I. — LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR ET SA POLICE. La révolution parcourait de plus en plus vite son cercle fatal. Les hommes de 89, les grands réformateurs qui avaient introduit l'égalité dans la société et la liberté dans l'État, les constituants avaient passé et n'étaient plus que des aristocrates. Lafayette avait dû fuir : il expiait dans les prisons de l'Autriche son dévouement à la cause de la liberté. Bailly était libre encore, mais il allait trouver bientôt dans cette ville qui l'avait mis à sa tête après la prise de la Bastille, une prison dont il ne devait sortir que pour monter sur l'échafaud. La république avait, renversé, balayé tous les soutiens de la monarchie constitutionnelle. Les Feuillants n'étaient plus. Le pouvoir appartenait à ceux qui, après avoir détruit la royauté, avaient voté par faiblesse ou par calcul, par aveuglement ou par fureur, la mort du roi. Mais le faisceau allait se rompre et les hostilités éclater parmi les alliés de la veille. Si les plus modérés avaient la majorité dans la Convention et dans la France entière, les plus violents avaient leur appui dans la Commune et dans la partie active des sections de Paris. Dans la Convention même, les modérés, les Girondins avaient donné les mains à la création des deux choses qui furent l'âme et l'instrument de la Terreur au profit des violents : le Comité de salut public et le tribunal révolutionnaire ; et quand ils s'alarmèrent, quand ils voulurent éprouver leur force au sein de la Convention en faisant décréter d'accusation Marat, le tribunal révolutionnaire leur renvoya Marat acquitté, triomphant. C'était le signe que leur ascendant avait pris fin. Dès ce moment les Montagnards gagnent de plus en plus dans la Convention, soutenus par les tribunes qui y apportent la voix du dehors en attendant l'émeute victorieuse. M. Mortimer-Ternaux, comme nous l'avons dit, a décrit ce progrès dans le VIIe volume de son histoire de la Terreur, ouvrage que sa mort a si malheureusement interrompu, au moment où il abordait son sujet principal. On y peut signaler la même fermeté dans les jugements, les mêmes scrupules à ne les asseoir que sur les faits les mieux vérifiés. Ici pourtant il y a une source d'informations que l'auteur paraît avoir négligée : ce sont les rapports de police adressés, jour par jour, au ministre de l'intérieur Garat. Ils ont été publiés par extraits dans un ouvrage qui a paru l'année même de la publication du dernier volume de notre regretté confrère : Tableaux de la Révolution française, publiés sur les papiers inédits du département et de la police secrète de Paris, par Ad. Schmidt, professeur d'histoire à l'université d'Iéna[1]. Ils ne changent rien aux conclusions du premier ouvrage : mais ils ajoutent beaucoup à la connaissance des événements. M. Mortimer-Ternaux nous montre les choses comme elles sont arrivées. Les rapports de police nous font connaître le milieu où elles se sont passées ; ils nous font voir comme le péril était connu, le remède indiqué, et comment le ministre de l'intérieur qui, prévenu de tout, ne fit rien, est plus responsable encore du résultat que M. Mortimer-Ternaux ne l'en accuse. Comme toutes nos journées révolutionnaires se ressemblent, qu'elles se préparent de la même sorte, qu'elles réussissent par les mêmes raisons, il ne sera pas sans intérêt de faire quelques emprunts à ces rapports. Nous y verrons des choses que nous avons vues nous-mêmes à des époques plus récentes et que, si nous ne changeons d'habitudes, nous sommes destinés à revoir. La rivalité des deux partis de la Gironde et de la Montagne s'envenimait et s'irritait par le fait même de la situation formidable où leurs fautes avaient placé la France. On loue avec raison la Convention de l'énergie qu'elle a déployée contre l'étranger. On la pourrait blâmer aussi justement des périls dans lesquels elle avait jeté le pays. Ce n'était pas assez de la lutte où il se trouvait engagé contre l'Autriche, la Prusse et la Sardaigne. On avait déclaré la guerre à l'Angleterre (1er février 1793) ; on l'avait déclarée à l'Espagne (7 mars) ; et en même temps que l'on se trouvait avoir ainsi autant d'ennemis que de voisins, quand la guerre menaçait chacun des points de nos frontières, elle éclatait à l'intérieur, provoquée en Vendée par le supplice de Louis XVI. Au milieu de tant de dangers, avec des moyens si bornés et une organisation si imparfaite encore, les revers étaient possibles ; mais dans cette fièvre ardente des partis, le moindre échec était rapporté à la trahison, et le mal que l'on soupçonnait à tort pouvait naître de ces soupçons mêmes. Nul doute que le nom de traître, jeté à Dumouriez par tous les clubs, ne l'ait entraîné à trahir (1er avril). La trahison de Dumouriez eut pour l'armée cette conséquence désastreuse, que les soupçons qu'on en avait eus par avance furent justifiés et que désormais tout général malheureux fut tenu pour traître ; elle eut pour la Convention ce résultat, que les deux partis avec lesquels Dumouriez avait également des relations, s'accusèrent d'en être les complices ; et l'heure de la crise en fut d'autant plus rapprochée. C'est sur l'attitude de Paris à la veille de cette crise et sur celle du gouvernement, que les rapports de la police nous donnent des renseignements curieux et nouveaux. Et d'abord disons ce qu'était cette police. Garat, successeur de Danton au ministère de la justice (10 octobre 1792), puis par intérim de Roland au ministère de l'intérieur (23 janvier 1793), puis définitivement et uniquement ministre de l'intérieur (14 et 20 mars)[2], l'avait instituée pour s'éclairer sur les dispositions des esprits dans cette situation singulièrement difficile. Garat ne manquait pas de lumières par lui-même, et il connaissait les partis. Il voyait, dit M. Schmidt, dans le côté droit, le génie de la république, seul capable de la sauver, de la créer, de l'organiser avec sagesse et avec grandeur ; tandis qu'il voyait dans le côté gauche ou dans la Montagne les passions de la république qui, si elles étaient ou seules ou dominantes, seraient capables de la perdre (Mémoires de Garat, p. 71). Il reconnaissait que le côté droit, sur lequel la république fondait ses plus belles espérances (p. 73) faisait appel à tous les honnêtes gens de la France (p. 46), tandis que le côté gauche penchait à appeler à sa défense les excès du peuple (p. 49).... Il n'y a nul doute qu'il ne partageât absolument les opinions politiques de la Gironde, comme il en partageait l'horreur pour les forfaits déjà commis ou imminents de l'anarchie. On aurait donc pu croire qu'il serait son champion, son défenseur le plus acharné ; et, en effet, tous ceux qui ne le connaissaient point profondément, s'attendaient qu'il ne serait que le commis de Girondins et le gardien de leurs intérêts. Mais Garat manquait de résolution pour combattre le mal où il le voyait, et, ce qu'il y a de pis, il se faisait de sa manière d'agir un système politique. Il se croyait grand philosophe et il appelait sa faiblesse tantôt circonspection et ménagement, tantôt modération et neutralité (p. 45, 142)[3]. Comme ministre de la justice,
dit encore M. Schmidt, et malgré son horreur pour
les massacres de septembre, il n'avait pu être poussé à donner lieu à des
poursuites contre leurs provocateurs ; il s'était prononcé à ce sujet, de
manière à ne pas rompre avec les Montagnards ; il avait représenté ce grand
crime comme une suite nécessaire et fatale de l'insurrection du 10 août, et
prétendu que la révolution seule en était responsable. Lors du procès du roi,
il s'était prononcé, d'un côté, contre le jugement et l'exécution, mais de
l'autre aussi, contre l'appel au peuple. Le 16 janvier 1793, dans le compte
qu'il rendit au nom du Conseil exécutif, de la situation de Paris, il avait
ajouté de son propre mouvement : Tout me parut parfaitement tranquille. (Moniteur
n° 20.) Dire, depuis ce temps, Paris est
calme ou Paris est parfaitement tranquille c'était pour lui plutôt
un principe qu'une opinion. Il répétait cette assertion, même au milieu des
plus vives agitations et, comme l'on verra par la suite, malgré sa
connaissance parfaite de tous les préparatifs de désordres qui se faisaient à
Paris[4]. Garat, continue le même auteur, se mettait par principe, c'est-à-dire par faiblesse, entre les deux partis ; il ne cherchait qu'à les rapprocher par des raisonnements tirés de la philosophie et de l'histoire. Si les Girondins sentaient la nécessité d'agir, de mettre promptement les fers au feu pour prévenir les crimes et les malheurs dont la patrie paraissait menacée (p. 61), il les dissuadait de prendre des mesures fortes. Et s'ils lui reprochaient sa faiblesse, sa tenue douteuse, il insistait sur sa théorie que la neutralité était une force, et même la force la plus rare de toutes (p. 45) ; ou il se mettait à vanter son courage, en ce qu'il prétendait prévoir que des deux côtés on tirerait sur lui ; ou enfin il se retranchait derrière la fiction de son indépendance, en disant rudement : Je prendrai pour guides ma conscience et ma raison, et non celles d'aucun homme sur la terre ; je n'aurais pas travaillé trente ans de ma vie à me faire une lanterne, pour laisser éclairer ensuite mon chemin par la lanterne des autres (p. 63)[5]. Il avait pourtant autour de lui des hommes qui l'aidaient à voir clair ; et cela nous ramène du ministre à ses agents. Ce fut dans la soirée du 10 mars, dans cette soirée où les Cordeliers et les Jacobins tentèrent déjà de réaliser le complot qui fut repris avec plus de succès le 31 mai[6], ce fut alors que Garat, isolé au milieu de ces préparatifs de l'émeute, sentit le besoin d'avoir, sur les principaux points de Paris des observateurs pouvant lui rendre compte de ce qui se passait[7]. Le mois suivant, il en fit une institution régulière. Le bureau d'esprit public, établi par Roland pour répandre par des écrits les principes de la Révolution, se transforma, sous la direction de Champagneux, l'ami et le coopérateur de Roland, en bureau d'observation[8] ; et Garat choisit lui-même plusieurs observateurs. Les agents dont il fit choix, disons-le à sa louange, n'étaient pas de ces hommes qui s'appliquent à ne voir que ce que leur chef souhaite qu'on lui dise. Ils voyaient ce qui se passait sous leurs yeux, et ils disaient tout bonnement ce qu'ils voyaient. Parmi eux, il en est un qui se distingue surtout par son courage et sa sincérité. C'est un ancien avocat, nommé Dutard, investi de cette charge le 30 avril[9]. Dutard n'est pas seulement pour son ministre un agent, il est un conseil, un ami, et on peut dire le meilleur des amis, puisqu'il lui fait connaître la vérité, même quand elle est désagréable. Il ne se borne pas à lui dire ce qui est, il lui dit ce qu'il faudrait faire ; et en lui offrant les moyens d'agir en connaissance de cause, il le pousse à l'action. Dans la lettre par laquelle il accepte sa mission, il exprime comment il la conçoit, et montre déjà par un exemple de quelle manière il la veut pratiquer : Je vais donc me livrer tout entier et sans réserve à l'étude de la Révolution ; je ne me bornerai pas à vous rapporter ce que j'aurai vu et entendu : c'est la mécanique du métier qu'un simple valet remplirait aussi bien que le premier philosophe. Si j'étais restreint à cette opération je vous avoue que l'idée seule m'en ferait peur. Il faut sans contredit que j'énonce des faits ; minima circumstantia facti inducit maximam differentiam juris.... mais il faut aussi que je raisonne d'après les faits, que je transmette ce que j'ai senti plutôt que ce j'ai entendu ; il faut au moins que je tire les conséquences premières. Par exemple, hier, au Palais de l'Égalité (Palais-Royal), un jeune homme qui, par son moral, m'a paru être un Brissotin ou un aristocrate, avait querelle avec un Jacobin. L'un avait marché sur la queue du chien de l'autre, et pour cela il a failli s'élever une affaire conséquente entre eux. Quand je vous aurais fait un article qu'un homme avait marché sur la queue d'un chien et que le maître s'en était fiché, à la lecture d'un semblable article, vous n'auriez pu vous dispenser sans doute de sourire ou de sentir un mouvement d'indignation contre le rédacteur. Mais si, au contraire, je vous dis : Je suis arrivé au Palais de l'Égalité à trois heures de l'après-midi : dans quatre minutes j'y ai tout vu. Deux cents aristocrates à peu près garnissaient les allées du jardin ou les cafés ; il y avait peu de Jacobins, les aristocrates étaient silencieux, rêveurs, paraissaient se concerter. Quelques-uns un peu lettrés y raisonnaient sur la politique, élevaient le peuple au degré de confiance qu'il faut pour engager le peuple à voler au secours de nos frères de la Vendée ; d'autres invitaient les propriétaires à se jeter en foule et en masse dans les sections, pour y régler l'esprit public et faire des lois d'administration. Il y avait beaucoup de gens des départements, tant en uniforme qu'en habit bourgeois, tant Brissotins que Jacobins. Chacun s'observait. A l'instant un promeneur maladroit foule la queue d'un chien ; le chien crie, le maitre prend fait et cause pour lui, tout le monde accourt. Le Jacobin avait un grand sabre et l'aristocrate n'en avait point. Chacun rit de la queue, hors eux, les querelleurs. L'aristocrate fait d'abord bonne contenance, puis pâlit et puis s'excuse. Cette scène est la centième que j'ai vue dans le même genre, elle forme tableau. Du vivant de Capet, le Jacobin en pareil concurrence aurait été moulu ou du moins chassé. Pourquoi, me direz-vous, une douzaine de Jacobins ont-ils fait peur à deux ou trois cents aristocrates ? C'est que les premiers ont un point de ralliement et que les autres n'en ont point. C'est que les aristocrates sont encore divisés entre eux. Tous crient contre les tueurs (de septembre) ; quelques-uns des plus raisonnables veulent se réunir à la partie saine de la Convention, mais la majeure partie résiste. On la voit repasser dans sa tête toutes les anciennes querelles, les anxiétés de toute espèce ; on la voit encore bavarder contre les Guadet, les Vergniaud, etc. (30 avril 93)[10]. Nous voici, dès le premier jour, en face des deux partis qui sont en lutte : les modérés de toute nuance, devenus, même les Brissotins, les aristocrates, et les enragés ou Jacobins ; et l'on peut voir par ce simple exemple où est le nombre et où est la force. Dutard ne ménage pas les premiers et encore moins les autres. Il ne se fait aucune illusion sur les héros du 14 juillet et du 10 août : Il existe, dit-il, dans la classe enragée une espèce d'hommes qui sortent de la Pitié, et qui, après avoir parcouru une carrière désordonnée, finissent par retomber à Bicêtre. C'est un adage reçu parmi le peuple : de la Pitié à Bicêtre. Cette espèce d'hommes n'a aucune sorte de conduite. Elle mange 50 liv. quand elle a 50 liv. : ne mange que 5 liv. quand elle n'a que 5 liv. ; de manière que mangeant à peu près toujours tout, elle n'a à peu près jamais rien, elle ne ramasse rien. Depuis la Révolution, cette classe a beaucoup souffert ; c'est cette classe qui a pris la Bastille, qui a fait le 10 août, etc. C'est aussi elle qui a garni les tribunes des assemblées de toute espèce, qui a fait des motions, qui a rempli les groupes, qui a.... qui n'a rien fait[11] ; — mais qui fait les révolutions. Tous les conseils de Dutard à Garat tendent à les enrayer, en leur opposant l'union de ceux qui ont intérêt au maintien de l'ordre public. II. — LES HABITANTS DE PARIS EN MAI 1793. J'ai signalé le double péril qui menaçait la République à l'intérieur et au dehors ; et il semble que le second aurait dû diminuer le premier, en tournant contre l'ennemi les soldats de l'émeute. Malheureusement il n'en est pas toujours ainsi, et les démagogues' en font plus volontiers une occasion d'émeute. Le 26 avril, la section Bonconseil avait pressé la Commune de demander à lu Convention la formation immédiate de plusieurs bataillons dans la ville de Paris pour marcher sans retard contre les départements insurgés. C'est cet arrêté, dit Beaulieu, qui provoqua la création de ces héros à 500 livres dont une partie grossit l'armée rebelle, tandis que l'autre se déshonora par des brigandages de toute espèce. Le 30 une occasion plus grande leur était offerte de servir la patrie. Sur la proposition du Comité de salut public, onze armées furent créées pour défendre les frontières partout menacées[12]. C'est ce grand mouvement que les meneurs voulaient tourner au sens de leurs passions : Chaumet (Chaumette) a porté la parole, il a parlé en enragé. Les mots de sang, de carnage tapissaient à peu près toutes ses phrases : Il faut que les prêtres fanatiques nous servent d'holocaustes. Il parle de trahisons : Quelles sont les nouvelles qu'on nous a données des troubles de la Vendée, de nos armées ?... Il faut que nous soyons ce que nous étions au 10 août.... Du sang, citoyens, du sang !... Périssent quelques hommes, il faut couper les bras pour sauver le corps, etc. : Il a proposé une proclamation à faire le matin dans tous les carrefours de Paris, commençant par ces mots : Citoyens, levez-vous, le tocsin sonne dans la Vendée[13]. Dutard constatait que ce discours très-applaudi avait produit peu d'effet au point de vue des enrôlements, et il en donnait les raisons : 1° Il est rare que l'on soit
effrayé du danger dont on n'est pas soi-même menacé ; je veux dire lorsque le
