NOTE 1 Nous
avons cru utile de donner au lecteur quelques extraits du Journal de Louis
XVI et d'autres manuscrits du roi, trouvés dans l'armoire de fer. Nous les
avons empruntés au tome V de la Revue Rétrospective. Le
Journal de Louis XVI, entièrement écrit de sa main, commence au 1er janvier
1766, et, tenu jour par jour, et sans qu'un seul soit omis, ne s'arrête qu'au
31 juillet 1792, c'est-à-dire dix jours seulement avant !e 10 août, avant la
déchéance, avant la prison qui ne devait plus s'ouvrir que pour l'échafaud.
Il a été publié par extraits dans le tome V de la Revue Rétrospective, dont
le choix a dû naturellement se porter sur les dates des plus notables
événements de la vie ou du règne de ce prince. Il se
maria en mai 1770 : Voici la page de son journal sur cette époque ; nous
copions scrupuleusement, dit la Revue, et reproduisons même les signes dont
le sens est encore à déterminer. MAI 1770.
Mardi 1er : †. Mercredi 2 : Promenade. Jeudi 3 : Revue des
Gardes-françaises et Suisses, à la place des Sablons. Vendredi 4 : Promenade à
cheval, à l'Homme-Mort pour la chasse au daim. Samedi 5 : Promenade. Dimanche 6 : †. Lundi 7 : Promenade. Mardi 8 : Promenade. Mercredi 9 : Promenade à
cheval à Jouy, pour la chasse du daim. Jeudi 10 : Promenade. Vendredi 11 : Promenade. Samedi 12 : †. Dimanche 13 : Départ de
Versailles. Soupé et couché à Compiègne, chez M. de Saint-Florentin. Lundi 14 : Entrevue avec
Madame la Dauphine. Mardi 15 : Soupé à la
Muette ; couché à Versailles. Mercredi 16 : Mon mariage.
Appartement dans la galerie. Festin royal à la salle d'Opéra. Jeudi. 17 : Opéra de
Persée. Vendredi 18 : Chasse du
cerf. Grande meute à la Belle-Image. Pris un (cerf). Samedi 19 : Bal paré à la
salle de l'Opéra. Feu d'artifice. Dimanche 20 : †. Lundi. 21 : Chasse du cerf.
Petite meute à la Belle-Image. Pris deux. Bal masqué dans les appartements. Mardi 22 : Promenade à
Trapes. Mercredi 23 : Athalie
à la salle d'Opéra. Jeudi 24 : Vêpres et salut. Vendredi 25 : La grande
meute chassait à la Croix de Velparo. Samedi 26 : Opéra de Persée
pour la seconde fois. Dimanche 27 : †. Lundi 28 : La petite meute
chassait à l'étang de la Tour. Mardi 29 : Chasse du cerf.
Grande meute au parc du château Vaudion. Pris un. Déjeuné à Saint-Hubert. Mercredi 30 : Promenade à
Verrières. Trouvé la chasse du daim. Jeudi 31 : J'ai eu une
indigestion. Nous
ignorons, ajoute la Revue Rétrospective, ce qu'exprime cette † qui se trouve
à plusieurs jours de ce mois. Elle ne peut vouloir dire que nul événement, de
ceux qui frappaient Louis XVI, ne s'était passé ces jours-là ; car ce prince
prenait le soin d'écrire : Rien, quand rien ne lui avait semblé digne de
remarque, et sous ce rapport d'intérêt il se montrait peu exigeant. Ainsi on
le voit souvent enregistrer : MARDI, mauvais temps. — MERCREDI, rien. Prenons
au hasard un des mois paisibles de son règne ; nous le suivrons ensuite au
milieu des agitations politiques qui semblèrent étrangères à son âme, et
qu'on étudierait assurément d'une manière bien incomplète, si on s'en tenait
à ce seul document de la Révolution... JANVIER 1786.
Dimanche 1 : La cérémonie
de l'Ordre. Vêpres et salut. Grand couvert. Lundi 2 : Le service des
chevaliers. Promenade à pied par Glatigny et la butte de Picardie. Mardi 3 : Etats de
Bretagne. Vêpres. Mercredi 4 : Tiré à
Pissaloup ; tué 219 pièces. Premier spectacle à la nouvelle salle. Départ des
porcelaines. Jeudi 5 : Rien. Premier
bal. Vendredi 6 : Vêpres. Dégel. Samedi 7 : Rien. Vêpres et
salut. Dimanche 8 : Vêpres et
salut. Lundi 9 : Chasse à la Croix
de Noailles. Pris trois. Mardi 10 : Rien. Mercredi 11 : Tiré à
Satory. Tué 214 pièces. Bal. Jeudi 12 : Rien. Bain. Vendredi 13 : Chasse du
cerf à la Muette. Pris trois. Samedi 14 : Tiré au Mail.
Tué 171 pièces. Dimanche 15 : Vêpres et
salut. Bain. Lundi 16 : Rien. Bain. Mardi. 17. Chasse. du cerf aux
Loges. Pris un. Mercredi 18 : Rien. Gelée.
Bal. Jeudi 19 : Tiré aux
Lisières. Tué 334 pièces. Vendredi 20 : Promenade à
pied au parc de Meudon. Samedi 21 : Rien. Dégel. Dimanche 22 : Vêpres et
salut. Lundi 23 : Chasse du cerf
aux Loges. Pris trois. Mardi 24 : Tiré à
Chèvreloup. Tué 215 pièces. Mercredi 25 : Rien. Bal. Jeudi. 26 : Chasse du cerf
aux Loges. Pris deux. Vendredi 27. Rien. Samedi 28 : Tiré à la
plaine do Chambourcy et aux petites routes. Tué 246 pièces. Dimanche 29 : Vêpres et
salut. Lundi 30 : Chasse du cerf
aux Loges. Pris deux. Mardi 31 : Rien. Audience
de l'ambassadrice de Suède. On
remarquera, pour bien fixer le sens du mot rien, qui se trouve souvent répété
dans ce mois et dans certaines autres parties de ce Journal, qu'il ne figure
jamais aux jours où le Roi a chassé. Ainsi on lit : Rien. Audience. — Rien.
Premier bal, mais jamais : Rien. Chassé au cerf. — Rien. Pris
un. Voici
enfin les deux derniers mois de ce Journal, juin et juillet 1792. Dix jours
après, le guichet du Temple s'était refermé sur Louis XVI et sa famille. Nul
triste présage ne semble cependant émouvoir le prince qui, ne pouvant sortir
de Paris pour se livrer à son exercice favori, a plus souvent à inscrire
Rien, et, comme pour mieux déterminer le vrai sens au mot, écrit au 27
juillet : Rien. Alerte toute la journée. JUIN 1792.
