Le roi de Prusse
envahit la Saxe. — Il entre à Dresde. — Blocus des troupes saxonnes dans leur
camp de Pinta. — Bataille de Lowositz. — Auguste III se retire en Pologne. —
Grande confédération formée contre le roi de Prusse. — L'Allemagne se divise
en deux parties hostiles. — Frédéric entre dans la Bohème. — Bataille de
Prague. -- Blocus de cette place. — Bataille de Kolin. — Distinctions
accordées au maréchal Daun par François Ier et Marie-Thérèse. Création de
l'ordre militaire du Mérite. — Capitulation du duc de Cumberland à
Closterseven. — Situation presque désespérée du roi de Prusse. — Bataille de
Rosbach. — Frédéric II vainqueur des Autrichiens à Lissa. – Opérations du
prince Ferdinand de Brunswick contre les Français. — Succès des Russes. —
Frédéric assiège Olmutz. — Bataille de Zorndorf. — Surprise de Hochkirchen. —
Les armées entrent en quartiers d'hiver. — Honneurs accordés au feld-maréchal
Daun. — Marie-Thérèse soutenue avec force par ses alliés. — Campagne de 1759.
— Opérations des Français. — Défaite du roi de Prusse à Kunersdorf. —
L'armée des cercles s'empare de Dresde. — Affaire de Maxen. — Défaite de
Loudon à Liegnitz. — Retraite des Russes. — Prise de Berlin. Défaite des
Autrichiens à Torgau. —Succès des Français en Westphalie. — Le prince Ferdinand
empêche Soubise et le maréchal de Broglie de se réunir aux Impériaux. —
Inaction de Frédéric II. — London prend Schweldnitz. — Désespoir du roi de
Prusse. — Alliance des Russes avec Frédéric II. — Neutralité de l'impératrice
Catherine II. — Prise de Schweidnitz par Frédéric II. — Le prince Henri
vainqueur des Impériaux à Freyherg. — Paix d'Hubertsbourg.
Menacé
de tous côtés, Frédéric II ne s'effraya point de la ligue qui se préparait
contre lui, et sans autres alliés que le roi d'Angleterre et le landgrave de
Hesse, il résolut de prévenir ses ennemis et d'engager la lutte contre les
forces de la maison d'Autriche, de la moitié de l'empire, de la France et de
la Russie. Son armée, organisée par lui-même avec les soins les plus
minutieux, soumise à la discipline la plus rigoureuse et conduite par
d'habiles généraux, envahit d'abord la Saxe, dont il voulait se faire un
rempart contre la puissance autrichienne. Elle marchait sur trois colonnes :
la première avait pour chef le prince Ferdinand de Brunswick, la seconde
obéissait au roi lui-même, et la troisième était commandée par le prince de
Brunswick-Bevern. Le maréchal Keith entra par la Silésie en Bohême, avec une
armée d'observation forte de 35.000 hommes, afin d'empêcher les troupes de
l'impératrice-reine de secourir la Saxe. Le
prince Ferdinand de Brunswick s'empara facilement de Leipsick, et Frédéric se
présenta en personne devant les portes de Dresde. L'électeur n'eut que le
temps de fuir de sa capitale et de gagner le camp de Pirna, près de Kœnigstein,
sur les bords de l'Elbe, où son armée était rassemblée. Le roi de Prusse
entra dans cette ville en maître et sous le nom de protecteur. La reine de
Pologne, fille de l'empereur Joseph, aidée de son courage et de sa fermeté,
n'avait pas voulu quitter son palais. On lui demande les clefs des archives,
elle refuse de les donner ; des soldats s'avancent afin d'enfoncer les
portes, elle se précipite au-devant d'eux. Sans aucun respect, ni pour son
sexe, ni pour son rang, ni pour sa naissance, on la repousse ; on ouvre par
force ce dépôt de l'État. Il importait au roi de Prusse d'y trouver des
preuves des desseins de la Saxe contre lui ; il trouva, en effet, des
témoignages de la crainte qu'il inspirait. Il enleva des archives, et publia
une copie du traité de partage signé le 18 mai 1745, entre les cours de
Vienne et de Dresde, les articles secrets du traité de Pétersbourg du 22 mai
'1746, et diverses dépêches qu'avaient écrites le comte de Bruhl et plusieurs
envoyés saxons. Il les présenta comme des preuves du projet concerté entre
les cours d'Autriche, de Saxe et de Russie, d'envahir et de partager la
monarchie prussienne, et comme une justification de sa conduite, que ses
ennemis ne tardèrent pas à peindre sous les couleurs les plus odieuses. On
douta néanmoins de l'authenticité des pièces sur lesquelles il appuya ses
raisonnements. De son côté, la cour de Vienne fit répandre une réfutation de
l'accusation que Frédéric portait contre elle. Instruit
