HISTOIRE DE LA GRÈCE

SIXIÈME VOLUME

CHAPITRE V — DEPUIS LA RÉVOLTE IONIENNE JUSQU’À LA BATAILLE DE MARATHÔN.

 

 

Dans le chapitre précédent, j’ai indiqué le point où le courant européen et le courant asiatique de l’histoire grecque se réunissent, — le commencement d’une intention prononcée de la part des Perses de conquérir l’Attique ; manifestée d’abord sous la forme d’une menace par le satrape Artaphernês, quand il enjoignit aux Athéniens de reprendre Hippias comme la seule condition de salut, et ensuite convertie en passion dans le cœur de Darius par suite de l’incendie de Sardes. Aussi désormais les affaires de la Grèce et de la Perse en viennent-elles à être dans un rapport direct entre elles, et peuvent-elles être comprises, beaucoup plus qu’auparavant, dans un seul récit continu.

Lorsque Artaphernês eut entièrement reconquis l’Iônia, il se mit à en organiser le futur gouvernement, avec un degré de prudence et de prévoyance qu’on voit rarement dans la conduite des Perses. Convoquant des députés de toutes les différentes villes, il les obligea de former une assemblée pour l’arrangement à l’amiable des disputes, de manière à empêcher tout emploi de la force par qui que ce fût contre les autres. — De plus, il fit mesurer le territoire de chaque cité par parasangs (un parasang était égal à trente stades ou à environ trois milles et demi = 4 kil. 630 m.) et établir l’imposition du tribut d’après ce mesurage, sans s’éloigner toutefois considérablement des sommes qui avaient été payées avant la révolte[1]. Par malheur, Hérodote est concis, contre son habitude, dans l’allusion qu’il fait à cet acte, qu’il eût été extrêmement intéressant d’être à même de comprendre parfaitement. Nous pouvons cependant admettre comme certain que la population et le territoire d’un grand nombre des cités ioniennes, sinon de toutes, furent considérablement changés par suite de la révolte précédente, et plus encore par suite des cruautés qui avaient accompagné la répression de la révolte. Par rapport à Milêtos, Hérodote nous dit que les Perses gardèrent pour eux la ville avec la plaine qui l’entourait, mais qu’ils donnèrent la partie montagneuse du territoire milésien aux Kariens de Pêdasa[2]. Un tel acte appelait naturellement un nouveau mesurage et une nouvelle imposition de tribut ; et il a pu y voir ailleurs de semblables transferts de pays. J’ai déjà fait observer que les assertions que nous trouvons dans Hérodote, au sujet d’une dépopulation et d’une destruction totales tombant sur les villes, ne peuvent pas être crues dans toute leur étendue ; car dans la suite ces villes sont toutes peuplées et toutes helléniques. Cependant on ne peut douter qu’elles ne soient vraies en partie, et que les malheurs de ces temps, tels qu’ils sont exposés dans l’ouvrage d’Hécatée aussi bien que par les contemporains qu’avait vus Hérodote et de qui il tenait ses renseignements, ne doivent avoir été extrêmes. Dé nouveaux habitants étaient probablement admis dans beaucoup de ces villes, pour combler la perte éprouvée ; et cette infusion de sang nouveau augmentait la nécessité de l’organisation introduite par Artaphernês, afin de déterminer clairement les obligations auxquelles elles seraient soumises, tant à l’égard du gouvernement persan qu’à l’égard les unes des autres. Hérodote pense que cet arrangement fut extrêmement avantageux aux Ioniens, et il doit incontestablement avoir semblé tel, venant comme il le fit immédiatement après tant de souffrances antérieures. Il ajoute de plus que le tribut fixé alors resta sans être changé jusqu’à son époque, — assertion qui a besoin de quelque explication, que je réserve jusqu’au moment où j’aurai à décrire la condition des Grecs asiatiques après que Xerxès eut été repoussé de la Grèce propre.

Cependant les intentions de Darius au sujet de la conquête de la Grèce se manifestèrent alors effectivement. Mardonios, investi du commandement suprême et à la tête d’une armée considérable, fut envoyé dans ce dessein le printemps suivant. Étant parvenu en Kilikia dans le cours de sa marche, il s’embarqua en personne et alla par mer en Iônia, tandis que son armée traversait l’Asie Mineure pour gagner l’Hellespont. Sa conduite en Iônia nous étonne et semble avoir paru surprenante à Hérodote lui-même, comme elle le parait à ses lecteurs. Ce général déposa les despotes dans toutes les diverses cités grecques[3], laissant le peuple de chacune se gouverner lui-même, soumis à la domination persane et au tribut. C’était un renversement complet de l’ancienne politique de la Perse, et on doit l’attribuer à une conviction nouvelle, sans doute sage et bien fondée, qui avait grandi récemment dans. l’esprit des chefs persans, à savoir que, en général, leur impopularité était plus aggravée que leur force n’était accrue par l’emploi de ces despotes comme instruments. Les phénomènes de la dernière révolte ionienne étaient bien faits pour donner une pareille leçon ; mais nous ne verrons pas souvent les Perses profiter de l’expérience dans tout le cours de cette histoire.

Mardonios ne resta pas longtemps en Iônia, mais il passa avec sa flotte jusqu’à l’Hellespont, où l’armée de terre était déjà arrivée. Il la transporta en Europe en franchissant le détroit, et commença sa marche à travers la Thrace, qui avait déjà été réduite tout entière par Megabazos et qui ne semble pas avoir pris part à la révolte ionienne. L’île de Thasos se rendit à la flotte sans résistance, et l’armée de terre fut conduite, après avoir traversé le Strymôn, à la cité grecque d’Akanthos, sur le côté occidental du golfe Strymonique. De là, Mardonios s’avança en Macedonia et soumit une partie considérable de ses habitants, — peut-être quelques-uns de ceux qui n’étaient pas compris dans l’empire d’Amyntas, puisque ce prince s’était soumis auparavant à Megabazos. Pendant ce temps-là, il envoya sa flotte doubler le promontoire du mont Athos et rejoindre l’armée de terre au golfe de Therma, dans la pensée de conquérir une aussi grande partie de la Grèce qu’il pourrait, et même de poursuivre sa marche aussi loin qu’Athènes et Eretria[4], de sorte que l’expédition que Xerxès accomplit dans la suite aurait été essayée au moins par Mardonios, douze ou treize ans plus tôt-, si une tempête n’eût complètement désemparé la flotte. La mer, prés d’Athos, était alors, comme elle l’est maintenant, pleine de périls pour les navigateurs. Un de ces ouragans si fréquents dans son voisinage surprit la flotte persane, détruisit trois cents vaisseaux et noya ou jeta à la côte pas moins de vingt mille hommes. Parmi ceux qui atteignirent le rivage, beaucoup moururent de froid, ou furent dévorés par les bêtes sauvages sur cette langue de terre inhospitalière. Ce désastre arrêta complètement les progrès ultérieurs de Mardonios, qui éprouva aussi une perte considérable dans son armée de terre et fut blessé lui-même pendant une attaque de nuit que dirigea sur lui la tribu des Thraces appelés Brygi. Bien qu’assez fort pour repousser et venger cette attaque et pour soumettre les Brygi, il n’était cependant pas en état d’avancer plus loin. L’armée de terre et la flotte furent ramenées à l’Hellespont, et de là en Asie, avec tant de honte a la suite de cet échec, que Darius n’employa plus Mardonios de nouveau, bien que nous ne puissions reconnaître si la faute lui était imputable[5]. Nous entendrons reparler de lui sous Xerxès.

L’insuccès de Mardonios semble avoir inspiré aux Thasiens, si récemment soumis, l’idée de se révolter. Du moins, leur conduite provoqua les soupçons de Darius, car ils firent d’actifs préparatifs de défense, tant en construisant des vaisseaux de guerre qu’en donnant plus de force h leurs fortifications. Les Thasiens jouissaient à cette époque d’une grande opulence, provenant surtout de mines d’or et d’argent qui se trouvaient tant dans leur île que dans leur territoire du continent situé en face. Les mines de Skaptê-Hylê en Thrace leur fournissaient un revenu annuel de 80 talents ; le total de leur revenu net, — après avoir défrayé toutes les dépenses du gouvernement, de sorte que les habitants étaient entièrement exempts de taxes, — était de 200 talents (1.150.000 fr.), si c’étaient des talents attiques ; plus, si c’étaient des talents euboïques ou æginæens. Avec des moyens si considérables, ils furent bientôt en état de faire des préparatifs qui éveillèrent l’attention de leurs voisins ; beaucoup d’entre eux étaient sans doute jaloux de leur prospérité, et peut-être disposés à leur disputer la possession des mines avantageuses de Skaptê-Hylê. Il en fut dans ce cas comme dans d’autres : les jalousies parmi des voisins sujets amenaient souvent à faire des révélations à l’autorité supérieure. On fit connaître la conduite des Thasiens, et ils furent forcés de raser leurs fortifications, aussi bien que de livrer tous leurs vaisseaux aux Perses à Abdêra[6].

Bien que mécontent de Mardonios, Darius n’en était que plus fortement disposé à accomplir son projet de conquérir la Grèce. Hippias était à ses côtés pour entretenir sa colère contre les Athéniens[7]. On envoya aux cités maritimes de son empire l’ordre d’équiper des vaisseaux de guerre ainsi que de transport pour des chevaux, en vue d’une nouvelle tentative. Ses intentions étaient probablement connues alors en Grèce même par la marche récente de son armée vers la Macedonia. Néanmoins il crut sage à ce moment d’envoyer des hérauts à la plupart des villes grecques pour demander à chacune d’elles le signe formel de soumission, — la terre et l’eau ; et pour s’assurer ainsi du degré de résistance qu’il était probable que rencontrerait son expédition projetée. Les réponses furent extrêmement favorables. Un grand nombre des Grecs continentaux envoyèrent leur soumission, aussi bien que ceux des insulaires auxquels on s’adressa. Parmi les premiers, nous devons probablement compter les Thêbains et les Thessaliens, bien qu’Hérodote ne les mentionne point particulièrement. Parmi les derniers ne sont pas comprises Naxos, l’Eubœa et quelques-unes des îles plus petites ; mais Ægina, à cette époque la première puissance maritime de la Grèce, est comptée expressément[8].

