LA PROVINCE ROMAINE PROCONSULAIRE D’ASIE

DEPUIS SES ORIGINES JUSQU’À LA FIN DU HAUT-EMPIRE

 

PAR VICTOR  CHAPOT — 1904

Texte numérisé et mis en page par Marc Szwajcer

 

 

AVANT-PROPOS

BIBLIOGRAPHIE

PREMIÈRE PARTIE. — FORMATION ET VICISSITUDES GÉNÉRALES DE LA PROVINCE

CHAPITRE PREMIER. —   PREMIÈRES  ORIGINES  DE   LA PROVINCE

CHAPITRE II. — HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA PROVINCE.

§ 1. - L’Asie sous les derniers rois — § 2. - L’Asie au pillage — § 3. - L’Empire ; la paix romaine.

CHAPITRE III. — LE TERRITOIRE DE LA PROVINCE ; SES LIMITES

 

DEUXIÈME   PARTIE.      LES   VILLES   ET   LA   VIE MUNICIPALE

CHAPITRE PREMIER.    LES CITÉS ET LES  BOURGS ; LEUR PHYSIONOMIE GÉNÉRALE

§ 1. - Les Régions de Sylla — § 2. - Cités et simples bourgs — § 3. - Villes libres et villes sujettes — § 4. - Privilèges honorifiques des villes.

CHAPITRE II. — LES HABITANTS DES VILLES

§ 1. - Les Citoyens — § 2. - Les Non-citoyens — § 3. - Les Étrangers privilégiés.

CHAPITRE III. — LES ASSEMBLÉES MUNICIPALES

§ 1. - Le Conseil — § 2. - L’Assemblée du peuple — § 3. - La Gérousie.

CHAPITRE IV. — LES MAGISTRATURES MUNICIPALES ET LES LITURGIES

§ 1. - Les Magistratures municipales — § 2. - Les Liturgies.

 

TROISIÈME PARTIE. — L’ADMINISTRATION ROMAINE ; SES AGENTS, SES SERVICES, SES CRÉATIONS EN ASIE

CHAPITRE PREMIER. — LE GOUVERNEUR ET SES AUXILIAIRES

CHAPITRE II. — PROSOPOGRAPHIE DE LA PROVINCE D’ASIE ; GOUVERNEURS,  QUESTEURS ET LÉGATS

§ 1. - Les Gouverneurs — § 2. - Les Questeurs — § 3. - Les Légats.

CHAPITRE III. — LES IMPÔTS ET LA POLITIQUE MONÉTAIRE.

CHAPITRE IV. — LA JUSTICE ROMAINE ET LES CONVENTUS JURIDICI

CHAPITRE V. — LES VOIES PUBLIQUES

CHAPITRE VI. — L’ARMÉE

CHAPITRE VII. — LES DOMAINES IMPÉRIAUX

CHAPITRE VIII. — TRANSFORMATION  DE LA CHRONOLOGIE SOUS L’INFLUENCE ROMAINE

 

QUATRIÈME PARTIE. — LES NOUVELLES RELIGIONS.

CHAPITRE PREMIER. — LES SACERDOCES D’ASIE ET LES VIEUX CULTES NATIONAUX

CHAPITRE II. — L’ACTION DES ROMAINS SUR LES INSTITUTIONS MUNICIPALES  DANS LE DOMAINE  RELIGIEUX

§ 1. - La révision des privilèges des temples ; le droit d’asile — § 2. - Le service du culte contrôlé et modifié par les Romains — § 3. - L’Association des dieux romains aux dieux grecs ; le culte municipal des Empereurs.

CHAPITRE III. — LE CULTE PROVINCIAL DES EMPEREURS ET LES CITÉS NÉOCORES

CHAPITRE IV. — LES ΚΟΙΝΑ ET LE ΚΟΙΝΟΝ ΆΣΙΑΣ.

CHAPITRE V. — L’ASIARQUE ET L’ΆΡΧΙΕΡΕΥΣ ΆΣΙΑΣ.

