L'AUTRICHE SOUS MARIE-THÉRÈSE

 

CHAPITRE IV. — GUERRE DE SEPT ANS.

 

 

Le roi de Prusse envahit la Saxe. — Il entre à Dresde. — Blocus des troupes saxonnes dans leur camp de Pinta. — Bataille de Lowositz. — Auguste III se retire en Pologne. — Grande confédération formée contre le roi de Prusse. — L'Allemagne se divise en deux parties hostiles. — Frédéric entre dans la Bohème. — Bataille de Prague. -- Blocus de cette place. — Bataille de Kolin. — Distinctions accordées au maréchal Daun par François Ier et Marie-Thérèse. Création de l'ordre militaire du Mérite. — Capitulation du duc de Cumberland à Closterseven. — Situation presque désespérée du roi de Prusse. — Bataille de Rosbach. — Frédéric II vainqueur des Autrichiens à Lissa. – Opérations du prince Ferdinand de Brunswick contre les Français. — Succès des Russes. — Frédéric assiège Olmutz. — Bataille de Zorndorf. — Surprise de Hochkirchen. — Les armées entrent en quartiers d'hiver. — Honneurs accordés au feld-maréchal Daun. — Marie-Thérèse soutenue avec force par ses alliés. — Campagne de 1759. Opérations des Français. Défaite du roi de Prusse à Kunersdorf. — L'armée des cercles s'empare de Dresde. — Affaire de Maxen. — Défaite de Loudon à Liegnitz. — Retraite des Russes. — Prise de Berlin. Défaite des Autrichiens à Torgau. —Succès des Français en Westphalie. — Le prince Ferdinand empêche Soubise et le maréchal de Broglie de se réunir aux Impériaux. — Inaction de Frédéric II. — London prend Schweldnitz. — Désespoir du roi de Prusse. — Alliance des Russes avec Frédéric II. — Neutralité de l'impératrice Catherine II. — Prise de Schweidnitz par Frédéric II. — Le prince Henri vainqueur des Impériaux à Freyherg. — Paix d'Hubertsbourg.

 

Menacé de tous côtés, Frédéric II ne s'effraya point de la ligue qui se préparait contre lui, et sans autres alliés que le roi d'Angleterre et le landgrave de Hesse, il résolut de prévenir ses ennemis et d'engager la lutte contre les forces de la maison d'Autriche, de la moitié de l'empire, de la France et de la Russie. Son armée, organisée par lui-même avec les soins les plus minutieux, soumise à la discipline la plus rigoureuse et conduite par d'habiles généraux, envahit d'abord la Saxe, dont il voulait se faire un rempart contre la puissance autrichienne. Elle marchait sur trois colonnes : la première avait pour chef le prince Ferdinand de Brunswick, la seconde obéissait au roi lui-même, et la troisième était commandée par le prince de Brunswick-Bevern. Le maréchal Keith entra par la Silésie en Bohême, avec une armée d'observation forte de 35.000 hommes, afin d'empêcher les troupes de l'impératrice-reine de secourir la Saxe.

Le prince Ferdinand de Brunswick s'empara facilement de Leipsick, et Frédéric se présenta en personne devant les portes de Dresde. L'électeur n'eut que le temps de fuir de sa capitale et de gagner le camp de Pirna, près de Kœnigstein, sur les bords de l'Elbe, où son armée était rassemblée. Le roi de Prusse entra dans cette ville en maître et sous le nom de protecteur. La reine de Pologne, fille de l'empereur Joseph, aidée de son courage et de sa fermeté, n'avait pas voulu quitter son palais. On lui demande les clefs des archives, elle refuse de les donner ; des soldats s'avancent afin d'enfoncer les portes, elle se précipite au-devant d'eux. Sans aucun respect, ni pour son sexe, ni pour son rang, ni pour sa naissance, on la repousse ; on ouvre par force ce dépôt de l'État. Il importait au roi de Prusse d'y trouver des preuves des desseins de la Saxe contre lui ; il trouva, en effet, des témoignages de la crainte qu'il inspirait. Il enleva des archives, et publia une copie du traité de partage signé le 18 mai 1745, entre les cours de Vienne et de Dresde, les articles secrets du traité de Pétersbourg du 22 mai '1746, et diverses dépêches qu'avaient écrites le comte de Bruhl et plusieurs envoyés saxons. Il les présenta comme des preuves du projet concerté entre les cours d'Autriche, de Saxe et de Russie, d'envahir et de partager la monarchie prussienne, et comme une justification de sa conduite, que ses ennemis ne tardèrent pas à peindre sous les couleurs les plus odieuses. On douta néanmoins de l'authenticité des pièces sur lesquelles il appuya ses raisonnements. De son côté, la cour de Vienne fit répandre une réfutation de l'accusation que Frédéric portait contre elle.

Instruit de l'irruption du roi de Prusse, l'empereur fit aussitôt déclarer, par une décision du conseil aulique, qu'elle était une infraction à la paix de Paris, et le somma de retirer ses troupes de l'électorat de Saxe, s'il ne voulait pas s'exposer aux peines portées par les lois de l'empire contré les perturbateurs du repos public. Mais ce n'était pas assez d'un décret impérial pote forcer un prince appuyé de 150.000 combattants, d'abandonner son projet.

Maître de Leipsick et de Dresde ; Frédéric oublia ce qu'il avait promis au roi de Pologne. Il avait, en effet, annoncé dans un manifeste qu'il n'avait aucun dessein offensif contre Auguste III ni contre ses États ; qu'il n'entrait pas dans la Saxe comme un ennemi, -mais uniquement pour sa sûreté ; qu’il ferait observer à ses troupes l'ordre le plus exact et la discipline la plus sévère ; qu'il n'avait eu d'autre but que, de s'ouvrir une communication avec la Bohême, et qu'il ne garderait ce pays que comme un dépôt jusqu'à la conclusion de la paix. Sa conduite à Dresde fut un raffinement de politesse envers tous les ordres, qui ne l'empêcha pas d'établir à Torgau un bureau militaire pour la perception de tous les revenus de l'électorat, de faire ouvrir les arsenaux, et transporter l'artillerie saxonne à Magdebourg. Il s'empara des armés et des munitions, exigea de fortes contributions, vida les caisses du souverain et enrôla par force les Saxons propres au service. La magnifique maison de campagne du comte de Bruhl, ministre du roi de Pologne, fut livrée au pillage ; les tableaux précieux qu'il y avait rassemblés à grands frais, furent brûlés. On rasa -à trois pieds de terre les arbres et les charmilles du parc ; enfin l'on démolit l'intérieur de sa maison, de manière qu'il n'en restait plus que la charpente. Fréderic désavoua ces excès dignes des soldats d'Attila.

Pour détourner l'orage dont il était menacé, Auguste III, qui n'avait fait aucuns préparatifs hostiles, demanda au vainqueur de reconnaître sa neutralité. Mais Frédéric n'y voulut point consentir, à moins qu'il ne licenciât son armée de 18.000 hommes, qu'il était allé joindre dans le camp retranché de Pirna. Sur son refus, il le bloqua dans cette position qu'on jugeait inexpugnable, ce qui retarda ses opérations pendant plusieurs semaines et donna à Marie-Thérèse le temps de rassembler ses forces.

A la première nouvelle de l'invasion des Prussiens, le feld-maréchal, comte Brown reçut ordre de délivrer à tout prix les troupes saxonnes devant Pirna. Ce général se mit aussitôt en marche avec les troupes qui étaient à Prague. Instruit de son approche, le roi de Prusse laissa 40.000 hommes devant Pirna, prit en personne le commandement de son armée de Bohême et marcha à la rencontre des -Autrichiens. Les deux armées se trouvèrent en présence à Lowositz, sur les bords de l'Elbe, non loin des frontières de la Saxe. La bataille ne fut point décisive (1er octobre) ; les Autrichiens, quoique supérieurs en nombre, furent contraints de se retirer derrière l'Eger, laissant leurs ennemis maîtres du champ de bataille.

Fréderic revint sur le camp de Pirna et le resserra davantage. Les troupes saxonnes supportaient avec un courage digne d'admiration, la famine la plus affreuse. Tous leurs efforts pour se dégager furent réduits à l'impuissance par la vigilance et l'habileté du roi de Prusse. Lé feld-maréchal Brown tenta, par une manœuvre hardie, de forcer les postes ennemis pour délivrer les Saxons, auxquels il envoya le plan d'une double attaque ; mais las de les avoir attendus trois jours de suite, malgré tout le danger de sa position, il prit le parti de se retirer, et abandonna des alliés qui ne savaient pas agir. Les Saxons s'évadèrent néanmoins de leur camp le 13 octobre, et traversèrent l'Elbe ; mais arrivés sur la droite du fleuve, au pied du Lilienstein, rocher escarpé, ils se trouvèrent tout aussi resserrés entre des troupes de Frédéric et dans un terrain très-défavorable. Du haut du Kœnigstein où il s'était retiré, Auguste III fut spectateur de la situation déplorable de ses troupes exténuées par la famine et le froid, sans bagages, sans munitions, entourées d'ennemis. Elles ne pouvaient pas même, par une résolution désespérée, se faire jour aux dépens de leur sang, car toute ressource leur était enlevée. Afin de ne point les voir périr de faim et de misère, l'infortuné monarque fut obligé de consentir qu'elles se rendissent prisonnières de guerre[1].

Le feld-maréchal Rutowski, qui commandait les Saxons, dressa cette triste capitulation (17 octobre). Les officiers s'engagèrent, sur leur honneur, à ne plus servir contre le roi de Prusse pendant toute la guerre, et par une mesure révoltante, les soldats furent incorporés dans les régiments prussiens. Quatre-vingts pièces de canons restèrent au pouvoir des vainqueurs. Le roi de Pologne, après avoir ainsi perdu son électorat et son armée, demanda des passeports à son ennemi, pour se rendre dans son royaume électif. Frédéric les lui envoya et eut même la politesse insultante de donner des ordres pour qu'on lui fournit des chevaux de poste. La reine ne suivit point son mari ; elle resta dans Dresde, où elle mourut quelque temps après, accablée de chagrins. La reddition des troupes saxonnes permit à l'armée prussienne de prendre ses quartiers d'hiver. Elle se retira sur les confins de la Saxe et de la Bohême, et le maréchal Schwerin dans la Silésie.

Dans le cours de l'hiver, l'impératrice-reine, profondément affectée (lu malheur de son allié, et indignée de la conduite du roi de Prusse, ordonna les plus grands préparatifs pour les opérations de la campagne suivante. Elle déploya une rare activité et réussit à étendre la confédération contre Frédéric, et ses lettres aux cours catholiques représentèrent l'union de la Prusse avec l'Angleterre comme une ligue contre la religion. La France, entraînée par ses instances, consentit à devenir, de simple auxiliaire, partie principale dans la guerre, et au commencement de 1757 Louis XV conclut une convention secrète par laquelle il promit de payer à Marie-Thérèse un subside de 12.000.000 florins d'empire, d'entretenir un corps de 4.000 Bavarois et de 6.000 Wurtembergeois, ou d'autres troupes allemandes qu'il laisserait à la disposition de l'Autriche. Il s'engagea de plus à fournir pour la campagne qui allait s'ouvrir une armée de 150.000 hommes et à ne poser les armes que lorsque l'impératrice serait rentrée en possession de la Silésie, de Glatz et de la principauté de Crossen.

L'empereur présenta aussi à la diète l'invasion de la Saxe et de la Bohême comme 'une violation de la paix publique et lui fit sentir la nécessité de s'armer pour la défense du corps germanique. Sur sa proposition, la majorité décréta que tout l'empire devait soutenir les efforts de François Ier et résolut de former une armée d'exécution contre l'électeur de Brandebourg. En même temps les cours de Franco et de Suède annoncèrent à. la diète qu'elles étaient déterminées à exercer le droit de garantie que leur accordait le traité de Westphalie. Enfin la Russie avait donné son adhésion au traité de Versailles, et la Suède elle-même, gagnée par les subsides de la France, embrassa la cause de Marie-Thérèse, malgré les efforts de l'épouse de son roi, sœur du monarque prussien. L'Espagne et les Provinces-Unies, que l'impératrice. ne put entraîner dans ses intérêts, lui promirent de garder la neutralité. La France prit encore. à-sa solde l'électeur palatin, à qui elle avait déjà garanti les pays de Berg et de Juliers, l'électeur de Bavière, le duc. de Wurtemberg, et dix autres princes. Elle-voulait encore soudoyer- la Pologne, qui avait offert à Auguste III 54.000 hommes pour le rétablir dans son- électorat, mais la Russie s'opposa à ce qu'elle entrât dans la lutte.