de l'irruption du roi de Prusse, l'empereur fit aussitôt déclarer, par une
décision du conseil aulique, qu'elle était une infraction à la paix de Paris,
et le somma de retirer ses troupes de l'électorat de Saxe, s'il ne voulait
pas s'exposer aux peines portées par les lois de l'empire contré les
perturbateurs du repos public. Mais ce n'était pas assez d'un décret impérial
pote forcer un prince appuyé de 150.000 combattants, d'abandonner son projet. Maître
de Leipsick et de Dresde ; Frédéric oublia ce qu'il avait promis au roi de
Pologne. Il avait, en effet, annoncé dans un manifeste qu'il n'avait aucun
dessein offensif contre Auguste III ni contre ses États ; qu'il n'entrait pas
dans la Saxe comme un ennemi, -mais uniquement pour sa sûreté ; qu’il ferait observer
à ses troupes l'ordre le plus exact et la discipline la plus sévère ; qu'il
n'avait eu d'autre but que, de s'ouvrir une communication avec la Bohême, et
qu'il ne garderait ce pays que comme un dépôt jusqu'à la conclusion de la
paix. Sa conduite à Dresde fut un raffinement de politesse envers tous les
ordres, qui ne l'empêcha pas d'établir à Torgau un bureau militaire pour la
perception de tous les revenus de l'électorat, de faire ouvrir les arsenaux, et
transporter l'artillerie saxonne à Magdebourg. Il s'empara des armés et des
munitions, exigea de fortes contributions, vida les caisses du souverain et enrôla
par force les Saxons propres au service. La magnifique maison de campagne du
comte de Bruhl, ministre du roi de Pologne, fut livrée au pillage ; les
tableaux précieux qu'il y avait rassemblés à grands frais, furent brûlés. On
rasa -à trois pieds de terre les arbres et les charmilles du parc ; enfin
l'on démolit l'intérieur de sa maison, de manière qu'il n'en restait plus que
la charpente. Fréderic désavoua ces excès dignes des soldats d'Attila. Pour
détourner l'orage dont il était menacé, Auguste III, qui n'avait fait aucuns
préparatifs hostiles, demanda au vainqueur de reconnaître sa neutralité. Mais
Frédéric n'y voulut point consentir, à moins qu'il ne licenciât son armée de
18.000 hommes, qu'il était allé joindre dans le camp retranché de Pirna. Sur
son refus, il le bloqua dans cette position qu'on jugeait inexpugnable, ce
qui retarda ses opérations pendant plusieurs semaines et donna à
Marie-Thérèse le temps de rassembler ses forces. A la
première nouvelle de l'invasion des Prussiens, le feld-maréchal, comte Brown
reçut ordre de délivrer à tout prix les troupes saxonnes devant Pirna. Ce
général se mit aussitôt en marche avec les troupes qui étaient à Prague.
Instruit de son approche, le roi de Prusse laissa 40.000 hommes devant Pirna,
prit en personne le commandement de son armée de Bohême et marcha à la
rencontre des -Autrichiens. Les deux armées se trouvèrent en présence à Lowositz,
sur les bords de l'Elbe, non loin des frontières de la Saxe. La bataille ne
fut point décisive (1er octobre) ; les Autrichiens, quoique supérieurs en nombre,
furent contraints de se retirer derrière l'Eger, laissant leurs ennemis
maîtres du champ de bataille. Fréderic
revint sur le camp de Pirna et le resserra davantage. Les troupes saxonnes
supportaient avec un courage digne d'admiration, la famine la plus affreuse.
Tous leurs efforts pour se dégager furent réduits à l'impuissance par la
vigilance et l'habileté du roi de Prusse. Lé feld-maréchal Brown tenta, par
une manœuvre hardie, de forcer les postes ennemis pour délivrer les Saxons,
auxquels il envoya le plan d'une double attaque ; mais las de les avoir
attendus trois jours de suite, malgré tout le danger de sa position, il prit
le parti de se retirer, et abandonna des alliés qui ne savaient pas agir. Les
Saxons s'évadèrent néanmoins de leur camp le 13 octobre, et traversèrent
l'Elbe ; mais arrivés sur la droite du fleuve, au pied du Lilienstein, rocher
escarpé, ils se trouvèrent tout aussi resserrés entre des troupes de Frédéric
et dans un terrain très-défavorable. Du haut du Kœnigstein où il s'était
retiré, Auguste III fut spectateur de la situation déplorable de ses troupes
exténuées par la famine et le froid, sans bagages, sans munitions, entourées
d'ennemis. Elles ne pouvaient pas même, par une résolution désespérée, se
faire jour aux dépens de leur sang, car toute ressource leur était enlevée.
