D'Ormesson, contrôleur
général des finances. - Ministère de Calonne. - Ses premières mesures. -
Agiotage effréné. - Remontrances du Parlement. - Représentation du Mariage de
Figaro. - Affaire du collier. - La comtesse de La Motte-Valois. - Le comte de
Cagliostro. - Scène du bosquet. - Arrestation du cardinal de Rohan. - Son
jugement déféré au Parlement. - Réclamations du clergé de France. -
Arrestation de Cagliostro. - Le Père Loth ; ses révélations. - Intrigues de
la famille de Rohan. - Arrêt du Parlement. - Joie du public. - Désespoir de
la reine. - Exil du cardinal. - Libelles contre Marie-Antoinette. - Supplice
et fuite de la comtesse de La Motte.
Sorti
des embarras d'une lutte difficile, mais qui avait rétabli la considération
politique de la France, le gouvernement donna tous ses soins à l'intérieur où
les idées de réforme dont la guerre avait distrait les esprits, reprenaient
leur cours. Après avoir augmenté les impôts et les taxes, établi de nouveaux
vingtièmes, emprunté à des intérêts très-élevés et grevé encore la dette de
300 millions, Joly de Fleury avait été obligé d'abandonner le ministère (mars 1783). Il n'avait été que le commis
ignorant de Vergennes qui ne fit aucun effort pour le soutenir. Louis XVI
l'avait remplacé par d'Ormesson, conseiller d'État, chargé de
l'administration de Saint-Cyr, pour lequel il avait conçu une haute estime et
que protégeait Miromesnil. Ce nouveau contrôleur général jouissait de cent
mille livres de rente. Il voulut refuser les émoluments de sa place, et ne
consentit à les accepter que sur l'observation réitérée que son
désintéressement- pourrait paraître de l'orgueil, et nuire aux intérêts de
ses successeurs. Homme d'une rare intégrité, mais « qui avait la tête étroite
et voyait les affaires sous les plus petits rapports[1], » d'Ormesson était
complétement incapable de remplir les fonctions difficiles qu'on lui
imposait. Il n'entra au ministère qu'avec une extrême répugnance. « Sire, je
suis bien jeune, » dit-il ait roi, afin de motive' : son refus. « Je suis
plus jeune que vous, » répliqua Louis, « et j'occupe une plus grande place
que celle que je vous donne. » On lui doit des éloges pour avoir lutté contre
l'avidité des courtisans et contre les frères du roi qui élevaient la
prétention d'acquitter leurs dettes avec les deniers de l'État. Malgré cette
conduite honorable de son ministre des finances, le roi ne lui témoigna pas
une entière confiance, et acheta Rambouillet quatorze millions au duc de
Penthièvre, sans lui parler de celte acquisition onéreuse. D'Ormesson mécontent
voulut envoyer sa démission. Il en fut empêché par les pleurs de sa femme.
Mais il n'avait aucune idée de la manutention des finances ; son
administration de sept mois, pendant laquelle il essaya quelques économies,
présente une nombreuse série de fautes qui, avec celles de son prédécesseur,
en augmentèrent l'anarchie et la confusion. La caisse d'escompte, qu'il
obligea secrètement à verser six millions au trésor, se trouva bientôt
épuisée, et le ministre commit l'imprudence de l'autoriser à suspendre pour
trois mois le paiement en argent des billets au-dessus de trois cents livres[2]. Il cassa ensuite le bail des
fermes afin de les mettre en régie, et, par cette nouvelle mesure que.ne
pouvait justifier aucun prétexte, révolta contre lui l'opinion publique.
D'Ormesson était devenu impossible ; M. de Vergennes se chargea de lui
apprendre son renvoi[3]. Dans
ces circonstances difficiles, Louis XVI aurait dû offrir le ministère des
finances à un homme habile, d'un esprit fécond en ressources. M. de Castries
fit d'inutiles efforts auprès du roi pour l'engager à rappeler Necker. Des
intrigues de cour décidèrent la nomination du contrôleur général. L'abbé de
Vermond, tout puissant auprès de la reine, s'efforçait de faire arriver au
ministère son ancien protecteur, l'archevêque de Toulouse, Loménie de
Brienne. Marie-Antoinette le proposa au roi ; mais celui-ci refusa, n’oubliant
pas le conseil que lui avait donné Maurepas de ne jamais prendre un
ecclésiastique pour ministre. Une intrigue de cour conduite par Vergennes mit
en avant le protégé de la duchesse de Polignac, dame d'honneur et
surintendante de l'éducation du dauphin, et du comte d'Artois qui n'accordait
que trop souvent des faveurs à des nobles fastueux, ignorants, débauchés et
ennemis de toute réforme. Ce protégé était Charles-Alexandre de Calonne, que
ses talents, les agréments et la vivacité de son esprit avaient
successivement porté aux places de procureur général du parlement de Douai,
de maître des requêtes et d'intendant de Lille. Calonne était hardi,
brillant, disert, d'un travail facile, niais frivole, libertin, dissipateur
et d'une renommée presque flétrie. Il avait joué un rôle odieux dans le
procès célèbre de La Chalotais dont il avait reçu des confidences et dont il
s'était cependant rendu le dénonciateur. Quoique sorti de la magistrature, il
était suspect au parlement comme au ; public, et ses antécédents devaient
l'éloigner à jamais du ministère. Louis XVI ne voulait pas de lui. Mais
Calonne avait su se concilier l'amitié des courtisans et des princes dont il
flattait habilement les passions et qui depuis longtemps travaillaient, à le
faire ministre. « Il disait hautement que lui seul connaissait la manière de
diriger les finances d'une grande monarchie ; qu'il 'avait des moyens
infaillibles pour ramener l'abondance au trésor, sans descendre à ces projets
d'économie mesquine dont on avait sottement attristé la cour. Des voix amies
annonçaient qu'on le verrait tout concilier, qu'il s'occuperait des fortunes
particulières aussi bien que de la fortune publique ; il assurera,
disaient-elles, la prospérité du royaume, et fera naître l’âge d'or de la
cour. Ces paroles séduisantes charmaient la société intime de la reine,
surtout le comte n'Artois et madame de Polignac, alors dans tout l'éclat de
sa faveur[4]. » En
dépit de quelques concurrents fortement appuyés comme lui, Calonne l'emporta,
grâce aux impétueuses recommandations du comte d'Artois auxquelles se
joignirent les instances de Vergennes[5]. Le 3 octobre 1783, il fut
nommé contrôleur général, au grand déplaisir de Marie-Antoinette, puis
bientôt après ministre[6]. Quelques mesures sages qu'il prit
d’abord firent croire au public qu'il était à la hauteur de sa mission ;
aussitôt le crédit se ranima et les fonds montèrent. Des constructions furent
ordonnées, des barrières élevées avec un grand luxe, et Paris fut entouré
d'un mur d'enceinte. L'état dans lequel Calonne accepta les finances ne
serait pas facile à déterminer. Il avoua lui-même à Machault qu'il était
déplorable et qu'il ne s'en serait pas chargé sans la mauvaise situation de
ses affaires personnelles. Dans son premier entretien avec le roi, il lui dit
qu'il devait cieux cent vingt mille livres exigibles, et lui observa qu'un
contrôleur général avait bien le moyen d'acquitter une telle dette, mais
qu'il préférait une voie plus franche. Frappé d'étonnement à un tel langage,
Louis XVI, sans lui répondre, alla prendre dans son secrétaire des actions de
la compagnie des eaux et lui en donna pour cieux cent trente mille livres.
Calonne garda les actions et trouva les moyens de s'acquitter[7]. Bientôt
le ministre ne s'occupa plus que de la cour. Il accorda aux frères du roi
tout ce qu'ils voulurent, il paya leurs dettes avec l'argent de la France, et
fournit plus largement à la dépense de leurs maisons. La reine désirait la magnifique
résidence Saint-Cloud ; on décida Louis XVI à l'acheter du duc d’Orléans
pour quinze millions[8]. Les courtisans n'avaient point
travaillé à l'élévation de Calonne pour qu'il répétât à leurs yeux le rôle
déjà usé de réformateur ; ils en obtinrent donc ce qu'ils demandèrent :
diminution, remise des droits même à acquitter, et remboursement de ceux qui
étaient payés. Bientôt le contrôleur général transforma en pensions
perpétuelles des pensions viagères et donna plus de vingt-et-un millions de
dons et gratifications, par ordonnances au porteur. « Un homme, qui veut
emprunter, disait-il, a besoin de paraître riche, et, pour paraître riche, il
faut éblouir par ses dépenses. Agissons ainsi dans l'administration publique.