Rien ne marque plus clairement le péril imminent dans lequel se trouvaient alors les libertés de la Grèce, et la terreur inspirée par les Perses après qu’ils eurent reconquis l’Iônia, que cet abaissement de la part des Æginètes, auxquels leur commerce avec les îles et le continent asiatiques faisait sans cloute sentir fortement les tristes conséquences d’une résistance opposée au Grand Roi sans succès. Mais, dans l’occasion actuelle, leur conduite fut dictée autant par leur antipathie pour Athènes que par la crainte, de sorte que la Grèce fut ainsi menacée de l’intrusion des Perses comme alliés et comme arbitres dans ses querelles intestines ; — éventualité qui, si elle s’était présentée alors dans la dispute entre Ægina et Athènes, aurait conduit à l’asservissement certain de la Grèce, bien que, quand elle arriva près d’un siècle plus tard, vers la fin de la guerre du Péloponnèse, et par suite de la lutte prolongée entre Lacédæmone et Athènes, la Grèce fût devenue assez forte par elle-même pour la supporter sans perdre son indépendance réelle.

La guerre entre Thèbes et Ægina d’un côté, et Athènes de l’autre, — qui avait commencé plusieurs années auparavant, et qui avait son origine dans l’union entre Athènes et Platée, — n’avait jamais été terminée. Les Æginètes avaient pris part. à cette guerre par un sentiment gratuit soit d’amitié pour Thèbes, soit d’inimitié contre Athènes, sans aucun motif direct de querelle[9], et ils avaient commencé la guerre même sans la formalité de la déclaration. Bien qu’il se fût écoulé une période qui, en apparence, n’avait pas moins de quatorze ans (506 à 492 av. J-C. environ), l’état d’hostilité continuait encore ; et flous pouvons croire que Hippias, qui excitait surtout les Perses à attaquer la Grèce, ne manqua pas de démontrer à tous les ennemis d’Athènes combien il serait sage de seconder les efforts des Perses pour le réinstaller dans cette ville, ou du moins de ne pas s’y opposer. Ce fut en partie sous ce sentiment, combiné avec une alarme véritable, que et Thèbes et Ægina manifestèrent aux hérauts de Darius des dispositions à se soumettre.

Parmi ces hérauts, quelques-uns étaient allés tant à Athènes qu’à Sparte, dans le même but, celui de demander la terre et l’eau. La réception qu’on leur fit dans les deux villes fut terrible au dernier point. Les Athéniens précipitèrent le héraut dans la fosse appelée le Barathron[10], dans laquelle ils faisaient quelquefois périr des criminels envers l’État : les Spartiates jetèrent dans un puits le héraut qui vint chez eux, disant à l’infortuné messager d’y prendre la terre et l’eau pour le roi. L’inviolabilité des hérauts était si ancienne et si incontestée en Grèce depuis les temps homériques, que rien que la plus violente excitation n’aurait pu pousser une communauté grecque quelconque à commettre un pareil outrage. Mais quant aux Lacédæmoniens, accoutumés alors à se regarder comme le premier de tous les États grecs, et auxquels on s’adressait toujours comme à des supérieurs, la demande leur parut une si grave insulte que, pour le moment, ils bannirent de leur esprit tout souvenir d’obligations établies. Toutefois, ils en vinrent, dans la suite, à se repentir de leur action comme grandement criminelle, et à la considérer comme la cause des malheurs qui les accablèrent trente ou quarante ans plus tard. Comment à cette époque ils essayèrent de l’expier, c’est ce que je raconterai ci-après[11].

Mais si, d’un côté, la dignité blessée des Spartiates les poussa à commettre cette faute, ce fut, d’un autre côté, d’une utilité signalée pour les libertés générales de la Grèce, en les faisant sortir de leur apathie à l’égard du futur envahisseur, et en les mettant par rapport à lui dans le même état d’hostilité implacable qu’Athènes et Eretria. Nous voyons aussitôt les liens se resserrer entre Athènes et Sparte. Les Athéniens, pour la première fois, portent à Sparte une plainte contre les Æginètes pour avoir donné à Darius la terre et l’eau, — les accusant d’avoir agi ainsi par inimitié contre Athènes, et afin d’envahir l’Attique conjointement avec les Perses. Ils représentaient cette conduite — comme une trahison à l’égard de la Hellas, priant Sparte d’intervenir en qualité de chef de la Grèce. Par suite de leur appel, Kleomenês, roi de Sparte, se rendit à Ægina pour prendre des mesures contre les auteurs de l’acte récent, u dans l’intérêt général de la Hellas[12].

Le fait dont nous nous occupons maintenant est d’une très grande importance dans le cours de l’histoire grecque. C’est la première manifestation directe et positivement historique de la Hellas comme corps collectif, avec Sparte pour chef, et des obligations d’une certaine sorte de la part de ses membres, obligations dont l’oubli ou la violation constitue une espèce de trahison. J’ai déjà signalé plusieurs incidents plus anciens qui montrent comment l’esprit politique grec, commençant par une séparation complète des États, en vint graduellement à être préparé à cette idée d’une ligne permanente, avec des obligations mutuelles et le pouvoir d’en imposer le respect par la force donné à un chef permanent, — idée qui ne fut jamais complètement mise en pratique, mais qui maintenant se manifeste d’une manière distincte et agit en partie. D’abord, la grande puissance et le grand territoire que Sparte avait acquis, son éducation militaire, ses traditions politiques non interrompues, créent à son égard un respect inconscient, tel qu’on n’en ressentait pas un pareil à l’égard d’aucun autre État. Ensuite on la voit (dans sa conduite contre Athènes après l’expulsion d’Hippias) convoquer et conduire à la guerre un groupe d’alliés péloponnésiens volontaires, avec certaines formalités qui donnent à l’alliance une permanence et une solennité imposantes. En troisième lieu, elle fiait par être reconnue comme première puissance ou chef de la Grèce, à la fois par des étrangers qui l’engagent à faire avec eux alliance (Crésus), ou par des Grecs qui cherchent un appui, tels que les Platæens contre Thèbes ou les Ioniens contre la Perse. Mais jusqu’ici on n’a pas vu l’État de Sparte disposé à se charger de l’accomplissement de ce devoir de Protecteur général. Il repousse les Ioniens et le Samien Mæandrios, aussi bien que les Platæens, malgré leurs prières fondées sur une lignée hellénique commune. L’expédition qu’il entreprit contre Polykratês de Samos reposait sur des motifs particuliers de mécontentement, (le lavis des Lacédæmoniens eux-mêmes. En outre, si même il avait accédé à toutes ces demandes, il aurait plutôt paru obéir à une sympathie généreuse qu’accomplir un devoir obligatoire pour lui comme supérieur. Mais, dans le cas qui nous occupe maintenant d’Athènes contre 1Egina ; la dernière considération ressort d’une manière distincte. Athènes n’est pas un membre du groupe des alliés spartiates : elle rie réclame pas non plus la compassion (le Sparte comme étant sans défense contre un voisin grec qui l’accable. Elle se plaint que les Æginètes ont contrevenu à une obligation panhellénique à ses dépens et en l’exposant au danger, et elle prie Sparte d’imposer aux délinquants le respect de ces obligations. C’est pour la première fois dans l’histoire grecque qu’un tel appel est fait, c’est la première fois dans l’histoire grecque qu’il y est répondu d’une manière effective. Nous pouvons bien douter qu’il y eût été répondu ainsi, — en considérant le caractère lent, peu susceptible d’impressions et casanier des Spartiates, avec leur insensibilité en général à l’égard des dangers éloignés[13], — si l’aventure du héraut persan n’était survenue pour blesser leur orgueil d’une manière intolérable ; — pour les pousser dans une hostilité implacable avec le Grand Roi, — et pour les jeter dans la même barque qu’Athènes, afin de repousser un ennemi qui menaçait les libertés communes de la Hellas.

A partir de ce moment donc, nous pouvons admettre qu’il existe une union politique reconnue de la Grèce contre la Perse[14], — ou du moins quelque chose d’aussi rapproché d’une union politique que le permettra le caractère grec, — avec Sparte à la tète pour le moment. C’est vers cette prééminence de Sparte que l’histoire grecque a graduellement marché. Mais l’événement final qui la lui assura incontestablement et qui abaissa pour l’instant sa seule et ancienne rivale, Argos, — doit être mentionné maintenant.

