le premier des deux montre la grande infériorité des Épirotes comparés aux Grecs, et même à la portion des Grecs la moins avancée, — sous le rapport des qualités de l’ordre, de la discipline, de la fermeté et du pouvoir de coopérer polir un dessein combiné. La confiance du succès est poussée chez eux jusqu’à une témérité puérile, de sorte qu’ils méprisent les précautions les plus ordinaires soit dans la marche, soit dans l’attaque ; tandis que les divisions grecques, à leur droite et à leur gauche, ne sont jamais assez enorgueillies pour négliger l’un ou l’autre. Si, sur terre, nous découvrons ainsi la supériorité inhérente aux Grecs sur les Épirotes qui éclate involontairement, — de même dans le combat naval nous rie sommes pas moins frappé de l’étonnante supériorité des Athéniens sur leurs adversaires ; supériorité, à vrai dire, inhérente à eux, telle que celle des Grecs sur les Épirotes, mais dans ce cas dépendant d’un travail préalable, de l’exercice et d’un talent inventif, d’un côté, comparés à la négligence et à la routine surannée de l’autre. Nulle part l’importance extraordinaire de cette science de la navigation, que les Athéniens avaient graduellement acquise par des années d’une pratique perfectionnée, ire paraît marquée aussi clairement que dans ces premières batailles de Phormiôn. Elle devient insensiblement moins apparente à messire que nous avançons dans la guerre, vu que les Péloponnésiens font des progrès, en apprenant cette science comme les Russes sous Pierre le Grand apprirent l’art de la guerre des Suédois, sous Charles XII, — tandis que les trirèmes athéniennes et leurs équipages semblent devenir moins choisis et moins efficaces, même avant le terrible désastre éprouvé à Syracuse, et que les unes sont détériorées et les autres dégénérés d’une manière irréparable après ce malheur.

Les circonstances de ce mémorable combat naval ne parurent à personne aussi incompréhensibles qu’aux Lacédæmoniens. Ils avaient bien entendu parler de la science navale d’Athènes, mais ils ne l’avaient jamais éprouvée, et ils n’en pouvaient comprendre la signification ; de sorte qu’ils n’imputèrent la défaite qu’à une honteuse lâcheté, et qu’ils envoyèrent l’ordre plein d’indignation à Knêmos, à Kyllênê, de prendre le commandement, d’équiper une flotte meilleure et plus considérable, et de réparer ce déshonneur. On envoya trois commissaires spartiates, — Brasidas, Timokratês et Lykophrôn, — chargés de l’aider de leurs avis et de leurs efforts, en appelant des contingents maritimes des différentes cités alliées. Ainsi, sous l’impression du ressentiment général causé par la récente défaite, une flotte considérable de soixante-dix-sept trirèmes fut promptement rassemblée à Panormos, port d’Achaïa, près du promontoire de Rhion et immédiatement dans la partie intérieure du golfe. Une armée de terre fut également réunie au même endroit de la côte, pour aider les opérations de la flotte.

Ces préparatifs n’échappèrent pas à la vigilance de Phormiôn, qui transmit à Athènes la nouvelle de sa victoire, et en même temps sollicita avec instance des renforts pour lutter contre la force croissante de l’ennemi. Immédiatement’ les Athéniens envoyèrent vingt nouveaux vaisseaux le rejoindre. Cependant ils furent amenés par les prières d’un Krêtois, nommé Nikias, leur proxenos à Gortyne, à lui permettre de conduire les vaisseaux d’abord en Krête, sur la foi de la promesse qu’il fit de réduire la ville ennemie de Kydonia. Il avait fait cette promesse comme faveur particulière aux habitants de Polichna, ennemis de frontière de Kydonia ; mais quand la flotte arriva, il fut hors d’état de la remplir ; on n’effectua rien que le ravage des terres kydoniennes, et les vents et le temps contraires empêchèrent longtemps la flotte de s’en aller[21]. Ce funeste avis de détourner la flotte de sa course directe pour rejoindre Phormiôn prouve combien les conseils d’Athènes commençaient à souffrir de la perte de Periklês, qui était alors justement attaqué de sa dernière maladie, et qui mourut peu de temps après. La facilité à être séduit par de nouvelles entreprises et par des projets d’acquisition, contre laquelle il avait si énergiquement prévenu ses concitoyens, commençaient même à ce moment à manifester ses désastreuses conséquences[22].

La perte de ce temps précieux fit que Phormiôn se trouva avec ses vingt premières trirèmes seules, ayant en face de lui les forces de l’ennemi largement accrues, — soixante-dix-sept trirèmes avec une armée de terre considérable pour les soutenir : la dernière qui n’était pas un médiocre appui dans la guerre ancienne. Il se posta près du cap Antirrhion, ou Rhion de Molykreion, comme on l’appelait, — le promontoire septentrional, vis-à-vis de l’autre promontoire appelé également Rhion, sur la côte d’Achaïa. La ligne entre ces deux caps, vraisemblablement d’une largeur d’environ un mille anglais (1.600 mètres), forme l’entrée du golfe corinthien. L’armée messênienne de Naupaktos l’accompagnait et 7e servait sur terre. Mais il resta en dehors du golfe, désireux de combattre dans un espace de mer large et ouvert, ce qui était essentiel à la manœuvre athénienne ; tandis que ses adversaires, de leur côté, restèrent en deçà du cap achæen, par- la raison correspondante, — ils sentaient que la mer étroite leur était avantageuse, en rendant la bataille navale semblable à une bataille de terre, et en effaçant toute supériorité d’habileté nautique[23]. Si nous retournons au cas de la bataille de Salamis, nous trouvons qu’un espace étroit était compté à cette époque comme la meilleure de toutes les protections pour une flotte plus petite contre une plus grande. Mais tel avait été le changement complet de sentiment, occasionné par le système de manœuvres introduit depuis cette époque dans l’armée navale athénienne, que maintenant un vaste espace de mer n’est pas moins désiré par Phormiôn que redouté par ses ennemis. La pratique perfectionnée d’Athènes a opéré une révolution dans la guerre navale.

Pendant six ou sept jours successifs, les deux flottes furent rangées en face l’une de l’autre, — Phormiôn s’efforçant d’attirer les Péloponnésiens en dehors du golfe, tandis que de leur côté ils faisaient ce qu’ils pouvaient pour l’amener en dedans[24]. Pour  lui, chaque jour de retard était un avantage, puisqu’il lui donnait la chance de voir arriver ses renforts ; pour cette même raison, les commandants péloponnésiens étaient impatients de hâter l’engagement, et ils finirent, pour l’y forcer, par avoir recours à un plan bien combiné. Mais malgré l’immense supériorité numérique, le découragement et la répugnance qui régnaient parmi leurs marins, dont beaucoup avaient été les victimes mêmes de la récente défaite, étaient tels que Knêmos et Brasidas durent employer des exhortations énergiques. Ils insistèrent sur la perspective favorable qui s’ouvrait devant eux — en indiquant que la dernière bataille avait été perdue seulement à cause d’une mauvaise direction et d’imprudence, ce qui serait corrigé dans l’avenir, — et en faisant appel à la bravoure naturelle du guerrier péloponnésien. Ils finirent en les avertissant que, si ceux qui se conduiraient bien dans la prochaine bataille devaient recevoir un honneur mérité, les moins zélés seraient punis assurément[25] : argument rarement touché par les généraux anciens dans leurs harangues à la veille d’une bataille, et démontrant d’une manière évidente la répugnance d’un grand nombre des marins péloponnésiens, qui avaient été amenés à ce second engagement surtout par l’ascendant et les ordres énergiques de Sparte. C’est à cette répugnance que Phormiôn fit formellement allusion, dans les exhortations encourageantes que de son côté il adressa à ses hommes : car eux aussi, malgré leur confiance habituelle en mer, fortifiée par la victoire récente, étaient découragés par l’exiguïté de leur nombre. Il leur rappela leur longue pratique et leur conviction bien fondée de leur supériorité sur mer, que ne pouvait contrebalancer aucune supériorité de forces, surtout chez un ennemi qui avait conscience de sa propre faiblesse. Il les invita à montrer comme d’habitude leur discipline et leur prompte intelligence des ordres, et surtout il leur recommanda d’accomplir leurs mouvements réguliers dans un silence absolu pendant la bataille même[26], — silence utile dans toutes les opérations de la guerre, et essentiel à la conduite convenable d’un combat sur mer. L’idée d’un silence complet à bord des vaisseaux athéniens pendant la durée d’un combat naval, est non seulement frappante comme trait dans le tableau ; mais c’est encore une des preuves les plus puissantes de la force de l’empire sur soi-même et des habitudes militaires qui dominaient chez ces marins citoyens.