Vendredi 1 : Rien. Samedi 2 : Rien. Dimanche 3 : Vêpres et
salut. Lundi 4 : Rien. Mardi 5 : Rien. Mercredi 6 : Rien. Jeudi 7 : La messe à
l'ordinaire. Vêpres et salut. La procession est venue au château ; je n'y ai
pas été. Vendredi 8 : Rien. Salut à
six heures. Samedi 9 : Promenade à pied
dans le jardin. A neuf heures, salut. Départ de M. de Batz. Dimanche 10 : Vêpres et
salut. Lundi 11 : Rien. Salut. Mardi 12 : Rien. Salut. Mercredi 13 : Rien. Renvoi
de MM. Roland, Clavière et Servan. Salut. Jeudi 14 : Vêpres et salut. Vendredi 15 : Promenade à
pied dans le jardin, à neuf heures. Samedi 16 : Rien. Renvoi de
M. Dumouriez. Nomination de MM. Chambonas et Lajard. Dimanche 17 : Vêpres et
salut. Nomination de M. de Monciel. Lundi 18 : Rien. Nomination
de M. de Beaulieu. Mardi 19 : Promenade à pied
dans le jardin, à neuf heures. Mercredi 20 : Affaire des
Tuileries. Jeudi 21 : Rien. Vendredi 22 : Rien. Samedi 23 : Rien. Dimanche 24 : Revue de la
6° légion, aux Champs-Élysées, à 11 heures. Vêpres et salut. Lundi 25 : Promenade après
la messe, avec mon fils, dans les cours et le jardin pour voir les gardes
nationales. Mardi 26 : Rien. Mercredi 27. Rien. Jeudi 28 : Rien. Arrivée de
M. de Lafayette. Vendredi 29 : Vêpres. Il
devait y avoir la revue de la 2e légion aux Champs-Élysées. Samedi 30 : Rien. JUILLET 1792.
Dimanche 1 : Vêpres et
salut. Retour et parfaite conduite de M. de Batz à qui je redois les 512 rn. Lundi 2 : Rien. Mardi 3 : Rien. Mercredi 4 : Rien. Jeudi 5 : Rien. Vendredi 6 : Rien. Samedi 7 : Promenade dans
le jardin, à 8 à, 314. Séance à l'Assemblée nationale, à 2 à. ½. Aller et
retour à pied. Dimanche 8 : Vêpres et
salut. Lundi 9 : Rien. Mardi 10 : Rien. Mercredi 11 : Rien. Jeudi 12 : Rien. Vendredi 13 : Rien. Samedi 14 : Fédération au
Champ-de-Mars. Départ à 12 à ½. Serment à 5 heures. Retour et soupé à 7
heures. Dimanche 15 : Vêpres et
salut. Lundi 16 : Rien. Mardi. 17 : Rien. Mercredi 18. Rien. Jeudi 19. Rien. Vendredi 20 : Rien. Serment
de MM. du Bouchage et Champion. Samedi 21 : Rien. Alerte
dans l'après-midi. Dimanche 22 : Vêpres et
salut. Lundi 23 : Promenade dans
le jardin, à 8 à 10. Mardi 24 : Rien. Mercredi 25 : Rien. Jeudi 26 : Rien. Vendredi 27 : Rien. Alerte
toute la journée. Samedi 28 : Rien. Dimanche 29 : Vêpres et
salut. Lundi 30 : Rien. Mardi 31 : Rien. Il
existe, pour les années 1772, 1773 et 1774 des cahiers, également de la main
du prince, intitulés : Comptes. Il y inscrivait toutes ses dépenses,
quelque minimes qu'elles fussent, car nous le voyons y porter en juillet 1772
: Un verre de montre, douze sous ; en août : A Testard, pour un
port de lettre, neuf sous ; en septembre : A Épinay, pour une cuvette,
six sous ; en janvier et février 1773 : Pour un cahier de papier,
quatre sous ; pour du coton, six sous ; en mai : A Épinay, pour
dépense, quatre sous trois deniers. De
janvier 1775 à décembre 1784, et de janvier 1791 au mois de mai de la même
année, il existe des cahiers intitulés : Dépenses particulières. Peut-être
ces livres, où l'on rencontre moins de menus déboursés, sont-ils la
continuation sur un plan moins détaillé des Comptes, dont nous avons
précédemment parlé. Peut-être Louis XVI, qui était monté depuis huit mois sur
le trône, avait-il voulu, pour se consacrer plus exclusivement à son Journal,
abréger un peu sa besogne d'un autre côté. Cette supposition est vraisemblable
; toutefois le roi avait, sous un autre rapport, étendu son travail en
ajoutant souvent, à l'état mensuel de sa cassette, le relevé détaillé des
différentes monnaies qu'elle renfermait. Ainsi,
prenant un mois au hasard, nous lisons, au commencement de janvier 1779 : Il y a en caisse, au 1er janvier
:
Les
erreurs de comptes faisaient le désespoir de Louis XVI. On le voit au mois de
septembre 1782 interrompre ces chiffres pour écrire ces lignes : « Je ne
sais quelle erreur s'est fourrée dans mon compte depuis quelque temps ; mais,
le 9 de ce mois, j'ai retrouvé dans le fonds de ma cassette de l'argent qu'il
y avait plusieurs années que j'avais oublié, et, par conséquent, je
recommence l'état général. » Louis
XVI récapitulait, à la fin de chaque mois, ce qu'il avait gagné ou perdu au
jeu. On lit, à la fin d'octobre 1779 : « J'ai
perdu au jeu 59.394 livres. » Et à
mars 1780 : « Mes
associés ont perdu à Marly, au lansquenet, 36.000 livres. » Mais
ces sommes dépassent, dans une proportion énorme, le chiffre moyen de tous
les autres mois, lequel est presque toujours, soit perte, soit gain,
au-dessous de 1.000 livres, et, le plus souvent au-dessous de 500. On lit
pour résultat passif au mois de février 1781 : « J'ai
perdu au jeu 15 livres. » Le roi
mettait aussi habituellement à la loterie, et souvent plusieurs fois par
mois. Bien qu'on trouve, au 28 décembre 1777 : « A M. Necker, pour des
billets de loterie, 6.000 livres, » les sommes étaient généralement modérées,
et, en cela, le joueur faisait preuve de force, contre l'entraînement, car il
était presque toujours favorisé par le sort. On lit, à la date de janvier
1783 : « Le
2, j'ai gagné à la loterie 990 livres. » « Le
16, j'ai gagné à la loterie 225 livres. » Ces
dates prouvent que ces mises étaient faites non à une loterie de
Petits-Appartements, miais à la Loterie Royale qui se tirait les 1er et 15 du
mois. Les
sommes les plus fortes et les plus répétées sont celles que le roi remettait
à la reine ou payait en son acquit. Ainsi on lit au 27 décembre 1776 : » J'ai
donné à la reine 25.000 livres. » (Et en note :) Ces 25.000 livres sont le
premier paiement d'une somme de 300.000 livres, que je me suis engagé à payer
à Bœhmer en six ans, avec les intérêts, pour des boucles d'oreilles de
348.000 livres, que la reine a achetées, et dont elle a déjà payé 48.000
livres. » A la
date du 18 février 1777. « J'ai
payé à la reine, en à-compte sur les 162.660 livres qu'elle doit à Bœhmer
pour des bracelets de diamants 24.000 livres. » Puis
suivent, à des époques successives, les mentions des différents à-comptes,
tant de cette dernière acquisition que de la précédente, que le roi, qui sans
cloute n'avait pas été consulté et n'avait été instruit qu'alors que Bœhmer
était devenu pressant, avait pris l'engagement d'amortir en six ans. Ce Bœhmer
était joaillier de la cour ; c'est lui qui fournit plus tard le fameux
collier. On comprendra que ces précédentes acquisitions, faites à crédit et à
l'insu du roi, aient porté ce fournisseur à croire que le cardinal de Rohan
pouvait être le négociateur d'une nouvelle emplette mystérieuse. Parmi
les noms qui sont portés sur ces notes, on trouve annuellement celui de M.
d'Esterhazy, pour une somme de 15.000 livres que la reine était chargée de
lui remettre. Deux poètes
de cour y figurent également, MM. de Cubières et de Pezay : le premier pour
une gratification de 6.000 livres, qui passait par les mains de M. de Coigny
; le second pour une somme, au même titre, de 12.000 livres, qui lui était
remise tantôt par M. de Sartine, tantôt par M. de Maurepas. M. de Pezay, dont
la noblesse était aussi contestable que le génie poétique, était arrivé par
son esprit d'intrigue à entretenir une correspondance secrète avec le roi,
correspondance dont cette annuité de 12.000 livres était sans doute la
rémunération. Les
faveurs pécuniaires obtenues par des courtisans et des madrigalistes ne
peuvent beaucoup surprendre ; mais les deux mentions qu'on va lire nous ont
causé plus d'étonnement. « Le
13 (janvier 1775), j'ai payé à M. de Sartine 42.000 livres pour une partie
des dépenses que Beaumarchais a entreprises par mes ordres pour arrêter un
mauvais livre. » « Le
1er (avril 1775), j'ai payé à M. de Sartine pour Beaumarchais 18.000 livres.