L'économie est doublement funeste : elle avertit les capitalistes de ne pas prêter
au trésor obéré ; elle fait languir
les arts, que la prodigalité vivifie. » Pour se
conformer à ses principes financiers, il déploya un luxe incroyable et donna
des fêtes brillantes dont il augmentait le charme par les séductions de sa
personne, par les grâces de sa conversation et surtout par la facilité de ses
promesses. A Versailles, à Paris, il avait des hôtels tenus avec une rare
magnificence ; à la cour, il semblait marcher l'égal des hommes les plus
qualifiés, il tutoyait le duc de Polignac : Les femmes, les courtisans
étaient enchantés de cet aimable ministre qui répudiait en tout la rigidité
traditionnelle de sa fonction et prévenait une demande de la reine en lui
disant : « Si c'est possible, Madame, c'est fait ; si cela n'est pas
possible, cet se fera. » Tous les agioteurs de la finance chantaient les
louanges de leur général et l'appelaient le ministre modèle. Le roi lui-même,
dans sa sécurité, éprouvait de la satisfaction en s'entretenant avec ce
nouveau Colbert, qui se jouait des embarras du jour, et montrait d'un air
triomphant les ressources de l'avenir. Le
magicien qui dirigeait les finances couvrait tant de profusions et de folies
par quelques ressources d'esprit et quelque dextérité d'action, par une
grande vivacité pour concevoir, et une extrême hardiesse pour entreprendre.
Autrement on ne s'expliquerait pas qu'un tel état de choses se fût prolongé
pendant quatre années. Ses premières mesures, ainsi que nous l'avons dit,
avaient jeté l'illusion dans le public et séduit les capitalistes. Les
brillants artifices de ce ministre, qui se changeait en pluie d'or,
plaisaient au plus grand nombre des spéculateurs et à certaines gens qui
regardaient le moindre réveil du crédit comme le salut de la monarchie. Après
avoir fait reprendre à la caisse d'escompte ses opérations, Calonne se hâta
dé solder l'arriéré des rentes. Il ouvrit des emprunts, établit une caisse
d'amortissement pour éteindre la dette nationale, mais qui ne pouvait
fonctionner sérieusement avec un système tout d'expédients, et entreprit la
refonte des monnaies d'or. Le rapport de l'or à l'argent ayant changé, cette
résolution était sage. Mais le plus net du bénéfice passa en profits
clandestins[9]. Cependant
le déficit augmentait toujours et l'audacieux dissipateur ne marcha bientôt
plus qu'à l'aide d'impôts, d'emprunts et d'anticipations. Toutes les
opérations financières qui remplirent son administra ration scandaleuse
enfantèrent un esprit d'agiotage aussi nuisible à l'intérêt du commerce et
aux spéculations honnêtes, qu'au maintien de l'ordre public. Cet agiotage
alla jusqu'à s'exercer sur des bons qui portaient la promesse de faire
obtenir des places de finances, ainsi que sur les actions de la Compagnie des
eaux de Paris, de la Caisse d'escompte et de la Banque espagnole de
Saint-Charles. On vit alors se renouveler quelques-unes des singularités de
l'époque de Law, et renaître, au milieu de la plus abjecte fermentation, tous
les rêves de l'avarice, de la cupidité et de la fourberie. Le parlement qui
haïssait le contrôleur-général, ne l'attaqua vivement que lorsqu'il le vit
dans un embarras extrême. Un emprunt de quatre-vingt millions, présenté en
1785, et hypothéqué sur un troisième vingtième qui devait cesser la même
année donna lieu à une longue discussion, à d'énergiques remontrances de la
part des magistrats. Louis XVI manda le parlement à Versailles pour voir
biffer la protestation formelle qu'il avait écrite au bas d'un enregistrement
forcé. La compagnie se soumit avec une docilité à laquelle la cour ne
semblait pas s'attendre. Le
triomphe que Calonne venait de remporter sur le parlement le remplit de
confiance ; sa présomption lui inspira l'idée de fonder son empire et son
crédit sur une mesure dont il crut pouvoir maîtriser à son gré toutes les
conséquences. Il se flatta de rétablir l'ordre dans les finances par le moyen
des réformes politiques. Il résolut de soumettre les privilégiés à l'impôt,
de créer des assemblées provinciales, de diminuer la charge des impositions,
d'abolir les corvées et de rendre libre le commerce des grains. C'était
revenir au système de Turgot. Pour l'accomplissement de ces réformes, il ne
pouvait compter sur le concours du parlement ; il songea donc à convoquer une
assemblée de notables. Dès ce moment il s'occupa de captiver l'esprit du
monarque en lui présentant des projets étendus, mais vagues, et en réveillant
le souvenir des vœux qu'il avait souvent exprimés : « Plus de nouveaux
emprunts, plus de nouveaux impôts, et surtout plus d'opposition des
parlements. » Tandis
que Calonne, en face de l'abîme, cherchait tous les moyens d'en sortir et de
réaliser un projet qui, contrairement à son espoir, devait être le terme d'un
système fondé sur la prodigalité, l'agiotage continuait d'entraîner les
esprits les plus ardents. L'entreprise des eaux de Paris trouvait un zélé
défenseur dans Beaumarchais et un fougueux adversaire dans Mirabeau, que
payait le contrôleur général. Au milieu de ses spéculations financières, le
premier, déjà connu par ses Mémoires, où l'on trouve du Rabelais et du
Montaigne, et par le Barbier de Séville, dans lequel on admire le
talent de faire ressortir d'une intrigue des situations fortes et plaisantes,
donna le Mariage de Figaro. Cette comédie, vraiment encyclopédique,
selon le mot heureux d'un historien[10], exposait à la risée publique
la noblesse et la magistrature, passait en revue morale, législation,
politique, métaphysique même, en un mot, tout ce qui jusque-là avait été
entouré des respects du peuple. « C'est détestable, cela ne sera jamais joué, »
dit Louis XVI, après la lecture du manuscrit ; « il faudrait détruire la
Bastille pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une
inconséquence dangereuse[11]. » Mais dans cette société
corrompue, qui marchait en folâtrant à sa ruine, les personnages de la Cour
sur lesquels tombaient d'aplomb les sarcasmes de Beaumarchais, la plupart des
hommes en place et en dignité prêtèrent les mains à leur propre dégradation.
Les rôles, malgré la défense du roi, furent distribués aux acteurs du
Théâtre-Français et la pièce allait être représentée dans la salle de
spectacle des Menus-Plaisirs, lorsqu'un ordre arrivé de Versailles défendit
qu'on levât la toile. Alors de toutes parts retentirent les mots d'oppression
et de tyrannie. La défense du roi, suivant les protecteurs de l'ouvrage,
portait atteinte à la liberté publique. « Eh bien ! s'écria Beaumarchais, il
ne veut pas qu'on la représente ici, et je jure, moi, qu'elle sera jouée,
peut-être, dans le chœur même de Notre-Dame ! » Il disait presque vrai.
