LA MORT DU ROI

21 JANVIER 1793

 

APPENDICES.

 

 

I

NOTE SUR LE PORTRAIT DE LOUIS XVI PAR DUCREUX

 

Le portrait de Louis XVI par Joseph Ducreux, ancien premier peintre de la Reine (1737-1802), que je donne en tête de cet ouvrage, fut dessiné, dit-on, par l'artiste au Temple même, le 14 janvier 1791, huit jours avant la mort du Roi[1] !

Comment Ducreux avait-il pu pénétrer, ce jour-là, au Temple ? Grâce probablement à quelque faveur, que lui avaient valu son titre de membre du comité de la section de la Fontaine-de-Grenelle[2] — il habitait rue du Bac, n° 1284 — et ses opinions, qui paraissent avoir été assez avancées, puisqu'en cette unique année 1793, il exposait au Salon les portraits de Robespierre, de Couthon et de Saint-Huruge.

Il est vrai, que, suivant une autre hypothèse, fort plausible, faite par M. Prosper Dorbec, l'artiste a pu saisir et fixer les traits du Roi pendant une des séances du procès, à la Convention[3].

Au Temple ou à la Convention, quoi qu'il en soit, Ducreux ne dut prendre de son modèle qu'un petit croquis qu'il agrandit et exécuta ensuite aux deux crayons. On découvre en effet très nettement sur le dessin conservé au musée Carnavalet (D 131), la trace du quadrillage qui aurait servi à ce second travail présumé de l'artiste. Ce portrait appartenait, en 1867, au marquis de Guiry, et figura cette année même à l'Exposition de la Société des Amis des arts de Versailles[4]. Il est depuis entré au musée Carnavalet.

 

II

NOTE SUR LES REPRÉSENTATIONS PEINTES ET GRAVÉES DE L'EXÉCUTION DE LOUIS XVI

 

Deux peintres contemporains de l'événement du 21 janvier ont fixé sur la toile la scène dramatique dont ils furent peut-être les spectateurs : Charles Benazech (1767-1794) et Jean-Jacques Hauer (1751-1829).

Benazech, en un tableau de 0,5, cm. sur 0,41 cm., a figuré Louis XVI au pied de l'échafaud, recevant les dernières exhortations d'Edgeworth, et au moment où deux des exécuteurs s'apprêtent à lui lier les mains. Retrouvé chez un brocanteur par le baron de Vinck d'Orp[5], avec la célèbre Scène des adieux au Temple, du même Benazech, ce tableau est aujourd'hui la propriété de Mme la baronne de Woelmont[6]. C'est lui qui a inspiré la gravure de Cazenave, dont je parlerai plus loin. J'aurais voulu en donner ici une reproduction, car le graveur a interprété très librement les données de la peinture. Une impossibilité matérielle m'a empêché au dernier moment de le faire.

J'ai été moins heureux encore avec la toile d'Hauer. Cette toile avait figuré, en 1867, à l'Exposition de la Société des Amis des arts de Versailles. Mais à qui appartenait-elle alors ? Qu'est-elle devenue depuis ? Tout autant de questions auxquelles je ne peux répondre, car les recherches, auxquelles ont bien voulu si complaisamment s'employer, pour moi, MM. Octave et Pierre Cottreau et M. Léonardon, sont restées sans résultat. Le tableau d'Hauer fut décrit, en 1867, par M. Jules Troubat, dans un article de la Chronique des Arts, du 8 septembre. Mais M. Troubat, — que je ne saurais jamais assez remercier de la bienveillance qu'il m'a témoignée en cette occasion, — M. Troubat, lui-même, n'a pu me fournir sur le sort de l'œuvre d'Hauer aucun renseignement. D'après le si distingué écrivain, nous savons seulement que, datée de 1795, la composition représentait le Roi sur la plate-forme de l'échafaud entouré des bourreaux et de l'abbé Edgeworth, à l'instant où il allait être entraîné vers la guillotine. Je ne peux mieux faire du reste que de renvoyer nies lecteurs à l'article de M. Troubat[7], émettant seulement, en terminant, le vœu que ces lignes tombent sous les yeux d'un amateur capable de me renseigner sur ce point.