danger est encore loin de nous. Quel pays est-ce,
se demande-t-on, que le département de la Vendée,
combien de lieues compte-t-on ? — Soixante ! — Ah ! ils ne
sont pas encore à Paris. 2° Le peuple est las, il sent bien qu'il n'est ici que le jouet des partis, et c'est malgré lui qu'il se livre à celui qui le flatte le plus. .... 5° Le peuple tire les conséquences ultérieures qui peuvent en résulter.... Mais si, après que nous serons partis, me disait un garde national, assis à mon côté, si les départements voisins s'assemblent à Paris.... 6.000 par-ci, 6.000 par-là, nous serions de belles gens ![14] Le lendemain il décrivait le mode et les effets de la proclamation : Hier, à deux heures, deux officiers municipaux, suivis d'un haro, viennent aux halles pour y faire la grande proclamation : Parisiens, levez-vous ! Parisiens, levez-vous ! Tous les trois avaient une physionomie proscrite. Le haro avait la voix bêlante, je m'approche avec quinze ou vingt personnes pour entendre les braves messieurs. Quelques-uns se détournent et ne veulent pas savoir la fin ni connaître le résultat de cette proclamation. Une femme, l'une de ces marchandes de poisson qui bordent le chemin, s'écrie : Oh, le diable les étrangle, si le mien y va ! (elle parlait de son mari) ce qui fit rire beaucoup les autres. Quelques autres personnes
délibèrent et disent : Dans ce moment, on nous
demande vingt mille hommes, dans peu on nous en demandera encore dix mille
autres et plus, et puis cinq mille, de manière qu'on parviendra à tout
enlever, il ne restera plus personne. Il y a ici au moins deux mille
gendarmes, qu'est-ce qu'ils font ici ? Que ne les envoie-t-on au lieu de
faire partir les pères de famille. Un autre disait : Il y a beaucoup de volontaires revenus des frontières, il
en arrive tous les jours ; encore hier, à la barrière de Bondy, on en (a) arrêté plus de
60 ; ils sortent par une barrière et rentrent par l'autre ; ils volent
l'argent des sections et celui de la nation ; que ne fait-on partir tous ces
gens-là ? D'autres enfin : A quoi nous
conduit tout cela nous avons toujours été trahis et nous le serons toujours[15]. A cette date, ter mai, la Commune de Paris avait pourtant fait annoncer à l'Assemblée que, dans le plus bref délai, elle ferait partir pour la Vendée 12.000 hommes et 30 pièces de canon ; et sur la proposition de Marat la Convention avait déclaré que les Parisiens avaient bien mérité de la partie. Mais les jeunes gens que cela concernait ne goûtaient pas tous aussi bien la mesure. Le 4 mai, ils se réunirent aux Champs-Élysées pour en délibérer, et leur rassemblement effraya la Commune ; le 5 une troupe de 400 d'entre eux parcourut tout Paris cherchant à rallier des opposants, et la Commune, de peur de troubles, les laissa faire[16]. Les faubourgs ne répondaient pas mieux à l'appel : la crainte de trahison, comme on l'a vu tout à l'heure, et le motif de garder Paris étaient un excellent prétexte pour ceux qui né se souciaient pas d'aller à la guerre. Un autre observateur, Terrasson, disait de même quelques jours plus tard : Les faubourgs sont debout mais pour écraser les personnes suspectes, si elles remuent, et non contre la Convention ! Néanmoins des précautions douces et adroites, pas autre chose. Et en post-scriptum : Les faubourgs ne se recrutent pas, parce qu'ils savent qu'ils sont plus nécessaires ici qu'à l'Avandée (qu'en Vendée). Ils laissent les autres plus riches aller à la guerre. Eux veillent ici et ils ne comptent sur personne comme sur eux pour garder Paris[17]. Un autre fait qui eût été plus de nature à émouvoir les Parisiens, c'est la motion que fit Guadet, au milieu des violences dont la Convention était menacée dans Paris, d'aller tenir séance à Versailles. Chaumette voulait y voir la perte de Paris ; et, cherchant à échauffer les esprits, il s'écriait : La Convention menace de quitter Paris ! Autrefois nous avions la cour, les grands ; à présent nous n'avons plus personne.... Si la Convention quitte Paris, nous sommes tous perdus ; tuons-nous tous, il ne vous reste plus qu'à égorger vos enfants.... Eh ! que deviendra Paris ? Je propose donc que le Conseil général déclare que, si la Convention quitte Paris, Paris la suivra partout où elle ira ; que si la Convention s'en va à Versailles, tout Paris ira aussi à Versailles ; qu'enfin Paris ne se séparera jamais de la Convention[18]. Mais la Convention était restée à Paris. Elle s'était bornée à faire évacuer les tribunes ; et ce prétexte manquait encore aux agitateurs. Une bonne occasion s'était offerte à eux naguère : c'est quand Dumouriez avait fait défection. Les esprits alors étaient échauffés, prêts à tout croire, à tout faire ; mais les Jacobins n'en avaient pas profité. C'était le cas de rallier les autres, de faire entendre aux propriétaires, aux modérés de toute nuance, ce que leur commandait leur intérêt bien entendu ; Dutard pressait Garat d'agir : Vous ne risquez plus rien, lui disait-il, le parti Jacobin est désarçonné, il est démembré, il est déconcerté ; vous avez tout le temps de préparer les matériaux nécessaires et de remonter la machine au degré que vous voulez qu'elle soit... Que dès aujourd'hui, que dès cet instant la trompette de la réunion sonne chez tous les propriétaires, en plus grand nombre possible ; qu'ils consolent le peuple ; qu'ils l'élèvent au courage ; que les plus grands sacrifices soient faits ; que l'or, l'argent, les bons traitements de toute espèce, que rien, en un mot, ne soit épargné. Que l'on fasse bien entendre à l'aristocratie combien elle a intérêt de se réunir à la saine partie du peuple ; qu'on lui explique bien clairement que, s'il arrive la moindre insurrection, elle sera moulue, et qu'il ne s'en salivera pas un seul[19]. Mais on ne fit rien ; et dans cette inaction du pouvoir, les hommes de désordre gardaient tout leur ascendant sur la foule. Qu'on en juge par cette scène décrite par Terrasson : Marat est passé vers cinq heures aux Tuileries ; on s'est rangé en haie pour le faire passer. Quelques voix ont crié : vive Marat, et on l'a accompagné, le sabre nu à la main, jusqu'à l'escalier de la terrasse, vis-à-vis l'entrée de la Convention. Là il a dit de rengainer le sabre et on l'a rengainé[20]. Le 10 mai on proposait aux Jacobins d'aller détruire les presses de Brissot. On se préparait aux violences ; et les hommes de loisir, la population paisible, allaient jouir des prémices du printemps aux Champs-Élysées et aux Tuileries. Cette sécurité épouvantait Dutard, et il ne s'effrayait pas moins de la quiétude de son ministre : Croyez-moi, lui disait-il, laissez là la métaphysique ; abandonnez l'histoire et les belles-lettres jusqu'à ce que le danger soit passé. Occupez-vous le moins possible des détails d'administration ; soyez tout entier à la tactique révolutionnaire. Il y a du travail pour quatre. Formez des comités de conférences dans les divers points de la ville de Paris, et surtout conférez souvent avec vos observateurs. Proposez-leur vos doutes, et ils les résoudront. Ce que l'un vous aura dit, vous le proposerez à l'autre ; vous verrez s'ils sont d'accord, et s'ils ne le sont pas, vous jugerez quel est celui d'entre eux qui se rapproche le plus de la vérité. Il n'est peut-être que l'observation qui puisse vous tirer d'affaire, et, par les moyens que je propose, vous deviendrez observateur vous-même. Hier soir, l'un de nos enragés — David, marchand de vin — a dit à la tribune de ma section : On sait comment s'est comportée la Commune du 10 août. Cette fameuse journée, à laquelle nous devons rapporter notre liberté, se renouvellera, je l'espère, avant peu. Des sabres, mordieu, des sabres ! Préparez tout pour la défensive.... Vous êtes bien près de la victoire ; mais je vois à regret qu'elle peut encore vous échapper. S'il existe quelque organisation, des relations entre les propriétaires des diverses sections, invitez-les à la surveillance, à la fermeté, au courage. Mourir pour mourir, il vaut encore mieux mourir en défendant sa vie. Invitez-les pareillement à ne pas s'absenter de chez eux le soir, à se priver de promenades, parce que je suis plus qu'assuré que s'il se fait quelque attaque, si la faction se met en mouvement, ce sera, à coup sûr, à ces heures-là.... Armez complètement tout votre monde ; que chacun ait un sabre, un fusil, des pistolets ; qu'au moindre mouvement, au moindre coup de tambour, toue vos commis, vos domestiques, vos parents et amis, sans en excepter un seul, vieux et jeunes, soient sous les armes et dans leurs sections. (Schmidt, t. I, p. 204, 205.) Si Paris était pour la Commune, les départements étaient pour la Convention ; et Garat y trouvait une raison de se rassurer en cas d'événement. Dutard le détrompe : Vous me dites que les départements se porteraient sur Paris. Mais observez donc que les départements ne sont pas à Paris ; qu'on aurait le temps de tuer, de massacrer, de dépouiller, avant que les départements eussent fait un seul mouvement. D'ailleurs ce n'est pas une chose démontrée qu'ils se porteraient sur Paris ; car moi je croirais au contraire pouvoir démontrer qu'une grande partie se réunirait aux Parisiens, par mille relations, par mille raisons d'intérêt (10 mai, ibid., p. 206.) Et dans son rapport du 13 mai, après lui avoir conté l'amusante histoire de M. Saule, ancien colporteur charlatan aux boîtes de quatre sous garnies de graisse de pendu pour guérir le mal aux reins, depuis, directeur de l'esprit public et chef de claque dans les tribunes : Le peuple veut généralement la paix ; un parti nombreux de propriétaires est résigné, est disposé à faire tout ce qu'on voudra, et vous le laissez dans l'inaction, isolé, sans appui, sans soutien.... Vous avez au moins dix mille commis dans l'administration, plus de quinze mille, à coup sûr, chez les marchands, vingt mille propriétaires. Chacun de ces propriétaires, s'il le voulait, pourrait dans trois jours doubler le nombre, en appelant un frère, un neveu, qui sont dans les campagnes ou les villes voisines.... Les gendarmes qui sont ici parlent ouvertement contre la révolution jusqu'à la porte du tribunal révolutionnaire, dont ils improuvent hautement les jugements. Tous les vieux soldats détestent le régime actuel ; vous avez les invalides. Que n'avez-vous, hélas ! Lafayette dans un coin de votre antichambre ! Je mets en fait que dans deux jours il mettrait la faction au point de ne savoir plus où donner de la tête. Allez, croyez-moi, choisissez quelque bonne tête pour exécuter ; prenez pour vos comités des gens qui ont servi sous Lafayette. S'il n'avait pas eu le malheur d'être marquis, Dumouriez, malgré son grand génie, n'était pas propre, dans la tactique révolutionnaire, à lui soigner[21] ses souliers. Si les philosophes n'en sont pas d'accord, c'est du moins ce que vous diront tous les observateurs.... Vous faites deux pas en avant, et bientôt vous reculez de quatre. Renvoyez vos avocats Vergniaud, Guadet, à leurs sacs et à leurs pièces, ils n'y entendent rien, absolument rien. (13 mai, ibid., p. 216, 217.) Cependant tout se préparait pour la révolution projetée. Le 12 mai au soir, Dutard avait dit à Garat : Ce moment est terrible et ressemble beaucoup à ceux qui ont précédé le 2 septembre[22], et il n'avait pas tort : car ce jour même les administrateurs de police préparaient, comme le conjecture M. Schmidt, les arrêtés qui furent pris le lendemain par le conseil général de la Commune : 1° Organisation d'une armée révolutionnaire soldée, qui fera le service de Paris et sera toujours en réquisition. 2° Désarmement et arrestation des gens suspects, selon un mode qui sera fixé secrètement. (Ibid., p. 220.) On armait la faction, on désarmait et on arrêtait les autres : n'étaient ce pas les préliminaires d'un nouveau 2 septembre ? Bien plus, quelque confiance que pût donner au parti une Commune où l'on prenait ces arrêtés, on préparait, pour diriger le mouvement, un autre conseil tout révolutionnaire un comité central des quarante-huit sections de Paris[23]. Dutard l'annonçait à Garat dans une lettre énergique (14 mai) où il lui traçait ce qu'il y avait à faire, et critiquait sa manière toute platonique de faire : Trois écueils à éviter (et que vous devez, vous, mettre à l'ordre de tous les jours) : 10 prévenir l'insurrection instantanée ; 20 donner assistance et protection aux propriétaires, et les corroborer le mieux que vous pourrez ; 30 couper tous les fils de la coalition dans la ville de Paris.... Vous voulez gouverner le peuple par l'opinion, par la confiance, ajoutait-il. Il faut leur faire aimer, me dit-on quelquefois.... Quoi ? ce qu'ils n'aiment pas du tout. Et, en effet, quoique j'adopte entièrement le principe qu'il faut, autant que possible, inspirer de la confiance au peuple, de l'amour pour les lois, les lui faire aimer, dois-je également convenir que ce principe est applicable au cas présent, à l'hypothèse actuelle d'un parti qui détruit, qui dévaste tout ce que l'autre peut faire ? Je crois que je ne dois pas en convenir. Il faut nécessairement que la force et l'opinion aillent de pair et s'aident mutuellement ; sans cela point d'institutions politiques. Or, voulez-vous connaître les moyens pour éviter l'insurrection ? Je vais vous les apprendre par ce que fait la faction elle-même. Et il montre dans toutes les sections les sans-culottes occupant les comités de surveillance, siégeant au fauteuil ; ordonnant l'intérieur de la salle, disposant les sentinelles ; ayant cinq ou six espions soldés à 40 sous, hommes à tout entreprendre et dont le moindre office était d'établir des communications entre les sections : De manière que si les sans-culottes d'une section ne sont pas assez forts, ils appellent ceux de la section voisine. C'est ce qu'a fait ma section avant-hier soir, ajoute Dutard, et ce qu'elle a arrêté solennellement hier soir, comme mesure de sûreté générale. Et il recommande à Garat d'avoir aussi, pour tenir les autres en échec, des hommes à moustache. — C'étaient eux qui faisaient la loi au palais de l'Égalité. Deuxième question. — Moyen de revivifier les propriétaires. Je n'en connais que deux : le premier, c'est l'observation de la loi, que vous ne devez pas souffrir que l'on enfreigne aussi grossièrement sous vos yeux ; le second, c'est de rajuster les propriétaires, de telle manière qu'ils ne se séparent pas. Pourquoi tous les hommes de bon aloi ne se concertent-ils pas les uns avec les autres, ne se forment-ils pas un rempart réciproquement ? Tout ce qu'ils feraient deviendrait encore inutile, si la Convention ne fait pas son devoir, si elle ne réprime pas l'abus que les comités de surveillance font de l'autorité qui leur est confiée. Mais disons le mot, et disons-le bien : la faction s'entend beaucoup plus en révolution et se concerte beaucoup mieux que la Convention. La Convention fait de grandes phrases, se réfère tout entière aux départements, ii.... je ne sais qui. Et voulez-vous savoir ce que, sous quatre jours, il va lui arriver ? Le voici : La faction vient de former un comité central des commissaires des quarante-huit sections qui doivent se réunir à l'Évêché pour correspondre avec toutes les sections et la Commune de Paris[24]. Les comités de surveillance vont désarmer un à un toutes les personnes qui leur paraîtront suspectes, c'est-à-dire la moitié de Paris. Là, vous perdez l'équilibre. Ils emprisonneront le premier individu qui, avant de parler, ne criera pas : Vive Marat ! A mesure qu'il arrivera des hommes dans Paris, ils seront bien visités, bien examinés, et s'ils ont des armes, il faudra qu'ils les donnent à la faction. (Ibid., p. 225.) Il continue : Troisième écueil : la coalition. Elle s'établit de deux manières : par les comités révolutionnaires et par la force armée. Si l'on vient à former l'armée révolutionnaire proposée par Robespierre, c'est certainement bien établir une coalition. Or, la voir commencer ou la voir complétée, c'est pour la faction a peu prés la même chose — et je suis parfaitement de son avis. Je présume que la Convention doit se repentir de n'avoir pas adopté les arrêtés ridicules de la Commune et du faubourg Saint-Antoine, qui consistaient ; l'un, à faire partir principalement les commis des marchands, les clercs ; et l'autre, les prêtres, les célibataires des bureaux et les pétitionnaires des huit et vingt mille[25]. Ah ! si elle avait adopté cette mesure, elle tombait debout une bonne fois. Lorsqu'une armée de ces braves gens eût été formée, exercée pendant deux jours seulement, je ne sais pas qui aurait eu l'audace de leur dire : Ou partez, ou posez les armes. (Ibid., p. 226.) III. — LES PRÉPARATIFS DE L'INSURRECTION. Quelques manifestations auraient pu rendre force au parti modéré dans la Convention, si elles avaient été soutenues. Telle avait été, dans les premiers jours de mai (le 5), l'adresse de la section Bonconseil[26]. Telle fut, le 14, l'adresse présentée par les députés extraordinaires de Bordeaux, en réponse aux demandes de proscriptions dirigées contre l'Assemblée : Législateurs, quel horrible cri vient de retentir jusqu'aux extrémités de la République ! Trois cents représentants du peuple voués à la proscription, vingt-deux à la hache liberticide des centumvirs ! ... Convention nationale, Parisiens jadis si fiers et si grands, sauvez-nous de la guerre civile !... Oui, nous organisons sur-le-champ la moitié de notre garde nationale ; nous nous élançons