On lui mit la tête entre les jambes. (Déposition
d'un témoin de l'inhumation : Moniteur
du 21 janvier 1815.) Il avait été décidé, on l'a vu, que le corps de Louis Capet serait transféré au cimetière de la Madeleine[1], c'est-à-dire dans le lieu ordinaire destiné aux inhumations de la section dans l'étendue de laquelle devait avoir lieu l'exécution[2]. Le 20 janvier, le Conseil exécutif provisoire avait convoqué le sieur Dominique-Joseph Picavez, curé constitutionnel de Sainte-Madeleine, pour lui communiquer ses ordres à ce sujet, et régler avec lui les détails de la cérémonie. Celui-ci avait répondu que, étant malade depuis près de trois semaines, il lui était bien difficile de se rendre à l'invitation du Conseil ; que, si cependant il s'agissait de rendre service à la chose publique et que ledit Conseil jugeât que les forces d'un convalescent fussent suffisantes pour ce service, il était prêt à ramasser toutes les siennes pour les lui consacrer[3]. Cette maladie était un prétexte, et si peu sérieux, qu'il semble bien que le citoyen-curé ait dû finalement comparaître devant le Conseil, qui lui fit verbalement[4] ses recommandations. Mais cette première obligation remplie, Picavez résolut de se soustraire à une autre : celle de présider en personne à l'inhumation du Roi. M. Picavez, déposa plus tard son premier vicaire, François-Silvain Renard, M. Picavez, ne se sentant pas le courage nécessaire pour remplir une fonction aussi pénible et aussi douloureuse, prétexta sa maladie et m'engagea, comme son premier vicaire, à la remplir et à veiller sous ma responsabilité à la stricte exécution des ordres intimés par le pouvoir exécutif. Ma réponse fut d'abord un refus positif fondé sur ce que personne n'avait peut-être aimé Louis XVI plus que moi. Mais, sur l'observation juste, que M. Picavez me fit, que ce double refus pourrait avoir des suites fâcheuses et incalculables pour nous deux, j'acceptai[5]. C'est avec le récit de ce François-Silvain Renard, et avec les procès-verbaux officiels, qu'il faut retracer la scène tragique, de l'inhumation du tyran. Aussitôt l'exécution faite, et le corps chargé sur la charrette du bourreau, le convoi avait pris le chemin du cimetière de la Madeleine, situé au bout de la rue d'Anjou, probablement par la rue des Champs-Élysées (Boissy-d'Anglas), le faubourg Saint-Honoré, et la rue d'Anjou. L'escorte était faite par un détachement de gendarmerie à pied[6]. D'après certains, le transfert se serait opéré au milieu de l'indifférence générale. Entre autres discours du peuple dignes d'être recueillis, écrit Choudieu, dans le Républicain, on a remarqué celui-ci. On l'a invité à ne pas dégrader sa majesté en troublant le cortège du mort qui se rendait à la Madeleine : Qu'on le mène où l'on voudra ! Qu'est-ce que cela nous fait ? Nous avons toujours voulu de lui ; il n'a jamais voulu de nous ![7] — Devant ce convoi quelques amis du malheur s'inclinèrent pourtant ; nous connaissons le nom de trois d'entre eux au moins : Alexandre-Étienne-Hippolyte Berthelot, baron de Baye, ancien colonel de dragons, Pierre-Louis-Olivier Desclozeaux et son gendre Dominique-Emmanuel Danjou, ancien avocat au parlement[8]. Le corps dut arriver peu après dix heures et demie au cimetière. Dès neuf heures du matin, deux administrateurs du département de Paris, — auquel le Conseil exécutif avait décidé de faire, après l'exécution, remise du corps de Capet, — s'étaient transportés en la demeure du citoyen Picavez, rue de la Madeleine[9], pour s'informer de lui s'il avait pourvu à l'exécution des mesures qui lui avaient été recommandées la veille. Le curé répondit que tout était à l'instant préparé[10]. Et en effet, l'abbé Renard et son collègue, l'abbé Damoreau attendaient déjà, avec la croix, à la porte de l'église de la Madeleine se la Ville-l'Évêque, c'est-à-dire de l'église paroissiale que n'avait pas encore remplacée l'église actuelle de la Madeleine — alors en construction —, et qui était située exactement à l'endroit où la rue de la Ville-l'Evêque débouche aujourd'hui sur le boulevard Malesherbes. Nous pensions, rapporte Renard[11], qu'on nous remettrait là le corps du Roi. Mais sur la demande que j'en fis aux membres du département, ils me répondirent que les ordres qu'ils avaient reçus leur prescrivaient de ne pas perdre de vue un seul instant le corps du Roi. Nous fûmes donc obligés, M. Damoreau et moi, de les accompagner jusqu'au cimetière, situé rue d'Anjou-Saint-Honoré. Ils n'y attendirent pas longtemps l'arrivée du convoi. Le corps descendu de la charrette, les deux administrateurs du Département en vérifièrent alors l'identité. Nous avons reconnu, rapportent-ils[12], le cadavre entier dans tous ses membres, la tête étant séparée du tronc. Nous avons remarqué aussi que les cheveux du derrière de la tête étaient coupés et que le cadavre était sans cravate, sans habit et sans souliers. Du reste, il était vêtu d'une chemise, d'une veste piquée en forme de gilet, d'une culotte de drap gris, et d'une paire de bas gris. Et tel aussi le supplicié apparut aux deux vicaires auxquels on le présenta. Mais il n'est pas dit dans la relation de Renard que la figure du Roi n'était pas décolorée et que les yeux restaient ouverts. Je ne sais où un écrivain