CHAPITRE VI. — LES FÊTES ET LES JEUX PUBLICS

CHAPITRE VII. — L’ÉGLISE UNIVERSELLE ; CARACTÈRES PARTICULIERS DU CHRISTIANISME  ASIATIQUE

RÉSUMÉ ET CONCLUSION

 

 

AVANT-PROPOS

Quand je songeai pour la première fois à entreprendre un mémoire en vue du diplôme de l’École des Hautes-Études, le programme que je me proposais n’était pas celui que je viens de remplir de mon mieux. Il s’agissait pourtant déjà du continent asiatique, dont l’étude, même pour la période de l’occupation romaine, n’avait guère été abordée que par les hellénistes ou les épigraphistes curieux d’antiquités grecques, et d’une façon très sommaire, sans plan d’ensemble. Même les savants travaux de Waddington constituaient plutôt un assemblage de documents et un examen critique de points de détail[1]. L’Académie des Inscriptions, voyant quelle grave lacune il était utile de combler, a récemment commencé la publication d’un Corpus Inscriptionum Graecarum ad rem Romanam pertinentium. M’inspirant d’une idée semblable, j’avais songé à rechercher et à noter les traces de l’occupation romaine dans la moitié orientale du monde grec, c’est-à-dire dans les diverses parties de l’Asie — au sens moderne du mot — où elle s’était étendue. Je me serais donc borné aux rapports de Rome avec ces provinces, à l’administration romaine en Asie, Bithynie, Cappadoce, etc., jusqu’au début du Bas-Empire.

Les premières recherches auxquelles j’ai été, par suite, conduit, et même la seule réflexion, m’ont bien vite montré le défaut d’unité qu’aurait une œuvre semblable et l’insuffisance d’information qu’on serait en droit de me reprocher. Évidemment, la politique romaine, dans les diverses parties de l’Asie Mineure, n’a pas été dirigée par des principes uniformes ; la nature même du pays s’opposait à cette méthode et aussi la grande variété des populations qui y vivaient. Le Sénat de Rome, les empereurs et les fonctionnaires délégués dans le gouvernement des différentes parties de la péninsule, ont dû tenir compte du degré de développement de ces peuples, des institutions auxquelles les avaient accoutumés antérieurement d’autres souverains, d’autres influences. Et ainsi, pour avoir une idée complète de l’action des nouveaux maîtres du pays, j’étais amené à considérer jusqu’à la vie municipale ; les assemblées, les magistratures des cités et des bourgades n’avaient guère pu évoluer librement sans subir la tutelle de Rome, et l’étude des inscriptions et des textes me montrait en effet, pour les unes et pour les autres, au cours des temps, des changements assez notables. Voyant ma tâche s’étendre à ce point, j’ai pris le parti, non pas d’abandonner la seule méthode qui parût légitime, mais de restreindre le champ géographique de mes observations, et au lieu de les faire porter sur toute l’Asie Mineure, de me limiter à une seule province, où je m’attacherais en revanche à tous les faits classés comme historiques. Je me suis décidé pour l’Asie proconsulaire, et voici brièvement les motifs de ce choix.

Cette partie de l’Empire, plus que toutes les autres régions de l’Asie Mineure, a donné lieu à un assez grand nombre de travaux spéciaux. Il a paru, dans ces dernières années, une foule de courtes dissertations consacrées, par exemple, à telle ou telle ville d’Asie ou à bien d’autres questions de détail. J’ai trouvé ainsi, dans quelques cas, le terrain déblayé ; et une certaine uniformité que je remarquais dans les conclusions de mes prédécesseurs me permettait d’espérer quelque résultat, dès maintenant, d’un travail d’ensemble. Si l’Asie proconsulaire a tenté plus de chercheurs que les provinces voisines, le fait s’explique très simplement : pour mainte raison, l’activité des habitants y a été bien supérieure, et les souvenirs qui nous en restent ont l’avantage du nombre et quelquefois de la précision ; les textes littéraires sont, à vrai dire, peu abondants ; mais nous sommes dédommagés, dans quelque mesure, par une riche moisson épigraphique.