La position habituelle de la flotte péloponnésienne à la hauteur de Panormos était en deçà du détroit, mais presque en face de sa largeur, — vis-à-vis de Phormiôn, qui était sur le côté extérieur du détroit, aussi bien qu’à la hauteur du cap opposé ; conséquemment dans la ligne péloponnésienne, l’aile droite occupait le côté nord ou nord-est vers Naupaktos. Knêmos et Brasidas résolurent alors de faire un mouvement en avant en remontant le golfe, comme pour marcher contre cette ville, qui était la principale station athénienne. Sachant que Phormiôn serait dans la nécessité de venir à la défense de la ville, ils espéraient le clouer sur place et le forcer à combattre tout près de la terre, où la manœuvre athénienne serait inutile. En conséquence, ils commencèrent ce mouvement de bonne heure le matin, marchant rangés sur quatre vaisseaux de front vers la côte méridionale de l’intérieur du golfe. L’escadre de droite, sous le Lacédæmonien Timokratês, était à l’avant-garde, suivant sa position naturelle[27], et l’on avait pris soin d’y placer vingt des meilleurs voiliers, puisque le succès du plan d’action, on le savait d’avance, dépendait de leur célérité. Comme ils l’avaient prévu, Phormiôn, aussitôt qu’il vit leur mouvement, embarqua ses hommes, et s’avança dans l’intérieur du détroit, bien qu’avec une extrême répugnance ; car les Messêniens étaient sur le rivage à côté et le long de lui, et il savait que Naupaktos, avec les femmes et les familles qu’elle renfermait, et une longue enceinte de murs, était complètement sans défense[28]. Il rangea ses vaisseaux en ligne de bataille, les uns à la suite des autres, probablement son propre vaisseau étant à la tête ; et il rasa la terre dans la direction de Naupaktos, tandis que les Messêniens, marchant sur le rivage, restaient près de lui.

Les deux flottes s’avançaient ainsi dans la même direction, et vers le même point, — les Athéniens le long et tout près de la côte, — les Péloponnésiens un peu plus au large[29]. Les derniers avaient alors amené Phormiôn dans la position qu’ils désiraient, cloué contre la terre, sans emplacement pour manœuvrer. Soudain on donna le signal, et toute la flotte péloponnésienne, faisant front à gauche, quitta la colonne pour se mettre en ligne, et au lieu de continuer à s’avancer le long de la côte, elle se dirigea rapidement avec les proues tournées vers le rivage pour en venir aux mains avec les Athéniens. L’escadre de droite des Péloponnésiens, qui occupait le côté dans la direction de Naupaktos, était chargée spécialement du devoir d’enlever aux Athéniens toute possibilité de s’y sauver ; les meilleurs vaisseaux ayant été placés à la droite pour cet objet important. Autant qu’il dépendit des commandants, le plan d’action réussit complètement ; les Athéniens furent jetés dans une situation où la résistance était impossible, et ils n’eurent pas d’autre chance de salut que la fuite. Mais ils étaient tellement supérieurs par la rapidité des mouvements même aux meilleurs Péloponnésiens, que onze vaisseaux, les premiers des vingt, trouvèrent précisément le moyen de fuir[30] avant que l’aile droite de l’ennemi les enfermât entre elle et le rivage, et se rendirent en toute hâte à Naupaktos. Les neuf autres vaisseaux furent poussés et jetés à la côte avec un dommage sérieux, — leurs équipages furent tués en partie, et en partie s’échappèrent à la nage. Les Péloponnésiens remorquèrent une trirème avec son équipage entier, et quelques autres vides. Mais plus d’une de ces trirèmes fut sauvée par la bravoure des hoplites messêniens qui, malgré leur lourde armure, entrèrent dans la mer, montèrent à bord de ces bâtiments, et, en combattant du haut des ponts, repoussèrent l’ennemi même après que les cordes avaient été réellement attachées, et qu’on avait commencé l’opération de la remorque[31].

La victoire des Péloponnésiens paraissait assurée. Tandis que leur gauche et leur centre étaient occupés ainsi, les vingt vaisseaux de leur aile droite quittèrent le reste de la flotte, afin de poursuivre les onze vaisseaux athéniens fugitifs qu’ils n’avaient pu intercepter. Dix de ces derniers se réfugièrent dans le port de Naupaktos, et là ils se mirent en attitude de défense près du temple d’Apollon, avant qu’aucun de ceux qui les poursuivaient pût approcher, tandis que le onzième, un peu moins agile, fut presque rejoint par l’amiral lacédæmonien qui, à bord d’une trirème leukadienne, marchait beaucoup en avant de ses compagnons, dans l’espoir de s’emparer au moins de cette unique proie. Il se trouva qu’un bâtiment marchand était à l’ancre, à l’entrée du port de Naupaktos. Le capitaine athénien dans sa fuite remarquant que le vaisseau leukadien était seul pour le moment, saisit l’occasion favorable pour faire une manœuvre hardie et rapide. Il rama avec célérité autour du bâtiment marchand, dirigea sa trirème de manière à rencontrer la leukadienne qui avançait, et poussa son éperon contre elle, par le travers, avec un choc si violent qu’il la désempara sur-le-champ. Son commandant, l’amiral lacédæmonien Timokratês, fut frappé d’une telle douleur à cette catastrophe inattendue, qu’il se tua aussitôt ; il tomba par dessus le bord dans le port. Les vaisseaux aussi qui venaient par derrière à la poursuite furent si étonnés et si effrayés à cette vue, que les hommes, baissant leurs rames, restèrent immobiles en cessant d’avancer ; tandis que quelques-uns se trouvèrent même à moitié échoués, par l’ignorance où ils étaient de la côte. D’autre part, les dix trirèmes athéniennes qui étaient clans le port furent exaltées outre mesure par cet incident, et un seul mot de Phormion suffit pour leur faire exécuter un mouvement en avant plein d’activité, et pour les lancer avec ardeur sur l’ennemi embarrassé ; les vaisseaux péloponnésiens, mis en désordre par la chaleur de la poursuite, et s’étant précisément arrêtés tout, à coup, ne pouvaient pas être remis en route promptement, et ils s’attendaient à rien moins qu’à une attaque renouvelée. D’abord, les Athéniens enfoncèrent les vingt vaisseaux de l’aile droite qui étaient à leur poursuite ; ensuite ils poussèrent leur avantage contre la gauche et le centre, qui s’étaient probablement rapprochés de la droite, de telle sorte qu’après une courte résistance toute la flotte fut mise en déroute, et s’enfuit en traversant le golfe jusqu’à sa première station de Panormos[32]. Non seulement les onze vaisseaux athéniens réussirent ainsi à enfoncer, à terrifier et à repousser la flotte entière de l’ennemi, en s’emparant de six des trirèmes péloponnésiennes les plus rapprochées, — mais ils délivrèrent encore leurs propres vaisseaux qui avaient été poussés à la côte et pris dans la première partie de l’action. En outre, les équipages péloponnésiens subirent une perte considérable, tant en hommes tués qu’en prisonniers.

C’est ainsi que, malgré la disparité prodigieuse du nombre, mais aussi malgré le’ coup désastreux que les Athéniens avaient revu d’abord, Phormiôn finit par gagner une victoire complète ; victoire à laquelle les Lacédæmoniens même furent forcés de rendre témoignage, puisqu’ils furent obligés de demander une trêve pour rassembler et ensevelir leurs morts, tandis que les Athéniens, de leur côté, recueillirent les corps de leurs propres guerriers. Toutefois, les Péloponnésiens vaincus. se crurent encore en droit, comme marque de leur succès dans la première partie de l’action, d’ériger un trophée sur le Rhion d’Achaïa, où ils consacrèrent également la seule trirème athénienne qu’ils avaient pu emmener. Cependant ils furent si complètement déroutés, — et en outre ils redoutèrent tellement le renfort attendu d’Athènes, — qu’ils profitèrent de la nuit pour se retirer, et s’avancer dans le golfe de Corinthe, tous, excepté les Leukadiens qui retournèrent chez eux.

