L'AFRIQUE ROMAINE

 

PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES EN ALGÉRIE ET EN TUNISIE

CHAPITRE VI. — LA LITTÉRATURE AFRICAINE.

 

 

I

Les écoles en Afrique. — L'éducation des jeunes gens. — Comment Rome l'encourage. — La rhétorique.

Il n'y a pas lieu d'être surpris que, dans les ruines des villes que nous venons de parcourir, nous n'ayons pas rencontré d'écoles. Comme en général l'école se tenait sous les portiques, ou aux étages élevés des maisons particulières, ou comprend qu'il n'en reste rien ; mais soyons sûrs qu'il y en avait à peu près partout et qu'elles devaient être très fréquentées. Saint Augustin raconte qu'il reçut sa première instruction à Thagaste, où il était né, et qui était un fort petit municipe. Quand le maître de Thagaste n'eut plus rien à lui apprendre, on l'envoya tout près de chez lui, à Madaura, où les écoles étaient plus florissantes ; et, comme il y obtint beaucoup de succès, sa famille, quoique très pauvre, lui fit achever ses études à Carthage. Il y avait même des personnes qui ne s'en tenaient pas là : l'enseignement qu'on donnait à Carthage, quelle qu'en fût la réputation, ne leur suffisait pas ; il leur fallait passer par les écoles de Rome. Une loi de Valentinien nous montre que les Africains y étaient fort nombreux et souvent très dissipés : l'empereur ordonne que, si on les voit trop au spectacle, s'ils fréquentent les festins qui se prolongent dans la nuit, si, en un mot, ils ne se conduisent pas comme l'exige la dignité des études libérales, on les embarque au plus vite pour les renvoyer chez eux[1].

Cette ardeur qu'on avait d'apprendre, ce prix qu'on attachait au savoir, nous en retrouvons la trace dans les inscriptions de l'Afrique comme dans les ouvrages des contemporains. Quand un père ale malheur de perdre son fils jeune, il ne manque pas de nous dire, dans son épitaphe, qu'il était en train de faire ses classes, qu'il est mort pendant qu'il étudiait à Carthage, qu'il était déjà devenu habile à bien parler[2]. A Calama (Guelma), un pauvre homme raconte tristement qu'il avait deux fils, qu'il les a fait étudier, in studiisque misit, mais qu'ils sont morts jeunes l'un et l'autre, et qu'après tant de dépenses il n'a pu jouir d'aucun d'eux[3]. A Mactaris, c'est le jeune homme qui prend la parole ; il nous apprend qu'il était chéri de ses maîtres, que, dès son enfance, il s'est livré avec passion à l'étude, qu'à quatorze ans il lisait les caractères sténographiques en grec — probablement ses parents le destinaient à être notarius, un métier fort important à cette époque —, et il ajoute, non sans quelque suffisance, qu'il savait bien parler, bien écrire, et bien peindre[4]. A propos d'autres, morts au même âge, on nous dit qu'ils connaissaient à merveille les deux langues savantes (le latin et le grec), qu'ils excellaient à composer des dialogues, des lettres, des idylles, qu'ils improvisaient sur un sujet proposé, et que, malgré leur jeunesse, ils attiraient la foule quand ils déclamaient[5].

Il est clair que Rome a dû encourager ce goût qui portait vers les études littéraires ses sujets d'Afrique. Tout ce qui les rattachait à la civilisation latine profitait à sa domination ; plus éclairés, plus lettrés, moins sauvages, ils devenaient plus soumis, ils étaient plus faciles à conduire. Tacite rapporte que son beau-père Agricola, un homme fort sensé, un très habile politique, après avoir vaincu les Bretons, acheva de dompter leur résistance en attirant dans les écoles les enfants de leurs chefs. Pour les encourager à s'instruire, il louait leur bonne volonté, il paraissait surpris de leurs progrès ; comme il savait qu'en toute chose ils étaient fort jaloux de leurs compatriotes, les Celtes du continent, il affectait de préférer l'esprit naturel des Bretons aux talents acquis des Gaulois. Enfin, ajoute Tacite, il fit si bien que des peuples qui d'abord méprisaient la langue latine, se passionnèrent bientôt pour les exercices de la rhétorique[6]. Cette tactique, qui leur était si avantageuse, les Romains ont dû l'employer partout, et partout elle a dû produire pour eux les mêmes résultats. Nous ne voyons pas pourtant qu'ils aient pris des mesures officielles, comme nous le faisons de nos jours, pour ouvrir des écoles et organiser l'enseignement dans les pays vaincus. Les empereurs favorisaient partout les professeurs d'éloquence ou de grammaire par des privilèges et des exemptions d'impôts ; ils fondaient quelques chaires de rhétorique ou de philosophie, à Rome par exemple ou à Athènes ; mais le plus souvent ils laissaient les villes prendre l'initiative de ces créations. Du reste, ils n'avaient pas besoin de s'en occuper : leur civilisation exerçait sur les peuples de l'Occident un attrait invincible. Pour les engager à parler la langue du vainqueur ou à lire les chefs-d'œuvre de sa littérature, comme â imiter sa façon de vivre, on n'a pas eu recours à la contrainte ; ils s'y précipitaient d'eux-mêmes. Quand on voit la passion qu'ils mettaient à s'instruire, il est impossible de prétendre qu'ils soient devenus Romains malgré eux.

Ce qui les a surtout conquis, c'est la rhétorique : elle ne jouit pas aujourd'hui d'une bonne renommée, et il nous est difficile de croire qu'elle ait jamais eu beaucoup d'importance. Il n'en est pas moins vrai qu'elle était l'âme de cette éducation qui s'est répandue dans le monde entier et qui a civilisé les nations les plus barbares. Il y a eu un temps où — de l'Atlas au Rhin et de l'Euphrate à l'océan Atlantique — on ne connaissait pas de plaisir plus délicat que d'entendre bien parler, où l'on tenait par-dessus tout à savoir les règles qui l'enseignent, où l'on regardait cette connaissance comme celle qui distingue le mieux le civilisé du sauvage. Le rhéteur grec ou latin suit les légions ; il va s'établir dans les pays qu'elles ont traversés et il en achève la conquête. La merveille, c'est que l'art dont il l'ait des leçons s'y acclimate si vite que les écoliers de la veille dès le lendemain sont des maîtres. L'Espagne, qui a si longtemps résisté aux armes romaines, dès le premier siècle produit des orateurs qui servent d'exemple à ceux de Rome, Porcius Latro, puis les Sénèques. La Gaule est si enchantée de l'art qu'on vient de lui apprendre qu'elle le répand chez les nations voisines ; c'est elle, nous dit Juvénal, qui a formé les orateurs de la Bretagne :

Gallia causidicos docuit facunda Britannos[7].

La Bretagne, à son tour, y prend tant de goût, que Thulé, l'île placée aux limites du monde, parle de se pourvoir d'un professeur d'éloquence :

De conducendo loquitur jam rhetore Thule[8].

L'Afrique aussi fait à la rhétorique un si bon accueil, elle l'étudie avec tant de complaisance, elle s'empresse tant autour des chaires où l'on enseigne, qu'au bout de quelques années le pays de Jugurtha et des Numides mérite d'être appelé par le même Juvénal une pépinière d'avocats, nutricula causidicorum[9].

 

II

Les écrivains latins nés en Afrique. — Apulée. — Ses premières années. — Voyage en Grèce. — Séjour à Rome. — Retour à Carthage. — Mariage d'Apulée. — L'Apologie. — Conférences d'Apulée. — Les Florides.

Ces avocats n'étaient pas seulement de ces grands hommes de province dont la réputation reste enfermée dans la ville où ils exercent leur profession. Quelques-uns passèrent la mer et firent à Rome même une grande figure. Le plus ancien dont il soit fait mention vivait vers le milieu du premier siècle, du temps de Vespasien et de ses fils. C'était Septimius Severus, le grand-père de celui qui devint empereur et fonda une dynastie. Il était né à Leptis, qui ne passait pas pour être une ville fort lettrée, ce qui ne l'a pas empêché de prendre une des premières places parmi les orateurs de Rome. Stace, dont il était l'ami, exprime l'opinion générale, quand il lui dit : Qui croirait jamais que Leptis, cachée au milieu des Syrtes, soit ta patrie ? Est-il possible d'admettre qu'un si charmant esprit ait passé ses premières années loin des collines de Romulus ? Et il ajoute ces mots, qu'on a eu l'occasion dans la suite d'appliquer à beaucoup d'autres personnes qui venaient du même pays que Severus :

Non germe pœnus, non habitus tibi,

Externa non mens : Italus, Italus[10].

Le nombre des lettrés africains qui se firent connaître à Rome augmenta vite. Quelques années plus tard, au début du siècle des Antonins, on comptait parmi eux le premier des orateurs du temps, Cornelius Fronto, né à Cirta, qui fut le maitre et l'ami de Marc-Aurèle, et un grammairien célèbre, Sulpicius Apollinaris, qui était de Carthage. Aulu-Gelle, qui les fréquentait tous les deux et les admirait beaucoup, nous les montre discourant ensemble, au Palatin, sur des sujets littéraires, pendant qu'ils attendent le lever de l'empereur. Ils pouvaient s'y rencontrer avec plusieurs de leurs compatriotes, Servilius Silanus d'Hippone, Eutychius Proculus de Sicca, Postumius Festus, Annius Florus et bien d'autres encore, qui étaient devenus aussi des personnages d'une certaine importance.