On pourrait penser, dès lors, que la faveur d’une plus large documentation et d’une matière plus variée a sa contrepartie dans le danger d’une information plus facilement incomplète. Pourquoi, notamment, n’avoir pas attendu la venue du Corpus en préparation ? Mais ce recueil des inscriptions grecques rappelant des noms, des institutions, des usages latins, ne comprendra pas, même largement conçu, toutes les sources épigraphiques auxquelles il m’a fallu recourir ; la réunion pure et simple des textes en un seul volume ne m’eût pas dispensé de parcourir les commentaires qui ont été déjà donnés de quelques-uns ; enfin l’obligeance de mon ancien maître, M. Cagnat, qui m’a communiqué les premiers travaux préparatoires de ce Corpus nouveau, m’a fait tenir dès le début un certain nombre de renvois bibliographiques essentiels et a diminué ainsi mes chances d’oublis. Il est possible, malgré tout, que quelques documents m’aient échappé, en raison de leur infinie dispersion ; d’autres, avant moi, ont eu même infortune. Je dois m’attendre aussi à la mise au jour, et prochaine, d’inscriptions nouvelles, puisque les recherches archéologiques se poursuivent sans interruption en Asie Mineure, et l’histoire de ce pays s’en trouvera sûrement renouvelée[2]. Pourtant, là comme ailleurs, le gros œuvre est accompli ; on doit creuser le sol pour atteindre l’inédit, et les fruits obtenus s’amoncellent moins vite et moins haut qu’autrefois. J’ai lieu de redouter plus d’une erreur et plus d’une défaillance dans l’utilisation de tant de données qui présentaient de grandes difficultés d’éclaircissement, qu’il était long et ardu de mettre en ordre. Mais, lorsque je les réunissais il y a trois ans, avant de partir pour l’Orient, j’étais sous l’influence du cri d’alarme poussé par quelques savants autorisés : le livre disparaît, l’article provoque l’article, les moyens d’information s’éparpillent, on néglige de construire des synthèses de nos connaissances. J’en ai alors tenté une, audacieusement. Je crois que depuis, le mal s’est atténué ; mais cet essai n’en devient pas inutile. Je me trouve envers lui personnellement très redevable : l’étendue même et la variété du sujet n’ont pas nui à mon apprentissage ; j’apporte une ébauche à laquelle de plus habiles feront ensuite les remaniements nécessaires, sans avoir perdu leur temps à la partie aisée de la tâche. Ils rajusteront mieux les éléments dispersés de ce tableau de la province d’Asie.

J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.

Obligé de réunir beaucoup de faits et beaucoup d’hypothèses, et ne voulant pas que mon livre atteignît à des proportions exagérées, j’ai dû lui donner une forme mixte, le concevoir à la fois comme un manuel et comme un répertoire, répertoire d’exemples plutôt que nomenclature sans lacunes ; assumer enfin la discussion rapide des doctrines, que je ne pouvais simplement juxtaposer. De la sorte, même mal venu et sujet à critiques, cet essai, je l’espère, répondant à plus de besoins, rendra plus aisément service.

En parcourant l’an dernier, à pas trop rapides, les principales routes de cet admirable pays, j’entendais dire à regret que l’activité française y était bien ralentie. Il est vrai que ses efforts y sont plus isolés, elle est trop fiévreusement occupée sur d’autres points du monde antique. Mais elle s’y est longtemps exercée avec honneur, avant de laisser le champ libre aux initiatives germaniques ; et si modeste soit le rôle que j’ai ambitionné, c’est avec plaisir que je me vois replacé dans une des plus glorieuses traditions de l’École française d’Athènes.

Paris, décembre 1902.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Pour trouver un ouvrage portant, à peu de chose près, le titre auquel je me suis arrêté, il faut remonter à l’année 1846. C’est à cette date que Richard Bergmann publia à Berlin sa petite dissertation inaugurale : De Asia Romanorum provincia. Ce n’était qu’un commencement d’exécution du programme que l’auteur s’était fixé, qui est exposé dans sa préface et ressemble assez au mien. Il y traitait de la formation de la province et de ses limites. L’année suivante, il abordait la question des gouverneurs d’Asie dans un article du Philologus (II, p. 671 sq. : De Asiae Romanorum provinciae praesidibus — jusqu’à la bataille d’Actium). Plus tard enfin, il s’attaquait à l’étude des villes libres, mais, débordé par l’ampleur de son sujet, ne pouvait s’occuper que de Rhodes[3]. Et ses tentatives en sont restées là. Vers la même époque, une autre dissertation allait paraître sur la formation de la province d’Asie[4].

Les dates mêmes de ces premiers essais indiquent assez la valeur qu’ils ont pu conserver. Et d’abord, à quelles sources leurs auteurs avaient-ils puisé ? Les documents littéraires étaient déjà ce qu’ils sont aujourd’hui, mais on constatera à tout instant que les renseignements les plus importants ne nous viennent pas de ce côté. Les auteurs anciens ne nous laissent pas trop ignorer les événements qui se sont déroulés en Asie pendant la République ; mais vienne l’Empire, et la paix en Orient, et nous trouvons les historiens grecs ou latins presque muets sur notre sujet ; l’existence calme et monotone de ces régions les a moins intéressés que les révolutions de palais, à Rome. Les recueils numismatiques, si riches, d’Eckhel et de Mionnet étaient déjà précieux, mais la connaissance des monnaies grecques a encore bien  progressé depuis.   Le matériel  épigraphique dont ces auteurs se sont servis était enfin fort maigre et peu maniable. Ils avaient déjà quelques ouvrages généraux, comme ceux de Laborde[5], de Hamilton[6] et de Texier[7] ; le Corpus inscriptionum graecarum avait paru, mais dépourvu encore des précieux indices du tome IV, guide si nécessaire dans un pareil amas de textes. La géographie même de la contrée ne leur était connue que par l’ouvrage de Tchihatcheff[8], si heureusement remplacé maintenant par le livre de M. W. H. Ramsay[9], que complète la grande carte de H. Kiepert[10].

