SEPTIÈME VOLUME
J’ai déjà raconté, dans le chapitre précédent, comment les Grecs asiatiques, débarrassés du Spartiate Pausanias, prièrent Athènes d’organiser une nouvelle confédération et de prendre le rôle de cité présidente (Vorort), — et comment cette confédération, formée non seulement pour des objets communs et urgents, mais aussi sur des principes de droits égaux et de contrôle constant de la part des membres, obtint bientôt l’adhésion spontanée d’une partie considérable de Grecs, insulaires ou maritimes, près de la mer Ægée. Je mentionnais aussi cet événement comme donnant naissance à une nouvelle ère dans la politique grecque. Car s’il y avait eu auparavant une tendance, non pas très forte, cependant en général constante et croissante, vers une sorte de ligue unique de tous les Hellènes sous la présidence de Sparte, — dorénavant cette tendance disparaît et une bifurcation commence. Athènes et Sparte se partagent le monde grec, et appellent un nombre plus considérable de ses membres à coopérer, soit avec l’une, soit avec l’autre, qu’on ne l’avait jamais vu auparavant. Thucydide marque d’une manière précise, autant que le permettent des termes généraux, le caractère de la nouvelle confédération pendant les premières années qui suivirent ses débuts. Mais malheureusement il ne nous donne guère de faits particuliers ; et, dans l’absence de telles preuves propres à servir de contrôle, l’habitude s’est établie de décrire d’une manière vague la période entière qui s’écoule entre 477 et 405 avant J.-C. (la dernière date est celle de la bataille d’Ægos-Potami) comme constituant l’empire athénien. Ce mot désigne assez exactement là dernière partie, peut-être les quarante dernières années des soixante-douze ans indiqués ; mais il trompe quand on l’applique à la première partie ; et à vrai dire l’on ne peut trouver un seul mot qui caractérise fidèlement aussi bien une partie que l’autre. Un grand et sérieux changement s’était opéré, et nous déguisons le fait de ce changement si nous parlons de l’hégémonie ou suprématie athénienne comme portion de l’empire athénien. Thucydide distingue les deux avec soin, en parlant des Spartiates comme ayant perdu et des Athéniens comme ayant acquis, non l’empire, mais la suprématie ou hégémonie[1]. La transition de l’hégémonie athénienne à l’empire athénien fut sans doute graduelle, de sorte que l’on me pourrait pas déterminer d’une manière précise où finit l’une et où commence l’autre ; mais elle avait été accomplie avant la trêve de trente ans, qui fut conclue quatorze ans avant la guerre du Péloponnèse, — et elle fut, en effet, la cause réelle de cette guerre. Athènes en vint alors à posséder l’empire, — en partie comme un fait établi, reposant sur un acquiescement plutôt que sur de l’attachement ou un consentement dans l’esprit des sujets, — en partie comme une conséquence de la nécessité d’union combinée avec ses forces supérieures ; tandis que ce dernier point, supériorité de forces comme titre légitime, devenait de plus en plus saillant et dans le langage de ses orateurs et dans les conceptions de ses citoyens. Bien plus, les orateurs athéniens du milieu de la guerre du Péloponnèse osent affirmer que leur empire avait toujours eu ce même caractère depuis l’échec des Perses : inexactitude si manifeste que, si nous pouvions supposer que le discours fait par l’Athénien Euphêmos, à Kamarina, en 415 avant J.-C., eût été entendu par Themistoklês ou par Aristeidês cinquante ans auparavant, il aurait également choqué la prudence de l’un et la justice de l’autre. La condition souveraine d’Athènes, telle qu’elle l’occupa au commencement de la guerre du Péloponnèse, époque où ses alliés (excepté Chios et Lesbos) étaient des sujets tributaires, et où la mer Ægée était un lac athénien, — cette condition, disons-nous, fut naturellement la période de sa plus grande splendeur et -de sa plus grande action sur le monde grec. Ce fut aussi la période qui fit le plus d’impression sur les historiens, les orateurs et les philosophes ; elle suggéra l’idée d’un seul État exerçant la domination sur la mer Ægée, comme condition naturelle de la Grèce, de sorte que si Athènes perdait cette domination, elle serait transférée à Sparte ; elle offrit les Grecs maritimes dispersés comme une proie tentante pour les plans agressifs de quelque nouveau conquérant, et même elle introduisit par association dans les imaginations des hommes le Minos mythique de Krête et autres, comme ayant été maîtres de la mer Ægée dans des temps antérieurs u Athènes. Même ceux qui vivaient sous l’empire athénien parvenu u son complet développement n’avaient pas sous les yeux de bonnes relations des événements entre 479-450 avant J.-C. Car nous pouvons conclure de ce que donne à entendre Thucydide, aussi bien que de sa stérilité sous le rapport des faits, que, s’il y avait des chroniqueurs tant pour l’invasion des Perses que pour les temps qui la précédaient, personne ne s’occupa des temps qui la suivirent immédiatement[2]. Aussi le peu de lumière qui est tombé sur cette lacune a-t-il été emprunté en entier (si nous exceptons le soigneux Thucydide) d’une époque subséquente ; et l’hégémonie athénienne a été considérée comme étant simplement le commencement de l’empire athénien. On a fait honneur à Athènes d’une ambition à longue vue, visant dès la guerre des Perses à des résultats qu’il se peut que Themistoklês[3] ait devinés en partie ; mais que le temps seul et des accidents successifs révélèrent même à un spectateur éloigné. Mais cette anticipation systématique de résultats subséquents est fatale à toute intelligence exacte soit des agents réels, soit de l’époque réelle : on doit les expliquer tous deux par les circonstances précédentes et réellement présentes, en s’aidant, bien qu’avec mesure et précaution, de la connaissance que nous avons de ce qui était alors un avenir inconnu. Quand Aristeidês et Kimôn congédièrent l’amiral lacédæmonien Dorkis et chassèrent Pausanias- de Byzantion à sa seconde arrivée, ils avaient à résoudre le problème qui se présentait, immédiatement à eux. Ils avaient à achever la défaite de la puissance persane, encore formidable, — et à créer et à organiser une confédération qui n’était encore qu’ébauchée. C’était tout à fait suffisant pour occuper leur attention, sans leur attribuer des vues éloignées d’un empire maritime athénien. Dans cette brève esquisse des incidents qui précèdent la guerre du Péloponnèse, et que Thucydide présente comme une digression dans son récit[4], il ne donne ni ne déclare donner une énumération complète de tout, ce qui arriva réellement. Pendant l’intervalle qui s’écoule entre le moment où les alliés asiatiques abandonnent pour la première fois Pausanias pour Athènes, en 477 avant J.-C., — et la révolte de Naxos, en 466 avant J.