» Figaro
courtier de censure ! entrepreneur d'amortissement ! fiez-vous donc aux
tirades ! NOTE 2 Les
trente-trois entretiens qui forment la division de l'ouvrage intitulé : Mes
réflexions sur mes entretiens avec M. le duc de La Vauguyon, sont le résumé
de l'éducation entière du Dauphin. Ils traitent des devoirs des princes
envers Dieu, envers leurs sujets et envers eux-mêmes. On ne lira pas sans
intérêt quelques passages de ce livre qui offre l'empreinte de la grandeur
des vues de son royal auteur et de l'élévation de son âme. Le XV° entretien
qui porte pour titre : Caractère de la fermeté, renferme de belles pages ; on
dirait que le prince s'efforce de se rassurer sur lui-même, et de s'affermir
d'avance. Écoutons-le : « La
fermeté est ce courage du cœur qui attache à un projet utile, par amour pour
le bien public ; qui triomphe des penchants qui pourraient l'en écarter, qui
résiste même aux goûts qui pourraient l'en distraire ; qui ne se laisse
dominer ni par ses passions ni par celles des autres, et qui écarte avec
constance, dans les bons et dans les mauvais succès, l'orgueil de la
prospérité et le découragement dans les revers. » La
science à laquelle tous mes moments doivent être consacrés est sans doute la
plus belle, mais la plus difficile, qui puisse occuper une grande âme ; elle
exige surtout ce courage de l'esprit que rien ne rebute. » Tout
se propose au souverain, tout se délibère en sa présence, chaque jour lui
présente des projets et des entreprises nécessaires ; lui seul doit ordonner,
lui seul doit décider. » Tous
les hommes aiment naturellement le repos, et tous les hommes ont en eux-mêmes
deux ennemis qu'ils doivent vaincre : l'inapplication, qui les rend
incapables d'examen ; l'irrésolution, qui les rend incapables de choix ; et,
si ces deux défauts sont naturels à l'homme, ils ne sont malheureusement que
trop ordinaires aux princes, et surtout à ceux qui, dès l'enfance, sont
destinés au trône. Je ne saurais donc trop craindre ma propre paresse et la
criminelle condescendance des ministres, qui, au lieu de m'exciter au
travail, craindraient de fatiguer mon attention, et n'oseraient me présenter
les choses sous toutes leurs faces, et les projets dans toute leur étendue.
C'est pour n'avoir pas eu le courage d'apercevoir toutes les issues d'un
plan, que les projets les plus utiles et les plus glorieux s'évanouissent. Un
prince ne doit rien laisser au hasard ; tout doit être prévu, tout doit être
réglé, et tout doit avoir été discuté. « Pour
ne jamais compromettre la science ni le pouvoir du gouvernement, je dois
imiter l'artiste, qui ne commence jamais un grand ouvrage, qu'il n'ait
non-seulement ébauché, mais perfectionné son modèle. « Je
dois non-seulement aimer la vérité, mais je dois avoir le courage de la
chercher ; il est un art d'engager les hommes à me la dire, c'est de faire en
sorte qu'ils n'aient aucun intérêt de la cacher, et qu'ils sachent qu'il y va
de leur fortune. Le premier caractère de la fermeté est le courage de tout
voir, et le second de tout décider. « La
prudence doit présider à mes délibérations, mais elle ne doit jamais me
conduire à l'indécision. Un roi qui attend que ses ministres le décident leur
demande plus qu'il n'a droit d'en exiger, ils ne lui doivent que des conseils
; la détermination n'appartient qu'à lui, et c'est avouer son incapacité,
s'il n'a pas la force de vouloir et d'ordonner. « Il
est, dans toutes les affaires, un instant précieux à saisir, et qui ne
revient plus, s'il est une fois perdu : le grand homme l'aperçoit d'un coup
d'œil, on le montre à l'homme sage ; mais ni l'un ni l'autre ne le laisse
échapper. . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Le
prince qui commande à une puissante nation est comme l'âme d'un vaste corps
organisé par les lois ; c'est en lui que doit résider et la réflexion qui
l'éclaire, et la volonté qui le meut : pour y parvenir, il-doit fixer
l'inattention, qui l'empêcherait d'apercevoir, et l'irrésolution, qui
l'empêcherait de vouloir. « Un
prince véritablement ferme doit triompher, dans l'exécution des projets
utiles à la patrie, de toutes les passions qui pourraient l'en écarter, et
des dégoûts qui pourraient l'en distraire. « Toute
la force de l'homme est dans sa volonté ; mais il ne suffit pas qu'elle soit
éclairée, il faut qu'elle aime l'objet qu'elle aperçoit. Donnez à l'homme un
terme qu'il aperçoive clairement, et vers lequel il se porte sans cesse et
sans partage, il est presque impossible qu'il n'y arrive pas. Ce qui nuit aux
succès des projets les mieux combinés, c'est la faiblesse et la multiplicité
des désirs : la faiblesse empêche d'avancer dans la carrière, et la
multiplicité des désirs en détourne. . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Un
prince ferme porte sur tout l'État des regards attentifs, mais sereins : rien
n'échappe à ses recherches, rien ne le déconcerte ; et lorsque l'état de ses
affaires lui est entièrement connu, fût-il presque désespéré, il n'est ni
effrayé ni étonné, il ne s'occupe que des ressources, et rassure ses peuples
par sa contenance. Tel fut Charles V : aussi intrépide que sage, il conserva,
sur les débris de son empire, un sang-froid peut-être plus incalculable que
celui avec lequel il eut délibéré au milieu des prospérités les plus suivies.