Les princes de Hesse-Cassel, de Saxe-Gotha et de, Brunswick, ainsi que. Frédéric-Guillaume, comte de Lippe-Buckembourg, furent les seuls princes qui se réunirent à la Prusse. Frédéric II renouvela son alliance avec la Grande-Bretagne (11 janvier 1757), onze jours avant la déclaration de guerre de l'empire, afin de protéger la liberté européenne et la religion protestante en Allemagne. Le roi Georges II promit de porter à 70.000 combattants l'armée hanovrienne qu'il soudoyait, d'obliger la cour de Vienne, s'il était possible, à la paix, en lui dictant les conditions, et d'attaquer ensuite l'intérieur de la France. Les subsides de l'Angleterre fournirent aux princes alliés le moyen d'armer des corps bien exercés et plus nombreux.

Ainsi l'Allemagne se trouvait de nouveaux divisée et en armes ; les deux premières puissances étaient sur le point de commencer une lutte acharnée. Du côté de l'Autriche, nous voyons presque tout l'empire et les princes du sud-ouest de l'Allemagne, qui tant de fois avait été ravagé par les armes de la France, et qui la suivait aujourd'hui, grâce aux subsides ; du côté de la Prusse, quelques maisons princières avec le Hanovre. La guerre avait pour but d'écraser cette monarchie naissante ; la Prusse ne prenait les armes que pour sa défense. Toute la question n'était pas dans l'équilibre de l'Europe et de l'Allemagne, il s'agissait encore, suivant l'expression de Pitt, de conquérir l'Amérique en Allemagne[2].

Après avoir proposé en vain au ministère britannique de rendre la nation partie principale dans la guerre du continent, Georges II adopta un système de défense sur le Weser, et forma une armée d'observation, composée de troupes hanovriennes et hessoises, dont il confia le commandement au duc de Cumberland. Quant au roi de Prusse, il fit ruiner une partie des travaux de Wesel où il avait proposé d'abord d'établir la place d'armes des alliés. Il se contenta ensuite d'envoyer 6.000 hommes à l'armée du duc de Cumberland renonça à la défense de ses États de Westphalie, et résolut d'accabler l'Autriche avant que les cercles, la Suède et la Russie n'eussent réuni leurs forces.

Fréderic cacha son dessein avec un art infini. Pendant qu'il semblait occupé de mettre la ville de Dresde en état de défense, afin de persuader aux ennemis que son désir était de se maintenir dans la Saxe, il ordonna au maréchal Lehwald de se diriger sur la Prusse avec 30.000 hommes, pour observer les Russes et les Suédois. En même temps, une colonne de son armée entra dans la Bohême et s'avança à marches forcées, vers Prague (21 avril 1757). Le prince de Bevern, qui en conduisait une autre parla Lusace, repoussa le comte de Kœnigseck au combat de Reichenberg ; le maréchal Schwerin, qui venait de la Silésie, inquiéta la retraite des Autrichiens dont il défit l'arrière-garde. Le roi lui-même, joint par le prince Maurice de Dessau, marcha contre le prince Charles de Lorraine et le maréchal Brown, qui s'étaient postés derrière Prague et la Moldau, en attendant des renforts que le feld-maréchal Daim leur amenait de la Moravie.

Le prince Charles, à la tête de 70.000 hommes, avait pris une position qui semblait à l'abri de toute attaque. Mais le roi de Prusse, voulant prévenir sa jonction avec Daun tomba sur lui à l'improviste, le 6 mai, avec 64.000 combattants. La bataille, qui fait époque dans les annales militaires, dura depuis neuf heures du matin jusqu'à huit heures du soir. Malgré les obstacles que lui opposait la nature du terrain, la cavalerie prussienne mit en déroute, après trois charges successives, la cavalerie du prince. L'infanterie, qui voulait avoir aussi sa part de gloire, s'avança avec plus de précipitation et de courage que de prudence. Mais elle fut rompue et repoussée par le feu continuel de l'artillerie autrichienne. Les plus courageux officiers et une foule de soldats tombèrent sur la place. Le maréchal Schwerin, qui, malgré ses soixante-douze ans, conservait encore tout le feu de sa jeunesse, voyant avec indignation des Prussiens plier devant l'ennemi, saisit un drapeau, le passe en écharpe autour de son corps et s'écrie : « Que les braves me suivent ! » Il se met à la tête de son régiment, le conduit à la charge, au milieu du feu le plus terrible, et fait des prodiges de valeur ; mais comme il n'y a point encore de troupes pour le soutenir, ses efforts sont inutiles, et il tombe percé de trois balles, terminant ainsi une vie glorieuse par une mort qui la couvrit d'un nouveau lustre.

La mort de l'intrépide maréchal parut néanmoins ouvrir à ses troupes le chemin de la victoire. Mise en désordre par ces attaques multipliées, enfoncée sur plusieurs points et prise en flanc et à dos par un mouvement du prince Ferdinand de Brunswick, la ligne autrichienne fut rompue et forcée d'abandonner le terrain. Le feld-maréchal Brown, ayant reçu une blessure mortelle, se fit transporter à Prague, et son absence augmenta encore le trouble et la confusion. Une partie de l'aile droite de l'armée prussienne qui ne devait point combattre à cause d'un ravin profond placé devant elle, se laissa entraîner par son ardeur, à la vue de l'ennemi, franchit le ravin et gravit des rochers escarpés que défendaient toute la gauche des Autrichiens et une nombreuse artillerie. Après avoir enfoncé leur centre, elle rejoignit l'autre aile. En ce moment le prince Charles protégea, au moyen de celles de ses troupes qui n'avaient pas encore donné, sa retraite qu'il opéra en bon ordre. Poursuivi de montagne en montagne, il ne vit point d'autre salut que de se jeter dans la ville de Prague.

La perte fut grande de part et d'autre : celle des Autrichiens s'éleva à 24.000 hommes, dont 5.000 prisonniers ; celle des Prussiens à 18.000 tués, blessés ou pris. La victoire demeura aux troupes de Frédéric qui s'emparèrent du camp de l'ennemi, de la caisse militaire, de 11 étendards et de 60 canons. Le roi regarda comme un des plus grands malheurs de cette journée la mort du feld-maréchal Schwerin, l'un des créateurs de la discipline des armées prussiennes et son premier guide dans la carrière militaire. Les Autrichiens regrettèrent de leur côté le comte de Brown, qui mourut de ses blessures à Prague, quelque temps après la bataille. Cet illustre général avait mérité la confiance de Marie-Thérèse ; de simple soldat, il s'était élevé, par son mérite, au grade de feld-maréchal. Dans cette journée, l'armée autrichienne n'aurait pu échapper à une entière destruction, si le prince Maurice de Dessau avait pu achever le pont qu'il faisait construire à Bronik, afin de passer la Moldau, et de tomber sur les derrières de l'ennemi.

Après cette victoire, Frédéric II investit Prague où le prince de Lorraine s'était réfugié avec 40.000 hommes. Il essaya de réduire la garnison par la famine. Les troupes et. les 80.000 habitants que renfermait la ville se virent bientôt exposés à une extrême misère. Leur courage fut soutenu par une lettre de l'impératrice-reine, que leur apporta un officier de grenadiers échappé à la vigilance des assiégeants. « Je ressens une vive douleur, disait Marie-Thérèse, de savoir tant de généraux et un si grand nombre de troupes assiégés dans Prague, mais j'augure favorablement de leurs efforts. Je ne puis leur représenter assez vivement qu'ils se couvriraient d'une honte éternelle s'ils ne faisaient ce que, dans la dernière guerre, les Français ont fait, quoiqu'ils fussent en nombre bien inférieur. L'honneur de toute la nation et celui des armes impériales sont intéressés à la conduite que vont tenir-les défenseurs de Prague. La sûreté de la Bohême, celle de mes autres États héréditaires et de l'Allemagne même dépendent de la conservation de cette place. L'armée du maréchal Daun se renforce journellement, et bientôt elle sera en état de faire lever le siège. Les Français s'approchent en toute diligence ; les Suédois viennent à mon secours, et en peu de temps les choses, avec l'assistance divine, prendront un aspect plus favorable[3]. »

Cette lettre excita l'enthousiasme des assiégés qui montrèrent une constance héroïque. Les Prussiens se flattèrent de mettre le feu par un bombardement aux magasins d'abondance. Ils firent venir des mortiers et du canon et établirent des batteries sur différents points, mais tout fut inutile ; la place avait des bastions casematés, où les vivres trouvèrent un abri contre tous les efforts de l'artillerie prussienne. Sur ces' entrefaites, le feld-maréchal Daun, qui avait appris l'art de la guerre sous Seckendorf et Khevenhuller, et que sa grande sagacité, sa pénétration et sa valeur modérée par le sang-froid, avaient fait revêtir du commandement de l'armée, s'avançait pour dégager Prague. Il était à quelques milles de la place, lorsque Frédéric envoya contre lui 20.000 hommes commandés par le prince de. Bevern. Daun, bien que son armée eût l'avantage du nombre, ne voulut pas risquer contre des troupes encore animées par leur victoire, une action du succès de laquelle pouvait dépendre le sort de la maison d'Autriche. A l'approche du prince de Bevern, il se replia sur Kolin, puis sur Haber, et recueillit partout sur son passage les débris de la bataille de Prague.

D'un autre côté, le roi de Prusse envoya le colonel Mayer avec ses volontaires et environ 500 hussards, pour jeter l'épouvante parmi les princes d'Allemagne et retarder la réunion de l'armée des cercles. Mayer entra dans l'évêché de Bamberg et pénétra ensuite dans le Haut-Palatinat. Alarmés de cette irruption, l'électeur de Bavière et plusieurs autres princes catholiques députèrent vers Frédéric, et presque tout l'empire était sur le point d'abandonner les intérêts de Marie-Thérèse. Mais une de ces révolutions ordinaires à la guerre changea bientôt la face des affaires.

Le blocus de Prague continuait, et chaque jour les Prussiens redoublaient d'efforts afin de s'emparer de cette ville, dont la prise devait leur assurer la prompte conquête de toute la Bohême. Mais les habitants souffraient avec courage les horreurs du bombardement et les troupes du prince Charles faisaient des sorties fréquentes. Outre les ennemis, les soldats de Frédéric avaient encore les éléments à combattre ; un violent orage et des pluies abondantes grossirent subitement les eaux (le la Moldau, et leur impétuosité brisa le pont de Bronik. Cependant la prodigieuse quantité de bombes qu'ils avaient jetées dans la place avait détruit un quart de la ville ; le feu avait même consumé une des boulangeries des assiégés ; les déserteurs s'accordaient à dire que les vivres commençaient à manquer, et qu'au lieu de viande de boucherie, la garnison se nourrissait de chair de cheval. Les Prussiens ne gagnaient cependant rien contre cette place, ni par la force ni par la ruse ; il n'y avait que la famine et le désespoir qui pussent contraindre le prince de Lorraine à s'ouvrir un passage au travers (les ennemis.

Le projet de s'emparer de Prague avec l'armée qui la défendait, aurait néanmoins réussi si les évènements lui eussent donné le temps de parvenir à sa maturité, mais il fallut combattre le maréchal Daun, et la fortune abandonna les Prussiens. En effet, ce général, après avoir enduré, comme Fabius Cunctator, les reproches que lui adressaient des hommes qui ne savaient pas distinguer la prudence de la pusillanimité, se portait en avant pour attaquer Frédéric dans ses postes sous les murs de Prague. Le prince Charles devait en même temps faire une sortie avec toutes ses troupes et se joindre au maréchal, dont l'armée s'élevait alors à 60.000 hommes.