-C., — il rapporte trois incidents seulement : d’abord le siège et la prise d’Eiôn sur le Strymôn, avec sa garnison persane, — ensuite la prise de Skyros, et l’appropriation de l’île aux Klêruchi athéniens ou citoyens du dehors ; — en troisième lieu, la guerre avec Karystos en Eubœa, et la réduction de la place par capitulation. Ç’a été trop l’usage, de raisonner comme si ces trois événements étaient l’histoire entière de dix ou de onze années. En considérant ce que dit Thucydide relativement à l’obscurité de cette période,, nous pourrions soupçonner que ce fût tout ce qu’il put apprendre à son sujet sur de bonnes autorités : et ce sont tous, en vérité, des événements qui trouvent, un appui prochain et spécial dans l’histoire subséquente d’Athènes elle-même, car Eiôn fut le premier marchepied à l’important établissement d’Amphipolis, et Skyros, à l’époque de Thucydide, était la propriété de citoyens athéniens résidant au dehors ou Klêruchi. Cependant on nous laisse dans une ignorance presque absolue de la conduite d’Athènes, en tant que dirigeant les forces confédérées nouvellement établies ; car il est certain que les dix premières années de l’hégémonie athénienne ont dû être des années de guerre très active contre les Perses. Un seul témoignage positif à cet effet nous a été conservé accidentellement par Hérodote, qui mentionne que, avant l’invasion de Xerxès, il y avait partout, en Thrace et dans l’Hellespont, des commandants perses et des garnisons persanes[5], que les Grecs vainquirent tous après cette invasion, excepté seulement Maskamês, gouverneur de Doriskos, qui ne put jamais être pris, bien que les Grecs eussent fait maintes tentatives sur cette forteresse. Aucune de ces villes, qui furent prises par les Grecs, ne fit une défense suffisante pour attirer l’admiration de Xerxès, excepté Bogês, gouverneur d’Eiôn. Bogês, après s’être bravement défendu et avoir refusé des offres de capitulation, vit ses provisions épuisées et toute résistance ultérieure impraticable. Alors il alluma un immense bûcher funèbre, — tua, ses épouses, ses enfants, ses concubines et sa famille, et les y jeta, — lanças ses effets précieux par-dessus le mur dans le Strymôn, — et enfin se précipita dans les flammes[6]. Son vaillant désespoir fut l’objet d’éloges enthousiastes chez les Perses, et ses parents en Perse furent libéralement récompensés par Xerxès. La prise d’Eiôn, effectuée par Kimôn, a été mentionnée, (comme nous l’avons déjà dit) par Thucydide ; mais Hérodote nous donne ici à entendre qu’elle fit partie seulement d’une série d’entreprises, dont Thucydide ne signale aucune, faites contre les Perses. Bien plus, ses paroles feraient croire, que Maskamês se maintint à Doriskos pendant tout le règne de Xerxès, et peut-être plus longtemps, repoussant des assauts grecs successifs. L’importante indication, citée ici d’après Hérodote,
serait à elle seule une preuve suffisante que les premières années de l’hégémonie
athénienne furent remplies d’hostilités : actives et heureuses contre les
Perses. Et, en vérité, c’est ce à quoi nous devions nous attendre. Les
batailles de Salamis, de Platée et de Mykale chassèrent les Perses de la
Grèce et triomphèrent de leurs principaux armements ; mais elles ne les
éloignèrent pas d’un seul coup de tous les divers postes qu’ils occupaient d’une
extrémité à l’autre de la mer Ægée et de Ainsi, quant à ces dix années, nous ne pouvons nullement
admettre que les incidents particuliers mentionnés par Thucydide au sujet d’Eiôn,
de Skyros, de Karystos et de Naxos, constituent la somme totale des
événements. Pour contredire cette supposition, j’ai déjà insinué une preuve
suffisante, bien qu’indirecte, qu’ils n’étaient qu’une partie de ce que
renfermait une période très active,-dont nous sommes condamnés à ignorer les
autres détails, indiqués comme digression par Thucydide dans son langage
général et large. Nous rie sommes pas non plus admis à assister à l’assemblée
de Dêlos qui, pendant tout ce temps, continua ses réunions périodiques : bien
qu’il eût été extrêmement intéressant de suivre les phases par lesquelles une
institution, qui promettait d’abord de protéger non moins les droits séparés
des membres que la sécurité du corps entier, manqua si tristement son but.
Nous devons nous rappeler que cette confédération, formée pour des objets
communs à tous, limitait à une certaine mesure l’autonomie de chaque membre ;
elle conférait à la fois des droits définis et imposait des obligations
définies. Jurée solennellement par tous, et par Aristeidês au nom d’Athènes,
elle était destinée à lier les membres à jamais, — ce que marquait même la
formalité du serment, accomplie en jetant dans la mer de lourds morceaux de
fer, qu’on ne devait jamais revoir[9]. Comme cette confédération
était à la fois perpétuelle et obligatoire ; qu’elle liait chaque membre au
reste sans permettre ni retraite ni défaite, il était essentiel qu’elle fût
soutenue par une autorité déterminante et par une sanction qui put imposer. L’autorité
déterminante fut fournie par l’assemblée à Dêlos, la sanction qui devait
imposer fut exercée par Athènes, en qualité de présidente. Et il y a tout
lieu de présumer que, pendant longtemps, Athènes remplit ce devoir d’une
manière légitime et honorable, agissant en exécution des résolutions de l’assemblée,
ou du moins en pleine harmonie avec ses desseins généraux. Elle exigea de
chaque membre la quote-part fixée d’hommes ou d’argent, employant la
coercition contre les récalcitrants, et punissant par des châtiments l’abandon
du devoir militaire. Dans toutes ces demandes, elle s’acquittait seulement de
ses fonctions appropriées comme chef choisi de Mais après un petit nombre d’années, plusieurs des confédérés, finissant par se fatiguer du service militaire personnel, obtinrent des Athéniens qu’ils fourniraient à leur place des vaisseaux et des hommes, et s’imposèrent en échange un payement en argent d’une quantité convenable. Ce changement, introduit probablement d’abord pour obvier à quelque cas spécial où il leur était difficile de fournir ce contingent, se trouva être tellement du goût de toutes les parties, qu’il s’étendit graduellement à la plus grande portion des confédérés. Pour des alliés peu belliqueux, haïssant la peine et les privations, ce fut un soulagement heureux ; tandis que pour les Athéniens, pleins d’ardeur et supportant la fatigue aussi bien que la discipline pour l’agrandissement de leur pays, il leur procura une paye constante pour une flotte plus nombreuse que celle qu’autrement ils auraient pu garder à flot : Il est évident, d’après l’attestation de Thucydide, que ce changement dans la pratique fut introduit sur la demande des confédérés eux-mêmes, et non par suite d’une pression ou d’un stratagème de la part d’Athènes[11]. Mais bien que telle fût sa source réelle, il n’en dégrada pas moins fatalement les alliés par rapport à Athènes, et éteignit le sentiment primitif d’égalité de droits et de société dans la confédération, avec une communauté de danger aussi bien que de gloire, qui les avait unis naguère. Les Athéniens en vinrent à se considérer comme chefs militaires et comme soldats, avec un corps de sujets payant tribut, sur lesquels ils étaient autorisés à dominer et qu’ils pouvaient retenir, à la fois quant à la politique étrangère et au gouvernement intérieur, dans la mesure qu’ils jugeaient utile, — mais qu’ils étaient aussi obligés de protéger contre les ennemis étrangers. Les forces militaires de ces Etats sujets furent ainsi en grande partie transférées à Athènes de leur propre fait, précisément comme celles de tant de princes indigènes dans l’Inde ont été cédées aux Anglais. Mais la puissance militaire de la confédération contre les Perses s’accrut beaucoup,à mesure que les résolutions vigoureuses d’Athènes[12] furent de moins en moins paralysées par les luttes et l’irrégularité d’une assemblée ; de sorte que la guerre fut poursuivie avec un plus grand succès que jamais, tandis que ces motifs d’alarme qui avaient servi d’abord de stimulant pressant à la formation de la confédération finirent par s’éloigner de plus eh plus chaque année. C’est dans ces circonstances que plusieurs des États confédérés