La France était sans ressources, niais Charles lui restait ; et bientôt
l'ordre fut rétabli dans toutes les parties de l'État, les peuples heureux,
et la gloire du trône et du monarque portée au plus haut degré. « Le
véritable courage, la véritable fermeté, ne connaissent point l'emportement :
les emportements et la colère des rois sont toujours en eux une marque de
faiblesse. « Un
prince doit gagner les cœurs par un caractère bienfaisant ; mais il faut
qu'il sache faire respecter sa justice, qu'il écoute tout sans impatience,
qu'il accorde sans faiblesse, et qu'il refuse sans aigreur ; mais si le refus
est juste, qu'il soit irrévocable et absolu. « Il
est un courage nécessaire pour se contenir dans les succès ; mais il tient à
la prudence, et ne coûte pas à notre âme des efforts affligeants et pénibles
: celui qui caractérise l'âme d'un héros consiste à se roidir contre les
malheurs, à ne s'en point laisser abattre ; à conserver la considération des
peuples dont on a cessé d'exciter l'envie ; à céder avec noblesse, lorsqu'on
a perdu l'espérance, et à saisir le moment de se relever avec gloire, dès que
l'on a recouvré sa vigueur. Or ce courage doit être dans mon âme ; car, s'il
n'y est point, rien ne pourra l'inspirer à mes ministres et à mes peuples. « On
me parle souvent des jours brillants de Louis XIV, on cherche à élever mon
âme par le récit de ses victoires ; mais je l'affermerai bien mieux en
réfléchissant sur l'histoire de ses malheurs. Sa prospérité avait excité
l'envie ; la fermeté avec laquelle il soutint l'adversité augmenta le respect
de l'Europe pour lui, et il mérita alors plus que jamais le nom de grand. « Je
sonde maintenant mon cœur, et j'examine de bonne foi si j'y trouve les
caractères auxquels je dois reconnaître la fermeté qui convient aux princes.
Je suis content de ce qu'il me répond. Je fais la plus ferme résolution de
captiver mon attention pour examiner, de fixer toute irrésolution pour
décider, d'enchaîner ma légèreté pour agir. Je lutterai sans cesse contre
ceux de mes goûts qui pourraient me détourner de la route où le flambeau de
l'évidence aura conduit mes pas. Si je me trouve quelquefois embarrassé par
des circonstances contraires à mes vues les plus sages, j'opposerai la plus
vigoureuse résistance aux passions, et la plus inébranlable constance aux
événements ; et je fortifierai, tous les jours, mon âme, par l'exercice d'une
vertu sans laquelle je me flatterais en vain de posséder l'art de gouverner.
J'ai, dès à présent, des devoirs à remplir ; dès à présent, j'ai des goûts à
vaincre ou à régler, des irrésolutions à fixer, un plan à suivre, des travaux
qui exigent de la constance. Je dois être inébranlable dans mes principes,
persévérant dans mes occupations, fidèle à mes promesses ; et je me propose
de ne rien oublier pour contracter, dès à présent, l'heureuse habitude de
vouloir et d'agir par moi-même, dans un temps où presque tous ceux qui
m'environneront, soumis en apparence à mes moindres désirs, ne travailleront
qu'à faire passer dans mon âme leurs volontés et leurs passions. » Cet
entretien offre des pensées vraiment royales et un témoignage irrécusable de
la grandeur (n'une de Louis XVI. Par malheur cc roi fut le contraire de ce
qu'il voulait être, c'est-à-dire l'indécision même. Plusieurs
de ses 'entretiens contiennent de longues considérations sur la connaissance
des hommes. Dans le XXII, sur les qualités qu'il importe le plus de connaître
dans les hommes, le prince s'exprime ainsi : « Ce
sont leurs, talents et leurs vertus, c'est la portée de leur génie, c’est le
genre de travail où ils sont capables de réussir ; ce sont leurs vices et
leurs caractères qu'il faut démêler à travers les nuages dont ils s'efforcent
de les couvrir ; c'est la mesure de leur économie, c'est le degré de leur
avidité ou de leur désintéressement qu'il faut connaître, pour ne pas confier
l'administration et les revenus de l'État à des mains infidèles qui les
engloutissent, ou à des mains prodigues qui les dissipent. « On
ne voit point d'hommes nés avec des talents assez étendus pour les rendre
également propres à tous les emplois ; la plupart n'excellent que dans un ou
deux genres de mérite, et il est comme impossible de les réunir tous dans un
même degré. Mais, hors ceux qui sont totalement disgraciés do la nature, tous
ont au moins quelque espèce de talent qui peut être utilement employé : il
n'est question que d'en savoir faire le discernement. « Dans
le métier de la guerre, par exemple, les uns ont en même temps la valeur et
le génie, et il n'y a que ceux-là qui soient dignes de commander. Le plus
grand nombre a beaucoup de valeur et peu ou point de génie ; il y a même des
degrés et des différences à distinguer dans la valeur et dans le génie. « Dans
le cabinet, tel réussira dans l'art des négociations, dont l'esprit se
perdrait dans les calculs de la finance ; bien plus, un homme sera capable de
conduire de loin, par des dépêches, les négociations les plus difficiles,
qu'il ne traiterait pas avec succès, si on le voyait de près ; ce n'est plus
le même homme quand il parle ou quand il écrit. Celui-ci sera capable de bien
gouverner une ville ou une province : l'activité de son génie ne s'étend pas
plus loin. Un autre, dont le génie est plus étendu, serait en état de
gouverner un royaume. « On
trouve quelquefois des hommes qui ont le talent de parler avec éloquence,
sans avoir celui de décider avec justesse ; ils exposent parfaitement l'état
de la question ; mais le point capital, qui doit former la décision, leur
échappe. « A
l'égard du caractère, la première qualité qu'il importe de bien connaître,
c'est la probité. Et le croirait-on ? Cette probité, dont tout le monde se
pique et se vante, est aujourd'hui la qualité la plus rare. Jamais il n'y eut
moins de vérité, moins d'honneur, que l'on n'en voit aujourd'hui ; on court à
la fortune ; on la veut faire, à quelque prix que ce soit. On ne rencontre
partout qu'un intérêt sordide, une basse flatterie, une jalousie furieuse, un
commerce perpétuel de fourberie et de mensonge : ce sont là les vices
dominants de la cour. On n'y trouve presque plus de ces grandes âmes, de ces
âmes nobles et désintéressées, qui aimaient sincèrement l'État, et qui ne
voulaient aller à la fortune que par la voie du mérite. Il y en a sans doute quelques-unes,
quoiqu'en très-petit nombre, qui se sont sauvées de ce naufrage presque
universel de la probité et de la vertu, et ce sont des hommes rares et
précieux qu'il est important de connaître ; mais il faut toujours observer
les divers degrés des vertus qu'on doit estimer dans les uns, et des vices
honteux qu'on doit mépriser et détester dans les autres. « La
vertu de la plupart des hommes résiste à un intérêt léger et de peu de
conséquence ; mais elle est rarement assez forte pour tenir contre les
grandes épreuves, et on ne peut trop l'estimer, quand on est sûr qu'on est à
l'épreuve de tout. « Il
y a des gens vertueux dans leurs discours, et vicieux dans leur conduite ;
ils débitent volontiers des maximes de morale, que le plus petit intérêt leur
fait abandonner. Il en est qui ne sont vicieux que par accident, par légèreté
et par faiblesse : les avis et les reproches peuvent les corriger ; d'antres
ont, pour ainsi dire, le vice inhérent et enraciné dans leur âme, et sont
incorrigibles. « On
trouve des hommes plus jaloux d'obtenir des titres et des distinctions que
des richesses, mais ce n'est pas le plus grand nombre. Dans le siècle
présent, l'argent est le grand mobile et le ressort universel qui fait agir.