Fort de la clameur de Paris et de l'appui des grands, l'écrivain à qui
Voltaire eût pu envier sa puissance, triompha de l'opposition du garde
des-sceaux et de celle du roi même. Le Mariage de Figaro parut sur le
Théâtre-Français (avril 1784),
et l'on vit les plus illustres seigneurs, les hommes du pouvoir ; applaudir
avec une inconcevable frénésie aux traits insolents, aux sanglantes allusions
qui imprimaient sur leurs fronts les stigmates du déshonneur. Les insensés f
ils auraient été inconsolables, si cette œuvre d'une terrible hardiesse
n'avait égayé à leurs dépens l'affluence des spectateurs pendant plus de cent
représentations[12]. Figaro
jetait, l'insulte à la face des Almaviva de l'époque, et portait en riant un
coup funeste à l'aristocratie, lorsqu'un drame autrement profond, le procès du
collier, qui devait causer à la royauté un tort irréparable, excita au plus
haut point l'attention de l'Europe. Dans ce procès figuraient le cardinal de
Rohan, évêque de Strasbourg et grand aumônier de la couronne, une comtesse de
La Motte-Valois, descendante illégitime, par les barons de Saint-Rémy, du roi
Henri II, méprisable intrigante, et Marie-Antoinette. Nous garderions le
silence sur ce compl6t infâme, sur cette œuvre de basse rouerie et d'ignoble
crédulité, si la honte n'en avait pas rejailli sur la majesté royale. Ambassadeur
de Louis XV à la cour de Vienne, trois ans après le mariage du Dauphin, le
cardinal de Rohan, alors le scandale de l'Église, avait débuté en Autriche
par quelques démêlés avec l'administration des douanes. Il y avait ensuite
compromis son double caractère de prêtre et de représentant de la France par
la légèreté de sa conduite et par les dépenses incroyables qu'il prodiguait
dans les fêtes et dans les festins, dont sa maison était le théâtre, et
auxquels était invitée chaque semaine la société viennoise. Un jour, il avait
poussé l'irrévérence jusqu'à traverser la procession de la Fête-Dieu, sur son
cheval de chasse, en habit de chasseur, escorté et suivi de ses gens, de ses
chiens, de toute sa bande joyeuse. Il prétendait qu'un galant homme ne
pouvait vivre avec douze cent mille livres de revenu. Un autre Rohan, son
parent, le prince de Guéménée, ayant fait une banqueroute de trente-quatre
millions, le cardinal en faisait gloire : « Il n'y a, disait-il, qu'un
souverain ou un Rohan qui puisse faire une telle banqueroute. » Ajoutons que
l'imprudent cardinal, émissaire secret de la faction ante-autrichienne, avait
parlé peu avantageusement à Vienne de la jeune épouse du Dauphin, que, par
ses injustes critiques, il s'était attiré la haine de Marie-Thérèse et de
Marie-Antoinette. Une autre circonstance acheva d'inspirer un invincible
éloignement à la Dauphine pour le prince de Rohan. A l'issue -d'une audience
de l'impératrice, l'ambassadeur, dans une lettre particulière, séparée de la dépêche
et écrite de sa propre main au duc d'Aiguillon, s'énonçait en ces termes : «
J'ai effectivement vu pleurer Marie-Thérèse sur les malheurs de la Pologne
opprimée, mais cette princesse exercée dans l'art de ne pas se laisser
pénétrer, me paraît avoir des larmes à commandement : d'une main elle a le
mouchoir pour essuyer ses pleurs, et de l'autre elle saisit le glaive de la
négociation pour être la troisième puissance co-partageante. » Le duc d'Aiguillon,
par une indiscrétion impardonnable, confia cette lettre à la comtesse du
Barry, qui s'égaya avec peu de retenue sur ce qu'elle appelait la fausseté et
l'hypocrisie de Marie-Thérèse. Instruite
de tous ces propos, madame la Dauphine ne put dissimuler sa répugnance pour
l'homme qui osait représenter sa mère sous les traits les plus odieux, et qui
la livrait aux sarcasmes de la comtesse du Barry. Il fut rappelé en France à
la prière de Marie-Thérèse, de plus en plus mécontente de sa conduite et
affligée de ses désordres. Marie-Antoinette, qu'il avait aussi calomniée
auprès de sa mère, à ce point que l'impératrice avait envoyé le baron de Neni
à la cour de France pour s'assurer des faits, ne voulut point le recevoir ;
elle persévéra à lui refuser les plus faibles témoignages de sa bienveillance
et ne lui adressa jamais la parole Cette disgrâce affligeait d'autant plus le
prince de Rohan qu'il voulait être premier ministre, et que le ressentiment
de la reine était pour son ambition un obstacle insurmontable[13]. Plus
tard, la comtesse de La Motte-Valois, femme d'une physionomie spirituelle et
attrayante, douée d'un peu de beauté et de quelques facultés heureuses,
gâtées par son éducation, « qui comptait des relations assez élevées, et
intéressait de nombreux protecteurs, fit la connaissance du cardinal par
l'entremise de madame de Boulainvilliers sa bienfaitrice. Son nom, sa
naissance, ses malheurs, ses aventures romanesques qu'elle savait raconter
avec esprit, ses dehors séduisants, touchèrent le grand aumônier[14]. » Il lui accorda de
légers secours pour l'arracher aux besoins du moment[15]. Cette femme adroite,
naturellement éloquente et persuasive, que la reconnaissance et la misère
engageaient à renouveler ses visites et ses entretiens, s'insinua peu à peu
dans l'esprit dit cardinal. Son Éminence poussa bientôt la confiance jusqu'à
lui peindre le profond chagrin que lui causait sa disgrâce. Cette confidence
fit éclore tout un plan de séduction dont les annales des sottises humaines
offrent bien peu d'exemples. Madame de La Motte entreprit de persuader au
cardinal qu'elle était honorée d'une protection auguste, qu'elle avait un
accès secret auprès de la reine, et qu'elle jouissait de son intime
familiarité, quoiqu'elle n'eût jamais eu l'honneur de parler à cette
princesse. « Monseigneur, lui dit-elle un jour, ma joie est à son comble. La
reine, enfin, a daigné prêter attention à ma signature Valois. Elle m'a reçue
dans ses petits cabinets. Ma personne a paru lui faire plaisir. Elle a trouvé
mon esprit cligne de quelque éloge. Notre fortune bornée a obtenu son
improbation ; Marie-Antoinette, généreuse et sensible, va s'occuper de notre
bonheur. » Lorsque
j'ai vu qu'il y avait tant de bonté dans le cœur de cette souveraine, j'ai
pris sur moi de prononcer votre nom.... Oui votre nom, malgré rayer-version
qu'elle lui porte. Je lui ai dit que, me trouvant délaissée de tous les
princes et ministres, j'avais cru ne pas déshonorer mes ancêtres en
m'adressant à M. le grand aumônier. Ce nom l'a frappée. Je lui ai dit
aussitôt avec effusion toutes vos bontés pour mon frère et pour moi, tous vos
secours multipliés, toutes vos générosités délicates et polies. La reine, de
plus en plus attentive, m'a fait répéter ces circonstances, et je suis
parvenue à lui faire sentir profondément que si elle a eu des raisons,
jusqu'à ce jour, pour ne vous point aimer, elle n'en saurait avoir,
désormais, pour -vous refuser son approbation et son estime. » Aveuglé
par le désir de rentrer en sr vice, Rohan livra toute sa confiance à la
comtesse et se berça des illusions les plus flatteuses. Après avoir employé
tous les stratagèmes de l'intrigue et du mensonge pour nourrir
l'effervescence ambitieuse du cardinal, madame de La Motte feignit plusieurs
voyages à Versailles et ne manqua jamais d'appuyer ses récits de détails
pleins d'intérêt et de circonstances vraisemblables. Elle lui disait un jour
: « Je suis autorisée par la reine à vous demander- par écrit la justification
des torts qu'on vous impute. » Le cardinal, simple et crédule, écrivait
lui-même cette apologie et s'empressait de la remettre à la comtesse.
Celle-ci lui apportait, quelques jours plus tard, cette réponse dans laquelle
un habile faussaire faisait ainsi parler Marie-Antoinette, dont il avait tâché
d'imiter l'écriture : « J'ai lu votre lettre ; je suis charmée de ne
plus vous trouver coupable ; je ne puis encore vous accorder l'audience que
vous désirez. Quand les circonstances le permettront, je vous en ferai prévenir
; soyez discret[16]. » Ces paroles causèrent au
prince de Rohan une satisfaction qu'il serait difficile d'exprimer. Depuis ce
jour madame de La Motte fut pour lui un ange tutélaire qui aplanissait les
routes du bonheur. Il lui appartenait tout entier et ne pouvait rien lui
refuser. Bientôt, encouragée par ce succès, elle demanda au cardinal, pour
des infortunés auxquels, disait-elle, la reine s'intéressait, différents
secours d'argent qui s'élevèrent jusqu'à la somme de cent vingt mille livres.