se fatiguèrent même de payer leur tribut, — et devinrent contraires à l’idée
de rester comme membres. Ils firent des essais successifs pour se séparer ;
mais Athènes, agissant vraisemblablement de concert avec l’assemblée, réprima
leurs tentatives les unes après les autres, — elle vainquit les révoltés,
leur imposa des amendes et les désarma ; ce qu’elle fit d’autant plus
aisément que, dans la plupart des cas, leurs forces navales lui avaient été
transmises en grande partie. Comme ces événements arrivèrent, non pas tout d’un
coup, nais successivement en différentes années, — le nombre des simples
alliés pavant tribut aussi bien que de révoltés soumis croissant
continuellement, — il n’y eut jamais un seul moment de changement apparent
dans le caractère de Il y eut deux autres causes ; outre celle qui vient d’être
signalée, de l’impopularité d’Athènes souveraine. D’abord, l’existence de la
confédération, imposant des obligations permanentes, était en lutte avec l’instinct
général de l’esprit grec, qui tendait vers une autonomie politique séparée de
chaque cité, — aussi bien qu’avec le tour particulier de l’esprit ionien,
incapable de cet effort personnel et constant, qui était nécessaire pour
maintenir l’assemblée de Dêlos sur sa première base large et’ égale. Ensuite,
— et c’est là la principale cause, — Athènes, après avoir défait les Perses,
et les avoir repoussés au loin, commença à employer les forces et le tribut
de ses alliés sujets à faire aux Grecs une guerre où ces alliés n’avaient
rien à gagner à la suite du succès, — avaient tout à craindre après la
défaite, — et une bannière à défendre, blessante pour des sympathies
helléniques. C’est sous ce rapport que les alliés sujets eurent tout lieu de
se plaindre, pendant les guerres prolongées de Grecs contre Grecs en vue de
soutenir la prééminence athénienne. Mais sous celui de griefs ou d’oppression
pratiques, il y eut peu de motifs pour être mécontents, et ils éprouvèrent
peu de mécontentement réel, comme je le montrerai ci-après d’une manière plus
complète. Dans le corps général de citoyens des cités alliées et sujettes, le
sentiment à l’égard d’Athènes était plutôt de l’indifférence que de Il est probable que le même éloignement pour un effort
personnel, qui poussa les confédérés de Dêlos à offrir un payement en argent
à la place d’un service militaire, les engagea aussi à négliger l’assiduité à
l’assemblée. Mais nous ne savons pas les phases par lesquelles passa cette
assemblée, qui fut d’abord une réalité effective, pour ne devenir
graduellement qu’une pure formalité et pour finir par disparaître. Toutefois,
rien ne peut montrer plus fortement la différence de caractère entre les
alliés maritimes d’Athènes et les alliés péloponnésiens de Sparte que ce fait,
— que tandis que les premiers reculaient devant un service personnel et
jugeaient avantageux de se taxer pour le remplacer, — les derniers étaient suffisamment prêts de leurs personnes, mais
inflexibles et intraitables quant aux contributions[14]. Le mépris
ressenti par ces hommes de terre Dôriens pour la capacité militaire des
Ioniens revient souvent, et parait même avoir dépassé ce que justifiait J’ai déjà mentionné que la première imposition collective de tribut, proposée par Aristeidês et adoptée par l’assemblée de Dêlos, était de quatre cent soixante talents en argent. A cette époque, bien des confédérés payaient leur quote-part, non en argent, mais en vaisseaux. Mais cette coutume diminua graduellement, à mesure que se multiplièrent les changements cités plus haut, d’argent à la place de vaisseaux, tandis que le tribut collectif devint naturellement plus considérable. Il ne dépassait pas six cents talents[16] au commencement dé la guerre du Péloponnèse, quarante-six ans après la première formation de la confédération : d’où nous pouvons conclure qu’il ne fut jamais augmenté an détriment de membres individuels pendant cet intervalle. Car la différence entre quatre cent soixante talents et six cents peut entièrement s’expliquer par les nombreux changements de service en argent, aussi bien que par les acquisitions de nouveaux membres, que sans doute Athènes eut plus ou moins l’occasion de faire. On ne doit pas s’imaginer que la confédération ait atteint son maximum comme nombre à la date de la première imposition du tribut : il a dû y avoir diverses cités, telles que Sinopê et Ægina, ajoutées subséquemment[17]. Sans un exposé préliminaire semblable à celui que nous venons de faire, relativement au nouvel état de la Grèce entre la guerre des Perses et celle du Péloponnèse, commençant avec le commandement ou hégémonie athénienne, et finissant avec l’empire athénien, — le lecteur aurait de la peine à comprendre la portée de ces événements particuliers que nos autorités nous mettent à même de raconter ; événements peu nombreux par malheur, bien que la période ait dit être pleine d’action, — et mal constatés quant aux dates. La première entreprise des Athéniens que nous connaissions dans leur nouvelle qualité (fut-ce absolument la première ou non ? c’est ce que nous ne pouvons déterminer), entre 476 et 466 avant J.-C., fut la conquête du poste important d’Eiôn sur le Strymôn, où le gouverneur persan Bogês, réduit par la faim, après une résistance désespérée, — au lieu de capituler, aima mieux se détruire avec sa famille et ses effets précieux, — comme nous l’avons déjà dit. Les événements suivants que l’on cite sont leurs entreprises contre les Dolopes et les Pélasges dans l’île de Skyros (vraisemblablement vers 470 av. J.-C.), et contre les Dryopes dans la ville et le district de Karystos, en Eubœa. Ces derniers, qui étaient d’une race différente dé celle des habitants de Chalkis et d’Eretria, et qui ne reçurent d’eux aucune aide, obtinrent une capitulation : les premiers furent traités avec plus de rigueur et chassés de leur île. Skyros était stérile et avait peu de chose qui la recommandât, si ce n’est une bonne position maritime et un excellent port ; tandis que ses habitants, vraisemblablement parents des Pélasges résidant à Lemnos antérieurement à l’occupation de cet endroit par les Athéniens, étaient à la fois adonnés à la piraterie et cruels. Quelques marchands thessaliens, récemment pillés et emprisonnés par eux, avaient porté plainte contre eux devant l’assemblée amphiktyonique, qui condamna l’île à faire une restitution. La masse des insulaires rejeta la charge sur ceux qui avaient commis le crime : et ces hommes, afin d’échapper au payement, invoquèrent Kimôn avec l’armement athénien. Il s’empara de l’île, en chassa les habitants, et la peupla de colons athéniens. Cet acte qui purgeait l’île fut utile et approprié au
nouveau caractère d’Athènes, comme gardienne de la mer Ægée contre la
piraterie ; mais il semble aussi se rattacher à des plans athéniens. L’île
était très commode pour la communication avec Lemnos (que les Athéniens avaient sans doute
occupée de nouveau après l’expulsion des Perses)[18], et elle devint,
aussi bien que Lemnos, une adjonction reconnue ou portion avancée de l’Attique.