Ce fut environ trois ou quatre ans avant l’arrivée de ces hérauts persans en Grèce, et presque à l’époque où Milêtos fut assiégée par les généraux des Perses, qu’une guerre éclata entre Sparte et Argos[15], 496-495 avant J.-C. — Hérodote ne nous dit pas pour quels motifs. Kleomenês, encouragé par une promesse de l’oracle qu’il prendrait Argos, conduisit les troupes lacédæmoniennes sur les bords de l’Erasinos, rivière sur la frontière du territoire argien. Mais les sacrifices, sans lesquels on ne pouvait franchir un fleuve, étaient si défavorables, qu’il changea sa direction, enleva quelques vaisseaux d’1Egina et de Sikyôn[16], et transporta par mer ses troupes à Nauplia, le port maritime appartenant à Argos, et au territoire de Tyrins. Les Argiens ayant fait marcher leurs forces pour lui résister, les deux armées en vinrent aux mains à Sêpeia prés de Tiryns. Kleomenês, par un acte de simplicité de la part de ses ennemis, auquel nous trouvons difficile d’ajouter foi dans Hérodote, put les attaquer à l’improviste, et obtint une victoire décisive. Car les Argiens (dit l’historien) craignaient tant d’être surpris par stratagème dans le poste que leur armée occupait en face de l’ennemi, qu’ils écoutaient les commandements prononcés à haute voix par le héraut lacédæmonien, et accomplissaient avec leur propre armée le même ordre qu’ils entendaient ainsi donner. Ceci’ vint à la connaissance de Kleomenês, qui communiqua une notification secrète à ses soldats, que quand le héraut donnerait l’ordre d’aller dîner, ils n’obéissent pas, mais prissent immédiatement les armes. Nous devons supposer que le camp argien était suffisamment près de celui des Lacédæmoniens pour leur permettre d’entendre la voix du héraut, — sans être toutefois en vue, à cause de la nature du terrain. Conséquemment, aussitôt que les Argiens entendirent le héraut dans le camp ennemi prononcer le mot d’aller dîner[17], ils allèrent dîner eux-mêmes. Dans cet état de désordre, ils furent attaqués et mis en déroute par les Spartiates. Un grand nombre d’entre eux périrent dans le combat, tandis que les fuyards se réfugiaient dans un bosquet épais consacré à leur héros éponyme Argos. Kleomenês, les y ayant enfermés, crut cependant plus sûr d’employer la ruse que la force : il apprit par des déserteurs les noms des principaux Argiens qui étaient ainsi cernés, et alors, au moyen d’un héraut, il les invita successivement à sortir, — prétendant qu’il avait reçu leur rançon et qu’ils étaient libres. A mesure qu’un homme sortait, il était mis à mort ; le sort de ces malheureuses victimes resta caché à leurs camarades qui étaient dans le bois, à cause de l’épaisseur du feuillage, jusqu’au moment où l’un d’eux, montant au faite d’un arbre, découvrit et proclama les meurtres qui s’accomplissaient, — lorsque environ cinquante de ces victimes avaient péri. Ne pouvant plus attirer d’Argiens hors de leur refuge consacré, dans lequel ils espéraient vainement trouver nu asile, — Kleomenês mit le feu au bois et le brilla jusqu’au sol. Les personnes qu’il renfermait paraissent avoir été détruites par le feu ou par le glaive[18]. Lorsque l’incendie eut commencé, il demanda pour la première fois à qui le bois appartenait, et il apprit qu’il appartenait au héros Argos. Dans cette bataille et cette retraite désastreuses,.il ne périt pas moins de six mille citoyens, la fleur et la force d’Argos. La cité était si complètement abattue, que Kleomenês aurait pu facilement s’en emparer, s’il avait voulu y marcher sur-le-champ et l’attaquer avec vigueur. Si nous devons croire des historiens plus récents, que Pausanias, Polyen et Plutarque ont copiés, il y marcha et l’attaqua, mais fut repoussé par la valeur des femmes argiennes, qui, dans la disette de guerriers occasionnée par la récente défaite, prirent les armes avec les esclaves, commandées parla poétesse Telesilla, et défendirent vaillamment les murailles[19]. C’est probablement un mythe, créé par un désir de personnifier en détail un mot de l’oracle rendu un peu auparavant au sujet de la femelle conquérant le mâle[20]. Sans vouloir nier que les femmes argiennes aient été capables d’accomplir un acte aussi patriotique, si Kleomenês avait réellement marché à l’attaque de leur ville, — nous sommes forcé par le renseignement distinct d’Hérodote d’affirmer qu’il ne l’attaqua jamais. Immédiatement après l’incendie du bois sacré d’Argos, il renvoya à Sparte le gros de son armée, et il ne garda avec lui qu’un millier d’hommes d’élite, — avec lesquels il marcha jusqu’au Hêræon, ou grand temple de Hêrê, entre Argos et Mykênæ, pour offrir un sacrifice. Le prêtre de service lui défendit d’entrer, disant qu’il n’était permis à aucun étranger d’offrir de sacrifice dans le temple. Mais déjà Kleomenês était entré jadis de force dans le sanctuaire d’Athênê, sur l’acropolis d’Athènes, malgré la prêtresse et sa défense, — et il agit alors d’une manière encore plus brutale à l’égard du prêtre argien, car il ordonna à ses ilotes de l’arracher de l’autel et de le flageller. Après avoir offert un sacrifice, Kleomenês revint à Sparte avec le reste de ses forces[21].

Mais l’armée qu’il avait renvoyée dans ses foyers revenait avec la persuasion complète qu’Argos aurait pu facilement être prise, — que le roi seul était à blâmer pour avoir manqué l’occasion. Aussitôt qu’il fut revenu lui-même, ses ennemis (peut-être son collègue Demaratos) le citèrent devant les éphores, l’accusant d’avoir été gagné, accusation dont il se défendit de la manière suivante. Il avait envahi-le territoire ennemi en se fiant à la promesse de l’oracle, qui l’avait assuré qu’il prendrait Argos ; mais aussitôt qu’il eut incendié complètement le bois sacré du héros Argos (sans savoir à qui il appartenait), il comprit sur-le-champ que c’était tout ce que le dieu voulait dire par prendre Argos, et conséquemment que la promesse divine avait été pleinement réalisée. Ln conséquence, il rte se crut pas libre de commencer une nouvelle attaque avant de s’être assuré que les dieux l’approuveraient et lui accorderaient le succès. C’était dans cette pensée qu’il sacrifiait dans le Hêræon. Là, bien que son sacrifice frit favorable, il observa que la flamme allumée sur l’autel était reflétée par le sein et non par la tête de la statue de Hêrê. Si la flamme avait été reflétée par sa tête, il aurait su immédiatement que les dieux le destinaient à prendre la ville d’assaut[22] ; mais le reflet venant de son sein indiquait évidemment que le plus haut succès était hors de sa portée, et qu’il avait déjà recueilli toutes les gloires qu’ils lui réservaient. Nous pouvons voir qu’Hérodote, bien qu’il s’abstienne de critiquer le récit, le soupçonne d’avoir été fabriqué. Il n’en fut pas de même pour les éphores spartiates. Il ne leur parut pas moins vrai comme récit que triomphant comme défense, assurant à Kleomenês un honorable acquittement[23].

Bien que ce roi spartiate perdît l’occasion de prendre Argos, les victoires qu’il avait déjà gagnées lui donnèrent un coup tel qu’elle ne put s’en relever pendant une génération, en la mettant pour un temps complètement hors d’état de disputer à Lacédæmone la suprématie en Grèce. J’ai déjà mentionné que, tant dans la légende que dans l’histoire la plus ancienne, Argos se présente comme la première puissance de la Grèce, avec des droits légendaires à la souveraineté, et incontestablement au-dessus de Lacédæmone ; celle-ci usurpe graduellement sur elle, d’abord la réalité d’un pouvoir supérieur, puis une prééminence reconnue, — et maintenant, à l’époque où nous sommes parvenu, se charge à la fois des droits et des devoirs d’un État présidant un corps d’alliés qui sont liés à l’égard d’elle et à l’égard les uns des autres. Toutefois son titre à cet honneur ne fut jamais admis à Argos, et il est très probable que la guerre que nous venons de décrire eut pour cause, d’une manière ou d’autre, l’accroissement de ce pouvoir présidentiel que les circonstances tendaient à jeter entre ses mains. Or le complet abattement temporaire d’Argos fut une des conditions essentielles qui favorisèrent l’acquisition paisible de ce pouvoir par Sparte. Survenant deux ou trois ans avant l’aventure des hérauts racontée ci-dessus, il écarta la seule rivale qui, à cette époque, et voulait et pouvait lutter avec cette cité, — rivale qui aurait bien empêché toute union effective sous un autre chef, bien qu’elle n’eût pu s’assurer pour elle-même un ascendant panhellénique ; — rivale qui aurait secondé Ægina dans sa soumission à l’égard dés Perses, et qui aurait paralysé d’une manière irrémédiable les forces défensives de la Grèce. Les vaisseaux que Kleomenês avait obtenus des Æginètes aussi bien que des Sikyoniens, contre leur propre volonté, pour débarquer ses troupes à Nauplia, attirèrent à ces deux villes l’inimitié d’Argos, que les Sikyoniens accommodèrent en payant une somme d’argent, tandis que les Æginètes refusèrent d’en faire autant[24]. Les circonstances de la guerre de Kleomenês eurent ainsi pour effet non seulement d’affaiblir Argos, mais encore de lui aliéner ses alliés et ses appuis naturels, et de déblayer le terrain pour une suprématie spartiate incontestée.

En revenant maintenant à la plainte présentée par Athènes aux Spartiates contre la soumission déloyale d’Ægina à Darius, nous trouvons que le roi Kleomenês passa immédiatement dans cette île pour faire une enquête et pour punir. Il se mettait en devoir de saisir et d’emmener plusieurs des principaux 1Eginètes, lorsque Krios et quelques autres d’entre eux lui opposèrent une résistance menaçante, disant qu’il venait sans un mandat régulier de Sparte et sous l’influence de présents athéniens ; — que, pour avoir autorité, les deux rois spartiates devaient venir ensemble. Ce n’était pas de leur propre accord que les Æginètes se risquaient à adopter une marche si dangereuse. Demaratos, le collègue de Kleomenês, appartenant à la ligne cadette de rois ou ligne proklide, leur avait suggéré la démarche et promis de la faire triompher[25]. La discorde entre les deux rois coordonnés n’était pas un phénomène nouveau à- Sparte. Mais, dans le cas de Demaratos et (le Kleomenês, elle avait éclaté quelques années auparavant à l’occasion dé la marche contre Athènes. C’est pourquoi Demaratos, haïssant son collègue plus que jamais, entra dans l’intrigue actuelle avec les Æginètes dans l’intention arrêtée de faire échouer son intervention. Il réussit, de sorte que Kleomenês fut obligé de retourner à Sparte, non sans prononcer des menaces lion équivoques contre Krios et les autres 1Eginètes qui l’avaient repoussé[26], et non sans une entière détermination de déposer Demaratos.

Il parait que des soupçons s’étaient toujours attachés à la légitimité de la naissance de Demaratos. Son père putatif Aristôn, n’ayant pas eu d’enfants de deux femmes successives, finit par s’éprendre de l’épouse de son ami Agêtos, — femme d’une beauté supérieure, — et lui fit accepter par ruse une convention, en vertu de laquelle chacun d’eux s’engageait solennellement à céder toute chose lui appartenant que l’autre désirerait avoir. Ce qu’Agêtos demanda à Aristôn lui fut immédiatement accordé. En retour, ce dernier voulut avoir la femme d’Agêtos, qui à cette requête fut frappé comme d’un coup de foudre, et se plaignit avec indignation d’avoir été mis en demeure par une ruse de faire le sacrifice le plus pénible de tous : néanmoins le serment était péremptoire, et il fut forcé de s’y conformer. La, naissance de Demaratos eut lieu si vite après ce changement de maris que, quand on la fit connaître pour la première fois à Aristôn, comme il était assis sur un banc avec ?es éphores, il compta sur ses doigts le nombre de mois depuis son mariage, et s’écria avec un serment : L’enfant ne peut être de moi. Cependant il rétracta bientôt son opinion, et reconnut l’enfant, qui grandit sans qu’aucun doute s’élevât publiquement quant à sa naissance, et il succéda à son père sur le trône. Mais les premières paroles d’Aristôn n’avaient jamais été oubliées, et en particulier on nourrissait encore le soupçon que Demaratos était réellement le fils du premier mari de sa mère[27].

