HISTOIRE DE LA GRÈCE

DEUXIÈME VOLUME

CHAPITRE II — MYTHES GRECS, TELS QU’ILS SONT COMPRIS, SENTIS ET INTERPRÉTÉS PAR LES GRECS EUX-MÊMES (suite)

 

 

Chez les poètes et les logographes, les personnages mythiques sont des prédécesseurs réels, et le monde mythique un fait antérieur. Mais c’est une réalité divine et héroïque, non pas humaine ; le présent (pour emprunter[1] une image de Pindare dans l’allusion qu’il fait aux dieux et aux hommes) n’est que le demi-frère du passé, d’une manière éloignée et générique, mais non d’une façon étroite et spécifique, et il lui est analogue. Les anciens sentiments et l’ancienne foi inconsciente, en dehors de toute preuve ou de tout témoignage, restent encore dans leurs esprits comme une habitude générale ; mais il s’est formé des sentiments nouveaux qui les forcent à omettre, à altérer, quelquefois même à rejeter et à condamner des récits particuliers

Pindare répudie quelques histoires et en, transforme d’autres, parce qu’elles sont incompatibles avec ses idées sur les dieux. C’est ainsi qu’il proteste formellement contre le conte qui nous apprend que Pélops avait été tué et servi à table par son père, dans un repas offert aux dieux immortels. Pindare recule devant l’idée de leur imputer un appétit aussi horrible ; il déclare que l’histoire a été clans l’origine fabriquée par un voisin médisant. Il ne peut pas non plus se décider à raconter les querelles qui divisent différents dieux[2]. Les amours de Zeus et d’Apollon ne lui déplaisent nullement ; mais à l’occasion il supprime quelques-uns des simples détails du vieux mythe, comme manquant de dignité. Ainsi, selon le récit hésiodique, c’est un corbeau qui instruit Apollon de l’infidélité de la nymphe Korônis ; mais la mention du corbeau ne parut pas à Pindare compatible avec la majesté du dieu ; aussi enveloppe-t-il d’un vague et mystérieux langage la manière dont la chose fut découverte[3]. Il éprouve une très grande répugnance pour le caractère d’Odysseus, et il donne plus d’une fois à entendre qu’Homère l’a indûment exalté, à force d’artifice poétique. D’autre part, il a la plus profonde sympathie pour le caractère de l’Æacide Ajax, aussi bien que pour sa mort prématurée et sans gloire, occasionnée par l’injuste préférence accordée à un indigne rival[4]. Il en appelle ordinairement à la Muse comme à son autorité, mais quelquefois aux anciens dires des hommes, qu’il accompagne d’une allusion générale aux conteurs et aux bardes ; il admet néanmoins que ces histoires présentent de grandes différences, et sont quelquefois fausses[5]. Cependant le merveilleux et le surnaturel ne sont nullement une raison pour rejeter une histoire : Pindare fait à cet égard une déclaration expresse à propos des aventures romanesques de Perseus et de la tête de la Gorgone[6]. Il considère même ces caractères mythiques, qui sont en lutte de la manière la plus palpable, avec l’expérience positive, comme se rattachant par un fil généalogique réel avec le monde qu’il a devant les yeux. Non seulement les héros de Troie et de Thêbes, et les marins demi-dieux compagnons de Jasôn sur le vaisseau Argô, mais encore le centaure Chirôn, Typhôs aux cent têtes, le géant Alkyoneus, Antæos, Bellerophôn et Pegasos, la Chimæra, les Amazones et les Hyperboréens, toutes ces figures paraissent peintes sur la même toile, et revêtues des mêmes couleurs que les hommes du passé récent et avéré, Phalaris et Crésus : seulement ils sont rejetés à une plus grande distance dans la perspective[7]. Les ancêtres héroïques de ces grandes familles æginètes, thessaliennes, thébaines, argiennes, etc., dont le poète célèbre les membres actuels pour leurs victoires dans les agônes, s’intéressent aux exploits et secondent les efforts de leurs descendants : l’inestimable prix d’une race privilégiée et de l’empreinte de la nature forme un puissant contraste avec l’impuissance d’un enseignement et d’une pratique que rien ne vient aider[8]. Le talent et l’habileté de l’Argien Theæos et de ses parents comme lutteurs sont attribués en partie à ce fait que Pamphaês le premier auteur de leur race avait dans le passé traité d’une manière hospitalière les Tyndarides Kastôr et Pollux[9]. Ce qui prouve toutefois peut-être de la façon la plus forte la sincérité de la foi mythique de Pindare, c’est quand il mentionne un incident coupable avec confusion et répugnance, mais avec un aveu involontaire de la réalité, comme dans le cas du fratricide commis sur Phôkos par ses frères Pêleus et Telamôn[10].

Eschyle et Sophocle montrent la même foi spontanée et exempte de doute que Pindare aux antiquités légendaires de, la Grèce, prises dans leur ensemble ; mais ils se permettent une plus grande licence quant aux détails. Ils devaient nécessairement pour le succès de leurs compositions refondre et grouper de nouveau les événements légendaires, en conservant les noms et le rapport généralement compris de ces caractères qu’ils introduisaient. Le besoin de nouvelles combinaisons augmentait avec la multiplication des spectacles tragiques à Athènes ; de plus, les sentiments des Athéniens, moraux aussi bien que politiques, avaient trop tourné à la critique pour tolérer la reproduction littérale d’un grand nombre des anciennes histoires.

Ces deux poètes exaltèrent plutôt qu’ils ne rabaissèrent la dignité du monde mythique, qu’ils considérèrent comme quelque chose de divin et d’héroïque plutôt que d’humain, Le Promêtheus d’Eschyle est une conception bien plus élevée que son homonyme d l’esprit subtil que nous trouvons clans Hésiode, et les détails plus familiers des anciens poèmes la Thêbaïs et l’Œdipodia furent modifiés dans le même esprit par Sophocle[11]. Ils conservent tous les deux constamment en relief l’action religieuse présentée par l’ancienne épopée. La malédiction paternelle, la colère des morts contre ceux qui leur avaient fait du tort, les châtiments de l’Erinnys contre des personnes coupables ou prédestinées, châtiments parfois infligés directement, exécutés parfois au moyen de l’aliénation d’esprit de la victime elle-même (comme l’Atê homérique), se rencontrent fréquemment dans leurs tragédies[12].

Eschyle, dans deux de ses pièces qui nous restent, présente les dieux comme les personnages principaux. Loin de partager la répugnance qu’éprouve Pindare à insister sur lies querelles des dieux, il introduit Promêtheus et Zeus dans l’une, Apollon et les Euménides dans l’autre, et les met dans une opposition prononcée. Le dialogue, qu’il ajouta le premier au chœur primitif, devint insensiblement la partie la plus importante du drame, et est plus travaillé clans Sophocle que clans Eschyle. Cependant, même dans Sophocle, il conserve encore, en général, sa majesté idéale, formant contraste avec le ton de rhéteur et d’avocat qui s’y introduisit clans la suite ; il naît de la pièce et s’adresse aux émotions plus qu’à la raison de l’auditoire. Néanmoins, l’effet des discussions politiques et du sentiment démocratique d’Athènes est visible chez les deux poètes dramatiques. Eschyle applique même à la société des dieux l’idée de droits et de privilèges légitimes, comme étant opposés à la force usurpatrice. Les Euménides accusent Apollon d’avoir, avec l’insolence d’une ambition juvénile, renversé (foulé sous les pieds de ses coursiers) leurs anciennes prérogatives[13], tandis que le Titan Promêtheus, le champion de l’humanité souffrante contre les dispositions hostiles de Zeus, ose dépeindre ce dernier comme un usurpateur récent, régnant seulement en vertu de sa force supérieure, élevé par une seule révolution heureuse, et destiné à un moment quelconque de l’avenir à être renversé par une autre, sort qu’un seul moyen détournera ; ce sont des avis qui ne peuvent être communiqués que par Promêtheus lui-même[14].

Bien qu’Eschyle encourut des reproches d’impiété de la part de Platon et vraisemblablement aussi de celle du public athénien, pour des discours et des incidents[15] particuliers contenus dans ses tragédies, et bien qu’il ne s’attache pas à la veine reçue de la tradition religieuse d’une manière aussi stricte que Sophocle, cependant l’ascendant et l’intervention des dieux ne sont jamais perdus de vue, et la dignité avec laquelle il les représente, rendue par un style hardi, figuré et elliptique (qui n’est souvent qu’imparfaitement intelligible pour le lecteur moderne), atteint son plus haut point dans ses tragédies. Comme il répand autour des dieux une sorte de grandeur aérienne, de même ni ses hommes ni ses héros ne paraissent ressembler à des habitants de la terre. Le monde mythique, auquel il emprunte ses caractères, n’est peuplé que de la race immédiate des dieux, en contact étroit avec Zeus, dans laquelle le sang divin n’a pas encore eu le temps de dégénérer[16] ; il prend ses individus non pas dans la race de fer dont Hésiode reconnaît avec honte les membres pour ses contemporains, mais dans la race héroïque éteinte qui avait combattu à Troie et à Thêbes. C’est à eux que ses conceptions aspirent, et on peut même l’accuser de faire un effort répété, en dehors des limites du goût poétique, pour réaliser sa peinture. S’il n’y réussit pas d’une manière logique, la raison en : est que dans une telle matière on ne peut atteindre à une logique absolue, puisque, après tout, les analogies avec l’humanité commune, seuls matériaux sur lesquels à s’exercer l’imagination la plus créatrice, s’imposent involontairement, et que les traits de l’homme se voient ainsi, même sous un costume qui promet des proportions surhumaines.

Sophocle, le plus illustre ornement de la tragédie grecque, insiste sur les mêmes caractères héroïques, et leur conserve leur grandeur, clans la plupart des cas, en la diminuant peu ; à cela il allie une structure dramatique beaucoup meilleure, et un appel plus général aux sympathies humaines. Cependant, même dans Sophocle, nous trouvons des indications montrant qu’on permet à un sentiment moral qui a changé, et à un instinct plus prédominant de perfection artistique, de modifier la rigueur plus grande de l’action religieuse que présente l’ancienne épopée. On peut découvrir aussi, à l’occasion, des effusions[17] déplacées de rhétorique, aussi mien que de prolixité didactique. C’est Eschyle, et non Sophocle, qui forme l’opposition marquée, avec Euripide ; c’est à Eschyle, et non à Sophocle, qu’Aristophane accorde le prix de la tragédie, comme étant le poète qui attribue avec le plus de perfection aux héros du passé ces termes graves, cet appareil imposant, cette simplicité de grandes actions avec peu de paroles, cette mâle énergie supérieure aux séductions d’Aphroditê, qualités qui conviennent aux compagnons d’Agamemnôn et d’Adrastos[18].

Ce sentiment du caractère héroïque du monde mythique avait pénétré à une grande profondeur dans l’âme des Athéniens ; c’est ce dont on peut juger par les amères critiques faites à Euripide, dans les compositions duquel étaient entrés en partie les idées de la philosophie physique étudiée à l’école d’Anaxagore, en partie le nouveau ton d’éducation, et l’éloquence pratique du barreau aussi bien que de la tribune si largement répandue à Athènes[19]. Tandis qu’Aristophane attaque avec les sarcasmes les plus acérés Euripide comme le représentant de cette jeune Athènes, d’autres critiques aussi s’accordent à le signaler comme ayant rendit vulgaires les héros mythiques, et comme les ayant transformés en véritables personnages de la vie ordinaire, loquaces, fins et sentant le marché[20]. Il introduisit dans quelques-unes de ses pièces des expressions et des sentiments sceptiques, tirés de ses études philosophiques, tantôt confondant en un seul deux ou trois dieux distincts, tantôt transformant le Zeus personnel en un Æther cloué d’une existence réelle et d’attributs déterminés. Il met dans la bouche de quelques-uns de ses caractères dramatiques dénués de principes des discours apologétiques que l’on accusa d’être des sophismes pleins d’ostentation, et de fournir au criminel une occasion de triomphe[21]. On reprocha è, ses pensées, à ses expressions, au rythme des chants dans ses chœurs, de manquer de dignité et d’élévation. On se moqua sans pitié[22] de l’attirail mesquin et de la misérable attitude dans lesquels il représenta Œneus, Têlephos, Thyestês, Inô, et d’autres caractères héroïques, bien qu’il semble que leur position et leur fortune aient toujours été déplorablement tristes ; mais le pathos efféminé qu’Euripide plaça tout nu sur le premier plan fut jugé indigne de la majesté d’un héros légendaire. Et il encourut un reproche encore plus grand sur un autre point, au sujet duquel ses ennemis mêmes reconnaissent qu’il avait seulement reproduit en substance les récits préexistants, la passion fatale et illicite décrite dans plusieurs de ses caractères de femmes, tels que Phædra et Sthenobœa. Ses adversaires admettaient que ces histoires étaient vraies ; mais ils prétendaient qu’elles auraient dû être tenues à l’écart, et non produites sur la scène, preuve à la fois de la continuité de la foi mythique et de la sensibilité plus grande de la critique morale à son époque[23]. Le mariage des six filles d’Æolos avec ses six fils est d’origine homérique et se trouve encore exposé, quoique brièvement, dans l’Odyssée ; mais la passion incestueuse de Makareus et de Kanakè, comprise par Euripide[24] dans sa tragédie aujourd’hui perdue, appelée Æolos, attira sur lui un blâme sévère. De plus, il sépara souvent les horreurs que présentaient les vieilles légendes de ces influences religieuses qui en avaient été la cause dans l’origine, en les faisant précéder de motifs d’un caractère plus raffiné, motifs qui n’impliquaient pas le sens d’une force redoutable. C’est ainsi que les considérations qui réduisaient l’Alkmæôn d’Euripide à la nécessité de tuer sa mère paraissaient ridicules à Aristote[25]. Après l’époque de ce grand poète, ses successeurs semblent l’avoir suivi en donnant à leurs caractères l’esprit de la vie commune. Mais les noms et l’intrigue étaient encore empruntés des familles mythiques maudites de Tantalos, de Kadmos, etc. ; et la hauteur héroïque a laquelle on place tous les personnages individuels introduits dans les drames, mise en contraste avec le caractère purement humain du chœur, est encore comptée par Aristote parmi les points essentiels dans la théorie de la tragédie[26].