De plus, il y avait d’antiques légendes qui rattachaient les Athéniens à
elle, comme tombe de leur héros Thêseus, dont le nom, en qualité de champion
mythique de la démocratie, était en faveur particulière à l’époque qui suivit
immédiatement le retour de Salamis. C’était dans l’année 476 avant J.-C. que
l’oracle leur avait ordonné, d’apporter de Skyros à. Athènes les ossements de
Thêseus, et de préparer pour ce héros une sépulture et un monument
magnifiques dans leur nouvelle cité. Ils avaient essayé de le faire ; mais
les mœurs insociables des Dolopes avaient empêché toute recherche, et ce ne
fut qu’après que Kimôn eut pris cette île qu’il trouva ou prétendit trouver
le corps. Il fut apporté à Athènes dans l’année 469 avant J.-C.[19] Et après avoir
été bien accueilli par le peuple dans une procession solennelle et joyeuse,
comme si le héros fût revenu lui-même, il fut déposé dans l’intérieur de Ce fut environ deux ans, ou plus, après cet incident, que l’union de la confédération de Naxos se rompit pour la première fois. L’importante île de Naxos, la plus vaste des Cyclades, — île qui, trente ans auparavant, s’était vantée d’avoir une marine considérable et huit mille hoplites, — se révolta ; sur quel motif particulier ? c’est ce que nous ignorons ; mais il est probable que les îles plus grandes se croyaient plus en état de se passer de la protection de la confédération que les plus petites, — en même temps qu’elles étaient plus jalouses d’Athènes. Après un siége dont la durée est inconnue, par Athènes et l’armée confédérée, elle fut forcée de se rendre, et réduite à la condition de sujette soumise à un tribut[21] ; sans doute ses vaisseaux armés furent enlevés et ses fortifications rasées. Une amende ou une peine ultérieure fut-elle imposée ? c’est ce qu’on ne nous dit pas. Nous ne pouvons douter que la réduction de cette île puissante, bien que fâcheuse dans ses effets sur le caractère égal et indépendant de la confédération, n’ait augmenté ses forces militaires en mettant toute la flotte naxienne avec de nouvelles contributions pécuniaires entre les mains de son chef. Il n’est pas non plus surprenant d’apprendre qu’Athènes chercha à la fois à employer ces nouvelles forces et à effacer le dernier acte de sévérité par un redoublement d’efforts contre l’ennemi commun. Bien que nous ne connaissions pas de détails relativement aux opérations contre la Perse depuis l’attaque d’Eiôn, ces opérations ont dd continuer ; mais l’expédition sous Kimôn, entreprise peu de temps après la révolte naxienne, fut suivie de résultats mémorables. Ce commandant, ayant sous ses ordres 200 trirèmes d’Athènes et 100 des divers confédérés, fut envoyé pour attaquer les Perses sur la côte sud et sud-ouest de l’Asie Mineure. Il attaqua plusieurs de leurs garnisons et les chassa de divers établissements grecs, tant en Karia qu’en Lykia ; entre autres, l’importante cité commerçante de Phasêlis, bien que d’abord elle résistât et soutint même un siége, fut décidée par les suggestions amicales de ceux de Chios qui étaient dans l’armement de Kimôn, à payer une contribution de dix talents et à se joindre à l’expédition. Le long temps occupé dans ces diverses entreprises avait permis aux satrapes persans de réunir une armée puissante, tant de mer que de terre, près de l’embouchure du fleuve Eurymedôn, en Pamphylia, sous le commandement de Tithraustês et de Pherendatês, tous deux de sang royal. La flotte, principalement phénicienne, semble avoir consisté en 200 vaisseaux ; mais on attendait un autre renfort de 80 vaisseaux phéniciens, qui étaient alors près de là, de sorte que les commandants n’étaient pas disposés à hasarder une bataille avant son arrivée. Kimôn, désireux pour la même raison de hâter le combat, les attaqua vigoureusement. En partie à cause de l’infériorité du nombre, en partie par suite du découragement que leur causa l’absence du renfort, ils ne semblent pas avoir fait une vaillante résistance. Ils furent mis en fuite et poussés à la côte si promptement, et avec si peu de pertes du côté des Grecs, que Kimôn put débarquer ses hommes sur-le-champ et attaquer l’armée de terre, qui était rangée sur là rivage pour les protéger. La bataille sur terre fut longue et bravement disputé ; mais Kimôn finit par remporter une victoire complète, dispersa l’armée, fit une foule de prisonniers, et prit ou détruisit la flotte entière. Quand il se fut assuré de sa victoire et de ses prisonniers, il fit voile vers Kypros, dans le dessein d’intercepter le renfort de quatre-vingts vaisseaux phéniciens dans sa marche, et il fut assez heureux pour l’attaquer pendant qu’il ignorait encore les victoires sur l’Eurymedôn. Ces vaisseaux aussi furent tous détruits, bien qu’il semblé que la plus grande partie des équipages se sauva sur la côte de l’île. Deux grandes victoires, une sur mer et l’autre sur terre, comptèrent avec raison parmi les plus glorieux de tous les exploits grecs, et furent célébrées comme telles dans l’inscription placée sur l’offrande commémorative à Apollon, composée du dixième des dépouilles[22]. Le nombre des prisonniers, aussi bien que le butin pris par les vainqueurs, fut immense. Une victoire aussi remarquable, qui rejeta les Perses dans le pays à l’est de Phasêlis, fortifia sans doute considérablement la position de la confédération athénienne contre eux. Mais elle ne contribua pas moins à élever la réputation d’Athènes, et même à la populariser auprès des alliés en général, à cause de la quantité considérable du butinà partager entre eux. Probablement cette augmentation de puissance et de popularité lui fut avantageuse clans toute sa lutte prochaine avec Thasos, en même temps qu’elle explique l’accroissement de la crainte et du mécontentement des Péloponnésiens. Thasos était membre de la confédération de Dêlos ; mais sa
querelle avec Athènes semble être née de causes tout à fait distinctes de
rapports entre confédérés. Nous avons déjà dit que les Athéniens avaient dans
les quelques dernières années chassé les Perses du poste important d’Eiôn sur
le Strymôn, le poste le plus commode à cause de la contrée voisine de Thrace,
qui n’était pas moins distinguée par sa fertilité que par sa richesse en
mines. Pendant qu’ils possédaient ce poste, les Athéniens avaient eu le temps
d’apprendre à connaître le caractère productif du pays adjacent, occupé
surtout par des Thraces Édoniens, et il est extrêmement probable que beaucoup
de colons particuliers arrivèrent d’Athènes dans le dessein dé se procurer
des concessions ou de faire leur fortune en s’associant avec des Thraces
puissants pour l’exploitation des mines d’or qui entouraient le mont Pangæos.