Cette somme ne put suffire à ses besoins, à ses dettes, à l'entretien du luxe
de sa maison. Un fâcheux
hasard contribuait encore à porter l'esprit du cardinal vers le goût des
choses extraordinaires. En effet, il cultivait avec un soin particulier
l'amitié du fameux comte de Cagliostro, personnage d'une célébrité bizarre
qui s'était annoncé tour à tour comme fils d'un grand maître de Malte,
prophète venu de la Mecque, comme empirique, rose-croix, ou immortel, tout en
affichant une grave indifférence pour tous les cultes religieux. Ce voyageur
infatigable avait erré de contrées en contrées, de tréteaux en tréteaux, de
bastilles en bastilles, sous les différents noms d'Acharat, de marquis de
Pellégrini, de comte Fiant, de comte Phénix, de marquis d'Armas, qui
déguisaient son vrai nom de Joseph Balsamo[17]. Mathématicien profond,
astronome universel, médecin prodigieux, physicien habile, chimiste instruit,
partout il avait exercé un grand ascendant sur les personnes enivrées de ses
leçons, et partout il avait fait de nombreuses dupes. Cagliostro, que le bon
Lavater regardait comme un homme surprenant, se vantait, à l'exemple de
l'astrologue Seni, de lire l'avenir dans le brillant livre des astres, et ses
adeptes répandaient le bruit que leur maître avait trouvé la pierre
philosophale. « Il prêchait ouvertement la religion naturelle, et disait,
sans détours et sans dissimulation, qu'il fallait aux classes polies et
supérieures une croyance à part, de même qu'elles avaient d'autres vêtements,
une autre manière de penser et de s'énoncer que le vulgaire. Il était
fortement soupçonné de faire de l'or ; et., véritablement, il avait presque
toujours des lingots parmi ses effets. En divers pays, son valet de chambre
affidé vendait çà et là des lingots, qu'admiraient et recherchaient les
orfèvres[18]. » Tel était l'homme qui,
mystérieux agent d'une faction ennemie du trône, et devenu l'idole ainsi que
le guide du prince de Rohan, secondait de tous ses efforts l'adroite
aventurière dont nous connaissons l'esprit inventif et le front d'airain. Vers la
même époque, deux joailliers de la cour, Bœhmer et Bassange, proposèrent à
Marie-Antoinette un magnifique collier de leurs plus beaux diamants. Elle
repoussa leurs instances en ajoutant qu'avec une pareille somme on pouvait
donner cieux vaisseaux à la France. Ce fut alors que la comtesse de La Motte,
séduite par l'appât de cette parure, plusieurs Ibis refusée, persuada au
cardinal que la reine désirait en secret le collier, et qu'elle le chargeait,
en gage de réconciliation, de lui en faciliter l'achat, à l'insu de son mari.
Elle osa encore contrefaire l'écriture de Marie-Antoinette, et transmit des
ordres de remerciements supposés. Si le cardinal avait l'esprit d'un salon,
il manquait de ce contrôle du bon sens qui règle les actes de la vie. Il se
crut de bonne foi en correspondance avec la reine par l'intermédiaire de
madame de La Motte, et se prêta avec une crédulité plus honteuse que
criminelle aux contes dont elle le berçait. Cette femme alla même jusqu'à le
faire croire à un rendez-vous que lui accordait Marie-Antoinette, et dans
lequel une fille Oliva, fort connue pour lui ressembler, consentit.,
moyennant une somme de quinze mille livres, à jouer le rôle de cette
princesse. Un soir du mois d'août, le cardinal de Rohan déguisé se laissa
conduire dans les bosquets sinueux de Versailles, à travers le silence et la
nuit. Il attendit au milieu des charmilles la reine qu'on lui avait promise,
elle parut bientôt, vêtue d'un négligé blanc, de parfaite élégance, une
thérèse sur la tête, et s'avança vers lui à la dérobée. A la clarté des
étoiles, Rohan la distingua parfaitement. C'était sa taille, son port
majestueux, son air, le parfum de ses vêtements. Elle passa près du cardinal,
et laissa tomber une rose en prononçant ces paroles à demi-voix : Le passé
est oublié. Mais au moment où le présomptueux Rohan se flattait de
l'espoir que Marie-Antoinette l'entretiendrait elle-même de son désir, la
comtesse accourut : Vite ! vite ! venez ! dit-elle à la fille
Oliva, et les héros de l'aventure se séparèrent aussitôt. L'homme s'éloigna
d'un côté, la femme de l'autre. On avait distingué comme un bruit de pas, et
ce prétendu' contre-temps interrompait ainsi l'entrevue, sans permettre au
prince de soupçonner quelque supercherie. Persuadé
que cet accueil bienveillant lui présageait une prochaine faveur, le cardinal
s'abandonna à tous les rêves de son ambition et reconnut généreusement les
grands services de sa protégée. « A l'époque où les rapports de M. de Rohan
avec madame de La Motte étaient devenus intimes, a dit M. Beugnot, une
ardente ambition se confondait chez lui avec une affection très-tendre.
Chacun de ces deux sentiments s'exaltait l'un par l'autre, et ce malheureux
homme était livré à une sorte de délire. J'ai pu lire en courant
quelques-unes des- lettres qu'il écrirait alors à madame de La Motte ; elles
étaient toutes de feu : le choc, ou plutôt le mouvement des deux passions
était, effrayant. » Plein d'un fol espoir, le cardinal résolut de satisfaire
le caprice royal dont il se croyait ragent indispensable. I1 alla trouver les
joailliers Balmer et Bassange, qui lui montrèrent le grand collier en
brillants. l'examina, et leur dit qu'il était chargé d’en savoir le prix. «
Un million six cent mille livres, répondirent-ils. » Rohan déclara qu'il leur
ferait bientôt connaître les intentions de l'acquéreur qu'il ne pouvait
nommer, et que, dans le cas où cela ne lui serait pas permis, il prendrait
avec eux des arrangements particuliers. Deux
jours après, le cardinal manda auprès de lui Bœhmer et Bassange, leur
recommanda le plus profond secret et leur fit lecture des propositions,
qu'ils acceptèrent : le collier lui serait livré, le 1er février, au plus
tard, moyennant un million six cent mille livres, payables de six mois en six
mois. A l'époque fixée, les joailliers se rendirent chez le prince avec le
précieux ornement. Il leur confia, dans cette entrevue, que la reine en
faisait l'acquisition, et leur montra ces mots sur la marge des propositions
qu'ils avaient 'acceptées : Approuvé, Marie-Antoinette de France[19]. Le cardinal ajouta que la
Reine avait traité directement avec lui, et donna en même-temps à Bœhmer
trente mille francs d'acompte qu'elle l'avait chargé de lui remettre. Le même
jour, il part pour Versailles où il arrive dans la soirée, court chez madame
de La Motte, à l'heure désignée, et dépose entre ses mains le magnifique
collier. « La reine attend, lui dit-elle ; ce collier lui sera remis ce soir. »
Au même instant se présente, de la part de Marie-Antoinette, un homme que la
comtesse avait initié à ses projets d'iniquité, celui-là même qui avait le
pernicieux talent de contrefaire l'écriture de l'auguste princesse. Elle
s'avance avec respect, prend la cassette dans laquelle était renfermé l'écrin
et la confie au faux messager qui sort aussitôt. Le cardinal, témoin caché et
muet., avait pu cependant examiner les traits de cet homme et avait cru y
reconnaître ceux de Lesclaux, valet de confiance de la reine[20]. Il se retire convaincu que
Marie-Antoinette a reçu le collier. Mais la dame de La Motte l'avait gardé,
et son mari, ex-garde du corps, alla vendre les diamants à Londres pour des
sommes considérables. Aussi la vit-on passer subitement de l'indigence à un
luxe extrême, acheter des équipages du dernier modèle et aux armes des
Valois, de superbes chevaux de main, des parures de diamants et de topazes,
une argenterie magnifique, un hôtel, et satisfaire, par d'énormes dépenses,
les caprices les plus ruineux. Quant au crédule Rohan, il voyait la reine aux
cérémonies, et toujours il cherchait à démêler dans ses regards un signe
d'intelligence, niais toujours elle l'accablait de son juste dédain. Quelque
temps après, les joailliers remarquèrent que Marie-Antoinette ne portait pas
le collier et s'étonnèrent de ne pas recevoir d'argent. Bœhmer lui écrivit
une lettre dans laquelle il lui disait « qu'il était heureux de la voir en
possession des plus beaux diamants connus en Europe, et qu'il la priait de ne
pas l'oublier. » La reine lut cette lettre tout haut, en présence de ses
femmes, ne put la comprendre, et n'y trouvant' qu'une énigme du Mercure,
» la jeta au feu[21]. Elle recommanda ensuite à
madame Campan de demander à &chiner l'explication de cette lettre, quand
elle- le rencontrerait. « A-t-il encore assorti quelques parures ? ajouta la
reine : J'en serais au désespoir : car je ne compte plus me servir de lui. Si
je veux changer la forme de mes diamants, je me servirai de mon valet de
chambre joaillier, qui n'aura pas même la prétention de me vendre un karat. »
Inquiet de n'avoir reçu aucune réponse, Bœhmer voyait madame Campan à sa
maison de campagne, et tout l'odieux mystère s'éclaircissait.