de nos jours a pris ce détail[13]. Il est inutile de rappeler ici, ce que nul n'ignore, que le cimetière de la Madeleine était situé exactement sur l'emplacement actuel de la Chapelle expiatoire. L'on sait moins que ce cimetière était de création récente et avait remplacé l'ancien cimetière de la Madeleine de la Ville-l'Évêque attenant à cette église et qui fut définitivement et officiellement désaffecté par décision de l'archevêque de Paris du 16 avril 1789[14]. Le nouveau cimetière avait reçu, dès 1770, les restes des 133 victimes de la panique et de la bagarre survenue place Louis XV, le 30 mai, lors de la dernière fête donnée à l'occasion du mariage de Louis XVI ; et l'on y avait inhumé aussi les Suisses massacrés au 10 août[15]. Nombre de textes de l'époque ont relevé cette particularité que le Roi fut enterré entre les hommes morts lors de son mariage et les Suisses tués en 1792. Entre est beaucoup dire ; à côté serait plus juste. Le cimetière formant un rectangle, dont le côté le plus étroit était en bordure de la rue d'Anjou, la fosse du Roi avait été creusée dans l'angle nord-ouest de ce terrain, à six pieds du mur environ[16]. Cette fosse avait douze pieds de profondeur[17], et aussitôt que le corps eut été apporté, les ouvriers y disposèrent un lit de chaux vive. Enlevé en même temps de la corbeille où il était placé, le cadavre fut déposé dans une bière en bois, sans couvercle. On lui mit la tête entre les jambes, dit un témoin[18]. Faisant faire alors le plus grand
silence, raconte l'abbé Renard.... nous
psalmodiâmes les vêpres, l'abbé Damoreau et moi, et récitâmes toutes les
prières usitées pour le service des morts ; et, je dois dire la vérité ;
cette même populace, qui naguère faisait retentir l'air de ses vociférations,
entendit les prières faites pour le repos de l'âme de Sa Majesté avec le
silence le plus religieux. Puis le cercueil précipité au fond de la fosse,
il fut recouvert d'un autre lit de chaux vive, d'un
lit de terre, le tout fortement battu à plusieurs reprises[19]. Un récit
rapporte qu'outre la chaux, on répandit sur le corps
plusieurs bouteilles d'eau forte[20]. Immédiatement après la cérémonie, deux actes étaient dressés : 1° Un procès-verbal de l'inhumation, signé des deux administrateurs du Département, et des abbés Picavez, Renard et Damoreau[21] ; 2° Un acte mortuaire de Louis Capet, transcrit sur le registre de l'église, au retour du cimetière, registre qui fut enlevé par les membres du Comité révolutionnaire lors de la clôture de cette église[22]. Le 11 décembre, le jour même où le Roi comparaissait pour la première fois devant la Convention, le sieur Merland, chirurgien aide-major à l'hôpital militaire ambulant de Sainte-Marie, au camp de Meaux, avait demandé par lettre à la Convention de lui donner la tête de Capet, sur le point de tomber pour le bonheur de l'humanité, afin de la faire sécher et de graver dessus les inscriptions les plus propres à témoigner au peuple toute l'horreur qu'il doit avoir pour de telles monstruosités ![23] Mais, en revanche, le jour même de l'exécution du Roi, un homme, un vieillard, était sorti de chez lui dès le matin. Il avait trouvé les rues encombrées de gens armés. Menacé d'arrestation immédiate, comme tous ceux qui ne pouvaient justifier de leur qualité de défenseurs de l'ordre, il s'était procuré une pique, et se mêlant à la garde nationale qui entourait la Convention, était parvenu, dès l'ouverture de la séance, à 10 heures du matin, à s'introduire dans la salle. Là, tout de suite, il avait déposé sur le bureau une pétition[24]. Et sait-on ce qu'elle contenait, cette pétition ? La demande que la Convention lui délivrât à lui, Benoît Leduc, le corps de Louis Capet, décapité. Représentants, disait le
papier, Benoît-Louis Leduc prie la Convention
nationale de lui permettre de rendre à Louis Capet les honneurs de la
sépulture, qu'il est de la dignité de la Convention de lui accorder, et lui
demande en conséquence d'ordonner que le corps de Louis Capet lui soit livré,
pour le transférer à Sens et le déposer auprès de son père[25]. Or quel était ce Benoît Leduc ? Un ancien prieur de Saint-Martin-des-Champs et l'oncle propre du roi Louis XVI ! Fils naturel de Louis XV et de Mme de Cabanac[26], jugeant d'abord ce titre insuffisant à justifier la faveur qu'il prétendait, il avait été la veille trouver le prince de Conti, qui était encore libre à Paris, et l'avait encouragé à réclamer la dépouille mortelle de son cousin. Sur le refus craintif de celui-ci, il avait alors tenté sa démarche, non sans courage. Il n'en attendit pas longtemps le résultat. Séance tenante, la Convention passait à l'ordre du jour, déclarant seulement ratifier les décisions prises la veille par le Conseil exécutif provisoire, au sujet de l'inhumation de Louis Capet. Il était réservé à un autre de jouer le rôle de Joseph d'Arimathie dans la passion qui s'achevait. Et c'est au cimetière même de la Madeleine, nous le verrons, qu'un royaliste fidèle, Pierre-Louis-Olivier Desclozeaux, devait veiller pieusement, pendant plus de vingt ans, sur les restes misérables de celui qui avait été Louis XVI ! |
[1] Procès-verbal de la séance du Conseil exécutif provisoire, du 20 janvier 1793. (Beaucourt, t. II, p. 267.)