Depuis lors, les journaux de voyages archéologiques se sont multipliés, ainsi que les recueils épigraphiques, et les Français ne se sont pas adonnés les derniers à cet ordre d’investigations. Citons d’abord les ouvrages divers de M. Georges Perrot[11] ; une mention toute particulière est due à la publication capitale de Philippe Le Bas[12], mettant au jour une foule d’inscriptions nouvelles, et corrigeant, pour d’autres déjà parues, les copies antérieures. Un commentaire précieux accompagne la plupart des textes ; Le Bas n’avait pu l’achever que pour quelques-uns ; W. H. Waddington a discuté les autres avec une méthode non moins rigoureuse ; et lui-même, déjà rompu à l’archéologie de l’Asie Mineure[13], s’est attaché à restituer les Fastes des provinces asiatiques de l’Empire romain, depuis leur origine jusqu’au règne de Dioclétien. La politique et la diplomatie ont occupé l’auteur trop tôt et trop longtemps. De cet ouvrage, fruit d’immenses recherches, une faible partie seulement a paru[14] ; elle comprend les proconsuls delà province qui nous occupe et nous conduit presque jusqu’à Dioclétien. Les découvertes ultérieures ont amené l’auteur à publier un supplément[15]. Depuis lors, M. Mommsen a donné le tome III du Corpus inscriptionum latinarum ; mais il a trouvé peu à glaner dans une région où la langue grecque était universellement maîtresse. Il y a beaucoup plus à prendre dans les recueils du British Muséum[16] et dans quelques pages du Corpus des îles grecques de l’Académie de Berlin[17].

Les recueils de documents, en volumes séparés, se font rares maintenant[18], et quiconque veut se tenir au courant des découvertes épigraphiques en Asie Mineure est naturellement astreint au dépouillement minutieux des nombreux périodiques qui les font connaître. C’est avant tout le Bulletin de Correspondance hellénique, puis les Mittheilungen des deutschen archäologischen Instituts, Athenische Abtheilung, le Journal of Hellenic Studies, les Archäologisch-epigraphische Mittheilungen aus Oesterreich-Ungarn et le recueil qui y fait suite : Jahreshefte des österreichischen archäologischen Instituts in Wien, l’Hermès, l’Ephemeris epigraphica, les comptes rendus divers des Académies de Berlin et de Vienne, la Revue des Études grecques, le Μουσεϊον καί βιβλιοθήκη τής εύαγγελικής σχολής έν Σμύρνη, l’Έφημερίς άρχαιολογική, la Revue archéologique, la Revue de Philologie, la Revue des Études anciennes, de Bordeaux. Il serait superflu d’indiquer ici toutes les pages où ces périodiques divers ont publié des textes épigraphiques nouveaux ou révisés. Les nombreux emprunts que j’aurai à faire à ces recueils m’offriront de fréquentes occasions de citer mes références, et l’énumération en sera ainsi plus méthodique[19].

Les catalogues de monnaies se sont également multipliés ; à ceux que j’ai déjà cités plus haut, il convient de joindre les excellents catalogues du British Muséum ; les volumes qui nous concernent sont de date assez récente, et les différentes parties de la province s’y trouvent représentées, à l’exception de la Phrygie[20]. Malheureusement, les descriptions de médailles qu’ils renferment font naturellement double emploi, dans certains cas, avec celles d’Eckhel et de Mionnet, nombre de pièces que ceux-ci avaient étudiées étant entrées au Musée Britannique, et les recherches s’en trouvent allongées d’autant sans profit. Nos informations se complètent enfin par la publication de l’Inventaire de la Collection Waddington, par M. Ernest Babelon[21], le catalogue de la collection Hunter[22] et un précieux répertoire de M. Imhoof-Blumer[23].

Quels sont maintenant les travaux critiques qu’ont fait naître ces collections nouvelles de documents ? Ils sont nombreux, mais presque tous ne représentent que de courtes monographies assez spéciales, consacrées à l’étude d’une institution ou d’une ville unique. Je n’ai pas à en donner la liste ici ; il me semble préférable de les citer à leur place, c’est-à-dire intercalés dans les développements consacrés aux sujets qu’ils traitent eux-mêmes respectivement. J’ai tâché de ne commettre aucun oubli à leur égard ; mais je n’entends pas laisser croire que je les ai parcourus absolument tous ; beaucoup ont déjà vieilli ; quelques-uns ne me sont même pas venus sous la main ; et d’ailleurs, élargissant mon cadre comme je le fais, je dois veiller à ne point sacrifier, par trop de scrupules, les généralités aux détails.