Afin de ne point les voir périr de faim et de misère, l'infortuné monarque
fut obligé de consentir qu'elles se rendissent prisonnières de guerre[1]. Le
feld-maréchal Rutowski, qui commandait les Saxons, dressa cette triste
capitulation (17 octobre).
Les officiers s'engagèrent, sur leur honneur, à ne plus servir contre le roi
de Prusse pendant toute la guerre, et par une mesure révoltante, les soldats
furent incorporés dans les régiments prussiens. Quatre-vingts pièces de
canons restèrent au pouvoir des vainqueurs. Le roi de Pologne, après avoir
ainsi perdu son électorat et son armée, demanda des passeports à son ennemi,
pour se rendre dans son royaume électif. Frédéric les lui envoya et eut même
la politesse insultante de donner des ordres pour qu'on lui fournit des
chevaux de poste. La reine ne suivit point son mari ; elle resta dans Dresde,
où elle mourut quelque temps après, accablée de chagrins. La reddition des
troupes saxonnes permit à l'armée prussienne de prendre ses quartiers
d'hiver. Elle se retira sur les confins de la Saxe et de la Bohême, et le
maréchal Schwerin dans la Silésie. Dans le
cours de l'hiver, l'impératrice-reine, profondément affectée (lu malheur de
son allié, et indignée de la conduite du roi de Prusse, ordonna les plus
grands préparatifs pour les opérations de la campagne suivante. Elle déploya
une rare activité et réussit à étendre la confédération contre Frédéric, et
ses lettres aux cours catholiques représentèrent l'union de la Prusse avec
l'Angleterre comme une ligue contre la religion. La France, entraînée par ses
instances, consentit à devenir, de simple auxiliaire, partie principale dans
la guerre, et au commencement de 1757 Louis XV conclut une convention secrète
par laquelle il promit de payer à Marie-Thérèse un subside de 12.000.000
florins d'empire, d'entretenir un corps de 4.000 Bavarois et de 6.000 Wurtembergeois,
ou d'autres troupes allemandes qu'il laisserait à la disposition de
l'Autriche. Il s'engagea de plus à fournir pour la campagne qui allait
s'ouvrir une armée de 150.000 hommes et à ne poser les armes que lorsque
l'impératrice serait rentrée en possession de la Silésie, de Glatz et de la
principauté de Crossen. L'empereur
présenta aussi à la diète l'invasion de la Saxe et de la Bohême comme 'une
violation de la paix publique et lui fit sentir la nécessité de s'armer pour
la défense du corps germanique. Sur sa proposition, la majorité décréta que
tout l'empire devait soutenir les efforts de François Ier et résolut de
former une armée d'exécution contre l'électeur de Brandebourg. En même temps
les cours de Franco et de Suède annoncèrent à. la diète qu'elles étaient
déterminées à exercer le droit de garantie que leur accordait le traité de
Westphalie. Enfin la Russie avait donné son adhésion au traité de Versailles,
et la Suède elle-même, gagnée par les subsides de la France, embrassa la
cause de Marie-Thérèse, malgré les efforts de l'épouse de son roi, sœur du
monarque prussien. L'Espagne et les Provinces-Unies, que l'impératrice. ne
put entraîner dans ses intérêts, lui promirent de garder la neutralité. La
France prit encore. à-sa solde l'électeur palatin, à qui elle avait déjà
garanti les pays de Berg et de Juliers, l'électeur de Bavière, le duc. de
Wurtemberg, et dix autres princes. Elle-voulait encore soudoyer- la Pologne,
qui avait offert à Auguste III 54.000 hommes pour le rétablir dans son-
électorat, mais la Russie s'opposa à ce qu'elle entrât dans la lutte. Les
princes de Hesse-Cassel, de Saxe-Gotha et de, Brunswick, ainsi que.
