PARIS - HACHETTE ET Cie - 1895
CHAPITRE I. — Les indigènes. CHAPITRE II. — Carthage. CHAPITRE III. — L'administration et l'armée. CHAPITRE IV. — Les campagnes. CHAPITRE V. — Les villes. - Timgad. CHAPITRE VI. — La littérature africaine. CHAPITRE VII. — La conquête des indigènes. Quand j'ai visité l'Afrique, en 1891, j'ai rencontré sur ma route beaucoup de sénateurs et de députés, qui parcouraient le pays pour en connaître les ressources et les besoins. La question algérienne venait d'être posée de nouveau dans les Chambres ; on s'était longtemps disputé sans résultat ; et, comme c'est l'usage quand on n'arrive pas à s'entendre, on avait fini par se décider à faire une enquête. Les politiques venaient donc chercher sur les lieux des lumières pour les discussions qu'on prévoyait. Naturellement ils étudiaient l'état actuel de l'Algérie et de la Tunisie ; ils comptaient les hectares de terre cultivée, ils s'occupaient du rendement des blés ou des vignes et du mouvement des ports, ils faisaient parler les colons et les indigènes, ils cherchaient à se rendre compte de ce qui a été fait en un demi-siècle, et de ce qui reste à faire. Rien de mieux ; mais est-ce tout ? Pour savoir quel est l'avenir de nos possessions africaines, et connaître les conditions véritables de leur prospérité, suffit-il de s'enquérir du présent ? Je ne le crois pas. Il me semble que le passé aussi a le droit d'être entendu. Nous ne sommes pas les premiers qui soient venus des contrées du Nord s'établir en Afrique ; nous avons eu, sur cette terre, des prédécesseurs illustres qui l'ont conquise, comme nous l'avons fait, et l'ont gouvernée avec gloire pendant plus de cinq siècles. Ils y ont rencontré à peu près les mêmes difficultés que nous ; il leur a fallu vaincre les mêmes résistances de la nature, qui n'était pas alors plus clémente qu'aujourd'hui, les mêmes oppositions de races guerrières, qui occupaient le sol, et ne voulaient le partager avec personne. Comment y sont-ils parvenus ? Par quels miracles de courage, de patience, d'habileté, ont-ils fait de ce pays aride, souvent inhabitable, une des provinces les plus riches de leur empire et du monde ? De quels procédés se sont-ils servis pour implanter leur civilisation au milieu de ces peuples barbares, et l'y rendre si florissante que l'Afrique a fini par produire en abondance des écrivains latins, et qu'à un moment elle a paru plus romaine que l'Italie même et que Rome ? Tout cela, il nous importe de le savoir ; nous ne pouvons pas négliger les leçons et les exemples que le passé peut nous fournir. Pour que l'enquête qu'on a voulu faire soit complète, il faut appeler les Romains aussi à y prendre part : je crois que, si nous savons les interroger, ils auront beaucoup à nous apprendre. J'ai pourtant hésité d'abord à le faire ; il me semblait que, pour se permettre d'apprécier l'œuvre des Romains en Afrique, il ne suffisait pas d'avoir jeté un coup d'œil rapide sur les monuments qu'ils y ont laissés, et parcouru le pays pendant quelques semaines. Heureusement l'étude détaillée, que le temps ne m'a pas permis d'accomplir moi-même, d'autres se sont chargés de la faire. Ernest Renan a bien eu raison de dire que l'exploration scientifique de l'Algérie serait l'un des titres de gloire de la France, au XIXe siècle. Elle a commencé presque au lendemain de la conquête et s'est poursuivie sans interruption jusqu'à nos jours. Grâce au dévouement de tous ceux qui ont mis la main à ce grand ouvrage, nous avons, sur toutes les questions qu'il nous importe de connaitre, une incroyable abondance de documents, qui n'ont le tort que d'être dispersés un peu partout et difficiles à réunir. Je n'ai d'autre mérite que d'avoir été les prendre dans les recueils où ils se cachent et d'en avoir tiré ce qu'ils contiennent. Il est donc juste qu'au début de cette étude je remercie ces travailleurs, souvent obscurs — officiers de notre armée, employés de nos administrations, industriels, propriétaires, que la vue et l'amour des monuments ont rendus archéologues, — de ce qu'ils m'ont appris. Je leur dois à peu près tout ce que je sais, et mon premier devoir est d'avertir le lecteur que, s'il trouve quelque intérêt à lire ces pages, c'est jusqu'à eux qu'il doit faire remonter sa reconnaissance. |