En agissant ainsi, ils ne tardèrent pas à se trouver en conflit avec les
Grecs de file du mont Thasos placée en face, qui possédaient une bande
considérable de terre avec diverses villes dépendantes sur le continent de
Thrace, et tiraient un revenu abondant des mines de Skaptê Hylê, aussi bien
que d’autres, dans lé voisinage[23]. La condition de
Thasos à cette époque (vers
465 av. J.-C.), nous indique les progrès que les États grecs de la mer
Ægée avaient faits depuis qu’ils étaient délivrés de De quelle manière exacte la querelle entre les Thasiens et
les Athéniens d’Eiôn se manifesta-t-elle, relativement au commerce et aux
mines de Thrace ? c’est ce que nous ignorons. Mais elle en vint à un tel
point que les Athéniens furent amenés à envoyer un puissant armement contre l’île,
sous le commandement de Kimôn[24]. Après avoir
vaincu l’armée thasienne sur mer, ils débarquèrent, gagnèrent diverses
batailles, et bloquèrent la ville aussi bien par terre que par mer. Et en
même temps ils entreprirent, — ce qui semble avoir été une partie du même
plan, — l’établissement d’une colonie plus considérable et plus puissante sur
la terre de Thrace à peu de distance d’Eiôn. Sur le Strymôn, à environ trois
milles (4 kil. Tout désappointés que fussent les Athéniens dans cette entreprise, ils n’abandonnèrent pas le blocus de Thasos, qui tint plus de deux axis et ne se rendit que dans la troisième année. Ses fortifications furent rasées ; ses vaisseaux de guerre, au nombre de trente-trois, emmenés[26] ; ses possessions et ses établissements de mines sur le continent opposé furent abandonnés. En outre, on demanda aux habitants une contribution immédiate en argent, outre le payement annuel qui leur fut imposé pour l’avenir. La réduction de cette île puissante fut une autre phase dans la domination croissante d’Athènes sur ses confédérés. Toutefois, l’année qui précéda celle où les Thasiens se
rendirent, ils avaient fait une démarche qui mérite une mention particulière,
comme indiquant les nuages qui commençaient à se former dans l’horizon
politique de Plutarque nous dit que les Athéniens, après que Thasos se fut rendue et que l’armement fut libre, avaient attendu de Kimôn quelques autres conquêtes en Macedonia, — et que même il était réellement entré dans ce dessein en promettant si bien le succès que l’accomplissement en était certain aussi bien que facile. Il l’abandonna dans ces circonstances et retourna à Athènes ; aussi fut-il accusé par Periklês et par d’autres d’avoir été acheté par des présents du roi macédonien Alexandre ; mais il fut acquitté après un jugement public[28]. Pendant la période qui s’était écoulée entre la première formation de la confédération de Dêlos et la prise de Thasos (treize ou quatorze ans environ, 477-463 av. J.-C.), les Athéniens semblent avoir été occupés presque entièrement à leurs opérations maritimes, surtout contre les Perses, — avant été délivrés de tout embarras immédiatement autour de l’Attique. Mais cette liberté ne devait pas durer beaucoup plus longtemps. Pendant les dix années suivantes, leurs relations étrangères près de chez eux deviennent à la fois actives et compliquées ; tandis que leur force s’étend d’une manière si merveilleuse qu’on les trouve en état de remplir à la fois leurs obligations sur les deux côtés de la mer Ægée, à distance aussi bien que dans le voisinage. Quant aux incidents qui étaient survenus dans la Grèce
centrale pendant les douze ou quinze années qui suivent immédiatement là
bataille de Platée, nous n’avons guère de renseignements sur ce point. Les
sentiments du temps, entre ceux des Grecs qui avaient appuyé l’envahisseur
persan et ceux qui lui avaient résisté, doivent être restés hostiles, même
après la fin de la guerre ; tandis que la seule occupation de la nombreuse
armée des Perses doit avoir causé un sérieux dommage, tant à la Thessalia qu’à
La révolution que nous venons de signaler dans la politique spartiate à l’égard de la Bœôtia, ne se manifesta qu’environ vingt ans après le commencement de la confédération maritime athénienne. Dans le cours de ces vingt années, nous savons que Sparte avait eu plus d’une bataille à soutenir en Arkadia contre les villes et les villages de ce pays, et qu’elle fut victorieuse ; mais nous n’avons pas de détails relativement à ces incidents. Nous savons aussi que peu d’années après l’invasion des Perses, les habitants de l’Elis, quittant de nombreux municipes dispersés, se concentrèrent dans la seule ville principale d’Elis[35] ; et il semble probable que Lepreon en Triphylia, et une ou deux des villes de l’Achaïa, furent ou fermées ou agrandies par un procédé semblable presque à la même époque[36]. Une telle agrégation de villes, formée de villages séparés préexistants, n’était ni conforme aux vues, ni favorable à l’ascendant de Lacédæmone. Mais il n’y a galère lieu de douter que sa politique étrangère après l’invasion des Perses n’ait été à la fois gênée et discréditée par la mauvaise conduite de ses deux rois contemporains, Pausanias (qui bien que régent seulement équivalait en pratique à un roi) et Léotychidês, — pour ne pas mentionner le rapide développement d’Athènes et de Peiræeus. De plus, dans l’année 464 avant J.-C. (année qui précède la
reddition de Thasos se soumettant à l’armement athénien), un malheur d’une
importance plus terrible encore vint frapper Sparte. Un violent tremblement
de terre se fit sentir dans le voisinage immédiat de Sparte elle-même, et détruisit
une portion considérable de la ville et un nombre immense d’hommes, dont
beaucoup étaient des citoyens spartiates. C’était un châtiment infligé par
Poseidôn, le dieu qui ébranle la terre (dans la pensée des Lacédæmoniens eux-mêmes),
à cause d’une violation récente de son sanctuaire à Tællaros, d’où l’on avait
arraché peu de temps auparavant, pour les punir, certains Ilotes suppliants[37] : — c’étaient
assez probablement quelques-uns de ces Ilotes que Pausanias avait poussés à Les moyens d’attaquer les murailles à cette époque étaient
si imparfaits, même pour les Grecs les plus intelligents, que cette
augmentation de forces ne produisit pas d’effet immédiat sur la colline
fortifiée d’Ithômê. Et quand les Lacédæmoniens virent que leurs alliés
athéniens n’étaient pas plus heureux qu’ils ne l’avaient été eux-mêmes, ils
passèrent bientôt de la surprise au doute, à la méfiance et à l’appréhension.
Les troupes n’avaient fourni aucun motif pour un tel sentiment, tandis que l’attachement
de Kimôn, leur général, pour Sparte, était notoire. Cependant les
Lacédæmoniens ne purent se défendre de suspecter l’énergie et l’ambition
toujours en éveil de ces étrangers ioniens qu’ils avaient introduits dans l’intérieur
de Ce renvoi, extrêmement peu gracieux, et probablement rendu
plus blessant par la rudesse habituelle : de la conduite spartiate, excita la
plus violente exaspération chez les soldats athéniens et dans le peuple
athénien, — exaspération augmentée par des circonstances qui le précédaient
immédiatement. Car la résolution d’envoyer des auxiliaires en Laconie, quand
les Lacédæmoniens s’adressèrent à eux pour la première fois, n’avait pas été
prise sans de grands débats à Athènes. Le parti de Periklês et d’Ephialtês, habituellement
en opposition avec Kimôn, favorable au mouvement démocratique avancé, l’avait
fortement désapprouvée et avait conjuré ses compatriotes de ne pas aider à
faire renaître et à fortifier leur rival le plus formidable. Peut-être l’engagement
antérieur qu’avaient pris les Lacédæmoniens d’envahir l’Attique en faveur des
Thasiens était-il venu à leur connaissance, bien que non assez formellement
pour motiver un refus. Et même, en supposant que cet engagement fût resté
inconnu de tous à cette époque, il ne manquait pas d’autres motifs pour
rendre plausible la politique de refus. Mais Kimôn, — avec une ardeur que
même le philolaconien Kritias appelait dans la suite un sacrifice de la
grandeur d’Athènes à l’intérêt de Lacédæmone[41], — employa tout
son crédit et toute son influence à appuyer |
[1] Thucydide, I, 94, i. e. sous l’hégémonie spartiate, avant que les Athéniens fussent invités à prendre l’hégémonie. Cf. I, 77, et Hérodote, VIII, 2, 3. Ensuite nous avons (I, 95) les Ioniens. De plus, quand les Spartiates envoyèrent Dorkis à la place de Pausanias, voir ce qu’il dit des alliés. Puis, quant à la conduite suivante des Athéniens voir I, 96, cf. aussi I, 75 et VI, 76.
Ensuite la transition de l’ήγεμονία à l’άρχή (I, 97).
Thucydide ensuite continue en disant qu’il mentionne ces nombreux pas en avant, que fit Athènes, en partant de sa première hégémonie, de manière à montrer de quelle façon l’empire athénien ou άρχή fut formé dans l’origine. La même transition de l’ήγεμονία à l’άρχή est décrite dans le discours de l’ambassadeur athénien à Sparte, peu avant la guerre du Péloponnèse (I, 75). Mais comme il était plutôt de l’intérêt de l’orateur athénien de confondre la différence entre ήγεμονία et άρχή, après qu’il a clairement exposé dans quel rapport Athènes avait été d’abord à l’égard de ses alliés, et comment dans la suite ce rapport finit par changer totalement, Thucydide le fait glisser sur cette distinction, et dire : σΰτως ούδ̕ ήμεϊς θαυμαστόν ούδέν πεποιήκαμεν.... εί άρχήν τε διδομένην έδεξάμεθα καί ταύτην μή ανεϊμεν, etc. ; et il continue ensuite à défendre le droit d’Athènes au commandement en raison de ses forces et de son mérite supérieurs ; raisons que quelques années plus tard les orateurs athéniens avancent d’une manière plus nue et plus choquante encore. Lire aussi les parole de l’Athénien Euphêmos à Kamarina (VI, 82), où parait une confusion semblable, comme étant appropriée à l’argument.