Ainsi la tendance de la tragédie athénienne, qui se manifesta puissamment dans Eschyle, et qui ne se perdit jamais entièrement, fut d’entretenir une foi absolue et une estime respectueuse au sujet du monde mythique et de ses personnages en général, mais de considérer les histoires particulières plutôt comme des sujets propres à faire naître les émotions que comme ries récits de faits réels. Les logographes concoururent avec les poètes dramatiques à l’accomplissement du premier de ces deus desseins, mais non du second. Leur objet principal était de fondre les mythes en une suite continue qu’on pût lire, et par conséquent ils furent forcés de faire un choix entre les récits illogiques ou contradictoires, de rejeter quelques récits comme faux, et d’en admettre d’autres comme vrais. Mais leur préférence fut plutôt déterminée par leurs sentiments quant à ce qui était convenable, que par quelque critérium historique prétendu. Phérécyde, Acusilas et Hellanicus[27] ne cherchèrent pas à bannir du monde mythique les incidents merveilleux ou fantastiques. Ils le regardèrent comme peuplé d’êtres plus élevés, s’attendant à y trouver des phénomènes auxquels leur propre époque dégénérée ne fournissait pas de pendants. Ils reproduisirent les fables telles qu’ils les trouvèrent dans les poètes, ne rejetant presque que les différences, et finissant par présenter ce qu’ils croyaient être une histoire du passé, non seulement continue, mais encore exacte et digne de foi, histoire à laquelle ils appliquèrent en effet leur précision à un si haut degré, qu’Hellanicus donne l’année, et même le jour de la prise de Troie[28].

Hécatée de Milêtos (500 av. J.-C.), antérieur à Phérécyde et à Hellanicus, est le plus ancien écrivain dans lequel nous puissions découvrir quelque disposition à rejeter la prérogative et la spécialité des mythes et à affaiblir leurs prodiges caractéristiques, dont quelques-uns trouvent encore faveur à ses yeux, comme dans le cas du bélier parlant qui transporta Phryxos au delà de l’Hellespont. Il déclara que les fables grecques étaient innombrables et ridicules ; nous ne savons si c’était à cause de leurs différences ou de leurs improbabilités intrinsèques. Et nous lui sommes redevables de la première tentative faite pour les faire rentrer clans les limites de la crédibilité historique ; par exemple, quand il transforme Kerberos aux trois têtes, le chien de Hadês, en un serpent habitant une caverne sur le cap Tænaros, et Geryôn d’Erytheia en lut roi d’Epiros riche en troupeaux de bœufs[29]. Hécatée fait remonter sa propre généalogie et celle de la gens à laquelle il appartenait par une ligne de quinze ancêtres jusqu’à un dieu premier auteur de sa race[30], preuve la plus évidente et de sa foi profonde dans la réalité du monde mythique, et de son religieux attachement à ce monde qu’il regardait comme le point de jonction entre la personnalité humaine et la personnalité divine.

Nous avons ensuite à considérer les historiens, particulièrement Hérodote et Thucydide. Comme Hécatée, Thucydide appartenait à une gens qui prétendait descendre d’Ajax, et par Ajax d’Æakos et de Zeus[31]. Hérodote fait entendre modestement que pour lui il n’avait pas à se vanter d’un tel avantage[32]. La curiosité de ces deux historiens touchant le passé n’avait pas, pour s’exercer, d’autres matériaux, que les mythes, qu’ils trouvaient déjà fondus par les logographes en une suite continue et présentés comme un agrégat d’histoire antérieure, dérivé dans un ordre chronologique de l’époque des dieux. Aussi bien que le corps de la nation grecque, Hérodote et Thucydide étaient tous deux pénétrés de cette croyance complète et absolue en la réalité de l’antiquité mythique en général, croyance mêlée à la religion, au patriotisme et à toutes les démonstrations publiques du monde hellénique. Connaître les détails vrais de ce passé était une recherche d’un haut intérêt pour eux. Mais les progrès des tendances positives de leur époque, aussi bien que leurs propres habitudes d’investigation personnelle, avaient fait naître en eux un sens historique relativement au passé comme au présent. S’étant accoutumés à apprécier les critérium intrinsèques de crédibilité et de probabilité historiques, ils trouvaient les récits particuliers des poètes et des logographes inadmissibles comme ensemble même aux yeux d’Hécatée, encore plus en désaccord avec leurs règles plus rigoureuses de critique. Et ainsi nous observons chez eux la lutte constante, aussi bien que le compromis qui en résulte, entre ces deux tendances opposées ; d’un côté, ils ont une ferme croyance en la réalité du monde mythique, de l’autre, ils ne peuvent accepter les détails que leur donnaient sur ce monde leurs seuls témoins, les poètes et les logographes.

Chacun d’eux cependant accomplit le progrès en suivant une voie particulière. Hérodote est un homme d’un sentiment religieux profond, anxieux, scrutateur, ardent. Il reconnaît souvent les décisions spéciales des dieux comme déterminant les événements historiques : sa piété est aussi en partie empreinte de cette teinte mystique que les deux derniers siècles avaient fait pénétrer insensiblement dans la religion des Grecs ; car il craint d’offenser les dieux en récitant publiquement ce qu’il a entendu à leur sujet. Souvent il s’arrête brusquement dans son récit et fait entendre qu’il y a là une légende sacrée, mais qu’il ne veut pas la dire. Dans d’autres cas, où il se sent forcé de parler, il demande pardon aux dieux et aux héros d’agir ainsi. Quelquefois il ne veut pas même mentionner le nom d’un dieu, bien qu’en général il se croie autorisé à le faire, les noms étant une chose de notoriété publique[33]. Cette pieuse réserve, qui enchaînait la langue du sincère Hérodote, comme il le déclare sans détour, présente un frappant contraste avec le ton franc et naïf de l’ancienne épopée, ainsi que des légendes populaires, oh les dieux et leur conduite étaient les sujets familiers et intéressants de la conversation ordinaire aussi bien que de la sympathie commune, sans cesser d’inspirer à la fois la crainte et le respect.

Hérodote, en comparant Polykratês avec Minôs, distingue expressément la race humaine, à laquelle appartenait le premier, de la race divine ‘ou héroïque, qui comprenait le second[34]. Mais il croit fermement authentiques la personnalité et l’extraction de toits les personnages renfermés dans les mythes, divins, héroïques et humains, comme il croit digne de foi leur chronologie calculée par générations. Il compte en remontant dans le passé 1000 ans depuis sa propre époque jusqu’à celle de Semêlê, mère de Dionysos ; 900 jusqu’à Hêraklês, et 800 jusqu’à Penelopê, la guerre de Troie étant d’une date un peu antérieure[35]. Il est vrai que norme la plus longue de ces périodes a dû lui paraître relativement courte, puisque nous voyons qu’il semble admettre la prodigieuse suite d’années que Ies Egyptiens déclaraient tirer d’une chronologie constatée, 17.000 ans depuis leur dieu Hêraklês, et 15.000 ans depuis leur dieu Osiris ou Dionysos jusqu’à leur roi Amasis[36] (550 av. J.-C.). Sort imagination était tellement familiarisée avec ces longues supputations chronologiques stériles en événements, qu’il regarde Homère et Hésiode comme des hommes d’hier, bien que séparés de son propre temps par un intervalle qu’il estime être de quatre cents ans[37].

Hérodote avait reçu une profonde impression de ce qu’il avait vu et entendu en Egypte. Les monuments merveilleux, l’antiquité évidente et la civilisation particulière de cette contrée acquirent une telle prépondérance dans son esprit sur les propres légendes de son pays, qu’il est disposé à faire remonter même les personnes ou les institutions religieuses de la Grèce les plus anciennes à une origine égyptienne ou phénicienne, mettant de côté dans l’intérêt de cette hypothèse les légendes grecques de Dionysos et de Pan[38]. Les plus anciennes généalogies mythiques grecques finissent ainsi par se perdre clans une antiquité égyptienne ou phénicienne, et Hérodote croit fermement à l’étendue complète de ces généalogies. Il ne semble pas qu’aucun doute ait jamais traversé son esprit quant à la personnalité réelle de ceux qui étaient nommés ou décrits dans les mythes populaires : tous ont existé jadis réellement, soit comme hommes, soit comme héros, soit comme dieux. Les éponymes des cités, des dêmes et des tribus sont tous compris dans cette catégorie affirmative ; puisqu’il ne semble jamais supposer l’existence de personnages fictifs. Deukaliôn, Hellên, Dôros[39], Iôn avec ses quatre fils, les éponymes des anciennes tribus athéniennes[40], les autochtones Tetakos et Dekelos[41], Danaos, Lynkeus, Perseus, Amphitryôn, Alkmênê et Hêraklês[42], Talthybios, le premier auteur héroïque de la race héraldique privilégiée à Sparte, les Tyndarides et Hélène[43], Agamemnôn, Menelaos et Orestês[44], Nestôr et son fils Peisistratos, Asôpos, Thêbê et Ægina, Inachos et Iô, Æêtês et Mêdea[45], Melanippos, Adrastos et Amphiaraos, aussi bien que Jasôn avec le navire Argô[46], tous ces personnages sont les acteurs d’un passé réel, et les prédécesseurs de l’historien lui-même et de ses contemporains. Dans les veines des rois lacédæmoniens coulait le sang et de Kadmos et de Danaos ; car on pouvait rattacher leur brillante généalogie à ces deux grands noms mythiques : Hérodote fait remonter la lignée par Hêraklês d’abord à Perseus et à Danaê, puis par Danaê à Akrisios et à l’Egyptien Danaos ; mais il laisse de côté la lignée paternelle quand il en arrive à Perseus (en tant que Perseus est fils de Zeus et de Danaê, sans un père humain putatif, comme l’était Amphitryôn pour Hêraklès), et alors viennent les membres plus élevés de la série par Danaê seule[47]. Il poursuit aussi la même généalogie royale, par la mère d’Eurysthenês et de Proklès, jusqu’à Polynikês, à Œdipe, à Laios, à Labdakos, à Polydôros et à Kadmos : et il rapporte aux époques de Laios et de Kadmos diverses inscriptions anciennes qu’il vit dans le temple d’Apollon Isménien à Thêbes[48]. De plus les sièges de Thèbes et de Troie, l’expédition des Argonautes, l’invasion de l’Attique par les Amaz0nles, la protection accordée aux Hêraklides, la défaite et la mort d’Eurystheus, par les Athéniens[49], la mort de Mêkisteus et de Tydeus devant Thèbes tombant sous les coups de Melanippos, et les touchants malheurs d’Adrastos et d’Amphiaraos rattachés à la même entreprise, Kastôr et Pollux naviguant sur l’Argô[50], les enlèvements d’Iô, d’Europê, de Mêdea et d’Hélène, l’émigration de Kadmos en quête d’Europê, et son arrivée en Bœôtia, aussi bien que l’attaque de Troie faite par les Grecs pour recouvrer Hélène[51] ; tous ces événements sont à ses yeux des parties d’une histoire passée, non moins certaine et en dehors de tout doute, quoique plus obscurcie par la distance et une fausse peinture, que les batailles de Salamis et de Mykalê.

Mais, bien qu’Hérodote ait une foi aussi facile relativement et aux personnes et aux faits généraux des mythes grecs, cependant, quand il en vient à discuter des faits particuliers pris séparément, nous voyons qu’il y applique des critérium plus sévères de crédibilité historique et qu’il est souvent disposé à rejeter également ce qui est miraculeux et ce qui est extravagant. Ainsi, même au sujet d’Hêraklès, il blâme la légèreté avec laquelle les Grecs lui attribuent des exploits absurdes et incroyables. Il contrôle leur assertion au moyen de la règle philosophique de la nature, ou de pouvoirs et de conditions déterminées gouvernant le cours des événements. Comment est-il conforme à la nature (demande-t-il) que Hêraklês, étant, comme il l’était, selon l’assertion des Grecs, encore homme (c’est-à-dire n’ayant pas encore été admis parmi les dieux), ait tué tant de milliers de personnes ? Je prie et les dieux et les héros de me pardonner, si j’en dis autant que cela. Les sentiments religieux d’Hérodote lui disaient ici qu’il empiétait sur les limites extrêmes d’un scepticisme admissible[52].

On peut voir une autre preuve frappante de la disposition d’Hérodote à expliquer par des raisons naturelles les récits merveilleux des légendes qui avaient cours, dans l’exposé qu’il fait de l’oracle de Dôdônê et de son origine égyptienne prétendue. Ici, plus qu’ailleurs, un miracle était non seulement en harmonie complète avec le sentiment religieux, mais évidemment indispensable pour en satisfaire les exigences ; rien moins qu’un miracle aurait paru pâle et peu touchant aux visiteurs d’un endroit si vénéré, bien plus encore à ceux qui y résidaient. Aussi Hérodote apprit-il et des trois prêtresses et des Dôdônæens en général que deux colombes noires étaient parties en même temps de Thèbes, en Egypte

l’une d’elles alla en Libye, où elle enjoignit aux Libyens d’établir l’oracle de Zeus Amman ; l’autre vint au bois de D8-dônë et se percha sur un des chênes vénérables, déclarant avec une voix humaine qu’un oracle de Zens devait être fondé en ce dieu même. On obéit avec respect à l’injonction de la colombe parlante[53].

Tel était le récit fait et cru à Dôdônê. Mais Hérodote avait aussi entendu, de la bouche des prêtres à Thèbes en Egypte, une histoire différente, attribuant l’origine de tous les établissements prophétiques, en Grèce aussi bien qu’en Libye, à deus prêtresses qui avaient été enlevées de Thèbes par quelques marchands phéniciens et vendues l’une en Grèce, l’autre en Libye. Les prêtres thébains affirmaient hardiment à Hérodote qu’on avait pris beaucoup de peine pour découvrir ce qu’étaient devenues ces femmes, ainsi emmenées hors du pays, et que, par suite, on avait vérifié ce fait qu’elles avaient été conduites en Grèce et en Libye[54].