Afin de se rendre maître de la ville assiégée et des forces qui la défendaient, il était indispensable d'éloigner Daum de cette contrée. Le roi prit donc la résolution d'aller à sa rencontre. Laissant une partie de son armée autour de Prague, il se mit en marche avec 20.000 hommes (13 juin), et le lendemain il joignit le prince de Bevern, que le mouvement rapide des Autrichiens obligeait de se retirer. A l'approche des ennemis, Daun occupa les hauteurs qui s'étendent depuis le village de Chotzemitz vers Kolin. Il disposa, de la manière la plus judicieuse, son formidable train d'artillerie, et prit les plus habiles mesures pour s'assurer la victoire. De son côté, Frédéric ne négligea aucune des ressources de l'art militaire pour soutenir sa gloire. Malgré l'infériorité du nombre, il attaqua les Autrichiens avec courage ('18 juin), et réunissant tous ses efforts contre leur aile droite mal appuyée, il parvint presque à la tourner. Déjà le maréchal doutait du succès, déjà il ordonnait la retraite, lorsque la fortune changea par l'imprudence de deux généraux prussiens qui rompirent la ligne droite pour tomber sur un poste de Croates et furent défaits avec une grande perte. Les cavaliers saxons pénétrèrent dans l'ouverture qui s'était faite, et, animés par le désir de venger leur ancienne injure, ils combattirent avec une valeur saris égale. Le maréchal Daun, profitant en grand général des fautes de ses adversaires, parcourt les rangs de ses soldats, et les excite de la voix et du geste. Dans cette sanglante journée, Daun et Frédéric se multiplient à la manière des héros.

Vers les sept heures, l'excès de la fatigue sépara les combattants ; ils prirent, comme de concert, une demi-heure de repos. Le roi de Prusse voulut faire un dernier d'Ibn. Tandis que l'infanterie se battait avec un acharnement affreux, il conduisit une septième fois sa cavalerie contre les bataillons autrichiens qui l'avaient tant de fois repoussée, mais elle fut encore forcée de reculer. Dans ce moment Daun donna l'ordre à la cavalerie de sa gauche de fondre sur l'ennemi et de le prendre en flanc : ce mouvement et la vigoureuse résistance de son infanterie, décidèrent la fortune de cette terrible journée. Frédéric, jugeant la bataille perdue, ordonna à deux régiments de cuirassiers, qui étaient à portée, de se mettre en mouvement pour charger l'ennemi et dégager l'infanterie. Mais, intimidés par l'affreux carnage qui s'est fait de leurs camarades, ils refusent de se porter en avant. Le roi, au désespoir, abandonne le champ de bataille, suivi d'un escadron de ses gardes. On l'entendit plusieurs fois s'écrier : « Mes hussards ! mes braves hussards ! ils seront tous perdus ! » 22 étendards, 45 pièces de canon, quantité de caissons d'artillerie et de munitions furent les glorieux trophées de la victoire de Kolin, qui ne coûta que 8.114 hommes aux Autrichiens. Frédéric perdit 15 ;000 en tout.

Marie-Thérèse apprit avec une joie proportionnée à la crainte qu'elle avait eue, la nouvelle de cette mémorable journée. Elle la célébra par des fêtes magnifiques et voulut témoigner, de la manière la plus flatteuse, sa reconnaissance au vainqueur du redoutable Frédéric ; elle alla, accompagnée de l'empereur, annoncer à la comtesse de Daun le brillant succès du maréchal son époux. Ingénieuse à trouver des moyens de récompenser dignement ses sujets, elle perpétua le souvenir de- la victoire de Kolin, en faisant frapper des médailles et en instituant l'ordre militaire du Mérite, ou de Marie-Thérèse, dont elle décora 1e feld-maréchal et les braves officiers qui s'étaient signalés dans cette mémorable journée. Enfin, François Ier et l'impératrice-reine accordèrent encore à l'heureux général une distinction particulière : ils lui permirent. de faire une promotion dans leurs armées. Ce témoignage d'estime et de confiance fut d'autant plus flatteur pour Daun, qu'il lui fournissait l'occasion de donner quelques marques d'amitié à ses' rivaux d'honneur. Le choix qu'il fit dans cette promotion le couvrit d'une autre espèce de gloire qui, sans être aussi éclatante que celle de la victoire, n'en mérite pas moins lés plus grands éloges. Il sut allier les intérêts de sa- souveraine avec ceux de l'amitié et d'une âme généreuse.

Après avoir donné les ordres nécessaires à ses généraux pour la retraite de ses troupes, Frédéric se rendit au camp devant Prague, dont il leva le blocus, et se dirigea avec précipitation vers la Saxe et la Lusace. Dans cette marche, l'armée était commandée par Auguste-Guillaume, prince de Prusse, qui ne put empêcher que le prince Charles et le maréchal Daun réunis n'atteignissent avant lui la petite ville de Zittau qui n'était pas fortifiée, mais dans laquelle les Prussiens avaient un magasin considérable. L'armée autrichienne la détruisit par un bombardement. « La bataille de Kolin aurait peut-être été le Pultawa de Frédéric II, si, cédant au désespoir qui, au premier moment, lui fit écrire à sa sœur, la margrave de Baireuth : « Il n'y a de port et d'asile pour moi que dans les bras de la mort », il n'avait opposé à sa mauvaise fortune un courage héroïque. Heureux si, aux consolations que lui fournissait sa froide philosophie, s'était joint, un sentiment religieux pour dissiper le chagrin dont son âme était accablée[4]. »

Tandis que les armes de l'impératrice-reine obtenaient de si brillants succès en Bohême, celles de ses alliés frappaient de grands coups dans la Westphalie. En moins de huit jours le prince de Soubise, à la tête des Français, prend Wesel, enlève au roi de Prusse les duchés de Clèves et de Gueldre, et force ses troupes à se replier sur l'armée hanovrienne que le duc de Cumberland commandait au-delà du Weser. Une autre armée, aux ordres du maréchal d'Estrées, digne élève du comte Maurice de Saxe, se dirige, vers le milieu d'avril, contre le prince anglais. Après deux mois de marches savantes et d'habiles manœuvres, d'Estrées mit le duc de Cumberland dans la nécessité d'accepter la bataille et le défit près de Hastenbeck (26 juillet), mais la victoire ne fut pas complète par la trahison du comte de Maillebois qui commandait la gauche et qui se laissa vaincre, afin de perdre son général. La reddition de Hanovre fut le résultat de cette journée. Richelieu, successeur du maréchal d'Estrées, privé du commandement par une intrigue de cour, conquit rapidement la plus grande partie des États de Brunswick et de Hanovre, et poussa Cumberland jusqu'à Stade, près de la rive gauche de l'Elbe. Il fallait que le duc se déterminât à combattre contre des troupes déjà victorieuses, ou à mettre bas les armes. Ce second parti lui parut le plus sûr ; il négocia donc et obtint du maréchal de Richelieu la convention de Closterseven, par laquelle toute son armée devait se retirer au-delà de l'Elbe et laisser le champ libre aux Français contre le roi de Prusse (8 septembre).

En ce moment, la situation de Frédéric II semblait presque désespérée : chassé de la Bohême, privé de ses uniques alliés, il voyait les Autrichiens envahir la Silésie. L'armée d'exécution, sous les ordres du prince Joseph de Saxe-Hildburghausen, réunie à 25.000 Français que commandait le prince de Soubise, s'avançait à travers la Thuringe sur la Saale. D'un autre côté, les Suédois envahissaient la Poméranie et la Marche-Ukrainienne. 100.000 Russes, conduits par le feld-maréchal d'Apraxin, prenaient l'offensive, entraient en Prusse, s'emparaient de Memel après un bombardement, battaient à Jœgerndorf le feld-maréchal Lehwald, et commettaient dans le pays les plus affreux excès. Enveloppé d'ennemis de toutes parts, Frédéric se Croyait perdu et, comme il l'écrivait à Voltaire, il-ne-pensait qu'à mourir en roi. Les énormes fautes de ses ennemis le firent sortir avec honneur de cette conjoncture difficile.

Après la convention de Closterseven, Richelieu regarda sa tâche comme accomplie : il ne songea point, à soutenir l'armée d'exécution, mais à piller le pays conquis. Ensuite les Russes, vainqueurs à Jœgerndorf, ne profitèrent point de leurs succès ; ils évacuèrent la Silésie qui leur était ouverte, se replièrent vers la Pologne et la Courlande, et prirent leurs quartiers d'hiver. Lehwald revint alors sur l'Oder, où il força les Suédois à se retirer dans Stettin. Frédéric, retranché dans la Saxe, observait de là tous les mouvements des Autrichiens dont les détachements pénétraient en Silésie. Il forma le hardi projet d'aller combattre l'armée d'exécution. Pour cela il fallait dérober sa marche à l'œil pénétrant du maréchal Daim vaincre l'ennemi et revenir contre les Autrichiens.

Par de nombreux mouvements et de savantes manœuvres le roi de Prusse parvient à tromper la vigilance de son ennemi. Il $e met en marche vers la Thuringe avec 30.000 hommes et établit son quartier général à Erfurth. Ce ne fut qu'après avoir éprouvé de vives alarmes qu'il goûta enfin le plaisir du succès. Le maréchal Daun s'était aperçu de son absence et de la diminution de son armée, qu'il avait laissée aux ordres du prince de Bevern, pour défendre le terrain en Silésie, Alors le prince Charles s'ébranla, et pressant toujours Bevern, il l'obligea de se retirer sous le canon de Breslau et de se retrancher à la hâte dans le faubourg. Pendant ce temps, le général Nadasti resserrait Schweidnitz et se préparait 4 en former le siège.

Une autre entreprise vint encore inquiéter le roi de Prusse. Le général autrichien Haddick, parti de la Silésie à la tête de 6.000 cavaliers, traversait le Brandebourg et allait mettre Berlin à contribution. Sur cette nouvelle, Frédéric ordonne au prince Maurice d'Anhalt de se rapprocher de sa capitale ; lui-même fait un mouvement en arrière sur Leipsick pour la dégager. Averti de la marche du roi, Haddick se hâte de lever 200.000 écus de contribution et regagne la Silésie sans que Frédéric ait pu l'atteindre dans sa retraite.

Informée de l'entrée des Autrichiens à Berlin, l'armée d'exécution passa la Saale et poussa jusqu'à Weissenfels. Le roi s'empressant de regagner la Saxe, vint camper vis-à-vis l'ennemi, et le 4 novembre il s'établit près de Mersebourg, à Rosbach, village qui couvrit un des flancs de son armée tandis que l'autre s'appuyait sur Bedra. Le long du front régnait un terrain en pente et au bas duquel coulait le ruisseau de Schortau.

Le lendemain, dans leur aveugle confiance, les alliés, qui étaient deux fois plus nombreux que les Prussiens, ne semblèrent occupés qu'à empêcher leur proie de s'échapper. Ils levèrent leur camp, et vers les onze heures du matin, les généraux pleins de prévention et se flattant de cerner le roi, rangèrent en bataille leur armée qui ne connaissait ni ordre ni discipline. Frédéric profita de la nature du terrain pour exécuter une manœuvre- de laquelle il espérait les plus heureux résultats. Il avait assis son camp sur une montagne étroite, escarpée et longue, qui s'exhaussait brusquement au-dessus du village de Rosbach. Il rangea son infanterie sur deux lignes il l'extrémité de la hauteur, et la cavalerie sur une seule ligne derrière. A dix heures du matin, il observa, du château où son quartier général était fixé, les mouvements des ennemis ; il y resta une heure, demanda son (liner et mangea tranquillement. Il monta ensuite sur le donjon, donna tous les ordres nécessaires et descendit après avoir vu les colonnes de l'armée d'exécution côtoyer son flanc gauche et diriger lentement leur marche sur les derrières de ses troupes.