Bientôt arriva le renfort, après ce malencontreux retard qui avait mis Phormiôn et la flotte entière bien près de leur ruine. Il assura son empire sur l’entrée du golfe et sur la côte d’Akarnania, où, les Péloponnésiens’ n’avaient pas alors de forces navales. Pour établir complètement l’influence athénienne en Akarnania, il entreprit dans le courant de cet automne une expédition, en débarquant à Astakos, et en s’avançant dans l’intérieur du pays avec quatre cents hoplites athéniens et quatre cents Messêniens. Il fit envoyer en exil quelques-uns des principaux personnages de Stratos et de Koronta, qui étaient attachés aux intérêts péloponnésiens, tandis qu’un chef nommé Kynês, de Koronta, qui semble avoir été jusqu’à ce moment en exil, fut rétabli dans sa ville natale. Le grand objet était d’assiéger et de prendre la puissante ville d’Œniadæ, prés de l’embouchure de l’Achelôos, ville en mésintelligence avec les autres Akarnaniens, et attachée aux Péloponnésiens. Mais comme les eaux de l’Achelôos, en s’épandant au loin, rendaient ce siège impraticable pendant l’hiver, Phormiôn retourna à la station de Naupaktos. De là il partit pour Athènes vers la fin de l’hiver, ramenant avec lui les vaisseaux qu’il avait pris et ceux des prisonniers qui étaient des citoyens. Les derniers furent échangés homme pour homme contre les prisonniers athéniens qui étaient au pouvoir de Sparte[33].

Après avoir quitté la lutte navale à Rhion et s’être retirés à Corinthe, Knêmos et Brasidas furent persuadés par les Mégariens d’essayer, avant que la flotte se dispersât, l’expérience hardie d’une incursion soudaine sur le Peiræeus. La confiance avouée des Athéniens sur mer était telle que, tandis qu’ils gardaient amplement les côtes de l’Attique contre les corsaires, ils n’imaginaient pas la possibilité d’une attaque sur leur principal port. En conséquence, non seulement le Peiræeus n’était protégé par aucune chaîne en travers de l’entrée, mais il était même dépourvu de tout vaisseau régulier de garde monté et prêt. Les marins de l’armement péloponnésien qui se retirait, en arrivant à Corinthe, furent immédiatement débarqués et se mirent en marche ; d’abord ils franchirent l’isthme, puis se rendirent à Megara, — chaque homme portant son coussin[34], et sa rame avec la bride qui servait à fixer la rame dans le trou du bordage destiné à la recevoir et l’empêchait ainsi de glisser.

Il y avait dans Nisæa, le port de Megara, quarante trirèmes qui, bien que vieilles et hors de service, suffisaient pour une excursion si courte ; et les marins, immédiatement à leur arrivée, les mirent à flot et y montèrent. Cependant la terreur qu’on avait d’Athènes et de sa puissance était telle que quand le plan en vint à être exécuté réellement, le courage manqua aux Péloponnésiens, bien qu’il n’y eût rien pour les empêcher d’atteindre actuellement le Peiræeus. Sous le prétexte que le vent était contraire, ils se contentèrent de se rendre à la station de Budoron, dans file athénienne de Salamis placée vis-à-vis de la Mégaris, où ils surprirent et saisirent une garde de trois vaisseaux qui habituellement bloquaient le port de Me gara, et ensuite ils débarquèrent dans file. Ils se répandirent sur une grande partie de Salamis, ravagèrent les propriétés, et s’emparèrent des personnes°ainsi que des biens. Des fanaux firent immédiatement connaître, tant au Peiræeus qu’à Athènes, cette agression imprévue, qui occasionna dans les deux endroits un étonnement et une alarme extrêmes ; car les citoyens d’Athènes, qui ne comprenaient pas clairement le sens de ces signaux, s’imaginaient que le Peiræeus lui-même était tombé au pouvoir de l’ennemi. Toute la population courut au Peiræeus à l’aurore, et prit la mer avec toutes les trirèmes qui étaient prêtes. Mais les Péloponnésiens, connaissant le danger qui les menaçait, se hâtèrent de quitter Salamis avec leur butin et les trois vaisseaux qu’ils avaient pris. La leçon fut salutaire aux Athéniens : dorénavant le Peiræeus eut une chaîne en travers de l’entrée du port et une garde régulière jusqu’à la fin de la guerre[35]. Toutefois, quarante ans plus tard, nous le trouverons précisément veillé avec autant de négligence, et surpris avec beaucoup plus de hardiesse et de dextérité par le capitaine lacédæmonien Teleutias[36].

De même que pendant l’été de cette année, les Ambrakiotes avaient amené une grande multitude de tribus épirotiques pour envahir l’Akarnania, conjointement avec les Péloponnésiens, — de même pendant l’automne les Athéniens obtinrent du secours contre les Chalkidiens de Thrace du puissant prince barbare nommé plus haut, Sitalkês, roi des Thraces Odrysiens.

Parmi les nombreuses tribus, entre le Danube et la mer Ægée, — qui toutes portaient le nom générique de Thraces, bien que chacune eût en outre un nom spécial, — les Odrysiens étaient à cette époque les plus belliqueux et les plus puissants. Le roi odrysien Têrês, père de Sitalkês, s«était servi de ce pouvoir pour subjuguer[37] et rendre tributaire un grand nombre de ces différentes tribus, et en particulier celles dont la résidence était dans la plaine plutôt que dans les montagnes. Son empire, le plus considérable qui existât entre la mer Ionienne et le Pont-Euxin, s’étendait d’Abdêra, c’est-à-dire de l’endroit où le Nestos se jette dans la mer Ægée, à celui où le Danube se jette dans le Pont-Euxin ; bien qu’il paraisse qu’il faille y faire des déductions, puis qu’un grand nombre de tribus placées dans l’intervalle, et surtout des tribus des montagnes, ne reconnaissaient pas son autorité. Sitalkês lui-même avait envahi et vaincu quelques-unes des tribus pæoniennes qui rejoignaient les Thraces à l’ouest, entre l’Axios et le Strymôn[38]. Empire, dans le sens du roi odrysien, voulait dire tribut, présents, et forces militaires au besoin. Quant aux deux premières choses du moins, nous pouvons conclure qu’il en était abondamment fourni, puisque son neveu et successeur Seuthês (sous lequel le revenu s’augmenta et atteignit son maximum) recevait annuellement quatre cents talents en or et en argent comme tribut, et la même somme en divers présents, outre beaucoup d’autres présents d’articles manufacturés et d’ornements. Ces derniers venaient des colonies grecques sur la côte, qui en outre contribuaient largement au tribut, bien qu’on ne nous dise pas dans quelles proportions. Même des villes grecques, non situées en Thrace, envoyaient des présents pour expédier leurs objets de commerce, en qualité d’acheteurs du produit, du butin et des esclaves, acquis par des chefs ou des tribus thraces[39]. La résidence des Odrysiens proprement appelés ainsi, et des princes de cette tribu régnant alors sur un si grand nombre des autres tribus, parait avoir été à l’intérieur à environ vingt jours de marche de Byzantion[40], dans les régions supérieures de l’Hebros et du Strymôn, au sud du mont Hæmos, et au nord-est du Rhodopê. Les chefs odrysiens étaient unis par urge parenté plus ou moins éloignée avec ceux des tribus subordonnées, et par mariage même avec les princes scythes au nord du Danube : le prince scythe Ariapeithês[41] avait épousé la fille de l’Odrysien Têrês, le premier qui étendit la domination de sa tribu sur une portion considérable de la Thrace.