Si très rares et très difficiles à retrouver sont, on le voit, les figurations peintes de l'exécution de Louis XVI les gravures, qui représentent le même événement, sont, en revanche, infiniment nombreuses et variées. J'ai fait reproduire dans cet ouvrage celles qui m'ont paru le plus conformes aux données historiques, et je voudrais tenter d'en établir ici une classification, suivant leur valeur documentaire et, peut-être, aussi, leur ordre chronologique.

I. Les deux gravures du journal Les Révolutions de Paris. — C'est tout au moins à ce double point de vue que sont précieuses les deux petites gravures parues dans le journal Les Révolutions de Paris, de Louis-Marie Prudhomme, et que je veux les signaler avant toutes autres. D'assez médiocre exécution, elles ont, en compensation, le mérite d'avoir été les premières, sans doute, à représenter l'exécution du Roi, et ont encore aujourd'hui celui de la représenter de la façon la plus exacte.

Leur aspect déroute un peu au premier abord, parce que l'artiste, au lieu de prendre pour dernier plan, comme tous ses successeurs, le Ministère de la marine et les hôtels de la place de la Révolution, a préféré donner comme fond à sa composition, — fond trop haussé, d'ailleurs, — les allées d'arbres des Champs-Elysées et du Cours-la-Reine, et peut-être un coin des bâtiments du Palais-Bourbon. Mais ce choix et cette petite exagération de perspective pardonnés au dessinateur, il faut convenir que l'on trouve là des détails d'une précision parfaite et dont beaucoup ne sont indiqués nulle part.

L'échafaud y est d'abord parfaitement situé en deçà et à gauche du piédestal de la statue de Louis XV. Il paraît, il est vrai, de trop petites dimensions, et il y manque la barrière qui l'entourait, je crois. Mais la charpente de cet échafaud est masquée de planches transversales conformément à d'assez sûres probabilités. Très vraisemblablement, aussi, des citoyens armés de piques sont autour de la guillotine, mêlés aux porteurs de fusils à baïonnettes ; l'abbé Edgeworth est, conformément à la tradition, placé en haut de l'escalier de l'échafaud. Il n'est pas jusqu'à un point reproché à l'artiste par beaucoup de critiques qui, après inspection attentive, ne tourne précisément à sa louange. Ces critiques l'ont blâmé d'avoir représenté une charrette, et non un carrosse, stationnant an pied de la guillotine. C'est qu'ils n'ont examiné qu'une des deux gravures, celle où le bourreau montre la tête du Roi au peuple. Or, si l'on rapproche cette seconde gravure de la première, on se rend compte, au contraire, que la vérité historique a ici encore été exactement respectée. Dans la première, celle qui représente l'arrivée de Louis XVI sur la plate-forme, on aperçoit en effet très bien le carrosse qui l'a amené, et s'il y a une charrette dans la seconde, c'est la charrette qui attend le corps du supplicié pour le mener au cimetière de la Madeleine.

II. La gravure au crucifix. — La deuxième gravure, que, faute de pouvoir la désigner par le nom de son auteur qui manque, j'appellerai la gravure au crucifix, à cause de la place très apparente qu'y occupe ce symbole sacré, cette deuxième gravure est fort supérieure aux précédentes comme exécution. Sa valeur artistique a d'ailleurs été parfaitement indiquée par le baron de Vinck[8]. Historiquement, on peut lui reprocher quelques invraisemblances : l'échafaud est trop bas, semble-t-il, et non masqué de planches, le panier destiné à recevoir le corps du Roi étant disposé au-dessous ; le bourreau lie très visiblement les mains à Louis XVI sur la plate-forme, ce qui est, on l'a vu, contraire à la vérité ; il n'y a de même aucune preuve qu'à ce moment Edgeworth ait, comme il le fait là, présenté le crucifix au Roi. Mais d'autres détails essentiels semblent très exacts : la place de l'échafaud ; la balustrade qui le borde ici ; la position et le costume de l'abbé Edgeworth.