Kleomenês résolut alors de profiter de ces soupçons, en excitant Léotychidês, l’héritier le plus proche dans la ligne royale proklide, à attaquer publiquement la légitimité de Demaratos ; — il s’engagea à le seconder de toute son influence comme étant le plus rapproché dans l’ordre de succession à la couronne, et il exigea en retour de lui la promesse qu’il appuierait l’intervention contre Ægina. Léotychidês était animé non seulement par l’ambition, mais encore par une inimitié personnelle contre Demaratos, qui lui avait enlevé une fiancée qui lui était destinée. Il entra avec chaleur dans le projet, accusa Demaratos de n’être pas un véritable Hêraklide, et produisit des preuves pour démontrer les premiers doutes exprimés par Aristôn. Il s’éleva ainsi à Sparte une sérieuse dispute, dans laquelle Kleomenês, épousant les prétentions de Léotychidês, conseilla de décider la question relative à la légitimité de Demaratos en s’en référant à l’oracle de Delphes. Par l’influence de Kôbon, puissant personnage natif de Delphes, il obtint de la Pythie une réponse déclarant que Demaratos n’était pas fils d’Aristôn[28]. Léotychidês devint ainsi roi de la ligne proklide, tandis que Demaratos descendit à urge condition privée et fut élu à la solennité suivante des Gymnopædia pour remplir une fonction publique. Le nouveau roi, ne pouvant’ réprimer un mouvement de rancune triomphante, envoya un serviteur lui demander en plein théâtre comment il se trouvait d’être fonctionnaire après avoir été roi naguère. Blessé de cette insulte, Demaratos lui répondit qu’il avait essayé lui-même des deux états, et que Léotychidês pourrait avec le temps en venir à en essayer de tous deux également ; la question (ajouta-t-il) portera ses fruits, — grand mal ou grand bien pour Sparte. En parlant ainsi, il se couvrit le visage et quitta le théâtre pour se retirer chez lui ; -il offrit un sacrifice solennel d’adieu à l’autel de Zeus Herkeios, et adjura solennellement sa mère de lui déclarer qui était réellement son père ; — puis aussitôt il quitta Sparte pour Elis, sous prétexte d’aller consulter l’oracle Delphien[29].

On connaissait bien Demaratos comme un homme plein de coeur et ambitieux ; — il était signalé, entre autres choses, tomme le seul roi lacédæmonien, jusqu’au temps d’Hérodote, qui eût jamais remporté une victoire de chars à Olympia. Aussi Kleomenês et Léotychidês furent-ils alarmés à la pensée du mal qu’il pourrait leur faire en exil. En vertu de la loi de Sparte, il n’était pas permis à un Hêraklide d’établir sa résidence hors du pays, sous peine de mort. Ceci marque le sentiment des Lacédæmoniens, et il n’en était pas moins probable que Demaratos leur donnerait de l’inquiétude parce qu’ils l’avaient déclaré illégitime[30]. En conséquence ils envoyèrent à sa poursuite, et ils le saisirent dans file de Zakynthos. Mais les Zakynthiens ne voulurent pas consentir à le livrer, de sorte qu’il passa sans obstacle en Asie, où il se présenta à Darius, et où il fut reçu et comblé de faveurs et de présents [31]. Nous le trouverons ci-après compagnon de Xerxès, donnant à ce monarque des avis tels que, si on les eût suivis, ils auraient causé la ruine de l’indépendance grecque, à laquelle cependant il aurait été même plus dangereux s’il fût resté dans sa patrie en qualité de roi de Sparte.

Cependant Kleomenês, ayant trouvé dans Léotychidês un collègue du même sentiment que lui, se rendit avec lui à Ægina, désireux de se venger de l’affront qui lui avait été fait. A la réquisition et à l’a présence des deux rois réunis, les Æginètes n’osèrent opposer aucune résistance. Kleomenês fit choix de -dix citoyens éminents par la fortune, la position et l’influence, au nombre desquels étaient Krios et un autre personnage nommé Kasambos, les deux hommes les plus puissants de l’île. Les transportant à Athènes, il les remit comme otages entre les mains des Athéniens[32].

Ce fut dans cet état que l’armement persan qui débarqua à Marathôn, et dont nous nous occupons maintenant de suivre la marche, trouva les affaires d’Athènes et de la Grèce en général. Et les événements que nous venons de raconter eurent une très grande importance, considérés dans leur influence indirecte sur le succès de cet armement. Sparte avait alors, sur l’invitation d’Athènes, pris pour la première fois une formelle suprématie panhellénique, son ancienne rivale Argos étant trop abattue pour la lui disputer ; — ses deux rois, unanimes dans cette conjoncture, exercent leur droit d’intervention comme présidents pour châtier Ægina et pour mettre des otages æginètes entre les mains d’Athènes. Les Æginètes auraient été assez disposés à payer une victoire sur un peuple voisin et rival au prix de leur soumission à la Perse, et ce fut l’intervention spartiate seule qui les empêcha d’attaquer Athènes conjointement avec les envahisseurs persans ; laissant ainsi les bras des Athéniens libres, et leur courage entier pour l’épreuve qui approchait.

Pendant ce temps une vaste armée persane, réunie par suite des préparatifs faits pendant les deux dernières années dans toutes les parties de l’empire, s’était rassemblée dans la plaine aleïenne de Kilikia près de la mer. Une flotte de six cents trirèmes armées, avec beaucoup de transports tant pour les hommes que pour les chevaux, y fut amenée pour leur embarquement. Les troupes furent mises à bord et naviguèrent le long de la côte jusqu’à Samos en Iônia. Les Grecs ioniens et æoliens formaient une partie importante de cet armement, tandis que l’exilé athénien Hippias était à bord comme guide et comme auxiliaire dans l’attaque de l’Attique. Les généraux étaient Datis, un Mède[33], — et Artaphernês, fils du satrape de Sardes de ce nom, et neveu de Darius. Nous pouvons faire remarquer que Datis est la première personne de lignage médique qui soit mentionnée comme nommée à un haut commandement depuis l’avènement de Darius, qu’avait précédé et marqué, ainsi que je l’ai signalé dans un précédent chapitre, une explosion de nationalité hostile entre les Mèdes et les Perses. Leurs instructions étaient, en général, de réduire à la sujétion et au tribut tous ceux d’entre les Grecs qui n’avaient pas encore donné la terre et l’eau. Mais Darius leur ordonna plus particulièrement de conquérir Eretria et Athènes, et d’en amener les habitants comme esclaves en sa présence[34]. Ces ordres furent entendus littéralement, et probablement ni les généraux ni les soldats de ce vaste armement ne doutèrent qu’ils ne fussent littéralement exécutés, et qu’avant la fin de l’année les épouses, ou plutôt les veuves d’hommes tels que Themistoklês et Aristeidês ne fussent vues au milieu d’un triste cortége de prisonniers athéniens sur la route de Sardes à Suse, accomplissant ainsi le voeu exprimé par la reine Atossa sur le désir pressant de Dêmokêdês.

La récente et terrible tempête qui avait éclaté près du mont Athos détourna les Perses de suivre l’exemple de Mardonios et de prendre leur course par l’Hellespont et la Thrace. On résolut de donner droit à travers la mer Ægée[35] (mode d’attaque que des Grecs intelligents tels que Themistoklês craignaient le plus, même après que Xerxès eût été repoussé), depuis Samos jusque dans l’Eubœa, en attaquant en chemin les îles intermédiaires. Au nombre de ces îles était Naxos ; qui dix ans auparavant avait soutenu un long siège, et repoussé vaillamment le Perse Megabatês avec le Milésien Aristagoras. C’était un des principaux objets de Datis d’effacer cette tache imprimée sur les armes persanes et de prendre sur les Naxiens une revanche signalée[36]. Passant de Samos à Naxos, il débarqua son armée dans file, qu’il trouva plus aisée à prendre qu’il ne s’y était attendu. Les citoyens saisis de terreur, abandonnant leur ville, s’enfuirent avec leurs familles sur les sommets les plus élevés de leurs montagnes ; tandis que les Perses, faisant esclaves un petit nombre d’entre eux qui avaient tardé à prendre la fuite, brûlaient la ville non défendue avec ses édifices sacrés et profanes.

Immense, en effet, était la différence dans le sentiment grec à l’égard des Perses, créé par la nouvelle et terrifiante conquête de l’Iônia et par l’apparition d’une flotte phénicienne dans la mer Ægée. La force de Naxos était alors la même qu’elle avait été avant la révolte ionienne, et on avait pu supposer que l’heureuse résistance qu’ils avaient faite à ce moment était de nature à fortifier le courage de ses habitants. Cependant, si grande est la crainte inspirée maintenant par un armement persan, que les huit mille hoplites naxiens abandonnent leurs villes et leurs dieux sans coup férir[37], et ne songent qu’au salut personnel d’eux-mêmes et de leurs familles. Triste augure pour Athènes et Eretria !

De Naxos, Datis envoya sa flotte vers les autres îles Cyclades, réclamant de chacune d’elles des otages comme garants de leur fidélité et un contingent pour augmenter son armée. Toutefois pour l’île sacrée de Dêlos il se montra plein d’indulgence et de respect. Avant son arrivée les Déliens avaient fui à Tênos ; mais Datis envoya un héraut les inviter à revenir ; il promit de tenir leurs personnes et leurs propriétés à l’abri de tout outrage, et déclara qu’il avait reçu du Grand Roi l’ordre formel de respecter l’île où étaient nés Apollon et Artemis. Ses actes répondirent à son langage ; car il ne fut pas permis à la flotte d’aborder dans l’île ; mais lui en personne, débarquant avec un petit nombre d’officiers seulement, offrit un magnifique sacrifice à l’autel. Comme une portion considérable de son armement consistait en Grecs ioniens, un respect si prononcé pour l’île de Délos peut être attribué probablement au désir de satisfaire leurs sentiments religieux ; car, dans leurs jours d’ancienne liberté, cette île avait été le théâtre de leurs fêtes périodiques et solennelles, comme je l’ai fait plus d’une fois remarquer.