Si je voulais, dans le nombre, choisir celui qui me semblerait représenter le mieux la littérature africaine, je ne prendrais pas Fronton, malgré sa renommée, et quoiqu'il ait été regardé de son temps comme un chef d'école. Assurément Fronton n'oublia pas le pays d'où il était sorti ; nous le voyons accepter d'être patron de Calama et de Cirta, et il s'est chargé de remercier l'empereur, dans un discours pompeux, au nom des Carthaginois, qui avaient reçu de lui quelque faveur. Il est pourtant probable qu'une fois sa fortune faite, il est resté à Rome, où le retenaient sa grande situation et ses hautes amitiés. De bonne heure il a cessé d'être un provincial pour devenir un de ces grands personnages qui appartenaient à l'empire entier. Mais il y avait alors un autre écrivain presque aussi célèbre que lui, et qui est resté plus véritablement Africain : c'était Apulée. Sans doute Apulée mena une vie fort errante ; cependant une sorte d'attrait le ramenait toujours au pays natal, et il est dans la littérature celui qui doit en conserver le mieux le caractère.

Apulée était né dans une vieille ville numide, sur la frontière des Gétules, c'est-à-dire â quelques pas de la barbarie. Sa patrie, Madaura, dont on aperçoit les ruines quand on se rend par le chemin de fer à Tébessa, est située dans une vaste plaine, qu'arrosent de nombreux cours d'eau, et qu'entourent des collines boisées. Au-dessus de ces collines on aperçoit à l'horizon les montagnes pittoresques du cercle de Souk-Ahras ; et plus loin les crêtes dentelées des chaînes de la Tunisie. Les débris des grands monuments qui couvrent encore aujourd'hui le sol, indiquent que la ville devait être riche, importante et bien habitée. M. Gsell, qui l'a visitée récemment et y a recueilli beaucoup d'inscriptions, fait remarquer que, quoiqu'elle fût très ancienne et remontât au temps des rois numides, elle parait s'être ralliée de grand cœur à la domination des Romains[11]. Les noms berbères y sont beaucoup moins nombreux que dans la ville voisine de Thubursicum Numidarum (Khamissa) ; en revanche, on y rencontre des Julii, des Claudii, des Flavii, des Cornelii, des Munatii, les plus grands noms de Rome. C'était sans doute un des foyers de l'influence romaine dans la Numidie ; les lettres et les arts devaient y être cultivés. Le grand nombre des prêtres qu'on y trouve fait supposer qu'il y avait beaucoup de temples ; nous savons que, même à l'époque de Théodose, la ville était restée fort dévote et que les statues des dieux remplissaient le Forum. La famille d'Apulée y tenait une place considérable, et son père y avait occupé les plus hautes fonctions municipales. Il serait intéressant de savoir quelles étaient les véritables origines de cette famille, si elle descendait directement des anciens habitants du pays, ou si elle était venue du dehors s'y établir avec les vétérans que Rome y envoya quand elle en fit une colonie. Peut-être Apulée lui-même aurait-il eu quelque peine à nous le dire : après plusieurs siècles, les deux races s'étaient si bien mêlées ensemble qu'il n'était plus possible de les distinguer. Quoi qu'il en soit, il se regarde comme un Africain, et il lui arrive une fois de dire, quand il se targue de ses belles relations : J'ai connu beaucoup de grands orateurs de race romaine, multos romani nominis disertos viros cognovi[12], ce qui laisse entendre qu'il se regardait comme d'une autre race qu'eux. Il est bien probable aussi que le latin n'est pas la première langue qu'il ait parlée, puisqu'il fut forcé de l'apprendre à fond quand il vint habiter Rome.

Son père lui avait laissé deux millions de sesterces (400.000 fr.), ce qui lui permit de courir le monde pour s'instruire. Il alla d'abord à Carthage, où il apprit la rhétorique, qu'on y enseignait avec éclat, et fit connaissance avec la philosophie. C'est sans doute pour se perfectionner dans cette science que de Carthage il se rendit à Athènes, dont les écoles étaient alors très célèbres. Il y prit un goût si vif pour Platon que désormais il tint à s'appeler lui-même, en tête de ses ouvrages, le platonicien de Madaure. Mais la philosophie ne l'occupait pas seule : il étudiait avec elle l'histoire naturelle, l'astronomie et l'astrologie, la médecine, la musique, la géométrie. Il avait une passion d'apprendre qui s'étendait à tout ; il fallait qu'il cultivât à la fois toutes les branches des lettres et des sciences. Pour ne parler que de la littérature, il n'y a presque aucun genre qu'il ait négligé. Il écrivait des discours et des ouvrages philosophiques aussi aisément que des romans, des dialogues et des vers de toute mesure. On comprend qu'il ait été tenté de montrer tous ces talents, dont il était très fier, à la capitale de l'empire : c'était le rendez-vous des personnages importants ou distingués du monde entier, qui espéraient s'y faire remarquer ; on y venait de partout, par curiosité ou par ambition, pour jouir des spectacles qu'elle donnait ou pour s'y donner soi-même en spectacle. On comptait bien, si l'on n'était pas un sot, y améliorer sa situation ou sa fortune. Apulée, qui se décida, comme les autres, à faire ce voyage, nous en parle avec une sorte de solennité ; il a soin de noter, comme une date importante de sa vie, que c'est la veille des ides de décembre qu'il fit son entrée dans la ville sainte[13]. Il y arrivait assez pauvre. Les voyages coûtent cher ; son séjour dans les écoles de Carthage et d'Athènes avait fort diminué sa fortune ; il nous dit qu'il s'était ruiné à subvenir aux besoins de ses amis et de ses maîtres, et même à doter leurs filles. Peut-être aussi n'a-t-il pas toujours mené une existence régulière. Nous savons qu'il avait fait des vers d'amour, ce qui paraissait peu séant à un philosophe et suppose des habitudes assez dissipées. Il lui fallut donc, dans la grande ville, gagner sa vie et tirer profit de ses talents. Il acheva d'abord de s'y rendre maitre du latin, qu'il parlait assez mal, puis il se fit avocat. Ce métier lui réussit bien et lui permit de vivre à l'aise ; pourtant il ne lui donna pas la fortune, comme à d'autres. Quelques années plus tard, dans le discours qu'il composa pour se défendre, il est obligé de convenir qu'il est pauvre ; mais il s'en console en rappelant que la pauvreté a toujours été la compagne fidèle de la philosophie, et qu'elle est la mère de toutes les vertus, tandis que la fortune a le défaut d'entretenir tous les vices[14].

Je suis tenté de croire que c'est pendant son séjour à Rome qu'il a composé ses Métamorphoses[15]. D'abord il le laisse lui-même entendre quand il nous dit en commençant son récit qu'il y a peu de temps qu'il a quitté Athènes[16] ; ensuite ce moment de sa vie est celui où l'ouvrage parait le mieux à sa place. On voit bien, quand on le lit avec soin, qu'il marque une sorte de crise dans son existence. Après beaucoup d'égarements, il vient d'être l'objet de la faveur divine : Osiris a daigné lui apparaître et lui parler ; en échange, il s'est, comme il le dit, enrôlé dans la milice sainte, il est devenu pastophore, et même l'un des chefs du collège. C'est le moment où il convient qu'il rende témoignage aux dieux en raton tant les fautes qu'il a commises et le généreux pardon qu'il en a reçu. Plus tard, quand il sera devenu tout à fait un homme grave et une sorte de prêtre, il ne sera plus de saison pour lui de confesser ses aventures légères et ses curiosités coupables. La composition des Métamorphoses, si nous la plaçons à cette époque de sa vie, la sépare en deux : l'âge de la dissipation est passé, il va se consacrer désormais sans partage à rendre témoignage aux dieux et à prêcher la sagesse.

Cette sorte d'apostolat qu'il s'imposait, c'est dans son pays qu'il voulait l'exercer. Il quitta Rome et se fixa probablement à Carthage. — C'est ainsi que son compatriote saint Augustin, après avoir reçu le baptême à Milan, revint en Afrique pour y servir le Dieu auquel il venait de se consacrer. — Mais il n'est pas vraisemblable qu'Apulée soit resté confiné dans la ville où il faisait sa résidence ordinaire : comme il parait avoir toujours été d'humeur vagabonde, il a dû s'en éloigner souvent pour visiter les pays voisins. C'est dans l'une de ces excursions qu'il lui arriva une aventure qui fit grand bruit et nous a valu l'un de ses meilleurs ouvrages.

Il était parti pour Alexandrie, quand en route, dans la ville d'Œa (Tripoli), il retrouva un de ses anciens camarades d'Athènes qui le retint au passage et lui donna l'occasion de se faire entendre et applaudir. Apulée, charmé de l'accueil qu'il recevait, resta quelques jours, puis quelques mois, et finit même par se laisser marier à la mère de son ami, une riche veuve, qui s'était éprise du jeune sage. Par malheur, la discorde se mit bientôt dans la famille ; les fils de la veuve, qui paraissaient d'abord s'être réjouis d'avoir Apulée pour beau-père, effrayés de voir l'ascendant qu'il prenait sur sa femme et craignant pour leur fortune, l'accusèrent d'avoir employé des maléfices pour se faire aimer. Il avait beau répondre que cet amour s'expliquait le plus naturellement du monde, qu'une femme, qui n'était plus jeune et qui n'avait jamais été belle[17], pouvait bien s'éprendre d'un brillant jeune homme, que ses ennemis accusaient d'être trop beau garçon pour un philosophe, sans qu'on soupçonnât d'autre maléfice que sa figure et son esprit ; il n'en fut pas moins traîné devant les tribunaux. C'était une grave affaire : la loi romaine traitait sans pitié les magiciens. Heureusement les raisons que donnaient les ennemis d'Apulée pour l'accuser étaient ridicules, et il n'eut pas de peine à les réfuter. Il gagna vraisemblablement sa cause devant les juges ; mais j'imagine que le public ne dut pas être tout à fait convaincu de son innocence. Un homme qui savait tant de choses, qui disséquait des poissons, qui magnétisait les enfants, qui guérissait les femmes épileptiques, lui était suspect. Malgré le charmant discours d'Apulée, il conserva des doutes ; et, qui sait ? peut-être Apulée lui-même tenait-il à les lui laisser : il ne devait pas déplaire à ce vaniteux de passer pour un homme qui a des pouvoirs secrets et qui au besoin peut faire des miracles.