Je veux seulement mentionner quelques dissertations qui ont un intérêt moins particulier, et quelquefois, donnent plus que leur titre ne promet. Bien que les diverses cités grecques d’Asie aient conservé sous la domination romaine une assez grande liberté municipale qui a facilité la bigarrure des institutions, il est impossible de ne point remarquer certains points communs, et c’est ainsi que M. Menadier, dans une thèse inaugurale consacrée d’après son titre[24] à Ephèse seule, la capitale de la province, en est venu à indiquer, chemin faisant, les analogies que présentaient les villes voisines dans la composition et le fonctionnement des assemblées locales et des corps de magistrats. Il y avait beaucoup à dire, et le petit nombre de pages de l’opuscule montre que les éléments ont été plutôt assemblés qu’utilisés. M. Ludwig Mitteis a publié, il y a quelques années, un ouvrage[25] trop spécialement consacré au droit privé, que je ne pouvais songer à effleurer, pour qu’il m’ait été nécessaire d’y faire beaucoup d’emprunts ; il renferme pourtant quelques développements utiles sur les rapports des villes avec Rome. La Revue des Études grecques, qui nous avait promis un tableau de la vie municipale de l’Asie Mineure au moment de sa pleine prospérité, remplit peu à peu ses engagements ; nous lui devons déjà l’étude bien conduite des assemblées locales et des offices publics[26]. M. Liebenam, enfin, a tenté récemment la synthèse historique du régime municipal romain et publié un répertoire précieux[27], complet et exact, fruit d’un immense labeur, où les vues d’ensemble disparaissent forcément quelque peu devant l’accumulation des références ; on constate à chaque page que l’unité du sujet n’est qu’apparente.

On sait la place considérable que les jeux et concours tenaient en Orient ; aussi un érudit a été bien inspiré en dressant le bilan de nos connaissances sur les institutions agonistiques d’Asie à l’époque romaine[28].

Le culte des Empereurs, provincial ou municipal, avait dans le proconsulaire des caractères assez particuliers et encore peu connus, on le verra, en dépit de quelques travaux qui méritent malgré tout une mention élogieuse[29].

M. Georges Radet a retracé sous une forme attrayante ses souvenirs d’un voyage en Phrygie qui intéressent surtout la géographie ancienne, mais complétés par un petit Corpus des inscriptions des environs de Dorylée[30]. La même région phrygienne a donné lieu à deux gros volumes d’une conception un peu discutable, mais dont l’intérêt ne saurait être contesté[31].

Je n’ai pas besoin de rappeler que dans le manuel de Marquardt, il y a un certain nombre de pages consacrées à l’Asie[32] ; là comme ailleurs, se retrouvent les traits caractéristiques de cette compilation, ses qualités de documentation précise et ses défauts de surabondance même, cet entassement de textes, de notes, qui rend la lecture du livre presque impossible. Les principales encyclopédies d’antiquités classiques ont été amenées à donner, et dès le début de leur publication, un article Asia, excepté le dictionnaire de Daremberg et Saglio, dans le plan duquel ce travail n’entrait pas. Dans le Dizionario epigrafico de M. Ettore de Ruggiero, M. Dante Vaglieri a tourné la difficulté en réduisant l’exposé général à un minimum qui compte à peine, et en fournissant en revanche une série de nomenclatures qui sont comme la prosopographie de chaque question ; disons du moins qu’en général elles sont consciencieusement dressées et présentent peu de lacunes ; c’était un cadre utile pour le travail qui restait à faire. Dans la Real-encyclopädie der Alterthumswissenschaft de Pauly-Wissowa, M. Brandis a abordé la question plus résolument et de front ; sa notice sur la (Provincia) Asia est certainement un des meilleurs articles de dictionnaire qu’on puisse désirer ; il va sans dire qu’il ne traite pas de tous les points que j’ai cru devoir faire entrer dans mon propre exposé ; la nature même du répertoire où son travail figure lui imposait, pour éviter le double emploi, de réserver certaines matières secondaires qui sont appelées par l’ordre alphabétique à faire l’objet d’autres articles, et fatalement, cela devait donner à la notice moins d’équilibre et d’ampleur. Les principaux problèmes y sont en tous cas bien posés.