On rencontre des caractères légers, inconstants et irrésolus ; ils changent
d'un moment à l'autre, et sont perpétuellement dans les extrémités les plus
opposées ; leur âme n'est qu'un composé d'inconséquence et de contradictions,
de sentiments qui se combattent et qui se détruisent mutuellement. On ne peut
connaître de tels caractères que par la raison même qu'il est impossible de
les reconnaître. « Je
ne pousserai pas plus loin un détail qui serait infini ; mais je me dis à
moi-même que je dois m'appliquer sans cesse à pénétrer, à sentir, et à
connaître les divers caractères de tous ceux qui m'environnent, et que pour
connaitre les hommes, il faut les approfondir jusque dans l'intérieur de leur
âme. » NOTE 3 Lorsque
Turgot fut appelé au Ministère des finances, les Limousins, dont il avait été
le bienfaiteur, chargèrent plusieurs députés, en cette occasion, d'aller le
féliciter au nom de la ville. On a découvert, il y a quelques années, aux
Archives municipales, la lettre par laquelle ces honorables députés rendaient
compte de leur mission aux consuls de Limoges. Nous reproduisons cette
lettre, dans la pensée qu'on lira avec plaisir l'opinion des représentants de
la ville sur l'immortel Turgot : « Messieurs, « L'espérance
prochaine que nous avions d'être présentés à Monseigneur le contrôleur
général, nous a fait différer à vous donner avis de notre tir-rivée à Paris.
Nous vous rendons compte du succès qu'a eu la commission dont vous nous avez
honorés. « Nous
nous sommes présentés mardy, 20 courant, à l'audience ; nous avons été admis
à son cabinet, où M. le contrôleur général nous a receus avec distinction,
nous a marqué le plaisir qu'il avait de nous voir et témoigné sa satisfaction de l'intérest que la ville prenoit à son élévation. Le travail des intendants des
finances allégeant nécessairement cette première entrevue, de son agrément et mesme par son
invitation, elle fust renouvellée à Versailles, vendredy à la mesme heure ; il nous a
receus avec la mesme bonté ; la conversation a duré pendant tout le dîner, on
a parlé souvent de Limoges ; nous avons vu avec satisfaction qu'il prenoit le
mesme intérest qu'il pouvait prendre, étant intendant. Nous avons pris congé
de Sa Grandeur. Il a de rechef témoigné sa satisfaction de la démarche que
nous avons faite, et nous a assurés de ses bonnes intentions et d'une
protection particulière. A notre retour, que nous hâterons le plus qu'il sera
possible, nous vous ferons pari du détail de nos conversations et des objets
qui ont été traités. « Nous
sommes avec respect, Messieurs, vos très-humbles et très-obéissants
serviteurs, « ROMANET, J. PÉTINAIUD. « Paris,
le 25 septembre t77. (Vingt décembre, de Limoges.) Voir le
Journal général de l'Instruction publique et des Cultes, du mercredi,
20 mai 1857. NOTE 4 Nous
donnons ici le dernier bail des fermes du temps de Louis XV. Il nous offre la
liste des croupes ou parts de bénéfices sur les fermes accordées à beaucoup
de grands seigneurs et de nobles dames de la cour, qui dédommageaient la
ferme avec usure, par leur crédit, de ces faveurs peu honorables. On y trouve
les noms de la Dauphine (Marie-Antoinette) et de Mesdames, filles de Louis XV, inscrits à
côté de ceux des demoiselles du Parc-aux-Cerfs ! Nous l'avons extrait
des Mémoires sur l'administration de l'abbé Terray. LISTE DU NOUVEAU BAIL DES FERMES.
Fermiers-Généraux ayant place entière sans croupes ni pensions.
MM.
Bouret, Puissant, Gigault de Crisenoy, Douet, Saint-Amand. Fermiers-Généraux ayant place
entière, mais grevés de pensions.
Fermiers-Généraux ayant croupes
et pensions sur leurs places.
Récapitulation. Soixante
places de fermier, évaluées avec le bénéfice du bail à 100.000 livres par
année, ci : 6.000.000 livres. A
déduire : Pour
les pensions : 400.000 Pour
les croupes formant ensemble 14 places ¹/₁, ¹/₂ et ¹/₄ de place : 1.580.000 Il ne
reste à la compagnie qu'environ les deux tiers : 4.020.000 NOTE 5 Voici
les formules du serment que Turgot avait proposées à Louis XVI : Promesse
du roi aux évêques.
— Toutes les églises de mon royaume doivent compter sur ma protection et sur
ma justice. Serment
du Sacre. — Je
promets à Dieu et à mes peuples de gouverner mon royaume par la justice et
par les lois ; de ne jamais faire la guerre que pour une cause juste et
indispensable ; d'employer toute mon autorité à maintenir les droits de
chacun de mes sujets ; de les défendre contre toute oppression, et de
travailler toute ma vie à les rendre aussi heureux qu'il dépendra de moi. Serment
du grand-maître de l'ordre du Saint-Esprit. — Je promets de maintenir l'ordre du Saint-Esprit
dans l'éclat que lui ont conservé mes prédécesseurs. Il est de mon intérêt
que l'admission dans cet ordre continue d'être un objet d'émulation pour ma
noblesse ; cette admission est une récompense de ses services d'autant plus
flatteuse, que l'honneur en fait tout le prix, et qu'elle attache ceux qui en
sont décorés d'une manière plus spéciale à ma personne par une sorte de
confraternité qui m'est chère, et qui assure à jamais à l'ordre toute ma
protection. Serment
du grand-maître de l'ordre de Saint-Louis. — Je maintiendrai l'ordre de Saint-Louis dans
toutes ses prérogatives ; j'en porterai toujours la croix comme symbole de
l'honneur ; elle me rappellera la reconnaissance que je dois aux braves qui
l'ont méritée au prix de leur sang. Serment
sur les duels. —
Je promets de faire tout ce qui dépendra de moi pour abolir la coutume
barbare des duels, condamnée par la religion et proscrite par les lois de mes
prédécesseurs. Je
confirme par serment toutes les choses énoncées ci-dessus : qu'ainsi Dieu et
les Saints-Évangiles me soient en aide ! (Œuvres de Turgot, t. II, p. 501-502). NOTE 6 Le
pamphlet de Monsieur, frère du roi, contre Turgot, fut répandu manuscrit le
4er avril 1776. Il est intitulé le Songe de M. de Maurepas, ou les Mannequins
du gouvernement français. Dans ce pamphlet aussi violent que spirituel,
Maurepas est ridiculisé comme Turgot ; c'est une preuve qu'il ne s'était pas
encore entendu avec Monsieur. Voici, d'après le royal auteur, le portrait des
deux ministres : « Il
y avait alors en France un homme gauche, épais, lourd, né avec plus de
rudesse que de caractère, plus d'entêtement que de fermeté, d'impétuosité que
de tact ; charlatan d'administration ainsi que de vertu ; du reste, sauvage
par amour-propre, timide par orgueil, aussi étranger aux hommes, qu'il
n'avait jamais connus, qu'il. la chose publique, qu'il avait toujours mal
aperçue. Il s'appelait Turgot. » — «
Frappé de ce spectacle, M. de Maurepas s'éveille en sursaut, il n'est' pas
superstitieux, c'est corme une espèce d'esprit-fort ; il ne croit à rien,
mais il croit à sa femme. L'impression que cette machine avait laissée dans
son esprit le suit partout ; il la prend pour une inspiration extraordinaire
; il ne voit plus dans madame de Maurepas que l'organe des décrets des dieux
; et l'artificieux abbé de Véry, qui avait figuré dans ce songe, partage
l'honneur du préjugé. 0 (Mémoires historiques et politiques ml règne de Louis XVI, par
Soulavie, t. III, p. 107 et suivantes). On lit
au sujet de cet ouvrage dans les Mémoires de Bachaumont, sous la date du 26
mai 1776 : « Les Mannequins ne sont que manuscrits, et comme ils ont une
certaine étendue, les copies s'en multiplient lentement, et rendent l'ouvrage
difficile à avoir. On ne peut avoir de jugement précis, concernant cette
satire, sans l'avoir lue, tant les avis sont différents : les uns la trouvent
pleine de sel et de finesse, les autres dure et grossière ; tout le monde
s'accorde seulement à la décider fort condamnable. » Le même
écrivain dit encore à la date du 30 mai : « Un Mannequin est une figure
factice et mobile au gré du peintre, pour modeler tous les mouvements qu'il
veut donner à son original : c'est de là que la satire dont on a déjà parlé
plusieurs fois, a pris son titre les Mannequins, conte ou histoire, comme
l'on voudra. L'auteur suppose que tout est Mannequin dans le monde,
c'est-à-dire suit volontairement, ou sans le savoir, une impulsion étrangère.