L’état naturel des tribus thraces, — aux yeux d’Hérodote, permanent et incorrigible, — était la désunion et l’impossibilité de fournir une association politique. Si une telle association était possible (dit l’historien), elles seraient assez fortes pour vaincre toutes les antres nations, — bien que Thucydide les considère comme de beaucoup inférieures aux Scythes. La domination odrysienne n’avait probablement pas atteint, à l’époque où Hérodote fit ses recherches, le même développement que décrit Thucydide dans la troisième année de la guerre du Péloponnèse, et qui donnait à ces tribus une union, partielle il est vrai, et temporaire, mais telle qu’ils n’en connurent jamais de pareille, ni avant ni après. Nous avons déjà mentionné que le prince odrysien Sitalkês avait pris pour femme (ou plutôt pour une de ses femmes) la sœur de Nymphodôros, Grec d’Abdêra, à la médiation duquel il avait dû de devenir l’allié, et son fils Sadôkos même citoyen, d’Athènes. Il avait de plus été amené à promettre qu’il reconquerrait les Chalkidiens de Thrace au profit des Athéniens[42], — ses anciens parents, d’après le mythe de Têreus, tel que l’interprétaient les deux parties. En même temps, Perdikkas, roi de Macédoine, l’avait offensé en refusant d’accomplir la promesse qu’il avait faite de lui donner sa sœur en mariage, — promesse faite en considération de l’intervention de Sitalkês et de Nymphodôros, qui avaient procuré à Perdikkas une paix avec Athènes, à un moment où des dissensions civiles avec son frère Philippe lui causaient de grands embarras. Ce dernier prince, qui régnait en son propre nom (et vraisemblablement indépendant de Perdikkas) sur une partie des Macédoniens le long du cours supérieur de l’Axios, avait été chassé par son frère plus puissant, et s’était réfugié chez Sitalkês. Il .était mort alors apparemment ; mais son fils Amyntas reçut du prince odrysien la promesse qu’il le rétablirait. Les Athéniens, bien qu’ils eussent des ambassadeurs résidant chez Sitalkês, envoyèrent néanmoins Agnôn comme ambassadeur spécial afin de concerter des arrangements pour sa marche contre les Chalkidiens, un armement athénien étant destiné à coopérer. Quand. on traitait avec Sitalkês, il était nécessaire d’être libéral en présents, tant pour lui-même que pour les chefs subordonnés qui tenaient un pouvoir dépendant de lui. Rien ne pouvait se faire chez les Thraces qu’il, l’aide de présents[43], et les Athéniens étaient plus en état de répondre à cette exigence que tout autre peuple en Grèce. L’expédition combinée contre les Chalkidiens fut finalement résolue.

Mais les forces de Sitalkês, réunies de bien des parties différentes de la Thrace, furent lentes à, se rassembler. Il convoqua toutes les tribus sous sa domination entre l’Hæmos, le Rhodopê et les deux mers : les Getæ, entre le mont Hæmos et le Danube, équipés comme les Scythes (leurs voisins de l’autre côté du fleuve), avec arc et flèches, et montés sur des chevaux, le rejoignirent également, aussi bien que les Agrianes, les Lææi et les autres tribus pæoniennes soumises à son empire. Enfin, plusieurs des tribus thraces appelées Dii, distinguées par leurs épées courtes particulières, et conservant une farouche indépendance sur les hauteurs du Rhodopê, furent tentées par la chance du pillage ou par l’offre d’une paye, d’accourir sous son drapeau. En tout, son armée monta, ou fut supposée Monter- à cent cinquante mille hommes, — dont un tiers de cavalerie, qui se composait pour la plupart de Getæ et d’Odrysiens propres. Les guerriers les plus formidables de son camp étaient les tribus indépendantes du Rhodopê. Toute l’armée, à la fois nombreuse, belliqueuse, adonnée au pillage et cruelle, répandait la terreur parmi tous les peuples dont les territoires paraissaient même les moins exposés à être traversés par son armée.

Partant du territoire odrysien central et emmenant avec lui Agnôn et les autres ambassadeurs athéniens, il franchit d’abord la montagne inhabitée appelée Kerkinê, qui séparait les Pæoniens à l’ouest des tribus thraces nommées Sinti et Mædi à l’est, jusqu’à ce qu’il atteignit la ville pæonienne ou district appelé Dobêros[44] ; ce fut là que le rejoignirent beaucoup de troupes et de volontaires additionnels, qui formèrent son total complet. De Dobêros, en marchant probablement le long d’un des cours d’eau tributaires de l’Axios, il entra dans cette partie de la haute Macedonia qui s’étend le long du cours supérieur de l’Alios et qui avait composé la principauté séparée de Philippe. La présence dans son armée d’Amyntas, fils de Philippe, engagea quelques-unes des places fortifiées, Gortynia, Atalantê et autres, à ouvrir leurs portes sans résistance, tandis qu’Eidomenê fut prise d’assaut, et que la ville d’Eurôpus fut attaquée en vain. De là, il passa encore plus loin au sud, dans la basse Macedonia, royaume de Perdikkas, ravageant le territoire des deux côtés de l’Alios même jusque dans le voisinage des villes Pella et Kyrrhos, et apparemment aussi bas au sud que l’embouchure du fleuve et l’entrée du golfe Thermaïque. Il n’alla pas au sud plus loin que ce point ; mais il répandit ses forces sur les districts entre la rive gauche de l’Axios et l’entrée du golfe Strymonique, — Mygdonia, Krestônia et Anthémonte, — tandis qu’une partie de son armée fut détachée pour envahir le territoire des Chalkidiens et des Bottiæens. Les Macédoniens sous Perdikkas, renonçant à toute idée de lutter à pied contre une multitude si écrasante, ou s’enfuirent ou se renfermèrent dans le petit nombre de places fortifiées que présentait le pays. La cavalerie de la haute Macedonia, il est vrai, bien armée et excellente, fit quelques charges régulières et heureuses contre les Thraces, légèrement armés de javelines, de courtes épées et de peltæ ou petits boucliers ; — mais elle fut bientôt enveloppée, harcelée de tous les côtés par des forces supérieures en nombre, et réduite à ne songer .qu’à se débarrasser et à faire retraite[45].

Heureusement pour les ennemis du roi odrysien, il ne se mit pas en marche avant le commencement de l’hiver, — vraisemblablement vers novembre ou décembre. Nous pouvons être surs que, quand les Athéniens concertèrent avec lui l’attaque combinée sur les Chalkidiens, ils avaient .la pensée qu’elle se fît dans une meilleure saison de l’année. Après avoir probablement attendu qu’on leur apprit que son armée était en mouvement, et attendu longtemps en vain, ils commencèrent à désespérer de. son arrivée, et ils ne crurent pas qu’il valût la peine d’expédier sur les lieux quelques forces à eux[46]. On envoya seulement quelques ambassadeurs et des présents comme compliments, au lieu de l’armement destiné à coopérer. Et ce désappointement, joint à la rigueur du temps, au dénuement du pays et aux privations de son armée dans cette saison, engagèrent Sitalkês à ne pas tarder à entrer en négociations avec Perdikkas, qui de plus gagna Seuthês, neveu du prince odrysien, en lui promettant sa sœur Stratonikê en mariage, avec une somme d’argent, à condition qu’on ferait retirer sans retard l’armée thrace. On le fit en conséquence, après qu’elle avait été répartie pendant trente jours sur la Macedonia, et pendant huit de ces jours, un détachement avait ravagé les terres chalkidiques. Mais l’intervalle avait été bien assez long pour répandre la terreur tout à l’entour. Une telle armée de barbares farouches n’avait jamais été réunie auparavant, et personne ne savait dans quelle direction ils seraient disposés à porter leurs incursions. Les tribus thraces indépendantes (Panæi, Odomantes, Drôi et Dersæi), dans les plaines du nord-est du Strymôn et près du mont Pangæos, non loin d’Amphipolis, furent les premières à craindre que Sitalkês ne saisît l’occasion d’essayer de les réduire. De l’autre côté, les Thessaliens, les Magnêtes et d’autres Grecs au nord des Thermopylæ, redoutant qu’il ne voulût pousser son invasion plus au sud, se mirent à organiser les moyens de lui résister. La confédération péloponnésienne elle-même apprit avec inquiétude l’existence de ce nouvel allié qu’Athènes amenait sur le terrain, peut-être contre elle. Toutes ces alarmes se dissipèrent, quand Sitalkês, après être resté trente jours, retourna par le chemin qu’il avait pris, et qu’on vit ainsi fondre la formidable avalanche. Le perfide Perdikkas, dans cette occasion, remplit la promesse qu’il avait faite à Seuthês, après s’être attiré beaucoup de malheurs en violant la parole qu’il avait donnée antérieurement à Sitalkês[47].

 

APPENDICE

Thucydide, II, 90. ο δ Πελοποννσιοι, πειδ ατος ο θηναοι οκ ππλεον ς τν κλπον κα τ στεν, βουλμενοι κοντας σω προαγαγεν ατος, ναγαγμενοι μα ἕῳ πλεον, π τεσσρων ταξμενοι τς νας π τν αυτν γν, σω π το κλπου, δεξι κρ γουμν, σπερ κα ρμουν· π δ’ ατ εκοσιν ταξαν τς ριστα πλεοσας, πως, ε ρα νομσας π τν Ναπακτον ατος πλεν Φορμων κα ατς πιβοηθν τατ παραπλοι, μ διαφγοιεν πλοντα τν ππλουν σφν ο θηναοι ξω το αυτν κρως, λλ’ αται α νες περικλσειαν.