L’historien d’Halicarnasse ne peut songer un moment à admettre le miracle qui s’accordait si bien avec les sentiments des prêtresses et des Dôdônæens[55]. Comment (demande-t-il) une colombe pourrait-elle parler avec une voix humaine ? Mais le récit des prêtres de Thèbes, bien qu’il soit à peine nécessaire d’indiquer à quel point il est improbable, ne renfermait cependant rien qui s’éloignât absolument des lois de la nature et de la possibilité ; aussi Hérodote ne fait-il pas de difficultés pour l’admettre. Ce qu’il y a de curieux, c’est qu’il transforme la légende primitive de Dôdônê en une peinture figurée, ou plutôt en une fausse peinture, de l’histoire supposée vraie que lui racontèrent les prêtres thêbains. D’après son explication, la femme qui vint de Thèbes à Dôdônê s’appelait colombe, et l’on affirmait qu’elle émettait des sons comme un oiseau, parce qu’elle n’était pas Grecque et parlait une langue étrangère : quand elle apprit à parler la langue du pays, alors on dit que la colombe parlait avec une voix humaine. Et la colombe était, de plus, appelée noire, à cause de la couleur égyptienne de la femme.

Si Hérodote rejetait ainsi brusquement un miracle que lui racontaient les prophétesses comme tenant la première place dans les origines de ce saint lieu, c’est là une preuve de l’empire qu’avait acquis sur son esprit l’habitude de s’occuper de preuves historiques ; et la maladresse du moyen terme qu’il emploie pour expliquer la colombe et la femme ne marque pas moins le désir qu’il éprouve, tout en écartant la légende, de la réduire insensiblement à un récit presque historique et renfermant une crédibilité intrinsèque.

Nous pouvons remarquer un autre exemple de la tendance inconsciente d’Hérodote à éliminer des mythes l’idée d’une aide spéciale prêtée par les dieux, dans ses remarques sur Melampe. Il désigne ce personnage comme un homme habile qui s’était fait lui-même sa science prophétique ; et avait obtenu de Kadmos beaucoup de renseignements sur les rites et les usages religieux de l’Égypte, dont il introduisit un grand nombre en Grèce[56], et particulièrement le nom, les sacrifices et les processions phalliques de Dionysos : il ajoute que Melampe ne comprit ni n’exposa exactement la doctrine entière, mais des hommes sages qui vinrent après y firent les additions nécessaires[57]. Bien que le nom de Melampe soit conservé ici, le caractère décrit[58] ressemble quelque peu à Pythagore ; il diffère totalement du grand prophète et du grand médecin des vieux mythes épiques, fondateur de la famille inspirée des Amythaonides, et grand-père d’Amphiaraos[59]. Mais ce qui est surtout contraire au véritable esprit légendaire, c’est l’opinion qu’exprime Hérodote (et qu’il donne avec quelque emphase comme la sienne propre), à savoir que Melampe était un homme habile qui avait acquis par lui-même les pouvoirs prophétiques. Une telle supposition[60] aurait paru inadmissible à Homère ou à Hésiode, ou même dans le siècle précédent à Solôn, aux yeux duquel même les arts inférieurs viennent des dieux, tandis que Zeus ou Apollon confère le pouvoir de prophétiser. Une telle opinion que donne à entendre Hérodote, homme lui-même d’une piété profonde, marque un affaiblissement sensible dans l’idée de l’omniprésence des dieux, et les progrès de la tendance à chercher l’explication des phénomènes clans des, actions plus visibles et mieux déterminées.

Nous pouvons faire une remarque semblable sur ce que dit l’historien au sujet de l’étroit défilé de Tempê, formant l’embouchure du Pêneios et donnant un écoulement d toutes les eaux venues du bassin thessalien. Les Thessaliens prétendaient que ce bassin entier de la Thessalia avait jadis été un lac, mais que Poseidôn avait fendu la chaîne de montagnes et ouvert la voie d’écoulement[61] ; c’est sur cette croyance primitive, entièrement conforme au génie d’Homère et d’Hésiode, qu’Hérodote fait le commentaire suivant : L’assertion thessalienne est raisonnable. Quiconque, en effet, croit que Poseidôn ébranle la terre et que les fentes survenues à la suite d’un tremblement de terre sont l’ouvrage de ce dieu dira, en voyant le défilé en question, que c’est Poseidôn qui l’a fait. Car la fente de la montagne est, à ce qu’il me sembla (quand je la vis), l’œuvre d’un tremblement de terre. Hérodote admet l’allusion à Poseidôn, quand on la lui signale, mais elle n’est qu’il, l’arrière-plan : ce qui est présent à son esprit, c’est le phénomène du tremblement de terre, non comme étant un acte spécial, mais comme faisant partie d’un système d’opérations habituelles[62].

Hérodote adopte la version égyptienne de la légende de Troie, fondée sur cette différence capitale qui semble être venue de Stésichore, et selon laquelle Hélène ne quitta jamais Sparte, mais son eidôlon avait été porté à Troie à sa place. C’est sur cette base qu’avait été fabriquée une nouvelle histoire, terme moyen entre Homère et Stésichore, racontant que Paris avait réellement enlevé Hélène de Sparte, mais qu’il avait été poussé par des tempêtes jusqu’en Egypte, où Hélène resta pendant toute la durée du siège de Troie, retenue par Prôteus, roi du pays, jusqu’au moment où Menelaos vint la réclamer après son triomphe. Les prêtres égyptiens, avec l’audace qu’ils mettaient habituellement dans leurs assertions, déclaraient avoir entendu toute l’histoire de la bouche de Menelaos lui-même ; les Grecs avaient assiégé Troie avec l’entière conviction qu’Hélène et les trésors dérobés étaient dans l’intérieur des murs, et ils n’avaient jamais voulu croire les dénégations réitérées des Troyens quant au fait de sa présence. En faisant comprendre sa préférence polir le récit égyptien, Hérodote prouve à la fois qu’il croit d’une manière complète et absolue qu’il a affaire à une histoire véritable, et qu’il se défie entièrement des poètes épiques, y compris Homère lui-même, sur l’autorité duquel reposait cette histoire supposée. La raison pour laquelle il rejette la version homérique, c’est qu’elle est pleine d’improbabilités historiques. Si Hélène avait été réellement à Troie (dit-il), Priam et les Troyens n’auraient jamais été assez insensés pour la retenir et amener ainsi leur ruine totale ; mais c’était l’arrêt divin qui les réduisait à la déplorable alternative de ne pouvoir ni rendre Hélène ni convaincre les Grecs de la réalité de ce fait, qu’ils ne l’avaient jamais eue en leur pouvoir, et cela pour que l’humanité pût lire clairement, dans la destruction complète de Troie, les grands châtiments dont les dieux punissent les grands méfaits. Homère (pense Hérodote) avait entendu cette histoire, mais il s’en était écarté à dessein, parce que ce sujet était moins convenable pour la poésie épique[63].

Il en a été dit suffisamment pour montrer combien grande est la différence qui sépare Hérodote et les logographes avec leur transcription littérale des anciennes légendes. Bien qu’il s’accorde avec eux pour admettre la série complète des personnes et des générations, il contrôle les circonstances racontées au moyen d’une règle nouvelle. Des scrupules se sort élevés clans son esprit touchant la violation des lois de la nature : les poètes ne sont pas dignes de foi, et l’on doit rendre leurs récits conformes aux conditions historiques et morales, avant qu’ils puissent être admis comme vrais. Pour obtenir cette conformité, Hérodote mutile sans hésiter la vieille légende dans un de ses points les plus importants. Il sacrifie la présence personnelle d’Hélène à Troie, fait que l’on retrouvait dans chacun des anciens poèmes épiques appartenant au Cycle troyen, et qui est en effet, après les dieux, le grand et présent mobile dans toute l’étendue de ces poèmes.

Thucydide se place en général au même point de vue qu’Hérodote par rapport à l’antiquité mythique ; il y a toutefois entre eux des différences considérables. Bien que ne manifestant aucune croyance à des miracles ou à des prodiges présents[64], il semble admettre sans réserve la réalité préexistante de toutes les personnes mentionnées dans les mythes, et de la longue suite de générations remplissant tant de siècles supposés. Dans cette catégorie aussi sont compris les personnages éponymes, Hellen, Kekrops, Eumolpos, Pandiôn, Amphilochos, fils d’Amphiaraos, et Akarnan. Mais, d’un autre côté, nous ne trouvons pas de trace de cette distinction entre une race humaine et une race héroïque antérieure à l’homme, distinction qu’Hérodote admettait encore, non plus qu’aucun respect pour les légendes égyptiennes. Thucydide, regardant les personnages des mythes comme des hommes de même origine et de même taille que ses propres contemporains, non seulement juge les actes qu’on leur imputait d’après les mêmes principes de crédibilité, mais il leur suppose les mêmes vues, les mêmes sentiments politiques qu’il était habitué à trouver clans la conduite de Pisistrate ou de Periklês. Il considère la guerre de Troie comme une grande entreprise politique, à laquelle concourut toute la Grèce, combinée en vertu du pouvoir imposant d’Agamemnôn, et non (comme le disait le récit légendaire) grâce à l’influence du serment exigé par Tyndareus. Puis il explique comment les prédécesseurs d’Agamemnôn parvinrent à une si vaste puissance, en commençant par Pélops, qui arriva d’Asie (comme il le dit) avec de grandes richesses au milieu des Péloponnésiens pauvres, et qui au moyen de ces richesses s’éleva, bien qu’étranger, au point de devenir l’éponyme de la péninsule. Après lui son fils Atreus acquit, lorsque Eurystheus fut mort, l’empire de Mykênæ (Mycènes), qui avait été auparavant possédé par les descendants de Perseus : ici le vieux récit légendaire, qui racontait qu’Atreus avait été banni par son père Pélops à la suite du meurtre de son frère aîné Chrysippos, porte un caractère politique, en ce qu’il explique le motif pour lequel Atreus se retira à Mykênæ. Un autre récit légendaire, la défaite et la mort d’Eurystheus vaincu et tué par les Hêraklides réfugiés en Attique, événement si célébré dams la tragédie attique comme ayant donné lieu à la généreuse et tutélaire intervention d’Athènes, ce récit, disons-nous, est aussi présenté comme faisant connaître la raison pour laquelle Atreus succéda à Eurystheus après sa mort : Car Atreus, oncle maternel d’Eurystheus, avait été chargé par lui de gouverner à sa place pendant son expédition en Attique, et il avait effectivement fait sa cour au peuple, qui de plus éprouvait une grande peur d’être attaqué par les Hêraklides. C’est ainsi que les Pélopides acquirent la suprématie dans le Péloponnèse, et qu’Agamemnôn fut en état de réunir ses 1.200 vaisseaux et ses 100.000 hommes pour l’expédition contre Troie. Considérant que des contingents étaient fournis par toutes les parties de la Grèce, Thucydide regarde ce nombre comme faille ; pour lui le Catalogue homérique est un rôle authentique, peut-être plutôt exagéré qu’autrement. Puis il en vient à nous dire pourquoi l’armement n’était pas plus considérable. On aurait bien pu fournir un beaucoup plus grand nombre d’hommes ; mais il n’y avait pas assez d’argent pour acheter les provisions nécessaires à leur subsistance : aussi furent-ils forcés, après avoir abordé et remporté une victoire, de fortifier leur camp, de diviser leur armée et d’en envoyer une partie cultiver la Chersonèse, et lune autre partie saccager les villes adjacentes. Tel fut le grand motif de la prolongation du siège pendant dix années. Car, s’il avait été possible de conserver toute l’armée réunie et d’agir avec des forces entières, Troie aurait été prise plus tôt et à moins de frais[65].

Voilà l’esquisse générale de la guerre de Troie, telle que la donne Thucydide. Elle diffère tellement du pur récit épique, qu’à peine croyons-nous lire une description du même événement ; nous nous imaginerions encore moins que c’est seulement par les poètes épiques eux-mêmes que l’historien connaissait le fait comme nous le connaissons par eux. Les hommes, les nombres et la durée du siège restent, il est vrai, les mêmes ; mais le caractère et l’union des événements, les forces déterminantes et les traits caractéristiques sont d’une nature complètement différente. Mais comme Hérodote, et plus encore qu’Hérodote, Thucydide était sous l’empire de deux impulsions contraires. Il partageait la foi générale à l’antiquité mythique ; toutefois en même temps il ne pouvait croire des faits en contradiction avec les lois de la crédibilité ou de la probabilité historique. Il fut ainsi réduit à torturer les sujets des vieux mythes pour les mettre en conformité avec les exigences subjectives de son propre esprit. Il supprima, altéra, combina de nouveau, fournit de nouveaux principes d’union, de nouveaux desseins supposés, jusqu’à ce que l’histoire devînt telle que personne n’eût plus de raison positive pour la révoquer en doute. Bien qu’elle perdit le mélange de religion, de roman et d’aventures individuelles qui constituait son charme primitif et produisait tant d’impression, elle acquit une égalité et une plausibilité, un H ensemble „ politique, que la critique accepta volontiers comme vérité historique. Et t’eût été sans doute une vérité historique, si l’on avait pu trouver à l’appui une preuve indépendante quelconque. Si Thucydide avait été en état de produire un tel témoignage nouveau, nous aurions été heureux de nous convaincre que la guerre de Troie, telle qu’il la racontait, était un événement réel, et que la guerre de Troie ; telle qu’elle était chantée par les poètes épiques, était un récit plein d’inexactitudes, d’exagérations et d’ornements. Mais dans le cas présent les poètes épiques sont les seuls témoins réels, et la narration de Thucydide n’est qu’un extrait et la quintessence de leurs récits incroyables.