Mais celui qui voudrait avoir en peu de temps un aperçu exact et une description vivante de cette civilisation asiatique de l’époque romaine, devrait plutôt encore s’adresser ailleurs[33]. C’est à M. Mommsen qu’il a été donné d’en résumer le plus heureusement les traits principaux ; en une soixantaine de pages seulement[34], il a su en tracer un tableau très coloré, où il pénètre plus profondément que tous les autres érudits qui l’ont précédé ou suivi dans la psychologie comparée du peuple romain et du peuple grec, et montre fort bien les conséquences de leur contact. Lui seul avait la force de généralisation, la netteté de vision nécessaires pour dégager la physionomie de cette société du monceau des pièces justificatives. Dans ces pages, la pensée est exprimée d’une façon si concise, la substance est si touffue, que bien des nuances échappent aux lecteurs mal préparés. C’est cependant un magnifique chapitre d’histoire générale ; j’ai voulu faire autre chose ; un répertoire à consulter. Du reste, ce chapitre embrasse tout à la fois l’Asie Mineure entière, et les paragraphes où l’auteur a traité séparément des diverses régions de la péninsule ne pouvaient suffire à en accentuer les caractères distinctifs. Considérant — ce qui n’est pas au fond une critique — le besoin de marquer moins brièvement les points acquis à la science, et de mieux isoler l’individualité propre de la province d’Asie, j’ai entrepris une œuvre toute différente, qui est ainsi à l’abri d’une écrasante comparaison.

Comme l’historien éminent que je viens de nommer, je me suis fait une loi de ne consigner que les faits rigoureusement constatés en Asie, sans essayer, comme on l’a osé trop souvent, de combler arbitrairement les lacunes qui persistent dans cette exposition, à l’aide de traits empruntes à d’autres parties du monde romain.

J’ai adopté les abréviations suivantes pour les recueils les plus souvent cités :

CIG. = Corpus inscriptionum graecarum.

CIL. = Corpus inscriptionum latinarum.

IBM. = Ancient Greek Inscriptions in the British Muséum.

BCH. = Bulletin de Correspondance hellénique.

Ath. Mit. = Mittheilungen des deutschen  archäologischen Instituts, Athenische Abtheilung.

Leb. = Le Bas-Waddington,   Inscriptions  d’Asie-Mineure.

IGI. = Inscriptiones graecae insularum.

JHSt. = Journal of Hellenic Studies.

GCBM. = Catalogue of Greek Coins in the British Muséum.

R. Et. Gr. = Revue des Études grecques.

Pap. Am. Sch. = Papers of the American School.

 

 

 



[1] J’ai trouvé grand profit, comme on pense, à consulter ses Fastes des provinces asiatiques, qu’il n’a eu le temps de rédiger, et encore incomplètement, que pour la province proconsulaire. Malgré le soin qu’il prenait de tenir au courant les notes, restées manuscrites, l’achèvement de cette publication, utile il y a trente ans, se comprendrait peu aujourd’hui, après les nombreux travaux de prosopographie qui ont vu le jour. Réunir ainsi, pour rappeler tout ce que l’on sait de leur vie et de leur carrière, des personnages romains qui ne présentent d’autre caractère commun que d’avoir été gouverneurs d’une même province, où ils ont accompli une œuvre quelquefois insignifiante et bien souvent ignorée, est une méthode arbitraire, et elle conduirait les érudits à se répéter fréquemment, vu que tel ou tel sénateur a gouverné successivement plusieurs provinces. Un travail de ce genre n’est, en définitive, qu’un lambeau détaché sans raison d’un Onomasticon général de l’antiquité classique.

[2] Il faut noter que ces voyages archéologiques ont souvent pour effet principal de compléter notre connaissance de la géographie historique et de permettre une identification plus générale des anciens noms de lieux avec les noms modernes. Pour ce motif, le présent mémoire est moins menacé de vieillir vile. Je me suis naturellement interdit les tentatives de restitution topographique. Sans doute, elles n’auraient pas formé un hors-d’œuvre, mais elles ne sont permises qu’à quiconque a exploré longuement lui-même le terrain. Aussi bien l’emplacement — et surtout l’emplacement approximatif — de la plupart des villes de la province proconsulaire est-il déjà bien établi. Dans les cas rares où il y a doute, j’ai adopté l’opinion la plus communément admise.

[3] De Asiae Romanorum provinciae civitatibus liberis, Brandenburg, 1855, in-4°.

[4] W. MERCKERS, Quomodo Romani Asiam provinciam constituerint exponitur, Vratislaviae, 1860, in-8°.

