Cléry, reconnaissez-vous ce cachet ? (Paroles de Louis XVIII à Cléry, 21 janvier 1797, dans le Journal de Cléry.) Quels vestiges, quels souvenirs matériels demeurent du drame que je viens (le raconter ? Telle est la question que, je le sens, se sont déjà posée mes lecteurs. De ce draine, quelques spectateurs survivaient encore au temps où écrivait M. de Beauchesne. Aujourd'hui, des témoins muets, les choses, peuvent seuls être interrogés. Mais l'aspect de ces choses n'est-il pas capable de nous toucher, le sort qui leur a été fait de nous émouvoir ? Le décor où se joua le premier acte de la tragédie a aujourd'hui malheureusement disparu. La tour du Temple a été démolie en 1811, l'hôtel du Grand-Prieur en 1853[1], et il faut toujours regretter que le monument, qui devait être érigé là, ne l'ait jamais été. Un saule planté dans le square du Temple a longtemps indiqué seul au promeneur où fut la prison d'un Roi. Ce saule lui-même a péri ! Disparus aussi, dispersés les meubles. de l'appartement du Roi. Enfouis dans quel improbable garde-meuble ?[2] partagés entre quels acheteurs ? aux mains de quels possesseurs ? On ne sait. Seul un hasard, comme celui qui s'est produit récemment pour le mobilier de la chambre de la Reine, au Temple[3], peut les ramener à la lumière, ces épaves. Je n'en ai retrouvé que deux, je l'ai dit plus haut : le miroir devant lequel se rasait le Roi, qui appartient aujourd'hui à Mme Lasne, belle-fille d'Étienne Lasne, gardien de Louis XVII au Temple, à la bienveillance de laquelle je dois aussi, on s'en souvient, communication de la petite lanterne ayant servi à Louis XVI au Temple. Je rappelle de même qu'on conserve à l'église Saint-Jean-Saint-François, rue du Perche, les ornements de la dernière messe de Louis XVI ; et la nappe de communion, qui servit alors au Roi, confiée par Cléry au municipal Lepître et apportée par ce dernier à Juvisy à Mme Cléry[4], est, aujourd'hui, à la suite d'événements dont je parlerai, la propriété de Mme la comtesse de Reiset. Dans le même ordre d'idées, on connaît le sort d'un des livres de piété du Roi : un paroissien de 1792, sur lequel est écrit de sa main : Donné à notre fidèle Hue. Dans la Tour du Temple, 20 janvier 1793. Il a été retrouvé par M. de Maricourt au château de la Carrière — commune de la Bazoque, canton de Balleroy, arrondissement de Bayeux —, appartenant alors à Mme de Choisy et aujourd'hui à M. le comte G. d'Astier d'Ussel[5]. La découverte de ce volume près de Bayeux s'expliquerait par le fait qu'il aurait été confié par le Roi à l'abbé Edgeworth pour être remis à Hue. L'on sait, en effet, qu'ayant quitté Paris au mois de mars, pour se cacher d'abord à Montigny, chez le comte de Rochechouart, puis à Fontainebleau, Edgeworth se réfugia à Bayeux, on il demeura dix-huit mois avant de passer en Angleterre. — Quant au bréviaire du Roi, donné à Cléry, celui-ci déclara au municipal Goret qu'il était dans l'intention de l'offrir au Pape[6]. Je ne sais, pas plus que Goret, si ce projet fut réalisé. On se souvient du cachet, de l'alliance et des cheveux remis à Cléry par le Roi le matin du 21 janvier. Lors de sa comparution, le soir du même jour, devant le Conseil du Temple, on avait laissé ces objets entre les mains du dernier confident du Roi. Mais à sa sortie de la Tour, le 1er mars 1793, les commissaires exigèrent qu'il les restituât ; ils les placèrent sous scellés et les déposèrent dans la salle de garde au rez-de-chaussée. C'est là que Toulan les vit ; il en parla à la Reine et, sur sa demande, s'en empara au péril de sa vie, pour les lui remettre. La Reine les conserva jusqu'au mois d'avril, puis, dans l'incertitude où elle était de l'avenir, elle songea à placer ces reliques hors des atteintes de ses persécuteurs, et par l'entremise de Toulan chargea M. de Jarjayes de les faire parvenir : l'anneau de mariage au comte d'Artois, le cachet au comte de Provence. La commission fut faite, et le cachet au moins était certainement aux mains de son destinataire le 21 janvier 1797, lorsque Cléry vint à Blankenbourg faire hommage à Louis XVIII du manuscrit de son Journal. Arrivé dans sa lecture au passage où il est question du dépôt fait entre les mains de Cléry, le Roi se leva, et après avoir cherché dans son secrétaire : Cléry, dit-il, reconnaissez-vous ce cachet ?