sur Paris. si un décret vengeur ne nous arrête, et nous jurons de sauver nos représentans ou de périr sur leur tombeau ! L'adresse reçut les félicitations du président Boyer-Fonfrède ; et malgré les murmures de la Montagne, la Convention décréta qu'elle serait imprimée, envoyée dans les départements et affichée dans Paris[27]. L'adresse des Bordelais va achever de terrasser la faction, dit Dutard dans son rapport du 15 ; et dans son rapport du 16 : Le peuple, dans ce moment, est si bien disposé, la faction est tellement abattue, que si j'avais six mille hommes, avec un valet d'écurie de Lafayette pour les commander, je voudrais me rendre maître de Paris avant huit jours, et sans coup férir. Je dis un valet d'écurie de Lafayette ; car il est certain que l'aristocratie est tellement infatuée de ses privilèges, de ses sottises, qu'un aristocrate mis à la tête d'une expédition pareille révolterait toutes les âmes ; on le sentirait comme le bouc dans le bercail, comme les bêtes à cornes sentent le gîte du loup dans les bois. (Schmidt, Ibid., p. 232.) Mais il fallait agir ; et Dutard se doutait bien que Garat ne tiendrait aucun compte de ses avis. Il lui dit dans ce même rapport : Je vous avoue franchement qu'en combinant et vos moyens, et les mesures dont vous faites usage, je ne sais plus où vous voulez aboutir. Il me semble vous entendre dire à la faction : Tenez, voilà tout ; nous avons des moyens, mais nous ne voulons pas en faire usage contre vous ; il n'y aurait pas de courage de notre part de vous attaquer, lorsque vous n'êtes pas en force. La force publique émane de deux principes, de la force légale et de la force armée. Eh bien ! nous allons d'abord créer 48 comités de surveillance dont nous vous établirons les chefs, parce que, avec cette verge, vous donnerez le fouet à toutes les personnes honnêtes de Paris, vous réglerez l'esprit public, vous chagrinerez, vous vexerez tout ce qu'il y a de bons citoyens. Nous voulons faire plus — car le sacrifice ne serait pas complet —, nous voulons vous faire présent de notre force armée, en vous permettant, en vous autorisant à désarmer les gens qui vous sont suspects ; quant à nous, nous sommes prêts à vous rendre jusqu'à nos couteaux de poche.... Mais prenez-y bien garde, nous restons, nous, isolés avec nos vertus, nos talents ; et si, manquant à la reconnaissance, vous osiez attenter à nos personnes sacrées, nous trouverions des vengeurs dans tous les départements qui se réuniraient ; et si les départements manquaient à ce qu'ils nous ont promis, ils verraient beau eux-mêmes.... Et pendant qu'on tient ce langage à Paris, on crie sur tous les points de la France : Tue, tue, assassine, guillotine, etc., de manière que, si la main de l'Éternel ne vient mettre le holà, je ne doute nullement que, par toutes ces manigances, l'on ne parvienne à faire égorger tous les Français. Et je prouverai quand on voudra, que la probabilité sur ce fait a beaucoup d'analogie avec la certitude. (ibid., p. 232, 233.) Les manifestations dont j'ai parlé, pouvaient avoir, sur ceux qu'elles menaçaient, l'un ou l'autre de ces effets ; les abattre, ou les presser d'agir. Elles les avaient abattus d'abord, au rapport de Dutard ; mais il y en avait parmi eux qui se trouvaient, de leur nature, plus disposés à précipiter l'attaque ; et on le put voir déjà au club des Jacobins le 17 mai. Il y avait en effet, comme le remarque Dutard, deux partis aux Jacobins : Les gens instruits, propriétaires, qui pensent un peu à eux, comme malgré eux : — de ce nombre sont Santerre, Robespierre, et une grande partie des membres de la Montagne ; — et les anarchistes qui reposent en partie aux Jacobins, et principalement aux Cordeliers, dont Marat est le chef. (18 mai, ibid., p. 246.) Quand Thuriot, montant à la tribune, dit que le peuple avait, pour se faire justice, des moyens grands, puissants, mais qu'on ne saurait avoir assez de circonspection, les tribunes se récrièrent d'indignation : Et Robespierre commence aussi à nous parler de prudence ! Voilà encore un Robespierre ! Et quelques voix criaient : Le canon d'alarme ! Lorsque Legendre lui succéda à la tribune : Oh ! pour celui-là, il ne nous donnera pas du Robespierre, s'écria-t-on de toutes parts ; et tous les applaudissements furent pour lui, quand se démenant à l'ordinaire, avec force coups de bras, il dit : Si la chose dure plus longtemps, si la Montagne est plus longtemps impuissante, j'appelle le peuple, et je dis aux tribunes : Descendez ici délibérer avec nous.... On m'a provoqué en duel. Ceux qui me connaissent savent que, par caractère, je ne suis pas homme à refuser une partie de ce genre ; mais je me propose de déclarer à l'Assemblée qu'au premier qui osera me provoquer en duel, je lui brûle la cervelle au milieu de l'Assemblée. (18 mai, ibid., p. 244.) C'était plus court, et c'était plus sûr. Mais ce n'était pas dans la salle des Jacobins que les questions devaient être sérieusement posées et résolues. La Commune avait arrêté le désarmement et l'arrestation des suspects. Les administrateurs de police convoquèrent à cet effet les comités révolutionnaires des sections à la mairie. C'était un centre, c'étaient des instruments d'action ; et l'on se sentait de plus en plus pressé d'agir. Trois sections de Paris, celles de la Fraternité, de 1792, et de la Butte-des-Moulins étaient venues prier la Convention de réprimer énergiquement les complots anarchiques (18 mai). Barère lui-même avait, à cette occasion, dénoncé les projets formés contre la Convention ; et sur sa proposition on créait une commission de 12 membres pour entendre les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères et le Comité de sûreté générale, rechercher les complots, examiner les derniers arrêtés de la Commune et prendre les mesures commandées par la sûreté publique. La Commune et la Convention, ou plus particulièrement le comité central révolutionnaire et la commission des Douze, se trouvaient, dès ce moment, en présence. Dans le Comité central on proposait d'enlever vingt-huit membres de la Convention et de les faire disparaître du globe, ou autrement de les septembriser. Mais le maire Pache craignit de compromettre la mairie dans ces mesures violentes ; et le comité de conspiration se transporta à l'Évêché. Marino, un des administrateurs les plus violents de la police municipale, se plaignait qu'on n'eût plus l'énergie des 10 août et 2 septembre ; Varlet que l'excès de son civisme avait fait expulser des Jacobins, et qui, souffleté, comme un garde national lui demandait pourquoi, ayant un sabre à son côté, il ne s'était pas, sur l'heure, vengé de cet affront, répondait : Un bon patriote doit savoir supporter une injure, Varlet ne parlait plus que d'exterminer en masse les députés, les nobles, les prêtres, les robins. Le peuple ne paraissait en aucune sorte disposé à suivre ces énergumènes. Dutard le constatait, et dans les loisirs que lui donnait ce calme de la rue, il se plaisait à retracer quelques tableaux de mœurs révolutionnaires ; c'étaient d'ailleurs des faits qui aidaient à connaître l'état des esprits. Comme il était au palais de Justice avec un Jacobin maratiste, attendant le jugement de Miranda, il y avait un vieux bonhomme pérorant au milieu de la foule. Il disait : J'ai vu bien des fripons en ma vie, mais je n'en ai jamais autant vu que pendant la révolution. Allez, mes chers enfants, les poules qui crient le plus fort ne sont pas celles qui font les plus gros œufs. Dés que vous verrez un homme qui s'élance dans les tribunes pour y haranguer le peuple, méfiez-vous de lui ; pensez qu'il veut s'avancer et qu'il cherche à vous tromper.... Si j'avais été le maître au 10 août, j'aurais voulu faire l'apurement de tous ces patriotes qui ne se sont dits tels que pour s'emparer des places, et qui tous, autant qu'ils sont, nous ont perdus. Je leur aurais dit : Vous êtes patriotes, dites-vous. Eh bien, je veux vous en croire ; mais avant de vous donner une place, je veux que vous fassiez un noviciat de dix ans. Je vais prendre vos noms, comme vous étant signalés le 10 août, et si, dans dix ans, vous justifiez par de bonnes preuves que vous êtes restés stables dans les mêmes sentiments, vous aurez des places, et des meilleures. Ce discours a été très-bien goûté par la majeure partie des gens du peuple. Mon jacobin seul ne disait mot, parce qu'il n'y trouvait pas son compte. (17 mai, ibid., p. 236.) Pour multiplier les enrôlements volontaires, on y avait joint des primes. Voici ce que produisaient les primes : Deux petits vieux hommes de Saint-Marceau — âgés d'environ quarante ans et paraissant très-désœuvrés, très-pauvres — se concertaient ensemble à côté de moi. L'un, enrôlé à une section, disait à l'autre : Tiens, je viens de m'enrôler ; on me donne 200 livres, et on m'en donnera 400 quand je reviendrai. Ma foi, je te conseille de faire de même ; c'est d'abord gagné, bien payé ; avec cela on peut faire ses affaires. L'autre ne se sentait guère de courage, et néanmoins les 200 livres paraissaient lui faire grand plaisir. L'enrôlé, voyant que son camarade faisait quelque résistance, lui dit à plusieurs fois avec réticence et un clin d'œil affecté : Vas-y toujours.... nous partirons ensemble. Il semblait vouloir lui dire : Nous irons ; mais on m'a assuré que nous en serions quittés pour baiser le crucifix ; 200 livres, bon Dieu, pour baiser un crucifix !... Je crois beaucoup que mes deux baiseurs de crucifix partiront ensemble. (Ibid., p. 238[28].) Ce n'était pas là, grâces à Dieu, tous les volontaires, et Dutard pense tout autrement de ceux qui s'enrôlaient pour autre chose que la prime. Témoin ses réflexions sur un fait qui l'avait frappé au milieu d'un autre groupe où l'on déblatérait contre Miranda. Un petit courtier ayant pris la défense du général : Qui êtes-vous ? lui dit un enragé. Il lui répondit : Je suis un canonnier qui étais au siège de Mastreix (Maëstricht), qui ai servi sous Miranda, qui l'ai vu instrumenter, et ceux qui parlent contre lui sont des j.... f..., etc. Je fais, ajoute Dutard, sur cela deux remarques : 1° C'est que ceux qui ont été aux frontières ont un ascendant particulier sur le peuple, et qu'un cent de ces hommes, un peu bavards, mais bien intentionnés, suffiraient pour régler l'esprit public à Paris. 2° C'est que ces volontaires sont, tous, les ennemis des anarchistes et des aboyeurs des sections, et leur font trembler l'âme dans le corps quand ils leur parlent. Ils paraissent aussi fâchés de ce qu'on a fait mourir le roi, et à cause de cela seul ils écorcheraient tous les Jacobins[29]. (Ibid., p. 240.) La tranquillité des rues n'inspirait pas confiance â notre observateur, et il communiquait ses appréhensions à Garat. Il écrivait le 19 : Le jour, l'heure, le moment où l'insurrection aura lien sera sans doute celui où la faction croit pouvoir utilement et sans risque mettre en jeu tous les brigands de Paris. Surveillez, et surveillez sans relâche ; que les réserves soient fournies, les patrouilles fréquentes et nombreuses. Que les propriétaires aient avis de ne pas sortir de chez eux ; qu'ils aillent à leurs sections, qu'ils y portent l'esprit de modération, et qu'ils y soient stables comme des bornes jusqu'à la fin des séances. (Ibid., p. 254.) Mais il connaissait Garat, et il lui disait dans son rapport du lendemain : Vous m'avez accusé quelquefois, m'a-t-on dit, d'avoir des principes contre-révolutionnaires, et moi, plus impartial, je vous ai accusé de ne vouloir faire ni la révolution, ni la contre-révolution. Du quiétisme tout pur, voilà ce qu'il me semblait remarquer en vous il y a deux mois. (ibid., p. 256.) Il lui montrait que c'était le moment d'agir, et il lui donnait pour modèle celui que lui-même prenait pour régulateur, Lafayette : Que ferait Lafayette, s'il était à Paris ? Il appellerait, d'abord, des troupes de ligne ou des gardes nationales des départements, 6, 10 ou 12.000 hommes tout au plus. Il les casernerait, leur donnerait des canons et autres armes ; il leur donnerait le titre de troupes de réserve, toujours prêtes à marcher ; elles seraient exercées du matin au soir, et des émissaires seraient répandus sur les places pour y prouver que tel jour est fixé pour leur départ. Viles seraient destinées, comme l'on m'entend, pour aller combattre les rebelles de la Vendée. La Convention décréterait un camp, sous les murs de Paris, de 20.000 hommes. Tous les citoyens, depuis l'âge de 12 ans jusqu'à 70, seraient tenus, par moitié, d'y aller faire un service de huit jours... Une fois au camp et bien casernée, cette troupe, gouvernée par de bons chefs, ferait le service exactement ; les évolutions militaires seraient son occupation unique du matin au soir. Vous prendriez chaque jour dans ce camp, 4 ou 5 mille hommes pour la garde de Paris. Qu'arriverait-il ? C'est qu'à la troisième semaine, vous déclareriez que les 6 premiers mille hommes, formant l'armée de réserve, feraient la garde de la représentation nationale. C'est que, dès cet instant, la faction serait abattue et perdrait tout son crédit. C'est que, pour détruire la faction, vous n'auriez pas besoin, comme les Guadet, les Vergniaud, de lancer des décrets d'accusation contre les factieux — ne serait-ce pas tout à fait immoral et impolitique de placer dans la tombe de Louis XVI ces mêmes hommes qui l'ont creusée ? Marat dans la tombe de Louis XVI... ! — Prenez-y bien garde, cet article, cette transition est importante. Que Marat vive, que Robespierre vive, que Chaumet vive... Vous affligeriez trop le peuple, et il croirait facilement à la contre-révolution, lors même que vous protégeriez la liberté. (20 mai, ibid., p. 257.) Et dans son bulletin de Paris du même jour, il lui cite le procédé de Lafayette envers Santerre, que le général avertit pour n'avoir pas à le prendre : Eh bien ! dites aussi à chacun des factieux : Cache-toi, coquin ! mais ne les tuez pas. C'est du reste la seule chose qu'il leur accorde, et il n'entend pas qu'on les laisse subsister à l'état de factieux : Comment feriez-vous, item, me direz-vous, pour détruire la faction ? Le voici ! Le lundi de la troisième semaine, je mettrais 10.000 hommes sur pied. Dés les six heures du matin, la Convention serait entourée par une troupe à toute épreuve. Je ferais renforcer tous les postes de Paris ; 600 hommes au moins s'empareraient de la salle des Jacobins et en défendraient l'approche à quiconque. Toute la rue Saint-Honoré serait bordée, depuis la place Vendôme jusqu'au Palais, d'une force armée ; on laisserait un passage de l'autre côté de la rue. Des milliers de patrouilles seraient répandues dans toutes les rues, sur les places et les carrefours de Paris. Une proclamation, tirée à 20.000 exemplaires, serait distribuée gratuitement dans les rues. Elle serait courte, énergique. Elle assurerait l'hypothèque des assignats, la propriété de ceux qui ont acquis les biens du clergé. Elle assurerait la liberté, l'égalité, le règne des lois. (Ibid., p. 261.) Le plan de Dutard supposait un ensemble de mesures que Garat n'aurait pas prises fort aisément. Mais le parti modéré à lui seul, bien conduit, aurait pu suffire : Une question de fait que je voudrais traiter, si vous ne me l'aviez défendu, ce serait celle si le parti modéré, pris partiellement et collectivement, n'est pas plus fort, phis vigoureux, plus nerveux, et peut-être en plus grand nombre que le parti des anarchistes. (23 mai, ibid., p. 278.) Et, dans ce rapport même, Dutard avait montré que les modérés étaient prêts, que, loin de se laisser désarmer, ils tenaient à monter leur garde, à faire les patrouilles, et que, réunis, ils ne craignaient personne, qu'ils étaient craints. C'est cette force composée de presque toute la bourgeoisie de Paris — car, à Paris, disait-il, presque tous ceux qui ont quelque chose sont modérés, — c'est cette force qu'il aurait voulu voir constituer avant tout. Jusque-là toute lutte lui paraissait prématurée et dangereuse. Bien plus, c'était le vrai moyen de prévenir toute lutte ; et il y avait à cela justice, prudence et humanité : Que la Convention réfléchisse que la municipalité s'est mise presque en opposition à elle, l'a heurtée presque de front ; que par les empiétements sur l'autorité qu'elle a laissé faire à la municipalité, elle a semblé presque reconnaître la légitimité de sa conduite ; qu'elle a elle-même placé le peuple de Paris dans cette alternative si dangereuse, et qu'il est temps de faire cesser, qui était de savoir si c'était à la Convention ou à la municipalité que le peuple devait obéir. Vouloir donc frapper un grand coup, faire rétrograder l'opinion d'une pareille force, ce serait risquer le certain pour l'incertain ; ce serait imiter l'ancienne cour qui faisait un premier pas dans l'opinion publique la veille du jour qu'elle se proposait de faire quatre pas rétrogrades.... Je ne consentirai jamais à aucun essai, à aucune tentative de ce genre, que lorsque je saurai qu'une force départementale est dans vos murs, et qu'elle aura demandé elle-même ce que vous désirez. (23 mai, ibid., p. 279.) Le ministre ne fit rien, et la Convention ne marcha en avant que pour reculer aussitôt et se perdre. Le 22 mai, la section des Tuileries avait député à la Convention, se déclarant prête à la défendre ; le 23, celle de la Fraternité la pressait de réprimer les conspirateurs ; le 24, celle de la Butte-des-Moulins tenait un langage encore plus énergique