Mort de l'électeur de
Bavière. — Contestations au sujet de la succession de ce prince. — Guerre
entre la Prusse et l'Autriche. — Négociations secrètes entre Marie-Thérèse et
Frédéric II. — Mécontentement de Joseph II. — Ses efforts pour contrarier les
vues pacifiques de sa mère. — Médiation de la France et de la Russie. — Paix
de Teschen. Satisfaction de Marie-Thérèse. — Joseph II, mécontent de la
conduite de la France, se rapproche de l'Angleterre. —Efforts du roi de
Prusse pour empêcher l'élection de l'archiduc Maximilien aux coadjutoreries
de Cologne et de Munster. — Entrevue de l'empereur avec Catherine II, à
Mohiloff. — Joseph II à Saint-Pétersbourg. — Frédéric II perd son influence
en Russie. — L'archiduc Maximilien nommé coadjuteur de Cologne et de Munster.
— Maladie de Marie-Thérèse. — Fermeté héroïque et résignation chrétienne de
cette princesse. — Sa mort. — Regrets de ses sujets. — Funérailles de
Marie-Thérèse. — Ses enfants.
Joseph
II était à peine de retour du voyage qu'il avait fait en France, lorsque la
mort de l'électeur Maximilien-Joseph III de Bavière, qui ne laissait point de
postérité masculine, parut offrir à la maison d'Autriche l'occasion d'un'
nouvel agrandissement (30 décembre 1777). Avec ce prince s'éteignait la branche mâle de
Louis et de Guillaume de la maison de Wittelsbach. D'après les pactes de
famille de Pavie et ceux qui suivirent et qui furent confirmés en 1774, son
héritage, excepté les terres allodiales, revenait à l'électeur palatin
Charles Théodore, de la branche de Rodolphe. Marie-Thérèse et l'empereur son
fils n'en élevèrent pas moins, à différents titres,
des prétentions sur près de la moitié de la succession vacante, et la cour de
Vienne fit aussitôt marcher ses troupes vers les frontières de la Bavière.
Comme elle avait gagné les ministres de l'électeur décédé, elle se mit
facilement en possession des États qu'elle revendiquait. Charles-Théodore
adressa des réclamations, et se rendit à Munich où il fut reçu avec amour par
le peuple. Mais il parut bientôt qu'il était déjà entré en accommodement. Le
3 janvier 1778 son ministre avait signé, et lui-même ratifia le 15 de ce
mois, une transaction qui, en sacrifiant une partie de la succession, lui
assurait la paisible possession du reste. Il avait ainsi abandonné, sans
aucun scrupule, les intérêts de ' son neveu, le duc de Deux-Ponts, son
héritier présomptif. La cour
de Vienne, espérant le concours de la France, envoyant la Russie engagée dans
des contestations avec les Turcs au sujet de la Crimée, l'Angleterre
entièrement occupée de l'insurrection de ses colonies d'Amérique, Frédéric II
affaibli par les années et les infirmités, regardait le succès comme assuré.
A l'ombre des lauriers dont son front était couvert, le roi de Prusse
s'attachait, il est vrai, depuis quinze ans, à préserver ses États du fléau
de la guerre, et à leur procurer une longue prospérité par une sage
administration, mais il n'avait pas envie pour cela de rester spectateur
inactif. Il avait entrevu, dans la convention du 3 janvier, des projets qui
pouvaient menacer l'existence de la constitution germanique et la sûreté de
la monarchie prussienne, et déjà il était d'accord avec les cours de
Versailles et de Saint-Pétersbourg. Fidèle à son système, la première ne
voyait point avec indifférence l'accroissement de la puissance autrichienne,
et elle désirait avec ardeur de l'empêcher. La seconde se laissa persuader
qu'elle était intéressée à prévenir tout changement quelconque dans le corps
germanique. Dès que le rusé monarque fut sûr de l'une et de l'autre. Il
engagea le duc de Deux-Ponts à réclamer l'assistance de la Prusse et de la
France, à refuser son consentement à la convention et à protester devant la
diète (16
mars). Alors
Frédéric, se montrant comme protecteur des libertés de l'Allemagne, soutint
l'indivisibilité de la Bavière d'abord par des mémoires et des manifestes. La
cour de Vienne répondit, et durant la discussion de cette affaire, qui fut à
la fin portée devant la diète de l'empire, on fit des deux côtés des
préparatifs de guerre. A tous les faits allégués par le roi de Prusse,
l'impératrice-reine opposa ce lieu commun qu'il était loisible à deux parties
litigantes de s'arranger comme elles le jugeaient à propos, et que le
différend entre l'Autriche et l'électeur palatin ayant été terminé par une
transaction, il n'était pas permis à un tiers de s'ériger en juge entre eux. Jusque-là,
Joseph avait paru fort modéré et disposé même à entrer dans les idées de
Frédéric, mais il n'avait agi ainsi que pour gagner du temps afin de
rassembler des troupes. Dès qu'il se crut en état de pouvoir lutter avec
quelques chances de succès contre les forces prussiennes, il déclara qu'il ne
permettrait jamais qu'un prince de l'empire se fît juge ou tuteur d'un autre
; qu'il saurait se défendre et même attaquer celui qui en aurait la témérité.