Il faut se rappeler que le mot hégémonie ou commandement est extrêmement général ; il dénote un cas où l’on suit un chef, ou d’obéissance, toutefois temporaire, adoucie, ou à vrai dire guère plus qu’honorifique. Il est employé ainsi par les Thêbains pour exprimer leur relation à l’égard des villes confédérées bœôtiennes (ήγεμονεύεσθαι ύφ̕ ήμών, Thucydide, III, 61, où le Dr Arnold attire l’attention sur la distinction entre ce verbe et άρχειν, et tient relativement à l’άρχή athénienne un langage plus précis que celui que l’on trouve dans sa note Ad Thucydidem, I, 94), et par les Corinthiens pour exprimer leurs droits comme métropole de Korkyra, droits qui en réalité n’étaient guère plus qu’honorifiques (Thucydide, I, 38) : cf. VII, 55. Il est vrai, il signifie seulement quelquefois un guide (III, 98 ; VII, 50).
Mais les mots άρχή, άρχειν, άρχεσθαι, voix pass., sont plus propres dans leur signification, et impliquent à la fois une dignité supérieure et une autorité coercitive dans une mesure plus ou moins grande : cf. Thucydide, V. 69 ; II, 8, etc. La πόλις άρχήν έχουσα est analogue à άνήρ τύραννος.
Hérodote est moins soigneux que Thucydide à distinguer le sens de ces mots. V. la discussion de l’ambassadeur lacédæmonien et de l’athénien avec Gelôn, (VII, 155-162). Mais il est à remarquer qu’il fait demander à Gelôn l’ήγεμονία et non l’άρχή, — mettant la demande sous la forme la moins blessante. Cf. aussi la demande des Argiens pour l’ήγεμονία (VII, 148).
[2] Thucydide, I, 97.
Ainsi Hellanicus n’avait rien fait de plus que de toucher les événements de cette période ; et il trouvait si peu de bons renseignements à sa portée, qu’il tombait dans des bévues chronologiques.
[3] Thucydide, I, 93.
Le Dr Arnold dit dans sa note : Εύθύς signifie probablement aussitôt après la retraite des Perses. Je crois qu’il se rapporte à une période plus ancienne, — à ce moment où Themistoklês conseilla pour la première fois aux Athéniens la construction de la flotte, ou au moins où il leur conseilla d’abandonner leur cité et de se confier entièrement à leurs vaisseaux. C’est seulement par cette supposition que nous obtenons un sens raisonnable pour les mots έτόλμησε επίεϊν, il fut le premier qui osa dire ce qui implique un conseil d’une hardiesse extraordinaire. Car il fut le premier qui osa leur donner l’avis de vouloir s’emparer de la mer, et, dès ce moment, il contribua à établir leur empire. Le mot ξυγκατεσκεύαζε semble indiquer une conséquence indirecte, non pas vue directement, bien que devinée peut-être par Themistoklês.
[4] Thucydide, I, 97.
[5] Hérodote, VII, 106, 107.
Il faut peu se fier à la chronologie vague de Plutarque, mais lui aussi reconnaît la durée de l’occupation persane de points en Thrace, avec l’aide des indigènes, jusqu’à une époque postérieure à la bataille de l’Eurymedôn (Plutarque, Kimôn, c. 14).
C’est une erreur de supposer, avec le Dr Arnold, dans sa note sur Thucydide, VIII, 62, que Sestos fut presque la dernière ville occupée par les Perses en Europe.
Weissenborn (Hellen, oder Beitraege zur genaueren Erforschung der altgriechischen Geschichte, Iéna, 1844, p. 144, note 31) a fait attention à cet important passage d’Hérodote, aussi bien qu’à celui de Plutarque ; mais il ne voit pas combien il embarrasse toute tentative tendant à établir une chronologie certaine pour ces deux ou trois événements que Thucydide nous donne entre 476-466 avant J.-C.
[6] Kutzen (De Atheniensium Imperio Cimonis atque Periclis tempore constituto, Grimæ, 1837. Commentatio I, p. 8) doute à bon droit du stratagème attribué à Kimôn par Pausanias (VIII, 8, 2) pour la prise d’Eiôn.
[7] C’est à ces opérations qui restaient à faire contre les Perses, que fait allusion l’ambassadeur athénien à Lacédæmone, dans son discours antérieur à la guerre du Péloponnèse, Thucydide, I, 75, et encore, III, 11. Cf. aussi Platon, Menexen, c. 11.
[8] L’éducation navale des Athéniens commence directement après l’échec des Perses, Thucydide, I, 142.
[9] Plutarque, Aristeidês, c. 24.
[10] Ce concours de l’assemblée générale est impliqué en fait dans le discours que Thucydide fait tenir aux ambassadeurs mitylénæens à Olympia, dans la troisième année de la guerre du Péloponnèse ; discours prononcé par des personnes entièrement hostiles à Athènes (Thucydide, III, 11).
[11] Thucydide, I, 97-99.
[12] V. les méprisantes remarques de Periklês sur les débats des alliés lacédæmoniens à Sparte (Thucydide, I, 141).
[13] Le discours de l’ambassadeur athénien, à Sparte, un peu avant la guerre du Péloponnèse, expose le développement de l’empire athénien, en général, avec une justesse parfaite (Thucydide, I, 75, 76). Il admet et même exagère son impopularité, mais montre que cette impopularité était, dans une grande mesure et certainement quant à son origine première, inévitable aussi bien qu’imméritée. Naturellement il omet, comme on pouvait s’y attendre, ces autres actes par lesquels Athènes l’avait aggravée elle-même.
Tout le discours mérite bien une étude attentive. Cf. aussi celui de Periklês à Athènes, dans la seconde année de la guerre du Péloponnèse (Thucydide, II, 63).
[14] Thucydide, I, 141.
[15] V. Hérodote, VI, 12, et le tome VI, ch. 4 de cette Histoire.
[16] Thucydide, II, 13.
[17] Thucydide, I, 108 ; Plutarque, Periklês, c. 20.
[18] Xénophon, Helléniques, 5, 1, 31.
[19] M. Fynes Clinton (Fasti Hellenic., ad ann. 476 avant J.-C.) place la conquête de Skyros par Kimôn dans l’année 476 avant J.-C. Après avoir cité un passage de Thucydide, I, 98, et un de Plutarque, Thêseus, c. 36, aussi bien qu’une correction proposée par Bentley, qu’il rejette avec raison, il dit : L’île fut réellement conquise dans l’année de l’archonte Phædon, 476 avant J.-C. C’est ce que nous savons par Thucydide, I, 98, et par Diodore. XI, 41-48, en combinant leur témoignage. Plutarque nommait l’archonte Phædon par rapport à la conquête de l’île ; ensuite, par une négligence qui n’est pas rare chez lui, il rattachait l’oracle à ce fait, comme un événement contemporain, bien qu’en réalité on n’obtînt l’oracle que six ou sept ans plus tard.