[2] Décret de la Convention, du ai janvier, confirmant la décision du Conseil exécutif, de la veille. (Beaucourt, t. II, p. 311.)
[3] Lettre de Picavez au Conseil exécutif provisoire, du 20 janvier 1793. (Arch. nat., AF II, 3, doss. 14, n° 18.)
[4] Lettre de Leblanc, administrateur du département de Paris, du 21 janvier 1793. (Beaucourt, t. II, p. 313.)
[5] Déposition de François-Sylvain Renard, devant M. Charles-Henry Dambray, chancelier de France, le 22 mai 1814. (Moniteur du 21 janvier 1815.)
[6] Joseph Trémié, témoin oculaire pourtant, dit cent dragons à cheval, (Lettre de Joseph Trémié, du 21 janvier, dans Revue rétrospective, nouvelle série, 1892, p. 82.) Mais ce dire ne peut prévaloir contre le procès-verbal officiel d'inhumation, signé de Leblanc et Du Bois, administrateurs du département de Paris, Picavez, Renard et Damoreau. (Beaucourt, t. II, p. 316.)
[7] Le Républicain, n° du 22 janvier 1793. Je crois cet article de Pierre-René Chouchou, membre de la Convention, car il reproduit une lettre écrite par lui. (Grille, Lettres des volontaires de Maine-et-Loire, t. III. p. 356.)
[8] Déposition des témoins devant Charles-Henry Dambray, chancelier de France, le 22 mai 1814. (Moniteur du 21 janvier 1815.)
[9] Almanach national de 1793, p. 347.
[10] Procès-verbal de l'inhumation, du 21 janvier. (Beaucourt, t. II, p. 313-314.)
[11] Déposition de F.-S. Renard, du 22 mai 1814. (Moniteur du 21 janvier 1815.)
[12] Procès-verbal de l'inhumation. (Beaucourt, t. II, p. 314.)
[13] Lenotre, La Guillotine, p. 281.
[14] Archives nationales, L 679.
[15] Beauchesne, Madame Élisabeth, 1868, in-8°, t. II, p. 248.
[16] Beauchesne, loc. cit.
[17] Décision du Conseil exécutif provisoire, du 20 janvier 1793. (Beaucourt, t. II, p. 267.)
[18] Déposition de Dominique-Emmanuel Danjou, le 22 mai 1814. (Moniteur du 21 janvier 1815.)
[19] Déposition de l'abbé Renard, le 22 mai 1814. (Moniteur du 21 janvier 1815.)
[20] G. Duval, Souvenirs de la terreur, t. I, p. 79.
[21] Beaucourt, t. II, p. 313-314.
[22] Déposition de l'abbé Renard, le 22 mai 1814. (Moniteur du 21 janvier 1815.) — On ne dressa que le 18 mars 1793 l'acte de décès de Louis Capet, du 21 janvier dernier, 10 heures 22 minutes du matin. Profession : dernier Roy des Français, âgé de trente-neuf ans, natif de Versailles, paroisse Notre-Dame, domicilié à Paris, tour du Temple... (Beaucourt, t. II, p. 322-323.)
[23] Lettre du sieur Merland, du 11 décembre 1792. (Arch. nat., AA 53, n° 1486.)
[24] Récit fait par Benoît Leduc à la baronne Guénard de Méré, qui l'a rapporté dans Les augustes victimes du Temple, t. III, p. 159 et suivantes.
[25] Archives parlementaires, t. LVII, p. 515.
[26] Jean-Louis Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, Paris, an X, t. XI, p. 518.