Les effets répondirent à ce langage ; il se rendit aussitôt à l'armée, et
pour ne pas se laisser retenir sur l'arrière-plan comme dans la dernière
guerre, il prit lui-même le commandement des troupes, ayant le feld-maréchal
Lascy sous ses ordres[1]. Marie-Thérèse
désirait sincèrement le maintien de la paix, ou, si elle était forcée de
soutenir par les armes l'ambition de son fils et l'opiniâtreté de son
ministre, le prince de Kaunitz, qui n'étaient pas disposés à céder, elle ne
voulait pas attaquer, la première, afin de pouvoir réclamer l'assistance de
la France. Des négociations s'ouvrirent par conséquent entre les deux cours ;
mais elles se prolongèrent sans résultat jusqu'à la fin de juin, et le 3
juillet suivant, le roi de Prusse les déclara rompues. La guerre était ainsi
devenue inévitable. Au
milieu des préparatifs et des armements continués de part et d'autre, la cour
de Vienne réclama de celle de Versailles le secours de 24.000 hommes, stipulé
par l'alliance de 1756. Mais la France avait signé récemment un traité
d'amitié avec les colonies de l'Amérique du nord révoltées contre
l'Angleterre, et elle craignait d'être impliquée à la fois dans une guerre
d'outre-mer et dans une autre en Allemagne. Le comte de Vergennes observa
avec raison que les possessions garanties par le traité à Marie-Thérèse
n'étaient pas contestées, et que la guerre avait pour objet des acquisitions
dont les titres étaient parfaitement ignorés à l'époque de la conclusion de
l'alliance ; enfin que rien n'autorisait l'Autriche à regarder cette alliance
comme un moyen d'agrandir ses États. Docile aux conseils de son ministre,
Louis XVI se déclara pour la neutralité, afin de ne pas s'opposer à
l'Autriche, faisant une convention avec la Bavière, et d'empêcher que la
Prusse ne formât une ligue de princes protestants qui pût causer des
inquiétudes à la France ; il offrit aussi sa médiation. Depuis
le mois de mars des armées formidables étaient rassemblées en Bohême' et en
Silésie. Joseph II, assisté du feld-maréchal Lascy, et brûlant d'envie
d'acquérir de la gloire militaire, occupa, avec 100.000 hommes, la célèbre
position de Konigsgratz, derrière les rives escarpées de l'Elbe, position que
rendaient presque inexpugnable divers travaux. et
des inondations. Le duc Albert de Saxe-Teschen, ayant sous ses ordres le
feld-maréchal comte Haddick, protégeait avec 30.000 hommes la Moravie. Le
maréchal Loudon avec 20.000 hommes devait défendre les frontières de la Saxe
et de la Lusace. Le roi
de Prusse commença les hostilités par son entrée dans la Bohême, le 5
juillet. Il occupa Nachod, s'avança jusqu'à l'Elbe
et assit son camp vis-à-vis Celui de l'empereur. Une autre armée de Prussiens
et de Saxons, que commandait le prince Henri, se plaça avec de grandes
difficultés au bord de l'Isar, en face de London, pendant qu'un troisième
corps prussien couvrait la Silésie. Une lutte terrible entre 400.000 hommes,
munis d'une nombreuse artillerie, était sur le point d'éclater. Marie-Thérèse
seule s'opposait à une nouvelle guerre. La mort de l'électeur de Bavière lui
avait causé les plus vives alarmes, et elle priait l'empereur et le prince de
Kaunitz d'examiner ses droits avec calme et impartialité, et de se bien
convaincre qu'ils fussent légitimes, avant de faire occuper aucune partie de
la succession. La fougue de Joseph l'avait emporté sans avoir entièrement
détruit les dispositions pacifiques de sa mère. Lorsque
l'armée prussienne eut pénétré en Bohême, l'impératrice-reine s'efforça
d'entamer, à l'insu de son fils, de nouvelles négociations avec Frédéric II.