contre la domination tyrannique de quelques scélérats : Faites un appel, disait-elle aux bons citoyens de Paris, et d'avance nous pouvons vous assurer que notre section ne contribuera pas peu à faire rentrer dans la poussière les insectes venimeux qui vous entourent et vous menacent[30]. Et Vigée, au nom de la commission des Douze, venait dénoncer le complot dont on avait saisi la trame, proposant, comme mesure préliminaire, un décret qui avait surtout pour objet la force armée de Paris ; décret qui fut voté malgré la Montagne. La commission ne devait point s'en tenir là. Ce même jour, Hébert, pour donner le change sur la véritable conspiration, avait publié dans le numéro 239 de son Père Duchesne : La grande dénonciation du père Duchesne, à tous les sans culottes des départements, au sujet des complots formés par les brissotins, les girondins, les rolandins, les buzotins, les péthionistes, et toute la f... séquelle des complices de Capet et de Dumouriez, pour faire massacrer les braves montagnards, les jacobins, la commune de Paris, afin de donner le coup de grâce à la liberté, et de rétablir la royauté. Ses bons avis aux braves héros des faubourgs pour désarmer tous les viédases qui pissent le verglas dans la canicule, et qui, au lieu de défendre la République, cherchent à allumer la guerre civile entre Paris et les départements. La commission lança des mandats d'arrêt contre Hébert et aussi contre Varlet, Marino et autres principaux meneurs du comité central. Frapper Hébert, c'était s'attaquer à la Commune dont il était membre comme substitut du procureur. Cette déclaration de guerre allait-elle être soutenue, et quel en devait être le résultat ? Dutard nous dit l'impression que cet acte de vigueur avait faite sur le peuple : On vient de m'apprendre, dit-il, que lui et six autres sont en état d'arrestation. Or, voulez-vous savoir ce que le peuple dit à l'égard de ces aboyeurs subalternes ? Eh bien, tant mieux, ils nous embêtent ; on fait fort bien de les f... dedans ; si on les y mettait tous, peut-être qu'ils nous laisseraient tranquilles et que les affaires en iraient mieux. J'en excepte pourtant la gent soldée ou philosophe. L'esprit du peuple est des meilleurs, frappez vos coups avec mesure, évitez le sang. Le parti d'Hébert pourrait soulever le peuple. Je crois cependant qu'il ne s'y déciderait qu'aux extrêmes. De l'indulgence ! Mais si on pouvait le retenir quelques jours, cela opérerait un grand bien. Il est bon que vous sachiez ce que, dans une circonstance telle que celle où nous sommes, il se passera lorsque Hébert sortira de prison ou des arrêts : c'est qu'il sera tout honteux ; il voudrait inutilement simuler l'enragé, le peuple ne l'en croirait plus. Il est une espèce de marque d'infamie gravée sur le front de quiconque est frappé par la loi, et qui, après avoir déployé une jactance outrée, finit par échouer et se montrer le plus faible... Le peuple hait la faiblesse autant que la poltronnerie. Lorsqu'un arbre est abattu, tout le monde court aux branches. Je ne sais si je me fais entendre. (Ibid., p. 300.) Ce n'est pas qu'il soit pour une guerre d'extermination, tant s'en faut : Laissez subsister encore la Commune, le Département et les Jacobins. Le système que vous paraissez adopter vous en fait une loi. Un chasseur prend un oiseau de proie : il le regarde, il l'examine ; voilà un animal qui est rare et curieux, se dit-il à lui-même. Mais il est dangereux, lui dit-on. Eh ! bien, diminuons la force de ses ailes, coupons-lui les serres, et raccourcissons-lui le bec. Ainsi dit, ainsi fait. L'oiseau conserve encore de la force et veut prendre mal ; il déchire tout ce qui l'approche. Mais à nouveau cas, nouveau remède. Le chasseur fait alors usage de la lime et des ciseaux. Que fait l'oiseau ? Il finit par s'apprivoiser et reste tranquille. C'est ainsi que j'en ai élevé quelques-uns. (Ibid., p. 301.) Il approuvait le décret de la veille. Il ne demandait plus qu'une chose pour rendre cœur aux bons doyens intimidés par les factieux de la Commune : Il ne manque plus à la Convention que d'établir une commission — ce qu'elle devrait faire dès aujourd'hui — pour surveiller les opérations des 48 comités révolutionnaires et de la Commune. Vous produiriez un si grand bien que, dans nos sections, les meilleurs citoyens ont encore peur d'être emprisonnés et désarmés ; on n'y parle qu'à contrecœur. (25 mai, ibid., p. 301.) On voit par ces citations de quelle manière cet homme, qui vivait par état au milieu du peuple de Paris pour l'observer, envisageait la situation et la conduite à tenir. Il n'aurait pas conseillé l'arrestation d'Hébert ; il ne croyait pas qu'on le pût retenir longtemps en prison sans risquer une lutte ouverte, et il n'était pas pour la lutte : il voulait que l'on fût non pas violent, mais fort. Il croyait qu'on pouvait être fort par la réunion des modérés, et que cette union suffirait à prévenir tout conflit, à triompher sans effusion de sang. La question étant engagée, il était d'avis qu'on trouvât un moyen honorable pour renvoyer Hébert, avant qu'on parût céder aux réclamations de la foule[31]. Renvoyé sans contrainte, il sortait humilié ; délivré sur les instances du peuple, il sortait triomphant. Cette manière d'agir était-elle possible ? Si Hébert était accusé de complot, pouvait-on le relâcher avant que l'affaire eût été éclaircie ? Et si on le retenait, pouvait-on ajourner ces réclamations populaires dirigées par la Commune ? Il était, on le voit, bien difficile que la Convention trouvât le moyen de relâcher Hébert sans se déshonorer, comme le voulait Dutard ; et, en effet, elle ne le trouva point. Le 25 mai, elle avait reçu l'adresse des trente-deux
sections de la Commune de Marseille contre les
fureurs des Catilina modernes et l'hypocrisie des Jacobins. Le même
jour, elle recevait la députation de la Commune de Paris, venant dénoncer l'attentat commis par la commission des Douze sur la
personne d'Hébert, substitut du procureur de la Commune. Le langage
insolent de cette députation provoqua de la part du président Isnard la
réponse où se trouvait cette phrase fameuse : Si jamais la Convention était avilie ; si jamais par une de ces insurrections qui, depuis le 10 août, se renouvellent sans cesse, et dont les magistrats n'ont jamais averti la Convention, si par ces insurrections toujours renaissantes il arrivait qu'on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare, au nom de la France entière, Paris serait anéanti. Bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé. (Ibid., p. 308.) De telles paroles n'étaient pas faites pour désarmer la Commune de Paris. Trois sections s'étaient prononcées contre les factieux : seize vinrent avec impudence réclamer le magistrat de la Commune. La commission des Douze avait mis Hébert en prison : dans les sections, on demandait le renvoi des Douze devant le tribunal révolutionnaire. C'est le moment où la Convention devait déployer sa
résolution et sa vigueur, car elle ne pouvait abandonner sa commission sans
se livrer elle-même ; et pour se défendre, il fallait qu'elle pût compter sur
le concours énergique du pouvoir exécutif. Elle comptait sur Garat. Garat
était averti du péril de l'Assemblée. Il en était averti par un de ses
observateurs (Dutard, sans doute). Il
en convient lui-même dans ses mémoires. Dans une conversation avec
Rabaut-Saint-Étienne, un des membres de la commission des Douze, il n'avait
pas dissimulé ce qu'il pensait de la conduite de la commission. Il y avait
imprudence et danger, selon lui, à laisser à la
Commune la disposition de toutes les forces de Paris et à faire arrêter l'un
des officiers municipaux presque dans son sein : — On m'a montré, à la commission, ajoutait-il, un passage affreux d'une feuille d'Hébert... mais ce passage, qui est affreux, ne l'est pas plus que
cent passages de ce Marat qu'un tribunal vient de renvoyer, la tête couronnée
de lauriers. Sans doute, si nous étions sous le règne des lois ; Marat
devrait être au moins où vous avez mis Hébert ; mais croyez qu'il est trop
dangereux de mettre Hébert à l'Abbaye, quand Marat est à la Convention. Il y
a quelques jours, les gens raisonnables, les sages et bons amis de la liberté
prenaient le dessus dans les sections ; depuis ces arrestations, les hommes
violents, les furieux ont repris leurs emportements et leur ascendant. Il
faut que la loi commence par avoir la force. Vous l'avez donnée à la Commune,
retirez-la-lui donc, si vous ne voulez pas que la force, au lieu de rester à
la loi, reste à la Commune. Avant de faire de grands actes de gouvernement,
il faut avoir un gouvernement ; et ce moment où vous êtes en majorité serait
mieux employé à organiser en silence, et sans jeter l'alarme dans le camp
ennemi, la puissance exécutrice avec laquelle vous mettrez aux pieds de la
loi ou sous ses pieds tous les brouillons et tous les scélérats. Et
Garat dit que, le lendemain, il tint le même langage à Fonfrède, autre membre
de la commission des Douze. M. Schmidt, en citant les déclarations de Garat dans ses mémoires, y joint cette réflexion : Rabaut et Fonfrède auraient bien pu s'attendre, lorsque Garat prit la parole dans la Convention, le 27 au soir, qu'il tiendrait encore une fois le même langage ; qu'il conseillerait à l'Assemblée, sinon de casser la Commune et les comités révolutionnaires des sections, au moins de retirer la force à la Commune et d'organiser une puissance exécutrice assez forte pour dompter tous les brouillons et tous les scélérats ; qu'il prétendrait que Marat devait être, au moins, où l'on avait mis Hébert ; et, enfin, qu'il désignerait aussi clairement, d'un côté, les gens raisonnables, les sages et bons amis de la liberté, et de l'autre, les hommes violents, et les furieux, les brouillons et les scélérats. Sans doute, il aurait encouragé par là le côté droit à prendre des mesures de vigueur, il aurait provoqué ses applaudissements les plus vifs et les murmures les plus violents de la partie gauche. Mais il n'aimait pas les murmures ; il craignait les furieux ; il ne brûlait pas de s'exposer légèrement aux dangers que pourrait lui porter leur fureur. Il fit donc autrement ; il tint, comme l'on sait, un langage presque diamétralement opposé à celui qu'il avoue avoir tenu le matin et la veille ; et, quoiqu'il effleurât doucement quelques vérités qui ne .pouvaient ni satisfaire, ni blesser personne, il parvint autant à provoquer l'étonnement et la consternation parfaite de la partie droite, qu'il réussit à faire retentir la salle des applaudissements enragés de la partie gauche et des tribunes. Garat dans son discours dissimule et recèle miraculeusement les dangers réels, dont il était, la veille encore trop sûr.... Le danger n'est absolument rien ; ou, s'il y a du danger à craindre, ce n'est nullement de la part de la multitude, mais seulement de la part des aristocrates. Tout ce qu'il y a, selon lui, de danger réel, c'est l'existence, ce sont les qualités et les procédés de la commission des Douze. Il l'accuse — vis-à-vis des passages affreux d'Hébert —tant de délicatesse, il lui reproche d'avoir l'imagination frappée ; il lui impute des erreurs incompréhensibles et grandes ; il condamne ses membres de ce qu'ils croient devoir montrer un grand courage et devoir mourir pour sauver la République. (Schmidt, ibid., p. 319-320.) Ce discours inattendu jeta le trouble dans l'Assemblée. La Montagne triomphait sans avoir même eu à combattre. En ce moment même, une députation de vingt-huit sections de Paris étant venue demander la mise en liberté d'Hébert et la suppression de la commission des Douze, Lacroix convertit ces demandes en motions, et la Convention les adopta[32]. Un pareil vote était une abdication et ne pouvait être l'effet que d'une surprise : le lendemain, 28, sur la proposition de Lanjuinais, le décret supprimant la commission des Douze fut rapporté par 279 voix contre 238. La commission était donc rétablie : mais il eût fallu lui rendre son prestige ; et toute son autorité était détruite par la libération d'Hébert qui, à son tour, rentrait triomphalement dans la Commune. Cette concession arrachée aux Girondins ne prévenait pas la lutte. Danton, dans cette séance même, en avait donné le signal. Engagée sous de pareils auspices, elle ne pouvait que tourner au détriment de la Convention. IV. — LE 31 MAI ET LE 2 JUIN. Nous sommes à la veille d'une révolution qui va l'aire passer la Convention nationale de sa période d'agitation et de combat, à sa période d'asservissement muet. Les rapports de Dutard sur l'état de Paris sont d'un vif intérêt. Il signale déjà dans le rassemblement du 27 le personnel ordinaire des rassemblements : Je dois, dit-il, vous faire ici une observation, c'est que, sans les modérés et les aristocrates, le rassemblement eût été absolument nul. Je vous l'ai dit, le peuple, les sans-culottes sont mille fois plus raisonnables et plus faciles à conduire que les gens comme il faut. Si vous n'employez à l'égard de ces derniers le fouet et les verges, vous ne parviendrez jamais à les régler. Il faut les traiter à coups de fourches ; vous n'en viendrez jamais à bout ; il faut absolument les traiter comme des ânes. Car, je vous le demande, n'est-il pas scandaleux que, dans des moments orageux, on aperçoive vingt modérés qui entourent un enragé, l'écoutent attentivement, et paraissent, par signes et par gestes, approuver tout ce qu'il dit, sans qu'aucun ose le contredire ? Une fois qu'ils y sont, il n'est plus possible de les en arracher.... Otez les vingt modérés : un ou deux aboyeurs, mettez-en quatre si vous voulez, restent tout seuls ; ils sont sans force et se décideraient à s'en aller, crainte d'être arrêtés Si, au contraire, tous ces gens-là restent, il n'en faut pas davantage pour fixer, pour arrêter tous les passants ; chacun croit apprendre quelque chose de nouveau. Les modérés viennent observer les enragés, et les enragés observent les modérés. La nouvelle court par tout Paris ; chacun est curieux, tous les désœuvrés d'abord accourent, puis les motionneurs d'habitude, puis les ouvriers quittent leur ouvrage. Le rassemblement est fait en un clin d'œil. (Bulletin du 28 mai, ibid., p. 323.) Il montre à quoi, en ce jour même, ces rassemblements auraient pu aboutir : La Convention, dit-il, a couru hier de plus grands risques qu'on ne pense ; car si une ou deux sections s'étaient portées en force à la Convention, il n'en fallait pas davantage pour l'anéantir, parce qu'elles auraient attiré toute la populace ; et la faction au moins subalterne n'aurait pas manqué de se montrer. (Ibid., p. 324.) En présence des périls imminents de l'émeute, Dutard recommande à Garat une arme fort aimée de la police dans tous les pays : le bâton — le casse-tête n'est qu'un raccourci du bâton (ibid., p. 325) : Lorsque je vous ai parlé des bâtonniers, vous avez vraisemblablement trouvé mon idée creuse et dépourvue de sens. Quoi ! Cet homme, qui se dit le grand partisan des sans-culottes, ose proposer de les conduire par le bâton ! Et mais oui, le bâton ; ce n'est pas seulement aux sans-culottes, je veux aussi qu'on en donne aux modérés, et aux aristocrates surtout, au lieu de les guillotiner. Il faut que j'explique mon invention. Il est de fait que la force armée, à Paris, est nulle... Il est de fait que si 50 femmes se jetaient sur une patrouille, elles sauraient toutes d'avance qu'aucun n'oserait les frapper avec le sabre, avec la pique, ni avec aucune arme offensante. Il est de fait que vingt modérés entourent quelquefois deux ou trois aboyeurs, et que les premiers sont comme forcés d'applaudir aux motions les plus incendiaires... Il est de fait que l'on peut donner de bons coups de béton sans exciter la guerre civile, et qu'un coup de lance la déterminerait infailliblement... Il est de fait enfin qu'un aboyeur sera très-circonspect à côté d'un ou de deux hommes en veste et en pantalon, munis d'un bon bâton, et qu'une patrouille armée de piques et de fusils ne fait que l'aigrir, et lui sert de prétexte pour s'enhardir, davantage. (29 mai, ibid., p. 333.) La crise finale était prochaine. Un mot recueilli, non pas directement, il est vrai, par Perrière, collègue de Dutard, pouvait faire craindre qu'elle ne fût atroce. Le commandant de la section des Sans-Culottes (ci-devant des Plantes), s'adressant à un homme assis dans son tombereau : As-tu de l'ouvrage, mon ami ? — Mais pas mal ! — Oh ! je t'en donnerai de meilleur dans quelques jours ; ce n'est pas du bois, mais des cadavres que tu transporteras dans ta voiture. — Eh bien, eh bien, c'est bon (répond le manœuvre d'un ton demi-ivre), nous ferons comme nous avons déjà .fait le 2 septembre ; cela nous fera gagner des sous. Le nom de ce commandant est Henriot[33]. Deux jours après il était nommé commandant général de la force armée de Paris ! La conspiration siégeait en permanence à l'Évêché, et la commission des Douze n'en fut instruite que le 29 ; mais les hommes de l'Évêché n'étaient, pour ainsi dire, que le personnel de la conspiration. La pensée qui l'avait conçue, qui l'organisait, qui l'allait faire mouvoir, s'était recueillie plus en secret, et la commission n'en sut rien. Dès le 27, on avait pris la résolution d'agir. On créa un pouvoir exécutif, un comité secret. Pour donner à leur institution plus de force, on voulut les nommer en assemblée générale, et à cette fin on adressa des convocations aux sociétés