Poursuivant sa course sans résistance le long des îles, et demandant à chacune des renforts aussi bien que des otages, Datis finit par toucher à la partie la plus septentrionale de l’Eubœa, — à la ville de Karystos et à son territoire[38]. Les Karystiens commencèrent par refuser soit de donner des otages, soit de fournir des renforts contre leurs amis et leurs voisins. Mais ils furent bientôt forcés de se soumettre par la dévastation agressive des envahisseurs. C’était le premier symptôme de résistance que Datis eût encore éprouvé ; et la facilité avec laquelle il en triompha lui fut un augure favorable quant à son succès contre Eretria, où il arriva bientôt.

La destination de l’armement n’était pas un secret pour les habitants de cette ville marquée par le sort, dans laquelle la consternation, aggravée par des divisions intestines, était le sentiment régnant. Ils s’adressèrent à Athènes pour avoir un secours, qui leur fut fourni d’une manière prompte et commode au moyen de ces quatre mille Klêruchi ou citoyens résidant au dehors que les Athéniens avaient établis seize ans auparavant dans le territoire voisin de Chalkis. Toutefois, nonobstant ce renfort, un grand nombre d’entre eux désespérèrent de pouvoir défendre la ville, et ne songèrent qu’à chercher, un refuge sur les sommets inattaquables de l’île, comme l’avaient fait avant eux les Naxiens, plus nombreux et plus puissants, tandis qu’une autre partie, cherchant déloyalement son propre profit dans le malheur public, attendait une occasion favorable de trahir la ville en faveur des Perses[39]. Bien qu’une résolution publique de défendre la ville eût été prise, cependant on voyait si évidemment l’absence de cette intrépidité de cœur qui seule pouvait servir à la sauver, qu’un des principaux Erétriens nommé Æschinês ne rougit pas d’avertir les quatre mille alliés athéniens de la trahison prochaine et de les engager à se sauver avant qu’il fût trop tard. Ils suivirent son avis et passèrent en Attique par la voie d’Orôpos ; tandis que les Perses débarquèrent leurs troupes et même leurs chevaux, s’attendant à ce que les Erétriens sortiraient pour combattre, à Tamynæ et dans d’autres endroits du territoire. Comme les Erétriens ne sortaient pas, ils se mirent en devoir d’assiéger la ville, et pendant quelques jours ils rencontrèrent une vaillante résistance, de sorte que des deux côtés les pertes furent considérables. Enfin deux des principaux citoyens, Euphorbos et Philagros, avec d’autres, livrèrent Eretria aux assiégeants : ses temples furent brûlés, et ses habitants traînés en esclavage[40]. Il est impossible d’ajouter foi à l’assertion exagérée dé Platon, qu’il applique aux Perses à Eretria comme Hérodote l’avait appliquée auparavant aux Perses à Chios et à Samos, — à savoir, qu’ils balayèrent le territoire et en chassèrent complètement les habitants en joignant leurs mains et en formant une ligne transversale dans toute sa largeur[41]. Évidemment c’est là une idée expliquant les effets possibles du nombre et d’une conquête ruineuse, qui a été mêlée dans le tissu des renseignements historiques, comme tant d’autres idées explicatives qu’on rencontre dans les écrits des auteurs grecs. Qu’une proportion considérable des habitants ait été emmenée comme prisonniers, on ne peut en douter. Mais les traîtres qui livrèrent la ville furent épargnés et récompensés par les Perses[42], et nous voyons clairement que ou bien quelques-uns des habitants doivent avoir été laissés, ou de nouveaux colons introduits, en trouvant les Erétriens comptés dix ans plus tard parmi les adversaires de Xerxès.

Datis avait accompli ainsi, en ne rencontrant que peu ou point de résistance, un des deux objets expressément ordonnés par Darius, et l’armée était animée du confiant espoir de bientôt remplir l’autre. Après s’être arrêté un petit nombre de jours à Eretria, et avoir déposé dans l’îlot voisin d’Ægilia les prisonniers faits récemment, il rembarqua son armée pour traverser en Attique ; il aborda dans la mémorable baie de Marathôn, sur la côte orientale, lieu indiqué par le despote Hippias, qui alors débarquait avec les Perses, vingt ans après son expulsion du gouvernement. Quarante-sept ans s’étaient écoulés depuis que, jeune homme, il avait effectué le même passage d’Eretria à Marathôn, conjointement avec son père Pisistrate, à l’occasion du second rétablissement de ce dernier. Dans cette première occasion, les forces qui accompagnaient le père avaient été incomparablement inférieures à celles qui maintenant secondaient le fils. Cependant elles s’étaient trouvées assez grandes pour le conduire à Athènes en triomphe, avec une faible opposition de la part des citoyens à la fois irrésolus et désunis. Et la marche d’Hippias de Marathôn à Athènes aurait été maintenant également facile, comme sans doute il croyait lui-même qu’elle le serait, tant dans les espérances qu’il concevait en état de veille que dans le rêve mentionné par Hérodote, — si les Athéniens qu’il trouvait n’eussent été des hommes essentiellement différents de ceux qu’il avait laissés.

Dans un autre chapitre j’ai déjà appelé l’attention sur ce grand renouvellement du caractère athénien, sous les institutions démocratiques qui avaient existé depuis la dépossession d’Hippias. Les modifications introduites dans la constitution par Kleisthenês avaient duré alors dix-huit ou dix-neuf ans, sans qu’aucun effort eût été fait pour les renverser par la violence. Les dix tribus, chacune avec ses dèmes constitutifs, étaient devenues une partie des habitudes établies du pays ; les citoyens s’étaient accoutumés à exercer une volonté véritable et se déterminant par elle-même, dans leurs assemblées politiques aussi bien que judiciaires ; tandis que même le sénat de l’Aréopage, renouvelé par les neuf archontes annuels choisis successivement qui passaient dans ce corps après leur année de charge, s’était aussi identifié en sentiment avec la constitution de Kleisthenês. Il restait sans doute des citoyens individuellement partisans en secret, et peut-être correspondants d’Hippias. Mais la masse des citoyens, à tous les degrés de l’échelle sociale, ne pouvait voir son retour qu’avec terreur et aversion. J’ai déjà dit dans un autre chapitre avec quel degré d’énergie nouvellement acquise la démocratique Athènes pouvait agir pour défendre le pays et les institutions. Mais malheureusement nous ne possédons que peu de particularités sur l’histoire athénienne, pendant la décade qui précède 490 avant J.-C. ; et nous ne pouvons pas suivre en détail le jeu du gouvernement. Toutefois la nouvelle forme qu’avait prise la politique athénienne devient en partie manifeste, si nous observons les trois chefs qui sont en relief à cette époque importante : — Miltiadês, Themistoklês et Aristeidês.

Le premier des trois était retourné à Athènes trois ou. quatre ans avant l’époque de Datis, après une absence de six ou sept années dans la Chersonèse de Thrace, où il avait été primitivement envoyé par Hippias, vers l’an 517-516 avant J.-C., pour hériter des biens aussi bien que de la suprématie de son oncle l’œkiste Miltiadês. En qualité de despote de la Chersonèse, et de l’un des sujets de la Perse, il avait été parmi les Ioniens qui accompagnaient Darius au Danube dans son expédition contre les Scythes ; il avait été l’auteur de ce mémorable conseil qu’Histiæos et les autres despotes n’avaient pas jugé de leur intérêt de suivre, — à savoir de détruire le pont et de laisser périr l’armée des Perses. Par la suite il n’avait pu rester d’une manière permanente dans la Chersonèse, pour des raisons qui ont été signalées auparavant ; mais il semble l’avoir occupée pendant la période de la révolte ionienne[43]. Quelle part prit-il à la révolte, c’est ce que nous ignorons. Toutefois, il profita du temps où les satrapes persans étaient occupés à la réprimer, et où ils avaient perdu l’empire de la mer, pour chasser, conjointement avec des forces venues d’Athènes, et la garnison persane et les habitants pélasgiques des îles de Lemnos et d’Imbros. Mais l’extinction de la révolte ionienne le menaça de ruine. Quand la flotte phénicienne, dans l’été qui suivit la prise de Milêtos, fit son apparition triomphante dans l’Hellespont, il fut forcé de se sauver rapidement à Athènes avec ses amis les plus proches et ses biens disponibles, et avec une petite escadre de cinq vaisseaux. Un de ces vaisseaux, commandé par son fils Metiochos, fut réellement pris entre la Chersonèse et Imbros ; et les Phéniciens étaient surtout désireux de s’emparer de Miltiadês lui-même[44], parce qu’il était personnellement odieux à Darius, à cause du conseil énergique qu’il avait donné de détruire le pont sur le Danube. En arrivant à Athènes, après avoir échappé à la flotte phénicienne, il fut cité devant le tribunal populaire pour un prétendu mauvais gouvernement dans la Chersonèse, ou pour ce qu’Hérodote appelle son despotisme qu’il y avait exercé[45]. Probablement les Athéniens établis dans cette péninsule pouvaient avoir de bonnes raisons de se plaindre de lui, — d’autant plus qu’il avait emporté avec lui les maximes de gouvernement régnant à Athènes sous les Pisistratides, et qu’il avait à sa solde un corps de mercenaires thraces. Cependant le peuple d’Athènes l’acquitta avec honneur, probablement en partie à cause de la réputation qu’il avait acquise comme vainqueur de Lemnos[46] ; et il fut l’un des dix généraux de la république élus annuellement pendant l’année de cette expédition des Perses, — choisis au commencement de l’année attique, peu après le solstice d’été, à un moment où Datis et Hippias avaient réellement mis à la voile, et où l’on connaissait leur approche.