Bientôt on entend un coup de canon, et à ce signal les tentes s'abaissent et laissent voir l'armée de Frédéric rangée en bataille ; deux batteries formidables, placées aux côtés du camp sur deux collines voisines, vomissent en même temps un feu terrible. La cavalerie prussienne, que commande le général Seydlitz, se précipite des hauteurs et fond sur les têtes des colonnes. L'infanterie, étonnée par cet appareil nouveau de combat et foudroyée par l'artillerie, s'ébranle et perd ses rangs. On se rassure cependant, et des deux côtés on déploie la plus intrépide valeur. Le baron de Bretlach, le marquis de Voghera, le baron de Roth et le prince d'Hildbourghausen, mêlés aux cuirassiers, firent d'abord plier les escadrons prussiens et culbutèrent la première ligne. Le roi de Prusse accourt, la reforme et la ramène au combat ; elle se jette avec une nouvelle impétuosité sur les cuirassiers et les repousse jusqu'à leur infanterie.

Le combat ne fut pas long ; le désordre avait d'abord été si général, que l'on fut bientôt obligé de faire marcher le corps de réserve. Il fut conduit au feu par le prince de Soubise, suivi du comte de Revel et du marquis de Castries qui commandait la cavalerie française. Ce dernier a reçu deux coups de sabre sur la tête ; il exhorte néanmoins ses soldats à tenir ferme et continue à donner l'exemple. Malgré tous ses efforts, le corps de réserve allait être forcé de céder, lorsque le prince de Soubise s'en aperçoit, vole aussitôt à sa gauche, en ramène quatre régiments, et, à leur tôle, il s'enfonce au milieu des escadrons prussiens. Ce renfort rétablit la bataille et fait plier un instant l'ennemi. Mais tant d'efforts et d'actions héroïques furent inutiles. Une seconde ligne de cavalerie prussienne, qui n'avait pas encore combattu, se présente et recueille les débris de la première. Alors tout marche à la fois, les soldats de Frédéric enveloppent la cavalerie de l'empire et celle des Français, qui ne cédèrent enfin que lorsqu'il ne fut plus possible de rester sur le champ de bataille.

La déroute de la cavalerie entraîna celle de l'infanterie qui, durant toute l'action, avait été exposée au feu des batteries, et que les escadrons du vainqueur attaquaient alors en flanc ; il fallut nécessairement se retirer. Le marquis de Crillon qui eut un cheval tué sous lui, le duc de Cossé qui fut blessé et pris, et le chevalier de Nicolaï combattirent encore quelque temps à la tête de plusieurs bataillons.

Deux régiments suisses étaient restés sur le champ de bataille et continuaient à braver seuls les efforts de la cavalerie de Frédéric et le feu des batteries ; les colonels Diesbach et Waldner ne pouvaient se résoudre à fuir. Le prince de Soubise, d'un courage tranquille et ferme, s'expose aux plus grands dangers et retourne sur le champ de bataille pour obliger les deux régiments à opérer leur retraite. Dans cette journée si malheureuse, les troupes des cercles montrèrent beaucoup de lâcheté et prirent la fuite aux premiers coups de canon, tandis que les Français combattirent avec un courage sans égal. Mais il serait difficile de justifier la conduite de leurs officiers supérieurs. Sept bataillons d'infanterie seulement et toute la cavalerie prussienne prirent part à l'action. Les alliés perdirent 10.000 hommes dont 7.000 prisonniers parmi lesquels 11 généraux, 67 pièces de Canon et 22 étendards. Les vainqueurs n'eurent que 165 hommes morts et 376 blessés. Sans la nuit qui favorisa sa retraite, leur armée eût été entièrement détruite. Les vaincus ne purent se rallier que dans les montagnes de Thuringe.

Pendant ce temps, le prince de Lorraine avait forcé Bevern de se retirer sur l'Oder afin de couvrir Breslau ; il le suivit, assiégea et prit Schweidnitz. Bientôt instruit de la victoire et de la marche du roi de Prusse qui se tournait alors de nouveau contre les Autrichiens, il attaqua les retranchements de Bevern et les emporta malgré les difficultés de l'entreprise et la défense la plus opiniâtre, et lui tua 6.000 hommes (22 novembre). Le général Beck, à la tête d'un corps de troupes légères, poursuivit les fuyards ; ayant rencontré le lendemain, pendant la nuit, le prince de Bevern qui examinait son camp, il le fit prisonnier, le désarma et le conduisit au frère de l'empereur qui lui fit l'accueil le plus distingué, et l'envoya sous bonne escorte en Moravie. Le même soir, la garnison de Breslau«, composée de 10.000 hommes, capitula ; on lui accorda les honneurs de la guerre, mais la plus grande partie des soldats s'enrôla dans les troupes autrichiennes.

La Silésie semblait perdue pour Frédéric, mais il accourait, et dès qu'il eut joint ses ennemis, tout changea de face. Il lui fallait une autre bataille et la victoire pour rétablir ses affaires ; il résolut de se battre, quoique la saison fût avancée et que ses troupes parussent accablées des fatigues de cette campagne. Arrivé en Silésie, il réunit à ses vainqueurs de Rosbach les débris de l'armée de Bevern, auxquels il inspira un nouveau courage. Mais ces deux corps ne formaient encore que 33.000 combattants qu'il conduisit contre 80.000 Autrichiens campés entre Leuthen  et Lissa (5 décembre), en disant aux généraux : « En quelques heures nous aurons vaincu l'ennemi, ou nous ne nous reverrons plus. » Les soldats du prince de Lorraine et du maréchal Daun s'étendaient sur un espace de plus d'un mille. Frédéric II, adoptant la tactique ancienne, celle d'Épaminondas à la bataille de Leuctres, se développa obliquement, se jeta sur l'aile gauche mal soutenue, et principalement sur les troupes auxiliaires, composées de Wurtembergeois et de Bavarois, qui manquaient de munitions. Le désordre régna bientôt à l'aile droite des Autrichiens qui vint trop tard au secours de l'aile gauche. Leurs généraux rallièrent plusieurs fois leurs soldats et disputèrent vaillamment le terrain. Le succès ne couronna point leurs efforts, et des bataillons entiers furent anéantis. Après trois heures de combat, cette formidable masse était en pleine déroute et perdait 20.000 prisonniers, 6.500 morts et blessés, 134 pièces de canon et. 59 drapeaux. « Cette bataille, dit dans ses Mémoires le plus illustre capitaine des temps modernes, fut un chef-d'œuvre de mouvements, de manœuvres et de résolutions : seule elle suffirait pour immortaliser Frédéric et lui donner rang parmi les plus grands généraux. »

Le prince Charles voulait sauver Breslau ; il y jeta donc une forte garnison, une artillerie considérable, des provisions de toute espèce, et regagna la Bohême. Le roi de Prusse ne perdit point de temps ; malgré la rigueur de la saison, il assiégea cette place, et poussa les travaux avec tant de vigueur, que son commandant, le général Sprécher, capitula le 19. 18.000 hommes, 686 officiers et 13 généraux mirent bas les armes. Frédéric termina par la prise de Liegnitz cette campagne, l'une des plus mémorables dans l'histoire des guerres du XVIIIe siècle. Dans toute la Silésie, les Autrichiens ne conservaient plus que Schweidnitz.

Il ne sera pas inutile de suspendre un moment le récit de ces batailles, pour admirer la générosité de l'impératrice-reine. Lorsque Frédéric ternissait ses grandes qualités par le traitement rigoureux et humiliant qu'il faisait éprouver à ses prisonniers, Marie-Thérèse traitait avec beaucoup d'égards le prince de Bevern, prisonnier du général Beck. Après sa captivité, il avait écrit plusieurs fois au roi de Prusse et n'avait point reçu de réponse. Il fit alors demander à l'impératrice-reine comme une grâce particulière, de se racheter lui-même et de payer sa rançon. Marie-Thérèse ne voulut en accepter aucune et accorda sans condition la liberté à son prisonnier. Pénétré d'une bonté si rare, Bevern se rendit à la cour de Vienne, afin d'épancher aux pieds de l'impératrice-reine les sentiments de sa vive reconnaissance. Marie-Thérèse l'accueillit avec une distinction flatteuse, et le prince remporta en Prusse la plus haute idée de cette souveraine.

Tandis que, par son génie, Frédéric changeait en Allemagne la face de la guerre, le plus implacable ennemi de la France, William Pitt, que son éloquence et sa vaste capacité rendaient l'idole de la nation anglaise, entrait au ministère. Aussitôt il s'efforça d'imprimer une nouvelle vigueur aux hostilités. Indigné de la convention de Closterseven, qu'il regardait comme l'opprobre des Anglais, il ne tendit qu'à faire abolir jusqu'à la mémoire de ce traité honteux[5]. Il ne voulut point le ratifier, fit reprendre les armes aux Hanovriens, animés par les succès des troupes prussiennes, les fortifia d'un corps de troupes anglaises, sous les ordres du duc de Malborough, et demanda à Frédéric le prince Ferdinand de Brunswick pour commander cette armée ainsi reconstituée. En outre, par un traité signé à Londres le 11 avril 1758, il accorda 12.000.000 de subsides au roi de Prusse.

Vers la même époque, le Danemark se joignait à la ligue formée contre l'allié de l'Angleterre. Il ne prit cependant pas une part active à la guerre, mais promit seulement d'assembler dans le duché de Holstein une armée de 24.000 hommes destinée à repousser toute entreprise sur les possessions du grand-duc de Russie, et contre la neutralité des villes de Hambourg et de Lubeck.

Ranimée par les secours, de l'Angleterre et par les talents du prince de Brunswick, le plus habile des lieutenants du roi de Prusse, l'armée hanovrienne enleva aux Français toutes leurs conquêtes et les contraignit de repasser le Rhin, avec perte de 10.000 hommes. Le manque de cavalerie l'empêcha de poursuivre ses avantages, mais au mois de mai il put reprendre l'offensive. Après avoir franchi le Rhin à Rées et occupé le pays de Clèves, Ferdinand marcha à la rencontre des Français aux ordres d'un prince de la maison de Condé, le comte de Clermont, successeur de Richelieu. Il les trouva campés dans une excellente position, près de Crevelt, la droite appuyée au Rhin ; il les attaqua et leur fit essuyer une déroute complète. L'incapable Clermont ordonna la retraite après avoir perdu 7.000 hommes (23 juin). Le jeune comte de Gisors, fils unique du maréchal de Belle-Isle, fut mortellement blessé dans cette bataille, à la tête du régiment des carabiniers qu'il commandait pour la première fois. Honteuse de la nullité du comte. de Clermont, la cour de France le rappela, et il fut remplacé par un général expérimenté, le maréchal de Contades.

La guerre s'approchait des Pays-Bas autrichiens, qui semblaient devoir en être désormais le théâtre ; mais une diversion imprévue des Français dans la Hesse, la reporta en Allemagne. Le duc de Broglie, à la tête de l'avant-garde française, marcha sur la Lahn, défit le prince Jean-Casimir d'Isenbourg, général des Hessois, à la bataille de Sandershausen (23 juillet), et entra dans Casse]. Cette victoire rappela des bords du Rhin le duc de Brunswick qui parvint à repasser le fleuve, sans perte, quoiqu'il fût serré de près par le maréchal de Contades, et se porta sur Munster afin de protéger le Hanovre. Le maréchal s'empressa de suivre le prince Ferdinand, mais sans pouvoir se réunir à Soubise. Celui-ci venait de remporter un autre avantage sur les Hessois, réunis aux Hanovriens, auprès de Lutternbourg, dans le bailliage de Minden (10 octobre). Il ne fut point décisif pour les Français, qu'à la fin de la campagne le cours des hostilités rejeta même hors de la Hesse vers le territoire de Francfort, où ils établirent leurs quartiers d'hiver.

Si de la Westphalie et du Hanovre, nous portons nos regards sur l'autre théâtre de la guerre, où les Autrichiens, les Russes et l'armée des cercles luttent contre Frédéric II, nous serons témoins d'évènements plus importants. La rigueur de la saison n'avait point empêché les Russes de rester sous les armes. Indignée de la conduite du général Apraxin qui, l'année précédente, avait quitté la Prusse sans tirer aucun fruit de sa victoire, la, tzarine lui retira le commandement de ses troupes et le donna au général Fermor. Dès le mois de janvier 1758, l'armée russe se mit de nouveau en marche, s'empara de Kœnigsberg et ensuite de toute la Prusse comme d'une province que l'impératrice Élisabeth avait résolu d'incorporer à son empire. Après cela, Fermor s'approcha des confins de la Silésie et de la Poméranie pour opérer sa jonction avec les Autrichiens. Mais l'impératrice-reine avait à créer une nouvelle armée. Les dépenses énormes qu'elle était obligée de faire pour remplacer les armes, les magasins et les bagages qui étaient tombés au pouvoir de l'ennemi, épuisaient ses finances.