[5] Léon DE LABORDE, Voyage en Orient, Paris, 1837-45, 2 vol. in-f°, avec planches.

[6] Researches in Asia Minor, London, 1842, 2 vol. in-8°.

[7] Ch. TEXIER, Description de l’Asie Mineure, faite par ordre du gouvernement français, Paris, Didot, 1839-49, gr. in-f°, 3 vol. texte et 3 vol. planches.

[8] P. DE TCHIHATCHEFF, Asie Mineure, description physique, statistique et archéologique de cette contrée, Paris, 1853-56.

[9] Historical Geography of Asia Minor, London, 1890, gr. in-8°.

[10] Specialkarte vom westlichen Kleinasien, Berlin, 1892, in-f°. — Depuis lors a été publiée en un format plus maniable : Archäologische Karte von Kleinasien, bearb. v. dr. W. ROGE und dr. E. FRIEDRICH. Maasstab : 1:2500000. Halle, 1899.

[11] Souvenirs d’un voyage en Asie Mineure, Paris, 1864, in-8° ; Exploration archéologique de Galatie, Bithynie, Mysie, Phrygie, Cappadoce et Pont, Paris, Didot, 1872, 2 vol. grand in-4° ; Inscriptions inédites d’Asie Mineure, Paris, 1877, in-8°.

[12] Voyage archéologique en Grèce et en Asie Mineure, fait par ordre du gouvernement français pendant les années 1843 et 1844, et publié sous les auspices du Ministère de l’Instruction publique, par Ph. LE BAS et ses collaborateurs et continuateurs, t. III : Inscriptions, Paris, Didot, 1870.

[13] Cf. son Voyage en Asie Mineure au point de vue numismatique, Paris, 1853, in-8°.

[14] Paris, Didot, 1872, in-8°.

[15] Dans le Bulletin de correspondance hellénique, VI (1882).

[16] The Collection of Ancient Greck Inscriptions in the British Muséum, Oxford, Clarendon Press. La Part II, by C.-T. NEWTON (1883) comprend notamment : Islands of the Aegean. Nous avons eu également à consulter : Part III, Section I : Priene and Iasos, by Rev. E.-L. HICKS (1886) ; section II : Ephesos, by HICKS (1890) ; Part IV, Section I : Knidos, Halicarnassos and Branchidae, by Gustav HIRSCHFELD (1893). Le volume consacré à Ephèse a beaucoup diminué l’utilité de l’ouvrage de WOOD : Discoveries at Ephesus, including the Sites and Remains of the Great Temple of Diana, London, 1877, in-8° ; cependant quelques inscriptions ne se trouvent encore que là.

[17] Inscriptiones graecae insularum, Berlin, Reimer ; tome I, Rhodes (1895) et tome III, renfermant notamment Astypalaea (1898), par M. Fr. HILLER VON GAERTRINGEN ; le tome II (1899) nous donne le Corpus de Lesbos, par M. PATON, qui y a introduit des textes inédits.

[18] Notons pourtant, comme pouvant passer pour des ouvrages à part, les tomes I, II et III des Papers of the American School of Classical Studies at Athens ; le premier renferme des Inscriptions of Assos and Tralleis (1885) ; les autres sont dus tous deux à M. SITLINGTON STERRETT : An Epigraphical Journey in Asia Minor et The Wolfe Expédition to Asia Minor (1888). Notons en passant que l’auteur a reproduit plus d’une inscription déjà connue sans y apporter de grandes modifications. Une partie seulement de ces deux volumes concerne le Sud de l’Asie proconsulaire.

Citons également : Aus Lydien, epigraphisch-geographische Reisefrüchte, hinterlassen von Karl BURESCH, herausgegeben von Otto RIBBECK (avec carte de Kiepert), Leipzig, Teubner, 1898, gr. in-8°.

Enfin, d’autres recueils forment un tout et épuisent leur matière ; aussi, bien que celle-ci soit assez restreinte, méritent-ils une mention spéciale : PATON and HICKS, Inscriptions of Cos, Oxford, Clarendon Press, 1891, gr. in-8°. — Max FRANKEL, Die Inschriften von Pergamon (fait partie des Alterthümer von Pergamon) ; le tome II renferme les inscriptions de l’époque romaine. — C. HUMANN, C. CICHORIUS, F. WINTER, W. JUDEICH : Alterthümer von Hierapolis (Jahrbuch des K. d. archaol. Instituts, Ergänzungsheft, IV, 1898).

Add. le Corpus qui forme le tome III de l’étude de M. Ch. WALTZING sur Les Corporations professionnelles chez les Romains, Louvain, 1899, in-8°.