Elle lui envoya, sous un caractère supposé, le baron de Thugut, qu'elle
chargea de dire en propres termes à ce prince qu'elle était désespérée de
voir qu'ils fussent sur le point de s'arracher l'un à l'autre leurs cheveux
que l'âge avait blanchis. Ses vœux étaient de conclure la paix à des
conditions raisonnables. « Mon âge, écrivait-elle encore au roi, et mes
désirs pour la conservation de la paix sont généralement connus, et je n'en
puis donner une preuve plus éclatante que la démarche que je fais
aujourd'hui. Mon cœur maternel est très-affligé de voir deux de mes fils et
un beau-fils à l'armée ; cette démarche, l'empereur l'ignore, et je vous prie
de la tenir secrète, quelle qu'en soit l'issue. Je désire que les négociations
conduites par l'empereur, et interrompues, à mon grand déplaisir, soient
reprises pour être menées à bonne fin. » Frédéric,
dont l'âge et les maladies avaient diminué l'ardeur belliqueuse, accepta la
proposition en assurant l'impératrice que dans l'intervalle qui s'écoulerait
jusqu'à ce que la réponse arrivât, il voulait prendre de telles mesures, que
Sa Majesté ne devait avoir rien à craindre pour ses fils et encore bien moins
pour l'empereur, qu'il aimait et estimait, quoiqu'ils ne fussent pas d'accord
dans leurs principes au sujet des affaires d'Allemagne. Le jour de cette
réponse, le roi fit donner à la diète, par le ministre de Brandebourg, une
déclaration sur les affaires de la succession et sur les motifs qui
l'obligeaient à s'opposer à un démembrement de la Bavière. La négociation
n'eut cependant pas un succès plus heureux que la précédente.
L'impératrice-reine en fut profondément affligée. Quand Joseph en fut
instruit, il contraria tous les efforts de sa mère pour mettre un terme aux
hostilités. Elle lui envoya, par le comte de Rosenberg, un nouveau plan de
pacification. L'empereur refusa positivement de reprendre les négociations
tant que les armées seraient en campagne. Il ne craignit pas de témoigner son
vif déplaisir à Marie-Thérèse, et trouva honteuses les conditions qu'elle
avait proposées. Il alla même jusqu'à menacer, si elle faisait la paix, de se
retirer à Aix-la-Chapelle, et de rétablir dans cette ville l'ancienne
résidence des empereurs. Ce
langage, affligea l'impératrice-reine ; elle envoya le grand-duc de Toscane à
l'armée pour apaiser Joseph ; mais cette mission n'eut d'autre résultat que
de désunir les deux frères, qui jusqu'alors avaient vécu dans un accord
parfait[2]. Enfin l'empereur écrivit au
roi de Prusse une lettre où il le provoquait avec dédain et dont le ton était
bien différent de celui qui avait été mis en usage dans leur correspondance.
A ces contrariétés qu'éprouvait Marie-Thérèse de la part de son fils, se
joignaient les reproches du prince de Kaunitz, qui blâmait son désir extrême
de' mettre fin à la guerre. Persuadé que Frédéric désirait la paix, il
soutenait qu'en déployant plus de fermeté elle obtiendrait des conditions
plus avantageuses. Les
négociations furent de nouveau rompues le 15 août. Dans l'intervalle,
Frédéric écrivit son Éloge de Voltaire, et les Autrichiens donnèrent à leurs
préparatifs de défense un plus haut degré de perfection. Dans ces
circonstances les deux parties belligérantes n'osèrent rien entreprendre.
Joseph continua d'occuper sa position, où il était impossible de l'attaquer.
Le roi de Prusse éprouva un grand mécontentement de n'avoir pas suivi son
premier plan d'attaque, lorsque tout lui promettait un succès certain. Il
accusa l'empereur d'avoir empêché, la réussite des négociations. Celui-ci se
plaignait du roi, qui, suivant lui, avait l'art de trouver des amis autour du
trône de sa mère. Après s'être appliqué à traverser tous ses efforts pour
éviter une lutte sanglante, obéit à contre-cœur aux ordres qu'elle, lui
donna. « Elle l'avait privé, écrivait-il, de l'occasion de prouver que dans
le danger il pouvait aussi bien être général que Frédéric l'Unique[3]. » Les
deux armées allaient manquer de vivres, et la saison trop avancée ne leur
permettait pas de continuer ¢la campagne ; il fallut °penser à la retraite.
Le prince. Henri effectua la sienne dans le plus grand ordre et rentra en
Saxe. Celle de Frédéric ne se fit qu'avec de nombreuses difficultés, mais
elle obtint l'admiration même des Autrichiens, il se replia 'sur la Silésie.