Ce passage forme la principale autorité pour la description que j’ai donnée plus haut du mouvement de la flotte péloponnésienne, avant la seconde bataille contre Phormiôn.

La question principale à considérer est celle-ci : Quel est le sens de τήν έαυτών γήν ? Ces mots signifient-ils la terre des Péloponnésiens, au sud du golfe, — ou la terre des Athéniens, au nord du golfe ? Les commentateurs affirment qu’ils doivent désigner la première. Je pensais qu’ils voulaient dire là seconde ; et dans mes éditions précédentes, j’ajoutais plusieurs exemples de l’usage du pronom έαυτοΰ, tendant à justifier cette opinion.

Comme je vois que sur cette question de critique, mon opinion est ‘opposée aux meilleures autorités, je n’y insiste pas davantage, et ne réimprime pas lés passages explicatifs. Toutefois, quant aux faits, ma conviction reste la même. La terre désignée ici par Thucydide doit être la terre des Athéniens au nord du détroit ; ce ne peut être la terre des Péloponnésiens au sud du détroit. Le pronom έαυτών doit donc être inexact, et devrait être changé en αύτών, comme le propose M. Bloomfield, ou en έκείνων.

Le Scholiaste dit que έπί τήν γήν est équivalent ici à παρά τήν γήν. Le docteur Arnold, approuvant complètement la description de Mitford, qui avance que la flotte péloponnésienne marchait à l’est le long de la côte, achæenne, dit: Le Scholiaste dit que έπί est ici employé pour παρά. Il serait mieux de dire qu’il a une signification mixte de mouvement vers un endroit et son voisinage, exprimant que les Péloponnésiens voguaient vers leur propre terre i. e. vers Corinthe, Sikyôn et Pellênê, villes auxquelles appartenait le plus grand nombre de leurs vaisseaux —, au lieu de se porter vers la côte opposée appartenant à leurs ennemis ; et en même temps ils restaient près de leur propre terre, dans le sens de έπί avec un datif.

Il faut discuter cette interprétation d’abord eu égard au sens des mots. Assurément le sens que le Scholiaste donne à έπί τήν γήν est tel qu’il ne peut être admis sans exemples pour le justifier. Deux propositions ne peuvent être plus distinctes que ces deux-ci, πλεϊν έπί τήν γήν, — et πλεϊν παρά τήν γήν. La flotte péloponnésienne, avant de faire aucun mouvement, était déjà à l’ancre tout près de sa propre terre, — au promontoire Rhion, près de Panormos, où se trouvait son armée de terre (Thucydide, II, 86). Dans cette position, si elle faisait un mouvement quelconque, elle devait voguer ou en s’éloignant de la côte du Péloponnèse, ou en longeant cette côte ; et ni l’un ni l’autre de ces mouvements ne serait exprimé par Thucydide avec les mots πλεϊν έπί τήν έαυτών γήν.

Pour obvier à cette difficulté, si le Scholiaste change le sens de έπί, le docteur Arnold change celui de τήν έαυτών γήν, mots qui, suivant lui, désignent non la côte péloponnésienne en tant qu’opposée au rivage septentrional occupé par Phormiôn, mais Corinthe, Sikyôn et Pellênê ; villes auxquelles (dit-il) appartenait le plus grand nombre des vaisseaux. Mais c’est lit, à mon avis du moins, un sens qui n’a rien de naturel. Corinthe et Sikyôn sont si éloignées, que toute allusion faite à ces villes est très improbable. Thucydide est eu train de décrire les opérations de deux flottes ennemies, l’une occupant le côté nord, et l’antre le côté sud du détroit. La propre terre des Péloponnésiens était cette ligne méridionale de côtes qu’ils occupaient et sur laquelle était campée leur armée de ferre ; elle est distinguée de la terre des ennemis, sur la côte opposée du détroit. Si Thucydide avait voulu donner à entendre que la flotte péloponnésienne voguait dans la direction de Corinthe et de Sikyôn, il n’aurait guère employé des mots tels que έπλεον έπί τήν έαυτών γήν.

Le docteur Dunbar, dans un article qui fait partie des Remarques critiques annexées à la troisième édition de son Greek and English Lexicon, a contesté mon interprétation de ce passage de Thucydide. Il dit : La flotte péloponnésienne doit avoir avancé le long de sa propre côte, — έπί τήν έαυτών γήν έσω έπί τοΰ κόλπου. Dans ce passage, nous trouvons έπί avec deux cas : le premier avec l’accusatif, l’autre avec le génitif. Le premier me parait indiquer la localité vers laquelle ils voguaient ; et c’était évidemment le promontoire sur la côte Achæenne, presque vis-à-vis de Naupactos.

On verra sur le plan annexé le promontoire auquel M. Dunbar fait allusion, marqué Drepanon. Il est suffisamment près, sans être exposé à l’objection que j’ai faite à l’hypothèse de Corinthe et de Sikyôn présentée par le docteur Arnold. Mais je soutiens encore qu’il ne peut être indiqué par les mots tels qu’ils sont dans Thucydide. D’après l’interprétation de M. Dunbar, les Péloponnésiens doivent s’être avancés d’un point de leur propre territoire à un autre point de leur propre territoire. Or, si c’était ce que Thucydide avait voulu affirmer, il n’aurait assurément pas employé des mots tels que έπλεον έπί τήν έαυτών γήν. Ou il aurait spécifié par un nom le point particulier de terre (comme dans le c. 86 παρέπλευσιν έπί τό ̔Ρίον), — ou s’il avait voulu nous exposer qu’ils s’avançaient le long de leur propre côte, il aurait dit παρά au lieu de έπί.

Jusqu’ici j’ai simplement discuté le sens grammatical des mots έπί τήν έαυτών γήν, afin de montrer que, bien qu’on admette qu’ils signifient la terre des Péloponnésiens, — cependant, pour concilier ce sens avec les faits, les commentateurs sont obligés d’avancer des suppositions extrêmement improbables, et même d’identifier έπί avec παρά. Je passe maintenant de l’explication des mots aux faits, afin de prouver que le mouvement réel de la flotte péloponnésienne doit avoir été vers la côte athénienne et vers Naupaktos. Conséquemment, puisque έαυτών ne peut avoir ce sens, έαυτών doit être une erreur du texte.

Le dessein des Péloponnésiens en effectuant ce mouvement était de faire croire à Phormiôn qu’ils allaient attaquer Naupaktos ; de le contraindre à venir dans l’intérieur du golfe pour protéger cette ville, et en même temps, si Phormiôn y entrait, de .l’attaquer dans un espace étroit où ses vaisseaux n’auraient pas de place pour manœuvrer. C’était ce que les Péloponnésiens n’avaient pas seulement l’intention de faire, mais encore c’est ce qu’ils accomplirent en réalité.

Or, je demande comment ce dessein pouvait être accompli par un mouvement le long de la côte du Péloponnèse depuis le promontoire de Rhion jusqu’à celui de Drepanon ? — Le lecteur verra ce dernier point sur le plan annexé: Comment un tel mouvement pouvait-il amener Phormiôn à croire que les Péloponnésiens allaient attaquer Naupaktos, ou lui inspirer des craintes pour la sûreté de cette ville ? Arrivés à Drepanon, ils n’auraient guère été plus près de Naupaktos qu’ils ne l’étaient à Rhion ; ils auraient eu encore toute la largeur du golfe à traverser. Toutefois supposons que leur mouvement vers Drepanon ait réellement engagé Phormiôn à venir dans le golfe pour protéger Naupaktos. S’ils essayaient de traverser la largeur du golfe de Drepanon à Naupaktos, ils s’exposaient eux-mêmes à être attaqués par Phormiôn à mi-route en pleine mer ; l’éventualité même que celui-ci désirait, et qu’ils voulaient éviter en manœuvrant.