On peut mentionner un petit nombre d’autres exemples pour faire comprendre les idées de Thucydide quant aux divers incidents mythiques. 1. Il considère la résidence des Phæakiens homériques à Korkyra (Corcyre) comme un fait incontesté, et l’emploie en partie pour expliquer la force de la marine korkyréenne dans les temps qui précédent la guerre du Péloponnèse[66]. 2. Il signale avec une égale confiance l’histoire de Têreus et de Proknê, fille de Pandiôn, et le meurtre du petit enfant Itys par Proknê sa mère et par Philomêlê ; et il présente cet ancien mythe en faisant une allusion spéciale à l’alliance conclue entré les Athéniens et Têrês, roi des Thraces Odrysiens, pendant le temps de la guerre du Péloponnèse ; il donne à entendre que l’Odrysien Têrês n’était ni de la même famille ni du même pays que Têreus, le mari de Proknê[67]. La conduite de Pandiôn, quand il donne sa fille Proknê en mariage à Têreus, est à ses yeux dictée par des motifs et des intérêts politiques. 3. Il mentionne le détroit de Messana (Messine) comme étant le lieu où, dit-on, traversa Odysseus[68]. 4. Les Cyclôpes et les Læstrygons (dit-il) étaient les plus anciens habitants de la Sicile dont il soit fait mention ; mais il ne peut dire à quelle race ils appartenaient, ni d’où ils vinrent[69]. 5. L’Italie tirait son nom d’Italos, roi des Sikels. 6. Eryx et Egesta en Sicile furent fondées par des Troyens fugitifs après la prise de Troie ; de même Skionê, dans la péninsule de Pallênê en Thrace, le fut par des Grecs de la ville achæenne de Pellênê, qui s’y arrêtèrent en revenant du siège de Troie : Argos de l’Amphilochia dans le golfe d’Ambrakia fut également fondée par Amphilochos, fils d’Amphiaraos, à son retour de la même expédition. Thucydide[70] mentionne aussi les remords et l’aliénation mentale d’Alkmæôn, fils d’Amphiaraos, le meurtrier de sa mère, aussi bien que l’établissement de son fils Akarnan dans le pays appelé d’après lui Akarnania[71].

Telles sont les allusions spéciales que fait aux événements mythiques cet illustre auteur dans le cours de son histoire. Par la teneur de son langage nous pouvons voir qu’il regardait fout ce qui pouvait être connu à leur sujet comme incertain et peu satisfaisant ; mais il a surtout fort à cœur de montrer que même les plus saillants étaient inférieurs à la guerre du Péloponnèse en grandeur et en importance[72]. Sous ce rapport son opinion semble avoir été en désaccord avec celle qui était populaire parmi ses contemporains. Pour dire quelques mots des historiens postérieurs qui s’occupèrent de ces mythes, nous trouvons qu’Anaximêne de Lampsakos composa tale histoire formant une suite d’événements, et commençant i la Théogonie pour finir à la bataille de Mantineia[73]. Mais Ephore déclarait omettre tous les récits mythiques que l’on rapporte aux temps antérieurs au retour des Hêraklides (une telle restriction aurait naturellement fait disparaître le siège de Troie), et même il blâmait ceux qui introduisaient des mythes dans une composition historique, ajoutant que partout la vérité était le but qu’il fallait se proposer[74]. Cependant dans la pratique il semble s’être souvent écarté de sa propre règle[75]. D’un autre côté, Théopompe proclamait ouvertement qu’il pourrait raconter des fables mieux qu’Hérodote, que Ctésias ou qu’Hellanicus[76]. Les fragments qui nous restent prouvent jusqu’à un certain point que cette promesse fut remplie quant à la quantité[77], bien que, pour ce qui regarde son style narratif, le jugement de Denys lui soit défavorable. Xénophon ennoblissait la chasse, son amusement favori, au moyen de nombreux exemples choisis clans les personnages du monde héroïque, dont  il traçait les portraits arec toute la simplicité d’une foi encore entière. Callisthène, comme Ephore, déclarait omettre tous les mythes rapportés à un temps antérieur au retour des Hêraklides : cependant nous savons qu’il consacra un livre séparé ou une partie de son histoire à la guerre de Troie[78]. Philiste introduisait quelques mythes clans les premières parties de son histoire de Sicile ; mais Timée se distinguait entre tous les autres en rassemblant et en répétant de pareilles légendes dans une large mesure et indistinctement[79]. Quelques-uns de ces écrivons employèrent leur talent ingénieux à transformer les circonstances mythiques en faits historiques plausibles : Éphore particulièrement fit un roi cruel du serpent Pythô, tué par Apollon[80] ; mais l’auteur qui, poussa cette transformation de la légende en histoire aux, dernières limites fut le Messénien Evhémère, contemporain de Kassandre de Macédoine. Il réduisit de cette manière les personnes et les légendes divines, aussi bien que les héroïques ; il représenta et les dieux et les héros comme ayant été simplement des hommes nés de la terre, bien que supérieurs au niveau ordinaire sous le rapport de la force et de la capacité, et élevés au rang de dieux ou de héros après leur mort, en récompense de services ou d’exploits signalés. Pendant un voyage dans lamer de l’Inde, entrepris sur l’ordre de Kassandre, Evhémère déclara avoir découvert une contrée fabuleuse nommée Panchaia, où était un temple, de Zeus Triphylien : il y décrivit une colonne d’or dont l’inscription signifiait que la colonne avait été élevée par Zeus lui-même, et détaillait ses exploits pendant qu’il habitait la terre[81]. Quelques hommes éminents, parmi lesquels on peut compter Polybe, suivirent les vues d’Evhémère, et le poète romain Ennius[82] traduisit son Historia Sacra ; mais en général il ne fut jamais en faveur, et les inventions éhontées qu’il mit en circulation suffirent seules pour déshonorer è, la fois l’auteur et ses opinions. La doctrine enseignant que tous les dieux avaient jadis existé comme de simples mortels offensa les païens religieux, et attira à Évhémère l’imputation d’athéisme ; mais, d’autre part, elle fut chaudement embrassée par plusieurs des agresseurs chrétiens du paganisme, par Minucius Félix, Lactance et saint Augustin, qui trouvèrent le terrain tout préparé pour eux dans les efforts qu’ils firent pour dépouiller Zeus et les autres dieux païens des attributs de la divinité. Ils ajoutèrent foi non seulement à la théorie générale d’Évhémère, mais encore aux abondants détails qu’il donnait ; et ils exaltèrent comme un excellent spécimen de scrupuleuse investigation historique le même homme que Strabon condamne parce que son nom[83] est presque devenu comme synonyme de mensonge.

Mais, bien que le monde païen répudiât ce ton d’explication qui rabaissait la divinité en effaçant la personnalité surhumaine de Zeus et des grands dieux de l’Olympe, les personnages et les récits mythiques en vinrent à être considérés de plus en plus du point de vue de l’histoire, et soumis à des altérations qui pouvaient les faire regarder davantage comme des faits réels et plausibles. Polybe, Strabon, Diodore et Pausanias changent les mythes en assertions historiques, en leur faisant subir une plus ou moins grande transformation, selon la circonstance ; ils prétendent qu’il y a toujours une base de vérité que l’on peut découvrir en écartant les exagérations poétiques et en faisant la part des erreurs. Strabon, en particulier, expose ce principe sans hésitation et sans équivoque dans ses remarques sur Homère. Exposer la fiction pure, sans aucune base de fait réel, était à son avis complètement indigne d’un si grand génie ; et il parle avec une extrême aigreur du géographe Eratosthène, qui soutient l’opinion contraire. De plus ; Polybe nous dit que l’Æolos homérique, le dispensateur des vents en vertu d’un décret de Zeus, était en réalité un homme éminemment habile dans la navigation, et exact en prédisant le temps ; que les Cyclopes et les Læstrygons étaient des hommes réels, barbares et sauvages, vivant en Sicile ; et que Skylla et Charybdis représentaient sous une forme figurée les dangers auxquels on était exposé de la part des pirates dans le détroit de Messalia (Messine). Strabon parle des étonnantes expéditions de Dionysos et d’Hêraklês, ainsi que des grands voyages de Jasôn, de Menelaos et d’Odysseus, en les mettant dans la même classe que les longues courses commerciales des vaisseaux marchands phéniciens. Il explique la descente de Thêseus et de Peirithôos aux enfers par leurs dangereux pèlerinages sur terre, et l’invocation adressée aux Dioskures, comme protecteurs du marin en péril, par la célébrité qu’ils avaient acquise comme hommes et navigateurs existant réellement.

Diodore donna dans une proportion considérable dés versions des fables répandues en Grèce touchant les noms les plus illustres du monde mythique grec, compilées confusément et empruntées d’auteurs distincts et contradictoires. Parfois le mythe est reproduit dans sa simplicité primitive, mais le plus souvent il est partiellement ramené à un fait historique, et quelquefois complètement. Au milieu de ce pêle-mêle d’autorités en désaccord, nous ne pouvons trouver que peu de traces d’une vue systématique, si ce n’est la conviction générale qu’il y avait au fond des mythes une suite chronologique réelle de personnes, et des faits réels, historiques ou ultra-historiques. Néanmoins, dans quelques rares occasions, Diodore nous ramène un peu plus près du point de vue des anciens logographes. En effet, par rapport à Hêraklês, il proteste contre l’idée de réduire les mythes au niveau de la réalité présente. Il prétend qu’on devrait établir une règle spéciale de crédibilité ultra-historique, de manière à renfermer le mythe dans ses dimensions primitives, et à rendre un honneur convenable à la grande, bienfaisante et surhumaine personnalité d’Hêraklês et d’autres héros ou demi-dieux. Appliquer à de tels personnages la commune mesure de l’humanité (dit-il), et pointiller sur la glorieuse peinture qu’en ont faite des hommes reconnaissants, c’est un procédé à la fois choquant et peu rationnel. Toute critique subtile faite pour rechercher la vérité des récits légendaires est déplacée ; nous témoignons notre révérence au dieu en acquiesçant a ce que son histoire renferme d’incroyable, et nous devons nous contenter des meilleures conjectures que nous poumons faire au milieu de la confusion inextricable et des contradictions sans nombre qu’elle présente[84]. Toutefois, bien que Diodore montre ici le sentiment religieux l’emportant sur le point de vue purement historique, et nous rappelle ainsi une époque antérieure à Thucydide, dans un autre endroit il intercale une série d’histoires qui semblent tirées d’Evhémère, et clans lesquelles Uranos, Kronos et Zeus paraissent réduits au rôle de rois humains célébrés pour leurs exploits et leurs bienfaits[85]. Un grand nombre des auteurs que Diodore copie ont tellement mêlé les fables grecques, asiatiques, égyptiennes et libyennes, qu’il devient impossible de déterminer quelle partie de cette masse hétérogène peut être considérée comme se rattachant an véritable esprit grec.

Pausanias se montre bien plus rigoureusement hellénique que Diodore dans sa manière d’apprécier les mythes grecs sa piété sincère le fait pencher en général vers la foi pour ce qui concerne les récits mythiques ; néanmoins elle le réduit souvent à la nécessité de leur donner un caractère historique ou allégorique. La foi qu’il ajoute à la réalité de l’histoire et de la chronologie mythiques en général est complète, malgré les nombreuses contradictions qu’il y trouve, et qu’il est incapable de concilier.

Il est un autre auteur qui semble avoir clairement conçu et appliqué logiquement la théorie semi-historique des mythes grecs ; c’est Palæphate, dont on a conservé ce qui semble être un court résumé de son ouvrage[86]. Dans la brève préface de ce traité sur les contes incroyables, il fait observer que quelques hommes, par défaut d’instruction, croient tous les récits qui circulent, tandis que d’autres, d’un esprit plus scrutateur et plus circonspect, n’y croient absolument pas. Il désire vivement éviter chacun de ces extrêmes. D’un côté, il pense qu’aucune histoire n’aurait jamais pu obtenir créance si elle n’avait eu un fondement de vérité ; de l’autre, il lui est impossible d’admettre dans les récits existants tout ce qui est en contradiction avec les analogies des phénomènes naturels actuels. Si de telles choses avaient jamais été, elles continueraient encore à être, mais jamais elles ne se sont présentées ainsi ; et c’est à la licence des poètes que l’on doit attribuer les traits des histoires qui sont en dehors de toute analogie. Palæphate désire adopter un terme moyen ; sans tout admettre il ne veut pas tout rejeter : en conséquence, il s’était donné beaucoup de peine pour séparer le faux du vrai dans un grand nombre des récits ; il avait visité les localités où les faits s’étaient passés et avait fait des enquêtes soigneuses auprès des vieillards et d’autres hommes[87]. Il présenta les résultats de ses recherches dans une nouvelle version de cinquante légendes, parmi les plus célèbres et les plus fabuleuses, comprenant les Centaures, Pasiphaé, Aktæôn, Kadmos et les Sparti, le Sphinx, Kyknos, Dædalos, le cheval de Troie, Æolos, Skylla, Geryôn, Bellerophôn, etc.

II faut avouer que Palæphate a accompli la promesse qu’il avait faite de transformer les incredibilia en récits plausibles et incontestables en eux-mêmes, et qu’en agissant ainsi il suit toujours quelque fil d’analogie, soit clans les choses, soit dans les mots. Les Centaures (nous dit-il) étaient une troupe de jeunes gens du village de Nephelê en Thessalia, qui pour la première fois dressèrent des chevaux et les montèrent dans le dessein de repousser un troupeau de taureaux appartenant à Ixiôn, roi des Lapithæ, animaux qui étaient devenus sauvages et avaient fait un grand dégât : ils poursuivirent à cheval ces taureaux sauvages et les percèrent de leurs lances, ce qui leur valut le nom de Piqueurs (xέντορες) et fit croire qu’ils ne faisaient qu’un avec le cheval. Aktæôn était un Arcadien qui négligea la culture de son domaine pour se livrer au plaisir de la chasse, et fut ainsi mangé par la dépense que lui causèrent ses limiers. Le dragon que Kadmos tua à Thèbes était en réalité Drakôn, roi de Thêbes ; et les dents du dragon que, disait-on, il avait semées, et d’où sortit une moisson d’hommes armés, étaient dans le fait des dents d’éléphants que Kadmos, riche Phénicien, avait apportées avec lui. Les fils de Drakôn vendirent ces (lents d’éléphants et en employèrent le produit à lever des troupes contre Kadmos. Dædalos, au lieu de voler au-dessus de la mer avec des ailes, s’était sauvé de Krête sur une légère embarcation à voiles pendant une violente tempête : Kottos, Briareus et Gygès n’étaient pas des personnages centimanes, mais bien les habitants du village de Hekatoncheiria, dans la haute Macédoine, qui faisaient la guerre avec les habitants du mont Olympe contre les Titans : Skylla, à laquelle Odysseus eut tant de peine à échapper, était un vaisseau de pirates à la marche rapide, comme l’était aussi Pegasos, le prétendu cheval ailé de Bellerophôn[88].