Plutarque a à répondre de bien des fautes contre l’exactitude chronologique ; mais l’accusation portée ici contre lui n’est pas méritée. Il dit que l’oracle fut rendu dans l’année (476 av. J.-C.) de l’archonte Phædon, et que le corps de Thêseus fut rapporté à Athènes dans l’année (469 av. J.-C.) de l’archonte Aphepsion. Il n’y a rien qui contredise l’une ou l’autre de ces affirmations ; et les passages de Thucydide et de Diodore que cite M. Clinton ne prouvent pas ce qu’il avance. Les deux passages de Diodore n’ont en effet aucun rapport avec l’événement ; et en tant que Diodore peut dans le cas actuel servir d’autorité, il est contraire à M. Clinton car il dit que Skyros fut conquise en 470 avant J.-C. (Diodore, XI, 60). Thucydide nous dit seulement que les opérations contre Eiôn, Skyros et Karystos se firent dans l’ordre indiqué ici, et à quelque moment entre 476 et 466 avant J.-C. ; mais il ne nous met pas à même de déterminer positivement la date de chacune d’elles. D’après quelle autorité M. Clinton dit-il que l’on n’obtint l’oracle que six ou sept ans plus tard (i. e. après la conquête) ? c’est ce que j’ignore : le renseignement de Plutarque prouve plutôt qu’il fut obtenu six ou sept ans avant la conquête, et l’on peut s’en contenter jusqu’à ce qu’il se présente un témoignage meilleur qui le contredise. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous n’avons pas de témoignage quant à l’année de la conquête, si ce n’est celui de Diodore, qui la place en 470 avant J.-C ; mais, comme il attribue et la conquête d’Eiôn et les expéditions de Kimôn contre la Karia et la Pamphylia avec les victoires d’Eurymedôn, toutes à la même année, nous ne pouvons nous fier beaucoup à son autorité. Néanmoins j’incline à le croire quant à la date de la conquête de Skyros, parce qu’il me semble très probable que cette conquête s’effectua l’année qui précéda immédiatement celle dans laquelle le corps de Thêseus fut apporté à Athènes, événement que l’on peut rapporter avec grande confiance à l’an 469 avant J.-C., par suite de l’intéressante anecdote que raconte Plutarque au sujet du premier prix gagné par le poète Sophokle.
M. Clinton a donné dans son appendice (n° VI, — VIII, p. 248-253) deux dissertations relatives à la chronologie de la période qui s’étend depuis la guerre des Perses jusqu’à la fin de celle du Péloponnèse. Il a rendu un grand service en corrigeant l’erreur de Dodwell, de Wesseling et de Milford (fondée sur une explication inexacte d’un passage d’Isocrate), et qui consiste à supposer, après l’invasion des Perses en Grèce, une hégémonie spartiate, durant dix années, avant le commencement de l’hégémonie athénienne. Il a démontré qu’on doit calculer la dernière comme commençant en 477 on 476 avant J.-C., immédiatement après le soulèvement des alliés contre Pausanias, — dont cependant il n’est pas nécessaire de restreindre péremptoirement le commandement à une seule année, comme M. Clinton (p. 253) et Dodwell le soutiennent ; car les mots de Thucydide, έν τήδε τή ήγεμονίς, n’impliquent rien quant à la durée annuelle, et désignent simplement l’hégémonie qui précéda celle d’Athènes.
Mais la réfutation de cette erreur ne nous met à même d’établir aucune bonne chronologie positive pour la période entre 477 et 466 avant J.-C. Il ne sera pas possible d’expliquer πρώτον μέν (Thucydide, I, 98) par rapport à la conquête d’Eiôn par les Athéniens, comme s’il devait nécessairement signifier l’année après 477 avant J.-C. Si nous pouvions imaginer que Thucydide nous ait dit toutes les opérations militaires entre 477 et 466 av. J.-C., nous serions forcés d’admettre une grande partie de cet intervalle d’inaction contre lequel M. Clinton proteste si fortement (p. 252). Malheureusement Thucydide ne nous a dit qu’une petite portion des événements qui arrivèrent réellement.
M. Clinton compare les diverses périodes de durée assignées par des auteurs anciens à ce qui est improprement appelé « l’empire » athénien — entre 477-405 avant J.-C. (p. 248, 249). J’avoue que je suis plutôt d’accord avec le docteur Gillies, qui admet la contradiction entre ces auteurs ouvertement et sans déguisement, qu’avec M. Clinton, qui cherche à les mettre dans un accord relatif. Son explication n’est heureuse que par rapport à l’un d’eux, — Démosthène ; deux assertions, comme il le prouve (quarante-cinq ans dans un endroit, et soixante-treize dans l’autre), sont d’accord l’une avec l’autre aussi bien que justes sous le rapport chronologique. Mais assurément il n’est pas raisonnable de corriger le texte de l’orateur Lykurgue en substituant έβδομήκοντα à έννενήκοντα, et de dire ensuite que Lykurgue peut être ajouté au nombre de ceux qui disent que la période est de soixante-dix ans (p. 750). Nous ne devons pas mettre Andocide en harmonie avec d’autres, en supposant que son calcul monte jusqu’à la bataille de Marathôn, événement à partir duquel (490 av. J.-C.), jusqu’à la bataille d’Ægos-Potami, s’écoulent juste quatre-vingt-cinq ans (ibid.). Et nous ne devons pas justifier un calcul de soixante-cinq ans fait par Démosthène, en disant qu’il se termine à la défaite athénienne en Sicile (p. 249).
La vérité est qu’il y a plus ou moins d’inexactitude chronologique dans tous ces passages, excepté dans ceux de Démosthène, et de l’inexactitude historique dans tous, sans même excepter ces derniers. Il n’est pas vrai que les Athéniens ήρξαν τής θαλάσσης — ήρξαν τών Έλλήνων — προστάται ήσαν τών Έλλήνων — pendant soixante-treize ans. Le langage historique de Démosthène, de Platon, de Lysias, d’Isocrate, d’Andocide, de Lykurgue, demande à être soigneusement examiné avant qu’on s’y fie.
[20] Plutarque, Kimôn, c. 8 ; Thêseus, c. 36.
[21] Thucydide, I, 98. J’ai déjà dit dans le chapitre précédent que Themistoklês, comme fugitif, passa tout près de Naxos pendant qu’elle était assiégée, et courut grand risque d’être pris.
[22] Pour les batailles sur l’Eurymedôn, V. Thucydide, I, 100 ; Diodore, XI, 60-62 ; Plutarque, Kimôn, 12, 13.
Les récits des deux derniers écrivains paraissent tirés surtout d’Éphore et de Kallisthène, auteurs du siècle suivant, et de Phanodêmos, auteur encore plus récent. Je leur fais peu d’emprunts, et je prends seulement ce qui est compatible avec le bref exposé de Thucydide. Le récit de Diodore est excessivement confus, et, à vrai dire, il n’est guère intelligible.
Phanodêmos portait le nombre de la flotte persane à six cents vaisseaux ; Éphore à trois cent cinquante. Diodore (qui suit le dernier) donne trois cent quarante. Plutarque mentionne le renfort attendu de quatre-vingts vaisseaux phéniciens ; ce qui me parait une circonstance très croyable, qui explique la facile victoire navale de Kimôn à l’Eurymedôn. Par Thucydide, nous savons que la flotte vaincue à l’Eurymedôn ne comprenait pas plus de deux cents vaisseaux. Car c’est ainsi que je me hasarde à expliquer les mots de Thucydide, malgré l’autorité du docteur Arnold — Καί είλον (Άθηναϊοι) τριήρεις Φοινίκων καί διέφθειραν τάς πάσας ές (τάς) διακοσίας. Sur ce, le docteur Arnold fait observer : montant en tout à deux cents, c’est-à-dire que le nombre total des vaisseaux pris ou détruits fut de deux cents, — et non pas que la flotte entière n’en comprenait pas davantage. En admettant l’exactitude de cette explication, (qui peut être défendue par VIII, 21), nous pouvons faire remarquer que la flotte phénicienne défaite, selon l’usage universel dans l’antiquité, se jeta à la côte pour être protégée par l’armée de terre qui l’accompagnait. Lorsque donc cette armée de terre était elle-même défaite et dispersée, les vaisseaux tombaient tous naturellement au pouvoir des vainqueurs ; ou s’il s’en échappait, c’était simplement par accident. En outre, le plus petit nombre dans le cas actuel se rapproche plus vraisemblablement de la vérité, en ce que nous devons supposer une facile victoire navale, afin de laisser de la force pour une bataille acharnée sur terre le même jour.