La grande occupation d'Apulée, pendant la seconde moitié de sa vie, paraît avoir été de prononcer de beaux discours, mêlés d'éloquence et de philosophie, devant les gens lettrés de l'Afrique. Nous n'en avons conservé aucun entièrement, ce qui est dommage ; mais il nous reste un petit livre qui nous en donne une idée. C'est une sorte d'anthologie (Florida), et comme un bouquet formé des plus belles fleurs de sa rhétorique. Celui qui a composé ce recueil n'était pas un homme de goût et un esprit bien sûr ; il s'est plus d'une fois laissé prendre à de faux brillants ; il admirait plus que de raison les assonances et les antithèses ; mais il faut beaucoup lui pardonner, puisque, après tout, il nous permet de nous rendre compte de ce qu'on pourrait appeler l'enseignement d'Apulée.

Il n'avait pas véritablement des élèves, et ne faisait pas des leçons suivies et régulières. Nous dirions aujourd'hui qu'il donnait des conférences. Les conférences étaient alors fort à la mode : nous venons de voir qu'on avait, dans tout le monde romain, la passion d'entendre bien parler. Lucien, vers la même époque, parcourait la Gaule et l'Italie, charmant les lettrés des grandes villes par ses brillantes déclamations, et trouvait moyen d'en rapporter beaucoup de renommée et assez d'argent. Le sujet des conférences d'Apulée devait être emprunté d'ordinaire à la philosophie : nous avons vu qu'il faisait profession d'être un disciple de Platon ; ce qui ne l'empêche pas. quand il parle, de donner au moins autant d'importance au style qu'aux idées. Sa philosophie — c'est lui qui nous l'apprend — a pour mission d'enseigner à bien parler comme à bien vivre : Disciplina regalis tam ad bene dicendum quam ad bene vivendum reperta[18] ; et c'est surtout de bien parler qu'il parait se préoccuper. Il sait que ce mérite est celui qu'exigent avant tout ceux qui viennent l'entendre ; il est probable qu'ils seraient assez indifférents à quelque erreur de doctrine, mais on peut être sûr qu'ils ne souffriraient pas de faute de langage. Qui de vous, leur dit-il, me pardonnerait de faire un solécisme ? qui ne se fâcherait si je prononçais mal uni seule syllabe ?[19] Nous voilà édifiés sur les dispositions des auditeurs d'Apulée : la philosophie servait de prétexte, mais c'était bien à un exercice de rhétorique qu'ils venaient assister.

On se réunissait un peu partout, dans les maisons particulières, dans les temples, dans les basiliques ; à Carthage, c'était au théâtre. On peut être choqué d'abord que pour une leçon de philosophie on ait choisi un théâtre, mais Apulée nous rassure. Le lieu en lui-même, nous dit-il, est indifférent ; il ne faut pas se demander où l'on est, mais ce qu'on vient voir et entendre : l'intention purifie tout. Si c'est un acteur de même, il vous fera rire ; si c'est un funambule, il vous fera trembler ; le comédien vous amusera, mais avec le philosophe vous vous instruirez[20]. N'importe ! voilà le philosophe dans une étrange compagnie. La vérité, c'est qu'il n'y avait pas d'autre salle assez grande pour contenir ceux qui voulaient entendre Apulée, et le théâtre même avait peine à y suffire. Ce grand auditoire le rend très fier. Il ne néglige pas de nous dire qu'aucun philosophe avant lui n'avait réuni autant de monde, et de faire des tableaux amusants de tous ces gens qui se poussent et se serrent, sans parvenir toujours à se placer.

Du reste, le succès d'Apulée est fort aisé à comprendre. Il avait beaucoup d'esprit, il parlait fort bien ; il plaisait aux gens de son temps par ses qualités et par ses défauts. Personne ne savait comme lui tourner une phrase et enchâsser les mots dans la période de façon à charmer l'oreille. C'était un concert qu'il donnait au peuple de. Carthage toutes les fois qu'il se faisait entendre. Ajoutons que l'homme est chez lui aussi séduisant que l'orateur. C'est bien son portrait qu'il a voulu faire quand il parle, dans ses Métamorphoses, de ce jeune homme qui est grand sans être long, mince sans être grêle, coloré sans être rouge ; de cette chevelure blonde qui n'a pas besoin d'artifice pour être bien ordonnée ; de ces yeux pleins de vie et qui lancent des regards d'aigle ; de ce visage où se peint la fleur de la jeunesse ; de cette démarche à la fois noble et naturelle[21]. Ce beau garçon se piquait d'avoir des manières élégantes. Il parle assez légèrement des philosophes mendiants, qui couraient le monde avec la besace et le bâton, se faisant pauvres pour mieux prêcher les pauvres[22] ; lui ne se soucie de connaître que les gens bien posés ; il est l'ami des magistrats les plus importants de la cité, il fréquente le proconsul : il faut bien qu'il soit toujours mis avec soin pour ne pas déparer cette compagnie. On lui reproche même d'être un peu trop recherché dans sa toilette, ce qui paraît peu conforme à la gravité philosophique. On l'accusa un jour, comme d'un crime, d'avoir fait des vers en l'honneur de la poudre dentifrice[23] : à quoi il répond gravement que, puisqu'on se lave les pieds, il ne peut pas être criminel de se laver les dents. Un dernier attrait que présente la philosophie d'Apulée aux gens de cette époque, c'est qu'elle est fortement teintée de mysticisme. Ce rhéteur est aussi un prêtre ; il parle toujours des dieux avec onction et il en parle le plus qu'il peut ; comme il n'a guère dans son auditoire que des dévots et des lettrés — tout le monde l'était alors, — ses auditeurs sont ravis de l'entendre mêler des prières à des tours de force de rhétorique. Un jour qu'il voulait célébrer Esculape, la grande divinité. des Carthaginois, dont le temple, bâti sur le sommet de Byrsa, dominait la ville, il récita un dialogue où les interlocuteurs s'exprimaient alternativement en grec et en latin, et finit par un hymne dans les deux langues. De la rhétorique et de la dévotion ! du latin et du grec ! de la prose et des vers ! qu'on juge de quels applaudissements dut retentir ce jour-là le théâtre de Carthage ![24]

On ne s'est pas contenté d'applaudir Apulée : nous savons qu'on lui a élevé plusieurs statues, à Carthage et ailleurs. Il a été nommé prêtre de la province, ce qui est, dit-il, le plus grand honneur qu'on puisse obtenir[25]. Je ne sais pas pourquoi saint Augustin s'étonne qu'avec sa naissance, son talent, sa magie, il n'ait pas pu arriver à occuper quelque fonction judiciaire dans son municipe[26]. Je suppose qu'il ne s'en est pas soucié. On ne voit pas, en effet, ce qu'un homme qu'on regardait comme le plus grand orateur de son temps, et dont son pays était fier, aurait gagné à devenir décurion ou duumvir à Madaura.

 

III

Les Métamorphoses. — Sujet du roman. — Quel en est le héros ? — Apulée et Pétrone.

Je reviens au roman d'Apulée, dont je n'ai dit qu'un mot : c'est le plus important de ses ouvrages, il convient de s'y arrêter.

Le sujet en est pris d'un conte grec, assez simple, dont il y avait plusieurs versions. C'est l'histoire d'un jeune curieux qui a vu par hasard une magicienne, en se frottant d'une certaine pommade, se changer en oiseau et s'envoler dans le ciel ; il veut l'imiter, mais, s'étant trompé de flacon, il se trouve métamorphosé en âne. Heureusement il sait qu'il pourra reprendre la forme humaine en mâchant des roses. Son mauvais sort veut qu'il ait beaucoup de peine à en trouver, ce qui retarde sa délivrance. Les aventures auxquelles il assiste jusqu'au jour où sa figure lui est rendue sont le fond du roman. Sur cette trame assez mince, l'auteur a brodé toutes sortes de récits étrangers, qu'il a pris partout. L'accessoire devient le principal, et. pour ne parler que de l'un de ces récits, le plus charmant de tous, l'histoire de Psyché et de l'Amour tient à elle seule le tiers de l'ouvrage. Ces éléments divers ne sont pas toujours bien fondus ensemble ; ils ont quelquefois un caractère très différent les uns des autres : par exemple, il s'y trouve des histoires plus que légères, avec une fin de haute dévotion. L'ensemble n'en est pas moins très piquant et fort agréable. L'Âne d'or, pour lui donner son nom populaire, a dû être, au IIe siècle, un livre a la mode. Il est probable qu'on le dévorait, mais en cachette, sans oser le dire, et Septime Sévère reproche à son compétiteur Clodius Albinus, Africain comme lui et comme Apulée, d'en avoir fait sa lecture favorite[27].