Marie-Antoinette alla aussitôt informer le roi de l'inexplicable démarche des
joailliers, montra par sa juste indignation qu'elle n'était pas la complice
du cardinal et demanda hautement justice. Louis XVI avait jadis proposé à son
épouse de lui donner ce collier, mais elle l'avait refusé, « ne voulant pas
qu'on pût lui reprocher dans le monde d'avoir désiré un objet d'un prix aussi
excessif[22]. » Il ne fut pas moins étonné
que la reine de l'abus de son nom, et promit de faire droit à ses plaintes.
Il appela le baron de Breteuil, nouveau ministre de sa maison, l'abbé de
Vermond, conseiller- intime de Marie–Antoinette, et le garde des sceaux. Dans
le désordre de ce conseil on résolut d'arrêter le cardinal de Rohan, mais la
reine obtint qu'il fût d'abord interrogé. Le grand aumônier est donc mandé dans
le cabinet intérieur du roi, le jour de l'assomption, au moment où, revêtu de
ses habits pontificaux, il allait se rendre à la chapelle. II se présente
avec confiance dans l'espoir, sans cloute, qu'il en sortirait ministre.
« Vous avez acheté des diamants à Bœhmer ? lui dit le roi. — Oui, Sire,
répond le cardinal. — Qu'en avez-vous fait ? — Je croyais qu'ils avaient été
remis à la reine. — Qui vous avait chargé de cette commission ? — Une dame de
condition, nommée la comtesse de La Motte–Valois, qui m'a présenté une lettre
de la reine ; et j'ai cru faire une chose agréable à Sa Majesté en me
chargeant de cette négociation. » — Alors la reine l'interrompit avec
vivacité et lui dit : « Comment, monsieur, avez-vous pu croire, vous à qui je
n'ai pas adressé la parole depuis quatre ans, que je vous choisissais pour
conduire cette négociation, et par l'entremise d'une pareille femme ? — Je
vois bien, répondit le cardinal, que j'ai été cruellement trompé ; je paierai
le collier. L'envie que j'avais de plaire à Votre Majesté m'a fasciné les
yeux : je n'ai vu nulle supercherie, et j'en suis fâché. » A ces mots il
sortit de sa poche un portefeuille, dans lequel était la lettre de la reine à
madame de La Motte, pour lui donner cette commission. Le roi la montrant au
cardinal, lui dit : « Ce n'est ni l'écriture de la reine, ni sa signature. Comment
un prince de la maison de Rohan et un grand aumônier de France a-t-il pu
croire que la reine signait Marie-Antoinette de France ? Personne n'ignore
que les reines ne signent que leur nom. Mais, Monsieur, continua le roi, en
lui présentant une copie de la lettre écrite à Bœhmer, avez-vous écrit une
lettre pareille à celle-ci ? » Le cardinal, après l'avoir parcourue des yeux
: « Je ne me rappelle pas l'avoir écrite. — Et si l'on vous montrait
l'original signé de vous ? — Si la lettre est signée de moi, elle est vraie.
» Le cardinal palissait, il était extrêmement troublé : « Remettez-vous,
monsieur le cardinal, reprit le roi avec bonté, reprenez vos sens ; et, si ma
présence et celle de la reine vous troublent, passez dans le cabinet suivant,
vous y serez seul : vous y trouverez du papier, des plumes et de l'encre ;
écrivez-y ce que vous avez à me dire. »
Le cardinal obéit, et, au bout d'un quart-d'heure, vint remettre au
roi un écrit aussi peu clair que ses réponses verbales[23]. Louis XVI exaspéré ordonna au
prélat de sortir. M. de Vergennes, le garde des sceaux et le maréchal de
Castries furent d'avis d'étouffer, à tout prix, cette dangereuse affaire,
dont les malveillants commentaires de la publicité rendraient- le scandale inévitable.
Mais la colère si légitime de Marie-Antoinette, ses, supplications, le
ressentiment de l'abbé de Vermond et la haine implacable du baron de Breteuil
contre le prince de Rohan, ne permirent point au conseil d'adopter le parti
que réclamait la prudence. Au
sortir de l'appartement du roi, le cardinal s'efforça de cacher son trouble
et de composer son visage. Il se promenait dans la galerie de Versailles, que
remplissaient les personnages de la cour, afin d'accompagner le roi à la
chapelle, lorsque le baron de Breteuil parut seul et dit d'une voix haute : «
Arrêtez M. le cardinal de Rohan. » Alors un jeune sous-lieutenant des
gardes-du-corps s'avança au milieu de la foule étonnée et arrêta le grand
aumônier. Cette exécution ne put néanmoins se faire si promptement, que le
cardinal ne trouvât le moyen, malgré son extrême embarras, d'écrire quelques
mots en allemand sur une carte qu'il fit passer, par un de ses heiduques, à
l'abbé Georgel, son grand vicaire et son confident intime, pour lui ordonner
de brûler toute la correspondance de madame de La Motte. Cet ordre fut
accompli sans délai, et « bientôt, dit l'abbé Georgel lui-même, le petit
portefeuille rouge fut à l'abri des recherches[24]. » Peu de temps après, arriva
un capitaine, le duc de Villeroy ; des gardes furent placés à la porte de Son
Éminence et deux officiers près de sa personne. Le baron de Breteuil et le
capitaine mirent ensuite le scellé sur ses papiers. Pendant cette opération
le roi écrivit de sa main à madame de Marsan et au prince de Soubise, parents
du cardinal, un billet, pour les prévenir de l'acte de rigueur qu'il était
forcé d'exercer, en les assurant cependant qu'il ne s'agissait d'aucun crime
contre l'État ou sa personne[25]. Le cardinal partit ensuite
pour Paris, escorté du comte d'Agoult, qui le conduisit à la Bastille. Dès
l'arrestation du prince Louis, madame de La Motte effrayée fit partir la
fille Oliva pour la Hollande, où la police ne tarda pas à la retrouver. Elle
brêla ensuite ses papiers et fut aidée dans cette opération par M. Beugnot. «
C'est là, rapporte ce dernier, qu'en portant mes regards sur une des mille
lettres du Cardinal de Rohan, j'ai vu avec pitié quel ravage avait fait chez
ce malheureux homme le délire de l'amour exalté par celui de l'ambition. Ces
lettres, de nos jours un homme qui se respecte le moins du monde pourrait
commencer de les lire, mais ne les achèverait pas. » Quelques heures
après la destruction de ces papiers, la comtesse était arrêtée par la
justice, jetée dans une voiture entourée d'exempts, et conduite aussi à la
Bastille ; et, le 18 août, son mari gagnait précipitamment l'Angleterre. Au
premier bruit de la détention du grand aumônier, la clameur fut universelle ;
le public se persuada que le cardinal de Rohan avait adressé à l'empereur les
moyens d'envahir subitement la Lorraine ; mais il fut bientôt détrompé.