Par de telles ingénieuses conjectures, Palæphate élimine toutes les circonstances incroyables et nous laisse une série de contes parfaitement croyables, véritables lieux communs, que nous serions disposés à croire si l’on pouvait produire en leur faveur une très modeste somme de témoignages. Si son procédé non seulement désenchante les mythes primitifs, mais encore efface leur caractère générique et essentiel, nous devons nous souvenir que ce n’est pas plus que ce que fait Thucydide dans son esquisse de la guerre de Troie. Palæphate traite les mythes logiquement, selon la théorie semi-historique, et ses résultats montrent le maximum que cette théorie puisse jamais présenter[89]. A l’aide de conjectures nous sortons de l’impossible, et nous arrivons à des sujets plausibles intrinsèquement, mais dénués de toute preuve ; nous ne pouvons pénétrer au delà de ce point sans la lumière de preuves extrinsèques, puisqu’il n’y a aucun signe intrinsèque pour distinguer la vérité d’une fiction plausible.

Il reste à mentionner la manière dont les philosophes reçurent et traitèrent les anciens mythes. Le premier jugement que nous entendions prononcer par la philosophie est la sévère censure qu’en fait, par des raisons morales, Xénophane de Kolophôn, et vraisemblablement quelques autres de ses contemporains[90]. Ce fut apparemment pour répondre à de telles accusations, qui n’admettaient pas une réplique directe, que Théagène de Rhegium (vers 520 av. J.-C.) émit pour la première fois l’idée d’un double sens dans les récits homériques et hésiodiques, un sens intérieur, différant de celui que présentaient les mots clans leur acception apparente, analogue toutefois dans une certaine mesure, et telle qu’une divination sagace pouvait le découvrir. C’est sur ce principe qu’il allégorisa en particulier la bataille des dieux clans l’Iliade[91]. Dans le siècle suivant, Anaxagore et Métrodore développèrent l’explication allégorique d’une manière plus compréhensive et plus systématique ; le premier représentait les personnages mythiques comme de pures conceptions intellectuelles revêtues de nom et de genre, et servant à expliquer des préceptes moraux ; le second les rattachait à des principes et à des phénomènes physiques. Métrodore résolvait non seulement les personnes de Zeus, de Hêrê et d’Athênê, mais encore celles d’Agamemnôn, d’Achille et d’Hectôr, en diverses combinaisons d’éléments et en actions physiques, et considérait les aventures qui leur étaient attribuées comme des faits naturels- cachés sous le voile de l’allégorie[92]. Empédocle, Prodicus, Antisthène, Parménide, Héraclide de Pont, et, à une époque postérieure, Chrysippe et les philosophes stoïciens en général[93] suivirent plus ou moins le même principe et regardèrent les dieux populaires comme des personnages allégoriques ; tandis que les commentateurs d’Homère (tels que Stésimbrote, Glaucon et autres, même jusqu’à l’époque alexandrine), bien qu’aucun d’eux n’allât comme Métrodore jusqu’à la limite extrême, employèrent l’allégorie entre autres moyens d’explication clans le dessein de résoudre des difficultés, ou d’éluder des reproches adressés au poète.

 

À suivre

 

 

 



[1] Pindare, Nem., VI, 1. Cf. Simonide, Fragm. 1 (Gaisford).

[2] Pindare, Olymp., I, 30-5.5 ; IX, 32-45.

[3] Pyth., III, 25. V. les allusions à Semêlê, à Alkmênê et à Danaê. Pyth., III, 98 ; Nem., X, 10. Cf. aussi vol. I, ch. 9.

[4] Pindare, Nem., VII, 20-30 ; VIII, 23-31. Isthm., III, 50-60. — Il semble que ce soit la sympathie pour Ajax, dans des odes composées en l’honneur des nobles vainqueurs ægipètes, qui l’engage ainsi à déprécier Odysseus ; car il, loue Sisyphos, particulièrement à cause de ses ruses et de ses ressources (Olymp., VIII, 50), dans l’ode qu’il adressa à Xénophon le Corinthien.

[5] Olymp., I, 28 ; Nem., VIII, 20 ; Pyth., I, 93 ; Olymp., VII, 55 ; Nem., VI, 43.

[6] Pyth., X, 49. Cf. Pyth., XII, 11-22.

[7] Pvth., I, 17 ; III, 1-7 ; IV, 12 ; VIII, 16. Nem., IV, 27-32 ; V, 89. Isthm., V, 31 ; VI, 44-48. Olymp., III, 17 ; VIII, 63 ; XIII, 61-87.

[8] Nem., III, 39 : V, 40. V, 8, Olymp, IX, 103. Pindare semble introduire φύα dans des cas où Homère aurait mentionné l’assistance divine.

[9] Nem. X, 37-51. Cf. la légende de famille de l’Athénien Dêmokratês, dans Platon, Lysis, p. 206.

[10] Nem., V, 12-16.

[11] V. le 1er volume, ch. 14, sur la légende du siège de Thèbes.

[12] La malédiction d’Œdipe est la force déterminante dans les Sept. ad Theb., v. 70 ; elle reparaît plusieurs fois dans le cours du drame, avec une solennité particulière dans la bouche d’Eteoklês (695-709, 725, 785, etc.) ; il y cède comme à une force irrésistible, qui entraîne la famille à sa ruine. — De même encore, au début de l’Agamemnôn, le poète insiste sur le μνάμων μήνις τεxνόποινος (v. 155) et sur le sacrifice d’Iphigeneia comme laissant derrière eux un arrêt vengeur suspendu sur la tête d’Agamemnôn, bien qu’il prît des précautions pour bâillonner sa bouche pendant le sacrifice et l’empêcher ainsi de proférer des imprécations (v. 246). L’Erynnis attend Agamemnôn même au moment de l’achèvement victorieux de son expédition contre Troie (467 ; cf. 763-990, 1336-1433) ; elle est surtout à craindre après un grand succès ; elle fortifie la malédiction que les crimes des ancêtres ont amenée sur la maison d’Atrée (1185-1197, Choéphores, 692), la malédiction prononcée par Thyestês outragé (1601). Dans les Choéphores, Apollon menace Orestês de la colère de son père mort et de tous les châtiments terribles de l’Erynnis, s’il n’entreprend de venger le meurtre (271-296). Αίσα et Έριννυς amènent sang pour sang (617). Mais au montent où Orestês, placé entre ces obligations opposées (925), a accompli la vengeance, il devient lui-même la victime des Erynnies, qui le rendent fou même à la fin des Choéphores (1026), et qui apparaissent en personne et le poursuivent pendant tout le troisième drame de cette effrayante trilogie. L’Eidôlon de Klytæmnêstra les pousse à la vengeance (Euménides, 96), et même les stimule quand elles semblent se ralentir. Apollon transporte Orestês à Athènes, où les Erynnies le poursuivent et l’attaquent devant le tribunal de la déesse Athênê, à laquelle elles remettent la décision, Apollon se présente pour le défendre. Le débat entre les filles de la Nuit et le dieu, les unes comme accusatrices, l’autre comme défenseur, est curieux, au plus haut point (576-734) : les Erynnies sont profondément mortifiées de l’humiliation dont les couvre l’acquittement d’Orestês, mais Athênê finit par les apaiser, et l’on fait un pacte en vertu duquel elles deviennent protectrices de l’Attique, où elles acceptent un séjour permanent et un culte solennel (1006) ; Orestês retourne à Argos, et il promet que, même dans sa tombe, il veillera à ce qu’aucun de ses descendants ne fasse jamais tort aux pays de l’Attique (770). Le jugement et l’acquittement solennels d’Orestês formaient la légende consacrant la colline et le tribunal de l’Aréopage. — C’est la seule trilogie complète d’Eschyle que nous possédions, et les Erynnies vengeresses (115) en forment le mobile dans toute son étendue ; elles sont invisibles dans les deus premiers drames, visibles et effroyables dans le troisième. Et l’apparition de Kassandra sous l’influence réelle, de la fièvre prophétique, dans le premier, contribue encore plus à lui donner mie couleur différente de l’humanité commune. — L’idée générale du mouvement de l’Oresteia donnée dans Welcker (Æsch. Trilogie, p. 445) me semble plus conforme aux conceptions helléniques que celle de Klausen (Theologumena Æschyli, p. 157-169), dont la collection et la comparaison d’une grande valeur qu’il fait de divers passages montrent trop, ici et ailleurs, le désir de mettre l’action du monde mythique grec en harmonie avec ce qu’un esprit religieux du temps présent approuverait. De plus, il rabaisse trop la personnalité d’Athênê en l’absorbant dans l’autorité suprême de Zeus (p. 158-168).

[13] Euménides, 150.

V. encore la même métaphore, v. 731. Eschyle semble se complaire à mettre en opposition les dieux jeunes et les vieux ; cf. 70-162, 882. — Les Erynnies disent à Apollon qu’il usurpe des fonctions qui ne lui appartiennent pas, et qu’ainsi il enlèvera à celles qui lui appartiennent leur caractère sacré (715-754). — Le refus que fait le roi Pelasgos, dans les Suppliantes, de se charger de ce qu’il sent être un devoir sacré, la protection des Danaïdes suppliantes, avant d’avoir soumis la question à son peuple et obtenu son consentement formel, et la crainte qu’il exprime d’encourir son blâme, sont présentés avec plus de force que ne l’aurait probablement jugé nécessaire un ancien poème épique (V. Supplices, 369, 397, 485, 519). Le veau solennel de voir exclure d’Athènes et l’anarchie et le despotisme porte encore plus la marque du sentiment politique du temps (Euménides, 527-696).

[14] Promêtheus, 35, 151, 170, 309, 524, 910, 940, 956.

[15] Platon, République, II, 381-383 ; cf. Eschyle, Fragm. 159, éd. Dindorf. Il fut accusé aussi d’avoir divulgué dans quelques-unes de ses pièces les sujets secrets des mystères de Dêmêtêr ; mais on dit qu’il s’excusa en alléguant son ignorance : il ne savait pas que ce qu’il avait dit fût compris dans les mystères (Aristote, Éthique de Nicomaque, III, 2 ; Clemens Alex., Strom., II, p. 387) ; l’histoire est différente encore dans Élien, V. H., V, 19.

On peut voir dans Lobeck, Aglaopham. p. 81, combien rares sont les renseignements précis touchant cette dernière accusation. — Cicéron (Tusc. Dis., II, 10) appelle Eschyle presque un pythagoricien : nous ne savons pas sur quoi est fondée l’épithète. — Il n’y a pas de preuve pour nous démontrer que le Promêtheus Vinctus est considéré comme impie par le public devant lequel il était représenté ; mais c’est ainsi que son sens évident a été compris par des critiques modernes, qui ont recours à une foule d’explications différentes pour prouver que, quand il et convenablement interprété, il n’est pas impie. Mais si nous désirons reconnaître avec certitude ce qu’Eschyle pensait réellement, nous ne devons pas consulter les idées religieuses des temps modernes ; nous n’avons pas d’autre critérium que ce que nous savons de l’époque même du poète et de ce qui l’avait précédé. Les explications données par les plus habiles critiques semblent en général montrer une détermination prise à l’avance de présenter Zeus comme un être juste, sage, clément et tout-puissant ; et tous, d’une manière ou d’une autre, ils altèrent les figures, changent la perspective et donnent des interprétations forcées de ce drame frappant, qui fait une impression directement contraire (V. Welcker, Trilogie Æsch., p. 90-117, avec l’explication de Dissen qui y est donnée ; Klausen, Theologum. Æsch., p. 110-154 ; Schoemann, dans sa traduction récente de la pièce, et la critique de cette traduction dans les Wiener Jahrbücher, vol. CIX, 1845, p. 215, par F. Ritter). D’un autre côté, Schütz (Excurs. ad Prom. Vinct, p. 149) pense qu’Eschyle voulait, au moyen de ce drame, forcer ses concitoyens à haïr un despote. Bien que je n’admette pas cette interprétation, elle me parait moins éloignée de la vérité que les moyens violents que d’autres emploient pour mettre le poète en harmonie avec leurs propres idées religieuses. — Quant au Promêtheus Solutus, qui formait une suite au Promêtheus Vinctus (la trilogie entière n’est pas connue d’une manière certaine), les fragments qui en ont été conservés sont très peu abondants, et les conjectures des critiques au sujet de son intrigue n’ont qu’une faible base sur laquelle ils puissent s’appuyer. Ils prétendent que, d’une manière ou d’une autre, les objections apparentes que présente le Promêtheus Vinctus contre la justice de Zeus étaient écartées dans le Promêtheus Solutus. Hermann, dans sa Dissertatio de Æschyli Prometheo Soluto (Opuscula, vol. IV, p. 256, révoque en doute cette idée ; je transcris de sa Dissertation un seul passage, parce qu’il renferme une remarque importante touchant la manière dont les poètes grecs traitaient leurs légendes religieuses : Tandis qu’ils racontaient et croyaient une foule d’énormités au sujet des dieux individuels, ils décrivaient toujours la divinité abstraite comme parfaite et sainte...

Immo illud admirari oportet, quod quum de singulis Diis indignissima quæque crederent, tamen ubi sine certo nomine Deum dicebant, immunem ab ornai vitio, summâque sanctitate præditum intelligebant Illam igitur Jovis sævitiam ut excusent defensores Trilogiæ, et jure punitum volant Prometheum, et in sequente fabula reconciliato Jove, restitutam arbitrantur divinam justitiam. Quo invento, vereor ne non optime dignitati consuluerint supremi Deorum, quem decuerat potius non sævire omnino, quam placari eâ lege, ut alius Promethei vice lueret.

[16] Eschyle, Fragm. 116, Dindorf ; ad. Platon, Republ., III, p. 391 ; cf. Strabon, XII, p. 580. — Il n’y a qu’une exception réelle à cette assertion, les Perses, pièce qui est fondée sur un événement récemment arrivé, et une exception apparente, le Promêtheus Vinctus. Mais dans ce drame il ne paraît aucun individu mortel : nous ne pouvons guère considérer Iô comme une έφήμερος (253).

