LIVRE IV — LE NOUVEAU TESTAMENT DANS LES CATACOMBES ET SUR LES MONUMENTS FIGURÉS DES PREMIERS SIÈCLES DE NOTRE ÈRE
Si nous jetons maintenant un regard en arrière sur la route que nous venons de parcourir, nous avons bien le droit de constater scientifiquement que, des découvertes archéologiques modernes relatives au Nouveau Testament, aucune ne contredit la tradition et la croyance catholique, et que toutes au contraire leur rendent un éclatant hommage. Les progrès de la philologie comparée nous mettent en état de démontrer que nos Évangiles n’ont pu être composés que par des écrivains d’origine juive et au premier siècle de l’ère chrétienne. L’épigraphie justifie les assertions historiques de saint Luc contre d’injustes attaques. Toutes les sciences archéologiques proclament de concert la parfaite exactitude des Actes des Apôtres jusque dans leurs plus minutieux détails. Enfin les catacombes nous font entendre en quelque sorte, après tant de siècles, l’écho de la voix des premiers chrétiens, pour nous redire qu’ils ont admis comme nous les quatre Évangiles canoniques, et seulement ces Évangiles, que leur foi, en un mot, a été la nôtre. Ainsi les découvertes des savants modernes, quel que soit l’esprit qui les anime, tournent à la gloire de nos Saintes Écritures et nous apportent tour à tour des preuves nouvelles en faveur de la véracité du Nouveau comme de l’Ancien Testament[1], de telle sorte que le Livre sacré, le Livre de Dieu, apparaît, bon gré mal gré, à tous les regards, comme un livre qui ne ressemble à aucun autre, comme un monument unique au monde, dont rien ne peut ébranler la solidité et que tous doivent admirer. Les pensées se présentaient à mon esprit avec une force particulière, un jour que, en Égypte, la Bible ouverte sous les yeux, et me rappelant les oracles des prophètes sur l’empire des Pharaons, je contemplais, du haut de la grande pyramide, le magnifique spectacle qui se déroulait devant moi. Qu’il me soit permis, en terminant ces pages, de rappeler ces impressions qui sont restées profondément gravées dans ma mémoire. J’étais allé en Orient pour suivre les traces du peuple de Dieu. Cette idée ne me quittait jamais, et partout je songeais à nos Saintes Écritures. C’était à la fin de mars, par une de ces tièdes journées, éclairées d’une lumière radieuse, comme on n’en peut voir qu’au Caire, à cette époque de l’année. Je venais d’arriver au sommet de la pyramide. Un des Arabes qui m’accompagnaient m’avait rappelé les paroles légendaires : D’ici, quarante siècles nous contemplent. Oui, me disais-je, cet immense amas de pierres, accumulé avec des efforts et un travail inouïs par les ordres de Chéops, a vu s’écouler déjà bien des siècles, mais ce monument colossal n’est rien à côté de ce petit livre que j’ai là entre les mains. La grande pyramide n’a exercé aucune influence sur les destinées des peuples, tandis que les pages sacrées de l’Écriture ont apporté aux hommes de bonne volonté la paix du cœur et la véritable lumière. Ce que la créature fait de plus grand est vain et stérile, tandis que la moindre parole de Dieu porte ses fruits[2]. Nulle part au monde, on ne peut se rendre mieux compte qu’en cet endroit de la vanité des œuvres humaines et de la grandeur des œuvres divines, jouir d’un panorama plus varié et plus étendu, embrasser d’un seul coup d’œil tant de contrastes, évoquer tant et de si glorieux souvenirs. Une dizaine de touristes de tous les pays, rassemblés sur la petite plate-forme de la pyramide, admiraient le paysage et les ruines imposantes des alentours. Je ne pouvais me lasser moi-même de regarder et d’admirer. On a là, en quelque sorte, tout l’univers en raccourci. Du haut de cet observatoire qui domine au loin