L'hiver se passa en escarmouches ; les troupes impériales gagnèrent quelques
avantages dans le comté de Glatz ; mais les Prussiens, sous le prince
héréditaire de Brunswick, restèrent maîtres d'une partie de la Silésie
autrichienne. Dans cette campagne qui s'était passée en mouvements de
troupes, sans siège et sans combat important, la tactique du roi de Prusse
avait déconcerté la fougue du jeune empereur. Il prit ses mesures de manière
qu'à l'ouverture de la campagne suivante il pouvait attaquer partout et
porter la guerre de Silésie en Moravie. Marie-Thérèse,
tant qu'elle s'était flattée d'obtenir des secours ou de conclure un
accommodement séparé, avait repoussé l'intervention de la France ; mais
frustrée de son attente, elle réclama la médiation de la cour de Versailles,
qui s'empressa d'accepter la proposition de pacifier l'empire. Comme
l'impératrice de Russie était également intéressée à voir cesser la guerre en
Allemagne, elle fut invitée à joindre ses bons offices à ceux de la France.
Catherine II ayant aussi agréé cette offre, Marie-Thérèse lui écrivit, afin
de lui témoigner son estime, son amitié, sa confiance et sa déférence, et
finit sa lettre en disant qu'elle lui abandonnait le choix des moyens de
réconciliation. Dans le
temps qu'on négociait, Joseph II et Kaunitz firent tous leurs efforts pour
empêcher la paix. On n'était pas encore convenu d'un armistice quand
l'empereur envoya le général Wallis, à la tête de 10.000 hommes, bombarder
Neustadt dans la haute Silésie pour irriter le roi. Ce dessein échoua par les
intentions pacifiques de l'impératrice-reine et de Frédéric II. Une
suspension d'armes ayant été signée, un congrès s'ouvrit le 10 mars 1779 à
Teschen, petite ville de la Silésie autrichienne. Malgré quelques difficultés
inattendues, la cour de Vienne se montra facile, et la paix fut conclue le 13
mai suivant, jour anniversaire de la naissance de Marie-Thérèse. La maison d'Autriche
renonça, en faveur de l'électeur palatin, à toute prétention à la succession
de Bavière, et obtint pour dédommagement cette partie du cercle de Burckhausen qui, comprise entre le Danube, l'Inn et la Saltz, faisait communiquer directement l’archiduché
d'Autriche avec le Tyrol. Aucun
évènement de son règne ne procura plus de satisfaction à Marie-Thérèse que la
conclusion du traité de paix de Teschen. A la nouvelle que le roi de Prusse
avait accédé aux conditions proposées par les puissances médiatrices, elle
s'écria : Je suis ravie de joie ! On sait que je n'ai point de partialité
pour Frédéric ; cependant je dois lui rendre la justice de reconnaître qu'il
s'est conduit noblement. Il m'avait promis de faire la paix. à des conditions raisonnables, et il m'a tenu parole. Je
ressens un bonheur inexprimable de prévenir une plus grande effusion de sang.
» La
direction des négociations relatives à la Bavière avait été confiée au prince
de Kaunitz. Malgré le désir qu'il avait témoigné de voir termines la
contestation par les armes, il y déploya tant de zèle et d'habileté que
l'empereur et sa mère lui donnèrent de nouvelles preuves' de leur sincère
attachement. Il avait eu beaucoup à souffrir de la différence qui existait
entre l'opinion de la mère et celle du fils, et la paix fut 'peine signée que
le ministre sollicita sa retraite. Mais sur les instances pressantes des deux
souverains, il consentit à conserver le timon des affaires. Quoique
l'intervention de la France eut obtenu pour l'Autriche des conditions
honorables, néanmoins l'empereur Joseph manifesta hautement l'indignation que
lui avait inspirée le refus du cabinet de Versailles de fournir les secours
stipulés par le traité de 1756. Il ne cacha point son projet d'abandonner le
système français pour rétablir les-anciennes maisons de l'Autriche avec la
Grande-Bretagne. Son mécontentement était partagé par Marie-Thérèse, mais la
tendresse de l'impératrice-reine pour sa fille la portait à fermer, les yeux
sur la conduite de son allié. Elle ne voulait pas rompre avec la maison de
Bourbon, dans laquelle cinq de ses enfants étaient entrés par mariage. Le
prince de Kaunitz ne voyait pas non plus, sans un vif déplaisir ce qui' se
passait ; mais il ne voulut pas servir d'instrument pour détruire un traité
qui devait couvrir son nom d'une gloire immortelle. Après une irrésolution
assez longue, on se rapprocha de l'Angleterre. Joseph II, qui avait coutume
de dire que son métier était d'être royaliste, se prononça hautement contre
la révolte des colonies américaines. Marie-Thérèse offrit même à la
Grande-Bretagne son intervention pour Opérer une réconciliation entre cette
puissance et la France. L'offre
de l'impératrice-reine ne fut pas acceptée ; mais le prince de Kaunitz n'en
continua pas moins ^des relations amicales avec le ministère britannique,
dans l'espoir qu'il aiderait la cour de Vienne à se concilier la
bienveillance de l'impératrice de Russie. Marie-Thérèse s'était efforcée de
procurer des établissements à deux de ses fils puînés, et elle avait réussi.