III. La gravure d'Helman, d'après le dessin de Monnet. — La gravure d'Isidore-Stanislas Helman (1743-1809), exécutée d'après la composition de Charles Monnet (1732-1817), fut offerte à la Convention le 30 germinal an II (19 avril 1794). Elle représente l'exposition par le bourreau de la tête du Roi.

Cette gravure a été trop dédaignée, à mon avis, par les critiques et les historiens. Au point de vue artistique, le dessin en est bon, et si la gravure ne vient pas très vigoureuse, elle ne manque pas d'une certaine habileté de facture. J'ai eu l'heureuse fortune, d'ailleurs, de retrouver un très bel état de cette gravure dans la magnifique collection donnée par M. le baron de Vinck à la Bibliothèque nationale, collection dont il fait les honneurs aux historiens et aux artistes avec tant de bonne grâce et de bienveillance.

Au point de vue historique et documentaire, il y a de même peu de réserves à faire sur cette pièce. Les bâtiments de la Marine et les autres hôtels de la place Louis XV, qui forment le fond de la composition, y sont très soigneusement étudiés. L'échafaud y semble parfaitement situé ; il est masqué de planches. Un détail y manque : la balustrade qui bordait la plate-forme, et ce qui apparaît faux, ce sont les groupes de citoyens sans armes placés au premier plan et applaudissant à la chute de la tête du tyran. Mais, ces points mis à part, cette composition semble d'une très suffisante exactitude.

IV. Le dessin de Swebach. — Si je parle en dernier lieu de la composition de Jacques-François-Jose Swebach-Desfontaines, ce n'est pas que je la juge inférieure aux œuvres précédentes, mais plutôt parce que je la crois un peu postérieure en date. Nous avons là le dessin qui a servi à Pierre-Gabriel Berthault pour la gravure des Tableaux historiques de la Révolution française[9].

Ce dessin, — conservé aujourd'hui au musée Carnavalet, — représente le Roi sur la plate-forme de l'échafaud. Quelques invraisemblances sont à signaler : la guillotine est peut-être placée trop à droite et trop près du débouché de la rue Royale ; encore ici, elle est un peu basse ; la voiture semble être une voiture de place et non un carrosse — cette inexactitude est du reste corrigée sur la gravure de Berthault — ; l'abbé Edgeworth porte le costume ecclésiastique et le rabat ; on lie les mains au Roi sur l'échafaud ; enfin les scènes de buveurs du premier plan à droite sont de fantaisie, et ce détail ne figure pas de même sur la gravure de Berthault. En revanche, au point de vue artistique, il n'y a rien à relever contre cette composition pleine de mouvement et de vie.

Dire en détail les raisons qui m'ont fait renoncer à reproduire quelques-unes des autres planches, — dont plusieurs très connues, — qui ont retracé l'exécution du Roi, serait fatiguer mes lecteurs. J'ai rejeté celle de Cazenave, d'après le tableau de Benazech, à cause des invraisemblances qu'y a introduites le graveur, notamment du personnage de fantaisie qui occupe la voiture ; — la petite planche publiée chez Basset, — passée dans la vente Soulavie en 1904[10], — à raison de la même inexactitude et de la mauvaise orientation de l'échafaud ; — la grande planche de chez Basset, qui, elle, place au fond du carrosse l'abbé Edgeworth en costume ecclésiastique, large ceinture aux reins et rabat au cou ; — enfin la corn-position signalée par Dauban[11], dans la collection Hennin, comme d'un classicisme trop outré, ayant été exécutée par un élève de David, peut-être Jean-François-Pierre Peyron (1744-1820).