Le caractère de Miltiadês est un modèle de grande bravoure et de grande énergie, — qualités extrêmement utiles à son pays dans la crise actuelle, et d’autant plus utiles qu’il avait les motifs les plus forts pour les déployer, à cause de l’hostilité personnelle de Darius à son égard. Cependant il n’appartient pas particulièrement à la démocratie de Kleisthenês, comme ses contemporains plus jeunes Themistoklês et Aristeidês. Ces deux derniers sont des spécimens d’une classe d’hommes nouvelle à Athènes depuis l’expulsion d’Hippias, et faisant un frappant contraste avec. Pisistrate, Lykurgue et Megaklês, les chefs politiques de la précédente génération. Themistoklês et ‘Aristeidês, quelque différents qu’ils soient par leur nature, se ressemblent en ce qu’ils sont des politiques de l’ordre démocratique, exerçant un ascendant sur le peuple, et avec son aide, — consacrant leur temps à l’accomplissement des devoirs publics et aux fréquentes discussions qui s’élevaient dans les assemblées politiques et judiciaires du peuple, — manifestant ces pouvoirs combinés d’action,de compréhension et de discours persuasif qui accoutumaient graduellement les citoyens à les regarder comme des conseillers aussi bien que comme des chefs, — mais toujours soumis à une critique et à une accusation de la part de rivaux malveillants et exerçant cette rivalité mutuelle avec une âpreté constamment croissante. Au lieu de l’Attique désunie et pleine des factions armées qui la déchirent, comme elle l’avait été quarante ans auparavant, — les Diakrii sous un homme, et les Parali et les Pedieis sous d’autres, — nous trouvons maintenant l’Attique une et indivisible ; enrégimentée en un corps d’auditeurs réguliers dans la Pnyx, nommant les magistrats et les astreignant à une responsabilité, et prête à écouter Themistoklês, Aristeidês, ou tout autre citoyen qui peut exciter son attention.

Ni Themistoklês ni Aristeidês ne pouvaient se vanter d’une lignée de dieux et de héros, comme l’Æakide Miltiadês (1). Tous deux ils étaient de condition et de position moyennes. Aristeidês, fils de Lysimachos, était des deux côtés de sang athénien pur ; mais l’épouse de Neoklês, père de Themistoklês, était une femme étrangère de Thrace ou de Karia ; et une telle alliance n’a rien de surprenant, puisque Themistoklês doit être né pendant la dynastie des Pisistratides, alors que l’état d’un citoyen athénien n’avait pas encore acquis son importance politique. Il existait un contraste marqué entre ces deux hommes éminents, — les points qui étaient les plus saillants dans l’un étant relativement défectueux dans l’autre. Dans le portrait de Themistoklês, que nous avons l’avantage de trouver brièvement esquissé par Thucydide, le trait signalé le plus expressément, c’est sa force immense d’invention et de conception spontanées, sans aucune aide préalable soit d’enseignement, soit de pratique graduelle. La puissance d’une nature dénuée de secours[47] ne se montra jamais d’une manière si frappante que chez lui. Il comprenait les complications d’un embarras présent, et devinait les chances d’un mystérieux avenir avec une égale sagacité et une égale promptitude. Le bon expédient semblait briller soudainement à son esprit, même dans les cas les plus embarrassants, sans la moindre nécessité d’y songer à l’avance. Il n’était pas moins distingué par l’audace et les ressources dans l’action : quand il était engagé dans des affaires combinées, sa capacité supérieure le désignait aux autres comme chef à suivre, et aucune chose, quelque étrangère qu’elle fût à son expérience, ne le prit jamais par surprise ni ne l’arrêta complètement. Tel est le portrait remarquable que Thucydide fait d’un compatriote dont la mort coïncidait presque pour le temps avec sa propre naissance. La conception prompte et l’universalité naturelles chez Themistoklês formaient probablement dans l’esprit de l’historien un contraste avec l’instruction plus approfondie et la soigneuse étude préliminaire avec lesquelles les hommes d’État de son propre temps, — et Periklês particulièrement, le plus grand de tous,-abordaient l’examen et la discussion des affaires publiques. Themistoklês n’avait pas reçu de leçons des philosophes, des sophistes et des rhéteurs,-qui étaient les maîtres des jeunes gens de bonne naissance à l’époque de Thucydide, et dont Aristophane, le contemporain de ce dernier, se moquait si impitoyablement, — disant qu’un tel enseignement était pire que tout, et vantant, par comparaison, le courage illettré, avec de simples connaissances gymnastiques, des vainqueurs de Marathôn[48]. Rien ne prouve dans l’esprit de. Thucydide un mépris si injuste à l’égard de sa propre époque. Les mêmes termes d’opposition se présentent tacitement à sa pensée, mais il parait considérer la grande capacité de Themistoklês comme étant plutôt un objet d’étonnement, puisqu’elle jaillit sans cette culture préliminaire qui avait contribué à former Periklês.

Le caractère général donné par Plutarque[49], bien que beaucoup de ses anecdotes soient à la fois insignifiantes et apocryphes, s’accorde tout à fait avec la brève esquisse de Thucydide que nous venons de citer. Themistoklês avait une passion sans bornes, — non seulement pour. la gloire, en ce que les lauriers de Miltiadês conquis à Marathôn l’empêchaient de dormir, — mais encore pour le faste de toute sorte. Il était empressé de rivaliser avec des hommes plus riches que lui par une représentation brillante, — grande source, bien que n’étant pas la seule, de popularité à Athènes ; — et il n’était pas du tout scrupuleux pour se procurer les moyens d’y parvenir. Outre qu’il était assidu aux séances de l’Ekklêsia et du Dikastêrion, il connaissait la plupart des citoyens de nom, et était toujours prêt à leur donner des conseils pour leurs affaires particulières. En outre, il possédait toute la tactique d’un homme de parti expérimenté dans l’art de se concilier des amis politiques et de vaincre des ennemis politiques. Et bien que, dans la première partie de sa vie, il fût sincèrement appliqué à élever et à agrandir sa patrie, et que, dans quelques occasions très critiques, il fût pour cela d’un prix inexprimable, cependant en général sa moralité était aussi peu scrupuleuse que son intelligence était élevée. On le trouvera livré à une corruption honteuse dans l’exercice du pouvoir, et employant des moyens tortueux parfois, il est vrai, pour des buts en eux-mêmes honorables et patriotiques, mais parfois aussi seulement pour s’enrichir. Il termina une vie glorieuse par des années de profonde disgrâce, avec la perte de toute estime et de toute fraternité hellénique, — riche, exilé, traître et pensionnaire du Grand Roi, engagé à détruire son propre ouvrage antérieur de délivrance accompli par la victoire de Salamis.

Quant à Aristeidês, nous ne possédons malheureusement pas de portrait de lui tracé par la main de Thucydide. Cependant son caractère est si simple et si bien lié, que nous pouvons sans danger accepter le bref mais entier éloge d’Hérodote et de Platon, développé comme il l’est dans la biographie de Plutarque et de Cornélius Nepos[50], quelque peu de foi que nous puissions ajouter aux détails donnés par ce dernier. Aristeidês était inférieur à Themistoklês en ressources, en promptitude, en flexibilité, en pouvoir de lutter avec les difficultés ; mais il lui était incomparablement supérieur, aussi bien qu’à ses autres rivaux et à ses autres contemporains, en intégrité publique et drivée ; inaccessible aux tentations pécuniaires, aussi bien qu’à d1autres influences séductrices, et méritant aussi bien qu’obtenant le plus haut degré de confiance personnelle. On le représente comme l’ami particulier de Kleisthenês, le premier fondateur de la démocratie[51], — comme suivant une ligne droite et unique dans la vie politique, sans s’inquiéter des liens de parti, ni se soucier soit de se faire des amis, soit d’offenser des ennemis ; — comme ne reculant pas à dénoncer les pratiques corrompues, quel que fût celui qui les commit ou les soutînt ; — comme acquérant pour lui-même le surnom élevé de Juste, non moins par ses sentences judiciaires rendues en qualité d’archonte que par son équité dans des décisions privées, et même par sa sincérité dans des discussions politiques, — et comme manifestant, dans tout le cours d’une longue vie publique remplie d’occasions séduisantes, une droiture sans défaut et au-dessus de tout soupçon, reconnue également par son acerbe contemporain le poète Timokreôn, et par les alliés d’Athènes, auxquels il imposa le tribut pour la première fois[52]. Peu des principaux hommes dans quelque partie de la Grèce que ce fût étaient sans avoir quelque tache sur leur réputation, méritée ou non, sous le rapport de la probité pécuniaire. Mais quiconque était notoirement reconnu comme possédant cette qualité essentielle acquérait, grâce à elle, un empire plus fort sur l’estime publique que celui qu’il pouvait devoir même à des talents éminents. Thucydide place une probité remarquable parmi les premières des nombreuses qualités supérieures que possédait Periklês[53] ; tandis que Nikias, égal à lui sous ce rapport, bien que comparablement inférieur sous tout autre, lui dut une partie plus considérable encore de cette confiance exagérée que le peuple athénien continua si longtemps d’avoir en lui. Les talents d’Aristeidês, — bien qu’ils fussent apparemment suffisants pour toutes les occasions dans lesquelles il était engagé, et inférieurs seulement quand nous le comparons à un homme aussi remarquable que Themistoklês, — étaient effacés par cette probité incorruptible qui, toutefois, tout en lui assurant l’estime générale, lui suscita un assez grand nombre d’ennemis privés parmi les intrigants qu’il dévoila, et même quelque jalousie de la part de personnes qui l’entendaient proclamer avec une ostentation blessante. On nous dit qu’un citoyen illettré de la campagne donna son vote d’ostracisme et exprima son déplaisir contre Aristeidês[54], sur là simple motif qu’il était fatigué de l’entendre toujours appeler le Juste. Or la pureté de l’homme le plus honorable ne supportera pas d’être l’objet d’éloges si emphatiques, comme s’il était le seul homme honorable dans le pays. Moins elle sera présentée avec importunité, et plus elle sera sentie profondément et sincèrement, et l’histoire à laquelle nous venons de faire allusion, qu’elle soit vraie ou fausse, explique cette réaction naturelle de sentiment produite par d’absurdes panégyristes, ou peut-être par de perfides ennemis prenant le masque de panégyristes, qui proclamaient Aristeidês comme le Juste par excellence de l’Attique, au point de blesser la dignité légitime de toute autre personne. Cependant ni des amis indiscrets ni d’artificieux ennemis ne purent lui enlever l’estime durable de ses compatriotes, dont il jouit jusqu’à la fin de sa vie, bien qu’avec des intervalles de défaveur de leur part. Il fut banni par l’ostracisme pendant une partie de la période qui s’écoula entre la bataille de Marathôn et celle de Salamis, à une époque où la rivalité qui existait entre lui et Themistoklês était si violente qu’ils ne pouvaient pas rester tous les deux à Athènes sans péril ; mais les dangers que courut Athènes pendant les invasions de Xerxès le ramenèrent avant que les dix ans d’exil fussent expirés. Sa fortune, très modeste dans l’origine, fut encore diminuée pendant le cours de sa vie, de sorte qu’il mourut très pauvre, et que l’État fut obligé de prêter assistance à ses enfants.