[17] Pour les traits caractéristiques d’Eschyle, V. Aristophane, Ranæ, 755, ad fin. passim. La rivalité entre Eschyle et Euripide roule sur γνώμαι άγαθαί, 1497 ; la gravité et la majesté des mots, 1362 ; πρώτος τών Έλλήνων πυργώσας ρήματα σεμνά, 1001, 931, 930 (Sublimis et gravis et grandiloquus æpe usque ad vitium, Quint., X, I) ; l’air imposant de ses héros, tels que Memnôn et Kyknos, 931 ; leur réserve dans le langage, 908 ; les drames remplis d’Arès, et ses chefs au cœur de lion, inspirant à ses auditeurs un esprit intrépide pour la défense de leur pays, 1014, 1019, 1040 ; son mépris pour la tendresse des femmes, 1042. Pour le même but général, V. Nubes (1317-1356), composées tant d’années auparavant. On insiste dans la vie d’Eschyle sur la gravité et la majesté des héros du poète, et on dit que Sophocle s’en moqua (Plutarque, De Profect. In Virt. Sent., c. 7), à mains que nous ne devions prendre ceci pour une méprise de Plutarque citant Sophocle au lieu d Euripide tel qu’il parle dans les Grenouilles d’ Aristophane, ce qui : est l’opinion et de Lessing, dans sa vie de Sophocle, et de Welcker (Æschyl. Trilogie, p. 525).

[18] Voir vol. I, chap. 14, et vol. II., ch. 1. — Eschyle semble avoir été un plus grand innovateur, quant aux mythes, que Sophocle ou qu’Euripide (Denys d’Halicarnasse, Judic. de Veter. Script., p. 422, Reisk.). Pour la manière étroite dont Sophocle s’attache à l’épopée homérique, v. Athenm., VII, p. 277 ; Diogène Laërte, IV, 20 ; Suidas, v. Πολέμων. Eschyle met dans la bouche des Euménides un sérieux argument tiré de la conduite de Zeus, quand il enchaîna son père Kronos (Euménides, 640).

[19] V. Valckenaer, Diatribe in Eurip. Fragm., cap. 5 et 6. — La quatrième et la cinquième leçon des Dramatische Vorlesungen d’August Wilhelm Schlegel présentent à la fois avec justesse et éloquence la différence qui existe entre Eschyle, Sophocle et Euripide, particulièrement sur le point du rabaissement graduel du colosse mythique, ramené aux proportions d’un homme ordinaire ; an sujet d’Euripide, v. spécialement leçon 5, vol. I, p. 206, éd. Heidelberg, 1809.

[20] Aristote, Poétique, c. 46.

Les Ranæ et les Acharneis d’Aristophane font entièrement connaître les reproches adressés à Euripide : le langage qui lui est prêté dans la première pièce (v. 935-977) jette un jour particulier sur le point exposé ici. Plutarque (De Gloriâ Atheniens., c. 5) oppose ή Εύριπίδου σοφία ή Σοφοxλεοΰς λογιότης. Sophocle resta fidèle aux vieux mythes ou y introduisit des changements dans un esprit conforme à leur caractère primitif, tandis qu’Euripide raffina sur eux. Le commentaire de Dêmêtrius de Phalère rattache expressément τό λόγιον à la conservation de la dignité des récits (c. 38).

[21] Aristophane, Ranæ, 770, 887, 1066.

Quant au caractère du langage et des mètres d’Euripide, tel qu’il est représenté par Eschyle, V. aussi v. 1297, et Pac., 527. Euripide introduisit une discussion philosophique (Denys d’Halicarnasse, Ars Rhetor., VIII ; 10, IX, 11) dans Melanippê, où la doctrine des prodiges (τέρας) semble avoir été discutée. Quintilien (X, 1) fait observer que, pour les jeunes débutants dans l’éloquence du barreau, l’étude d’Euripide était bien plus particulièrement profitable que celle de Sophocle ; cf. Dion Chrysostome, Orat. XVIII, Reisk. — Dans Euripide, les héros eux-mêmes prononçaient quelquefois des discours de morale (Welcker, Griechisch. Tragoed. Eurip. Stheneb., p. 782) ; cf. les fragments de son Bellerophôn (15-25, Matthiæ) et de son Chrysippe (7, ibid.). On trouve dans Sénèque un récit frappant, Epist. 115 ; et Plutarque, de Audiend. Poet., c. 4, t. I, p. 70, Wytt.

[22] Aristophane, Ran., 840. — V. aussi Aristophane, Acharn., 385-422. Au sujet d’une critique défavorable faite à propos d’un pareil procédé, v. Aristote, Poétique, 27.

[23] Aristophane, Ran., 1050. — Dans le Hercules Furens, Euripide met en relief et même exagère les plus mauvais éléments des anciens mythes : la haine implacable de Hêrê contre Hêraklês est poussée si loin qu’elle le prive de la raison (en envoyant Iris et Λύσσα contre son gré), et qu’ainsi elle l’amène avec intention à tuer sa femme et ses enfants de ses propres mains.

[24] Aristophane, Ran., 849, 1041, 1080 ; Thesmoph., 547 ; Nub., 1354. Grauert, De Mediâ Græcorum Comædià, dans le Rheinische Museum, 2e année, Ier fasc., p. 51. Il convenait au plan du drame d’Æolos, tel qu’il était composé par Euripide, de placer dans la bouche de Makareus un éloge formel des mariages incestueux : c’est ce qui probablement contribua beaucoup à offenser le public athénien. V. Denys d’Halicarnasse, Rhetor., IX, p. 355.

Au sujet de la liberté des mariages entre les membres d’une même famille, indiquée dans Homère, les parents et les enfants exceptés seuls, V. Terpstra, Antiquitas Homerica, caput 13, p. 104,

Ovide, dont les tendances poétiques le menaient particulièrement à copier Euripide, fait observer (Tristes, II, 1, 380) :

Omne genus scripti gravitate Tragœdia vincit.

Hæc quoque materiam semper amoris habet.

Nam quid in Hippolyto nisi cæcæ flamma novercæ ?

Nobilis est Canace fratris amore sui.

C’est le contraire de la vérité par rapport à Eschyle et à Sophocle, et ce n’est vrai que dans une très petite partie par rapport à Euripide.

[25] Aristote, Éthique de Nicomaque, III, 1, 8 : Les motifs qui poussent le personnage d’Alcméon, chez Euripide (dans la tragédie perdue Άλxμαίων ό διά Ψωφίδος), à tuer sa mère sont, de l’aveu de tous, ridicules.

[26] Aristote, Poétique, 26-27.

[27] V. Müller, Prolegom. zu einer wissenschaftlichen Mythologie, c. 3, p. 93.

[28] Hellanicus, Fragm. 143, éd. Didot.

[29] Hécatée, Fragm., éd. Didot, 332, 346, 349 ; Schol. Apoll. Rhod., I, 256 ; Athenæ, II, p. 133 ; Scylax, c. 26.

Peut-être Hécatée fut-il amené à chercher Erytheia en Epiros par la couleur rouge de brique de la terre qui existe dans une foule d’endroits, et que mentionnent Pouqueville et d’autres voyageurs (Voyage dans la Grèce, vol. II, 248 ; V. Klansen, Æneas und die Penaten, vol. I, p. 222). Pausanias, III, 25, 4. Il semble avoir écrit expressément sur les Hyperboréens fabuleux, et avoir soutenu la foi commune contre des doutes qui avaient commencé à s’élever à son époque : la mention saillante des Hyperboréens que l’on trouve dans Hérodote est probablement dirigée contre Hécatée, IV. 36 ; Schol. Apoll. Rhod., II, 675 ; Diodore, II, 47. — M. Clinton (Fast. Hell., II, p. 480) et d’autres (V. not. ad Fragm. Hécatée, p. 30, (Id. Didot), soutiennent que l’ouvrage sur les Hyperboréens fut écrit par Hécatée d’Abdera, Grec lettré de l’époque de Ptolémée Philadelphe, et non par Hécatée de Milêtos. Je ne partage pas cette opinion. Je regarde comme beaucoup plus probable que le plus ancien Hécatée était l’auteur en question. — La position distinguée que tenait Hécatée à Milêtos est indiquée non seulement par la mention que fait Hérodote de ses opinions en matières publiques, mais encore parla négociation qu’il eut avec le satrape perse Artapherne en faveur de ses concitoyens (Diodore, Excerpt., XLVII, p. 41, éd. Dindorf.)

[30] Hérodote, II, 143.

[31] Marcellin, Vie de Thucydide, init.

[32] Hérodote, II, 143.

[33] Hérodote, II, 3, 51, 61, 65, 170. Il fait une légère allusion (c. 51) à un ίρός λόγος qui lui fut communiqué dans les mystères de Samothrace, mais il ne mentionne pas ce qu’il était : de même au sujet des Thesmophoria, ou τελετή de Dêmêtêr (c. 171 et c. 54).

Cf. de semblables scrupules témoignés par Pausanias (VIII, 25 et 37). — Le passage d’Hérodote (II, 3) est équivoque et a été compris de plus d’une manière (V. Lobeek, Aglaopham, p. 1287). — La répugnance qu’éprouve Denys d’Halicarnasse à révéler les secrets divins n’est pas moins forte (V. A. R., I, 67,68).

[34] Hérodote, III, 122.

[35] Hérodote, II, 145.

[36] Hérodote, II, 43-145.

[37] Hérodote, II, 53.

[38] Hérodote, II, 146.

[39] Hérodote, I, 56.

[40] Hérodote, V, 66.

[41] Hérodote, II, 73.

[42] Hérodote, II, 43-44, 91-98, 171-182 (les Égyptiens admettaient la vérité de la légende grecque racontant que Perseus était allé en Libye chercher la tête de la Gorgone).

[43] Hérodote, II, 113-120 ; IV, 145 ; VII, 134.

[44] Hérodote, 1, 67-68 ; II, 113 ; VII, 159.

[45] Hérodote, I, 1, 2, 4 ; V, 81, 65.

[46] Hérodote, I, 52 ; IV, 145 ; V, 67 ; VII, 193.

[47] Hérodote, VI, 52-53.

[48] Hérodote, IV, 147 ; V, 59-61.

[49] Hérodote, V, 61 ; IX, 27-28.

[50] Hérodote, I, 52 ; IV, 145 ; V, 67.

[51] Hérodote, I, 1-4 ; II, 49, 113 ; IV, 147 ; V, 94.

[52] Hérodote, II, 455. — Nous pouvons aussi mentionner la manière dont l’historien critique le stratagème par lequel Pisistrate se fit le tyran d’Athènes en revêtant la majestueuse femme athénienne Phyê du costume de la déesse Athênê, et en faisant passer ses injonctions pour des ordres de la déesse ; les Athéniens l’acceptèrent avec une foi absolue et reçurent Pisistrate sur son commandement : Hérodote regarde toute l’affaire comme une scène d’une sottise extravagante (I, 60).

[53] Hérodote, II, 55.

Le miracle quelquefois prend une autre forme, le chêne à Dôdônê était jadis lui-même doué de la parole (Denys d’Halicarnasse, Ars Rhetor., I, 6 ; Strabon).

[54] Hérodote, II, 54.

[55] Hérodote, II, 57. — Selon une seule assertion, le mot πελειάς, dans le dialecte thessalien, signifiait à la fois une colombe et une prophétesse (Scriptor. Rer. Mythicarum, éd. Bode, I, 96). S’il y avait eu là quelque chose de vrai, Hérodote n’aurait sans doute pas manqué de le mentionner, d’autant plus qu’il eût été tiré ainsi de la difficulté qu’il éprouvait.

[56] Hérodote, II, 49.

[57] Hérodote, II, 49.

[58] Cf. Hérodote, IV, 95.

[59] Homère, Odyssée, XI, 290 ; XV, 225 ; Apollodore, I, 9, 11-12 ; Hésiode, Eoiai, Fragm. 55, éd. Düntzer (p. 43). De plus, fragm. 34 (p. 38) et fragm. 65 (p. 45) ; Schol. Apoll. Rhod., I, 118.

Hérodote mentionne le célèbre récit mythique rapportant que Melampe avait guéri les femmes argiennes aliénées (IX, 34) ; selon la légende primitive, les filles de Prœtos. Dans les Eoiai hésiodiques (Fragm. 16, Düntzer ; Apollodore, II, 2) la folie des femmes Prœtides était attribuée à ce fait, qu’elles avaient repoussé les rites et le culte de Dionysos (Acusilas, il est vrai, lui donnait une cause différente), ce qui mordre que la vieille faible reconnaissait un lien entre Melampe et ces rites.

[60] Homère, Iliade, I, 72-87 ; XV, 412 ; Odyssée, XV, 245-252 ; IV, 233. Parfois les dieux inspiraient une prophétie pour une occasion spéciale, sans accorder à l’individu le don permanent et le status d’un prophète (cf. Odyssée, II, 202 ; XVII, 383). Solôn, Fragm. 11, 48-53, Schneidewin.

Hérodote lui-même reproduit l’ancienne croyance au don spécial du pouvoir prophétique octroyé par Zeus et par Apollon, dans l’histoire d’Euênios d’Apollônia (IX, 94). — V. la belle ode de Pindare où sont décrites la naissance et l’inspiration de Jamos, père éponyme de la grande famille de prophètes en Elide appelée les Jamides (Hérodote, IX, 33) ; Pindare, Olymp., VI, 40-75. Sur Tiresias, Sophocle, Œdipe Tyr, 283-410. Nestôr et Odysseus ne possèdent ni l’un ni l’autre le don de prophétie.

[61] On trouve ailleurs plus d’un récit semblable à celui qui concerne le défilé de Tempê : Il existe une tradition rapportant que cette partie du pays était autrefois un lac, et que Salomon commanda à deux devas ou génies, nommés Ard et Beel, de détourner l’eau dans la Caspienne, ce qu’ils firent en coupant un passage à travers les montagnes ; et une ville, élevée dans la plaine nouvellement formée, fut nommée, d’après eux, Ard-u-Beel. (Sketches on the shores of the Caspian, by W. R. Holmes.)

De même au sujet de Santa Fe di Bogota, dans l’Amérique méridionale, on dit qu’elle était jadis sous l’eau, jusqu’à ce que Bochica fendit les montagnes et ouvrit un canal d’écoulement (Humboldt, Vues des Cordillères, p. 87-88) ; et au sujet du plateau de Kashmir (Humboldt, Asie centrale, vol. I. p. 102), desséché de la même façon miraculeuse par le saint Kâsyapa. Le même illustre voyageur a bien observé la manière par laquelle des conjectures, tirées de configurations ou de particularités locales, finissent par prendre la forme de traditions. — Ce qui se présente comme une tradition n’est souvent que le reflet de l’impression que laisse l’aspect des lieux. Des bancs de coquilles à demi fossiles, répandues dans les isthmes ou sur des plateaux, font naître, même chez les hommes les moins avancés dans la culture intellectuelle, l’idée de grandes inondations, d’anciennes communications entre des bassins limitrophes. Des opinions, que l’on pourrait appeler systématiques, se trouvent dans les forêts de l’Orénoque comme dans les îles de la mer du Sud. Dans l’une et dans l’autre de ces contrées, elles ont pris la forme des traditions. (A. von Humboldt, Asie centrale, vol II, p. 147.) Cf. une remarque semblable dans le même volume du même ouvrage, p. 286-294.