Léopold était grand-duc de Toscane depuis 1765, et travaillait constamment à
réformer tous les abus introduits par une administration vicieuse de deux
siècles. Ferdinand était gouverneur de la Lombardie autrichienne, et en vertu
de son mariage avec Marie-Béatrix, fille d'Hercule Renaud, duc de Modène, il
devait posséder un jour les États de ce prince. Maximilien était entré dans
les ordres sacrés, et sollicitait les coadjutoreries de Cologne et de Munster
; mais il éprouvait une grande opposition. La France désirait que l'électorat
fût donné à un prince d'une famille moins puissante. Malgré les observations
du comte de Vergennes, Marie-Antoinette obtint le consentement de Louis XVI.
L'élection du jeune archiduc n'en fut pas moins traversée
par le roi de Prusse qui mit en usage toute son influence sur le chapitre.
Comme la Russie en avait beaucoup aussi, on résolut de rechercher l'amitié de
cette puissance. Il fallait pour cela rompre les liaisons intimes qui
existaient entre les cours de Saint-Pétersbourg et de Berlin. Les
desseins de Marie-Thérèse ne pouvaient être accomplis que par un envoyé d'un
ordre très-supérieur ; car il ne s'agissait pas de faire valoir des motifs de
politique, mais d'emporter d'emblée l'amitié de Catherine II. Le caractère de
cette princesse, dont les heureuses qualités étaient contrebalancées par de
grands défauts et une excessive vanité, offrait un moyen pour cela. Joseph II
se chargea lui-même de la mission qu'il était si difficile de confier à un
autre. Informé que la tzarine se proposait de visiter ses nouvelles
acquisitions de Pologne, il témoigna au prince Galitzin,
ambassadeur de Russie à Vienne, son désir de connaître une souveraine dont la
gloire remplissait l'univers, et sollicita une entrevue avec elle pendant son
voyage. Cette marque d'attention flatta la vanité de Catherine, qui fit une
réponse amicale à la proposition de l'empereur, et désigna Mohiloff pour le
lieu de l'entrevue. Joseph
arriva à Mohiloff le 23 mai 1780 ; deux jours après, l'impératrice y fit son
entrée. Il fut présenté sans le cérémonial ordinaire, sous le titre de comte
de Falkenstein, par l'ambassadeur de la cour de Vienne. Catherine, frappée de
sa physionomie expressive et de ses manières aisées, conçut pour lui une
estime qui alla jusqu'à l'enthousiasme. Elle l'invita à la suivre jusqu'à
Saint-Pétersbourg. L'empereur y consentit, et il passa dans cette capitale
tout le mois de juillet. Une réception si favorable confondit le parti du roi
de Prusse. Par son adresse, Joseph II détruisit l'ascendant d'un ennemi si
dangereux, et il réussit à substituer son influence à celle du vieux
Frédéric. En quittant Saint-Pétersbourg, il dit à la tzarine : « Je me suis
montré à Votre Majesté tel que je suis, sans ruse, sans artifice. Elle peut
donc juger de mon caractère et de ce que je puis valoir. Je sais qu'après mon
départ on me calomniera et qu'on s'efforcera de me dénigrer ; mais je la
supplie de consulter son propre jugement avant de croire aux rapports qu'on
pourra lui faire. Je ne suis point flatteur, mais je dois reconnaître que
Votre Majesté Impériale m'a paru bien supérieure à la haute réputation dont
elle jouit. Je regarderai le peu de jours que j'ai passés près d'elle comme
les plus heureux et les plus instructifs de ma vie. » Le ton de noblesse et
de candeur avec lequel ces paroles furent prononcées produisit son effet. Catherine
en fut attendrie jusqu'aux larmes, et l'absence de l'empereur n'effaça jamais
de l'esprit de cette princesse l'impression favorable que sa présence avait
faite. Tous
les efforts du roi de Prusse pour empêcher l'élection de l'archiduc
Maximilien furent impuissants. La tzarine, qui ne voyait plus en lui qu'un
vieillard rapace, guidé par une politique tortueuse et perfide, répondit par
un refus positif à toutes les propositions qu'il lui adressa à cet égard, et
elle donna l'ordre à ses ministres près des différentes cours d'Allemagne, de
favoriser l'élection du jeune frère de l'empereur. Elle eut lieu malgré les
intrigues de Frédéric, et Marie-Thérèse éprouva la satisfaction d'avoir
rétabli sur des bases solides les anciennes relations de sa famille avec la
Russie. Joseph
II revint à Vienne pour assister à la mort de son auguste mère. Depuis
longtemps cette princesse éprouvait des suffocations, effets de son excessif
embonpoint, et ses jambes en fiaient. Le déclin progressif de sa santé ne
l'empêcha pas d'aller prier, le 18 novembre, pour la dernière fois, sur le
tombeau de son époux, feu l'empereur François. Elle avait voulu visiter le
caveau où elle avait fait élever un monument pour elle-même. Au retour, elle
éprouva des frissons et un affaiblissement. Le lendemain, elle fut saisie
d'un catarrhe accompagné des symptômes les plus dangereux, que ne purent
dissiper tous 'les secours de l'art, et qui mit promptement fin à ses jours.