Ce roman a le défaut de nous jeter tout d'abord dans un doute dont il n'est pas aisé de sortir. C'est le héros de l'aventure qui nous la raconte lui-même ; mais ce héros, quel est-il ? Il nous dit en commençant qu'il s'appelle Lucius et qu'il est né à Patras, en Thessalie. C'est bien en effet le nom que lui donne l'original grec d'où l'histoire est tirée. Mais aussitôt ce Thessalien ajoute, comme pour nous dérouter, qu'il descend de Plutarque, qui, nous le savons, était Béotien et né à Chéronée. Puis il nous apprend qu'il est allé à Rome, qu'il y a péniblement appris le latin ; et même il demande qu'on lui pardonne s'il ne le parle pas toujours d'une manière irréprochable : toutes choses dont le grec ne dit pas un mot. L'idée nous vient alors que l'auteur pourrait bien mêler sa propre histoire à celle de son fabuleux Lucius ; et, en effet, l'assimilation est complète à la fin. Le Thessalien a disparu, et l'on nous dit positivement que c'est l'homme de Madaura, Madaurensis, c'est-à-dire Apulée lui-même, qu'Isis, après l'avoir délivré, accueille dans sa milice sacrée[28]. Mais alors, si c'est à lui que la déesse a rendu la figure humaine, c'est lui aussi qui l'a perdue, c'est lui qui a été l'amant de Photis, lui qui a surpris les secrets de la vieille magicienne et que son imprudence a exposé à tant de hasards. On n'a donc pas eu tout â fait tort de confondre Apulée avec Lucius et de lui en attribuer les aventures. Évidemment il lui a plu de laisser planer sur toute cette histoire une équivoque dont il lui a semblé que sa réputation profiterait. de disais tout à l'heure que, s'il a cru devoir se défendre devant les juges d'être un magicien, pour éviter les peines de la loi, il n'était pourtant pas fâché qu'il en restât quelque soupçon. Les Métamorphoses achèvent de le prouver. Il pensait sans doute que, dans l'avenir, ce renom donnerait à sa physionomie une auréole particulière, et c'est ce qui est arrivé.

Par ce bizarre calcul d'amour-propre, par cet appétit d'une renommée extraordinaire, Apulée diffère tout à fait de Pétrone, auquel on est naturellement conduit à le comparer. La littérature romaine n'a eu que deux romanciers, Pétrone et lui, et ils ont conçu le roman à peu près de la même manière : chez tous les deux, l'intrigue principale est peu de chose, et tout l'intérêt consiste dans les incidents qu'ils y ont ajoutés. Ces incidents, l'un et l'autre les empruntent aux conteurs grecs, surtout aux fables milésiennes. Mais, si les procédés sont à peu près les mêmes, l'œuvre est très différente : jamais deux romanciers ne se sont moins ressemblés. Apulée se met en scène le plus qu'il peut et prend volontiers de grands airs ; il veut qu'on partage la bonne opinion qu'il a de lui-même, qu'on sache qu'il est un grand orateur, qu'on-soupçonne qu'il peut être un magicien. Il se présente comme un protégé des dieux et raconte les faveurs dont ils l'ont comblé. Pétrone est tout le contraire : il ne parle jamais de lui, et met autant de soin à se cacher que l'autre a de souci de se faire voir. Ce n'est pas qu'on ne soupçonne par moments ses sentiments véritables. On voit bien, par exemple, qu'il déteste les rhéteurs, les pédants, les gens d'école, c'est-à-dire ceux pour lesquels Apulée se sent un goût particulier. Il est plein d'esprit et de verve quand il les attaque. Une ironie agréable et légère court à travers tout son livre ; il n'épargne personne, et pas plus lui que les autres. On a remarqué que ses idées sur la décadence des arts, sur la poésie épique, sur les dangers de la déclamation, auxquelles il semble tenir beaucoup, il les met dans la bouche d'un poète ridicule, qui les discrédite en les exprimant. Il voulait sans doute éviter le travers de paraître un homme trop plein de lui-même, trop confiant et trop obstiné dans ses opinions. Ce qui est curieux, c'est que, des deux, celui qui ne se pique pas de philosophie, qui ne prend pas sur ses livres le titre de platonicien, s'est trouvé être l'observateur le-plus sagace et le moraliste le plus profond. Quel tableau il nous a fait du luxe extravagant des affranchis, et comme il a vengé les grands seigneurs de la sotte fatuité des parvenus ! Quelle image amusante de cette course aux héritages qui est, à Home, le métier de tant de personnes ! Et quand il descend plus bas encore, dans ces étages inférieurs qu'il n'avait fait qu'entrevoir, comme il les a vite saisis et dépeints ! Quelle vérité dans la façon dont il fait parler ces petits ouvriers et ces importants de village ! comme il reproduit leur' langage et leurs idées ! Il est sûr qu'il n'y a rien d'aussi vivant et d'aussi profond dans Apulée. Son observation reste toujours à la surface, et quelque amusante que soit son œuvre dans son ensemble, il ne s'en détache pas des personnages qui deviennent des types, comme Trimalchion.

Mais ce qui diffère le plus chez eux, c'est leur façon d'écrire. Il n'y a pas de style qui soit à la fois plus agréable et plus aisé que celui de Pétrone. Chez lui, rien de guindé, de gourmé, d'affecté ; point d'emphase ni de rhétorique ; l'esprit y coule de source ; même les grâces un peu maniérées de ses entretiens d'amour y ont un air naturel, tant elles reproduisent exactement le langage de la société de l'empire. Cicéron dit de certaines personnes de son temps, hommes et femmes, qu'elles parlaient bien presque sans le vouloir, en tout cas sans le chercher, uniquement parce qu'elles avaient toujours entendu bien parler ; il en est de même de Pétrone : c'est un bon écrivain de naissance et d'habitude. Apulée, au contraire, est un provincial, presque un étranger ; le latin n'est pas la première langue dont il se soit servi, il lui a fallu l'apprendre, il ne la parle pas de nature, et l'on s'en aperçoit bien. Il y a chez lui, pour exprimer sa pensée, un effort et un travail, souvent heureux, toujours visibles, qui contrastent avec l'aimable facilité de Pétrone. Tandis que l'un parle le latin de tout le monde, en le parlant mieux que personne, on trouve à tout moment chez l'autre des expressions et des tours qui nous déroutent et ne paraissent pas appartenir à la langue commune.

Voilà ce qui jette dans une grande surprise ceux qui sont habitués à la lecture des écrivains ordinaires et donne un air étrange à l'ensemble de l'œuvre d'Apulée. Il semble qu'on y démêle, à côté, de ce qui est véritable-. ment romain, des éléments d'une origine exotique, et l'on se demande d'abord d'où ils ont pu lui venir. C'est ce qu'il n'est pas aisé de dire, et ce qu'il serait pourtant important de connaitre. On va voir que cette question a été résolue de diverses façons.

 

IV

Que doit Apulée à son pays ? — Où a-t-il pris les aventures qu'il raconte ? — D'où vient la langue qu'il parle ? — Lutte de l'école contre les patois. — Le latin d'Apulée. — La littérature africaine.

On est tout d'abord tenté de croire que, puisqu'il est Africain de naissance, il doit avoir emprunté à l'Afrique ce qu'il ne tient pas de Rome. C'est en effet l'opinion générale, et l'un des derniers écrivains qui se sont occupés d'Apulée, M. Monceaux, trouve qu'il reproduit bien l'image de son pays natal, et qu'il aurait l'air d'un Bédouin dans un congrès de classiques.

Est-ce bien vrai ? Je ne le crois pas. Pour le fond même de son ouvrage, ce Bédouin a pris la peine de nous apprendre aussi clairement que possible à quelle source il avait puisé. Il nous dit, en commençant son roman, qu'il va nous raconter une histoire grecque : fabulam græcanicam incipimus. Nous savons en effet que les aventures de Lucius de Patras avaient une certaine popularité en Grèce ; il n'est pas douteux non plus que les amours de Psyché n'aient la même origine ; et parmi les autres récits, qui sont plus courts et moins importants, en est-il un seul qu'on puisse soupçonner d'être d'origine africaine ? Il aurait pu à la rigueur les emprunter aux gens de son pays : les Numides devaient être aussi avides de ces sortes de fables que le sont leurs descendants, et l'on a fait de nos jours des recueils de contes kabyles, dont plusieurs peuvent remonter très haut. Mais ceux d'Apulée viennent d'ailleurs ; il ne les a pas entendus dans les veillées des mapalia. Pour que nous sachions où il est allé les prendre, il les appelle lui-même des fables milésiennes. Elles ont couru le monde pendant toute l'antiquité, ces fables charmantes, et l'on peut dire que leur voyage dure encore : si quelques-unes sont entrées dans les littératures modernes, grâce à Boccace et à La Fontaine, d'autres circulent plus obscurément dans la mémoire fidèle du peuple ; elles passent d'un pays à l'autre, par des chemins que nous ne savons pas, se modifiant, se renouvelant et se répétant sans cesse. Pétrone avait déjà puisé à cette source intarissable. Il leur doit la Matrone d'Éphèse, l'un des chefs-d'œuvre de la littérature légère. Apulée, qui a moins de grâce et de finesse que Pétrone, leur a fait aussi des emprunts fort agréables : le Cuvier, imité depuis par La Fontaine, et les Pantoufles de Philœtère sont des contes fort amusants, et dont on reconnaît du premier coup la provenance. Il en est de même des personnages dont il nous fait l'histoire : ces maris trompés, ces femmes légères, ces aventuriers, ces voleurs de grand chemin, ils viennent tous en droite ligne de la Grèce. Ce n'était pas une raison pour qu'ils parussent dépaysés en Afrique. Les Africains, depuis les rois numides, avaient fait un bon accueil aux lettres grecques et s'étaient familiarisés avec elles. On parlait grec couramment dans toute la Province proconsulaire[29] ; du côté des frontières de l'Égypte, vers la Byzacène, c'était la langue préférée des honnêtes gens ; peut-être s'en servait-on plus familièrement que du latin à Madaura et dans la famille d'Apulée. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait connu de bonne heure cette charmante littérature, qu'il en ait reçu tout d'abord une très vive impression, et qu'il en ait eu l'esprit très occupé quand il commença d'écrire. Comme elle était toujours devant ses yeux, il est tout naturel qu'il l'ait presque partout imitée.