Dans cette circonstance, les fidèles 1longroiq volèrent encore au-devant des besoins de leur reine et lui donnèrent un témoignage bien flatteur (le leur amour. Les magnats du royaume se rendirent à Vienne pour annoncer à Marie-Thérèse que les États allaient mettre sur pied, à leurs propres dépens, une armée de 30.000 hommes, auxquels ils fourniraient armes, chevaux, équipages de guerre. Cette même année, 40.000 Croates prirent les armes ; la Servie lui envoya 20.000 hommes, la Bosnie et les environs de la Save plus de 10.000. Enfin tous les sujets de l'impératrice-reine devenaient soldats pour défendre en temps de guerre celle qui, pendant la, paix, était la. mère, de ses peuples.

Malgré tous ses efforts., la, cour de Vienne ne put faire entrer avant les premiers jours d'avril, son armée en campagne. Frédéric II avait déjà recommencé ses opérations. Après s'être emparé de Schweidnitz, que tout l'hiver n'avait tenu bloqué ; et de sa garnison forte de 5.000 hommes (16 avril), il entra dans la Moravie, province moins épuisée que la Bohême, et résolut d'investir Olmutz, La nombreuse garnison de cette place, la valeur et les talents du commandant, des fortifications en bon état, étaient des obstacles trop faibles pour arrêter le roi de Prusse. Avant de partir, il laisse une armée considérable en Saxe sous, les ordres du prince Henri son frère, afin d'observer celle que le feld-maréchal Daun avait envoyée sur les frontières de cet électorat, et l'armée des cercles commandée par le prince Frédéric de Deux-Ponts, marche vers la Bohême. Il ordonne ensuite au général Fouquet., retranché dans le comté de Glatz, de faire différents mouvements pour masquer ses, desseins sur Olmutz. Après plusieurs marches et contremarches, Frédéric arrive devant cette ville et en forme le siège, malgré les fréquentes sorties de la garnison.

Le maréchal Daun s'était déjà aperçu que le roi avait quitté la Silésie. A la tête d'une armée de 50.000 hommes dont il a pris le commandement en chef à la place du prince Charles de Lorraine, il suit Frédéric et arrive non loin d'Olmutz. Mais il voit l'impossibilité d'engager une action avec son armée composée de recrues et se contente d'asseoir son camp à cinquante milles de la place assiégée. De là, il renforce continuellement la garnison, et au moyen de ses troupes légères, il cause de perpétuelles alarmes aux Prussiens. Daun eut bientôt familiarisé ses soldats avec la vue des ennemis. Il apprit, vers le milieu de juin, qu'un convoi de 3.000 fourgons, sans lequel Frédéric ne pouvait continuer les opérations du siège, venait de la Silésie par Troppau. Il envoya les maréchaux Loudon et Ziskowitz chacun avec un corps de 6.000 hommes pour l'enlever. Au moment où il allait entrer dans les lignes des Prussiens, les deux généraux tombent sur les 14.000 hommes qui lui servent d'escorte, renversent et culbutent tout ce qui résiste, tuent près de 3.000 ennemis, font 400 prisonniers, s'emparent de 12 pièces de canon et détruisent le convoi. Une perte aussi considérable pour Frédéric et l'approche de l'armée russe le déterminèrent à lever le siège (3 juillet).

Après sa retraite d'Olmutz, le roi de Prusse se- dirigea contre les Russes qui, malgré Dohna, investissaient Custrin. Il fit en vingt-quatre jours une marche de cent lieues, arriva le 21 août dans les environs de Custrin, déjà réduit en cendres, et se réunit à l'armée du comte de Dohna. Il passa l'Oder au-dessous de ce point, et attaqua Fermor posté à Zorndorf avec 54.000 hommes (15 août). Cette bataille fut une des plus longues et des plus sanglantes de toute la guerre ; elle dura depuis neuf heures du matin jusqu'à huit heures et demie du soir. Les deux partis s'attribuèrent la victoire. Les Prussiens perdirent environ 12.000 hommes, mais la perte des Russes monta à 21.500 tués et 3.000 prisonniers. Fermor abandonna le siège qu'il avait entrepris et se retira vers les frontières de la Pologne.

Les Russes ainsi repoussés, Frédéric courut en Saxe, au secours du prince Henri son frère, vivement pressé par le maréchal Daun que soutenait l'armée de l'empire. Après différentes manœuvres dont le but était d'inquiéter les Autrichiens, il assit son camp sur des hauteurs, à trois milles des ennemis, en étendant sa droite par-delà le village de Hochkirchen, et sa gauche depuis Seska jusqu'à Kottiz. Cette position parut si peu tenable au maréchal Keith, qu'il dit au roi : « Si les Autrichiens nous laissent tranquilles dans ce camp, ils méritent, d'être pendus. — Il faut espérer, lui répondit Frédéric, qu'ils nous craindront plus que la potence. » Sa confiance présomptueuse lui fit négliger les précautions ordinaires. Daun résolut de l'attaquer, et pour mieux cacher son dessein, il éleva des redoutes autour de son camp, comme s'il voulait demeurer sur la défensive. Mais dans la nuit du 13 au 14 octobre, laissant ses feux allumés, il forma trois divisions de son armée, traversa des chemins et des bois très-difficiles. A cinq heures du matin, des pelotons d'Autrichiens s'annonçant comme déserteurs, se présentèrent aux avant-postes de l'ennemi ; leur nombre s'accrut si rapidement, qu'ils purent s'en rendre maîtres. Alors favorisés par l'obscurité, les, corps conduits par Daun et London tombent sur le camp des Prussiens, pénètrent dans les tentes, massacrent tous ceux qui sont ensevelis dans le sommeil, s'emparent de l'artillerie et la déchargent sur leurs ennemis.

Dans cette situation dangereuse, la discipline à laquelle les troupes de Frédéric étaient accoutumées, les sauva d'une perte entière. A la première alarme, les soldats coururent aux armes et se rangèrent en aussi bon ordre que le permirent la surprise et l'obscurité. Le village de Hochkirchen en flammes éclaira les dispositions du roi. A la tête de trois brigades, il s'efforça de tourner Hochkirchen, afin de prendre l'ennemi en flanc, mais il fut contraint de céder à des forces supérieures. Daun et Loudon s'emparent du village ; de ce poste dépendait le succès de la bataille. Trois fois les Prussiens tâchent de le reprendre, trois fois ils sont repoussés vigoureusement. Dans une quatrième attaque, leurs efforts sont en partie couronnés du succès, lorsque Daun conduit ses troupes au centre de ce poste. La mêlée devient affreuse, et les généraux combattent comme le simple soldat. Le maréchal Keith, l'ami intime du roi, qui commandait l'aile droite, et le prince François de Brunswick, frère de la reine, tombent morts sur la place, et le prince Maurice d'Anhalt-Dessau, grièvement blessé, est fait prisonnier. Les Prussiens sortent alors du village et se retirent à la faveur des batteries placées au centre de leur camp. Frédéric se préparait à tenter un dernier effort avec son aile gauche. Il en fut empêché par le duc d'Aremberg qui conduisait la troisième division des Autrichiens, et s'était emparé des redoutes. Après un combat de cinq heures, dans lequel il avait perdu 10.000 hommes et les Autrichiens 8.000, le roi se vit forcé d'abandonner son camp, ses bagages et 100 pièces de canon. Il se retira en bon ordre sur les hauteurs de Bautzen, à une lieue environ du champ de bataille.

Malgré ce désastre, jamais Frédéric :ne parut plus grand. Quoiqu'il n'eût ni artillerie, ni munitions, il était encore redoutable, et Daun n'osa pas l'attaquer. Il essuya courageusement toutes les injures de l'air, en attendant que le prince Henri, son frère, lui amenât de Saxe des troupes, des tentes et du canon. Lorsqu'il eut reçu ce renfort, il marcha au secours de Neiss que les Autrichiens assiégeaient. A son approche, ils se retirèrent. Le roi ne s'attacha point à leur poursuite, mais se dirigea vers la Saxe pour débarrasser ce pays de l'armée des cercles qui investissait Leipsick, tandis que le feld-maréchal Daun menaçait Dresde. Le général Schmettau, commandant de cette ville, avait reçu l'ordre de la défendre jusqu'à l'extrémité. Comme ses vastes et magnifiques faubourgs opposaient de grands obstacles à ses projets, il se crut obligé d'y mettre le feu au moment où les Autrichiens se préparaient à s'emparer de celui de Pirna. Le 10 novembre, deux cent soixante-six maisons somptueuses, parmi lesquelles on comptait des palais ornés des plus riches ameublements, devinrent la proie des flammes. Plein d'égards pour la famille royale qui se trouvait alors dans Dresde, le maréchal Daun renonça à son entreprise. L'approche de Frédéric le força d'évacuer la Saxe ; il alla prendre ses quartiers d'hiver en Bohême.

La campagne terminée, Daun se rendit à la cour de Vienne, afin de préparer les travaux de la suivante sous les yeux de son auguste souveraine. L'empereur et son épouse se plurent à répandre les honneurs et les grâces sur le général victorieux. Après la bataille de Hochkirchen, l'impératrice-reine lui avait témoigné sa reconnaissance par une lettre écrite de sa propre main. Une statue fut ensuite élevée en son honneur. Animés du même esprit que Marie-Thérèse, les États d'Autriche voulurent aussi récompenser le maréchal des services importants qu'il avait rendus à la patrie ; ils arrêtèrent de lui faire présent de 300.000 florins pour racheter la seigneurie de Ladendorf, bien de famille que son père avait vendu au comte de Khevenhuller. L'impératrice de Russie lui• envoya une épée à poignée d'or, par considération pour sa valeur et ses talents militaires. Le succès des armes autrichiennes porta Clément XIII à renouveler en faveur de Marie-Thérèse et de ses successeurs, le titre de roi ou de reine apostolique, que le pape Sylvestre Il avait donné. à saint Étienne.

La campagne de 1759 s'ouvrit avec une fureur nouvelle de la part des parties belligérantes. Elle fin heureuse pour Marie-Thérèse, dont les troupes étaient nombreuses et dans le meilleur état. Ses alliés soutenaient toujours la cause de sa maison avec le plus grand zèle. La czarine redoublait ses préparatifs ; la Suède faisait de généreux efforts et les États catholiques d'Allemagne fournissaient avec empressement leur contingent. Mais la France prodigua surtout les secours à Son ancienne rivale, devenue son alliée. Le cardinal de Bernis avait été disgracié dans les derniers joins de l'année précédente, parce qu'il s'était montré favorable à la paix, et le marquis de Stainville, créé duc de Choiseul, l'avait remplacé au ministère des affaires étrangères. Personnellement attaché aux princes 'de la maison de Lorraine-Autriche, ce ministre conclut avec l'impératrice-reine (30 décembre 1758) un traité qui convertit l'alliance défensive de 1756 en 'une alliance offensive. Ainsi une animosité de plusieurs siècles faisait place au concert le plus intime.

Au commencement d'avril, le prince Ferdinand, dont l'armée avait reçu un renfort de troupes anglaises, se mit en marche afin de surprendre les Français dans leurs quartiers d'hiver aux environs de Francfort. Le duc de Broglie rassembla en trente-six heures toutes ses troupes qui montaient à 25.000 hommes et fit tête à une armée de 40.000 combattants. Malgré cette énorme 'disproportion de forces, il fut vainqueur du prince Ferdinand, à Bergen 3ravril), et le força de se retirer avec beaucoup de perte. Le succès de cette bataille, dans laquelle fut tué le prince d'Isenbourg, couvrit de gloire le duc de Broglie. L'empereur le créa prince d'empire, et Louis XV lui donna le bâton de maréchal de France.