[7] Cachet et alliance doivent être aujourd'hui entre les mains des héritiers du comte de Chambord, les divers membres de la famille des Bourbon de Parme. C'est par Cléry encore que nous ont été conservées de plus tristes dépouilles : quelques-uns des derniers effets portés par le Roi. Lorsque, le 21 janvier, on mit les scellés sur l'appartement de Louis XVI : Je pris, raconte Cléry, quelque linge sale sous prétexte de le faire blanchir, et j'y glissai le linge quitté par le Roi le matin, ainsi que celui de la veille et quelques autres effets. C'est ainsi que j'ai pu faire sortir du Temple des objets que je conserve précieusement. Deux jours après, Madame Élisabeth me fit demander si je possédais des vêtements qui eussent appartenu au Roi ; je lui en fis tenir la note ; elle me fit dire de les faire sortir du Temple et de les mettre en lieu sûr pour les conserver. Ce fut le municipal Toulan qui se chargea de les porter chez moi à la campagne, à quatre lieues de Paris[8]. Ainsi entrés dans la famille de Cléry, ces objets y sont restés longtemps ; mais depuis 18n, ils ont commencé à être dispersés. L'une des trois chemises de Louis XVI, que l'on connaît, — et qui, grâce à une étiquette vraisemblablement de la main de Cléry, paraît bien être celle que Louis XVI quitta le matin du 21 janvier, — appartenait à Mme Giovanelli, petite-fille de Cléry, lorsqu'en 1882 elle est devenue la propriété de M. Philippe Gille[9]. Elle est aujourd'hui celle de Mme Philippe Gille. En 1896, Mme Le Besnier, née Louise-Thérèse-Françoise de Gaillard, autre petite-fille de Cléry, étant morte, la part de reliques de cette dame a été vendue, le 10 mars, à l'hôtel des ventes de Rouen. C'est alors que la nappe de communion, dont je parlais tout à l'heure, fut acquise par M. le comte de Reiset et est aujourd'hui à Mme la comtesse de Reiset ; une autre chemise (le Louis XVI échut à un acheteur qui ne s'est pas fait connaître ; un serre-tête du Roi, à M. Creuzé de Lesser[10]. Enfin, une troisième chemise de Louis XVI, la coiffe et le fichu de nuit dont il se servit dans la nuit du 20 au 21 janvier, une de ses culottes, un de ses couteaux[11], sont encore entre les mains des membres de la famille Le Resnier, de Rouen. Quant au reste des vêtements et effets du Roi, — c'est-à-dire un chapeau, une boite d'écaille cassée, un petit paquet de lisière et de rubans blancs ; six habits, tant de drap que de soie et de petit velours ; une redingote de drap ; huit vestes, tant de drap, petit velours, soie que de lin ; dix culottes, idem, deux robes de chambre blanches, une camisole de satin ouatée, cinq pantalons, dix-neuf vestes blanches, — ils furent, on le sait, bridés solennellement en place de Grève, le dimanche 29 septembre 1793[12]. On me reprocherait certainement de ne pas soulever ici la fameuse question de la guillotine et du couteau qui ont servi à exécuter Louis XVI. La guillotine, elle est à la Nouvelle-Calédonie, d'après M. Hugues Le Roux[13] ; les bois en seraient à Auch... d'après d'autres[14]. En réalité, l'on ne peut rien dire de précis à ce sujet. Quant au couperet qui a tranché la tête du Roi, son histoire est plus certaine. Il semble bien d'abord qu'il ait été conservé comme un
souvenir clans la famille Sanson, car il fut montré, dit-on, à Honoré de
Balzac lorsque ce dernier et l'Héritier de l'Ain entreprirent la publication
des Mémoires pour servir à l'histoire de la Révolution française, par
Sanson, exécuteur des jugements criminels pendant la Révolution[15]. A partir de
cette date, on avait perdu, il est vrai, la trace de cette tragique relique.