populaires. Le 28 au soir, l'assemblée se réunit, mais elle ne se reconnut pas suffisamment compétente et nomma une commission des Six, chargée de convoquer une assemblée qui aurait pouvoir de prendre les mesures d'exécution. Le 29, nouvelle réunion de commissaires à l'Évêché, représentant 33 sections de Paris : ils nomment un comité de neuf membres, à la tête desquels fut Dobsent. C'est ce comité qui prépara tout pour la révolution[34]. Garat le sut le même soir, entre onze heures et demie et minuit : il en avertit le Comité de salut public ; il courut chez le maire. Mais Pache crut ou feignit de croire qu'il ne s'agissait que de la première assemblée, de celle qui s'était déclarée incompétente. Garat se rendit aussi, nous dit-il, à la commission des Douze ; mais elle avait changé de local, et le ministre ne s'inquiéta pas davantage de la chercher ailleurs. La journée du 30 sembla donner un démenti aux appréhensions que l'on avait conçues : elle se passa dans le plus grand calme. C'est, dit M. Schmidt, que l'on se recueillait pour agir le lendemain ; mais c'est aussi la preuve que la révolution méditée était bien peu populaire. Si la multitude eût été animée de l'esprit qui conduisait les conspirateurs, rien ne l'aurait pu contenir ainsi à la veille de l'exécution du projet, et surtout un jour de fête : car le jeudi 30 était un jour de fête, la Fête-Dieu ; et les rapports de Dutard nous montrent combien cette fête était encore dans les habitudes du peuple de Paris, même des Jacobins, des sans-culottes. Dutard n'est pas un dévot ; c'est un politique, et c'est à ce titre que, dès le 25, il disait à Garat : La Fête-Dieu approche : rappelez-vous que c'est à cette époque que Péthion, le dieu du peuple, fut accueilli à coup de pierres par les sans-culottes des Arcis, pour avoir déclaré dans une ordonnance qu'on serait libre ce jour-là de travailler ou de ne pas travailler ; qu'à la même époque les sans-culottes de Paris délibérèrent pendant quelques jours, s'ils devaient ou non lapider Manuel, pour avoir osé imprimer qu'on serait libre de tapisser ou non ; que ce jour-là des hommes qui, par opiniâtreté ou par irréligion, n'avaient pas tapissé, reçurent de bons coups de bâton... Je ne sais si c'est fanatisme de la part d'un peuple, qui veut unanimement une chose qui lui fait plaisir, qu'il désire, et à laquelle il est attaché ; ou si ce n'est pas une infamie, qui tient de la stupidité ou de l'aveuglement, de la part du représentant de ce même peuple, qui contrarie absolument tous ses goûts, ses penchants, dont cent années de révolution ne sauraient le délivrer. (Ibid., p. 302.) La Fête-Dieu se célébra en effet, non pas avec la pompe d'autrefois ; mais la procession sortit dans quelques paroisses. Il est curieux de voir la description qu'en fait Dutard et les impressions qu'il en transmet à son ministre : J'ai pris un congé d'environ deux heures ; mes premiers regards se sont portés vers les processions et les cérémonies du jour. Dans plusieurs églises, j'ai vu beaucoup de petit peuple et surtout les épouses des sans-culottes. On avait fait la procession infra couros, etc. J'arrive dans la rue Saint-Martin, près de Saint-Merry ; j'entends un tambour et j'aperçois une bannière. Déjà, dans toute cette rue, on savait que Saint-Leu allait sortir en procession. J'accours au-devant, tout y était modeste. Une douzaine de prêtres, à la tête desquels était un vieillard respectable, le doyen, qui portait le rayon sous le dais. Un suisse de bonne mine précédait le cortège ; une force armée de douze volontaires à peu près, sur deux rangs, devant et derrière ; une populace assez nombreuse suivait dévotement. Tout le long de la rue, tout le monde s'est prosterné ; je n'ai pas vu un seul homme qui n'ait ôté son chapeau. En passant devant le corps de garde de la section Bonconseil, toute la force armée s'est mise sous les armes. J'étais chez un marchand, au milieu des halles, quelques moments après. Le tambour qui précédait et ceux qui suivaient ont annoncé la procession. Ah ! quel a été l'embarras de toutes nos citoyennes de la halle ! Elles se sont concertées à l'instant pour examiner s'il n'y aurait pas moyen de tapisser avant que la procession ne passe : Quand on ne mettrait qu'un drap ; chacune aurait volontiers mis son tablier ; une partie se sont prosternées d'avance à genoux, et enfin, lorsque le dieu a passé, toutes à peu près se sont prosternées à genoux ; les hommes en ont fait de même. Des marchands se sont mis à rôder devant chez eux ; d'autres ont tiré des coups de fusil : plus de cent coups ont été tirés. Tout le monde approuvait la cérémonie, et aucun, que j'aie entendu, ne l'a désapprouvée. C'est un tableau bien frappant que celui-là. La présence d'un Dieu de paix, de notre ancien maître, qui n'a pas cessé de l'être, a porté la consternation dans tous les esprits. C'est la que l'observateur a pu dessiner les physionomies, images parlantes des impressions qui se sont fait si vivement sentir au fond de l'âme des assistants. J'y ai vu le repentir ; j'y ai vu le parallèle que chacun a fait forcé-nient de l'état actuel des choses avec celui d'autrefois ; j'y ai vu la privation qu'éprouvait le peuple par l'abolition d'une cérémonie qui fut jadis la plus belle de l'Église. J'y ai vu les regrets sur la perte des profits que cette fête, et autres, valait à des milliers d'ouvriers. Le peuple de tous les rangs, de tous les âges, est resté honteux, silencieux, abattu... Quelques personnes avaient les larmes aux yeux, les prêtres et le cortège m'ont paru fort contents de l'accueil qu'on leur a fait partout. J'espère que vous ne laisserez pas cet article sur votre cheminée. (Bulletin de Paris, 30 mai, ibid., p. 350.) Le soir de ce même jour, tout se prépare pour la journée du lendemain. A la Convention, Lanjuinais dénonce la conspiration de l'Évêché et le silence du ministère ; à l'Évêché, les commissaires des trente-trois sections prennent tout à leur aise leurs mesures, et le directoire du département convoque, pour le lendemain matin, les autorités constituées dans la salle des Jacobins, pour être prêt à seconder le mouvement. Quant à la Commune, elle semble ne s'être réunie que pour déposer, à la première réquisition, ses pouvoirs entre les mains du comité révolutionnaire qui va entrer en scène. Lorsque le maire Pache, envoyé avec six commissaires à l'Évêché, en revient, disant que les citoyens réunis en ce lieu se sont déclarés en insurrection, le conseil de la Commune passe à l'ordre du jour, en attendant le vœu des sections. Et il attend jusqu'à six fleures et demie du matin que les commissaires de la majorité des sections viennent lui signifier que toutes les autorités constituées sont suspendues, qu'ils ont reçu des pouvoirs illimités pour sauver la chose publique Sur cette déclaration, Chaumette requiert le conseil de remettre ses pouvoirs au peuple souverain ; et les commissaires se forment en nouveau conseil général provisoire, sous la présidence de leur orateur Dobsent. En même temps, Henriot est proclamé commandant général provisoire de la force armée de Paris. La Commune légale a cédé la place ; le Directoire du département, réuni dans la salle des Jacobins, fait acte d'adhésion. Mais que fait-on du côté du gouvernement et de la Convention ? Garat — qui a reçu un billet, — de Dutard, sans doute — est venu avertir le Comité de salut public, et se propose de se rendre de même à la Convention, qui est alors en séance. Lacroix de l'Eure l'en détourne : il ne faut pas aller jeter l'alarme dans l'Assemblée avant de s'être bien assuré des faits ; et Garat se rend à son avis. Il va donc non à la Convention, mais à l'Hôtel de Ville, où Pache, qu'il rencontre suivi de dix à douze hommes ayant dans leurs gilets autant de pistolets que de poches, lui dit à voix basse : J'ai eu beau faire, la Commune et le Département sont en insurrection[35]. C'est quand le tocsin sonnait depuis trois heures, que la générale était battue dans les rues et que déjà tonnait le canon d'alarme, que le ministre de l'intérieur, se présentant à la Convention, lui dit : Je ne puis dissimuler à la Convention qu'il existe une grande agitation dans Paris.... Une assemblée composée de commissaires des sections, d'électeurs du 10 août, etc., s'est tenue cette nuit à l'Évêché et paraît avoir donné l'impulsion à ce mouvement. La cause de ces troubles est la réintégration de votre commission des Douze ; on l'accuse d'avoir calomnié Paris, d'avoir fait incarcérer arbitrairement des magistrats, d'avoir formé le projet d'opprimer les patriotes.... Tous les citoyens sont en ce moment sous les armes dans leurs sections respectives.... Les patrouilles sont très-nombreuses et se font en bon ordre. (ibid., p. 367.) On peut voir dans le livre de M. Mortimer-Ternaux et dans l'histoire parlementaire le tableau de cette séance de la Convention[36]. Valazé demande l'arrestation d'Henriot qui a fait tirer le canon d'alarme ; Thuriot et Danton, la suppression de la commission des Douze que le ministre lui-même a paru rendre responsable des troubles ; Vergniaud propose qu'on déclare que les sections de Paris ont bien mérité de la patrie : humiliation gratuite ; ce n'est point en s'inclinant devant une insurrection qu'on la désarme. Barère proposait à son tour de supprimer la commission des Douze et de mettre la force armée aux ordres de la Convention, quand Lhuillier, procureur syndic du département, entrant dans l'Assemblée à la tête des autorités constituées et des commissaires des sections soulevées, vient lui signifier les volontés de l'insurrection. Le mouvement qui venait d'éclater était, disait-il, une insurrection morale : Il est temps enfin, ajoutait-il, de terminer cette lutte des patriotes contre les forcenés ; la raison du peuple s'irrite de tant de résistance ; que ses ennemis tremblent, sa colère majestueuse est près d'éclater ! qu'ils tremblent ! l'Univers frémira de sa vengeance ! (Ibid., p. 368.) Et il demandait un décret d'accusation, non-seulement contre les membres de la commission des Douze, mais contre Isnard, le président aux paroles malheureuses, contre Brissot, Vergniaud, etc., ce qu'il appelait les royalistes — la plupart avaient voté la mort du roi. En présence de ces demandes soutenues par la force armée d'Henriot, la Convention crut s'en tirer à bon marché en votant la suppression de la commission des Douze et en assurant 40 sous par jour, tant qu'ils seraient de service, aux ouvriers qui avaient pris les armes pour lui imposer, la plupart sans la connaître, la volonté de leurs meneurs. Et ces hommes armés n'avaient pas concouru seuls au succès de la journée. Dutard nous a dit de quoi se composaient les rassemblements. Le tocsin, le canon d'alarme n'avaient pas peu contribué à recruter les curieux dans tout Paris, et le plus grand nombre étaient les modérés. Les modérés pouvaient donc revendiquer la part principale dans le résultat de cette insurrection morale qui fut le commencement de la Terreur[37]. La Convention était moralement frappée ; mais la révolution n'était pas consommée, et Dutard ne désespérait pas encore : il avait dit au ministre son sentiment sur la manière dont il avait usé de ses avis ; et dans son rapport du 1er juin, il le fortifiait d'un mot qu'il avait recueilli dans la rue, non sans y joindre un dernier avertissement : Ce n'est pas les connaissances qui vous manquent, mais c'est la fermeté et le courage ; il n'y a pas une heure qu'en passant au café du Caveau j'ai entendu un jeune homme de beaucoup d'esprit qui vous accusait aussi du même défaut. Il lisait le journal, et quand il en a été à la suppression de la Commission des Douze : C'est du Pache... du Garat tout pur,... des terreurs paniques !... Je conviens qu'il n'est pas de plus embarrassé que celui qui tient la queue de la poêle, et qu'il est très-difficile .de déterminer juste la ligne jusqu'où il faut aller, et celle où il faut s'arrêter ; mais enfin il faut une bonne fois prendre une détermination : tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle y reste. (Samedi 1er juin, ibid., p. 373.) Il voyait juste ; ce en quoi il se trompait, c'est quand, se faisant illusion sur l'attitude relativement calme de Paris le 1er juin, il croyait qu'il était temps encore d'avoir dans Paris une force armée qui protégeât la Convention nationale, ou de relever l'ascendant des modérés dans les sections. Les modérés étaient irrémédiablement battus ; il ne restait aux autres qu'à recueillir les fruits de cette défaite : Vous n'avez qu'une demi-victoire, disait le Père-Duchesne, tous ces b..... d'intrigants vivent encore ; et le soir Marat se rendant à la Commune lui enseignait comment elle pouvait avoir raison de la Convention sur ce point : Vous viendrez à la barre, disait-il, et vous n'en désemparerez pas que vous n'ayez obtenu la punition des traîtres, que le peuple est en droit d'exiger[38]. Le 2 juin compléta la journée du 31 mai. Quelle fut la part des meneurs et celle du peuple dans cette journée, comment la garde nationale vint seconder par sa présence une révolution qu'elle eût désavouée, si elle en eût pu connaître le but, c'est ce qu'on peut voir dans les récits les plus autorisés du temps. Le conventionnel Meillan atteste, comme Beaulieu, que la plus grande partie des citoyens armés pour cerner la Convention ne savaient de quoi il était question, et étaient placés de manière à n'en pouvoir rien savoir : La Convention, dit-il, était bloquée ; quatre-vingt mille hommes armés
entouraient les Tuileries. Cent soixante-trois bouches à feu, des grils et du
charbon pour faire rougir les boulets, tel était l'appareil avec lequel on
venait dicter des lois à la représentation nationale. On croirait, à ce
récit, que tout Paris était armé contre nous. Il n'en était rien. De ces
quatre-vingt mille hommes, soixante-quinze mille ignoraient pourquoi on leur
avait fait prendre les armes. Loin de nous attaquer, ils nous auraient
défendus ; mais Henriot les avait placés dans l'éloignement, hors de portée
de nous secourir. Il nous avait cernés immédiatement avec sa troupe d'élite,
la seule qu'il eût introduite dans les dépendances du château. Il l'avait
séparée de la masse. des Parisiens, d'un côté par l'enlèvement du
Pont-tournant, de l'autre par une clôture en bois qui séparait le Carrousel
de la cour du château. Il résultait de cette disposition deux effets
immanquables : l'un, de donner à l'entreprise de quatre à cinq mille bandits
l'apparence d'un mouvement général du peuple ; l'autre, de neutraliser ce même
peuple pour l'empêcher de croiser l'entreprise[39]. On sait comment la Convention, ainsi cernée, essaya cette sortie solennelle, conseillée par Garat le 27 mai, et qui n'aboutit qu'à lui faire voir à quel degré elle était désormais captive : triste revers de la journée où Louis XVI, voulant éprouver s'il était libre, avait tenté la promenade de Saint-Cloud ! Garat ne fut pas plus heureux quand, pour ramener l'Assemblée à l'union, il proposa que les principaux membres des deux partis se sacrifiassent par une retraite volontaire : proposition digne de sa politique de bascule, qui le livra aux risées de la Montagne. Barère aussi proposa l'ostracisme, mais seulement pour les modérés[40]. Ce ne fut pas un ostracisme, ce fut la proscription du parti modéré qui l'emporta par les décrets rendus dans cette journée contre les Douze et les Vingt-Deux, c'est-à-dire contre les membres de la commission attaquée et les principaux Girondins[41]. IV. — LES SUITES DU 31 MAI. Après le 2 juin, Garat ne pouvait plus se faire illusion sur les résultats de sa politique. Il écrivit ce soir même sa démission, dit M. Schmidt ; mais on le retint. Son châtiment n'aurait pas été complet, si on ne l'eût retenu au pouvoir pour sanctionner, en quelque sorte, par sa présence la persécution de ses amis. Il reste donc et il garde sa police, et Dutard continue de lui faire ses rapports sur Paris, sur les périls de la situation et les moyens de salut : il y voit plus de périls que de moyens de salut. Si des diversités dans les aperçus, des fluctuations dans les espérances, des contradictions même dans les conseils sont pardonnables, c'est surtout à une époque aussi troublée ; quand les choses se présentent sous des aspects si divers, quand les esprits dans le peuple lui-même subissent le contre-coup des événements, et que les faits sont recueillis, commentés jour par jour, sans qu'on puisse corriger l'impression de la veille autrement qu'en y paraissant contredire. C'est principalement après le 31 mai que l'on peut signaler ces inconvénients dans les rapports de Dutard. Il n'a plus, il n'a jamais eu grande foi en la puissance de la philosophie — Garat était un philosophe —. Il ne croit plus qu'au sabre : Les philosophes, dit-il ironiquement, veulent tout gagner par la persuasion.... Bientôt, suivant eux, il faudra et il suffira de porter au combat, au lieu de canons, une édition complète des œuvres de Machiavel, de Montesquieu, de Rousseau, etc. ; et ils ne font pas attention que ces hommes, comme leurs ouvrages, n'eussent été et ne sont encore que des sots à côté d'un coupe-tête muni d'un bon sabre. Il est clair qu'il faut éclairer le peuple ; mais au moins faut-il n'employer pour la défense d'une constitution et des lois que les hommes qui y ont intérêt, n'employer pour la défense des propriétés que ceux qui en ont ; ou si vous admettez des gens