Le roi, suivant lui, est le premier des Mannequins, et en donnant une idée
favorable des bonnes dispositions du jeune prince, il le peint comme propre à
se laisser conduire tant à raison de sa jeunesse, que de la flexibilité et du
peu de consistance de son caractère. Le Mannequin qui dirige ce chef des
Mannequins, est le comte de Maurepas : le ministre est mené par sa femme ;
celle-ci par l'abbé de Very, auditeur de Rote ; l'abbé de Véry était engoué
de M. Turgot ; voilà comment il est parvenu au ministère. Le surplus est une
histoire délainée de toutes ses opérations, qui se termine au lit de justice,
faute de matière ; mais l'écrivain annonce une suite. On voit qu'il en veut
beaucoup à ce ministre, à ses opérations et surtout aux économistes. Pour
rendre son ouvrage plus intéressant, il transforme le système économique en
un monstre, qu'il anime et qu'il représente avec tous les attributs qui
peuvent le rendre odieux ou ridicule. C'est dans un songe qu'a M. de.
Maurepas, sous le nom d'Ali-Bey, au moment on S. M. le consulte sur le genre
d'administration qu'il introduira pour remédier aux maux de l'ancienne, que
lui apparaît ce fantôme sous des dehors imposants ; il lui fait accroire être
la divinité tutélaire qui va rendre au royaume sa splendeur. Le vieux
ministre, tout émerveillé de ce rêve, consulte sa femme, celle-ci l'abbé de
Véry, etc. On trouve peu d'anecdotes nouvelles dans cette espèce de roman
allégorique, assez bien fait dans son genre et point aussi méchant qu'on
l'avait annoncé. Il est bien écrit, il y a du sarcasme, des portraits bien
frappés ; il sent l'homme de cour : il y a des idées creuses et obscures, des
métaphores trop outrées, et l'on serait tenté de l'attribuer au comte de
Lauraguais, s'il y avait moins d'ordre et de méthode : le plan en est trop
soutenu d'un bout à l'autre, pour appartenir à ce seigneur. » (Mémoires de Bachaumont, t. IX, p. 134-137). NOTE 7 La
comtesse de La Motte souvent pressée par le besoin, s'adressait aux ministres
pour en obtenir des secours. La lettre suivante, lettre inédite et que nous a
communiquée M. Chambry, vient à l'appui de ce que nous avançons, et prouve
dans quelle détresse se trouvait quelquefois cette femme intrigante. Lettre de madame de Valois de La
Motte à M. d'Ormesson. « Je
connais trop, monseigneur, votre sensibilité pour croire que mon frère ne
vous ait pas touchée, je ne vous l'ait pas encore dépint[1] dans toute sa nature, et sans
vos généreux secours je me trouverais accablée non pour le sujet que j'ai eu
l'honneur de vous parler. M. Amelot a bien voulu s'en charger, et l'a envoyé
à M. Lenoir pour qu'il ait celui de me faire obtenir un sauf conduit. Mais
cet objet est déjà enciens et n'a plus de rapport à la grâce que je vous
supplie de m'accorder, de vingt à vingt-cinq louis. Je les dois, c'est-à-dire
en partie pour nourriture et loyer. Pardon, monseigneur, de la liberté que
j'ose prendre, mais je vous parle corne au plus digne des hommes, qui mérite
toute confience et sur qui j'ai fondée toutes mes espérances et mon bonheur.
Le roy ne peut s'oposer à celui que vous voudrai me faire sentir, il ne peut
mieux et vous monseigneur les adresser, et vous le demande par grâce, et pour
preuve que mes besoins étais pressant voilà des efets que je joins ici qui
vous persuadront de la vérité. Aujourd'hui, par exemple, je suis plus à
plaindre encore, et je n'ose vous avouer ce qui peut m'ôter le plaisir de
vous voir. » Vous
éstes trop juste pour ne pas sentir que la position d'une femme qui jouit de
huit cens livres doit astre fort mal à son aise, et je suis malheureuse dans
ce cas là. C'est cette seule raison qui me donne de l'espoir à cocoter sur
vos bontés et à celui d'apartenir à un roy si juste. Ah ! mon- seigneur,
je vous en suplie, je ne pourai, je vous assure, pas passer la journée, je
suis humilliée de l'avouer ; j'attens de vos nouvelles avec bien de
l'impatience. J'yrai moi même vous parler de toute ma reconnaissance et vous
prie d'éstre persuadée des vreux que je forme pour vous et les votre. » J'ai
l'honneur d'éstre, Monseigneur ; Votre très-humble obéissante
servante, Comtesse DE VALOIS DE LA MOTTE. Ce 6 may 1783, rue euve-Saint-Gille-en-Marais. » Outre
cette lettre autographe, M. Chambry nous à communiqué un reçu écrit de la
main de madame de La Motte pour M. d'Ormesson. Le voici : « Je
reconnais avoir reçu 38 liv. que M. d'Ormesson m'a fait remettre ce 7 octobre
1783. Comtesse DE VALOIS DE LA MOTTE. NOTE 8 Les
Mémoires secrets, en rapportant les mêmes circonstances, expliquent de la
manière suivante la conduite de l'officier, et le trouble qu'il éprouva : « Le
sous-lieutenant, réprimandé d'avoir laissé écrire le cardinal, répondit que
ses ordres ne lui prescrivaient pas de l'en empêcher ; que d'ailleurs il
avait été si troublé du l'apostrophe inusitée de M. le baron de Breteuil,
monsieur, de la part du roi, suivez-moi, qu'il n'en était pas encore revenu
et qu'il ne savait trop ce qu'il faisait. Cette excuse n'était guère bonne,
quoiqu'il fût vrai que cet officiel, très dérangé dans sa conduite, avait
beaucoup de dettes, et qu'il craignit d'abord que l'ordre que lui intimait le
baron ne le regardât personnellement. » L'abbé
Georgel raconte dans ses Mémoires la circonstance du billet d'une façon toute
différente. « Le
cardinal, dans ce terrible moment qui aurait dû bouleverser tous ses sens,
donna une preuve bien étonnante de sa présence d'esprit : malgré l'escorte
qui l'environnait, et, à la faveur de la foule qui suivait, il s'arrêta, et,
se baissant, le visage tourné vers le mur, comme pour remettre sa boucle ou
sa jarretière, il saisit rapidement son crayon, et traça à la hâte quelques
mots sur un chiffon de papier placé sons sa main dans son bonnet carré rouge.