Le Musée Tussaud, à Londres, prétendit un moment la posséder. Mais un article
paru dans l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, en 1894, et
un autre publié récemment par M. Gustave Babin, dans l'Illustration[16], ont fait
justice de ce dire, en retraçant d'une façon plus vraisemblable les destinées
du fameux couperet. De Charles-Henry Sanson il serait passé à son fils, Henry
Sanson, aurait été remis par ce dernier au nouveau bourreau, Heidenreich, qui
l'aurait lui-même cédé à son successeur Roch. Ce dernier étant mort, Deibler
prétendit obtenir l'objet de sa veuve sans indemnité. Celle-ci se refusa à
cette exigence et vendit la lame à M. Dubois, directeur des Halles de
Bruxelles, avec : une note du citoyen Gerbod qui l'avait fabriquée ; deux
lettres des enfants du précédent ; une lettre de Caussidière, préfet de
police, en 1848 ; un certificat d'authenticité de Roch. De la collection de
M. Dubois, le couteau historique est entré dans celle d'un autre amateur
bruxellois, M. A. de P..., où il se trouve encore aujourd'hui. Enfin, comme notre curiosité insatiable et profanatrice
n'a même plus pour limite le seuil de la tombe, il me faut dire en quelques
mots ce qu'est devenu le corps du Roi décapité. Le cimetière de la rue
d'Anjou, ayant été mis en vente après la Terreur, fut acheté par M. Pierre-Louis-Olivier
Desclozeaux, ancien avocat au Parlement[17]. Lui et son
gendre, M. Dominique-Emmanuel Danjou, qui avait assisté à l'inhumation du
Roi, prirent un soin pieux des sépultures du Roi et de la Reine, et furent
les guides dévoués des recherches qui commencèrent en 1814 et se terminèrent
clans la matinée du 19 janvier 1815. C'est ce jour-là qu'à la place indiquée
par MM. Desclozeaux et Danjou on retrouva, au milieu
de terre et de chaux les ossements d'un corps d'homme, dont plusieurs,
presqu'entièrement corrodés, étaient près de tomber en poussière ; la tête
était couverte de chaux et elle se trouvait placée au milieu de deux os des
jambes[18].
Recueillies dans une boîte en bois, avec plusieurs
morceaux de chaux qui avaient été trouvés entiers, et le long desquels
paraissaient quelques vestiges des planches du cercueil, ces
dépouilles mortelles furent déposées, le soir même, dans le salon de la
maison de M. Desclozeaux, 48, rue d'Anjou. Elles furent enfermées le 20
janvier dans un cercueil de plomb, enchâssé dans une bière de bois sur
laquelle fut fixée une plaque d'argent doré avec cette inscription : Ici est le corps de très haut, très puissant et très
excellent prince Louis XVIe du nom, par la grâce de Dieu, roi de France et de
Navarre. Le lendemain, 21 janvier 1815, le convoi partait de la rue d'Anjou à neuf heures du matin et arrivait vers midi à Saint-Denis où eut lieu la définitive inhumation. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Un décret du 16 mars 1808 en ordonna la démolition, qui fut achevée en 1811. (Arch. nat., A F IV, 300.)
[2] Dans un rapport officiel du 26 thermidor an V, conservé aux Archives nationales (F16 590) et publié par F. Barbey, La mort de Pichegru (Paris, 1909. in-8°, p. 145), il est dit qu'après le départ de la fille Capet pour Vienne, les meubles qui garnissaient la maison du Temple furent transportés au garde-meuble national. Les recherches, qu'a bien voulu ordonner pour moi M. Dumonthier, administrateur du mobilier national, sont malheureusement restées sans résultat.
[3] Lenôtre, Vieilles maisons, vieux papiers, 4e série, p. 145-158.
[4] Lepître, Quelques souvenirs... (Beaucourt, t. I, p. 287.)
[5] Souvenirs du baron Hue (1789-1815), publiés par le baron de Maricourt. Paris, s. d., in-8°, p. 134.
[6] Goret, Mon témoignage sur la détention de Louis XVI. (Beaucourt, t. I, p. 227.)