Voilà pour le fond de ses ouvrages : il est grec ; et je ne crois pas qu'avec la meilleure volonté du monde on y puisse rien découvrir d'africain. Quant au style, c'est une question plus compliquée. Ici encore il imite beaucoup le grec ; mais n'imite-t-il pas autre chose ? Songeons qu'autour de lui on parlait le punique et le libyque ; ces idiomes sont probablement les premiers qui aient frappé son oreille, et depuis il n'a jamais cessé tout à fait de les entendre. N'est-il pas vraisemblable qu'ils aient eu quelque influence sur sa façon de parler et d'écrire ? Il est si naturel de le croire, que déjà les savants de l'antiquité cherchaient des traces de punique dans le langage des Africains. Ceux de nos jours, avec plus de patience et des méthodes perfectionnées, ont repris le même travail ; mais ni les uns ni les autres n'ont eu beaucoup de succès dans leurs recherches : ce qu'on prétend venir des patois sémitiques est tout à fait insignifiant ou n'a pas l'origine qu'on suppose. En somme, les tournures et les expressions qui reviennent le plus souvent chez Apulée et qui caractérisent son style, quand on les regarde de près, s'expliquent naturellement par le latin et le grec sans qu'on ait besoin d'avoir recours à d'autres langues[30] ; d'où l'on est amené à conclure que le libyque et le punique qu'il a entendu parler dans son enfance, qu'il a peut-être parlés lui-même, n'ont rien ou presque rien introduit de leurs idiotismes dans le latin parfois étrange dont il s'est servi.

Pour n'en être pas trop surpris, souvenons-nous de l'importance que les écoles ont prise en Afrique. Or l'école est presque partout la mortelle ennemie des patois : le maitre, fier de son savoir, et toujours un peu pédant et solennel, ne souffre pas que le beau langage qu'il enseigne soit gâté par les expressions populaires ; il monte la garde autour de lui, et veut le préserver surtout des ennemis les plus voisins, qui sont les plus dangereux. Dans cette lutte, qui recommence tous les jours, il a des alliés et des complices. La famille du jeune homme travaille, elle aussi, à faire la chasse aux expressions malsonnantes qui peuvent lui échapper. Comment pourrait-elle les souffrir, puisqu'en les employant on laisse croire qu'on est un homme mal élevé, qu'on n'a pas l'usage du monde, et qu'on a trop fréquenté le village ou l'antichambre, ce qui est un travers que la société distinguée ne pardonne pas ? Il faut vraiment avoir vécu dans les pays où les patois luttent tant bien que mal contre les dédains de la bonne compagnie pour savoir avec quel acharnement on leur fait la guerre et comprendre comment il arrive que les gens du monde parviennent à s'en préserver. Il est probable que les préjugés qui règnent chez nous existaient déjà dans l'Afrique lettrée du second siècle, et que les maîtres d'école et les pères de famille s'y accordaient aussi à combattre l'influence des vieilles langues indigènes. Apulée parait avoir tout à fait partagé le mépris qu'on témoignait pour elles. Il dit quelque part, pour flétrir un jeune homme mal élevé, qui fuyait l'école et fréquentait les gladiateurs : Il ne parle jamais que punique ; c'est à peine s'il se sert par moments du grec qu'il a appris de sa mère. Quant au latin, il ne veut pas et ne sait pas en ser[31].Voilà qui est clair : il pense qu'un homme comme il faut ne peut pas parler le punique. Il est donc naturel qu'il ait fait tous ses efforts pour qu'on n'en trouve aucune trace dans son latin.

Assurément ce latin n'est pas celui de tout le monde, il suffit de parcourir quelques pages de ses livres pour s'en apercevoir. Mais ce qu'il a d'original, et même parfois de bizarre, s'explique aisément quand on se souvient de la manière dont son éducation s'est faite. Il nous raconte, nous l'avons dit, qu'à Rome, quand il était déjà homme fait, il se perfectionna dans l'usage du latin, et il ajoute, ce qui est très important, qu'il l'apprit sans maître[32]. Cette étude faite librement, un peu au hasard, par un esprit très indépendant, dut laisser dans ses connaissances quelque chose de capricieux et de désordonné. Il ne suit pas volontiers les règles ordinaires ; sa façon d'écrire, toute personnelle, est celle d'un homme qui s'est formé seul. Cependant il ne faudrait pas croire que tout  ce qui semble être à lui appartienne entièrement. Il se souvient souvent quand il parait inventer, et il entre beaucoup d'érudition dans son originalité.

Pour les mots, par exemple, aucun écrivain, je crois, n'a pris plus de plaisir que lui à en accumuler d'étranges, de surprenants, d'inconnus ou de peu connus. Son vocabulaire est d'une richesse merveilleuse. On dirait que ce Romain de fraiche date tient à montrer qu'il dispose d'une langue plus variée, plus abondante que celle des vieux Romains. Mais ces mots qui semblent nouveaux ne sont le plus souvent que des termes anciens qu'il a rajeunis[33] : c'était alors la grande mode. Quant à ceux qu'il crée de toutes pièces, et qui sont beaucoup plus rares chez lui qu'on ne le croit, il les forme très régulièrement et d'après les procédés habituels. Souvent il en réunit deux ensemble et en compose un nouveau qui exprime d'une façon plus vive et plus rapide ce qu'il veut dire. C'est ainsi qu'il appelle les caresses intéressées des courtisanes des baisers qui demandent de l'argent, oscula poscinummia. On a remarqué qu'il aime aussi beaucoup à employer les diminutifs. Dans une certaine phrase des Métamorphoses, on en trouve huit en deux lignes, ce qui est vraiment un peu trop, sans compter les diminutifs de diminutifs, comme tantillulum ou pullulus, qui ne lui déplaisent pas. Il en tire souvent des effets fort agréables, comme, par exemple, quand, à propos d'une femme qui désire un beau garçon, il nous dit qu'elle le mordille des yeux, ou qu'il nous fait savoir par un seul mot qu'une matrone est aux petits soins pour lui : Me matrona curitabat. A la longue pourtant cette affectation de petits mots caressants donne à ce style quelque chose de prétentieux et de mignard ; mais cette façon d'écrire était alors très ordinaire, et Apulée n'a fait qu'exagérer ce qu'il voyait faire par des auteurs en renom.

Il n'est donc pas tout à fait un isolé et un barbare, qui marche seul parmi les écrivains de son temps. En réalité, il suit à sa façon les modes du jour. N'allons pas croire surtout qu'un homme aussi fier qu'il l'était de son éducation gréco-romaine ait jamais eu l'idée, pour ne ressembler à personne, d'aller chercher dans des idiomes grossiers, à l'usage des paysans, les expressions dont il voulait orner ses ouvrages. Il les prend aux langues classiques, au grec et au latin, ou, s'il éprouve le besoin d'en créer de nouvelles, il suit, pour les former, les procédés ordinaires, ceux par lesquels le latin s'était peu à peu renouvelé et enrichi. Seulement, comme il était un esprit fougueux, excessif, qu'il avait appris lui-même et seul la langue dont il se servait, et que d'ailleurs il ne vivait pas dans un milieu de vieux Romains, imprégnés du génie de leur langue et qui pouvaient imposer quelque retenue à un novateur téméraire, il employa ces procédés sans discrétion ; de là il est résulté un style souvent étrange, mais qui, quoi qu'on en ait dit, n'a rien d'étranger[34].

Avec Apulée commence ce qu'on appelle la littérature africaine. Ce nom est juste et mérité si l'on veut dire simplement que, pendant quatre siècles, l'Afrique a produit sans interruption une suite d'auteurs de talent qui ont écrit en latin. Mais, si l'on entend que ces écrivains se ressemblent, qu'ils ont les mêmes caractères et forment un groupe compact, assurément on se trompe. A la rigueur, je saisis bien chez eux quelques traits communs, qui leur donnent un air de famille. Par exemple, je vois qu'Apulée, saint Cyprien, Arnobe, Lactance, saint Augustin, c'est-à-dire les plus grands, ont été des rhéteurs de profession, et que la rhétorique a mis sur tous sa marque ; mais il en est de même ailleurs : partout les écrivains qui n'ont reçu que l'éducation du monde deviennent rares, et c'est l'école qui de plus en plus recrute la littérature. Je remarque aussi que ces rhéteurs africains sont en même temps des dévots : Apulée fréquente tous les temples, se fait initier à tous les mystères et s'enrôle dans la milice d'Isis ; les autres sont des chrétiens fervents, des prêtres, des évêques, des défenseurs de leur foi. Mais par là encore ils ne se distinguent guère des écrivains des autres pays : il n'y a plus partout que des croyants, et le temps approche où les prêtres et Tes moines seront presque les seuls qui sauront écrire. Ainsi les côtés par lesquels ils se ressemblent entre eux sont ceux aussi qui leur sont communs avec les écrivains des autres nations. Pour le reste, il leur arrive souvent de différer beaucoup les uns des autres ; en sorte que, si l'on voulait définir par ses caractères généraux la littérature africaine, on se trouverait assez embarrassé. Dirons-nous, comme on l'a fait quelquefois, que les écrivains nés sous ce ciel de flamme se reconnaissent à leurs violences, que ce sont des génies fougueux, intempérants, incapables de se diriger et de se contenir ? C'est bien le caractère de Tertullien ; mais, en revanche, saint Cyprien est un sage, un modéré, un politique, parfaitement maître de lui et qui incline toujours vers les solutions raisonnables. Si Apulée paraît un romantique à la recherche des images brillantes et des expressions extraordinaires, qui se moque de la grammaire et de l'usage, Lactance veut passer pour un classique pur ; il affecte d'imiter les phrases et de reproduire les expressions de. Cicéron. Quant à saint Augustin, il ne ressemble exactement à aucun autre, et quelquefois il ne se ressemble pas à lui-même, tant il y a de différence entre certains de ses écrits, par exemple entre les Dialogues philosophiques et les Confessions, les Soliloques et la Cité de Dieu. Peut-être convient-il de conclure que ces diversités mêmes sont ce qui caractérise le mieux la littérature africaine. On a remarqué que les écrivains de la Gaule, pour ne parler que de ceux-là ont entre eux plus de traits de ressemblance. Ils cherchent à bien écrire, c'est-à-dire à écrire comme ceux qui écrivent bien ; et, comme ils travaillent sur les mêmes modèles, ils se rapprochent les uns des autres. Ce sont des gens de bon sens, qui se tiennent loin des excès, et veulent être, autant qu'ils le peuvent, simples, clairs, réguliers, corrects. Ceux de l'Afrique ne paraissent pas avoir les mêmes scrupules. Là chacun écrit à sa manière et selon ses goûts. Ils sont en général moins soucieux d'élégance et de tenue, plus dégagés des règles, plus personnels, et s'abandonnent davantage à leur génie propre. C'est, je crois, leur véritable originalité.