[62] Hérodote, VII, 129 (Poseidôn était adoré comme Πετραϊος, en Thessalia, en commémoration de cette intervention géologique : Schol. Pindare, Pyth., IV, 245). Dans un autre cas (VIII, 129), Hérodote croit que Poseidôn produisit une haute marée surnaturelle pour punir les Perses, qui avaient insulté son temple près de Potidæa : le dieu avait lit une raison spéciale pour déployer son pouvoir.

Cette remarque d’Hérodote explique le ridicule hostile jeté par Aristophane (dans les Nuées) sur Socrate, au sujet d’une impiété prétendue, parce qu’il appartenait à une école de philosophes (bien qu’en réalité il désapprouvât cette ligne d’étude) qui introduisait les lois et les forces physiques à. la place de l’action personnelle des dieux. Le vieux Strepsiades demande à Socrate : Qui fait pleuvoir ? Qui tonne ? A quoi Socrate répond : Ce n’est pas Zeus, mais les Nephelæ, c’est-à-dire tes nuages tu n’as jamais vu pleuvoir sans nuages. Strepsiades alors continue à l’interroger : Mais qu’est-ce qui force les nuages à s’avancer ? N’est-ce pas Zeus ? Socrate : Point du tout, c’est la rotation céleste. Strepsiades : Rotation ? Cela m’avait échappé ; alors Zeus n’existe plus, et Rotation règne à sa place. — Dans le même but, v. 1454, Rotation a chassé Zeus et règne à sa place.

Si Aristophane avait en un aussi grand désir de signaler à l’antipathie publique Hérodote que Socrate et Euripide, l’explication donnée ici lui aurait fourni une apparence plausible de vérité pour agir ainsi ; et il est fort probable que les Thessaliens auraient été assez mécontents de l’idée d’Hérodote pour s’unir dans leur pensée à l’attaque dirigée contre lui par le poète. La point en question serait devenu (en écartant les considérations métriques) Σεισμός βασιλεύει, τόν Ποσειδών̕ έξληλαxως.

Le commentaire d’Hérodote sur l’idée thessalienne semble presque avoir pour but de mettre les lecteurs en garde contre cette même induction. — D’autres récits disaient que c’était Hêraklês qui avait coupé le défilé de Tempê (Diodore, IV, 18). — Au sujet de l’ancienne foi grecque qui attribuait les tremblements de terre à Poseidôn, V. Xénophon, Helléniques, III, 3, 2 ; Thucydide, I, 127 ; Strabon, XII, p. 579 ; Diodore, XV, 48-49. Elle cessa de satisfaire les esprits universellement, déjà même du temps de Thalès et d’Anaximène (V. Aristote, Meteorol., II, 7-8 ; Plutarque, Placit. Philos., III, 15 ; Sénèque, Natural. Quæst., VI, 6-23) ; et le premier de ces philosophes, aussi bien qu’Anaxagore, Démocrite et autres, proposa différentes explications physiques du phénomène. Cependant, en dépit d’une minorité dissidente, l’ancienne doctrine continua à être généralement admise ; et Diodore, dans la description qu’il fait du terrible tremblement de terre qui en 373 av. J.-C. détruisit Helikê et Dura, tout en mentionnant ces philosophes (probablement Callisthène, Sénèque, Nat. Quæst., VI, 23), qui substituaient des causes et des lois physiques à une action divine, rejette leurs opinions et se range avec le public religieux, qui attribuait ce formidable phénomène à là colère de Poseidôn (XV, 48-49).

[63] Hérodote, II, 116.

Hérodote cite ensuite un passage de l’Iliade, dans l’intention de prouver qu’Homère connaissait le voyage de Pâris et d’Hélène en Égypte ; mais le passage ne prouve absolument rien sur ce point. — Et encore (c. 120) on voit combien sa confiance dans les poètes épiques est faible. — Il est à remarquer qu’Hérodote est disposé à identifier Hélène avec la ξείνη Άφροδίτη dont il vit le temple à Memphis (c. 112).

[64] Ut conquirere fabulosa (dit Tacite, Hist., II, 50, digne pendant de Thucydide) et fictis oblectare legentium animos procul gravitate cœpti operis crediderim, ita vulgatis traditisque demere fidem non ausim. Die, quo Bedriaci certabatur, avem invisitata specie apud Regium Lepidum celebri luco consedisse incolæ memorant, nec deinde cœtu hominum aut circumvolitantium alitum territam pulsamque, donec Otho se ipse interficeret ; tum ablatam ex oculis : et tempora reputantibus initium finemque miraculi cum Othonis exitu competisse. Suétone (Vespasien, 5) raconte un miracle différent, dans lequel apparaissent trois aigles.

Ce passage de Tacite vient immédiatement après la magnifique description qu’il fait du suicide de l’empereur Othon, acte qu’il considère avec l’admiration la plus fervente. Ses sentiments étaient évidemment si excités, qu’il relâchait volontiers les règles de la crédibilité historique.

[65] Thucydide, I, 9-12.

[66] Thucydide, I, 25.

[67] Thucydide, II, 29. La première de ces phrases, si elle sortait d’une autre plume que de celle de Thucydide, nous conduirait à inférer que l’écrivain ajoutait foi à la métamorphose de Philomêlê en rossignol. Voir le Ier vol., ch. 11.

L’observation faite au sujet de la commodité qu’offrait le voisinage pour le mariage est remarquable, et montre combien Thucydide considérait l’événement comme historique. Qu’aurait-il dit à propos du mariage d’Oreithyia, fille d’Erechtheus, avec Boreas, et de la prodigieuse distance où, dit-on, elle avait été transportée par son époux ? (Soph. ap. Strabon, VII, p. 295.) — Par la manière dont Thucydide amène la mention de cet événement, nous voyons qu’il avait l’intention de corriger la méprise de ses concitoyens, qui, venant de conclure une alliance avec l’Odrysien Têrês, étaient conduits par cette circonstance à penser à l’ancien Têreus mythique, et à le regarder comme un des ancêtres de Têrês.

[68] Thucydide, IV, 24.

[69] Thucydide, VI, 2.

[70] Thucydide, II, 68-102 ; IV, 120 ; VI, 2. Antiochus de Syracuse, contemporain de Thucydide, mentionnait aussi Italos comme roi éponyme de l’Italie ; en outre, il nommait Sikelos, qui vint chez Morges, fils d’Italos, après avoir été banni de Rome. Il parle d’Italos exactement comme Thucydide parle de Thêseus ; il le cite comme un roi sage et puissant, qui acquit le premier une mande domination (Denys d’Halicarnasse, A. R., I, 12 ; 35, 73). Aristote aussi mentionnait Italos dans les mêmes ternes généraux (Politique, VII, 9, 2).

[71] Nous pouvons signaler ici quelques particularités au sujet d’Isocrate. Il manifeste une entière confiance dans l’authenticité des généalogies et de la chronologie mythiques ; mais, tandis qu’il considère les personnages mythiques comme historiquement réels, il les regarde en même temps non pas comme des êtres humains, mais comme des demi-dieux, supérieurs à l’humanité. Au sujet d’Hélène, de Thêseus, de Sarpêdôn, de Kyknos, de Memnôn, d’Achille, etc. V. Encom. Helen., Or. V, p. 282, 292, 295, Bek. Hélène était adorée de son temps comme déesse à Therapuæ (ibid., p. 295). Il raconte l’établissement de Danaos, de Kadmos et de Pélops en Grèce, comme des faits historiques indubitables (p. 297). Dans son discours intitulé Busiris, il accuse Polykratês le sophiste d’un grossier anachronisme, pour avoir placé Busiris postérieur en date à Orpheus et à Æolos (Or. XI, p. 301, Bek.), et il ajoute que le récit qui rapporte que Busiris avait été tué par Hêraklês était impossible sous le rapport chronologique (p. 309). Quant à la longue généalogie athénienne, depuis Kekrops jusqu’à Thêseus, il en parle avec une entière confiance historique (Panathenaic., p. 349, Bek.) ; il en est de même pour les aventures d’Hêraklês et de ses contemporains mythiques, dont il place les noms dans la bouche d’Archidamos pour justifier le droit des Spartiates sur la Messênia (Or., VI, Archidamus, p. 156, Bek. ; cf. Or. V, Philippus, p. 114, 138). Il condamne les poètes en termes énergiques pour les récits méchants et dissolus qu’ils mettaient en circulation au sujet des dieux : un grand nombre d’entre eux (dit-il) avaient été punis par la cécité, la misère, l’exil et d’autres malheurs (Or. XI, p. 309, Bek.), pour avoir proféré de tels blasphèmes. — En général, on peut dire qu’Isocrate n’applique pas aux mythes de principes de critique historique ; il rejette ceux qui lui paraissent indignes ou compromettants, et croit le reste.

[72] Thucydide, I, 21-22.

Les deux premiers volumes de cette histoire ont été examinés dans un bon article de la Quarterly Review d’octobre 1846, aussi bien que dans les Heidelberger Jahrbücher der Literatur (1846, n° 41, p. 641-655), par le professeur Kortüm. — Tout en approuvant mon ouvrage sur plusieurs points, témoignage dont je me sens très flatté, le critique anglais et le critique allemand font tous les deux une objection partielle aux idées que j’ai émises sur la légende grecque. Le critique de la Quarterly Review prétend que la faculté intellectuelle qui produit les mythes, bien qu’essentiellement libre et indigne de foi, n’est jamais créatrice, mais qu’elle a besoin de faits réels qui lui servent de base et sur lesquels elle s’exerce. Kortüm pense que je n’ai pas rendu justice à Thucydide, quant à ce qui concerne sa manière de traiter la légende ; que je n’attache pas assez d’importance à l’autorité d’un historien aussi circonspect et ayant autant de sang-froid (den kaltblütigsten und besonnensten Historiker des Alterthums, p. 653), pour voir en lui un garant satisfaisant qui puisse prouver les premiers faits de l’histoire grecque renfermés dans sa préface. (Mr G. se trompe donc en rejetant comme garantie la préface qui, de l’aveu général, remplit les conditions de la critique.) — Personne ne sent plus vivement que moi les mérites de Thucydide comme historien, ni l’importance de l’exemple qu’Il donne en multipliant les recherches critiques au sujet des faits récents qu’on peut constater. Mais le juge ou l’avocat le plus habile, en faisant une enquête sur des faits d’une nature particulière, ne peut aller que tant qu’il trouve des témoins possédant des moyens de connaître et plus ou moins disposés à dire la vérité. Pour les faits antérieurs à l’an 776 av. J.-C., Thucydide n’avait que les poètes légendaires, dont la crédibilité n’augmente nullement parce qu’il les acceptait comme témoins, et il s’appliquait seulement à abréger et à modifier leurs allégations. Sa crédibilité, quant aux faits particuliers de ces premiers temps, repose entièrement sur la leur. Or, à notre époque, nous sommes dans une meilleure position pour apprécier leur crédibilité qu’il ne l’était à la sienne, puisque l’on comprend beaucoup plus complètement les fondements de l’évidence historique, et que les matériaux bons ou mauvais de l’histoire sont soumis à la comparaison dans une étendue et arec une variété si grandes. Au lieu de nous étonner qu’il partageât la foi généralement accordée à des guides si trompeurs, nous devons plutôt lui faire honneur de la réserve avec laquelle il tempéra cette foi, et de la saine idée de possibilité historique à laquelle il s’attacha pour en faire la limite de sa confiance. Mais il est impossible de considérer Thucydide comme un garant satisfaisant (Gewaehrsmann) pour des faits qu’il ne tire que de pareilles sources. — Le professeur Kortüm prétend que je me contredis en refusant de distinguer un fond particulier de faits historiques dans les légendes, et cependant en acceptant ces légendes (dans le chap. 6 du 2e vol.) comme étant un fidèle miroir de l’état général de la première société grecque (p. 653). Il me semble due ce n’est pas une contradiction, mais une distinction réelle et importante. Hêraklês, Agamemnôn, Odysseus, etc., étaient-ils des personnages réels ? ont-ils accompli toutou partie des actions possibles qu’on leur attribue ? C’est ce que je me déclare incapable de déterminer. Mais, même en admettant que ces personnages et leurs exploits soient des fictions, ces mêmes fictions auront été connues et mises en conformité avec les phénomènes sociaux en général au milieu desquels vivaient le narrateur et ses auditeurs, et serviront à expliquer les usages dominant alors. Effectivement, l’importance réelle de la préface de Thucydide, à laquelle le professeur Kortüm accorde un si juste éloge, consiste non dans les faits particuliers qu’il présente en altérant les légendes, mais dans les idées générales et rationnelles qu’il expose sur la première société grecque, et sur les démarches aussi bien que sur les causes qui l’amenèrent à sa position telle qu’il la vit. — Le professeur Kortüm affirme aussi que les mythes contiennent un fond réel de faits mêlés à de pures conceptions, affirmation qui ressemble à celle du critique de la Quarterly Review, quand il dit que la faculté qui produit les mythes n’est pas créatrice. En prenant les mythes en masse, je ne doute pas que cela ne soit vrai, et je ne l’ai nié nulle part. En les prenant un à un, je ne puis ni l’affirmer ni le nier. Mon principe est que, s’il y a ou non un fond de faits réels, nous n’avons pas de critérium à l’aide duquel on puisse l’isoler, le constater et le séparer de la fiction qui l’accompagne. Et il appartient à ceux qui proclament la possibilité d’une telle séparation de présenter quelques moyens de vérification meilleurs que tous ceux qui ont été encore indiqués. Si Thucydide n’a pas réussi en cela, il est certain qu’aucun des nombreux auteurs qui ont fait la même tentative après lui n’a été plus heureux. — On ne peut assurément nier que la faculté qui produit les mythes ne soit créatrice, quand nous avons sous les yeux tant de légendes divines, non seulement en Grèce, mais aussi dans d’autres pays. Supposer que ces légendes religieuses sont de pures exagérations, etc., de quelque base de faits réels, que les dieux du polythéisme n’étaient que des hommes divinisés revêtus de qualités altérées ou imaginées, ce serait réellement embrasser la théorie d’Evhémère.