Le maréchal de Contades était à Paris quand fut livrée la bataille de Bergen. Il se hâta de revenir à l'armée, passa ensuite le Rhin, se joignit à Giessen, sur la Lahn, avec les troupes de Broglie, et poussa devant lui les alliés jusque dans la Hesse. Le maréchal de Broglie s'empara de Cassel et de Minden où il établit son quartier général. En même temps, un autre corps, détaché à gauche, prit Munster qui avait aune garnison de 4.000 hommes (25 juillet 1759). Mais le prince Ferdinand ayant trompé les Français par une retraite simulée, Contades abandonna une position excellente pour attaquer un détachement qu'il avait laissé au village de Todenhausen. Au plus fort de la mêlée, Ferdinand tombe sur les troupes du maréchal, près de Minden, les enfonce et les met en déroute, après leur avoir tué 7.000 hommes (1er août). Dans sa fuite précipitée sur Cassel, Contades fut poursuivi pendant plusieurs jours, perdit encore beaucoup de monde. Chassés de la Hesse, les Français reprirent leurs cantonnements près de Francfort.

De son côté, Frédéric, trop inférieur en forces, se tient d'abord sur la défensive, temporise, et se contente d'observer Daun en Silésie. Mais les Russes, après avoir défait le général Wedel à Zullichau, ou près du village de Kai, dans le duché de Crossen (23 juillet), s'étant emparés de Francfort sur l'Oder et menaçant Berlin, le roi résolut d'arrêter leurs progrès. Il se mit à la tête de tout ce qu'il put rassembler de troupes et vint leur présenter la bataille près de Kunersdorf (12 août). Les Russes et les Autrichiens, réunis sous les généraux Soltikoff et Loudon, formaient une armée d'environ 80.000 hommes ; Frédéric n'en avait que la moitié. La bataille fut très-meurtrière. Les grandes batteries des Prussiens, dressées sur des monticules voisins de la position formidable que les ennemis occupaient, foudroyèrent leurs retranchements à un tel point qu'ils n'étaient plus tenables.

L'infanterie avait remporté une victoire qui paraissait décisive et pris 180 canons, lorsque, voulant écraser tout à fait les Russes et pousser plus loin ses avantages, malgré les exhortations de ses généraux, il tenta de forcer les retranchements élevés près de Judenberg. Mais les Russes opposèrent une vigoureuse résistance. Loudon, qui n'avait pas encore combattu, se mit en mouvement avec ses Autrichiens et rétablit les affaires. Il ordonne de charger à mitraille une batterie dressée sur le mont, la fait jouer contre les Prussiens qui se portaient en avant pour s'en emparer, tombe lui-même sur leurs derrières et jette le désordre dans leurs rangs. Sept fois durant l'action Frédéric retourne à la charge avec de nouvelles troupes, et il est toujours repoussé avec une perte considérable. Enfin une terreur panique s'empare de ses soldats accablés de lassitude et de chaleur, et il se retire laissant 18.495 hommes tués ou blessés sur le champ de bataille, ainsi que 3.000 prisonniers, 30 drapeaux et presque toute son artillerie entre les mains des Austro-Russes. Le roi eut deux chevaux tués sous lui, ses habits percés par les balles, et sans les courageux efforts de ses hussards, il serait tombé au pouvoir de l'ennemi. Les Russes avaient éprouvé une perte considérable ; ce qui fit dire à Soltikoff : « Si je gagne encore une pareille bataille, je serai obligé d'en porter seul, avec un bâton à la main, la nouvelle à Saint-Pétersbourg. »

« Qu'on voie à quoi tiennent les victoires ! » écrit Frédéric, en donnant quelques détails sur la journée de Kunersdorf. Il avait regardé le succès comme assuré, et au milieu de la bataille il avait envoyé ce billet à la reine : « Nous avons chassé les Russes de leurs retranchements ; et sous deux heures nous aurons triomphé complètement. » Après l'action il écrivit ces mots : « Éloignez de Berlin la famille royale, faites porter les archives à Postdam, et que la capitale s'accommode avec l'ennemi. » C'en était fait des Prussiens si les Russes avaient su profiter de leurs succès, mais la haine qui régnait entre leurs généraux et les Autrichiens les en empêcha. Au lieu d'agir avec la vigueur nécessaire et de poursuivre l'ennemi ainsi que le demandait London, ils laissèrent au roi le temps de reprendre de nouvelles forces. Les reproches du maréchal Daun à Soltikoff n'eurent pas plus de succès. « J'en ai fait assez cette année, lui répondit le général russe. J'ai gagné deux batailles qui coûtent 27.000 hommes à la Russie. J'attends, pour continuer mes opérations, que vous ayez remporté deux victoires à votre tour ; car il n'est pas juste que les troupes de ma souveraine agissent seules. » Cependant les Autrichiens et les Russes ne tardèrent pas à se réconcilier, et les deux généraux arrêtèrent leurs opérations ultérieures dans une entrevue à Guben.

Pendant ce temps, l'armée des cercles commandée par le prince Frédéric de Deux-Ponts, avait pris Leipsick, Torgau et Wittemberg. Elle s'empara aussi de Dresde le 5 septembre suivant ; le général Schmettau, qui commandait dans cette place, en sortit après un siège de vingt-sept jours, avec la garnison, son artillerie, ses bagages et la caisse militaire qui contenait 5.000.000 de couronnes, fruit des contributions de la Saxe. A la nouvelle de ce succès, Daun, au lieu de joindre les Russes, se porta de la Silésie dans l'électorat. Frédéric sut mettre cette faute à profit ; ses habiles manœuvres et celles du prince Henri, son frère, empêchèrent la jonction des Russes et des Autrichiens ; les premiers, irrités de l'abandon de leurs alliés et souffrant d'ailleurs beaucoup du manque de vivres, continuèrent leur marche vers la Pologne.

Frédéric alla ensuite se mettre à la tête de son armée en Saxe, pour reprendre Dresde. Dans la persuasion que le maréchal Daun voulait se retirer en Bohême, il détacha le général Finck avec 18.000 hommes à Maxen, afin de lui couper les défilés. Cette manœuvre, qui aurait pu être funeste à un général ordinaire, fournit au maréchal l'occasion d'une brillante victoire. Il conçut, en effet, le hardi projet de surprendre les troupes envoyées à Maxen et l'exécuta avec autant d'habileté que de promptitude. Investi par 40.000 hommes, Finck fut obligé, le 21 novembre, après une vigoureuse résistance, de se rendre prisonnier de guerre avec tout son corps et huit généraux. Un avantage si marqué n'eut cependant aucune suite décisive. Daun se contenta de contenir le roi de Prusse qui fit d'inutiles efforts pour reprendre la capitale de l'électorat dont il restait maître.

Les troupes de l'impératrice-reine, sous la conduite du maréchal Daun, avaient acquis sur les Prussiens une supériorité décidée. Frédéric, ému de ses revers et fatigué de cette lutte interminable, ne parait plus que les coups des généraux de Marie-Thérèse, tous animés du même zèle pour la gloire de ses armes, et dont l'attachement à leur souveraine avait fait autant de héros. Par sa résistance à leurs efforts, il se couvrait de gloire, il est vrai ; mais cette guerre ravageait ses États depuis deux ou trois' campagnes et la Saxe, épuisée d'hommes et d'argent, ne lui était plus d'aucun secours. Malgré le subside de l'Angleterre, il ne pouvait suffire aux frais d'hostilités si ruineuses. « Ce sont des travaux d'Hercule, écrivait-il, que j'ai à faire dans un âge où la force m'abandonne et où l'espoir commence à me manquer. »

Au mois d'avril 1760, le maréchal Daun occupa le camp de Pirna, d'où il observa les mouvements de Frédéric II. Il avait donné l'ordre à ses officiers généraux d'attendre l'arrivée des Russes pour agir. Mais London, ayant quitté Olmutz, entra dans la basse Silésie et bloqua Glatz. Après une suite de savantes manœuvres, il attaqua le camp retranché du général Fouquet, que le roi avait détaché avec 9.000 hommes, pour garder les défilés de Landshut. Huit montagnes contiguës, et auxquelles on communiquait par des lignes palissadées, semblaient devoir mettre les Prussiens à l'abri de toute insulte. Mais ils furent bientôt chassés de leurs retranchements et poursuivis par l'intrépide London. Forcé de toutes parts, Fouquet veut du moins échapper à son ennemi. Il rassemble un corps de grenadiers, en forme un bataillon carré, se place au centre, et pousse à travers les Autrichiens pour s'ouvrir un passage et s'échapper. Ressource inutile ! le bataillon est enfoncé et taillé en pièces, Fouquet blessé et obligé de se rendre prisonnier de guerre avec 8.000 hommes qui lui restaient (23 juin). Le vainqueur retourna aussitôt vers Glatz.

Instruit dans le même temps de la défaite du corps de Fouquet et de l'entrée des Russes en Silésie, Frédéric envoya le prince Henri dans les environs de l'Oder et décampa lui-même afin d'avoir la facilité de réunir les deux armées. Le maréchal Daun leva aussi son camp pour éclairer la marche des Prussiens. Le roi, voyant le maréchal en Silésie, revient brusquement sur Dresde, canonne et bombarde cette ville avec un fracas épouvantable. Dresde souffrit beaucoup et perdit un grand nombre de ses plus beaux édifices. Mais le général Maquire, chargé du commandement de la place, se défendit avec le plus grand courage en attendant les secours du maréchal Daun. Le septième jour de l'investissement, celui-ci parut, y jeta un renfort de 12.000 hommes et prit position sur les hauteurs voisines de la rive droite de l'Elbe.

Sur ces entrefaites, Glatz ouvrit ses portes à Loudon (25 juillet). Il avait espéré trouver les Russes près de Breslau, et prendre cette ville qu'il bombarda, mais il rencontra le prince Henri avec des forces supérieures et se retira. Les Russes arrivèrent enfin sur l'Oder ; leur dessein était de se réunir à l'armée du maréchal Daun. Le roi, qui craignait la perte de la Silésie, y accourut de la Saxe ; sa marche fut harcelée par Daun qui le précédait comme une avant-garde, tandis qu'il était suivi par Lascy, général plein de vigueur et de résolution, auquel le feld-maréchal aimait à confier les missions les plus importantes et les plus délicates. Frédéric s'avança jusqu'à Liegnitz, où il se vit cerné par des forces presque triples. Dans une position aussi critique, il cherchait un moyen de retraite, lorsqu'il profita d'un faux mouvement de Loudon sur Liegnitz pour lui faire éprouver une déroute complète (15 août). Cette victoire permit au roi de rétablir la communication avec Breslau et d'opérer sa jonction avec le prince Henri.

Depuis la Saint-Barthélemy, 23.000 Russes, sous la conduite du général Demidoff, assiégeaient Çolberg, tandis que 27 de leurs vaisseaux, auxquels s'était réunie une escadre suédoise, bloquaient cette Ville par mer. Elle était défendue par le brave major Heyden. Le général Werner, détaché de la Silésie, à la tête de 5.000 hommes, attaqua les assiégeants le sabre à la main, et leur inspira une telle frayeur, qu'abandonnant leurs camps et leurs canons, ils se réfugièrent sur la flotte qui leva l'ancre et gagna la haute mer (18 septembre).

Afin d'obliger le roi de Prusse de quitter la Silésie, Daun fit marcher contre Berlin 20.000 Russes et 15.000 Autrichiens sous Tchernicheff et Lascy. Le prince Eugène de Wirtemberg, qui faisait dans la Poméranie la guerre aux Suédois, s'empressa de voler avec 5.000 combattants à la défense de cette capitale, mais il se retira devant les forces supérieures de l'ennemi. Les Russes entrèrent le 9 octobre dans Berlin, que sa grande étendue et son manque de fortifications ne permettaient pas de défendre avec succès. Ils y levèrent une forte contribution et se retirèrent au bout de huit jours sur le bruit de l'approche de Frédéric.