qui n'en ont pas, il est encore évident qu'ils ne voudront pas et qu'ils ne devront pas les défendre.... J'ai vu hier matin quatre hommes comme il faut, qui ont disserté longtemps, sans oser s'expliquer trop sur la dernière affaire. L'un d'eux a sorti de sa poche une feuille pour prouver, le livre à la main, que c'était illégalement qu'on avait mis en état d'arrestation les trente-deux. Les observateurs, les philosophes, les grands raisonneurs, ont la gueule béante ; ils baillent comme des poissons.... Je les démonte quand ils veulent me parler, ces grands raisonneurs. Où est votre sabre ? leur dis-je. Vous n'en avez pas, eh bien, taisez-vous donc. (Jeudi 6 juin, Schmidt, t. II, p. 4.) La question tranchée à. Paris par la mutilation de la Convention pouvait bien ne pas l'être sans appel. Les départements n'étaient pas encore habitués â recevoir de la capitale les révolutions toutes faites. On avait protesté en Normandie, en Bretagne, à. Bordeaux, à Marseille, contre la violence que, dès l'ouverture de la Convention, les factieux de Paris semblaient vouloir faire aux représentants de la France. Quand ces menaces venaient de s'accomplir, courberait-on la tête en silence ? Rien ne le faisait croire. Tout annonçait le contraire. La résistance se préparait dans tous les principaux centres des départements ; et il faut le dire, le peuple de Paris, étranger en masse au coup de main du 31 mai, qui l'avait moins fait que vu faire et laissé faire, n'était pas disposé à soutenir une guerre civile dans l'intérêt d'Hébert, de Chaumette et d'Henriot : On m'a assuré hier, écrit Perrière, un autre observateur, dans son rapport du 16 juin à Garat, que la section de Bondy a pris un arrêté par lequel, si des départements se portaient sur Paris, tous les habitants de cette ville, excepté ceux nécessaires pour garder les postes, sans armes, tous les corps constitués à leur tête et les juges de paix avec des rameaux d'olivier à la main, iraient à dix lieues les recevoir et les embrasser, bien résolus de ne donner ni aux ennemis du dehors, ni à ceux de l'intérieur, la douce satisfaction de voir couler le sang français et de laisser plutôt les chefs de parti se dévorer entre eux que de se battre pour un seul. Cet arrêté, porté à toutes les sections de Paris, a été reçu de toutes avec transport ; on serrait les commissaires en pleurant, et, contre l'ordinaire, on voulut qu'ils assistassent à la délibération qui avait pour objet leur propre arrêté[42]. Les vainqueurs avaient maintenant à faire face aux dangers de la situation ; dangers accrus : car avec la guerre étrangère dont les suites n'étaient pas moins à redouter depuis qu'on suspectait tous les généraux, il y avait à songer aux éventualités menaçantes d'une guerre civile bien plus étendue que la guerre de Vendée. Pour la guerre étrangère, il ne fallait pas compter beaucoup sur un redoublement de zèle à s'enrôler dans la ville de Paris : J'observe qu'une levée, quelque peu considérable qu'elle dût être, serait bien difficile dans ce moment. Tous disent : Levons-nous et c'est pour cela qu'aucun ne se lève.... Les Jacobins disent : Nous sommes les lumières et les apôtres de la république ; si nous partons contre les ennemis, nous ne pourrons plus instruire, détromper, surveiller ni ranimer : donc nous devons rester à Paris. Les Cordeliers tiennent aussi le même langage ; les nomophiles, etc., etc. ... Le tocsin, la générale n'effrayent plus : le canon d'alarme ne peut plus faire son effet, le Parisien est assourdi[43]. Quant à la guerre civile, c'est tout au plus si on se croyait sûr d'empêcher qu'elle n'éclatât. La Commune victorieuse croyait avoir besoin de se garantir sa victoire, en désarmant tous ceux sur lesquels elle ne comptait pas. Il y eut bien quelques nobles velléités de résistance : On m'a raconté aux halles, ce matin, qu'un capitaine chez qui on était allé pour lui demander son fusil avait admis chez lui la force armée. On entre dans sa chambre ; son fusil était à côté de la porte. Lui s'est tenu au milieu, au travers d'une table sur laquelle reposaient une paire de pistolets et un sabre. — Votre fusil. — Mon fusil !... Le voilà, vous pouvez le prendre ; mais je préviens que le premier qui porte la main dessus.... Ces messieurs se sont retirés paisiblement, et on assure que cet homme courageux est gardé à vue[44]. Malheureusement, parmi les chefs, les meilleurs donnaient leur démission. Témoin ce commandant du Contrat-Social, bataillon dont Dutard faisait partie : J'aurais invité le capitaine de la compagnie à l'assemblée, tous mes camarades pour aller en députation chez lui ; mais je crains tout comme eux d'être mis en état d'arrestation. Voilà, messieurs les constitutionnels, les beaux fruits de vos grandes mesures révolutionnaires. Si vous n'en étiez vous-mêmes les dupes, je serais tenté de croire que vous vous entendiez avec les factieux pour opprimer les honnêtes gens, lorsque vous avez établi, ou du moins maintenu si longtemps les comités révolutionnaires. Il est plus clair que le jour que ce sont eux qui ont abattu le courage des gens les plus honnêtes. (ibid., p. 6.) Chose curieuse, après la révolution qui venait de marquer le commencement de la Terreur, à l'Octave de la Fête-Dieu, la procession sortit encore dans quelques quartiers de Paris. A Saint-Eustache, comme plusieurs personnes avaient déjà tapissé, le curé alla prendre l'avis du Comité révolutionnaire qui refusa ; mais : Vers cinq ou six heures, les dames de la Halle s'y sont portées en foule. Elles ont demandé au curé des explications. Le curé les a renvoyées à se pourvoir vers le comité révolutionnaire ; et, après avoir été traité comme il le méritait bien, il (le comité) a délivré une permission, et la procession s'est faite sans tambour ni musique. Dans le faubourg Saint- Marceau tout était tapissé, et les Gobelins ont étalé comme à l'ordinaire les chefs-d'œuvre de l'art. On en a excepté cependant les attributs de la royauté ; mais on a pu prévoir que les traits de l'histoire sainte ne pourraient que plaire au plus grand nombre, et ils ont été mis en évidence[45]. (Ibid., p. 9.) Dutard ne renonçait pas à l'espoir d'une réaction, réaction qu'il eût souhaité pacifique : il eût voulu modérantiser les enragés par les honnêtes gens, et, chose plus singulière, il semble qu'il ne désespérait pas encore de Garat. Il y a des hommes dont on ne veut jamais désespérer : Je vous le répète, monsieur, les choses sont pleines et entières ; vous avez en mains des moyens plus qu'il ne faut, mais il faut s'en servir vigoureusement. Ici sont des députés de Marseille ; eh bien ! retenez les commissaires de Marseille, ceux d'Angers, etc. Le Havre en a envoyé un qui est plein d'esprit, et qui connaît M. Lanjuinais ; eh bien ! invitez M. Lanjuinais à le retenir ; c'est un homme qui est bouillant, qui parle avec force, qui a des moyens. Ici sont des officiers ou volontaires des départements ; eh bien ! n'en laissez échapper aucun de ceux qui aiment l'ordre et la paix, quand vous devriez les solder à 12 liv. par jour. Appelez-en le plus que vous pourrez, et ne craignez rien de la part du peuple. (7 juin, ibid., p. 12.) Il ne se dissimulait pas le péril si la lutte s'engageait entre Paris et les départements ; la Commune pouvait faire appel à tous ceux qui ont intérêt aux troubles : Toute la canaille qui est dans les environs de Paris accourt au moindre coup de tambour, parce qu'elle espère de faire un coup lucratif. J'ai vu, ces jours passés, des gens de Versailles, de Neuilly, de Saint-Germain-en-Laye, etc., qui étaient ici à demeure, par l'odeur alléchés. (ibid.) Mais il croyait encore pouvoir compter sur le vrai peuple de Paris : Un homme instruit, un philosophe, voulait me soutenir dernièrement qu'a Paris il n'y avait pas le sixième de la population qui eût quelque chose. Je crois, au contraire, qu'il y a amplement les deux tiers qui ont quelque chose vaillant. Je comprends dans cette classe ceux qui lui sont tellement liés que, quoiqu'ils n'aient rien, ils ne peuvent ni ne veulent rien piller, rien voler. (Ibid.. p. 13.) Et il reprenait confiance en voyant quelques sections résister au désarmement qui allait tout livrer à la Commune : Le désarmement continue à se faire dans plusieurs sections. Il fait de la peine à presque toutes les classes des citoyens, pauvres et riches. La section des Halles est une de celles qui a le plus désarmé. Je crois cependant qu'elle a arrêté que le désarmement de chaque citoyen suspect serait discuté en assemblée générale.—L'un de ses membres les plus estimés de la faction était d'avis, et a proposé d'arrêter, que l'on ferait revenir des frontières tous les volontaires qui y sont pour composer la force armée de Paris. La section de la Trinité, rue Grenéta, a arrêté qu'elle reconnaissait qu'il n'y avait point de gens suspects dans son arrondissement. Plusieurs autres sections, m'a-t-on dit, ont pris des arrêtés à peu près semblables pour empêcher le désarmement. Celle de la Butte-des-Moulins a pris des arrêtés pour faire mettre en liberté plusieurs de ses capitaines mis en état d'arrestation. J'ai rencontré, en venant ici, Dayroland, du Contrat-Social, avec le commissaire de police Montvoisin. Dayroland tient bon et a du courage comme quatre, mais il n'est pas secondé, il est presque seul. Il m'a dit : Si dans chaque section il y en avait seulement quatre comme moi, nous les mènerions tous. Il m'a fait de grands reproches de ce que je ne m'étais pas joint à lui (ibid., p. 13). Il y a des moments où ses illusions se dissipent. Il écrit le 11 : Donnez-leur un bât, seigneur, et vous aurez des ânes. Les bourgeois de Paris, les
marchands, les propriétaires, en un mot, persévèrent dans leur avarice, dans
leur insouciance, dans leur égoïsme. On les voit généralement toujours
également occupés de leurs affaires particulières et rarement des affaires
publiques. Il est une remarque à faire, c'est que les marchands de vin, qui
sont presque tous aristocrates dans le sens qu'on l'entend dans ce moment, ne
sont jamais plus occupés et ne vendent jamais tant que les jours de
révolution ou d'insurrection du peuple. Aussi les voit-on chez eux avec deux,
trois, quatre garçons : Comment quitter, lorsqu'on a
tant de pratiques, il faut bien servir le monde ; qui les servira, si moi et
mes garçons nous nous en allons ? Ce qui se passe dans une rue se
passe en même temps dans toutes celles de Paris. Quand parviendra-t-on à
tirer parti de ces braves gens-là ? C'est lorsqu'il n'y aura à peu près plus
de ressources, et qu'alors, forcés de fermer boutique, vous verrez toute la classe
occupée, réunie en masse, faire complètement la loi à celle qui ne l'est pas (ibid., p. 19). Il ne se méprend pas davantage sur les dispositions du peuple à l'égard des vaincus. A propos de la translation du duc d'Orléans au fort Saint-Jean à Marseille, et des applaudissements du peuple à l'arrivée de cette nouvelle à Paris, il dit : Péthion subirait le même sort, que toutes les classes du peuple y applaudiraient. De manière que le vertueux Péthion, qui a voulu ou n'a pas voulu servir le peuple, mais qui du moins a été l'idole du peuple, se trouve regardé par lui comme l'un de ses oppresseurs.... C'est une bien vilaine espèce que l'espèce humaine. L'aristocratie, même subalterne (la bourgeoisie), ne s'intéresse pas plus au sort des 32[46] que s'ils étaient des bêtes fauves qu'on eût réencagées après qu'elles se seraient échappées. On répète, par exemple, le discours de Desprémesnil à Péthion, lorsque le peuple l'assommait de coups sur la terrasse des Feuillants : C'est ce même peuple qui me portait en triomphe, il y a deux ans, qui m'assomme aujourd'hui ! Joignez-y cette observation qu'il fait un peu plus bas : Une remarque importante que je ne dois pas omettre ici, et qui peut vous faire éviter l'écueil où vous pourriez tomber ! Le peuple en masse a un certain respect pour la représentation nationale comme seul point de ralliement ; mais il a peu d'égards et de déférence pour les membres qui la composent, de manière qu'il lui serait indifférent de voir tomber le glaive judiciaire sur la tête du plus honnête homme ou du plus coquin de la Convention. Guadet, Péthion, Brissot et autres ne trouveraient pas trente personnes à Paris qui prissent leur parti, qui voulussent même faire la moindre démarche pour les empêcher de périr (ibid., p. 37). Et cependant il ne croit pas au triomphe définitif dés gens de la Commune : Depuis deux jours les groupes ont repris ; soit les enragés, soit les modérés, ils ne peuvent se contenir dans leur peau. Les enragés voudraient encore faire les méchants, mais ils ne sont pas secondés ; ils paraissent vouloir qu'on fasse le procès aux trente-deux, mais à condition qu'on les guillotinera : car s'ils pouvaient soupçonner qu'on les remît en place, la petite faction hasarderait d'en faire justice elle-même. Je crois que ce sera leur rendre beaucoup de services que de les laisser où ils sont, en attendant des forces ou de nouveaux événements (ibid., p. 36). Et il croit toujours que la force serait aux modérés, s'ils voulaient agir de concert : Une observation, générale que je crois devoir placer ici, et qui est propre à vous rassurer, c'est qu'à regarder en somme la ville de Paris, je trouve que le parti modéré, avec ce qui lui est attaché, est beaucoup plus nombreux et plus fort que le parti enragé. Du gros banquier au boutiquier détailliste, du boutiquier à l'artisan et au rentier, il s'est fait une graduation qui forme une barrière insurmontable pour la faction. Il est d'observation certaine que dans les sections les plus enragées de I'aris, le modérantisme y domine si fortement que les modérés l'emportent à chaque fois qu'ils veulent s'en donner la peine. Si tous les marchands de vins et les rôtisseurs de Paris fermaient boutique à la fois, les garçons qu'ils ont chez eux étrangleraient tous les factieux. Rappelezvow3 que, lors du dernier enrôlement, dans la section des Halles et celle de Bonconseil, les enragés ont été forcés de demander grâce[47] (ibid., p. 37). Mais qui pourrait encore rallier les modérés ? Un seul homme ; celui qui, par un bizarre contraste, reste encore au pouvoir quand ses amis sont tombés — il est vrai qu'il n'a pas peu contribué à leur chute — : c'est Garat. Dutard cherche à éveiller l'émulation de Garat en lui donnant l'exemple de Chaumette. Chaumette a grandi dans son esprit par le succès. Ce n'est plus l'énergumène que l'on a vu, c'est un politique, presque un philosophe : Voici mes réflexions sur le réquisitoire de Chaumet, que je n'ai pas trouvé aussi enroué qu'à l'ordinaire, je dis plus, en qui j'ai cru remarquer de la dignité et de la philosophie. M. Chaumet porte son ambition à devenir chef de la faction. Il n'a pas encore tous les talents requis, mais il a du caractère. Chaumet confraternise avec les deux factions, haute et basse, jacobite et cordelière, et il s'occupe sérieusement à réunir toutes les deux à une seule pour se faire un grand parti. Il les a tenues divisées jusqu'à ce jour, parce que, pour le coup de main, il avait plus à espérer des Cordeliers que des Jacobins ; il vaut mieux être maître qu'être valet : Les Cordeliers, dit en lui-même Chaumet, sont moins lents, moins réfléchis sur l'emploi des moyens dont ils font usage ; quand il en sera besoin, et lorsque je le jugerai nécessaire, je n'ai qu'à donner un coup de sifflet, et j'aurai à l'instant une armée de Cordeliers aux bras bien poilus ; ils ne font pas de métaphysique, eux, mais ils frappent fort, ils sont prêts h tout hasarder. C'est ce que nous avons vu dans la dernière insurrection ; il était tacitement défendu à aucun Jacobin de proposer aucune mesure de modération, à peine d'être regardé comme suspect et d'être à l'instant destitué. L'insurrection une fois passée, et lorsque M. Chaumet eu fait ce qu'il voulait faire, il a cherché à rallier les Jacobins un peu divisés d'opinion entre eux. Il a, dans les sections, cherché à intimider les uns et à rassurer les autres ; il voudrait actuellement, par la crainte ou par l'intérêt, réunir tous les partis pour prouver aux départements que la dernière insurrection a été le fruit de l'indignation de tous les citoyens de Paris. Ce petit bonhomme-là ne manque pas de talent ; du moins, il s'entend fort bien en révolution (12 juin, ibid., p. 25). Mais Dutard suppose-t-il que Garat puisse avoir la pensée de lutter contre Chaumette ? Et sérieusement croit-il que les modérés soient encore une force ? Il y a bien des patriotes celui, par déception ou par dépit, se tournent vers les modérés. Mais combien y a-t-il de modérés qui relèvent la tête et osent parler encore ? Si vous parvenez à réunir sur cinquante mille modérantisés seulement trois mille, je serai bien étonné ; et si sur ces trois mille, il s'en trouve seulement cinq cents qui soient d'accord et assez courageux pour énoncer leur opinion, je serai plus étonné encore. Ceux-là par exemple peuvent s'attendre d'être septembrisés (18 juin, ibid., p. 70). Dès ce moment, Dutard n'essaye plus de pousser Garat à. l'action. Il observe toujours, il raisonne encore ; et ses observations ne sont pas plus favorables aux Jacobins : témoin ce qu'il dit d'un des membres du comité révolutionnaire de sa section, expulsé par des gens qui ne valaient pas mieux que lui J'ai été scandalisé de voir ainsi expulsé, vilipendé par ses dignes collègues le citoyen David. Il