Tels étaient les caractères de Themistoklês et d’Aristeidês, les deux premiers chefs produits par la démocratie athénienne. Un demi-siècle avant, Themistoklês aurait été un actif partisan dans la faction des Parali ou des Pedieis, tandis qu’Aristeidês serait probablement resté un citoyen inaperçu. A l’époque actuelle de l’histoire athénienne, les caractères de soldat, de magistrat et d’orateur étaient intimement unis dans un citoyen que sa distinction mettait en évidence, bien qu’ils tendissent de plus en plus à se séparer pendant le siècle et demi suivant. Aristeidês et Miltiadês furent tous deux choisis parmi les dix généraux, chacun pour sa tribu respective, pendant l’année où Datis, dans son expédition, traversa la mer -Égée, et probablement même après qu’on sut que cette expédition était en route. De plus, nous sommes amené à soupçonner, d’après un passage de Plutarque, que Themistoklês aussi fut général de sa tribu dans la même occasion[55], bien que ce soit douteux ; mais il est certain qu’il combattit à Marathôn. Les dix généraux avaient conjointement le commandement de l’armée ; chacun d’eux, à son tour, l’exerçant pendant un jour. Outre les dix, le troisième archonte ou polémarque était considéré comme onzième dans le conseil de guerre. Le polémarque de cette année était Kallimachos d’Aphidnæ[56].

Tels étaient les chefs des forces militaires, et dans une grande mesure les administrateurs des affaires étrangères, au moment où les quatre mille Klêruchi ou colons athéniens établis en Eubœa, — s’échappant d’Eretria, alors investie par les Perses, — vinrent dire à leurs compatriotes, dans leur patrie, que la chute de cette ville était imminente. Il était évident que l’armée des Perses s’avancerait sur-le-champ d’Eretria contre Athènes. Peu de jours après, Hippias les débarquait à Marathôn.

Nous n’avons pas de détails sur le sentiment qui régna alors à Athènes. Mais sans doute l’alarme ne fut guère inférieure à celle qu’on avait ressentie à Eretria. Les avis n’étaient pas unanimes quant aux mesures convenables à prendre, et il ne manquait pas non plus de soupçons de trahison. On envoya immédiatement à Sparte Pheidippidês le courrier pour solliciter du secours ; et telle fut sa célérité prodigieuse, qu’il accomplit ce voyage de 150 milles (= 241 kil. 390 m.) à pied en quarante-huit heures[57]. Révélant aux éphores qu’Eretria était déjà asservie, il les supplia de donner leur aide pour sauver du même destin Athènes, la plus ancienne ville de la Grèce. Les autorités spartiates s’empressèrent de promettre leur aide ; mais, par malheur, c’était alors le neuvième jour de la lune. Une ancienne loi ou un ancien usage leur défendait de marcher, ce mois-là du moins, pendant le dernier quartier, avant la pleine lune ; mais, après la pleine lune, ils s’engagèrent à marcher sans délai. Un retard de cinq jours à ce moment critique pouvait être la ruine totale de la ville en danger ; cependant la raison alléguée ne paraît pas avoir été un prétexte de la part des Spartiates. Ce n’était qu’un attachement opiniâtre et aveugle à une ancienne habitude, ténacité que nous verrons diminuer, sinon disparaître complètement, à mesure que nous avancerons dans leur histoire[58]. Il est vrai que le retard qu’ils mirent à marcher pour délivrer l’Attique de Mardonios, onze ans plus tard, en s’exposant au danger imminent de s’aliéner Athènes et de ruiner la cause hellénique, marque la même lenteur égoïste. Mais il est sûr que la raison donnée actuellement avait tout à fait l’air d’un prétexte, de sorte que les Athéniens ne pouvaient se laisser aller à une assurance certaine que les troupes spartiates partiraient même lorsque la pleine lune serait venue.

Sous ce rapport la réponse rapportée par Pheidippidês fut nuisible, en ce qu’elle contribua à augmenter cette incertitude et cette indécision qui régnaient déjà parmi les dix généraux, quant aux mesures à prendre pour affronter les envahisseurs. Peut-être. en partie comptant sur ce secours spartiate attendu, cinq des dix généraux étaient décidément contraires à un engagement immédiat avec les Perses ; tandis que Miltiadês, avec les quatre autres, conseillait énergiquement de ne pas perdre un moment pour amener l’ennemi à combattre, sans laisser le temps aux timides et aux traîtres d’établir de correspondance avec Hippias, et de prendre quelque mesure active pour paralyser toute action combinée de la part des citoyens. Ce débat si important, dont dépendait le sort d’Athènes, Hérodote dit qu’il survint à Marathon, après que l’armée fut sortie et s’y fut postée en vue des Perses, tandis que Cornélius Nepos rapporte qu’il s’était élevé avant que l’armée eût quitté la ville, — sur la question de savoir s’il était prudent de rencontrer l’ennemi en rase campagne, ou de limiter la, défense à la ville et au rocher sacré. Quelque inexact que soit cet auteur en général, son assertion semble ici plus probable que celle d’Hérodote. Car il est difficile que les dix généraux fussent sortis d’Athènes pour aller à Marathôn sans avoir auparavant résolu de combattre ; de plus, là question entre combattre en rase campagne ou résister derrière les murailles, qui s’était déjà élevée à Eretria, semble être le point naturel auquel devaient s’arrêter les cinq généraux moins confiants. Et probablement, en effet, Miltiadês lui-même, si l’on eût refusé un engagement immédiat, aurait préféré conserver la possession d’Athènes, et empêcher qu’un mouvement déloyal n’y éclatât, plutôt que de rester inactif sur les collines, guettant les Perses à Marathôn, avec le danger qu’un détachement de leur nombreuse flotte fit voile autour de Phalêron, et divisât ainsi par une double attaque et la cité et le camp.

 

À suivre

 

 

 



[1] Hérodote, VI, 42.

[2] Hérodote, VI, 20.

[3] Hérodote, VI, 43. En racontant cette déposition des despotes effectuée par Mardonios, Hérodote s’en sert comme d’une analogie dans le dessein de justifier l’exactitude d’une autre de ses assertions, que (nous apprend-il) bien des personnes contestaient, à savoir, la discussion qui, selon lui, s’éleva entre les sept conspirateurs, après la mort du mage Smerdis, sur la question de savoir s’ils établiraient une monarchie, une oligarchie ou une démocratie. — Les passages pareils à celui-ci nous font pénétrer dans les controverses de l’époque, et prouvent qu’Hérodote trouvait bien des personnes qui faisaient des objections au récit qu’il donne de la discussion sur des théories de gouvernement entre les sept conspirateurs persans (III, 80-82).

[4] Hérodote, VI, 43, 44.

[5] Hérodote, VI, 44-94. Charôn de Lampsakos a mentionné la tempête près du mont Athos, et la destruction de la flotte de Mardonios (Charonis Fragm., 3, éd. Didot ; Athenæ, IX, p. 394).

[6] Hérodote, VI, 46-48. V. un cas semblable de révélation provenant d’une jalousie entre Ténédos et Lesbos (Thucydide, III, 2).

[7] Hérodote, VI, 91.

[8] Hérodote, VI, 48, 49 ; VIII, 46.

[9] Hérodote, V, 81-89. V. le chapitre 13 du cinquième volume. Il ne faut pas évidemment regarder comme une cause réelle et historique de guerre le récit légendaire qui y est donné comme étant ce qui excita Ægina à prendre les armes, un état de querelle fait qu’on ravive toutes les histoires pareilles, et probablement qu’on en invente quelques-unes. C’est comme l’ancienne prétendue querelle entre les Athéniens et les Pélasges de Lemnos (VI, 137-110).

[10] C’est à ce traitement dix héraut que doit faire allusion l’histoire qu’on lit dans la Vie de Themistoklês, de Plutarque, si en effet cette histoire est vraie ; car il n’est pas vraisemblable que le roi de Perse envoyât un second héraut, après ce traitement infligé au premier. Un interprète accompagnait le héraut, parlant grec aussi bien que sa propre langue maternelle. Themistoklês proposa et obtint un vote décidant qu’il serait mis à mort pour avoir employé la langue grecque comme moyen d’exprimer un ordre venant d’un barbare (Plutarque, Themistoklês, c. 6). Nous serions content de savoir sur qui Plutarque copia cette histoire.

Pausanias dit que ce fut Miltiadês qui proposa de mettre à mort les hérauts à Athènes (III, 12, 6), et que par suite de cette proposition le châtiment divin tomba sur sa famille. Je ne sais sur qui Pausanias copia ce renseignement ; ce n’est certainement pas sur Hérodote, qui ne mentionne pas Miltiadês dans ce cas, et qui dit expressément qu’il ne sait pas de quelle manière la punition divine atteignit les Athéniens pour ce crime, si ce n’est, dit-il, que leur ville et leur pays furent ensuite dévastés par Xerxès ; mais je ne pense pas que cela soit arrivé à cause de l’outrage fait aux hérauts (Hérodote, VII, 133).

La croyance qu’il a dû y avoir un châtiment divin d’une sorte ou d’une autre, était un puissant stimulant pour inventer ou pour arranger quelque fait historique qui y répondit. Hérodote respecte assez la vérité pour résister à ce stimulant, et pour avouer son ignorance ; circonstance qui, réunie à d’autres, tend à fortifier la confiance que nous avons dans son autorité en général. Son silence affaiblit la crédibilité, mais ne réfute pas l’allégation de Pausanias par rapport à Miltiadês, — allégation qui assurément n’est pas intrinsèquement improbable.

[11] Hérodote, VII, 133.

[12] Hérodote, VI, 49. Cf. VIII, 144 ; IX, 7 ; VII, 61.

[13] Thucydide, I, 70-118.

[14] Hérodote, VII, 145-148.