[19] L’avantage n’est pas insignifiant, étant donnée la manière dont ces textes sont souvent publiés. Il arrive bien des fois, et dans des recueils des divers pays, qu’on nous apporte simplement une reproduction en caractères épigraphiques ; l’auteur de la sulloge nouvelle néglige de tenter une transcription en caractères courants et, à plus forte raison, d’apporter ce premier commentaire général qui pourtant coûterait peu de peines et rendrait de grands services aux travailleurs, condamnés à des dépouillements aussi considérables que celui qui m’a été imposé.

[20] Catalogue of Greek Coins in the British Muséum, London, in-8° : Mysia, by Warwick WROTH, edited by Reginald STUART POOLE, 1892 ; Ionia, by BARCLAY V. HEAD, éd. by POOLE, 1892 ; Troas, Aeolis and Lesbos, by W. WROTH, 1894 ; Caria,  Cos, Rhodes, etc., by B. HEAD, 1897 ;  Lydia, by B.  HEAD, 1901. Chaque tome présente une préface analytique particulièrement soignée dans les derniers volumes cités.

[21] Inventaire sommaire — et provisoire. — Paris, Rollin et Feuardent, 1898.

[22] George MACDONALD, Greck Coins in the Hunterian Collection, Univertity of Glasgow, II (1901).

[23] Kleinasiatische Münzen, I (1901). Wien, Hölder.

[24] Qua condicione Ephesii usi sint inde ab Asia in formam provinciae redacta, Berolini, 1880, in-8°.

[25] Reichsrecht und Volksrecht in den östlichen Provinzem des römischen Kaiserreichs, Leipzig, Teubner, 1891, in-8°.

[26] Isidore LEVY, La Vie municipale de l’Asie Mineure sous les Antonins, I (Rev. des Études grecques, VIII (1895), pp. 203-250) ; II (ibid., XII (1899), pp. 255-289 el  t. XIV (1901), pp. 350-371).

[27] Stüdteverwaltung im römischen Kaiserreiche, Leipzig, 1900 (Cf. SCHULTEN, Götting. Gelehrt. Anzeig., 1901, pp. 560-575).

[28] O. LIERMANN, Analecta epigraphica et agonostica (Diss. philol. Halenses, X (1899), p. 1-242). Dissertation instructive, mais mal composée, dit avec raison M. Th. REINACH (Rev. Et. gr., XVII (1893), p. 161, note 1).

[29] Paul MONCEAUX, De Communi Asiae provinciae, thèse, Paris, 1835, in-8° ; Guillelmus BÜCHNER, De Neocoria, Giessen, 1888, in-8° ; E. BEURLIER, Essai sur le culte rendu aux Empereurs romains, thèse, Paris, 1890.

[30] En Phrygie, mission scientifique en Asie Mineure (août-sept., 1893). Nouvelles Archives des Missions, VI.

[31] Je veux parler des Cities and Bishoprics of Phrygia (Oxford, Clar. Press 1895-97) de M. W. H. RAMSAY. L’auteur a un plan, mais mal conçu et mal suivi. Abordant une à une les diverses régions de Phrygie, il en étudie la topographie ; méthode fort légitime si elle était appliquée à un ouvrage purement géographique. Tel n’est pas le cas. A propos de la situation d’une ville quelconque, il en expose les institutions et, en même temps, celles des cités voisines ; brusquement il nous fait passer de l’histoire de la gérousie aux légendes juives, puis examine la topographie d’une vallée, se consacre tout entier aux choses byzantines, revient à l’étude des domaines impériaux que suit un chapitre intitulé : Inscriptions chrétiennes. L’auteur n’a pas pris soin de composer son livre ; quel trésor il nous eût livré sans cette faute ! Mieux que personne peut-être il connaît l’Asie Mineure, et nous communique sur une foule de points des vues fort justes et originales. Je dois beaucoup à M. Ramsay.

[32] V. le tome IX de la traduction française de MM. P.-L. LUCAS et André WEISS.

[33] Dans l’article de M. Gaston BOISSIER (Les Provinces orientales de l’Empire romain, Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1874), il n’a pu être consacré que quelques pages à la question qui nous occupe. C’est sans doute aussi un ouvrage de vulgarisation que le travail suivant qu’il m’a été impossible de consulter : V. MASI, Vicende politiche dell’ Aria dall’ Ellesponto all’ Indo, II Dell’ anno 67 alb anno 333 di C ; Città di Castello, 1901.

[34] V. le 2e chapitre du tome X de son Histoire romaine, dans la traduction de MM. CAGNAT et TOUTAIN.