 

V

La poésie latine en Afrique. — Inscriptions en vers. — L'Anthologie.

M. Mommsen fait remarquer que l'Afrique, qui est si riche en grands orateurs, n'a pas eu de vrais poètes. Ce n'est pas que la poésie y fût dédaignée ; au contraire, on a eu de bonne heure un goût très vif pour elle. Dès l'époque d'Auguste, on s'y mettait au courant des dernières productions poétiques et on tenait à les connaître. Horace nous dit que, quand leur première vogue était passée à Rome, on les empilait dans un navire et on les faisait partir pour Ilerda ou pour Utique[35] : les libraires étaient sûrs qu'en Afrique ou en Espagne ils trouveraient toujours à les vendre. Et non seulement les Africains aimaient beaucoup la poésie, mais ils la pratiquaient volontiers. Ce pays est celui peut-être où l'on a recueilli le plus d'inscriptions en vers. J'ai déjà rapporté qu'à Cillium, dans la Byzacène, le fils d'un vieux soldat, T. Flavius Secundus, qui était devenu un personnage dans son municipe et prêtre de la province, eut l'idée d'élever une belle tombe pour sa famille. C'était une pyramide très haute, avec plusieurs rangs de gradins superposés, des bas-reliefs, des colonnes qui semblaient suspendues en l'air. Au sommet de l'édifice, un coq battait des ailes ; sur le flanc, la pierre, percée de petits trous, logeait des essaims d'abeilles. Ce monument, qui devait faire l'admiration des gens du pays, et dont Secundus était très fier, ne lui semblait pas complet tant qu'il n'y avait pas fait inscrire quelque belle poésie. Un lettré de ses amis, qu'il en pria sans doute, composa, pour les graver sur la pierre, quatre-vingt-dix hexamètres, suivis de quelques distiques[36]. C'était beaucoup ; mais il est clair qu'en témoignant ce goût immodéré pour la poésie on voulait passer pour un homme bien élevé, qui avait fréquenté les écoles et qui savait vivre. Ce genre de vanité était très ordinaire en Afrique, où, comme nous l'avons vu, on prisait beaucoup l'éducation. On le poussait même facilement jusqu'au pédantisme. Ceux qui voulaient paraître plus entendus ne se contentaient pas des mètres vulgaires : ils écrivaient des iambiques de diverse mesure, ou même des ioniques mineurs ; ils cherchaient le mérite de la difficulté vaincue et goûtaient beaucoup l'acrostiche. Et ce ne sont pas seulement les gens d'importance, mais quelquefois aussi de très petits personnages, un paysan, un joaillier, qui se donnent le luxe d'une épitaphe en vers. Un pauvre homme de Carthage, qui fait le métier de courrier et qui porte les dépêches officielles, nous raconte qu'il s'est bâti un tombeau d'avance, et que c'est un plaisir pour lui, quand il traverse la plaine, de lire les vers qu'il y a fait graver[37].

Par malheur, les vers des poètes africains sont presque tous horriblement boiteux : on n'y trouve d'ordinaire ni quantité ni mesure. C'est au point qu'on s'est demandé si leurs incorrections sont tout à fait involontaires, si ce n'est pas de parti pris et pat. une sorte de système qu'ils commettent des fautes si lourdes et si fréquentes. On a imaginé qu'ils peuvent appartenir à une école particulière, qui fait profession de négliger les règles ordinaires parce qu'elle a une méthode spéciale pour versifier, et que, par exemple, ils remplacent la quantité par l'accent. C'est faire à ces pauvres poètes beaucoup trop d'honneur ; en réalité ils ne respectent pas plus l'accent que la mesure, et font des vers faux parce qu'ils ne savent pas les faire autrement. Saint Augustin avoue que les Africains ignorent absolument la quantité des mots latins et qu'ils ne distinguent pas les syllabes longues des brèves[38]. Aussi ne sont-ils pas très exigeants : il leur suffit que la ligne qu'ils tracent, et qui leur parait un vers, se termine par quelque chose qui ressemble à un dactyle et à un spondée, ils n'en demandent pas davantage. Leurs oreilles, qui ne sont pas difficiles, y surprennent comme un écho de ces beaux hexamètres de Virgile qu'on leur a fait admirer à l'école, et ils sont fiers de les imiter tant bien que mal ; ils espèrent que la personne qu'ils veulent honorer d'une inscription leur sera reconnaissante, jusque dans le Tartare, de ce qu'ils ont essayé de faire :

Credo tibi gratum, si hæc quoque Tartara norunt[39].

L'argentier de Cirta, Procilius, qui passa si gaîment sa longue vie à rire et à s'amuser avec ses chers amis, se félicite beaucoup d'avoir eu la précaution de composer lui-même son épitaphe avant de mourir :

Titulos quos legie vivus meæ morti paravi[40].

Il est sûr pourtant que, s'il avait laissé ce soin à ses amis, ils auraient eu grand'peine à faire de plus mauvais vers que les siens. Mais ces bons Africains n'ont pas l'air de se douter que leur prosodie soit si vicieuse ; ils paraissent au contraire très glorieux de leur poésie ; ils attirent l'attention du passant sur elle, et quand il s'en va, ils le remercient de s'être arrêté un moment pour la lire :

Valeas, viator, lector mei carminis[41].

Il devait pourtant y avoir des exceptions : dans un pays où l'on étudiait avec tant d'ardeur, il était inévitable qu'il se trouvât des gens qui finissaient par se mettre dans la tète la quantité des syllabes et qui versifiaient à peu près correctement. Comme ce talent leur vient du travail, non de la nature, et qu'il est laborieusement acquis, leur poésie en général manque d'aisance et de grâce ; elle parait raide, empruntée, artificielle ; elle ressemble un peu à celle de nos écoliers, quand ils chevillaient péniblement des vers latins, à l'aide du dictionnaire. Cependant on prisait beaucoup ces jeux d'esprit et ceux qui s'y livraient. A la fin de l'empire, au moment de l'invasion des barbares, il y avait à Carthage, malgré le malheur des temps, toute une école de poètes dont l'Anthologie latine nous a en partie conservé les œuvres, et qui paraît avoir été assez florissante. La brusqué arrivée des Vandales déconcerta ce petit groupe de gens qui s'étaient fort accoutumés à la civilisation romaine. Ils devaient éprouver une haine violente contre ces importuns qui venaient les troubler dans leur vie tranquille et leurs jouissances littéraires ; mais, comme il était dans leurs habitudes de s'approcher des puissants et de rechercher leurs faveurs, ils finirent par faire des vers en l'honneur des rois vandales, de même qu'ils en avaient fait pour célébrer les proconsuls romains. Il faut leur rendre cette justice qu'ils louèrent surtout chez eux ce qui était louable : ils les encouragèrent dans leurs efforts pour réparer les maux de l'invasion et continuer l'œuvre de ceux qu'ils avaient remplacés ; car il était arrivé en Afrique comme en Espagne et en Gaule : au contact des vaincus, la rudesse des barbares du Nord s'était peu à peu adoucie ; ils devenaient sensibles aux agréments d'une vie moins grossière, ils commençaient à se douter confusément du charme des lettres et des arts. Ils relevaient les monuments en ruines, ils en bâtissaient de nouveaux. Carthage semblait redevenir vivante, et les poètes étaient heureux de chanter sa résurrection :

Vitrix Carthago triumphat,

Carthago studiis, Carthago ornata magistris ![42]

 

VI

Dracontius. — Ses premières poésies. — Causes de sa disgrâce. — La Satisfactio ad regem Thrasamundum. — Le Carmen de Deo.

Parmi ces beaux esprits qu'on admirait dans les écoles, qu'on mettait même au-dessus des anciens[43], parce qu'ils composaient des vers laborieux et futiles sur une pie qui parlait comme une femme, ou sur un chat qui s'était étranglé en avalant une souris, il y en a un qui mérite de n'être pas oublié. Ce n'est pas qu'il ait évité les défauts des autres, mais il y joint des qualités qui l'en distinguent, et lui font, parmi eux, une place à part. N'est-ce pas une ironie du sort que le meilleur poète romain que l'Afrique a produit ait vécu à la cour des rois vandales, dans un temps où elle était entièrement perdue pour Rome et où l'on commençait à n'y plus savoir parler latin !

Il s'appelait Dracontius — un nom qui ne fait guère de bruit dans le monde. — Sa famille avait occupé un rang honorable dans l'administration du pays, et il semblait destiné à remplir les mêmes fonctions que ses pères, et avec le même éclat. Il fut un élève excellent et un poète précoce. On a découvert, il y a quelques années, dans la bibliothèque de Naples, et publié des œuvres de sa jeunesse. Elles sont dédiées à son maitre, le grammairien Felicianus, auquel il donne cet éloge qu'il a ramené à Carthage les lettres fugitives et qu'il réunit autour de sa chaire les Romains et les barbares[44]. Ce ne sont que des vers d'écolier, mais qui ont l'avantage de nous montrer combien l'éducation antique est restée jusqu'à la fin fidèle à ses habitudes ordinaires. En plein christianisme, on continuait à ne travailler que sur des matières païennes. Le jeune Dracontius chante l'enlèvement d'Hélène, les crimes de Médée, l'aventure d'Hylas, les plaintes d'Hercule, quand il voit les têtes de l'Hydre augmenter à mesure qu'on les coupe. Il compose en vers des controverses sur les mêmes sujets qu'on traitait en prose du temps de Sénèque et de Quintilien, trois ou quatre siècles auparavant. Une de ces controverses mérita l'honneur d'être déclamée publiquement, dans les thermes de Gargilius, en présence des magistrats de la province[45]. Elle est pourtant bien médiocre, et si Dracontius n'avait jamais écrit d'une autre façon, ce ne serait pas la peine de le disputer à l'oubli ; mais une crise violente, qui changea sa vie, lui donna l'occasion de produire une œuvre plus importante : le malheur fit jaillir de son cerveau une veine de talent qui s'ignorait.