Interrogé par le lieutenant général de police qui, sur l'ordre du baron de
Breteuil, avait apposé aussi le scellé sur les papiers de son palais, le
prélat refusa de répondre, disant qu'il ne le regardait pas comme partie
compétente pour de semblables fonctions. Le comte de Vergennes, le maréchal
de Castries et le baron de Breteuil se transportèrent alors à la Bastille, et
signifièrent, de la part du roi, au prisonnier, que, sous un délai de quatre
jours, il eût a opter d'être jugé, soit par le parlement, soit par une
commission, ou de recourir à la clémence du monarque. Le cardinal, d'après
l'avis de l'abbé Georgel, réclama le parlement pour juge, et, le 5 septembre
1785, des lettres patentes du roi traduisirent devant la grand'chambre de
cette cour souveraine, le cardinal de Rohan, la comtesse de La Motte-Valois,
et leurs complices, pour attentat à la majesté royale[26]. Moment funeste ! où Louis XVI
consentit à répandre sur cette scandaleuse intrigue l'éclat d'un débat
judiciaire[27]. Quelques
jours après, le clergé réuni sous la présidence de l'abbé de Dillon,
archevêque de Narbonne, revendiqua le droit de l'accusé, d'être jugé par ses
pairs et par son ordre. Rohan qui avait d'abord réclamé lui-même la
juridiction du parlement, protesta et demanda d'être renvoyé devant
l'autorité ecclésiastique. Pendant l'instruction du procès, le pape pie VI,
eu consistoire, suspendit ce prince des prérogatives du cardinalat pour avoir
reconnu un tribunal étranger et séculier. Mais lorsqu'il eut été informé
qu'il avait fait les protestations d'usage, il le réintégra dans tous les
droits et honneurs de la pourpre romaine. Louis XVI n'accueillit point la
demande du clergé, et la procédure suivit son cours devant le Parlement, plus
irrité de son affront de 1771 que reconnaissant de la réparation. Malgré les
ménagements que l'on dut avoir pour le rang du cardinal, c'était un spectacle
bien déplorable de voir un prince de l'Église impliqué dans l'affaire la plus
honteuse avec un charlatan, des escrocs et une courtisane, et réduit à se
donner pour leur dupe imbécile. Ce
procès du collier, où l'honneur de la reine était évidemment engagé, se
prolongea neuf mois entiers. Le prince de Rohan parut de bonne foi aux juges-interrogateurs
qui ordonnèrent des recherches non interrompues pour découvrir la vérité.
Attaquée avec toute l'habileté de l'instruction criminelle et du palais, la
comtesse de La Motte présenta comme véritable l'entrevue nocturne dans le
parc de Versailles, l'apparition de la reine en personne. Pour servir tout à
la fois sa haine et sa vengeance, elle déclara que le comte de Cagliostro
était l'auteur de l'escroquerie du collier, et le désigna comme seul complice
du cardinal. Sur cette déclaration, appuyée de mille faussetés malheureusement
trop vraisemblables, quoique très-absurdes, Cagliostro fut arrêté par ordre
du procureur général. On trouva chez lui des creusets, des fourneaux et
beaucoup de ces objets qui révèlent un alchimiste. Mais cet étrange
personnage soutint qu'il était chimiste seulement, et, qu'en qualité de
médecin, de pareilles occupations ne devaient point paraître étonnantes. La
comtesse de La Motte persistait dans son adroit système de diffamation,
lorsque la vérité se fit jour à travers les plus épais nuages. Dans
ses moments de besoin et de détresse, elle avait su inspirer de la
commisération à un jeune religieux, le Père Loth, procureur des Minimes de la
place Royale. Elle en avait souvent reçu des secours, et, touchée de ses
bontés, l'avait, par suite, initié aux secrets de sa fortune, qu'elle
attribuait à la reine et au Cardinal de Rohan, puis bientôt admis dans la
plus intime familiarité. Mais, pressé par sa conscience et méprisant son
intérêt personnel, ce religieux vint trouver le procureur général et lui fit
des révélations d'une extrême importance. « Monseigneur, lui dit-il, je
vais vous parler avec tout l'abandon et toute la sincérité d'une âme qui
connaît ses fautes. J'ai demandé pardon à Dieu et à mon supérieur d'une
irrégularité de conduite que ma jeunesse elle-même ne saurait excuser. Mais
si ma conduite n'a pas été ce qu'elle devait être selon mon état, mon cœur
est demeuré fidèle à mes autres devoirs, et je préfère me nuire à moi-même
aujourd'hui que de taire plus longtemps ce qui doit justifier la reine devant
tout son peuple. « Les
circonstances que vous allez connaître, Monseigneur, m'ont lié avec madame la
comtesse de La Motte. Cette dame trompe la justice comme elle a trompé
monsieur le cardinal. Madame de La Motté a préparé, exécuté elle-même toute
la scène du bosquet : _et, je déclare avoir vu, de mes propres yeux, dans son
hôtel, la jeune personne chargée du rôle important que le public ne saurait
pénétrer ni comprendre. » A la
demande du procureur général, qui le pria de lui expliquer comment il avait
été à même de fréquenter la maison de madame de La Motte, le religieux reprit
: « Ayant
désiré très-vivement de prêcher à la cour, afin d'avoir le titre de
prédicateur du roi, je soumis un de mes sermons à M. le cardinal,
grand-aumônier de France. Les secrétaires du prince trouvèrent cette
composition trop faible ; mais un de ces messieurs me conseilla de m'adresser
à la comtesse de La Motte, comme ayant un absolu pouvoir sur l'esprit de
monsieur le cardinal. Cette clame m'accueillit, m'accorda sa protection, me
fit avoir un bon discours, composé par un homme de lettres ; fit accepter cet
ouvrage à la grande aumônerie, et m'obtint facilement l'honneur de prêcher
devant le roi. » «
L'hôtel de La Motte, situé place Royale, est dans notre voisinage : la
comtesse décida que j'y viendrais fréquemment ; et j'étais, puisqu'il faut
l'avouer, un de ses convives les plus assidus. Un jour, à dîner, une jeune
personne, extrêmement remarquable, fixa l'attention des invités, peu
nombreux. On admira les grâces particulières de cette inconnue, et je me
ressouviens que sa grande ressemblance avec la reine causa surtout notre
étonnement. « Après
le repas, on s'occupa de sa seconde toilette, et je n'ai pas oublié qu'elle
apparut au salon avec la manie coiffure de la reine, et un négligé plein
d'élégance qui augmentèrent encore l'illusion. J'ai su depuis que l'on était
parti aussitôt pour Versailles, et que cette belle personne avait été choisie
au Palais-Royal, où le carrosse allait la prendre et la ramener vers le soir[28]. » Sur
l'ordre du procureur général, le religieux comparut devant madame de La Motte
; il y soutint son récit avec l'assurance du discours et tout le courage de
la probité. La
principale actrice du parc, la fille Oliva, confrontée au Père Loth et à la
comtesse, s'avoua coupable du rôle indécent et hardi que lui avaient imposé
les époux La Motte. Elle ajouta, avec larmes, qu'en se prêtant à cette scène
nocturne, elle avait cru obéir à la reine ; mais que les contradictions fréquentes
de la daine La Motte lui avaient bientôt ouvert les yeux. Cette
confrontation, dans laquelle on avait pu voir sou extrême embarras, n'empêcha
point la comtesse de soutenir encore obstinément que le cardinal avait remis,
en sa présence, les diamants du collier à un valet de pied de la reine. Mais
une lettre du lord-maire de Londres informa le baron de Breteuil que la
police anglaise avait découvert dans Londres même le comte de La Motte
vendant les diamants aux joailliers de la cité. » Milord donnait les noms des
acquéreurs et jusqu'au détail des sommes comptées par chacun d'eux[29]. » Pour combler le malheur de
cette intrigante, un certain Rétaux de Villette, l'auteur des fausses lettres
de la reine, se laissa prendre à Genève. Cet homme fut conduit à la Bastille
'et confronté aussi à la perfide La Motte, qui resta frappée comme d'un coup
de foudre à cet aspect imprévu. Elle comprit qu'elle était perdue malgré son
effronterie naturelle. Cependant
les ennemis de Marie-Antoinette s'efforçaient de tirer parti des moindres
apparences et de présenter sous le plus faux jour son innocence dans cette
funeste intrigue. Ses partisans, de leur côté, conduisirent l'affaire avec
une maladresse qui donna encore lieu à des soupçons outrageants. Ils mirent tout
en œuvre pour perdre le cardinal, mais leur acharnement tourna l'opinion en
sens inverse, rendit intéressant et populaire ce prélat couvert de dettes
malgré son immense fortune, et que les scandales de sa vie avaient depuis
longtemps condamné au mépris. On croyait que la cour cherchait à rejeter hors
du débat la comtesse de La Motte, et cependant le baron de Breteuil eut le
tort impardonnable de se mêler dans les démarches pour lui trouver un
défenseur[30]. Les Rohan, il faut l'avouer
aussi, ne montrèrent pas plus de retenue que ce ministre. Ils entraînèrent
avec eux les Condé, devenus leurs alliés par le mariage du prince de Condé
avec une princesse de leur famille, portèrent partout leurs plaintes, ne craignirent
pas de répandre de l'argent et de recourir aux moyens les plus honteux[31]. Quelques conseillers du
parlement, tels que les Morangis, les d'Outremont, les Fréteau, les Robert
Saint-Vincent, les Hérault de Séchelles, dévoués à leurs intérêts avec toute
l'ardeur de l'esprit de parti, les instruisirent de certaines particularités
dont la connaissance leur fut de la plus grande utilité. On vit même ces
illustres parents de l'accusé, les princes et les princesses des maisons de
Condé et de Rohan, prendre des habits de deuil, et former la haie sur le
passage de Messieurs de la Grand'Chambre, pour les saluer lorsqu'ils se
rendaient au Palais, les jours de séances, et « des princes du sang se
déclarer en sollicitation ostensible contre la reine de France[32]. » L'arrêt
fut enfin rendu le 31 mai 1786, après une séance de dix-heures. Malgré les
conclusions sévères[33] du procureur général, Joly de
Fleury, le parlement, à la majorité de cinq voix, déchargea Louis-René-Édouard
de Rohan des accusations contre lui intentées, mais condamna Jeanne de
Saint-Rémy de Valois de La Motte et son mari contumace à être fouettés et
marqués par le bourreau, puis à être envoyés, pour le reste de leurs jours,
la femme à la Salpêtrière, le mari aux galères. Le faussaire Rétaux de
Villette fut banni à perpétuité, la fille Oliva mise hors de cause, et le
fameux thaumaturge Cagliostro, acquitté comme le cardinal. Par ce jugement,
la magistrature préludait à la résistance qu'elle devait bientôt opposer à
l'autorité royale. Tous les parlementaires, ennemis de la cour, entre autres
d'Esprémesnil, avaient abusé de leur influence pour soustraire le prince de
Rohan aux admonitions juridiques que méritaient au moins le scandale de sa
conduite, ses sentiments ambitieux et peut-être même ses espérances coupables[34]. La
foule immense qui entourait le palais et inondait les rues avoisinantes, dès
cinq heures du matin, accueillit avec une joie délirante et aux cris de vive
le parlement ! vive le cardinal ! cet arrêt injurieux pour le trône.