De plus, abordons la question d’un autre point de vue. Il est certain, d’après la description de Thucydide, que l’attaque réelle des Péloponnésiens dirigée contre Phormiôn, dans laquelle ils coupèrent neuf de ses vingt vaisseaux, fut effectuée sur la côte septentrionale du golfe, à quelque endroit entre le promontoire Antirrhion et Naupaktos ; quelque part près du lieu que j’ai indiqué sur le plan annexé. La présence des soldats messêniens — qui étaient sortis de Naupaktos pour assister Phormiôn et qui s’avancèrent dans la mer pour sauver les vaisseaux pris — mettrait à elle seule ce point hors de doute, — si en effet un doute pouvait s’élever. De plus, il est certain que quand la flotte péloponnésienne, faisant une conversion, quitta l’ordre en colonne pour se mettre en ligne, afin d’attaquer Phormiôn, elle était si rapprochée de la terre septentrionale, que Phormiôn fut exposé au très grand danger d’avoir toute son escadre jetée à la côte ; onze seulement de ses vingt vaisseaux purent s’échapper. Le plan expliquera ce qui est dit ici.

Or, je demande comment ces faits peuvent se concilier avec la supposition que la flotte péloponnésienne, en quittant ses amarres à Rhion, longeait sa propre terre dans la direction de Drepanon ? Si elle le fit, comment ensuite traversa-t-elle le golfe pour arriver au lieu où fut livrée la bataille ? Chaque pas qu’elle faisait vers Drepanon, ne servait qu’à augmenter la largeur du golfe ouvert qu’il fallait franchir ensuite. Avec le dessein que les Péloponnésiens avaient en vue, aller de Rhion en longeant leur propre côte dans la direction de Drepanon aurait été absurde. Toutefois, en supposant qu’ils l’aient fait, ce n’aurait pu être que le préliminaire d’un second mouvement, dans une mitre direction, à travers le golfe. Mais quant à ce second mouvement, Thucydide n’en dit pas un mot. Tout ce qu’il nous dit relativement à la marche des Péloponnésiens est contenu dans cette phrase : — Έπλεον έπί τήν έαυτών γήν έσω έπί τοΰ κόλπου, δεξίω κέρα ήγουμενω, ώσπερ καί ώρμουν. Si ces mots désignent réellement, un mouvement le long de la côte méridionale, nous devons admettre, d’abord que l’historien a laissé sans le mentionner le second mouvement à travers le golfe, qui néanmoins a dû se faire ensuite : — en second lieu, que les Péloponnésiens ne firent un premier mouvement que pour augmenter la distance et la difficulté du second.

En considérant donc les faits du cas, les localités et le dessein des Péloponnésiens, tous clairs ici, — je prétends que έπλεον έπί τήν έαυτών γήν έσω έπί τοΰ κόλπου doivent désigner un mouvement de la flotte péloponnésienne vers la terre des Athéniens, c’est-à-dire vers le côté, septentrional du golfe, et que comme έαυτών ne comporte pas ce sens, il doit être changé en αύτών ou en έκείνων.

Il reste à expliquer les mots έσω έπί τοΰ κόλπου, qui ont une signification très distincte et très importante. La terre des Athéniens, du côté septentrional du détroit, comprend le promontoire d’Antirrhion avec les deux lignes qui y viennent aboutir et former un angle, c’est-à-dire une ligne de côte faisant face à l’intérieur au golfe corinthien, — l’autre, faisant face à l’extérieur au golfe de Patras. En regardant le plan annexé, le lecteur le verra d’un coup d’œil. Or, quand Thucydide dit que les Péloponnésiens voguaient dans le voisinage de la terre des Athéniens à l’intérieur faisant face au golfe, — ces derniers mots sont essentiels pour nous faire comprendre vers laquelle des deux lignes athéniennes de côte le mouvement était dirigé. Ces mots nous apprennent que les Péloponnésiens ne voguèrent pas vers le côté extérieur du promontoire où Phormiôn était amarré, mais vers son côté intérieur, sur la ligne qui conduisait à Naupaktos.

 

 

 



[1] Thucydide, II, 71, 73.

[2] Il est encore fait allusion dans la suite à ces sommations préalables, à l’occasion du meurtre des prisonniers platæns (III, 68).

[3] Thucydide, II, 73, 74.

[4] Thucydide, II, 72-75.

[5] Thucydide, III, 68.

[6] Thucydide, II, 75.

[7] Les divers expédients, pareils à ceux qui sont décrits ici, employés tant pour l’attaque que pour la défense dans les sièges anciens, sont mentionnés et discutés dans Æneas Poliorketic., c. 33 sqq.

[8] Thucydide, II, 76.

[9] Thucydide, II, 77.

[10] Thucydide, II, 78, à l’époque de l’année où l’Arcturus parait immédiatement avant le lever du soleil, — c’est-à-dire à quelque moment entre le 12 et le 17 septembre : voir une note de Goeller sur ce passage. Thucydide ne donne pas souvent de marques fixes pour distinguer les diverses périodes de l’année, comme nous en trouvons une indiquée ici. Les mois grecs étaient tous des mois lunaires, ou tels de nom ; les noms des mois, aussi bien que l’usage d’intercalation pour rectifier le calendrier, variaient d’une ville à l’autre ; de sorte que si Thucydide avait spécifié le jour du mois attique Boêdromion (au lieu de spécifier le lever d’Arcturus), où ce travail fut terminé, beaucoup de ses lecteurs ne l’auraient pas clairement compris. Hippokratês aussi, en indiquant le temps pour des desseins médicaux, emploie l’apparition d’Arcturus et d’autres étoiles.

[11] Thucydide, II, 78 ; III, 21. Par cette description du double mur et des quartiers couverts faits en prévision d’un long blocus, nous pouvons comprendre les souffrances des troupes athéniennes (qui probablement n’avaient pas de double mur) pendant les deux années du blocus de Potidæa, — et la facilité avec laquelle ils accordèrent aux assiégés une capitulation aisée : voir quelques pages plus haut.

[12] Thucydide, II, 79.

[13] Thucydide, II, 80.

[14] Thucydide, II, 82 ; Diodore, XII, 48.

[15] Thucydide, II, 83. Cf. le discours de Knêmos, c. 87. L’inhabileté des rameurs est mentionnée (c. 84).

[16] Thucydide, II, 88.

Ce passage est non seulement remarquable en ce qu’il présente la persuasion frappante que les Athéniens avaient de leur propre supériorité navale, mais encore en ce qu’il révèle la communication franche et intime entre le capitaine athénien et ses marins, — communication qui dominait et déterminait d’une manière si forte les sentiments de ces derniers. Cf. ce qui est dit relativement au Syracusain Hermokratês, Xénophon, Helléniques, I, 1, 30.

[17] Thucydide, II, 83.

Il y a une difficulté considérable à comprendre clairement ce qui est fait ici, surtout ce que signifient les mots ούκ έλαθον νυκτός ύφορμισάμενοι, mots que le Scholiaste expliquait comme si le nominatif de έλαθον était Άθηναϊοι, tandis que la construction naturelle de la phrase, aussi bien que les probabilités du fait, amène les meilleurs commentateurs à considérer οί Πελοπννήσιοι comme le nominatif de ce verbe. Toutefois, la remarque du Scholiaste nous prouve que la difficulté de comprendre la phrase date de l’antiquité.

Le Dr Arnold (dont l’explication est adoptée par Poppo et Goeller) dit : Les deux flottes s’avançaient parallèlement l’une à l’autre le long des rivages opposés du golfe corinthien. Mais même quand elles furent sorties du détroit, à Rhion, les rivages opposés étaient encore si rapprochés, que les Péloponnésiens espéraient traverser sans obstacle, s’ils pouvaient trompez les Athéniens, quant à l’endroit où ils mettaient en panne pour la nuit, assez pour les engager soit à s’arrêter trop tôt, soit à s’avancer trop loin, afin qu’ils ne fassent pas exactement en face d’eux pour intercepter le passage. S’ils pouvaient amener les Athéniens à croire qu’ils avaient l’intention de s’avancer pendant la nuit au delà de Patræ, il était vraisemblable que la flotte athénienne continuerait sa propre marche le long du rivage septentrional, pour être prête à les intercepter quand ils s’efforceraient de se diriger vers l’Akarnania. Mais les Athéniens, sachant qu’ils s’étaient arrêtés à Patræ, s’arrêtèrent eux-mêmes à Chalkis, au lieu d’aller plus loin vers l’ouest ; et ainsi ils se trouvèrent presque en face, de sorte que les Péloponnésiens n’eurent pas le temps de faire plus de la moitié du chemin avant d’être rencontrés par leur vigilant ennemi.