Il est naturel que le joug des Vandales ait pesé à tous ceux qui cultivaient les lettres et qu'ils aient regretté la domination romaine. Nous venons de voir que beaucoup d'entre eux, quoique fort ennemis de la barbarie germanique, s'étaient pourtant résignés à flatter leurs nouveaux maîtres. Les malheureux ne connaissaient pas d'autre métier, et c'était pour eux le seul moyen de ne pas mourir de faim. Mais il y en avait aussi à qui cette servitude semblait intolérable et qui se vengeaient de la subir par des vers méchants, qui couraient le monde, et qu'on devait punir sévèrement quand on en découvrait l'auteur[46]. La faute de Dracontius était plus grave encore : J'ai eu le tort, dit-il en nous faisant sa confession, au lieu de célébrer des rois pleins de modération, d'en chanter un que je ne connaissais pas, et qui n'était pas mon maitre[47]. Ce prince étranger, que Dracontius s'accuse d'avoir chanté, c'était certainement le césar qui régnait à Byzance. Depuis que l'empire d'Occident n'existait plus, il représentait Borne. Tous ceux qui restaient fidèles au souvenir des Romains avaient les yeux sur lui ; en lui adressant des vers, Dracontius se mettait en révolte ouverte contre les Vandales, il n'est pas surprenant qu'on l'en ait très rigoureusement puni. Il fut battu, enfermé, dépouillé de ses biens et de ses places. En vain essaya-t-il de toucher le roi par ses prières, de lui promettre que désormais il consacrerait sa muse à sa famille : le roi fut inflexible. Il avait bien raison de croire que l'empereur de Constantinople ne renonçait pas à l'espoir de conquérir l'Afrique, et il était naturel que le poète coupable de flatter cette ambition lui parût avoir commis un crime impardonnable.

Dracontius resta donc en prison, et plus malheureux que jamais. Les chaînes me serrent, disait-il ; les tortures m'accablent, l'indigence me consume. Je ne suis plus couvert que de haillons informes[48]. Il se plaint surtout amèrement que personne n'ait souci d'adoucir sa peine : Connus et inconnus, tous se détournent de moi. Ceux à qui j'ai consacré ma vie me délaissent ; mes parents ne me connaissent plus ; mes nombreux esclaves ont fui, mes clients me méprisent. Dans cette solitude et cette misère, il ne lui restait plus que Dieu et la poésie : c'est de là que lui vint la consolation.

Le poème en trois chants qu'il a composé dans sa prison, et qui est intitulé Carmen de Deo, échappe trop souvent à toute analyse. On voit bien qu'il est d'un temps où l'on a désappris l'art de composer. A partir du Ve siècle, les auteurs deviennent rares qui savent concevoir l'ensemble d'un sujet et en disposer les parties. On écrit au hasard, sans suite, sans direction, sans mesure ; c'est l'habitude et le succès du sermon qui ont propagé ce défaut dans la littérature. Le prêtre, l'évêque doivent toujours être prêts à parler aux fidèles ; ils n'ont pas le temps de préparer leurs discours et de surveiller leur parole. Chez les orateurs médiocres, qui sont toujours le plus grand nombre, le sermon devient un verbiage édifiant et intarissable, où l'idée principale est submergée par les récits, les digressions, les épisodes, les développements accessoires. Le malheur, c'est qu'on ne prêche pas seulement en chaire et que les mêmes défauts se retrouvent dan-tout ce qu'on écrit. Il faut bien avouer que le poème de Dracontius aussi est un sermon dont le fil échappe sans cesse ; mais il arrive par moments qu'une émotion personnelle, un sentiment vrai se dégagent de ces insupportables tables divagations. Dès lors, et comme par enchantement, tout ce fond de brume s'éclaircit ; l'idée se précise, le style s'anime et se colore : le prédicateur est devenu un poile. C'est ce que je voudrais montrer par quelques exemple, Dracontius, dans son poème, a voulu célébrer la miséricorde divine, et comme la première et la plus grande marque d'affection que Dieu ait donnée à l'homme est do le créer, le premier chant est consacré à raconter la création. Ce chant a été, pendant le moyen âge, séparé du reste de l'ouvrage et fort admiré sous le titre d'Œuvre des six jours (Hexameron). Il est certain qu'il soutient la comparaison avec le poème de Marius Victorinus de Marseille et celui de saint Avit. Si Dracontius est noir, correct, il a par moments plus d'éclat et un sentiment plus vif des beautés de la nature. Il a su mieux décrire qu'eux la vie nouvelle qui circule dans le monde na issant, la terre qui devient féconde et se couvre d'herbe, les forêts vêtues de leur chevelure de feuilles et habitées par des nids bavards[49] ; puis tous les animaux do ln terre et de la mer qui s'élancent à la vie, les oiseaux qui ébranlent l'air de leur vol haletant et qui chantent pour remercier le Seigneur qui vient de leur donner l'être :

Exilit inde volans gens plumea læta per auras,

Aera concutiens pennis crepitante volatu

Ac varias fundunt voce modulamine blando,

Et, puto, collaudant Dominum meruisse creari[50].

Pour représenter l'homme qui vient de naître et le distinguer, dès le début, par son attribut particulier, Dracontius a trouvé une invention ingénieuse : non seulement il le montre qui regarde avec admiration le beau spectacle du monde, mais il suppose qu'il pense, qu'il réfléchit ; tandis que les animaux se laissent tranquillement vivre, lui veut savoir ce qu'il est, pourquoi il a été créé, et il cherche autour de lui qui pourra le lui dire. Quand il voit les bêtes se sauver à son approche, il s'inquiète, il a le sentiment de sa solitude : c'est alors que Dieu lui donne une compagne. Les auteurs ecclésiastiques glissent généralement sur la création de la femme : Dracontius, qui est un laïque, se sent plus à son aise ; il décrit Ève avec complaisance quand elle se montre à celui qui va devenir son époux : Elle parut devant lui sans voiles, avec son corps blanc comme la neige, semblable à une nymphe qui sort des eaux. Sa chevelure, que le fer n'avait pas touchée, flottait sur ses épaules ; la rougeur parait sa joue, tout était beau en elle, et l'on voyait bien qu'elle sortait des mains du Tout-Puissant :

Constitit ante oculos nullo velamine tecta

Corpore nuda simul niveo, quasi nympha profundi[51].

Puis il est heureux de les suivre dans ces bosquets en fleur et ces parterres de roses où ils vont se cacher :

Ibant per flores et tota rosaria bins,

Inter odoratas messes lucosque virentes[52].

On trouverait encore de beaux vers dans les deux autres livres, quoiqu'ils y soient plus rares. L'auteur y insiste toujours sur la miséricorde divine ; il a besoin d'y croire pour espérer qu'elle amènera la fin de ses maux. Dieu est bon, il écoute toutes les prières, il soulage toutes les infortunes. On n'a qu'à s'adresser à lui pour être exaucé : Judas lui-même, le misérable Judas, s'il avait eu confiance, pouvait être sauvé[53]. Rien ne trouble cet optimisme tranquille ; il ne peut pas imaginer que Dieu condamne quelqu'un qui s'est accusé de ses fautes, et il lui semble que le repentir crée une sorte de droit au pardon. Personne n'a jamais moins compris que lui le terrible justicier de la Bible, qui punit les pères dans leurs enfants et tend des pièges à l'humanité[54]. Le sien est doux, tendre, compatissant, et ne se résout à punir que ceux qui ne se décident pas à se corriger. Aussi éprouve-t-il pour lui des élans d'amour et de reconnais-. sauce qui se traduisent par de belles tirades, ou plutôt par des hymnes pleins d'effusions lyriques. J'en veux citer un, quoiqu'il soit long, pour montrer quelle inspiration puissante anime par moments cette poésie : La troupe des astres, lui dit-il, les planètes et les étoiles célèbrent leur créateur ; la foudre t'adore, le tonnerre et la tempête tremblent devant toi. Les lacs et les fleuves te chantent en leur langue ; les nuages épars s'éclairent de ta lumière. Par toi la terre est féconde, l'herbe verdit, les forêts poussent leurs feuilles, la fleur respire, l'arbre se couvre de fruits. C'est toi que louent la bête sauvage, les poissons, les grands troupeaux, les oiseaux de l'air, la race des vipères et les bêtes venimeuses qui sifflent en agitant leur langue à trois dards ; tous ces monstres qui donnent la mort se plaisent à célébrer l'auteur de la vie :

Agmina te astrorum, te signa et aidera laudant,

Auctorem confessa suum ; te fulmen adorat,

Te tonitrus hiemesgue tremunt ; te stagna, paludes,

Voce sua laudant, te nubila crassa coruscant.

Per te fetat humus, per te, Deus, herba virescit,

Frondeacunt silvæ, spirat flos, germinat arbor.

Te fera, te pisces, pecudes, armenta, volucres,

Turba cerastarum laudant, genus omne veneni

Sibilat ore fero lingua vibrante trisulca :

Auctorem vitæ gaudet stridore minaci

Materies laudare necis[55].