l’Égypte aux quatre points de l’horizon, l’œil voit d’un côté tout ce que la nature a de plus riant et de plus beau, et de l’autre tout ce qu’elle a de plus triste et de plus sévère. Le monument de Chéops est à la lisière même du désert. Pour éclairer la scène, le soleil d’Orient, dans un ciel sans nuages, verse à flots ses rayons d’or. Au midi, une vaste plaine, légèrement ondulée, au sable fauve, sans culture, sans habitants, l’image même de l’aridité et de la désolation, va se perdre dans l’immensité. Au nord, au contraire, le riche Delta étale son tapis verdoyant, doux repos pour les yeux ; le Caire dresse sa forêt de minarets aigus qui s’élancent vers le ciel ; le Nil roule majestueusement ses eaux nourricières et les prodigue dans mille canaux, semblables à des filets d’argent, qui portent partout la vie et la fécondité ; çà et là de hauts palmiers bercent mollement leur gracieux panache ; partout une population nombreuse travaille, s’agite dans les champs, autour de nombreux villages, comme des abeilles autour de leur ruche. Aussi loin que la vue puisse s’étendre de ce côté, tout est animé, vivant, et la végétation la plus luxuriante fait de cette terre fortunée un véritable paradis, tel que devait être l’Éden aux premiers jours de la création. Abaissez maintenant vos regards à vos pieds, quel nouveau contraste ! Tandis que la vie se manifeste avec tant d’intensité dans le Delta, vous ne voyez plus là que les traces de la mort et les tristes marques de la caducité des choses humaines. Au bas et tout autour des pyramides, ce ne sont que monceaux de débris et de ruines : tombeaux profanés, bandelettes de momie déchirées, fragments de cercueil en bois de sycomore, temples détruits, blocs de granit et de porphyre brisés et mis en pièces. L’art et la science avaient dépensé là toutes leurs forces, épuisé tous leurs secrets, et il ne reste rien ou presque rien du fruit de tant de labeurs. De combien de vicissitudes, de combien de révolutions cet impétrissable monument de pierres sur lequel je suis, n’a-t-il pas été le témoin muet ? Tout a changé autour de lui : les conquérants ont succédé aux conquérants, les Perses aux Égyptiens, les Grecs aux Perses, les Romains aux Grecs, les Arabes aux Byzantins. Dans les vastes plaines qui s’étendent là au-dessous, le sang a coulé à flots, depuis les jours les plus anciens des Pharaons jusqu’aux Français de Bonaparte, depuis les batailles sans nom qui remontent aux origines des peuples jusqu’à la bataille des Pyramides. Les villes s’y sont élevées, elles ont jeté un moment un vif éclat et puis elles ont disparu. L’orgueilleuse Memphis gît là, couchée dans son tombeau, sous les blés qui verdissent dans les champs où brillèrent autrefois ses merveilleux édifices. De ses somptueuses constructions, il ne reste plus rien aujourd’hui. Quelques débris des statues colossales du grand Sésostris, exhumées à grand’peine, des milliers de morceaux de briques rouges brisées, mêlés avec le limon du Nil, marquent seuls la place où fleurit la superbe capitale des Pharaons. De pauvres fellahs, couverts de guenilles, cultivent le sol couvert jadis par les temples et les palais, et là où couraient, attelés de chevaux richement caparaçonnés, les magnifiques chars des grands rois, l’on ne voit plus cheminer que des chameaux, à la marche lente et solennelle, ou des ânes chargés de leurs fardeaux. Les prophètes l’avaient prédit, l’antique Égypte devait périr : Où sont
tes sages, [ô Égypte] ? Qu’ils
t’annoncent, s’ils le savent, Ce que
le Seigneur a décrété sur toi ! Les
princes de Tanis ont perdu le sens, Les princes de Memphis se sont trompés[3]... Annoncez-le
à l’Égypte, publiez-le à Migdol ; Faites-le
savoir à Memphis et à Taphnés ; Dites :