Ainsi que le maréchal Daun l'avait prévu, le roi quitta précipitamment la Silésie pour voler au secours de sa capitale. Informé que les alliés en étaient sortis, il tourna aussitôt vers la Saxe, dont la possession était à ses yeux de la plus haute importance. Après avoir repoussé l'armée des cercles, repris Leipsick et Wittemberg, il voulut chasser Daun, le Fabius des Autrichiens, de la position avantageuse qu'il occupait à Torgau, et vint l'y attaquer (3 novembre). Des deux côtés on fit des efforts extraordinaires. Quatre cents canons plantés sur des batteries, reçurent les Prussiens et anéantirent leur corps de grenadiers. Leurs colonnes revinrent plusieurs fois à la charge sans pouvoir entamer les Autrichiens, et furent repoussés jusqu'au bois de Domnitz. Daun, quoique blessé dangereusement à la cuisse, se montra partout, combattit à la tête des siens, et maintint son avantage. Tous les efforts de Frédéric, déterminé à vaincre ou à mourir, devinrent inutiles. A la dernière attaque, il eut la poitrine effleurée d'un coup de feu, et le margrave Charles reçut une contusion.

A la vue de ses troupes en désordre, le roi crut la bataille perdue, et résolut de profiter de la nuit pour se retirer. Daun, que la douleur de sa blessure obligea de s'éloigner aussi, laissa le commandement à Buccow et se fit porter à Torgau, d'où il dépêcha aussitôt des courriers à Vienne pour y annoncer la nouvelle d'une victoire complète. Mais en son absence on négligea les précautions nécessaires, et l'un des généraux prussiens, Ziéthen, détaché pour combattre le corps de Lascy, rétablit les affaires de Frédéric. La bataille recommença et dura dans l'obscurité jusqu'à dix heures. La nuit fut horrible, les soldats des deux armées étaient mêlés, souffrant également du froid, de la faim et de la soif, tournant leurs armes les uns contre les autres dès qu'ils se reconnaissaient ; le champ de bataille, couvert de blessés que personne.ne pouvait secourir et que des brigands dépouillaient[6]. Après avoir tenté vainement de repousser Ziéthen, qui bientôt fut joint par le roi, les Autrichiens passèrent l'Elbe et se dirigèrent sur Dresde. Au point du jour, Frédéric se vit seul. Il avait perdu 14.000 hommes de sa meilleure infanterie et un grand nombre d'officiers supérieurs.12.000 Autrichiens avaient été tués et 8.000 faits prisonniers. Les vainqueurs recouvrèrent toute la Saxe, excepté Dresde. Les Suédois furent repoussés jusqu'à Stralsund, et les Russes, informés de la défaite de leurs alliés à Torgau, reprirent leurs quartiers d'hiver en Pologne.

De l'aveu du roi lui-même, les Prussiens ne durent leur victoire qu'à la blessure que Daun avait reçue. Pour ce motif, la réputation du maréchal n'en souffrit point, et lorsqu'il se rendit à Vienne, Marie-Thérèse alla en personne à sa rencontre, à la distance de deux milles, et lui prodigua de plus grands honneurs qu'après ses succès les plus éclatants.

Le revers qu'avaient éprouvé les armes autrichiennes à la fin de la campagne de Saxe ne fut compensé par aucune action décisive du côté de la Westphalie. Le maréchal de Broglie envahit de' nouveau la Hesse avec une armée de 120.000 'hommes, sans que le prince Ferdinand pût l'arrêter. La victoire de Corbach, où le secondèrent habilement les comtes de Saint-Germain et de Guerchy (10 juillet), le rendit maître des frontières de la Hesse, et prépara la prise de Cassel et de Minden par le comte de Lusace. Le prince Ferdinand, qui voyait avec inquiétude les progrès des Français, ne voulut cependant pas risquer une bataille, mais il détacha le prince héréditaire pour faire une puissante diversion sur le Rhin ; celui-ci, vers la fin de septembre, se rendit maître de Clèves et de Rheinberg, et entreprit le siège de Wesel, De Broglie envoya contre ce prince le marquis de Castries qui le battit à Clostercamp, lieu fameux par le dévouement du chevalier d'Assas (16 octobre). Cet avantage força le détachement du bas Rhin à lever le siège, afin de rétrograder sur l'armée de Brunswick. Le maréchal de Broglie se maintint pendant l'hiver dans la Hesse et dans le Hanovre.

Georges II venait de terminer son long règne (25 octobre). Ce monarque eut pour successeur Georges III, son petit-fils, né en Angleterre, et qui, sous le double rapport de la politique et du caractère, différait infiniment de son aïeul. Ce prince, aussi pacifique par habitude que par principe, exprima cependant au parlement la résolution de pousser avec vigueur les opérations militaires ; mais les sentiments bien connus du nouveau souverain et la confiance qu'il accordait à lord Bute ranimèrent les espérances des partisans de la paix. Marie-Thérèse vit aussi avec satisfaction la révolution qui commençait dans le cabinet britannique, et les sentiments de la cour d'Espagne envers la maison d'Autriche. Charles III penchait en faveur de l'impératrice-reine qui avait donné son adhésion à l'ordre de succession établi pour son royaume de Naples et de Sicile. Le mariage de sa nièce, l'infante Élisabeth-Marie, princesse de Parme, qui épousa l'archiduc Joseph (7 septembre) confirma ces dispositions[7].

Pendant l'hiver de 1761, lorsque ses armées se reposaient des fatigues de la campagne, Marie-Thérèse voulut témoigner par un acte public à toutes ses troupes, combien elle était satisfaite de leurs services. Elle ne se contenta pas de donner à leur courage et à leur zèle les éloges qu'ils méritaient, elle rendit encore le sort des soldats plus heureux, en augmentant leur ration d'une livre de farine par jour. Sensible aux malheurs dont les habitants de Dresde avaient été accablés depuis le commencement des hostilités, elle envoya dans cette capitale des sommes considérables destinées à réparer les pertes qu'ils avaient éprouvées. Ainsi l'impératrice-reine, en veillant avec son conseil aux préparatifs de la campagne prochaine, répandait sur ceux qui devaient en supporter les fatigues, des bienfaits propres à leur en adoucir les travaux.

Dès le mois de février, le prince Ferdinand, renforcé par un 'corps que lui avait envoyé le roi de Prusse, essaya de chasser les Français de la Hesse et mit le s«iége devant Cassel. Le maréchal de Broglie recula en désordre et ne s'arrêta qu'à Hanau. Là, il rassembla son armée, marcha sur la Lahn, remporta un avantage sur ce prince, auquel il fit 2.000 prisonniers, et enleva 13 pièces de canon et 19 drapeaux. Il força ensuite l'ennemi à repasser la Dimel, et reprit sa position de Cassel. Le combat de Willighausen, près de la Lippe, ne fut pas si heureux. Ferdinand contraignit les Français à la retraite avec perte de 6.000 hommes. Le prince de Soubise et le maréchal de Broglie, qui s'accusaient réciproquement de cette honteuse défaite, se séparèrent ; le premier rétrograda sur le bas Rhin ; le second vers la Hesse. L'habile Ferdinand les empêcha d'établir, comme ils se l'étaient proposé, leur communication avec les Impériaux.

L'Europe avait alors les yeux fixés sur la Silésie, où les Russes arrivèrent plus tôt que dans les campagnes précédentes. Mais cet autre théâtre de la guerre ne fut pas plus fécond en évènements. Frédéric, qui n'avait plus que des troupes jeunes, mauvaises, recrutées à grands frais parmi tous les aventuriers de l'Allemagne, parut avoir changé son extrême hardiesse contre la circonspection de Daun, et se tint continuellement sur la défensive. Il courait le risque d'être accablé par ses ennemis, mais il fut sauvé par leurs fautes. Tandis que Daun se contentait d'occuper Dresde et les environs, Loudon opéra sa jonction avec les Russes dans la Silésie, et le roi se trouva enveloppé dans lé camp de Bunzelwitz par 130.000 hommes, auxquels il ne pouvait en opposer que 50.000. Malgré la force de ses retranchements protégés par des collines, des rivières, des marais, par des palissades dont les rangs se croisaient, et plus de 450 pièces de canon, il était perdu, lorsque le général russe Boutourlin et Loudon, en pleine dispute, se séparèrent.

Après leur départ, Frédéric était sorti de son camp afin de se rapprocher de ses magasins de Neiss. Loudon profite de ce mouvement ; il se présente devant la ville de Schweidnitz, et attaque si brusquement les ouvrages extérieurs, qu'on peut à peine se servir du canon pour tâcher de l'éloigner. Dans un moment tout est emporté. Loudon marche au glacis, descend dans le fossé, escalade les remparts, et arrive au milieu de la place sans donner le temps au commandant Zastrow de proposer une capitulation. Zastrow est fait prisonnier de guerre avec les 3.000 hommes qui composaient la garnison (1er octobre). Les autrichiens trouvèrent dans la ville 200 pièces de canon, des magasins immenses d'armes et d'habits, et beaucoup d'argent.

De leur côté, les Russes, sous la conduite de Roumanzoff, et appuyés par une flotte à laquelle s'étaient réunies quatorze voiles suédoises, s'emparèrent de Colberg qu'ils assiégeaient depuis longtemps (16 décembre). Ils purent alors hiverner dans la Prusse et se procurer des subsistances sans leur faire traverser la Pologne.

Consterné des pertes qu'il venait d'essuyer, Frédéric se rendit à Breslau où il ordonna d'achever les retranchements d'un camp commencé pendant la dernière campagne. Il se déroba à toute société pour se livrer à sa douleur, et parut déterminé à finir ses jours avec gloire sous les murs de la capitale de la Silésie. Tout annonçait, en effet, pour l'année suivante une campagne terrible et décisive. Les affaires de l'impératrice-reine se trouvaient dans une situation plus heureuse qu'à toute autre époque de la guerre. William Pitt, l'admirateur du roi de Prusse, ne faisait plus partie du cabinet britannique. Le pacte de famille qui unissait les branches diverses de la maison de Bourbon, attirait sur la _scène des combats un nouvel acteur disposé à soutenir la France et l'Autriche. Car l'Angleterre, n'ayant pu obtenir de la cour de Madrid la communication de ce plan d'étroite solidarité, conçu par le duc de Choiseul et signé le 15 août, avait déclaré la guerre à l'Espagne (4 janvier 1762) et entraîné le Portugal dans son alliance contre la maison de Bourbon.

Les alliés allaient recommencer la campagne, appuyés sur les places de Colberg, de Schweidnitz et de Dresde, qui leur donnaient la possession de la Prusse, de la Silésie et de la Saxe, et tout semblait présager la fin de la monarchie prussienne, lorsqu'elle se vit délivrée du péril imminent qui la menaçait. L'impératrice de Russie, Élisabeth, morte le 5 janvier de cette année, eut pour successeur son neveu, Pierre III, qui, dans sa première jeunesse, avait visité la cour de Berlin. Ce prince avait été ravi d'admiration à la vue de l'armée du roi et avait conçu pour lui les sentiments de la plus vive amitié. Il abandonna non seulement les rangs de ses ennemis, mais embrassa son alliance et envoya l'ordre à son armée de 20.000 hommes, qui s'était retirée en Pologne, de se réunir aux troupes de Frédéric. La Suède suivit l'exemple de la Russie, et conclut avec lui une suspension d'armes, et bientôt la paix.

Frédéric, que cette heureuse révolution remplit d'une joie égale au désespoir que lui avaient inspiré ses revers, sortit de sa retraite, reprit sa manière de vivre accoutumée et se hâta de concentrer toutes ses troupes en Silésie. Quoique Marie-Thérèse eût diminué son armée, elle se montra néanmoins résolue à continuer la guerre contre la Prusse et la Russie, afin de pouvoir au moins conserver Glatz et Schweidnitz. Pendant que Frédéric prenait ses mesures pour couper la communication entre cette dernière ville et Daun qui la couvrait avec son armée, Pierre III fut déposé, assassiné et remplacé sur le trône par Catherine d'Anhalt son épouse (9 juillet}. L'impératrice Catherine II confirma la paix avec le roi de Prusse, mais elle se déclara neutre et rappela ses troupes.