Le courage héroïque dont elle avait donné tant de preuves pendant toute sa
vie, et surtout dans les commencements difficiles de son règne, ne
l'abandonna point dans ses derniers moments. Au milieu des souffrances les
phis cruelles, Marie-Thérèse ne laissa pas échapper une seule plainte, pas un
soupir, pas un seul mouvement d'impatience. Soumise aux décrets de la
Providence, elle craignait seulement que la résignation du chrétien ne
l'abandonnât si sa tête s'égarait. « Dieu veuille que cela finisse bientôt !
s'écria-t-elle en sortant d'une crise, sans quoi je ne sais si je pourrai le
supporter plus longtemps. Ce fut dans le même esprit qu'elle dit à l'archiduc
Maximilien : « Ma fermeté et ma constance ne m'ont point abandonnée jusqu'à
ce moment. Priez le ciel, vers lequel tendent tous mes vœux, pour que je les
conserve jusqu'au dernier instant. » Après une suffocation, elle vit
l'empereur fondre en larmes. « Je vous supplie de m'épargner, lui dit-elle,
car cette vue pourrait me faire perdre toute ma fermeté. Après
avoir reçu le saint viatique et l'extrême-onction, l'impératrice-reine
rassembla toute sa famille autour ; elle leur adressa ces paroles touchantes
: « Mes chers enfants, je suis munie des sacrements de la sainte Église,
et je sais qu'il n'y a plus d'espérance de guérir de ma maladie. Vous devez
vous souvenir avec quels soins et quelle sollicitude feu l'empereur votre
père et moi avons continuellement travaillé à votre éducation, combien nous
vous avons toujours aimés, et nous nous sommes attachés à vous procurer ce
qui pouvait faire votre bonheur. Comme tout ce que j'ai au monde vous
appartient de droit, dit-elle ensuite en regardant. Joseph II, je ne puis en
disposer. Mes enfants seuls m'appartiennent, et seront toujours à moi. Je
vous les remets ; soyez leur père, je mourrai tranquille si vous me promettez
d'avoir soin d'eux en tout et partout. » Adressant ensuite la parole à
ses autres enfants, elle reprit : « Regardez dorénavant l'empereur comme
votre souverain ; obéissez-lui, et respectez-le comme tel ; suivez ses
conseils, mettez en lui toute votre confiance, aimez-le sincèrement, afin
qu'il ait tout sujet de vous accorder ses soins, son amitié et sa
bienveillance. » Après ce discours, Marie-Thérèse donna à chacun d'eux
sa bénédiction ; tous pleuraient, sanglotaient. Voyant leur profonde
affliction, elle leur dit, d'un air tranquille : « Je crois que vous feriez
bien de passer dans une autre chambre pour vous remettre. » Chaque
fois qu'elle revenait d'un évanouissement, Marie-Thérèse s'occupait des soins
du gouvernement avec l'empereur. La veille même de sa mort, elle signa encore
toutes les dépêches de sa propre main. Elle chargea le comte d'Esterhazy,
chancelier de Hongrie, de remercier en son nom tous les départements des
services qu'ils lui avaient rendus pendant le cours de son règne. Elle lui
remit par écrit ceux qu'elle adressait à la nation hongroise en général pour
la fidélité et l'attachement qu'elle lui avait témoignés. Elle le pria
d'assurer ce peuple qu'elle l'avait recommandé de la manière la plus forte à
son fils ; elle se flattait que le zèle des Hongrois ne se démentirait pas,
et qu'ils agiraient envers l'empereur, son successeur, comme ils avaient agi
envers elle. Marie-Thérèse écrivit aussi au prince de Kaunitz, dans les
termes les plus obligeants, pour le remercier de ses importants services. Dans la
nuit du 28 au 29, elle s'entretint longtemps avec Joseph II, qui l'invita à
tâcher de prendre quelque repos. Elle lui répondit : « Dans quelques heures,
je dois paraître au jugement de Dieu, et vous voulez que je puisse dormir ! »
L'empereur s'efforça de persuader à la pieuse malade que le mal n'était pas
si avancé. Elle demanda alors quelle heure il était. On lui répondit : « Deux
heures. » Elle regarda fixement Joseph et dit en allemand : « Eh ! que
faisons-nous là à cette heure-ci ? » Il paraît que ce fût là une légère