Il se relève, et continue son chemin. En rentrant chez lui, ses gens
formaient une haie ; il glisse, sans qu'on s'en aperçoive, ce chiffon dans la
main d'un valet de chambre de confiance, qui l'attendait sur la porte de son
appartement. » Cette petite histoire est peu vraisemblable : ce n'est pas au
moment de son arrestation, quand une foule curieuse l'entoure et l'observe.
qu'un prisonnier peut s'arrêter et tracer des mots mystérieux. Quoiqu'il en
soit, le valet de chambre accourt à bride abattue pour se rendre à Paris. Il
arrive au palais cardinal entre midi et une heure ; son cheval tombe mort à
l'écurie. » J'étais dans mon appartement, dit l'abbé Georgel ; le valet de
chambre, l'air effaré, la pâleur de la mort sur le visage, entre chez moi en
me disant : Tout est perdu ; le prince est arrêté. Aussitôt il tombe évanoui
et laisse échapper le papier dont il était porteur. » Le portefeuille,
renfermant les papiers qui pouvaient compromettre le cardinal, fut à
l'instant placé à l'abri des recherches. (Note des éditions de madame Campan, p. 11-15.) NOTE 9 Les
lettres patentes du roi, données à Saint-Cloud, le 5 septembre 1785, étaient
ainsi conçues : « Louis,
etc., ayant été informé que les sieurs Bœhmer et Bassange auraient vendu au
cardinal de Rohan, à l'insu de la reine, notre chère épouse et compagne,
lequel leur aurait dit être autorisé par elle à en faire l'acquisition,
moyennant le prix de seize cent mille livres, payables en différents termes,
et leur aurait fait voir à cet effet de prétendues propositions qu'il leur
aurait exhibées comme approuvées par la reine ; que ledit collier ayant été
livré par lesdits Bœhmer et Bassange audit cardinal, et le premier paiement
convenu entre eux, n'ayant pas été effectué, ils auraient eu recours à la
reine. Nous n'avons pas pu voir sans une juste indignation, que l'on ait osé
emprunter un nom auguste et qui nous est cher à tant de titres, et violer,
avec une témérité aussi inouïe le respect dû à la Majesté royale. Nous avons
pensé qu'il était de notre justice de mander devant nous ledit cardinal, et,
sur la déclaration qu'il nous a faite, qu'il avait été trompe par une femme
nommée La Motte, dite de Valois, nous avons jugé qu'il était indispensable de
s'assurer de sa personne et de celle de ladite La Motte, dite de Valois, et
de prendre les mesures que notre sagesse nous a suggérées, pour découvrir
tous ceux qui auraient pu être auteurs ou complices d'un attentat de cette
nature ; et nous avons jugé à propos de vous en attribuer la connaissance,
pour être le procès par vous instruit et jugé, la grand'chambre et tournelle
assemblées. » NOTE 10 L'abbé
Georgel, ainsi que le prouve une de ses lettres à madame la comtesse de
Marsan, lettre fort curieuse que nous donnons ici, espérait que, malgré
l'enregistrement do ses lettres-patentes, le roi renoncerait au débat
judiciaire, et que de cette circonstance sortirait la justification du
cardinal. « Madame, « Cessez
d'être inquiète de notre cher cardinal. Il a supporté avec toute la dignité
d'un Rohan le coup incroyable qui l'a frappé. Sa santé se soutient clans la
prison, dont les rigueurs sont modérées, et son âme est en paix autant que
peut l'être celle d'un illustre accusé qui prévoit qu'il ne sera jamais jugé.
Mais l'autorité reculant, ne sera-ce pas une justification ? Le roi, sur
l'avis de son conseil, vient de renvoyer l'affaire au Parlement. Les lettres
patentes sont enregistrées. Tout le procès pourrait bien se réduire là ; car
enfin celui d'un simple clerc ne peut être fait qu'avec le juge d'Église ; un
évêque, un cardinal ont-ils moins d'immunités ? L'histoire de France offre
sept cardinaux accusés par nos rois ; aucun n'a pu être jugé en personne.
D'Aguesseau lui-même convient que sur douze exemples, il y en a onze en
faveur de l'Église, et il ne peut nier qu'elle a le dernier état. En 165-i,
le procès du cardinal de Retz fut renvoyé au Parlement par lettres patentes,
qui sûrement ont servi de modèle à celles de 1785. Mais trois ans après, une
déclaration solennelle révoqua l'attribution et confirma le droit antique des
évêques, de ne pouvoir être jugés que par ceux de leur métropole. Il
s'agissait d'un crime de lèse-majesté, et toute la prétention royale était
qu'un tel crime faisait cesser toute immunité. Ainsi, lorsqu'il n'y a rien
qui concerne le roi ou l'État, nul doute que le droit commun est dans toute
sa force. Vous voyez à présent, Madame, à quoi peut aboutir tout l'appareil
du jour. Ne croyez pourtant pas qu'il y ait de l'impéritie de la part du
garde des sceaux et du comte de Vergennes ; ils savent tous deux ce qu'ils
font : l'un connaît le droit français, l'autre la politique romaine : eux
seuls pouvaient éclairer, mais ils sont nos amis. Mêmes vues, mêmes
aversions. Ils savent que l'électeur de Mayence revendiquera, que Rome
réclamera, que le clergé remontrera, que l'empire même murmurera. Ils se sont
tus et ont eu l'air de déférer -à l'équité apparente d'un renvoi au juge
national. Si les clameurs sont, l'information se fera toujours et de manière
à ne distinguer ni accusateurs, ni accusés ; si les difficultés grossissent,
le roi reculera, et ce sera d'autant plus favorable pour nous qu'il y aura
plus d'imbroglio dans l'instruction : il ne faudra plus alors qu'une victime
à l'autorité compromise. Pourquoi le baron, qui n'a été qu'agent, ne
serait-il pas chassé comme auteur ? Nous triompherions pleinement ; tous les
intérêts seraient conciliés, de profondes vengeances exercées, et les ressentiments
respectifs satisfaits : Madame, je dis le mot, que ce soit le secret de votre
vie... » (Mémoires secrets, année 1785, t. 29, p. 22'1-226). NOTE 11 Il est
certain que la famille de Rohan et tous les amis du cardinal cherchèrent par
tous les moyens à gagner les voix des membres du Parlement. Nous lisons à ce
sujet, dans le tome II des Mémoires de madame Campan : « M.
Pierre de Laurencel, substitut du procureur général, fit parvenir à la reine
une liste des noms des membres de la grand’chambre, avec les moyens dont
s'étaient servis les amis du cardinal pour gagner leurs voix pendant la durée
du procès. J'ai eu cette liste à garder parmi les papiers que la reine avait
déposés chez M. Campan, mon beau-père, et qu'à sa mort elle m'ordonna de
garder. J'ai brûlé cet état, et je me rappelle que les femmes y jouaient un
rôle affligeant pour leurs mœurs : c'était par elles et à raison de sommes
considérables qu'elles avaient reçues, que les plus vieilles et les plus
respectables têtes avaient été séduites. Je ne vis pas un seul nom du
Parlement directement gagné. » (Éclaircissements historiques, p. 201). L'abbé
Georgel fait l'aveu suivant dans ses Mémoires : « M.
d'Esprémesnil, conseiller du Parlement, mais qui n'était pas juge dans
l'affaire, trouva des moyens secrets pour nous instruire de particularités
très-intéressantes dont la connaissance nous a été de la plus grande utilité.