Debout, prépare-toi, Car
le glaive dévorera tout ce qui t’entoure... Fais
tes préparatifs pour la captivité, fille de l’Égypte, Parce
que Memphis deviendra une solitude, Elle ne sera plus habitée[4]. Ces menaces prophétiques se sont littéralement accomplies. Seules les pyramides sont restées debout ; elles ont survécu aux désastres de l’empire des Pharaons, elles ont résisté aux siècles et aux hommes. Tout craint le temps, disent les Arabes, mais le temps craint les pyramides. » Les pierres de leur revêtement sont tombées, leur sommet est découronné, mais elles sont toujours là, fermes et immuables, assises sur leur masse solide, l’œuvre la plus imposante qu’ait élevée la main de l’homme, et comme l’emblème de la stabilité et de la durée. C’est là, aussi, me dis-je alors, l’emblème et l’image de nos Saintes Écritures ; elles sont dans le monde spirituel et moral, et mieux encore, ce qu’est la grande pyramide dans le monde matériel. Tout craint le temps, mais le temps respecte les Écritures. Toutes les pages sacrées demeurent entières et intactes. Les siècles s’écoulent, les empires sombrent et disparaissent, les générations succèdent aux générations, les peuples aux peuples, les langues aux langues, et les Écritures sont toujours là, debout dans leur imposante simplicité et dans leur impérissable majesté. Tout change autour d’elles et elles sont immuables. Elles nous prêchent toujours ce que nous devons croire et pratiquer ; elles nous montrent l’homme avec toutes ses grandeurs et toutes ses faiblesses, les peuples avec toutes leurs ambitions et leurs querelles, mais surtout Dieu avec sa justice et sa sainteté, sa bonté et sa miséricorde, Jésus-Christ, notre Sauveur, le ciel qu’il nous a préparé, la voie qui doit nous y conduire ; elles nous enseignent, en un mot la vérité éternelle. Les chrétiens les vénèrent comme le livre de vie ; des hommes dévoyés cherchent à les dépouiller de leur auréole, à les profaner, à les détruire. Ils les attaquent avec un acharnement opiniâtre, au nom de la science et du progrès avec toutes les armes de l’érudition, avec toutes les subtilités de la sophistique la plus captieuse. Vains efforts, rage impuissante ! Rien ne peut ébranler l’Écriture. Ses ennemis disparaissent ; elle demeure[5]. Et non seulement elle triomphe de toutes les attaques et survit à tous ceux qui lui font la guerre, mais elle continue dans tous les temps et en tous lieux son œuvre divine. Tandis que l’hérésie et l’incrédulité sont stériles comme le désert qui s’étend au sud de la pyramide, la foi qui se nourrit du Livre Saint est féconde comme les riches plaines du Delta. On ne croit plus aux anciens poètes et aux philosophes, aux fables d’Homère et de Virgile, aux rêveries de Platon sur une autre vie, aux explications des anciens sages sur l’origine du monde et sur la nature des choses ; on croit toujours à la Bible, et, avec la grâce de Dieu, elle produit toujours des héros et des saints. Notre siècle doit l’honorer comme ceux qui l’ont précédé, et s’incliner à son tour devant elle, quelque fier qu’il soit de ses inventions et de ses progrès. Des sciences autrefois inconnues naissent au milieu de nous ; les explorateurs multiplient les découvertes, tout se modifie et se renouvelle à notre époque, géographie, histoire, linguistique, et au milieu de ce mouvement qui semble emporter toutes choses, le Livre des Livres, qui contient la parole de Dieu, est toujours le même, comme placé entre le ciel et la terre, monument sublime destiné à frapper et à attirer de loin tous les regards, comme la pyramide de Chéops. Oui, cette grande œuvre de l’art et de la science de l’Égypte est l’image de nos Saintes Écritures, mais avec cette différence que nos Saints