Il n'y a pas à en douter, celui qui était capable de porter sans faiblir une période si large, si ample, d'un si grand souffle, — et je l'ai fort abrégée ; — celui qui a écrit les vers élégants que je citais tout à l'heure, qui a su retrouver par intervalles la vigueur ou la grâce du vieil hexamètre latin, était vraiment un poète. On se prend à regretter parfois qu'il ne soit pas né à une époque où le goût était plus sûr et la langue plus correcte. Celle qu'on parlait alors, et dont il est bien forcé de se servir, était en pleine, décomposition, et pourtant il n'est pas sans intérêt de l'étudier chez lui. Parmi les symptômes de corruption, on saisit quelques étincelles de vie ; sous cette langue qui se meurt, on en surprend une autre qui va naître, et à quelques signes on devine qu'elle ressemblera à celles qui sont en train de se former de l'autre côté de la mer[56].

Il a donc existé en Afrique, pendant toute la durée de l'empire, une classe lettrée fort instruite, très distinguée, dont le latin était devenu la langue ordinaire. Ce latin a eu, selon les époques, son éclat et sa décadence ; mais il n'a jamais été un de ces parlers de province dont on se moque ailleurs : un grammairien des derniers temps affirme que, même en ce moment, il valait mieux que celui dont on usait en Italie. Les Africains n'employaient pas la langue du vainqueur uniquement par nécessité, pour communiquer avec lui et débattre les intérêts communs ; ils s'en étaient tellement imprégnés, ils se l'étaient rendue si familière, qu'ils en avaient fait l'expression naturelle de leurs sentiments et de leurs pensées ; une littérature était née chez eux qui a été pendant quatre siècles l'admiration du monde. C'est ce qui prouve que la culture romaine n'y était pas seulement en superficie, qu'elle avait jeté des racines profondes, au moins dans les villes et parmi les gens éclairés.

Mais ce n'est pas assez qu'une civilisation ait conquis les classes élevées d'une nation : tant qu'elle ne s'appuie pas sur la masse des habitants, elle reste en l'air, prête à tomber au moindre choc. Il nous faut chercher si celle des Romains, que nous venons de voir si florissante aux étages supérieurs de la société africaine, est descendue plus bas, et savoir, autant que possible, jusqu'à quelle profondeur elle y a pénétré.

 

 

 



[1] Codex Théod., XIV, 9, 1.

[2] C. I. L., 9182, 12152, 8500.

[3] C. I. L., 5370.

[4] C. I. L., 724.

[5] C. I. L., 5530.

[6] Agricola, 21.

[7] XV, 111.

[8] XV, 112.

[9] VII, 148.

[10] Silves, IV, 5, 45.

[11] Gsell, Recherches archéologiques en Algérie, p. 243 et sq.

[12] Apologie, 95.

[13] Métamorphoses, XI, 20.

[14] Apologie, 48.

[15] Ce n'est pas l'opinion de tout le monde, je le sais. Comme il n'est pas question des Métamorphoses dans l'Apologie, on suppose souvent qu'elles n'ont été composées que plus tard, c'est-à-dire qu'elles appartiennent à la seconde partie de la vie d'Apulée. Il est en effet difficile de comprendre pourquoi ses ennemis ne se sont pas servis de son roman, s'ils ont pu le connaître, pour prouver qu'il était un magicien. Quelle que soit la gravité de cette objection, je ne puis me résoudre à voir dans les Métamorphoses qu'une œuvre de jeunesse. Ne peut-on pas supposer, ou bien qu'il a négligé de répondre aux allusions que ses accusateurs ont pu faire à son livre, ne sachant que dire pour se justifier, ou bien que l'ouvrage, quoiqu'il fût composé, n'était pas encore très répandu ?

[16] Métamorphoses, I, 4.

[17] Mediocri forma, at non ætate mediocri. Apologie, 92.

[18] Florida, I, 7.

[19] Florida, I, 9.

[20] Florida, I, 5.

[21] Métamorphoses, II, 2.

[22] Florida, I, 7.

[23] Apologie, 6 : voici quelques-uns de ces vers, qui sont curieux :

Misi, ut petisti, mundicinas dentium....

Tenuem, candificum, nobilem pulvisculum

Complanatorem tumidulæ gingivulæ,

Converritorem pridianæ reliquiæ,

Ne qua visatur tetra labes sordium,

Restrictis forte si Iabellis riseris.

[24] Florida, IV, 18.

[25] Florida, III, 10.

[26] Epist., 158.

[27] Capitolin, Vita Albini, 12.

[28] Métamorphoses, XI, 27.

[29] Tertullien, qui vivait plus tard qu'Apulée, du temps de Septime Sévère, écrivait en grec et en latin, ce qui prouve que, de son temps. on entendait presque également les deux langues à Carthage, au moins dans la société lettrée. C'est à partir de ce moment que le latin l'a tout à fait emporté en Afrique.

[30] Ce n'est pas ici le lieu de traiter une question de philologie ; je veux pourtant dire un mot d'une des tournures les plus ordinaires chez Apulée et qui lui semble propre. Il s'agit d'une sorte de correspondance des adjectifs et des verbes qui se répondent deux à deux, trois à trois, avec des retours réguliers d'assonances, et donnent à ce qu'il écrit l'aspect d'une prose rimée. Prenons, par exemple, la première phrase des Florides. On y trouve d'abord une suite de rimes en e : Ut moris est votum postulare, pomum adponere, paulisper adsidere ; puis des rimes en a : Aut ara floribus redimita, aut quercus cornibus onerata, aut fagus pellibus coronata ; puis des rimes en e et en us : vel collicutus sepimine consecratus, vel truncus dolamine effigiatus, vel cœspes libamine fumigatus, vel apis unguine delibutus, etc. Cette tournure, qui se retrouve partout chez Apulée, est surtout fréquente dans ses œuvres oratoires. Là elle revient avec une insistance fatigante et comme une aorte de manie. Mais, si Apulée l'emploie plus que les autres, il n'est pas le premier qui l'ait employée. L'abus lui en appartient, l'usage était bien plus vieux que lui. Il remonte jusqu'à Isocrate, qui recommande de placer à la fin des phrases ou des parties de phrases des syllabes à désinences semblables. Cicéron et ses successeurs n'ont pas dédaigné de le faire avec modération ; mais je crois bien que c'est Apulée qui a mis tout à fait cet artifice à la mode. Il a fait fortune après lui. Nous le retrouvons assez souvent dans le charmant ouvrage de Minucius Félix, et plus encore dans le Manteau de Tertullien, sorte de débauche oratoire, où sont prodiguées toutes les ressources de la rhétorique. Comme ces deux auteurs sont des compatriotes d'Apulée, on pourrait être tenté de croire qu'un procédé dont tant d'Africains se sont servis appartient en propre à la littérature africaine ; mais on vient de voir qu'il n'est pas originaire de l'Afrique, et qu'ici encore Apulée a puisé sans mesure et quelquefois sans raison à une source grecque.

[31] Apologie, 68 : loquitur numquam nisi punice, et si quid adhuc a matre græcissat ; enim latine neque vult, neque potest.

[32] Métamorphoses, I, 1 : nullo magistro præeunte.

[33] C'est ce que montre très bien M. Kretschmann, dans son mémoire intitulé : De latinitate L. Apuleii Madaurensis. Je renvoie surtout à la page 33, où il discute ce qu'on appelle l'africitas d'Apulée

[34] Parmi les mots employés par Apulée, on a remarqué cambiare, changer, et minare, mener, qu'il a pris évidemment à la langue populaire. Ce qui prouve que le latin populaire en Afrique était souvent le mène que parlaient les petites gens de la Gaule.

[35] Epist., I, 20, 15.

[36] C. I. L., 211 et 212.

[37] C. I. L., 1027.

[38] De doctr. christ., IV, 94 : Afræ aures de correptione vocalium vel productione non judicant.

[39] C. I. L., 2803.

[40] C. I. L., 7150.

[41] C. I. L., 5370.

[42] Anthologie (Riese), 317.

[43] Anthologie (Riese), 87 :

Certum est, Luxori, priscos te vincere vates.

[44] Dracontii Carmina minora (éd. Duhn), 1, 13 :

Sancte pater, o magister, taliter canendus es,

Qui fugatas Africainæ reddis urbi litteras,

Barbaris qui Romulidas jungis auditorio.

[45] Carmina min., V.

[46] Nous avons conservé une de ces pièces insultantes dans laquelle l'auteur, pour se moquer des barbares qui occupent l'Afrique, mêle à ses vers latins quelques mots tudesques (Anth., 285). On y reconnaît les termes qui signifient encore aujourd'hui : à boire (ia drinkan). Il est vraisemblable que ceux qui vivaient dans le voisinage des soudards vandales avaient l'occasion de les entendre souvent prononcer.

[47] Satisfactio ad regem, 93.

[48] De Deo, III, 58 et sq.

[49] De Deo, I, 257 ; plus loin (674), deux beaux vers sur le soleil :

Sol, oculus mundi, famulus super astra Tonantis,

Cujus ab immensis languescunt sidera flammis.

[50] De Deo, I, 240.

[51] De Deo, I, 393.

[52] De Deo, I, 436.

[53] De Deo, II, 558.

[54] Par exemple il refait à sa manière l'histoire d'Isaac (III, 125). Il ne veut pas admettre que Dieu ait tenté Abraham en lui demandant la mort de son fils : Non est tentator habendus, nous dit-il résolument. Il oublie qu'il y a dans la Bible : Tentavit Deus Abraham.

[55] De Deo, II, 205 ; on trouve aussi de très jolis vers sur Dieu et la Nature, I, 717.

[56] N'est-ce pas presque une phrase française que le vers suivant :

Est tibi cura, Deus, de quidquid ubique creasti.

Tu as soin de tout ce que tu as créé.