aliénation d'esprit. Elle recommanda de nouveau à l'empereur sa famille, ses
peuples, et surtout les pauvres... Mes
pauvres pensionnés !... mes pauvres orphelins ! disait-elle. Elle lui fit
promettre de ne rien changer dans les aumônes de sa cassette, le chargea de
sa bénédiction pour ses enfants absents et ses petits-enfants, et ordonna
elle-même ses funérailles. Joseph, attendri, ne put s'empêcher de lui témoigner
l'admiration que lui inspiraient sa fermeté héroïque et sa résignation
chrétienne. Elle sourit avec bonté, et lui dit : « L'état où je suis est
l'écueil de ce qu'on appelle grandeur et force ; tout disparaît dans ces
moments. La tranquillité où vous me voyez vient de celui qui sait la pureté
de mes vues. Pendant un règne pénible de quarante années, mon intention
constante a été de faire le bien. J'ai aimé et recherché la vérité ;
peut-être n'est-elle pas venue toujours jusqu'à moi ; peut-être ai-je été trompée
dans mon choix ; mes intentions ont pu être mal comprises, encore plus mal
exécutées ; mais celui qui sait tout, a vu le fond de mon cœur : la
tranquillité dont je jouis est une première grâce de sa miséricorde, qui m'en
fait espérer d'autres. Je n'ai jamais fermé mon cœur aux cris des malheureux
: c'est la plus consolante idée que j'aie dans mes derniers moments. » Si
Marie-Thérèse regretta la vie, ce ne fut pas afin de jouir encore des vains
honneurs dont s'entoure le pouvoir ; elle craignait que les personnes
soutenues jusqu'alors par ses charités secrètes ne fussent privées de tout
moyen de subsistance lorsqu'elle ne serait plus. « Si je désirais
l'immortalité, dit-elle à ceux qui se tenaient près de son lit de mort, ce
serait pour soulage les malheureux. » Ces paroles et celles qu'elle prononça
peu d'instants avant d'expirer, ne seront jamais oubliées. Elles sont l'expression
de la bonté qui la faisait adorer de ses sujets ; elles peuvent être aussi
une leçon pour les rois. « S'il a été commis pendant mon règne quelque chose
de répréhensible, cela s'est certainement fait à mon insu, car j'ai
toujours.eu le bien en vue. » Témoignage bien consolant pour ceux à qui la
Providence a confié le gouvernement des peuples, lorsqu'ils peuvent se le
rendre comme l'impératrice-reine dans cet instant suprême où l'âme tourne ses
pensées vers le ciel. Les sentiments religieux dont Marie-Thérèse était
pénétrée, répandirent sur ses derniers moments une sérénité d'esprit à
laquelle semblait se mêler quelque chose de surnaturel et de sacré qui laissa
une profonde impression dans les cœurs des assistants. Cette grande princesse
mourut entre les bras de l'empereur son fils, le 29 novembre 1780, âgée de
soixante-trois ans et demi, dans la quarante-unième année de son règne. Joseph
II assembla aussitôt les ministres de la cour, et ratifia en leur présence
les dernières volontés de l'impératrice-reine. Elles portent toutes
l'empreinte de la bienfaisance et de la bonté qui l'ont caractérisée pendant
toute sa vie. Sa mort causa un deuil universel parmi ses sujets. Jamais la
perte d'un souverain n'excita des regrets plus vrais et plus sentis. Quel
panégyrique peut être plus éloquent que ce concert unanime.de tous ses États
héréditaires qui s'accordaient ù louer cette auguste et vertueuse princesse ?
On se plaisait à citer quelques-uns des traits d'humanité dont chaque jour de
son règne avait été marqué. On se souvenait qu'un jour, ayant aperçu un
soldat malade qui était en faction à la porte d'une de ses maisons de
plaisance, elle l'avait fait relever aussitôt et conduire dans une voiture
jusqu'à l'hôpital. Informée que la maladie de ce jeune homme n'avait d'autre
cause que l'indigence et l'éloignement d'une mère qu'il ne pouvait plus
nourrir du travail de ses mains, l'impératrice avait envoyé chercher cette
femme jusqu'à Brinn en Moravie, distance de
quarante lieues, pour la réunir à son fils. « Je suis charmée, lui avait-elle
dit, de vous remettre moi-même un enfant qui vous est si tendrement attaché.