[7] Paul Gaulot, Un épisode de la captivité du Temple. L'anneau et le cachet de Louis XVI. (Revue des questions historiques, t. XIV, p. 219-233.) Je sais qu'un auteur contemporain, Ad. Lanne, a nié toute cette histoire du cachet dans un travail, fort intéressant d'ailleurs. intitulé Une officine royale de falsification : le cachet de Louis XVI ; le récit d'une sœur, Paris, s. d., in-16. Mais comme son principal argument est fondé sur une phrase du Mémoire de Madame Royale, édition de 1825, laquelle ne se retrouve pas dans le manuscrit autographe publié, en 1892, chez Plon, à Paris, j'ai quelques doutes sur la thèse qu'il soutient.
[8] Cléry, Journal de ce qui s'est passé à la tour du Temple... première édition publiée par la famille... précédée d'une introduction par H. de Riancey, augmentée de la suite du Journal, de notes inédites laissées par Cléry et de la vie de l'auteur. Paris, 1861, p. 179, 181.
[9] R. Chantelauze, Les derniers chapitres de mon Louis XVII, Paris, 1887, in-8°, p. 54-56.
[10] Les reliques de la famille royale et les descendants de Cléry, par P. Le Verdier. (Revue des questions historiques, t. LX, 1896, p. 264-280.) M. Creuzé de Lesser a bien voulu me confirmer par lettre qu'il était en possession de ce serre-tête.
[11] Mme Philippe Gille en possède un autre.
[12] Procès-verbal de la séance du Conseil général de la Commune, du 30 septembre 1793. (Beaucourt, t. II, p. 325-326.)
[13] Figaro, du 20 juillet 1891. — On dit à la Nouvelle-Calédonie que la guillotine qui s'y trouve est celle qui a servi pour Mme Élisabeth.
[14] Comte de Reiset, Modes et usages au temps de Marie-Antoinette, Paris, 1885, 2 vol. in-4°, II, p. 383. — Revue de Gascogne, mars 1893, t. 144-146.
[15] Paris, 1829, 2 vol. in-8°. — Ceci m'amène naturellement à tenter d'élucider la question si obscure des rapports d'Honoré de Balzac avec Sanson et celle de la valeur historique des renseignements fournis par ce dernier au grand romancier. Il est bien entendu d'abord que le Sanson, auquel a eu affaire Balzac, n'est point Charles-Henry Sanson, le bourreau de Louis XVI, lequel mourut le 4 juillet 1806, à l'âge de 67 ans. M. Bégis a en effet relevé cette date aux archives de l'enregistrement, sur la table des décès du Vo arrondissement de Paris. Cc serait donc Henry Sanson qu'aurait connu Balzac, c'est-à-dire le fils de Charles-Henry Sanson, le même dont j'ai signalé le rôle lors de l'exécution de Louis XVI, et qui mourut en 1847. De cet Henry Sanson, Balzac aurait tenu le récit de la fameuse messe célébrée le soir du 21 janvier, sur la demande du bourreau, par l'abbé de Marolles, pour le repos de l'âme de Louis XVI. Ai-je besoin de préciser davantage ? Les pages poignantes d'un Épisode sous la Terreur sont dans toutes les mémoires. Mais ces pages rapportent-elles, illustrent-elles vraiment un fait historique ? M. Victor Pierre, clans un article du Correspondant du 10 janvier 1898, intitulé la Messe de Sanson, nous laisse à ce sujet bien peu d'illusions, illusions perdues pourtant par moi avec quelque peine !
[16] Illustration du 18 décembre 1909.
[17] M. Desclozeaux, mort en 1817, est enterré au Père-Lachaise, où on lit sur sa tombe ces vers qui ont été relevés par M. Émile Campardon (Le Tribunal révolutionnaire, Paris, 1866, 2 vol. in-8°, t. II, p. 152), et qui sont bien dans le goût de la Restauration :
De la cendre des rois pieux dépositaire,
Le ciel daigna bénir ses soins religieux ;
Il a revu Louis au trône héréditaire
Et comme Siméon il a fermé les yeux.
[18] Louis Barbier, Notice sur l'exhumation du corps du roi Louis XVI, Paris, 1815, in-8°. L'auteur, qui, avec son frère aîné, fut employé à ce funèbre travail, raconte que c'est le comte de Blacas qui descendit dans la fosse pour y recueillir les ossements ; il les passait à M. Barbier, aîné, lequel les remettait à M. de Noailles, prince de Poix.