Livres sont l’œuvre de Dieu, et non l’œuvre des hommes, une œuvre bienfaisante et salutaire, et non une couvre morte et sans fruits. Les Pharaons ont pu élever des monuments destinés à braver les siècles ; mais ils n’ont pu donner à l’humanité ce qu’ils ne possédaient pas eux-mêmes, la lumière et la vérité. C’est là ce que nous donne l’Écriture, sortie des mains de Dieu. Dieu seul a pu nous faire ce don magnifique, nous révéler la vérité, nous éclairer de sa lumière. Mieux encore que ce soleil éclatant, qui est sa créature, n’inonde la terre d’Égypte de ses brillants rayons, le Seigneur, par ses Évangiles et les autres livres sacrés, illumine notre intelligence et nous enseigne la justice. Les sciences nouvelles, loin de démentir sa parole, sont obligées de lui rendre hommage et de proclamer qu’il est le Dieu de toute science et de toute vérité[6]. A mesure que ces sciences, comme autant d’astres lumineux, se lèvent et brillent au ciel des intelligences, elles racontent la gloire du Créateur et attestent la vérité des Écritures qu’il a inspirées[7], et à mesure que les découvertes deviennent plus nombreuses, s’augmentent aussi les preuves et les témoignages en faveur de nos Livres Saints. Telles étaient les pensées qui se pressaient en foule dans mon esprit, tandis que je considérais l’œuvre de Chéops et le volume saint qui contient la parole révélée. Je ne pouvais m’arracher à ce spectacle et à ces réflexions. Cependant tout le monde était déjà redescendu du haut de la pyramide ; je restais seul étranger sur son sommet. Je baisai donc ma Bible avec respect et avec amour, et je redescendis enfin en me disant : Ce monument de pierres semble bâti pour l’éternité, mais ce petit livre sera encore plus durable que ce colosse. Viendront peut-être des jours où la dernière pierre de la grande pyramide aura été arrachée de ses fondements, et si alors les hommes existent encore, si notre planète a encore des habitants, on aura fait de nouvelles découvertes, qui auront confirmé de plus en plus la véracité de nos Livres Saints ; le Christianisme sera toujours florissant et des peuples dont nous ignorons les noms continueront à chanter les louanges de Dieu et de son Christ : Béni soit le Dieu de l’Ancien et du Nouveau Testament ; loué soit Jésus-Christ à jamais, car la vérité subsiste éternellement. Veritas Domini manet in æternum[8]. FIN |
[1] Nous l’avons établi pour l’Ancien Testament dans La Bible et les découvertes modernes en Palestine, en Égypte et en Assyrie.
[2] Is., LV, 11.
[3] Is., XIX, 12-13. Voir aussi Ézéchiel, XXIX-XXX.
[4] Jér., XLVI, 14, 19.
[5] M. le chanoine Palis, aumônier à Béziers, qui a bien voulu me prêter pour la correction des épreuves de cet ouvrage le plus précieux concours, me signale à propos de l’idée exprimée ici un passage de Lamennais que je ne connaissais point. L’auteur de l’Essai sur l’indifférence dit au sujet de l’Église, dans l’Introduction de ce livre célèbre : L’Église voit les sectes rebelles expirer l’une après l’autre à ses pieds ;... son gouvernement, affermi par les coups qu’on lui porte, subsiste inaltérable, et se perpétue de siècle en siècle au milieu des déplacements et des ruines des gouvernements humains : semblable à ces antiques monuments de l’Égypte, dont l’Arabe vagabond, qui plante le soir, à l’abri de leur masse immobile, la tente qu’il enlèvera le matin, essaie de détacher en passant quelques pierres, et bientôt, fatigué d’un travail sans fruit, s’enfonce et disparaît dans des solitudes inconnues. Essai sur l’indifférence, 4e édit., t. I, Paris, 1818, p. 24-25.
[6] Deus scientiarum Dominus. I Reg., II, 3. Ego sumus veritas, Joa., XIV, 6.
[7] Cf. Ps., XVIII (hébreu, XIX), 1.
[8] Ps., CXVI (hébreu, CXVII), 2.