Cela ne veut pas dire, toutefois, que ces gravures soient sans valeur, non seulement artistique, mais historique. Plusieurs d'entre elles, au contraire, nous donnent la précieuse confirmation de certains détails, ou nous en fournissent de nouveaux. J'ai signalé, d'ailleurs, au cours de mon récit, l'usage que j'ai cru devoir en faire.

 

III

NOTE RELATIVE À LA GRAVURE REPRODUITE SUR LA COUVERTURE DE CE LIVRE

 

Deux artistes de l'époque ont fixé, en l'isolant, le geste tragique du bourreau saisissant par les cheveux la tête du Roi décapité, pour la montrer au peuple. Et de cette tête au bout de ce bras, ils ont fait le tout de deux compositions particulièrement impressionnantes.

J'ai reproduit l'une d'elles sur la couverture de ce livre, celle qui m'a paru donner du masque royal l'effigie la plus douloureuse, la plus noble et la plus vraie, car la ressemblance est ici frappante. L'original est une gravure en manière noire, sans nom d'auteur, et dont le plus bel état est conservé à la Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes, dans le premier volume des portraits de Louis XVI.

 

La seconde des deux compositions dont je m'occupe, bien que beaucoup plus connue que la précédente, lui est, me semble-t-il, très inférieure au point de vue de l'expression de la figure, qui ne rappelle que d'assez loin celle des traits de Louis XVI, au point de vue, aussi, de la facture qui est un peu dure et gauche. Divers états de cette gravure — en manière noire, encore — sont conservés à la Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes — collection de l'histoire de France ; collection Hennin — et au musée Carnavalet. Elle non plus n'est pas signée, mais porte seulement au bas : A Paris, chez Villeneuve, graveur, rue Zacharie-Saint-Séverin.

 

 

 



[1] Saint-Priest, l'Exposition de la Société des Amis des arts de Versailles (Chronique des Arts, septembre 1867).

[2] Le 30 août 1792, déjà, on trouve Joseph Ducreux, membre du comité de la section de la Fontaine-de-Grenelle. (Arch. nat., F2 II, Seine, 49.) — Cf. Almanach national, de 1793, p. 549.

[3] Prosper Dorbec, Joseph Ducreux (Gazette des Beaux-Arts, 1906, t. II, p. 210).

[4] Saint-Priest, article cité de la Chronique des Arts, septembre 1867.

[5] Le savant et célèbre amateur et collectionneur d'estampes, père de M. le baron de Vinck actuel, et auteur de l'ouvrage intitulé Le meurtre du 21 janvier 1793, contenant le fac-simile des plus curieuses gravures du temps et un numéro du Père Duchesne, Paris, 1877, gr. in-8°. C'est une étude sur les représentations peintes et gravées de l'exécution de Louis XVI, qui m'a été du plus grand secours dans la rédaction de cette note.

[6] Mme la baronne de Woelmont est la fille de M. le baron de Vinck d'Orp.

[7] Cet article a été reproduit dans le volume publié par M. Troubat sous le titre Plume et pinceau, études de littérature et d'art, Paris, Liseux, 1878, in-12.

[8] Baron de Vinck d'Orp, Op. cit., p. 83-84.

[9] Tableaux historiques de la Révolution française, Paris, Didot, 1802, t. II. — Cf. Maurice Tourneux, Les tableaux historiques de la Révolution française et leurs transformations, Paris, 1888, in-8°.

[10] Voir une reproduction de cette gravure dans le Catalogue de la collection Soulavie, 4e partie. Paris, 1904, in-8°, p. 91.

[11] Qui représente bien, comme l'a reconnu Dauban, l'exécution de Louis XVI et non celle de Philippe-Égalité, et qui a été faussement classée par Hennin à la date du 6 novembre 1793. Dauban en donne une reproduction dans la Démagogie en 1793, Paris, 1874, in-8°, p. 35.