Il est remarquable que l’inscription commémorative spécifie seulement a cent vaisseaux phéniciens avec leurs équipages, comme ayant été pris (Diodore, XI, 62). Les cent autres furent probablement détruits. Diodore représente Kimôn comme ayant pris trois cent quarante vaisseaux, bien qu’il cite lui-même l’inscription qui n’en mentionne que cent.
[23] Sur Thasos, V. Hérodote, VI, 46-48 ; VII, 118. La position de Raguse dans l’Adriatique, par rapport aux despotes de Servie et de Bosnie au quinzième et au seizième siècle, ressemblait beaucoup à celle d’Athènes et de Thasos par rapport aux princes thraces de l’intérieur. Dans l’histoire de Raguse d’Engel, nous trouvons un relevé des gains considérables faits dans cette ville par ses contrats pour exploiter les mines d’or et d’argent appartenant à ces princes (Engel, Geschichte des Freystaates Ragusa, sect. 36, p. 163. Wien, 1807).
[24] Thucydide, I, 100, 101. Plutarque, Kimôn, c. 14 ; Diodore, XI, 70.
[25] Thucydide, I, 101. Philippe de Macédoine, dans la dispute qu’il eut plus d’un siècle après cette époque avec les Athéniens relativement à la possession d’Amphipolis, prétendait qu’un de .ses ancêtres, Alexandre, avait été le premier à acquérir la possession de l’endroit après que les Perses avaient été chassés de la Thrace (V. Philippi Epistola, ap. Demosthen. p. 164, R.). Si cette prétention avait été vraie, la ville d’Ennea Hodoi aurait été la possession des Macédoniens au moment où fut faite sur elle la première tentative athénienne ; mais le renseignement de Thucydide prouve que c’était alors un municipe édonien.
[26] Plutarque, Kimôn, c. 14. Galêpsos et Œsymê étaient au nombre des établissements thasiens sur le continent de Thrace (Thucydide, IV, 108).
[27] Thucydide, I, 101.
[28] Plutarque, Kimôn, c. 14.
[29] Plutarque, Themistoklês, c. 20.
[30] V. le cas de Sikinnos, la personne par laquelle Themistoklês communiqua avec Xerxès avant la bataille de Salamis, et à laquelle il procura ensuite l’admission dans la fournée de nouveaux citoyens introduits à Thespiæ (Hérodote, VIII, 75).
[31] Thucydide, III, 61-65.
[32] Thucydide, III, 62.
[33] V. entre beaucoup d’autres preuves le cas remarquable de la confédération olynthienne (Xénophon, Helléniques, V, 2, 16).
[34] Diodore, XI,-81 ; Justin, III, 6.
[35] Diodore, XI, 54 ; Strabon, VIII, p.337.
[36] Strabon, VIII, p. 337, 348, 356.
[37] Thucydide, I, 101-128 ; Diodore, XI, 62.
[38] Hérodote, IX, 64.
[39] Thucydide, I, 102 ; III, 54 ; IV, 57.
[40] Thucydide, I, 102.
M. Fynes Clinton (Fast. Hellen., ann. 464-461 av. J.-C.), suivant Plutarque, reconnaît deux requêtes lacédæmoniennes adressées à Athènes, et deux expéditions athéniennes envoyées au secours des Spartiates, toutes les deux sorts Kimôn : la première en 464 avant J.-C., immédiatement après le tremblement de terre et la révolte qui le suivit ; — la seconde en 461 avant J.-C., après que la guerre avait duré pendant quelque temps.
A mon avis, il n’y a pas de raison pour supposer plus d’une demande faiteà Athènes, et plus d’une expédition. La duplication a sa source dans Plutarque, qui a expliqué trop comme une réalité historique l’exagération comique d’Aristophane (Aristophane, Lysistrata, 1138 ; Plutarque, Kimôn, 16). L’héroïne de ce dernier, Lysistrata, désirant faire la paix entre les Lacédœmoniens et les Athéniens, et rappelant à chacun des deux peuples les services qu’il a reçus de l’autre, pouvait se permettre de dire aux Lacédæmoniens : Votre ambassadeur Perikleidas vint à Athènes, pâle de terreur, et il se plaça comme suppliant à l’autel pour solliciter notre aide comme question de vie et de mort, tandis que Poseidôn était encore en train d’ébranler la, terre et que les Messêniens vous pressaient rudement ; alors Kimôn, avec quatre mille hoplites, vint et acheva votre salut complet. Tout cela est très significatif et très frappant, comme portion de la pièce d’Aristophane ; mais il n’y a pas de vérité historique, si ce n’est le fait d’une demande adressée et, d’une expédition envoyée en conséquence.
Nous savons que le tremblement de terre se produisit à l’époque où le siège de Thasos durait encore, parce que ce fut la raison qui empêcha les Lacédœmoniens de secourir les : assiégés au moyen d’une invasion en Attique. Mais Kimôn commandait au siège de Thasôs — (Plutarque, Kimôn, c. 14) ; conséquemment il n’aurait pu aller comme commandant en Laconie à l’époque ou on prétend que fut entreprise cette première expédition.
Ensuite Thucydide ne reconnaît pas plus d’une expédition ; et dans le fait Diodore non plus (XI, 64), bien que ceci soit de conséquence moindre. Or, le silence seul de Thucydide, par rapport à des événements d’une période qu’il déclare seulement examiner brièvement, n’est pas toujours un argument négatif très fort. Mais dans le cas actuel, son récit de l’expédition de 461 avant J.-C., avec ses conséquences très importantes, est tel qu’il exclut la supposition qu’il connaissait une première expédition antérieure de deux ou trois ans. S’il en avait connu une, il n’aurait pas composé le récit qui est actuellement dans le texte. Il insiste spécialement sur la prolongation de la guerre, et sur l’impuissance où sont les Lacédæmoniens d’attaquer des murs, comme étant les raisons qui les déterminèrent à invoquer les Athéniens aussi bien que les autres alliés ; il implique que la présence des derniers en Laconie fut un incident nouveau et menaçant ; en outre, quand il nous dit combien les Athéniens furent irrités de leur renvoi, brusque et plein de méfiance, il n’aurait pas omis de mentionner, comme une aggravation de ce sentiment, que seulement deux ou trois ans auparavant, ils avaient sauvé Lacédæmone sur le penchant de sa ruine. Ajoutons que supposer Sparte, la première puissance militaire en Grèce, et distinguée par son incessante discipline, réduite tout d’un coup à un tel état d’extrême impuissance qu’elle dut son salut à une intervention- étrangère, — c’est en soi extrêmement improbable, et inadmissible, si ce n’est sur de très bonnes preuves.
Pour les raisons exposées ici, je rejette la première expédition en Laconie mentionnée dans Plutarque.
[41] Plutarque, Kimôn, c. 16.
[42] Plutarque, Kimôn, c. 16.
[43] V. Xénophon, Helléniques, VI, 3. — Vers 372 av. J.-C., un peu avant la bataille de Leuktra.