[73] Diodore, XV, 89. Il était contemporain d’Alexandre le Grand.

[74] Diodore, IV, 1. Strabon, IX, p. 422.

[75] Éphore racontait les principales aventures d’Hêraklês (Fragm. 8, 9, éd. Marx.), les histoires de Kadmos et d’Harmonia (Fragm. 12), le bannissement d’Ætôlos exilé d’Elide (Fragm. 15 ; Strabon, VIII, 357) ; il tirait des conséquences de la chronologie des guerres de Troie et de Thêbes (Fragm. 28) ; il rapportait l’arrivée de Dædalos chez le roi sikanien Kokalos, et l’expédition des Amazones (Fragm. 99-103). — Il était surtout riche en renseignements quant aux xτίσεις, άποίxιαι et συγγενείαι (Polybe, IX, 1).

[76] Strabon, I, p. 74.

[77] Denys d’Halicarnasse, de Vet. Script. Judic., p. 128, Reisk. ; Élien, V. H., III, 18.

Théopompe affirmait que les corps de ceux qui allaient dans l’enceinte interdite (τό άβατον) de Zeus en Arcadia ne projetaient pas d’ombre (Polybe, XVI, 12). Il racontait l’histoire de Midas et de Silênos (Fragm. 74, 75, 76, éd. Wichers) ; il parlait beaucoup des héros de Troie ; et il semble avoir attribué les malheurs des Νόστοι à une cause historique ; c’est que, selon lui, les vaisseaux grecs étaient pourris par suite de la longueur du siége, taudis que la pure épopée rapporte le fait à la colère d’Athênê (Fragm. 112, 113, 114 ; Schol. Homère, Iliade, II, 135) ; il racontait que Kinyras, assurait-on, avait été chassé de Cypre par Agamemnôn (Fragm. 111) ; il donnait la généalogie de la reine de Macédoine Olympias, en remontant jusqu’à Achille et Æakos (Fragm. 232).

[78] Cicéron, Epist. ad Familiar., V, 12 ; Xénophon, De Venat., c. 1.

[79] Philiste, Fragm. 1 (Goeller), Dadalos et Kokalos ; au sujet de Liber et de Junon (Fragm. 57) ; au sujet de l’immigration des Sikels en Sicile quatre-vingts ans après la guerre de Troie (ap. Denys d’Halicarnasse, I, 3).

Timée (Fragm. 50, 51, 52, 53, Goeller) rapportait une foule de fables sur Jasôn, Mêdea et les Argonautes en général. L’échec de l’armement athénien sous les ordres de Nikias, devant Syracuse, est imputé à la colère d’Hêraklês, irrité contre les Athéniens, qui étaient venus au secours des Égestains, descendants de Troie (Plutarque, Nikias, 1), reproduction toute nue, faite par un historien, de véritables actions épiques ; en outre, au sujet de Diomêdes et des Dauniens ; Phaëthôn et le fleuve Eridanos ; les combats des Gigantes dans les plaines phlégréæennes (Fragm. 97, 99, 102).

[80] Strabon, IX, p. 422.

[81] Cf. Diodore, V, 44-46 ; et Lactance, De Falsâ Relig., I, 11.

[82] Cicéron, De Natura Deor., I, 4-9 ; Varron, De Re Rustica, I, 48.

[83] Strabon, II, p. 102 ; cf. aussi I, p. 47, et II, p. 104.

Saint Augustin, au contraire, nous dit (Civitat. Dei, VI, 7) : Quid de ipso Jove senserunt, qui nutricem ejus in Capitolio posuerunt ? Nonne attestati sunt omnes Euemero, qui non fabulosâ garrulitate, sed historicâ diligentiâ, homines fuisse mortalesque conscripsit ? Et Minucius Felix (Octavius, 20-21) : Euemeras exequitur Deorum natales ; patrias, sepulcra, dinumerat, et per provincias monstrat, Dictæi Jovis, et Apollinis Delphici, et Phariæ Isidis, et Cereris Eleusiniæ. Cf. Augustin, Civit. Dei, XVIII, 8-14 ; et Clemens Alexand., Cohort. ad Gent., p. 15-18, Sylb. — Lactance (De Falsâ Relig., c. 13, 14, 16) donne d’abondantes citations de la traduction faite par Ennius de l’Historia sacra d’Evhémère. — Εύήμερος, δ έπιxληθείς άθεος, Sextus Empiricus, adv. Physicos, IX, § 17-51. Cicéron, De Nat. Deor., I, 42 ; Plutarque, De Iside et Osiride, c. 23, t. II, p. 475, éd. Wytt. — Nitzsch prétend (Heldensage der Griechen, sect. 7, p. 84) que le voyage d’Evhémère en Pauchaia n’étant donné que comme un roman amusant, et que Strabon, Polybe, Eratosthène et Plutarque commirent une méprise en le prenant pour un récit sérieux. Boettiger, dans sa Kunstmythologie der Griechen (Absch. II, s. 6, p 190), adopte la même idée. Mais il n’est pas donné la moindre raison à l’appui de cette opinion, et elle me paraît forcée et improbable ; Lobeck (Aglaopham., p. 989), bien que Nitzsch le cite comme la soutenant, ne témoigne aucune tendance pareille, autant que je puis le remarquer.

[84] Diodore, IV, 1-8. — C’est là un passage remarquable : d’abord en ce qu’il montre que des analogies tirées du passé historique sont complètement inapplicables comme récits concernant Hêraklês : ensuite en ce qu il suspend l’emploi de critérium critiques et scientifiques, et demande un acquiescement mêlé et identifié aux sentiments, comme le vrai moyen de témoigner une pieuse révérence au dieu Hêraklês. Il tend à reproduire cet état de pâme auquel les mythes s’adressaient, le seul avec lequel ils pussent jamais être en complète harmonie.

[85] Diodore, III, 45-60 ; 44-46.

[86] Il est fait allusion à l’ouvrage de Palæphate (c’était probablement l’ouvrage primitif) dans le Ciris de Virgile (88) : Docta Palæphatiâ testatur voce papyrus.

La date de Palæphate est inconnue ; ce passage du Ciris semble en effet être la seule raison qui existe, d’où l’on puisse tirer une conclusion sur ce point. Ce que nous possédons maintenant est probablement un extrait d’un ouvrage plus considérable, travail dû à un faiseur d’extraits à quelque moment postérieur. V. Vossius, de Historicis Græcis, p. 478, éd. Westermann.

[87] Palæphate, init., ap. Script. Mythogr., éd. Westermann, p. 268.

Le principal emploi de la théorie semi-historique est brièvement et clairement indiqué ici. — Un des premiers écrivains chrétiens, Minucius Felix, est étonné de la facilité avec laquelle ses ancêtres païens croyaient aux miracles. Si de telles choses avaient jamais été faites dans les temps antérieurs (affirme-t-il), elles continueraient encore à être faites maintenant ; comme elles ne peuvent l’être maintenant, nous pouvons être sûrs qu’elles ne l’ont jamais été réellement jadis (Minucius Felix, Octavius, c. 20) : Majoribus enim nostris taro facilis in mendaciis fides fuit, ut temerè crediderint etiam alia monstruosa mira miracula, Scyllam multiplicem, Chimæam multiformem, Hydram et Centauros. Quid illas aniles fabulas, de hominibus aves, et feras homines, et de hominibus arbores atque flores ? Quæ si essent facta, fierent ; quia fieri non possuret, ideo nec factasunt.

[88] Palæphate, Narrat., I, 3, 6,13, 20, 21, 29. Deux courts traités sur le même sujet que celui de Palæphate sont imprimés avec ce dernier ouvrage et dans la collection de Gale et dans Celle de Westermann ; l’un, intitulé Heracliti de Incredibilibus, l’autre, Anonymi de Incredibilibus. Ils prétendent tous les deux expliquer quelques-uns des mythes extraordinaires ou miraculeux, et ils suivent nue voie qui diffère peu de celle de Palæphate. Skylla était une belle courtisane, entourée d’abominables parasites ; elle séduisit et ruina les compagnons d’Odysseus, bien que lui-même fût assez prudent pour échapper à ses pièges (Héraclite, c. 2, p. 313, West.). Atlas était un grand astronome ; Pasiphaê devint éprise d’un jeune homme nommé Tauros ; le monstre appelé la Chimæra était en réalité une reine féroce, qui avait deux frères appelés Leôn et Drakôn ; le bélier qui porta Phryxos et Hellê à travers la mer Egée était un batelier, nommé Brios (Héraclite, c. 2, 6, 15, 24).

Un grand nombre d’explications semblables sont dispersées dans toutes les scholies sur Homère et dans le commentaire d’Eustathe, sans désignation spéciale de leurs auteurs. — Theôn considère comme une preuve d’habileté supérieure de savoir ainsi ramener une fable à une histoire plausible (Progymnasmata, cap. 6, ap. Walz, Coll. Rhet. Græc., T, p. 219). D’autres parmi les rhéteurs aussi exerçaient leurs talents quelquefois en défendant, quelquefois en discutant la probabilité des anciens mythes. V. les Progymnasmata de Nicolaus, (ap. Walz, Coll. Rhetor. I, p. 284-318), où il y a beaucoup d’exemples de cette manière capricieuse de traiter les récits. — Cependant Plutarque, dans un de ses traités, admet les Minotaures, les Sphinx, les Centaures, etc., comme des réalités, il les regarde comme des produits des désirs monstrueux, effrénés et incestueux de l’homme, qu’il oppose aux passions simples et modérées des animaux (Plutarque, Gryllus, p. 990).

[89] Le savant Mr Jacob Bryant estime les explications de Palæphate comme si elles étaient fondées sur des faits réels. Il admet, par exemple, la ville de Nephelê, citée par cet auteur dans son explication de la fable des Centaures. En outre, il parle avec beaucoup d’éloge de Palæphate en général : Il (Palæphate) écrivit de bonne heure et semble avoir été un esprit sérieux et sensé ; il voyait l’absurdité des fables sur lesquelles reposait la théologie de son pays. (Ancient Mythology, vol. I, p. 411-435.) De même aussi, sir Thomas Brown (Enquiry into Vulgar Errors, liv. I, ch. 6, p. 221, éd. 1835) cite Palæphate comme ayant signalé d’une manière incontestable la base réelle des fables. Et assurément le penchant pour l’élément fabuleux, dans ces temps, fut plus grand qu’à aucune époque postérieure. Cette période fourmillait de fables, et sur des raisons aussi faibles on prenait des allusions pour des fictions, empoisonnant le monde pour toujours ; jusqu’à quel point on y réussit, c’est ce qu’on peut prouver en citant Palæphate, dans son livre des Contes fabuleux.

[90] Xénophane, ap. Sext. Empirir., adv. Mathematic., IX, 193. Il désapprouvait aussi les rites accompagnés de lamentations et de pleurs, avec lesquels les Eléates adoraient Leukothea ; il leur disait ; εί μέν θεόν ύπλαμβάνουσι, μή θρηνεϊν εί δέ άνθρωπον, μή θύειν (Aristote, Rhetor, II, 23).

Xénophane disait que les batailles des Titans, des Gigantes et des Centaures étaient des fictions de nos prédécesseurs, (Xénophane, Fragm. 1, p. 42, éd. Schneidewin). — V. une curieuse comparaison de la théologie grecque et de la théologie romaine, dans Denys d’Halicarnasse, Ant. Rom., II, 20.

[91] Schol. Iliade, XX, 67, Tatien, adv. Græc., c. 48. Héraclite repoussait avec indignation les athées impudents qui critiquaient les mythes divins de l’Iliade, dans leur ignorance de leur vrai sens allégorique (Schol. ad. Homère, Iliade, XV, 18).

[92] Diogène Laërte, II, 11 ; Tatien, adv. Græc., 37 ; Hesychius, v. Άγαμέμνονα. V. le tour moral donné aux contes de Circê, des Sirènes et de Skylla, dans Xénophon, Memorab., 1, 3,7 ; II, 6, 11-31. Syncelle, Chronic., p. 149.

Uscholdet d’autres auteurs allemands modernes semblent avoir adopté dans toute son étendue le principe d’interprétation proposé par Métrodore ; ils considèrent Odysseus et Penelopê comme des personnifications du soleil et de la lune, etc. V. Helbig, Die Sittlichen Zustaende des Griechischen Heldenalters, Einleitung., p. 29 (Leipzig, 1839). — On en vint aussi à corriger le texte homérique pour échapper à la nécessité d’imputer un mensonge à, Zeus (Aristote, de Sophist. Elench., c. 4).

[93] Sextus Empir., IX, 18 ; Diogène, VIII, 76 ; Plutarque, De Placit. Philosoph., 1, 3-6 ; De Poesi Homerica, 92-126. De Stoicor. Repugn., p. 1050 ; Menander, De Encomiis, c. 5.

Cicéron, De Nat. Deor., I, 14, 15, 16, 41 ; II, 24-25. Physica ratio non inelegans inclusa in impias fabulas. — Dans les Bacchæ d’Euripide, Pentheus se moque du conte rapportant que, Dionysos, l’enfant sans mère, avait été cousu dans la cuisse de Zeus. Tirésias, en lui reprochant son impiété, explique l’histoire par une sorte d’allégorie : le μηρός (la cuisse) Διός (dit-il) était avancé à tort au lieu de l’αιθήρ χθόνα έγxυxλούμενος (Bacch. 235-290). — Lucrèce (III, 995-1036) allégorise les principales victimes punies dans le royaume de Hadès, Tantalos, Sisyphos, Tityos et les Danaïdes, aussi bien que les exécuteurs du châtiment, Kerberos et les Furies. Les quatre premiers sont des descriptions emblématiques de divers caractères imparfaits ou vicieux dans la nature humaine : le superstitieux, l’ambitieux, l’amoureux, ou bien l’homme insatiable et plaintif ; les deux derniers représentent les terreurs qui assiégent l’âme du méchant.