Ajoutons que cet arrêt excita dans toute la France une émotion
extraordinaire. Quant à la reine, elle en parut profondément affligée. « Venez,
dit-elle avec larmes à madame Campan, venez plaindre votre reine outragée et
victime des cabales de l'injustice... L'intrigant qui a voulu me perdre, ou
se procurer de l'argent en abusant de mon nom et prenant ma signature, vient
d'être pleinement acquitté[35]. » Louis XVI partagea
sincèrement la douleur de son épouse, et vit avec la même indignation
l'honneur et la majesté du trône compromis dans le triomphe du cardinal. Cette
malheureuse affaire du collier, que des historiens appellent la première
journée de la révolution, se termina comme elle aurait du commencer, par la disgrâce
de Rohan. Douze heures après sa sortie de la Bastille, il reçut du roi
l'ordre de lui remettre sa démission de la grande aumônerie, sa décoration du
Saint-Esprit et une lettre de cachet, qui l'exilait dans son abbaye de la
Chaise-Dieu, au fond de l'Auvergne. Ses partisans et la haute noblesse ne craignirent
pas de dire « qu'il pouvait mettre pour légende à ses armes les paroles de
François Ier : Tout est perdu fors l'honneur[36]. » Nul
doute que dans cette longue et tortueuse intrigue, inventée pour humilier le
trône et la princesse qui s'y trouvai assise, Marie-Antoinette ne fût
innocente ; la vente, qui Fa vengée, est aujourd'hui connue de tout le monde.
La postérité, nous l'espérons, flétrira un jour ceux des historiens qui ont
osé porter contre la vertueuse épouse des accusations pleines d'absurdités et
d'immondes calomnies. Mais Louis XVI et quelques-uns de ses ministres
manquèrent à toutes les règles de la prudence en laissant dérouler, pendant
neuf mois entiers, les détails de ce procès auquel était mêlé le nom de la
reine. Cette affaire, sur laquelle des dépositions et des aveux avaient
répandu la lumière et l'évidence, quoiqu'en puissent dire encore aujourd'hui
les révolutionnaires, révéla cependant les fâcheuses dispositions de
l'opinion publique. Jusque-là égarée par des haines et des factions de cour,
cette opinion se montra plus cruelle et plus injuste que jamais envers la
fille des Césars, d'ailleurs si bonne et si bienveillante, mais folle
d'élégants plaisirs et de fêtes qui prétendait vivre à Versailles comme ses
pères vivaient à Vienne et rester allemande. A partir de ces scènes de
tristesse et d'amertume, une haine invisible et persévérante désola
l'existence de Marie-Antoinette. D'infâmes libelles, œuvre d'une implacable
inimitié, née, dit-on, aux pieds mêmes du trône, inondèrent les villes et les
campagnes, se multiplièrent dans la demeure royale et bravèrent toutes les
recherches[37]. Dès cette époque sinistre
disparurent les jours fortunés de la reine ; adieu pour jamais aux paisibles
et modestes voyages de Trianon, aux fêtes ou elle ne voulait voir que des
sourires autour d'elle, « où brillaient à la fois la magnificence, l'esprit
et le bon goût de la cour de France ; adieu surtout à cette considération, à
ce respect dont les formes accompagnent le trône, mais dont la réalité seule
est la base solide[38]. » Le
comte de La Motte, ainsi que nous l'avons vu, avait pris la fuite en
Angleterre pour se dérober au châtiment qui l'attendait. De cet asile
inviolable, il osa menacer la cour d'un mémoire violent, si on ne lui rendait
pas son épouse. La cour, soit qu'elle craignit la publicité de cette pièce,
soit qu'elle trouvât trop sévère la punition infligée à cette femme, hésitait
à la livrer au bourreau ; elle agita même la question de commuer sa peine,
que les magistrats regrettaient de n'avoir pu étendre. Mais le comte de
Vergennes et le maréchal de Castries firent comprendre le danger auquel on
s'exposerait en fournissant un nouvel aliment à l'irritation de l'opinion
publique. Le parlement reçut donc, au bout de quelques jours de délai, la
permission de faire exécuter son arrêt à l'égard de la comtesse de La Motte.
Ce fut en poussant des imprécations, au milieu d'inexprimables accès de rage
et des plus violentes convulsions, que la condamnée subit son affreux
supplice. On la transporta furieuse, ensanglantée, demi-nue, de la
conciergerie à la Salpêtrière. Une femme ignorante et fanatique, la supérieure de cet hôpital, se prit d'un attachement et d'une compassion sans bornes pour cette méprisable intrigante. Elle osa représenter sa prisonnière comme une déplorable victime des volontés de la reine, et lui permit de recevoir des visites dans ce lieu destiné aux expiations. Deux ans après, la condamnée parvint à s'évader et passa en Angleterre où le méprisable Calonne lui fit écrire ses Mémoires, qui ne sont qu'un long outrage à l'épouse de Louis XVI. On prétend que le gouvernement facilita sa fuite[39]. « Cette nouvelle faute confirma les Parisiens dans l'idée que cette vile créature, qui n'avait pu pénétrer jusqu'au cabinet des femmes de la reine, avait réellement intéressé cette infortunée princesse[40]. » |
[1]
Monthyon, Ministres des finances, p. 272.
[2]
« Ses administrateurs avaient engagé la meilleure part de son numéraire dans
des opérations étrangères à sa vraie destination, ce qui fit que les six
millions suffirent à l'épuiser. » (Mirabeau, Mémoires, t. IV, p. 221.)
[3]
« Il sortit de la cour comme il y était entré, avec l'estime de son souverain
et de ses concitoyens. » (Histoire de la révolution française, par deux
amis de la liberté (Kerverseau et Clavelin jusqu'au t. 7), t. I, p. 14. Edit.
in-18, Paris, Garnery, libraire, 1792.)
[4]
Droz, t. I, p. 308.