a mille titres qui lui donnent droit à la gestion de la chose publique : 1° il est marchand de vin et il est presque toujours soûl ; 2° etc. (16 juin, ibid., p. 55). Il n'a donc pas grande estime pour les soutiens du régime nouveau ; il n'est guère plus grand admirateur de ses fêtes, témoin ce qu'il rapporte de la fête civique des Champs-Élysées : Je n'ai vu de la vie rien de si triste.... Tout le monde, pauvres et riches, hommes et femmes, étaient calmes et paraissaient dégoûtés. Je n'ai pas entendu un seul cri de : Vive la nation, vive la république ! Le peuple a vu passer le cortège à peu prés comme il regardait passer jadis un convoi funèbre. Dès le commencement, une femme toute déguenillée, grosse Margot du nombre de celles qui portent la hotte à la halle, s'est mise à la tête du cortège, derrière la cavalerie ; les gendarmes ont beaucoup ri, mais ils n'ont eu garde de la déplacer, parce qu'elle avait une, cocarde et un gros bouquet. Elle servait beaucoup à embellir la fête.... Quant au général qui présidait à cette fête, voici le portrait qu'il en fait : M. Henriot est une espèce d'artisan de bas rang, qui m'a paru avoir été soldat. Sa taille est de 5 pieds 3 pouces tout au plus. Il a à peu près 40 (ans). Il a une figure très-dure et grimacière ; il fait de ce genre de grimaces qui désignent un vilain homme : coléreux par caractère, un peu réfléchi et très-grossier. Quand il parle, on entend des vociférations semblables à celles des hommes qui ont eu le scorbut ; une voix sépulcrale sort de sa bouche, et quand il a parlé sa figure ne reprend son assiette ordinaire qu'après des vibrations dans les traits de sa figure ; il donne de l'œil par trois fois et sa figure se met en équilibre. Il m'a paru n'avoir fréquenté que des hommes désordonnés ; je suis sûr qu'on trouverait en lui l'amour du jeu, du vin, des femmes, et tout ce qui peut constituer un mauvais sujet. Il ajoute quelques traits qui montrent en quelle estime était le personnage et achèvent de le peindre : Le cortège a donc défilé devant le général Henriot... Un jeune homme, âgé à peu près de 24 à 25 ans, mais qui a servi, a refusé de saluer son général ; il a défilé en reculant, et lorsqu'on lui a observé qu'il allait passer devant le général, il a répondu à sa troupe : Allez toujours. M. Henriot a rassemblé son état-major. Il a demandé, avant de partir, un cavalier pour lui donner des ordres ; et, après les lui avoir donnés : Donnez-moi la main, lui a-t-il dit. Le gendarme a voulu tirer son gant. Donnez-moi la main, la main tout simplement ; et d'un air de confraternité et en même temps de protection : Va, mon ami, va (24 juin, ibid., p. 85). Il montre le progrès de la désaffection dans le peuple : Les femmes de la halle, sauf quelques-unes qui sont soldées, ou celles dont les maris sont jacobins, jurent, pestent, sacrent, maugréent, mais elles n'osent pas parler trop haut, parce qu'elles craignent toutes le comité révolutionnaire et la guillotine. Ce matin, m'a ajouté le marchand, j'en avais quatre ou cinq ici. Elles ne veulent plus qu'on les appelle du nom de citoyennes. Elles disent qu'elles.... sur la république (Même jour, ibid., p. 87). Il montre même l'isolement où sont retombés les enragés. Si les modérés ne sont plus en état d'agir, il aime à croire qu'ils pourraient résister à de nouvelles entreprises : Les aboyeurs de la faction paraissent désirer l'abolition de la permanence des sections ; ils s'en expliquent même et disent que l'aristocratie y remplit partout les assemblées, qu'il n'est plus possible d'y rien faire. Il est certain que, pour peu que les modérés tiennent bon, il sera bien difficile qu'aucun événement frappe Paris (ibid., p. 87). Il fait voir aussi d'où peut naître la réaction et jusqu'où elle pourra aller sous le régime qui s'intronise : Une idée essentielle, dont on ne vous a peut-être pas fait part et que vous n'avez peut-être pas eue vous-même, c'est que le premier des citoyens qui ne fait pas bien ses affaires est d'abord mécontent, bientôt il est modéré, et l'instant d'après aristocrate, et puis, et puis presque en même temps contre-révolutionnaire ; de manière que ce n'est plus l'intégrité de la Convention que cette partie du peuple demande, mais bien un roi, et l'ancien régime si vous voulez (21 juin, ibid., p. 80). Et ce qu'il a observé chez les autres, il le prouve en quelque sorte par lui-même. Ce défenseur de la république, ce Girondin, et plus que Girondin, parlera presque comme un royaliste : Le malheur des Français a daté du jour, non pas que Louis Capet a été guillotiné, mais bien du jour qu'il a été décrété qu'il serait jugé. Mais que pouvait-on en faire ? quoi en faire ? l'avoir laissé au Temple. Il avait lui seul plus d'influence sur l'esprit du peuple que n'en a jamais eu toute la représentation nationale (ibid., p. 54). Au delà du 25 juin, il n'y a plus de rapport de Dutard à Garat. Garat l'avait-il remercié ? Commençait-il à trouver ses rapports compromettants ? Mais Garat lui-même, malgré tout ce que lui devait la révolution du 31 mai, se trouvait mal à l'aise entre Danton et Robespierre. Il y a des services indirects dont les factions ne gardent pas de reconnaissance ; des auxiliaires dont elles ont hâte de se débarrasser. Garat suspecté, harcelé, un peu poussé dehors, donna enfin sa démission le 15 août ; et personne ne le pressa de la retirer. Quant à la ville de Paris où la mollesse et la désorganisation des modérés, trahis d'ailleurs par la faiblesse et les hésitations du gouvernement, avaient laissé quelques audacieux accomplir une révolution nouvelle, elle est jugée comme siège d'assemblées souveraines par un homme qui n'attendit point pour cela l'expérience de beaucoup d'autres révolutions : La France entière, dit le
conventionnel Mercier dans son Nouveau Paris, aura
constamment à reprocher à Paris, la victoire de Paris seul sur la France,
lorsque 30.000 hommes armés enveloppèrent la Convention, déclarèrent traîtres
à la patrie les défenseurs de l'ordre et des propriétés, et demandèrent leurs
têtes. Le rapporteur de la commission des Douze allait nommer les véritables
complices de Dumouriez ; les assassins, les brigands, les fauteurs de
l'anarchie allaient être connus ; le triumvirat de Danton, de Marat et
de Robespierre n'aurait pas eu lieu ; les décemvirs nés à la suite du
triumvirat n'auraient pas épouvanté la nation et l'histoire de leurs
audacieux forfaits. Dangereux exemple d'une minorité qui a sous sa main, dans
un petit espace, ses protecteurs et ses appuis, toujours plus forte qu'une
majorité dont les soutiens sont dispersés et comme perdus sur un vaste territoire
tel que la France.... La grande louve, la jacobinière, eut donc son infernal repaire à Paris. On la mettait en mouvement à l'aide des sociétés populaires, et après que ses aboiements avaient jeté au loin la terreur, on faisait adopter les projets les plus monstrueux dans le sein et dans le choc des émeutes. Partout ailleurs la Convention nationale, forte par elle-même, n'eût pas succombé, et avec elle la nation entière. Dès qu'on eut trouvé l'art de commander à la minute une insurrection parisienne, il n'y eut plus de liberté pour nous, et la tyrannie décemvirale fit assassiner en grande pompe et décima à volonté les législateurs et les particuliers[48]. V. — LES RÉSULTATS DU 31 MAI. - LA RÉVOLUTION ET LA LIBERTÉ RELIGIEUSE. La révolution du 31 mai a trouvé des panégyristes parmi les défenseurs de Danton et de Robespierre. Elle n'en pouvait trouver, elle n'en aura jamais parmi ceux qui, au milieu de nos ruines, défendent, comme un dernier refuge, l'autorité de la représentation de la nation. Le 2 juin, dit M. Mortimer-Ternaux en terminant le volume où s'arrête si malheureusement son ouvrage, fut donc un véritable coup d'État dirigé contre la représentation nationale. L'école ultra-révolutionnaire, qui croit que la fin justifie les moyens, l'a glorifié ; l'école fataliste, qui proclame la légitimité du fait accompli, l'a enregistré sans protestation.... Comment des écrivains qui ont la prétention d'aimer et de servir la liberté, n'ont-ils pas vu qu'en se refusant à condamner les fauteurs de cette journée, ils absolvaient, par cela même, tous les coups d'État dont les dates néfastes sont inscrites dans nos annales ? (T. VII, p. 426.) Et sans rien dissimuler des fautes des Girondins, il montre que cette violence, Pas plus que les autres, n'a sauvé la France. C'est la doctrine de l'école libérale à laquelle appartenait l'auteur ; et du reste l'école révolutionnaire n'a pas tout entière épousé, sur ce sujet, les passions, les haines et les préjugés des Jacobins : On avait vu à Rome, dit M. Quinet, après un beau et grave récit de ces journées, les assemblées, les curies, les comices, le sénat, envahis par des bandes armées, délibérer sous les piques. Cette irruption de la force avait marqué les derniers jours des constitutions libres. La république française commence le 31 mai comme avait fini la république romaine, que l'on croyait imiter. Cette journée était-elle inévitable ? Ce que je peux affirmer, après une expérience de quatre-vingts années, c'est par ce chemin qu'on va à l'esclavage. (XIII, 2, t. II, p. 13.) Cela ne se fit pas attendre : Après
le 31 mai, ajoute-t-il un peu plus loin, on
est replongé dans l'ancien tempérament politique de la France. Plus de
tribune, plus de presse, le silence partout, excepté au tribunal
révolutionnaire. La Convention avait peine à se reconnaître. Plus de
discussion sur aucun sujet, le côté droit dispersé, les Montagnards eux-mêmes
frappés de stupeur. Ils avouaient qu'un pouvoir invisible arrêtait la parole
sur leurs lèvres. Les vainqueurs semblaient aussi consternés que les vaincus.
Cette grande Assemblée, réduite à un simulacre d'elle-même, subordonnée à la
Commune, aux clubs, se prépara à obéir avec autant de violence qu'elle en
avait mis à commander. Quelle souveraineté que celle qui consistait pour la
majorité à craindre, à trembler, à se taire, à paraître ordonner ce qu'on
redoutait le plus ! Maîtresse et esclave, hardie à accepter toutes les
fantaisies d'abord de la foule, puis bientôt de quelques-uns, enfin d'un
seul, elle abdique dans le Comité de salut public. (XII, 3, t. II, p. 16.) Et il en montre les conséquences immédiates : Abolir la liberté, dit-il, sous le prétexte qu'on l'établira plus tard, est le lieu commun de toute l'histoire de France. Ce fut aussi celui de la Révolution ; et il est certain qu'on s'épargnait une grande difficulté. Mais les temps ont prouvé que c'était ajourner la Révolution elle-même. Il nous appartient de le dire, cette voie était mauvaise, elle a préparé la servitude. La liberté, écrasée avec tant de fureur, ne devait plus reparaître que mutilée pour s'évanouir encore. Tel fut le principal, le plus incontestable résultat du 31 mai. Le second fut de déchirer la France. Une partie des provinces cessèrent de voir dans la Convention décimée l'autorité suprême. Elles refusèrent de respecter l'Assemblée qui n'avait pas su se respecter, et qui s'était livrée. D'où les révoltes du Calvados, de Lyon, de Marseille, de Bordeaux, de Toulon, la moitié du territoire soulevée contre l'autre. Pour ramener les provinces sous le joug, il fallut des forces immenses, On dompta, il est vrai la révolte ; mais dans cet effort prodigieux, la Révolution usa la Révolution. (XIII, 3, t. II, p. 18.) Pourquoi faut-il qu'un homme qui par la hauteur de sa 'raison s'élève si résolument au-dessus des préjugés de son parti, soit lui-même dominé par un préjugé qui l'aveugle sur les conséquences les plus immédiates du grand principe dont il soutient la cause ? Quelle est la première des libertés ? la liberté de conscience assurément ; et la liberté des cultes en est la suite. M. Quinet le proclame. Il l'appelle un principe magnanime, et qu'il faudrait être insensé pour ne pas accepter. Il l'accepte donc ? Point partout et toujours : grave restriction en ce qui touche les principes ! Il blâme l'Assemblée constituante de ne pas l'avoir écrit en tête de la Déclaration des droits de l'homme (VI, 1, t. I, p. 195) ; et il regrette que la Convention l'ait adopté dans la constitution de 1793 : contradiction dans les termes, qui se résout par la considération du résultat. Par là, en effet, la Constituante semblait ménager le catholicisme et la Convention ne le supprimait pas[49]. Or M. Quinet le hait, et il faut que tout cède à cette haine. La haine du prêtre obscurcit en lui le sens du moraliste et de l'historien. Il y sacrifiera donc ce principe magnanime de la liberté de conscience. Il le sacrifie à ce qu'il croit le salut de la Révolution ; car si la Révolution a péri, c'est, selon lui, parce qu'elle n'a pas su faire ce sacrifice. Il n'y a, dit-il dans un chapitre où son livre de la Révolution rappelle le mieux le livre du Prince, chapitre que les disciples les plus avancés de l'école de Proudhon ne désavoueraient pas, il n'y a que deux moyens de rendre une révolution irrévocable. Le premier est de changer l'ordre moral, la religion ; le second est de changer l'ordre matériel, la propriété. Les révolutions qui font ces deux choses sont certaines de vivre. Le premier moyen est pour elles plus assuré que le second. Quant â celles qui n'emploient ni l'un ni l'autre, elles sont écrites sur le sable ; le premier flot les emporte. (VI, 9, t. I, p. 225.) Il s'appuie des exemples des révolutions religieuses du passé : Si Luther et Calvin, dit-il, se fussent contentés d'établir la liberté des cultes sans rien ajouter, il n'y aurait jamais eu l'ombre d'une révolution religieuse au seizième siècle. Qu'ont-ils donc fait ? Le voici. Après avoir condamné les anciennes institutions religieuses, ils en ont admis d'autres sur lesquelles ils ont bâti des sociétés nouvelles ; et c'est après que les peuples ont contracté ce tempérament nouveau, que la porte a été rouverte plus tard à l'ancien culte, qui, par la désuétude, avait cessé de se faire craindre. Telle est la loi des grandes révolutions religieuses qui se sont établies dans le monde. (V, 6, t. I, p. 151.) Et plus loin : L'évidence aurait dû éclater sur ce point et montrer que le travail prodigieux que l'on tentait pour dépayser la nation française serait aisément chose illusoire, tant que la forme du passé et les tours de Notre-Dame se montreraient partout à l'horizon. Après un peu de temps, on ne manquerait pas de s'y rallier ; tous les systèmes de régénération sociale iraient se perdre dans cette ombre. (XVI, 1, t. II, p. 134.) Aussi son parti est-il bien arrêté sur la conduite que la
Révolution devait tenir. Citant Vergniaud, qui dans la discussion de la
constitution de 1793, s'opposait à la déclaration de la liberté des cultes : Ce jour-là, dit-il, 19
avril 1793, Vergniaud et ses amis dépassèrent du vingt coudées les Jacobins,
ou plutôt ils se montrèrent les seuls révolutionnaires. En concluant à
l'abolition de la religion ancienne, ils prouvèrent que l'expérience des
dernières années n'avait pas été perdue pour eux, et, qu'au moment de tout
renouveler, il ne s'agissait pas de consacrer le culte de la contre-révolution
et de s'y ancrer de nouveau. (Ibid.,
p. 135.) L'Église, pour la Révolution, c'est à ses yeux l'ennemi,
et il lui applique la loi romaine des XII tables : adversus hostem æterna auctoritas ; éternel sophisme à
l'usage de tous les despotismes. Avant de donner la liberté, il faut, dit-on,
réduire au silence, il faut supprimer l'adversaire, même par la force. Mais
si vous ne le pouvez vaincre par la raison, vous avouez que, sur ce terrain,
il est plus fort que vous. L'Église n'a pas été anéantie par la Révolution,
et M. Quinet ne s'en console pas. Il accuse d'impuissance la Convention, et
la Terreur de tolérance ! L'erreur des chefs de la
Révolution, dit-il, a été de s'imaginer
qu'une ancienne religion disparaît de la terre par la seule indifférence, par
la désuétude ou par la discussion. Il n'est même rien de plus vain que de
croire que la force ne peut rien contre des idées. Si donc on se place un
moment dans le système des terroristes, on voit que, puisqu'ils étaient
décidés à n'épargner ni fureurs, ni horreurs, ni exterminations, mais bien
plutôt à les déchaîner toutes sans merci, on voit, dis-je, que dans ce
système, il n'y avait point d'inconvénient pour eux à prendre corps à
corps l'ancien ordre spirituel, et qu'il n'était point déraisonnable
d'espérer réussir par les mêmes moyens qui avaient réussi tant de fois aux
chrétiens et aux musulmans. Au lieu de cela, le terrorisme révolutionnaire
proclamant la liberté de l'ennemi de la Révolution, allait droit à l'absurde.
(XVI, 11, t. II, p. 175.) — Emprunter, dit-il encore, le
système de Dracon et de Lycurgue pour fonder la tolérance envers des
ennemis, c'était déterrer un glaive antique pour s'en frapper soi-même.
(XVI, 12, t. II, p. 179.) Mais quoi ? La Terreur n'a-t-elle usé de ce glaive que contre
soi ? Déporter les prêtres non assermentés et les guillotiner s'ils osaient
reparaître, enlever les églises au culte orthodoxe, le poursuivre jusque dans
les réduits où il se cachait, expulser, guillotiner les religieuses,
guillotiner de simples laïques pour cause de fanatisme, c'est-à-dire
d'attachement à la foi catholique : voilà ce qu'elle a fait ; et que
pouvait-elle faire davantage ? Ils frappaient les
corps et ne touchaient point à l'âme, dit M. Quinet. Ils tyrannisaient les prêtres et consacraient leur culte.