[15] Ce qui marque le siège de Milêtos et la défaite des Argiens par Kleomenês, comme contemporains ou peu s’en faut, c’est la réponse commune rendue par l’oracle au sujet de tous deux ; dans la même prophétie de la Pythie, une moitié fait allusion aux malheurs de Milêtos, l’autre moitié à ceux d’Argos (Hérodote, VI, 19-77).

Je regarde cette preuve de date comme meilleure que le renseignement de Pausanias. Cet auteur place l’entreprise contre Argos immédiatement (αΰτικα — Pausanias, II, 4, 1) après l’avènement de Kleomenês, qui, comme il était roi quand Mæandrios vint de Samos (Hérodote, III, 148), doit être parvenu au trône pas plus tard que 518 ou 517 avant J.-C. Ce serait trente-sept ans avant 480 avant J.-C. ; date beaucoup trop reculée pour la guerre entre Kleomenês et les Argiens, comme nous pouvons le voir par Hérodote (VII, 149).

[16] Hérodote, VI, 92.

[17] Hérodote, VI, 78 ; Cf. Xénophon, Rep. Laced., XII, 6. Les ordres pour les évolutions en campagne, dans le service militaire lacédæmonien, n’étaient pas proclamés par le héraut, mais transmis par les divers degrés de la hiérarchie militaire (Thucydide, V, 66).

[18] Hérodote, VI, 79, 80.

[19] Pausanias, II, 20, 7 ; Polyen, VIII, 33 ; Plutarque, De Virtut. Mulier., p. 245, Suidas ; v. Τελέσιλλα.

Plutarque cite l’historien Sokratês d’Argos pour cette histoire relative à Telesilla ; historien ou peut-être compositeur d’une περιήγησις Άργους, d’une date inconnue ; cf. Diogène Laërte, II, 5, 47, et Plutarque, Quæstion. Romaic., p. 270-277. D’après ce qu’il dit, Kleomenês et Demaratos attaquèrent conjointement la ville d’Argos, et Demaratos, après avoir pénétré dans la ville et s’être rendu maître du Pamphyliakon, en fut chassé par les femmes. Or, Hérodote nous apprend que Kleomenês et, Demaratos ne furent jamais employés dans la même expédition, après leur mésintelligence dans leur marche vers l’Attique (V, 75 ; VI, 64).

[20] Hérodote, VI, 77.

Si on peut dire que cette prophétie ait un sens distinct quelconque, il se rapporte probablement à Hêrê, comme protectrice d’Argos, repoussant les Spartiates.

Pausanias (II, 20, 7) pouvait raisonnablement douter qu’Hérodote comprit cet oracle dans le même sens qu’il le faisait : il est évident qu’Hérodote ne pouvait l’avoir compris ainsi.

[21] Hérodote, VI, 80, 81 ; cf. V, 72.

[22] Hérodote, VI, 82.

Pour l’expression αίρέειν κατ̕ άκρής, cf. Hérodote, VI, 21, et Damm. Lex. Homer, v. άκρός. Dans cette expression telle qu’elle est généralement employée, les derniers mots κατ̕ άκρής ont perdu leur sens primitif et spécial, et ne font que donner un peu plus de force au simple αίρέειν, — ils équivalent à quelque chose comme de fond en comble ; car Kleomenês est accusé par ses ennemis. Mais dans l’histoire racontée par Kleomenês les mots κατ̕ άκρής reviennent à leur signification primitive, et servent de fondement à son argument religieux, du signe à la chose signifiée : si la lumière avait été reflétée par la tête, c’est-à-dire par le haut (le faîte) de la tête, cela aurait donné à entendre que les dieux voulaient dire qu’il prit la ville du faîte aux fondements.

Par rapport à cette histoire très explicative, — dont il ne semble pas qu’il y ait lien de douter, — l’opposition entre le point de vue d’Hérodote et celui des éphores spartiates mérite d’être signalé. Hérodote, tout en affirmant distinctement que c’était le récit réel fait par Kleomenês, en suspecte la vérité, et exprime autant de scepticisme que le lui permet sa crainte pieuse : les éphores le trouvent en harmonie complète tant avec leur règle de foi qu’avec leur sentiment religieux.

[23] Cf. Pausanias, II, 20, 8.

[24] Hérodote, VI, 92.

[25] Hérodote, VI, 50 — Cf. Pausanias, III, 4, 3.

[26] Hérodote, VI, 50-61, 64.

[27] Hérodote, VI, 61, 62, 63.

[28] Hérodote, VI, 65, 66. Plus tard, dans un cas analogue, où la succession était disputée entre Agésilas, frère d’Agis, le roi décédé, et Léotychidês, son prétendu fils, les Lacédæmoniens paraissent avoir pris sur eux de déclarer Léotychidês illégitime ; ou plutôt d’admettre tacitement cette illégitimité en choisissant Agésilas de préférence, sans l’aide de l’oracle (Xénophon, Helléniques, III, 3, 1-4 ; Plutarque, Agésilas, c. 3). Cependant l’oracle antérieur venu de Delphes, fut cité à cette occasion, et il s’agissait de savoir de quelle manière il serait interprété.

[29] Hérodote, VI, 68, 69. La réponse faite à cet appel par la mère, — qui apprend à Demaratos qu’il est fils soit du roi Aristôn, soit du héros Astrobakos, — est extrêmement intéressante comme preuve des mœurs et du sentiment grecs.

[30] Plutarque, Agis, c. 11.

[31] Hérodote, VI, 70.

[32] Hérodote, VI, 73.

[33] Hérodote, VI, 94.

Cornelius Nepos (Vie de Pausanias, c. 1) appelle Mardonios un Mède ; ce qui ne peut être vrai, puisqu’il était fils de Gobryas, l’un des sept conspirateurs Perses (Hérodote, VI, 43).

[34] Hérodote, VI, 94.

Suivant le Menexène de Platon (c. 17, p. 245), Darius ordonna à Datis de remplir cet ordre sous peine de la vie : on ne trouve pas une telle rigueur dans Hérodote.

[35] Thucydide, I, 93.

[36] Hérodote, VI, 95, 96.

[37] Les historiens de Naxos affirmaient que Datis avait été repoussé de l’île. Nous trouvons ce renseignement dans Plutarque, De Malign. Hérodot., c. 36, p. 869, parmi les contredits violents et peu fondés qu’il oppose à Hérodote.

[38] Hérodote, VI, 99.

[39] Hérodote, VI, 100.

On peut trouver dans un mot de Themistoklês une allusion à cette trahison chez les Erétriens (Plutarque, Themistoklês, c. 11).

On ne peut comprendre du tout l’histoire racontée par Héraclide de Pont (ap. Athenæ, XII, p. 536) d’un armement persan plus ancien qui avait attaqué Eretria et échoué ; elle ressemble plutôt à un mythe fait pour expliquer l’origine des grandes richesses possédées par la famille de Rallias, à Athènes — le Λακκόπλουτος.

Il y a dans Plutarque, Aristeidês, c. 5, une autre histoire, ayant le même objet explicatif.

[40] Hérodote, VI, 101, 102.

[41] Platon, Leg., III, p. 698, et Menexène, c. 10, p. 240 ; Diogène Laërte, III, 33 ; Hérodote, VI, 31 ; cf. Strabon, X, p. 446, qui attribue à Hérodote l’assertion de Platon au sujet de la σαγήνενσις d’Eretria. Platon ne parle pas de la ville livrée par trahison.

Il est à remarquer que, dans le passage du traité De Legibus, Platon mentionne cette histoire (à propos des Perses ayant balayé le territoire d’Eretria et l’ayant dépouillé de tous ses habitants), avec quelque doute quant à sa vérité, et comme si c’était un bruit mis à dessein en circulation par Datis, dans l’idée d’effrayer les Athéniens. Mais, dans le Menexène, l’histoire est donnée comme si c’était un fait historique authentique.

[42] Plutarque, De Garrulitate, c. 15, p. 510. On trouve près d’un siècle après les descendants de Gongylos l’Erétrien, qui, dans cette occasion, passa du côté des Perses, en possession d’une ville et d’un district en Mysia, que le roi de Perse avait accordés à leur aïeul. Hérodote ne mentionne pas Gongylos (Xénophon, Helléniques, III, 1, 6).

Cette reddition aux Perses attira aux Erétriens d’amères remarques à l’époque de la bataille de Salamis (Plutarque, Themistoklês, c. 11).

[43] Le chapitre d’Hérodote (VI, 40) relatif aux aventures de Miltiadês est extrêmement embarrassant, comme je l’ai déjà fait remarquer dans une note précédente ; et Wesseling pense qu’il renferme des difficultés chronologiques que nos mss. actuels ne nous permettent pas d’éclaircir. Ni Schweighaeuser, ni l’explication citée dans une note de Baehr ne sont satisfaisants.

[44] Hérodote, VI, 43-104.

[45] Hérodote, VI, 39-104.

[46] Hérodote, VI, 132. — i. e. avant la bataille de Marathôn. Pour savoir combien sa réputation avait grandi par la conquête de Lemnos, v. Hérodote, VI, 138.

[47] Thucydide, I, 138.

[48] Voir le contraste entre l’ancienne et la nouvelle éducation, tel qu’il est présenté dans Aristophane, Nubes, 957-1003 ; et Ranæ, 1067.

Au sujet de l’éducation de Themistoklês, comparée à celle des contemporains de Periklês, v. aussi Plutarque, Themistoklês, c. 2.

[49] Plutarque, Themistoklês, c. 3, 4, 5 ; Cornelius Nepos, Themistoklês, c. 1.

[50] Hérodote, VIII, 79 ; Platon, Gorgias, c. 172.

[51] Plutarque (Aristeidês, c. 1-4 ; Themistoklês, c. 3 : An seni sit gerenda respublica, c. 12, p. 790 ; Præcepta Reip. Gerend. c. 2, p. 805).

[52] Timokreôn, ap. Plutarque, Themistoklês, c. 21.

[53] Thucydide, II, 65.

[54] Plutarque, Aristeidês, c. 1.

[55] Plutarque, Aristeidês, c. 5.

[56] Hérodote, VI, 109, 110.

[57] M. Kinneir fait remarquer que les Cassides persans, ou messagers à pied, voyagent pendant plusieurs jours de suite en faisant soixante ou soixante-dix milles par jour (Geographical Memoir of Persia, p. 44).

[58] Hérodote, IX, 7-10.