Cette explication ne me paraît pas satisfaisante, et elle ne tient pas compte de tous les faits du cas. La première pensée des Péloponnésiens était que Phormiôn n’oserait pas les attaquer du tout ; conséquemment, après être arrivés à Patræ, ils se dirigèrent de là en traversant le golfe jusqu’à l’embouchure de l’Euênos, — manière naturelle de procéder selon la navigation ancienne, — en allant dans la direction de l’Akarnania. Pendant qu’ils étaient ainsi en train de franchir le golfe, ils aperçurent Phormiôn qui courait sur eux de l’Euênos ; ce fut une surprise pour eux ; et comme ils désiraient éviter une bataille au milieu du canal, ils renoncèrent à avancer plus loin ce jour-là, dans l’espoir de pouvoir tromper Phormiôn au sujet de leur station de nuit. Ils feignirent de s’arrêter la nuit sur le rivage entre Patræ et Rhion, près de la partie resserrée du détroit ; mais, en réalité, ils filèrent le câble, abandonnèrent l’ancre, et prirent le large pendant la nuit (comme dit M. Bloomfield), dans l’espérance de franchir le plus court passage à la faveur des ténèbres, avant que Phormiôn pût venir sur eux. Qu’ils doivent avoir agi ainsi, c’est ce que prouve ce fait, que la bataille subséquente fut livrée le matin dans le milieu du canal très peu de temps après l’aube (nous le savons par ce que dit Thucydide au sujet de la brise du golfe, que Phormiôn attendait avant de commencer l’attaque). Si Phormiôn était retourné à Chalkis, ils auraient probablement réussi ; mais il doit avoir tenu la mer toute la nuit, ce qui était la conduite naturelle d’un capitaine violant déterminé à ne pas laisser les Péloponnésiens traverser sans combattre ; de sorte qu’il fut sur eux dans le milieu du canal immédiatement après le lever du jour.

En rapprochant les unes des autres toutes les assertions de Thucydide, nous pouvons être convaincus que telle est la manière dont les faits se sont passés. Mais quant au sens précis de ύφορμισάμενοι, j’avoue que je n’en suis pas certain ; Haack dit qu’il signifie clam appellere ad littus, mais ici, je crois, ce sens ne va pas ; car les Péloponnésiens ne désiraient pas, et dans le fait ils ne pouvaient guère espérer, cacher à Phormiôn l’endroit où ils mettaient en panne pour la nuit, et lui faire supposer qu’ils s’arrêtaient à quelque point de la côte à l’ouest de Patrie, quand en réalité ils passaient la nuit à Patræ, — ce qui est ce que suppose le Dr Arnold. Le rivage à l’ouest de Patræ fait une courbure au sud-ouest (formant le golfe de Patras), de sorte que la distance du côté septentrional (ou Ætolien et Akarnanien) du golfe devient pendant un temps considérable de plus en plus longue, et que les Péloponnésiens s’imposaient ainsi une plus longue traversée, augmentant la difficulté de passer sans une bataille. Mais on peut raisonnablement supposer que ύφορμισάμενοι signifie (surtout uni à ούκ έλαθον) prenant une station de nuit simulée ou imparfaite, dans laquelle ils n’avaient pas réellement l’intention de rester toute la nuit, et qu’on pouvait quitter dans un court délai et facilement. La préposition ύπό en composition aurait ainsi le sens non de secrètement (clam), mais de simulacre d’action, c’est-à-dire accomplir seulement les formes d’un acte dans le dessein de faire une fausse impression (comme ύποφέρειν, Xénophon, Helléniques, IV, 73), M. Bloomfield propose par conjecture άφορμισάμενοι, signifiant que les Péloponnésiens abandonnèrent leurs ancres pendant la nuit ; je n’ai pas foi dans la conjecture, mais je crois qu’il a tout à fait raison quand il suppose que les Péloponnésiens abandonnèrent réellement leurs ancres pendant la nuit.

Il reste un autre point auquel il faut faire attention. La bataille s’engagea κατά μέσον τόν πορθμόν. Or, il n’est pas nécessaire de comprendre cette expression comme faisant alla sien à la partie la plus étroite de la mer, ou au détruit, d’une manière rigoureuse et précise, c’est-à-dire à la ligne de sept stades entre Rhion et Antirrhion. Mais je crois que nous devons comprendre qu’elle signifie une portion de mer à peu de distance du détroit à l’ouest, où la largeur, quoique plus grande que celle du détroit lui-même, n’est pas encore aussi grande qu’elle le devient dans la ligne tirée au nord de Patrie. Nous ne pouvons comprendre πορθμός (comme le font MM. Bloomfield et Poppo, — V. la note du dernier sur les Scholies) comme voulant dire simplement trajectus, — c’est-à-dire le passage à travers même la partie la plus large du golfe de Patras, et le passage cité du c. 86 ne nous oblige pas de le comprendre ainsi. Πορθμός dans Thucydide signifie un détroit, ou passage resserré de mer, et Poppo lui-même admet que Thucydide l’emploie toujours ainsi ; et il ne serait pas raisonnable de croire qu’il appellerait la ligne de mer traversant le golfe, de Patrie à l’embouchure de l’Euenos, un πορθμός. V. la note de Goeller sur ce point.

[18] Thucydide, II, 86. Le principal objet de la rapide trirème athénienne était de pousser son éperon contre quelque partie faible du vaisseau de l’adversaire, la poupe, le côté ou les rames, — non contre l’éperon, qui était fortement construit aussi bien pour la défense que pour l’attaque. Par conséquent, l’Athénien, ramant entre les intervalles de la ligne de l’ennemi, et arrivant ainsi à l’arrière, faisait rapidement volte-face, et avait la facilité, avant que le vaisseau ennemi pût changer de position, de le frapper soit dans la poupe, soit dans quelque partie faible Cette manœuvre s’appelait le diekplous. Son succès dépendait naturellement de la précision et de la rapidité extrêmes des mouvements du vaisseau athénien, si supérieur sous ce rapport à son adversaire, non seulement pour la construction meilleure du vaisseau, mais encore pour l’excellence des rameurs et des timoniers.

[19] V. une note du docteur Arnold sur ce passage de Thucydide, relative au Keleustês et à ses fonctions ; aux passages qu’il indique comme exemples, j’en ajouterai deux autres de Plaute, Mercat., IV, 2, 5, et Asinaria, III, 1, 15.

Si nous comprenons la construction d’une trirème ancienne, nous verrons à la fois, d’abord, combien le Keleustês était essentiel pour maintenir les rameurs dans une action harmonieuse, — ensuite quelle différence immense a dû exister entre des rameurs exercés et des rameurs non exercés. La trirème avait en tout cent soixante-dix rameurs, distribués en trois rangs. Le rang supérieur, appelé Thranitæ, comptait soixante-deux hommes, ou trente et un de chaque côté ; le rang du milieu, ou Zygitæ, et le dernier rang, ou Thalamitæ, comprenaient chacun cinquante-quatre hommes, soit vingt-sept de chaque côté. Outre ces rangs, chaque trirème avait un certain nombre, vraisemblablement trente environ, de rames supplémentaires, dont devaient se servir les epibatæ, on soldats servant à bord, dans le cas où des rameurs seraient tués, ou des rames brisées. Chaque rang de rameurs était réparti dans toute la longueur du vaisseau, de l’avant à l’arrière, ou du moins dans sa plus grande partie ; mais les bancs du rang plus haut n’étaient point placés exactement dans la ligne perpendiculaire au-dessus des rangs inférieurs. Naturellement les rames des thranitæ, ou banc supérieur, étaient les plus longues ; celles des thalamitæ, ou banc le plus bas, les plus courtes ; celles des zygitæ, d’une longueur intermédiaire. Chaque rame n’était maniée que par un seul homme. Les thranitæ, comme ayant les plus longues rames, avaient la plus rude besogne, et recevaient une paye de beaucoup supérieure. Quelle était la longueur des rames appartenant aux divers rangs, c’est ce que nous ignorons ; mais quelques-unes des rames supplémentaires paraissent avoir eu environ quinze pieds (4 mèt. 57 cent.) de long.

Ce qui est avancé ici parait être assez hier, prouvé, surtout par les inscriptions découvertes à Athènes il y a peu d’années, et qui sont si remplies de renseignements relativement à la marine athénienne, — et par le commentaire instructif annexé à ces instructions par M. Bœckh, Seewesen der Athener, ch. IX, p. 91, 104, 115. Suis il y a encore, relativement à l’équipement d’une ancienne trirème, bien des choses qui ne sont pas prouvées et que l’on conteste.