Cette nouvelle fut un coup de foudre pour Frédéric. Il ne changea cependant rien à son plan de campagne et porta toute son attention sur la ville de Schweidnitz. Afin de se préparer le moyen de l'investir, il sut éloigner le feld-maréchal de cette place que défendaient le général comte de Guasco, officier plein de bravoure et d'expérience, et l'un des plus grands ingénieurs de son époque, le général français Vaquette de Gribeauval. Après avoir trompé les Autrichiens sur son véritable dessein, il parut tout à coup devant Schweidnitz et en forma le siège. Daun accourut aussitôt au secours de la ville et se conduisit avec la même habileté que devant Dresde et. Olmutz, mais il ne fut pas aussi heureux. Frédéric avait employé toutes les ressources de l'art pour retrancher son camp. Le maréchal tenta plusieurs fois de le forcer, sans pouvoir y réussir. Le comte de Guasco se défendait avec une intrépidité digne d'éloges. Enfin, un accident rendit le roi de Prusse maître de la place. Un obus, en tombant dans le laboratoire du fort de Javernick, mit le feu aux poudres, et le fit sauter avec 300 grenadiers. Il n'était plus possible, après cette catastrophe, de tenir contre les assiégeants ; le comte de Guasco fut obligé de se rendre prisonnier de guerre avec la garnison composée de 9.000 hommes. Lorsqu'il alla saluer le roi, à la tête de tous les officiers qui avaient défendu la place : « Messieurs, leur dit Frédéric, vous avez donné un bel exemple à imiter à ceux qui auront à défendre des places ; votre défense me coûte plus de 8.000 hommes. »

Ainsi finit la campagne de Silésie, province que ne put jamais recouvrer la maison d'Autriche. Il ne se passa plus rien d'important entre les armées des parties belligérantes. L'objet des généraux autrichiens fut d'empêcher les troupes de Frédéric d'entrer dans la Bohême par la Saxe. L'armée de l'empire aux ordres du prince Stolberg, obtint sur les Prussiens quelques avantages qui furent tous effacés par la victoire que le prince Henri remporta le 29 octobre. Il attaqua les Impériaux à Freyberg, força leurs retranchements, et les battit avec perte de 3.000 hommes, tués et blessés, de 4.000 prisonniers, de quelques drapeaux et de 24 pièces de canon. Un corps de troupes prussiennes, détaché contre la Bohême, réduisit en cendres la ville d'Egra, et s'avança jusque sous les murs de Prague, tandis qu'un autre corps, traversant la Saxe, pénétrait au cœur de l'Allemagne, jetait l'épouvante à Ratisbonne où la diète était en séance, et contraignait Nuremberg et plusieurs autres villes à la neutralité.

Sur l'autre théâtre de la guerre, les alliés de l'Autriche n'étaient guère plus heureux. Le prince Ferdinand battit à Grebenstein les maréchaux d'Estrées et Soubise (24 juin). Tout le corps de M. de Stainville, qui se sacrifia généreusement pour empêcher la déroute totale de l'armée, fut enveloppé et défait. Alors Soubise rétrograda sur Cassel et sur Francfort. Il répara cet échec par l'avantage qu'il remporta, le 30 août suivant, sur le prince héréditaire de Brunswick, à Johannesberg. Cette victoire permit à l'armée du bas Rhin, sous les ordres du prince de Condé, d'opérer sa jonction avec celle de Soubise, et les Français reprirent l'offensive. Ils laissèrent cependant Ferdinand assiéger et prendre Cassel (7 novembre) ; ils allaient être chassés de la Hesse, lorsque la signature des préliminaires de paix mit fin aux hostilités.

Les rois de Prusse et d'Angleterre avaient témoigné, dès l'année 1760, le désir de la paix. La France, qui se voyait enlever par sa rivale tous ses établissements dans les autres parties du monde, s'était montrée disposée à un arrangement ; mais l'impératrice-reine avait fait avorter cette première tentative de pacification, dans l'espoir d'écraser Frédéric II sous le poids de la coalition et de recouvrer la Silésie. Les années suivantes, de nouvelles et infructueuses négociations eurent encore lieu, jusqu'au moment où la défection de la Russie et de la Suède enleva aux confédérés l'espoir de la ruine prochaine et facile du héros prussien. La France et l'Angleterre se retirèrent alors de la lutte et signèrent à Fontainebleau des préliminaires de paix (3 novembre). Marie-Thérèse et Frédéric restèrent seuls sur le champ de bataille. Mais l'impératrice-reine, à laquelle la révolution de Russie n'avait pas procuré les avantages qu'elle en avait espérés, semblait moins éloignée de la paix. En voyant ses États héréditaires exposés aux incursions de son infatigable ennemi, la Hongrie menacée par les Turcs, l'embarras de ses finances, la défection de ses alliés, la terreur qu'éprouvaient divers États d'Allemagne, elle se décida enfin à traiter, et fit adresser des propositions à Frédéric par l'intermédiaire du roi de Saxe. Elles furent accueillies, et des conférences s'ouvrirent au château d'Hubertsbourg, non loin de Dresde. Par le traité conclu le 15 février 1763 entre la Prusse, l'Autriche et la Saxe, après une discussion de peu de durée, Frédéric garda la Silésie et le comté de Glatz, et promit sa voix pour faire élire Joseph, fils aîné de Marie, comme roi des Romains ; l'électeur roi de Pologne recouvra ses États ; la Suède dut évacuer la Poméranie prussienne.

La pacification d'Hubertsbourg, qui mit fin à la guerre de Sept ans, rétablit, en Allemagne, les choses dans l'état où elles étaient au commencement des hostilités. L'Autriche et la Prusse ne retirèrent d'autre avantage des flots de sang qu'elles avaient répandus et des sommes immenses qu'elles avaient dépensées, que d'avoir mesuré leurs forces et conçu le désir salutaire de ne point renouveler une lutte si terrible. Cette guerre eut pour résultat l'élévation de la Prusse au rang de puissance de premier ordre, non par sa force matérielle, mais par la force d'opinion que lui donna la lutte inégale qu'elle avait soutenue. Marie-Thérèse, qui se résignait à l'abandon de la Silésie et à la perte de son influence sur l'Allemagne du nord, eut encore la douleur de voir l'attachement de ses alliés pour elle leur devenir funeste. La Saxe épuisée pourrait-elle guérir les blessures faites à ses provinces ? D'énormes contributions avaient ruiné les États d'Allemagne dévoués à la cause de l'Autriche. La France, après avoir dépensé 1.000.000.000 fr, et 200.000 hommes, expiait la faute qu'elle avait commise en négligeant sa marine pour se mêler aux troubles du continent, par le sacrifice de ses plus riches colonies et l'agrandissement de l'Angleterre qui, souveraine de l'Océan et maitresse de l'Amérique, pouvait jeter en sécurité les fondements de son merveilleux empire de l'Inde.

« Si nous examinons, dit Frédéric II dans son Histoire de la guerre de Sept 'ans, les causes qui ont tourné les évènements d'une manière si inattendue, nous trouverons que les raisons suivantes empêchèrent la perte des Prussiens : le défaut d'accord et le manque d'harmonie entre les puissances de la grande alliance ; leurs intérêts différents qui les empêchaient de convenir de certaines opérations ; le peu d'union entre les généraux russes et autrichiens, qui les rendait circonspects lorsque l'occasion exigeait qu'ils agissent avec vigueur pour écraser la Prusse, comme ils l'auraient pu faire effectivement ; la politique trop raffinée et quintessenciée de la cour de Vienne, dont les principes la conduisaient à charger ses alliés 'des entreprises les plus difficiles et les plus hasardeuses, pour conserver à la fin de la guerre son armée en meilleur état et plus complète que celle des autres puissances : d'où, à différentes reprises, il résulta que les généraux autrichiens, par une circonspection outrée, négligèrent de donner le coup de grâce aux Prussiens, lorsque leurs affaires étaient dans un état désespéré ; la mort de l'impératrice de Russie, avec laquelle l'alliance de l'Autriche fut ensevelie dans un même tombeau ; la défection des Russes et l'alliance de Pierre III avec le roi de Prusse, et enfin les secours que cet empereur envoya en Silésie.

« D'un autre côté, si nous examinons les causes des pertes que les Français firent dans cette guerre, nous observerons la faute qu'ils commirent de se mêler des troubles de l'Allemagne. L'espèce de guerre qu'ils faisaient aux Anglais était maritime ; ils prirent le change, et négligèrent cet objet principal pour courir après un objet étranger, qui proprement ne les regardait point. Ils avaient eu jusqu'alors des avantages sur mer contre les Anglais ; mais, dès que leur attention fut distraite par la guerre de terre terme, dès que les armées d'Allemagne absorbèrent tous les fonds qu'ils auraient dû employer à augmenter leurs flottes, leur marine vint à manquer des choses nécessaires, et les Anglais gagnèrent un ascendant qui les rendit vainqueurs dans les quatre parties du monde. D'ailleurs les sommes excessives que Louis XV payait en subsides, et celles que coûtait l'entretien des armées d'Allemagne, sortaient du royaume, ce qui diminua de la moitié la quantité des espèces qui étaient en circulation tant à Paris que dans les provinces ; et, pour comble d'humiliation, les généraux dont la cour fit choix pour commander ses armées, et qui se croyaient des Turennes, firent des fautes très-grossières.

« On ne peut, dit encore le même auteur, se représenter l'état de la Prusse, à la fin de la guerre de Sept ans, que sous l'image d'un homme criblé de blessures, affaibli par la perte de son sang, et près de succomber sous le poids de ses souffrances. La noblesse était dans l'épuisement, le petit peuple ruiné, nombre de villages brûlés, beaucoup de villes détruites. Une anarchie complète avait bouleversé tout l'ordre de la police et du gouvernement. En un mot, la désolation était générale... L'armée ne se trouvait pas dans une meilleure situation : dix-sept batailles avaient fait périr la fleur des officiers et des soldats. Les régiments étaient délabrés et composés en partie de déserteurs ou de prisonniers. L'ordre avait disparu et la discipline était relâchée au point que nos vieux corps d'infanterie ne valaient pas mieux qu'une nouvelle milice. »

Tant de maux avaient appris à Frédéric à détester le métier de conquérant. « Je ne sais si je survivrai à cette guerre, écrivait-il en 1760 au marquis d'Argens, mais je suis bien résolu, au cas que cela m'arrive, de passer le reste de mes jours dans la retraite, au sein de la philosophie et de l'amitié. » En effet, il renonça franchement à la carrière des combats, et, instruit par tant de revers, il conclut une alliance étroite avec la Russie.

Dès que le roi fut rentré dans sa capitale, il résolut de mettre en jeu tous les ressorts de sa volonté et de son intelligence pour réparer tous les désastres occasionnés par une si longue guerre. La Silésie, cause et prix de la lutte, en avait aussi le plus souffert ; elle se ressentit principalement de ses bienfaits. Tous les habitants, évêques, prêtres, chapitres, couvents, princes, nobles et bourgeois furent soumis au même impôt. Le souverain paya la taille comme le dernier de ses sujets. Les anciennes forteresses furent rétablies, et l'on en construisit de nouvelles. Frédéric II rebâtit quinze villes considérables, peupla plus de trois cents villages, et rendit à la culture une foule de terres demeurées en friche depuis longues années. En moins de quinze ans, la population de la Silésie excéda de 60.000 âmes au moins celle qui existait avant 1756. La sollicitude du roi s'étendit sur le royaume entier, et tout en blâmant sa vanité de vouloir tout entreprendre par lui-même, et qui lui fit commettre plus d'une erreur dans son administration, on ne peut qu'applaudir à la sagesse de ses règlements pour tout ce qui concerne la guerre, à l'admirable organisation de son armée, à ses efforts pour augmenter la liberté civile et le bien-être des paysans, à ses réformes de jurisprudence, aux améliorations introduites dans toutes les autres parties du gouvernement, aux encouragements continuels donnés, sous son règne à l'agriculture et à l'instruction de son peuple.

 

 

 



[1] Frédéric II, Histoire de la guerre de Sept ans, t. I.

[2] Pfister, Histoire d'Allemagne, t. 10.

[3] Coxe, d'après Pelzel.

[4] Schœll, Cours d'histoire des États européens, t. 38.

[5] Frédéric II, Histoire de la guerre de Sept ans.

[6] Schœll, Cours d'histoire des États européens, t. 38.

[7] Coxe, t. 5.