Je dois ici cet hommage à son zèle et à son obligeance. » Il
ajoute dans un autre endroit, en parlant du moment où l'arrêt fut rendu : «
Les séances furent longues et multipliées ; il fallut y lire toute la
procédure ; plus de cinquante juges y siégeaient : un maître des requêtes,
ami du prince, écrivait tout ce qui s'y était dit, et le faisait passer à ses
conseils qui trouvèrent les moyens d'en instruire M. le cardinal et d'y
joindre le plan de conduite qu'il devait tenir. » Au
moment où nous terminons ce volume, nous apprenons par les journaux la
nouvelle d'un curieux procès qui doit être plaidé devant la première chambre
civile du tribunal de la Seine, et qui est une épisode de plus de l'affaire
célèbre du Collier de la reine. Il
paraît que le cardinal de Rohan, pendant la procédure criminelle dont il
était l'objet, avait contracté, par acte passé devant notaire, une obligation
de 1.900.000 francs au profit des joailliers Bœhmer et Bassange, qui lui
avaient vendu le collier. A
l'époque de sa mort arrivée en 1803, le cardinal n'avait pas encore acquitté
sa dette. Bœhmer et Bassange avaient transporté à un sieur Gabrielle Deville
une somme de 800.000 francs à prendre sur celle de 1.900.000 francs. Or, ces
800.000 francs n'ayant jamais été payés, les héritiers Deville qui, par
divers actes, ont interrompu la prescription en 1833, réclament aujourd'hui
cette somme aux héritiers de l'héritière du cardinal, la princesse Charlotte
de Rohan. S'il faut ajouter foi aux accusations des héritiers Deville,
l'actif de la succession aurait été dissimulé par ceux du cardinal. NOTE 12 A
Trianon, Marie-Antoinette, dans laquelle des écrivains ont voulu voir une
femme des plus frivoles, des plus indifférentes pour l'étude, se livrait
quelquefois an plaisir de la lecture. Mais s'il fallait ajouter foi aux
assertions de ces confidents indiscrets de ses goûts, elle ne lisait que des
livres fades, des contes et des romans « que la main vigilante des pères et
des maris confine aujourd'hui dans des armoires fermées à triple clef[2]. » L'un de ces écrivains, M.
Louis Lacour, dont nous avons eu l'occasion de parler, prétend que, « pour se
conformer au goût général, la_ reine de France qui possédait déjà une
bibliothèque officielle, en fit placer dans son boudoir (de Trianon) une moins importante et bien
appropriée aux dispositions d'esprit qui la conduisaient à ce lieu d'abandon
et de repos.» A l'entendre, personne n'a cité le titre d'un seul de ces
ouvrages dans lesquels elle trouvait de l'intérêt. C'est un point qu'à son tour
il vient éclaircir par la publication du catalogue entier de cette
bibliothèque royale » que lui avait composée son ancien précepteur, l'abbé de
Vermond, qui dans le choix des livres « brille comme maitre plus encore que
Marie-Antoinette comme élève docile. » Le bibliophile complaisant ouvre donc
aux lecteurs les Livres du boudoir de la reine Marie-Antoinette, catalogue
authentique et original publié pour la première fois avec préface et notes.
Puis, au milieu des romans dont il déroule la liste avec une sorte de pudeur
effarouchée, et dont le caractère général est « plus que de la frivolité,
plus que de la galanterie, de la licence, sans style, sans esprit, mais de
bon ton, » il cite Faublas, « modèle du genre » et ajoute : « il est là, tout
entier. S'il n'y avait que lui ! » Enfin, cet opiniâtre ennemi de la
reine, après avoir noté « au passage quelques ouvrages que cette
princesse semble avoir recherchés à titre de souvenirs personnels ou par
allusion à des évènements de sa vie, » nous présente des livres tels que tout
ce qu'on peut dire pour sa défense c'est qu'elle ne les a pas lus. Mais
pourquoi M. Lacour n'apprend-il pas à ses lecteurs ou il a trouvé ce
catalogue dont la publication a produit une impression fâcheuse sur beaucoup
d'esprits ! Son silence nous porterait à croire avec le savant conservateur
de la bibliothèque de Versailles aux soins duquel est confiée la garde des
vrais livres de Trianon, qu'il faut se méfier de la valeur et de
l'authenticité de son soi-disant catalogue. Il nous le donne comme un
document officiel et original, et ce n'est peut-être que le catalogue de la
bibliothèque d'une de ces femmes du grand monde qui, sacrifiant à la mode
et.au goût du jour voulut avoir ses petits appartements et une bibliothèque,
ornement alors indispensable de sa retraite mystérieuse. Cette bibliothèque
renferma six cents volumes parmi lesquels la littérature étrangère et les
romans occupent la plus large place. Rien d'étonnant en cela pour le lecteur
qui connaît le règne scandaleux de Louis XV et la corruption des mœurs à
cette époque. Du reste, on poursuit aujourd'hui le catalogue de M. Lacour
comme falsifié, et bientôt un débat judiciaire, dans lequel de grands
orateurs se trouveront en présence, videra sans doute cette importante
question. Si le
catalogue de ce bibliophile était publié d'après un inventaire officiel et
authentique, il faudrait bien y croire. « Mais ce que l'esprit et le
cœur se refusent à admettre, dit M. Jules Tardieu dans une Notice que nous a
donnée la Bibliographie de la France (n° 49, 6 décembre 1862), c'est qu'une femme, une mère
qui a montré tant de dignité et de grandeur dans l'adversité, et dont la
mémoire inspire encore la pitié et le respect, ait jamais pu connaître les
livres qui figurent dans ce catalogue. » Nous adhérons d'autant plus à
cette opinion que tous les livres compris dans la liste de M. Lacour et
déposés en 1793 ou en 1794 à la Bibliothèque alors nationale, sont dans un
tel état de conservation qu'on peut affirmer, sans crainte de se tromper,
qu'ils n'ont pas été lus. A cette
publication faite dans une intention perfide, celle d'ébranler la foi depuis
quelque temps établie de l'innocence de Marie-Antoinette, nous pouvons
opposer un catalogue dont l'authenticité n'est point douteuse. C'est celui
des livres de la reine, lequel existe à la Bibliothèque impériale sous le
numéro 2929, et que l'abbé de Vermond a réellement composé. Nous l'avons
parcouru avec le plus grand soin et nous y avons trouvé des livres bien
différents de ceux que renferme le catalogue de M. Lacour. Dans
les quatre divisions qui le partagent, religion, histoire, arts et belles
lettres, se pressent de nombreux ouvrages dogmatiques, destinés à prouver ou
à développer la religion, les livres d'église et de prières, ceux de morale
et d'instruction chrétienne, d'histoire et de géographie, tous ceux qui
concernent les sciences, les arts utiles, qui servent d'introduction aux
belles-lettres et se rapportent à la pureté du langage : Ainsi, la sainte
Bible, traduite en français par M. de Sacy ; l'Imitation de Jésus-Christ
; les Pensées de Pascal sur la religion ; les Œuvres de Bossuet
; les Œuvres spirituelles de Fénelon ; un livre précieux pour la
reine, ou Instruction de l'empereur François Ier à ses enfants tant pour
la vie spirituelle que pour la temporelle ; les Sermons du père
Bourdaloue ; ceux de Massillon ; l'Esprit de Saint-François de Salle ;
les Principes de l'histoire, par Lenglet Dufresnoy ; l'Histoire
ancienne et l'Histoire romaine de Rollin ; l'Abrégé
chronologique de l'histoire de France, par le président Hénault ; les Mémoires
de Sully, ministre de Henri IV ; la Vie de Charles XII, roi de Suède,
par Voltaire ; enfin, une foule d'autres ouvrages dont l'énumération
fatiguerait le lecteur. FIN DES NOTES DU PREMIER VOLUME
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