Or, il n’y avait que la voix dit keleustês pour maintenir tous ces cent soixante-dix rameurs en mesure avec leurs coups d’aviron. Avec des rames de différente longueur, et tant de rameurs, cela n’a pas dû être chose facile ; et apparemment tout à fait impossible, à moins que les rameurs ne fussent exercés à agir de concert. La différence entre ceux qui étaient exercés ainsi et ceux qui ne l’étaient pas, doit avoir été immense (cf. Xénophon, Œconomic., VIII, 8). Nous pouvons nous imaginer la différence qui existait entre les vaisseaux de Phormiôn et ceux de ses ennemis, et la difficulté qu’avaient ces derniers à lutter contre la houle de la mer, — quand nous lisons cette description de la trirème ancienne.

Environ deux cents hommes, c’est-à-dire, cent soixante-dix rameurs et trente surnuméraires, pour la plupart epibatæ on hoplites servant à bord, outre le pilote, l’homme à l’avant du vaisseau, le keleustês, etc., probablement une demi-douzaine d’officiers, — formaient l’équipage d’une trirème cf. Hérodote, VIII, 17 ; VII, 184, où il compte les trente epibatæ en sus des deux cents. Le docteur Arnold pense qu’au commencement de la guerre du Péloponnèse, les epibatæ à bord d’une trirème athénienne n’étaient pas plus de dix ; mais ceci ne semble pas tout à fait prouvé ; voir sa note sur Thucydide, III, 95.

Les galères vénitiennes dans le treizième siècle étaient montées par le même nombre d’hommes environ. Les galères vénitiennes du convoi de Flandre devaient être montées par deux cents hommes libres, dont cent quatre-vingts rameurs et douze archers. Les arcs ou balistes furent prescrits en 1333 pour toutes les galères de commerce armées. (Depping, Histoire du commerce entre le Levant et l’Europe, vol. I, p. 163).

[20] Thucydide, II, 84.

[21] Thucydide, II, 85.

[22] Thucydide, I, 144.

[23] Thucydide, II, 86-89 : cf. VII, 36-49.

[24] Thucydide, II, 86.

[25] Thucydide. II, 87.

[26] Thucydide, II, 89.

[27] Thucydide, II, 90. Matthiæ, dans sa grammaire (sect. 584), dit que έπί τεσσάρων signifie quatre en profondeur, et il cite ce passage de Thucydide comme exemple à l’appui. Mais les mots signifient certainement ici quatre de front, bien que l’on doive se rappeler qu’une colonne de quatre de front se trouve, quand elle est formée en ligne, avoir quatre de profondeur.

[28] Thucydide, III, 102.

[29] Par rapport à la description de ce mouvement, v. l’appendice ajouté au présent chapitre.

[30] Thucydide, II, 90. Les mots de l’historien marquent combien ils l’échappèrent belle.

Ce que fit la flotte syracusaine contre celle des Athéniens dans le port de Syracuse, et les réflexions de l’historien à ce sujet, expliquent cette attaque des  Péloponnésiens contre la flotte de Phormiôn (Thucydide, VII, 36).

[31] Cf. la même bravoure montrée par les hoplites lacédæmoniens à Pylos (Thucydide, IV, 14).

[32] Thucydide, II, 92. Il est assez évident que les Athéniens défirent et repoussèrent non seulement les vingt vaisseaux péloponnésiens de l’aile droite, ou aile chargée de la poursuite, — mais encore la gauche et le centre. Autrement ils n’auraient pas été en état de reprendre les vaisseaux athéniens qui avaient été perdus au commencement de la bataille. Thucydide, il est vrai, ne mentionne pas expressément la gauche et le centre des Péloponnésiens comme suivant la droite dans sa poursuite vers Naupaktos. Mais nous pouvons présumer qu’ils agirent ainsi en partie, probablement sans se soucier de conserver beaucoup d’ordre, comme étant d’abord sous l’impression que la victoire était gagnée. Probablement donc il ne fut pas bien difficile de jeter la confusion parmi eux, quand les vingt vaisseaux de la droite furent battus et refoulés sur eux, — bien que même le nombre des trirèmes athéniennes victorieuses ne fut pas supérieur à onze.

[33] Thucydide, II, 102, 103.

[34] Thucydide, II, 93. Sur ces mots il y a une lettre intéressante du Dr Bishop, publiée dans l’Appendice du Thucydide du Dr Arnold, vol. I. Ses remarques ύπηρέσιον sont plus satisfaisantes que celles sur τροπωτήρ. Que le support de la rame fût formé par un tolet, ou entaille faite sur le plat-bord, ou par un trou pratiqué dans le bordage du vaisseau, il y a dû y avoir nécessairement dans les deux cas (puisqu’il ne semble pas qu’il y ait eu rien qui ressemble à ce que le Dr Bishop appelle un écrou), une courroie pour l’empêcher de glisser vers l’eau ; surtout pour les rames des thranitæ, ou rang supérieur de rameurs, qui nageaient à une si grande élévation (comparativement parlant) au-dessus de l’eau. L’explication donnée parle Dr Arnold relativement au mot τροπωτήρ s’applique bien à un canot et non à une trirème. Le Dr Bishop montre que l’explication du but de l’ύπηρέσιον, donnée par le Scholiaste, n’est point la vraie.

[35] Thucydide, II, 94.

[36] Xénophon, Helléniques, V, 1, 19.

[37] Thucydide, II, 29, 95, 96.

[38] Thucydide, II, 99.

[39] V. Xénophon, Anabase, VII, 3,16 ; 4, 2. Diodore (XII, 50) donne le revenu de Sitalkês comme montant à plus de mille talents par, an. Cette somme ne diffère pas beaucoup de celle qui, selon Thucydide, formait la rente annuelle de Seuthês, successeur de Sitalkês, — revenu proprement ainsi nommé, et présents, pris ensemble.

Des commerçants de Parion, sur la côte asiatique de la Propontis, sont au nombre de ceux qui viennent avec des présents chez le roi odrysien Mêdokos (Xénophon, ut supra).

[40] Xénophon, Anabase, l. c.

[41] Hérodote, IV, 80.

[42] Xénophon, Anabase, VII, 2, 31 ; Thucydide, II, 29 ; Aristophane, Aves, 366. Thucydide fait une digression pour réfuter cette croyance courante, — curieuse explication par un exemple de l’ancienne légende appliquée à la convenance d’une politique actuelle.

[43] Thucydide, II, 97.

On peut voir cette nécessité universelle de cadeaux et de présents expliquée par la conduite de Xénophon et de l’armée de Cyrus à l’égard du prince thrace Seuthês, décrite dans l’Anabase, VII, ch. 1 et 2. Il parait que même à cette époque (401 av. J.-C.) l’empire odrysien, bien qu’il eût passé par des troubles et qu’il eût été affaibli en pratique, s’étendait encore jusqu’au voisinage de Byzantion. En commentant la vénalité des Thraces, le Scholiaste fait une comparaison curieuse avec son propre temps. Le Scholiaste nous dit ici que la vénalité à son époque quant aux affaires publiques, dans l’empire romain, n’était pas moins universelle. De quel siècle de l’empire romain parle-t-i17 c’est ce que nous ignorons. Peut-être de l’an 500-600 environ de l’ère chrétienne.

Le contraste que Thucydide établit ici entre les Thraces et les Perses est expliqué par ce que, dit Xénophon relativement aux habitudes du jeune Cyrus (Anabase, I, 9, 22). Cf. aussi le roman de la Cyropædie, VIII, 14, 31, 32.

[44] V. Gatterer (De Herodoti et Thucydidis Thraciâ), sect. 44-57 ; Poppo (Prolegom. ad Thucydidem), vol. II, ch. 31, au sujet de la géographie de cette contrée, qui est très imparfaitement connue, même dans les temps modernes. Nous ne pouvons guère prétendre assigner une localité pour les anciens noms.

Thucydide, dans ses brèves indications relatives à cette marche de Sitalkês, parle comme quelqu’un qui avait de bons renseignements sur l’intérieur du pays ; comme il était naturel qu’il en eût, en ce qu’il était familier avec les côtes et avec les propriétaires résidant en Thrace (Thucydide, II, 100 ; Hérodote, V, 16).

[45] Thucydide, II, 100 ; Xénophon, Memorab., III, 9, 2.

[46] Thucydide, II, 101.

[47] Thucydide, II, 101.