[5]
Suivant quelques écrivains, Marie-Antoinette aurait proposé au roi M. de
Calonne pour contrôleur général. Nous adoptons l'opinion contraire avec Madame
de Staël et Madame Campan.
« Sa réputation (celle de M. de Calonne) fondée par les
femmes, avec lesquelles il avait passé sa vie, l'appelait au ministère. Le roi
résista longtemps à ce choix, parce que son instinct consciencieux le
repoussait. La reine partageait la répugnance du roi quoiqu'elle fût entourée
de personnes d'un avis différent : on eût dit qu'ils pressentaient l'un et
l'autre dans quel malheur un tel caractère allait les jeter. » (Madame de
Staël, Considérations sur les principaux événements de la révolution
française, 1re partie, chap. IX, p. 58-59, édit. Charpentier, in-12.)
« Après MM. Joly de Fleury et d'Ormesson, faibles
contrôleurs généraux, on fut obligé de recourir à un homme d'un talent plus
reconnu, et les amis de la reine, réunis en ce moment au comte d'Artois, et,
par je ne sais quel motif, à M. de Vergennes, firent nommer M. de Calonne. La
reine en eut un déplaisir extrême, et son intimité avec la duchesse de Polignac
commença à en souffrir. » (Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. X, p.
261.)
[6]
« La reine n'ayant pu empêcher la nomination de M. de Calonne, ne déguisa pas
assez le mécontentement qu'elle en avait ; elle dit même un jour chez la
duchesse au milieu des partisans et des protecteurs de ce ministre, que les
finances de la France passaient alternativement des mains d'un honnête homme
sans talent, dans celles d'un habile intrigant. » (Madame Campan, Mémoires,
t. Ier, chap. XI, p. 268.)
[7]
Monthyon, Ministres des finances, p. 279.
[8]
« MM. de Breteuil et de Calonne furent chargés de traiter l'affaire de
l'acquisition de Saint-Cloud avec M. le duc d'Orléans et l'on crut d'abord
qu'elle serait faite par de seuls échanges : la valeur du château de Choisy, de
celui de la Muette et d'une forêt, formait la somme demandée par la maison
d'Orléans, et, dans cet échange dont la reine se flattait, elle ne vit qu'une
économie à obtenir au lieu d'une augmentation de dépense. On supprimait par cet
arrangement le gouvernement de Choisy, qu'avait le duc de Coigny, et celui de
la Muette, qui était au maréchal de Soubise. On avait de même à supprimer les
deux conciergeries et tous les serviteurs employés dans ces deux maisons
royales ; mais pendant qu'on traitait cette affaire, MM. de Breteuil et de Calonne
cédèrent sur l'article des échanges, et plusieurs millions en numéraire
remplacèrent la valeur de Choisy et de la Muette.....
« La reine fut très mécontente de la manière dont cette
affaire avait été traitée par M. de Calonne. » (Madame Campan, Mémoires,
t. Ier, chap. XI, p. 272-275.)
[9]
Monthyon, Particularités sur les ministres des finances, p. 296. —
Soulavie, Mémoires du règne de Louis XVI, t. VI, p. 115.
[10]
Lacretelle, Histoire du dix-huitième siècle, t. VI.
[11]
Madame Campan, Mémoires, t. Ier, chap. XI, p. 278.
[12]
« Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce, disait Beaumarchais lui-même,
c'est le succès. » A la soixante-deuxième représentation, il y avait autant de
monde qu'à la première.
[13]
M. Louis Lacour, écrivain peu favorable à Marie-Antoinette, semble n'avoir pas
connu les motifs sérieux qu'avait cette princesse de ne pas aimer le cardinal.
Voici ce qu'il dit dans son Affaire du collier, placée en tête des Mémoires
inédits du comte de La Motte-Valois :
« Marie-Antoinette se montrait hostile au cardinal pour
diverses raisons peu connues, et que sans doute, elle ne s'expliquait pas
elle-même. Elle s'était, dès son mariage, trouvée en rapport avec Rohan, et,
depuis, l'avait pris en grippe, comme une enfant, par instinct. C'était, ce
semble, plutôt habitude de l'éviter que haine réfléchie ; étourderie de jeune
princesse, caprice de jolie femme. »
[14]
Mémoires du comte Beugnot, Revue française, septembre, 1838.
[15]
Voir la note 7 à la fin du volume.
[16]
L'abbé Georgel, Mémoires.
[17]
Mémoire pour le comte de Cagliostro, contre M. le procureur général
accusateur, dans la collection des Mémoires relatifs à l'affaire du
collier.
[18]
Lafont d'Aussonne, chap. XVIII, p. 79.
[19]
Mémoire remis à la reine, le 12 août 1785 ; pièces justificatives du
compte rendu, p. 21.
[20]
L'abbé Georgel. Mémoires.
[21]
« La reine a, depuis, beaucoup regretté ce placet énigmatique. » (Madame
Campan, Mémoires, t. II, chap. XII, p. 7).
[22]
Mémoires de madame Campan, t. II. p. 5.
[23]
Mémoires de madame Campan, t. II, p. 13-15, et 282-283.
[24]
Mémoires secrets, t. XXIX, p. 199, année 1785. — Voir la note 8 à la fin
du volume.
[25]
Mémoires secrets, t. XXIX.
[26]
Voir la note 9 à la fin du volume.
[27]
Voir la note 10 à la fin du volume.
[28]
Lafont d'Aussonne, chap. XVII, p. 73-76. - L'abbé Georgel, Mémoires, t.
II.
[29]
Lafont d'Aussonne, chap. XIX, p. 81.
[30]
Mémoires du comte Beugnot, Revue française, p. 259.
[31]
Voir la note 11 à la fin du volume.
[32]
Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 286. - Voir la note 12 à la fin du
volume.
[33]
Ces conclusions portent, contre le cardinal : « Qu'il sera tenu de déclarer à
la chambre, en présence du procureur général, que témérairement il s'est mêlé
de la négociation du collier, sous le nom de la reine ; que, plus
témérairement, il a cru à un rendez-vous nocturne à lui donné par la reine :
qu'il demande pardon au roi et à la reine en présence de la justice ;
Tenu de donner, sous un temps déterminé, la démission
de sa charge de grand-aumônier ;
Tenu de s'abstenir d'approcher, à une certaine
distance, des maisons et des lieux où serait la cour ;
Tenu de garder prison jusqu'à l'exécution pleine et
entière de l'arrêt. » (Mémoires de la république des lettres, vol.
XXXII.)
[34]
« C'était par les femmes, et à raison des sommes considérables qu'elles avaient
reçues, que les plus vieilles et les plus respectables avaient été séduites. »
(Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 291.)
[35]
Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 288.
[36]
« La haute noblesse jette feu et flammes contre le despotisme exercé envers le
cardinal de Rohan. On sait que madame de Marsan s'est jetée aux genoux de la
reine, pour qu'il ne fût pas dans le lieu où il est exilé... Sa Majesté a
répondu : « Qu'il fallait que le cardinal se soumît aux ordres du roi. »
« On ajoute que Madame de Marsan, très-mécontente, dit
à la reine : « Que ce refus lui faisait connaître combien sa personne était
désagréable à Sa Majesté, et qu'en conséquence c'était la dernière fois qu'elle
avait l'honneur de se présenter devant elle. » (Mémoires secrets pour servir
à l'histoire de la république des lettres, t. XXXII, 9 juin 1786.)
[37]
« Les pamphlets injurieux à Marie-Antoinette se multiplièrent. La noblesse de
province, les gros fermiers, les riches bourgeois les reçurent par la poste,
gratuitement et affranchis ; et l'hôtel des Monnaies de Strasbourg mit en
émission des louis d'or abominables. » (Lafont d'Aussonne, chap. XIX, p. 83).
[38]
Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 291.
[39]
Ce n'est pas l'opinion de M. Lafont d'Aussonne. Voici ce qu'il dit à la page 8S
des mémoires que nous avons déjà cités : « Une longue échelle, introduite à la
Salpêtrière, et appliquée, la nuit, contre les murs de la prison, facilita
l'évasion de la comtesse, et le public sut, à n'en pouvoir douter, que cette
violation coupable avait eu pour exécuteurs les gens mêmes du cardinal et de la
maison de Soubise. »
[40]
Madame Campan, Mémoires, t. II, p. 287.