(XVI, 12, t. II, p. 179.) Où voit-il
cette consécration de leur culte ? Est-ce quand Hébert et ses pareils
intronisaient sur les autels de Notre-Dame la Raison sous la forme sensible
d'une comédienne ? ou quand, après le supplice du père Duchesne, Robespierre
célébrait la fête de l'Être suprême avec quelque changement dans la
décoration ? M. Quinet ne cache point sa sympathie pour l'apostasie du
malheureux Gobel, l'évêque constitutionnel de Paris ; il en a même pour les
brise-images : Gobel avait donné le signal. En dépit
de la prudence des Jacobins, on revit ces mêmes ravageurs d'églises et de
monastères, ces brise-images, ces déprédateurs de reliquaires qui avaient
tant aidé à la Réforme du seizième siècle.... (XVI, 3, t. II, p. 142.) Qui peut dire, ajoute-t-il, ce qui serait arrivé si les révolutionnaires du Comité et de
l'Assemblée eussent prêté leur force aux iconoclastes ? Où allait le
renversement et que serait-il sorti de cette poussière ? Mais les terroristes
eurent peur des ravageurs de monastères que la Réforme avait vus sans trouble
et même avec joie. Le mouvement qui se produisait partout contre l'ancien
culte, l'effort de la France pour en sortir était la Révolution même. Le
grand Comité de salut public n'imagina rien de mieux que de défendre
solennellement cette entreprise. Malheur à qui désobéissait !... De là vous pouvez dire que les forces vives de la
Révolution furent employées à mettre à néant la Révolution, etc.[50] Il eût donc fallu laisser toute licence au marteau. Pour
la hache, M. Quinet ne la réclame nulle part ; il la repousse, au contraire,
fort énergiquement en maint endroit. Et pourtant elle était la conclusion du
système. Vous voulez en finir avec l'Église ; mais que faire des prêtres qui
bravent la proscription et des fidèles qui les accueillent et ne
reconnaissent pas d'autres ministres de leur culte ? Depuis Néron jusqu'à
Robespierre, on n'a pas connu d'autre expédient. M. Quinet le sait bien, sans
doute ; mais cela l'a-t-il arrêté ? Lisez son chapitre intitulé : Que serait-il
arrivé si la Révolution française eût employé dans la religion les moyens de
la Révolution d'Angleterre ? Quand Henri VIII,
dit-il, a enlevé l'Angleterre à la papauté, il
touchait encore au moyen âge ; il avait à lutter contre les forces toutes vives
du passé, et pourtant il réussit à transporter en peu d'années son peuple
d'un rivage sur un autre... (XVI, 9, t.
II, p. 168.) Il trouve qu'en France la révolution religieuse était
bien plus préparée et, revenant sur une idée qu'il a exprimée déjà, il s'étonne
que les terroristes, qui ont tant fait, ne l'aient pas accomplie : Tout ce que les terroristes avaient pu provoquer contre
eux de haines, de malédictions, était déjà déchaîné ; ils n'avaient rien
de pis à attendre. M. Quinet ne le ferait pas, sans doute ; mais
il regrette que les terroristes ne l'aient pas fait : un peu plus de sang
versé, un peu plus d'exécration, à ce degré-là, ne lui paraît pas une
affaire. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait ? M. Quinet dit, avec raison, que ce n'est pas faute d'audace. Ajoutons que ce n'est pas faute de bonne volonté non plus. L'auteur se trompe dans le rapprochement qu'il fait de la France en 1793 avec les pays qui, au seizième siècle, embrassèrent ou plus justement, selon sa propre déclaration, subirent la Réforme. Il y avait autre chose que le bras séculier dans l'établissement violent du protestantisme en ces contrées : c'était une Église qui, avec l'aide de l'autorité des princes, attaquait l'Église, et elle pouvait, l'ayant vaincue, prendre sa place. En 1793, ce n'est pas une religion, c'est l'État qui s'attaquait à la religion. M. Quinet le sait encore ; ce n'est pas en cela qu'il se trompe. Son illusion est de croire que l'État, en s'attaquant à l'Église, eût pu avec succès lui substituer une autre religion. Or cela fut tenté, et par le père Duchesne et par Robespierre, sous la double forme du matérialisme et du déisme ; et ce fut après l'échec de ce culte, dont Robespierre s'était fait le président sinon le grand prêtre, que l'impuissance de la Révolution à triompher de l'Église se manifesta par un redoublement de fièvre sanguinaire dans le régime de la Terreur. Si M. Quinet regrette que l'on n'ait pas eu recours, pour opérer la substitution qu'il eût voulue, à quelque secte de la réforme ; s'il blâme à cet égard le défaut d'initiative et la pusillanimité des protestants, félicitons-les, nous, au contraire, de n'avoir pas cherché à s'imposer à la France par les moyens que la Terreur eût mis à leur service. Mais cela n'eût abouti qu'à leur faire partager l'exécration que la Terreur a recueillie. Nous appliquerons à ce système de rénovation religieuse de la France par les armes de la Terreur, que M. Quinet semble recommander ici, ce qu'il a dit si bien de la rénovation politique tentée par ce régime. Quand on a commencé d'en user, il faut sous peine de mort en user sans cesse ; mais cela a une fin pourtant, et à quoi arrive-t-on ? A produire une réaction violente. On en a usé, quoi qu'il en dise, autant que possible contre l'Église catholique ; et à quoi est-on arrivé ? Il nous le dira lui-même : A la nouvelle de l'affranchissement des consciences, quarante mille communes, c'est-à-dire la France entière est revenue à l'esprit du moyen âge. (XX, 7, t. II, p. 392.) — C'est sa façon ordinaire d'appeler la foi catholique. — Et il le déplore. Mais quoi ? Fallait-il donc retenir plus longtemps les consciences asservies ? Pour accomplir la révolution que rêve M. Quinet, il n'eût pas suffi de faire, comme il le dit, table rase du passé de la France[51] ; il eût fallu faire table rase de la France. Pour proclamer enfin le magnanime, le nécessaire, l'inévitable principe de la liberté de conscience, on aurait dû au préalable transformer le pays en désert. Admettons même qu'on eût triomphé plus tôt : il n'en est pas moins vrai que des générations entières eussent subi violence dans leur foi, et c'est là le plus dur despotisme. Quand M. Quinet prône ce système, il adore ce qu'il a brûlé avec tant d'éclat sous le nom de moyen âge. La liberté ne comporte ni ces distinguo, ni ces atermoiements et ces remises. En regrettant, comme il l'a fait, qu'on n'ait pas ajourné la liberté de conscience, M. Quinet l'a reniée, et il a perdu le droit de se dire libéral : ce sera son châtiment. M. Mortimer-Ternaux nous avait amené au seuil de la Terreur ; M. Quinet nous l'a fait franchir sur un point. Les autres ouvrages dont il me reste à rendre compte, vont nous introduire au cœur même du sujet. |
[1] 3 volumes in-8°. J'ai revu les textes pris de cet ouvrage aux Archives nationales, où il se trouve (F I c, Seine n° 23.), et j'en ai corrigé les fautes sur plusieurs points.
[2] Gohier lui succéda, le 20 mars, au ministère de la justice. Les autres membres du conseil exécutif étaient : Clayière, aux contributions publiques ; Lebrun, aux affaires étrangères ; Beurnonville, à la guerre, où il fut, en avril, remplacé par Bouchotte.
[3] Schmidt, Tableaux de la Révolution française, t. I, p. 118, 119.
[4] Schmidt, Tableaux de ta Révolution française, t. I, p. 119, 120.
[5] Schmidt, Ibid., t. I, p. 122.
[6] Voyez sur ce complot, le Diurnal de Beaulieu à cette date et Prudhomme dans ses Révolutions de Paris.
[7] Garat, Mémoires, p. 93 ; et Schmidt, t. I, p. 135.
[8] Schmidt, ibid., p. 138.
[9] Avec Dutard, M. Schmidt nomme parmi ces observateurs : Terrasson, installé le 9 mai ; Perrière, le 12 ; Julian de Carentan, le 22 ; Beaumier et Blanc, le 23 ; Latour-Lamontagne, le 24.
[10] Schmidt, t. I, p. 163.
[11] Dutard à Garat, probablement du 6 mai ; Schmidt, ibid., p. 189.
[12] Voyez le compte rendu de la séance de la Convention et le Diurnal de Beaulieu à cette date.
[13] Dutard à Garat, 30 avril ; Schmidt, ibid., p. 164.
[14] Schmidt, ibid., p. 165.
[15] 31 avril (lire 1er mai) ; Schmidt, ibid., p. 166, 167.
[16] Voyez le Diurnal de Beaulieu à ces dates et le Moniteur du 8 mai.
[17] Terrasson à Garat, 12 mai ; Schmidt, t. I, p. 211 (le texte de M. Schmidt est ici peu exact).
[18] Dutard à Garat, 1er mai, ibid., p. 168.
[19] Dutard à Garat, 1er mai, ibid., p. 169, 170.
[20] Terrasson à Garat, ibid., 9 mai, p. 201.
[21] Il avait écrit délier, et l'a effacé pour mettre soigner.
[22] Rapport du 13 mai. Ibid., p. 212.
[23] Schmidt, t. I, p. 225
[24]
Cette idée d'un Comité central, comme levier de la Révolution contre
l'Assemblée, idée chère aux révolutionnaires de toute époque, s'était produite
de bonne heure, et la Convention n'y avait point assez pris garde : On lui
dénonça le même jour (14 janvier), dit Beaulieu, un
arrêté de la contexture la plus extravagante, pris par une des sections de
Paris. Cette pièce, ajoute-t-il, peut paraître assez curieuse pour faire époque
:
La section des Gravilliers arrête, que les quarante-sept autres sections seront invitées à nommer chacune deux membres qui formeront une quotité de quatre-vingt-seize, et se rassembleront dans un local particulier, à l'effet de se constituer provisoirement en comité central et secret, qui sera permanent, jusqu'à ce que les quarante-huit sections en aient ordonné autrement ; 2° que ce comité recevra toutes les dénonciations, lancera les mandats d'arrêt contre les prévenus, les interrogera et les renverra ensuite au Comité de sûreté générale de la Convention, etc.
Plusieurs députés, continue Beaulieu, n'eurent pas honte de demander la mention honorable d'un pareil acte : parmi ces députés, on distingua Turreau. L'Assemblée ne crut pas devoir s'occuper de cet objet. Voyez la séance du 14, Moniteur du 16 janv. 1793.
[25] La pétition des huit mille est la pétition dirigée contre le camp sous Paris avant le 20 juin 1792 ; celle des vingt mille la pétition contre les excès de cette journée. Le 20 octobre 1793, le Conseil général de la Commune ordonna de publier les noms des signataires comme liste de suspects. Voyez Beaulieu, Diurnal à cette date (ou Dauban, la Démagogie en 1793 à Paris, p. 471) et Mortimer-Ternaux, la Terreur, t. II, p. 8.
[26] Fatigués de l'anarchie, nous avons senti la nécessité de nous rallier autour de la Convention. Nous jurons de maintenir la liberté, l'égalité, la République une et indivisible, de ne jamais souffrir qu'il existe un tyran sous quelque dénomination que ce puisse être, et de ne plus souffrir qu'une poignée d'intrigants, sous le masque du patriotisme, écrase davantage les bons citoyens sous le poids du despotisme populaire. (On applaudit à plusieurs reprises.) (Séance du 5, Moniteur du 8.)
[27] Séance du 14 mai. Moniteur du 16 et le Diurnal de Beaulieu à la date du 15. Voyez aussi Mortimer-Ternaux, t. VII, p. 224 et suiv.
[28] Beaulieu, dans son Diurnal parle du grand appareil avec le- quel les sections allaient présenter à la Convention leurs volontaires :
Le 16 mai, toute la ville de Paris était remplie de députations de sections qui se rendaient, tambour battant, à la Convention nationale pour y présenter des volontaires achetés au poids de l'or. Qui en faisait les frais ? La plupart, ajoute Beaulieu, n'ayant pu rassembler des sommes assez considérables pour l'enrôlement de tous ces soldats, demandaient et obtenaient des avances pour les payer, toutes remboursables par une imposition établie sur les magasins et la bourse des riches. (Ibid., jeudi 16 mai.) Il parlait un peu plus haut (13 mai) de 50.000 francs accordés à ce titre à la section du Panthéon, somme qui devait être remboursée par une imposition sur les riches de cette section : C'est de cette manière, ajoutait-il, et surtout à cette époque qu'on commença à révolutionner les fortunes.
[29] Une lettre d'un volontaire parisien, lettre qui se trouve perdue dans un des dossiers du tribunal révolutionnaire de Paris (affaire Kolly) et qui est datée du camp de Famars, 19 avril l'an II (1793), montre (ce que d'ailleurs le rapport de Dutard ne contredit pas) que les volontaires étaient pour la République, mais qu'il n'en était pas généralement ainsi des troupes de ligne : Les troupes de ligne, dit l'auteur de la lettre nommé Rousseau, volontaire au 7e bataillon de Paris, ne sont point généralement patriotes, elles croient qu'un roi peut seul sauver la France ; les volontaires sont mal regardés d'elles. Plusieurs bataillons de ligne ont refusé l'habit de volontaire, l'on entend chanter des chansons royalistes ; mais la masse de l'armée les contient et les force au silence : d'ailleurs leur opinion politique ne peut rien sur notre situation. (Archives nationales, W. 249, dossier 23, 2e partie, pièce 15.)
[30] Voyez aussi le Diurnal de Beaulieu à ces dates.
[31] Voyez son rapport du 27, p. 315.
[32] Le député Meillan, présent à la séance, croit que la commission ne fut pas régulièrement supprimée par décret ; que la Convention tint ferme : Son obstination, ajoute-t-il, irrita la Montagne. Elle recourut aux grands moyens. Elle fit arriver cinq ou six cents pétitionnaires, presque tous en armes, qui se répandirent dans la salle, et dont une partie, se mêlant avec nous, vint audacieusement partager nos fonctions. S'il y eut décret, ce sont eux qui le rendirent. (Mémoires de Meillan, cités par M. Dauban dans son édition du Diurnal, p. 206.)
[33] Perlière à Garat, 29 mai, ibid., p. 335.
[34] Schmidt, t. I, p. 337 et suiv.
[35] Schmidt, t. I, p. 361-365. Cf. Le récit de Beaulieu dans son Diurnal à la date du 30 et du 31 mai.
[36] La Convention, depuis le 10 mai, siégeait aux Tuileries.
[37] Il n'y en avait pas moins parmi ceux qui prirent les armes. Pendant tout le jour, dit Beaulieu, dans l'ouvrage déjà cité, la Convention fut entourée de 20.000 à 30.000 hommes, ignorant, la plupart, pourquoi on les avait rassemblés.
[38] Beaulieu, Diurnal à la date du 1er juin.
[39] Cité par M. Dauban, la Démagogie en 1793 à Paris, p. 218. — C'est le même jugement que porte Mercier, dans son Nouveau Paris : Pendant tout le jour, la Convention fut entourée de 80.000 hommes, ignorant, la plupart, pourquoi on les avait rassemblés. La Convention, cette puissance formidable, qui avait fait la faute inconcevable de donner la force armée à son ennemie, n'était plus qu'un corps atténué, à qui il ne restait aucun moyen de résistance. Il n'y a pas de doute que si les véritables citoyens de Paris, qui étaient alors sous les armes, eussent été instruits de toutes les ruses machiavéliques, cette journée ne se fût terminée d'une manière différente. (Chap. CCVI, t. II, p. 255, édit. 1862.)
[40] Voyez Schmidt, t. I, p. 378.
[41] La Révolution du 31 mai, comme le remarque M. Vatel, n'a point eu de commémoration officielle. A un an de date, elle se trouvait singulièrement dépassée. M. Vatel n'en a trouvé d'autre trace qu'un hymne publié au lendemain de son anniversaire, le13 prairial, dans le Journal de la Montagne par le citoyen Aristide Valcourt : la poésie en est digne du sujet par sa platitude. (Voyez Vatel, Charlotte Corday et les Girondins, t. III, p. 790.)
[42] Perrière à Garat, n° 19. 17 juin, Schmidt, t. II, p. 65.
[43] Julian de Carentan à Garat (probablement du 13 juin 1793), ibid., p. 32.
[44] Dutard à Garat, 6 juin, ibid., p. 6.
[45] Le manuscrit porte à tort vendredi 7 mai, au lieu de vendredi 7 juin. — A la date du 17 juin, Dutard écrit encore à Garat : Hier, en passant aux Halles, j'ai vu, dans l'une des petites rues transversales, un prêtre qui portait le viatique à un pauvre homme. Six hommes armés, bons sans-culottes, et tout à fait de la dernière classe, lui ont fait les honneurs. Ils l'ont accompagné jusqu'à 1 porte, et ont fait sentinelle devant la porte, pour l'accompagner encore quand il sortirait. Tout le monde, de très-loin, s'est prosterné à genoux. Je me suis agenouillé comme les autres. Ces pauvres gens, malgré la philosophie et l'intrigue, maintiendront leur bon Dieu et leur liberté. (Ibid., p. 63.)
[46] Les Douze et les Vingt-deux, dont deux faisaient partie des Douze.
[47] Jeudi 13 juin, onze heures du matin. Dutard a écrit : jeudi 11 juin ; erreur de plume, causée par le chiffre qui suit.
[48] Mercier, Paris pendant la Révolution, chap. CCLIV, t. II, p. 380-382.
[49] La constitution de 1793 étala un principe magnanime nécessaire, inévitable ; niais, dans l'état vrai des choses, ce principe renfermait la contre-révolution. (XVI, 2, t. II, p. 137.)
[50] XVI, 5, t. II, p. 146. Au lieu d'attaquer l'obstacle permanent de la Révolution, dit-il encore à propos de la réaction de Robespierre contre les brise-images, il prend l'obstacle pour l'appui... Il en est venu à voir une conspiration de l'étranger dans ce qui était l'esprit même de la Révolution. (XVI, 5, t. II, p. 156, 157.)
[51] XVI, 2, t. II, p. 137.