Je vous donne une pension pour suppléer à son travail, et je vous recommande
à tous les deux de vous aimer toujours. » Une
autre fois, Marie-Thérèse rentrant dans son palais, aperçut une femme et deux
enfants qui se traînaient à ses pieds. « Qu'ai-je donc fait à la Providence,
s'écria-t-elle, pour qu'un semblable malheur arrive sous mes yeux ? » Elle
assura qu'on allait les soulager, et dans l'instant même ordonnant de leur
apporter son dîner, elle ne se nourrit que des larmes qu'elle versa, sans
pouvoir se résoudre à manger. « Ce sont mes enfants, dit-elle, ils ne seront
plus réduits à mendier. » Le
corps de l'impératrice-reine fut, depuis le ter décembre au matin jusqu'au 3
du même mois, exposé sous un vêtement très-simple, ainsi qu'elle l'avait
désiré. L'urne qui renfermait son cœur fut portée, le 2 au soir, dans la
chapelle de Notre-Dame de Lorette, contiguë au palais. On y lisait
l'inscription suivante : « Dans cette urne est renfermé le cœur auguste
de Marie-Thérèse, impératrice des Romains, reine de Hongrie et de Bohême :
souveraine pieuse, humaine et juste, qui pendant sa vie consacra ce cœur à
Dieu, à ses sujets et au salut public. Sa libéralité prévint le pauvre, la
veuve et l'orphelin ; sa grandeur d'âme dans l'adversité l'éleva au-dessus de
son sexe. Née le 13 mai 1717, elle mourut le 29 novembre 1780. » Ses
entrailles furent déposées dans un caveau pratiqué devant le maître-autel de
l'église métropolitaine de Saint-Étienne, où se trouvent celles des autres
princes et princesses de la maison d'Autriche, avec cette autre inscription :
« Ici sont déposées les entrailles de Marie-Thérèse, impératrice des Romains,
reine.de Hongrie et de Bohême, et archiduchesse d'Autriche. Elle fut pendant sa
vie la mère de l'État, l'amour de ses peuples, la gloire de sa race, l'appui
et l'ornement du trône. Née en 1717, le 13 mai, elle est morte le 29 novembre
1780. » Le 3
décembre au soir, le corps de l'impératrice-reine, placé sur un char, fut
conduit à l'église des Capucins, puis descendu dans le caveau où s'élevait
son monument funéraire, près du tombeau de François ter son époux. Sans cesse
occupée de l'idée de la mort, elle avait cousu elle-même son habit mortuaire
; c'est dans cette robe funèbre faite avec le plus grand secret, de sa main
royale, qu'elle fut ensevelie. On célébra ses obsèques avec la pompe et
l'appareil d'usage, au milieu des larmes et des bénédictions d'un peuple entier.
Conformément à ses ordres, les princesses ses filles n'y assistèrent pas.
L'empereur et l'archiduc Maximilien furent seuls présents à cette triste et
touchante cérémonie ; on n'y prononça point d'oraison funèbre. L'histoire
du règne de Marie-Thérèse nous a montré d'une manière assez distincte le
caractère de l'illustre fille de Charles VI. A tout ce que nous avons dit, il
suffira d'ajouter qu'elle savait concilier une stricte économie avec la
générosité d'une souveraine, unir la condescendance à la dignité, l'élévation
de l'âme à l'humilité d'esprit, et les vertus domestiques aux qualités
brillantes qui embellissent le trône. Elle a sans doute tenu à l'humanité par
quelques faiblesses, et quelquefois la grande souveraine a été femme. Mais
elle était adorée de toits ses sujets, et sa mort les a plongés dans la plus
vive douleur. Ils considérèrent son règne comme une ère de gloire et de
félicité ; et les jours de Marie-Thérèse furent l'âge d'or pour les peuples
de la maison d'Autriche, qui lui avaient donné le titre glorieux de Mère
de la patrie. Frédéric
lui-même rendit hommage à ses vertus. « J'ai donné des larmes bien sincères à
sa mort, écrivait-il à d'Alembert, elle a fait honneur à son sexe et au
trône. Je lui ai fait la guerre, et je n'ai jamais été son ennemi. » Marie-Thérèse
emporta dans la tombe la consolation de laisser tous ses enfants sur le trône
ou près du trône. Marie-Antoinette était assise sur celui de France ;
Marie-Charlotte-Louise, reine de Naples ; Marie-Amélie, duchesse de Parme.
Joseph II lui succédait dans tous les États héréditaires d'Autriche ;
Ferdinand était gouverneur de la Lombardie ; Maximilien, grand maître de
l'ordre Teutonique, coadjuteur de Munster et électeur de Cologne ; enfin
Marie-Christine, unie au duc de Saxe-Teschen, fils d'Auguste III, roi de
Pologne, gouvernait les Pays-Bas. Cette dernière princesse avait reçu en
partage de la nature les charmes et les heureuses qualités de son auguste
mère. FIN DE L’OUVRAGE
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