Frédéric-Guillaume, comte de Lippe-Buckembourg, furent les seuls princes qui
se réunirent à la Prusse. Frédéric II renouvela son alliance avec la
Grande-Bretagne (11 janvier 1757), onze jours avant la déclaration de guerre de l'empire, afin de
protéger la liberté européenne et la religion protestante en Allemagne. Le
roi Georges II promit de porter à 70.000 combattants l'armée hanovrienne
qu'il soudoyait, d'obliger la cour de Vienne, s'il était possible, à la paix,
en lui dictant les conditions, et d'attaquer ensuite l'intérieur de la
France. Les subsides de l'Angleterre fournirent aux princes alliés le moyen
d'armer des corps bien exercés et plus nombreux. Ainsi
l'Allemagne se trouvait de nouveaux divisée et en armes ; les deux premières
puissances étaient sur le point de commencer une lutte acharnée. Du côté de
l'Autriche, nous voyons presque tout l'empire et les princes du sud-ouest de
l'Allemagne, qui tant de fois avait été ravagé par les armes de la France, et
qui la suivait aujourd'hui, grâce aux subsides ; du côté de la Prusse,
quelques maisons princières avec le Hanovre. La guerre avait pour but
d'écraser cette monarchie naissante ; la Prusse ne prenait les armes que pour
sa défense. Toute la question n'était pas dans l'équilibre de l'Europe et de
l'Allemagne, il s'agissait encore, suivant l'expression de Pitt, de conquérir
l'Amérique en Allemagne[2]. Après
avoir proposé en vain au ministère britannique de rendre la nation partie
principale dans la guerre du continent, Georges II adopta un système de
défense sur le Weser, et forma une armée d'observation, composée de troupes
hanovriennes et hessoises, dont il confia le commandement au duc de
Cumberland. Quant au roi de Prusse, il fit ruiner une partie des travaux de
Wesel où il avait proposé d'abord d'établir la place d'armes des alliés. Il
se contenta ensuite d'envoyer 6.000 hommes à l'armée du duc de Cumberland
renonça à la défense de ses États de Westphalie, et résolut d'accabler
l'Autriche avant que les cercles, la Suède et la Russie n'eussent réuni leurs
forces. Fréderic
cacha son dessein avec un art infini. Pendant qu'il semblait occupé de mettre
la ville de Dresde en état de défense, afin de persuader aux ennemis que son
désir était de se maintenir dans la Saxe, il ordonna au maréchal Lehwald de
se diriger sur la Prusse avec 30.000 hommes, pour observer les Russes et les
Suédois. En même temps, une colonne de son armée entra dans la Bohême et
s'avança à marches forcées, vers Prague (21 avril 1757). Le prince de Bevern, qui en
conduisait une autre parla Lusace, repoussa le comte de Kœnigseck au combat
de Reichenberg ; le maréchal Schwerin, qui venait de la Silésie, inquiéta la
retraite des Autrichiens dont il défit l'arrière-garde. Le roi lui-même,
joint par le prince Maurice de Dessau, marcha contre le prince Charles de
Lorraine et le maréchal Brown, qui s'étaient postés derrière Prague et la
Moldau, en attendant des renforts que le feld-maréchal Daim leur amenait de la
Moravie. Le
prince Charles, à la tête de 70.000 hommes, avait pris une position qui
semblait à l'abri de toute attaque. Mais le roi de Prusse, voulant prévenir
sa jonction avec Daun tomba sur lui à l'improviste, le 6 mai, avec 64.000
combattants. La bataille, qui fait époque dans les annales militaires, dura
depuis neuf heures du matin jusqu'à huit heures du soir. Malgré les obstacles
que lui opposait la nature du terrain, la cavalerie prussienne mit en
déroute, après trois charges successives, la cavalerie du prince.
L'infanterie, qui voulait avoir aussi sa part de gloire, s'avança avec plus
de précipitation et de courage que de prudence. Mais elle fut rompue et
repoussée par le feu continuel de l'artillerie autrichienne. Les plus
courageux officiers et une foule de soldats tombèrent sur la place. Le
maréchal Schwerin, qui, malgré ses soixante-douze ans, conservait encore tout
le feu de sa jeunesse, voyant avec indignation des Prussiens plier devant
l'ennemi, saisit un drapeau, le passe en écharpe autour de son corps et
s'écrie : « Que les braves me suivent ! » Il se met à la tête de son
régiment, le conduit à la charge, au milieu du feu le plus terrible, et fait
des prodiges de valeur ; mais comme il n'y a point encore de troupes pour le
soutenir, ses efforts sont inutiles, et il tombe percé de trois balles,
terminant ainsi une vie glorieuse par une mort qui la couvrit d'un nouveau
lustre. La mort
de l'intrépide maréchal parut néanmoins ouvrir à ses troupes le chemin de la
victoire. Mise en désordre par ces attaques multipliées, enfoncée sur
plusieurs points et prise en flanc et à dos par un mouvement du prince
Ferdinand de Brunswick, la ligne autrichienne fut rompue et forcée
d'abandonner le terrain. Le feld-maréchal Brown, ayant reçu une blessure
mortelle, se fit transporter à Prague, et son absence augmenta encore le
trouble et la confusion. Une partie de l'aile droite de l'armée prussienne
qui ne devait point combattre à cause d'un ravin profond placé devant elle,
se laissa entraîner par son ardeur, à la vue de l'ennemi, franchit le ravin
et gravit des rochers escarpés que défendaient toute la gauche des
Autrichiens et une nombreuse artillerie. Après avoir enfoncé leur centre,
elle rejoignit l'autre aile. En ce moment le prince Charles protégea, au
moyen de celles de ses troupes qui n'avaient pas encore donné, sa retraite
qu'il opéra en bon ordre. Poursuivi de montagne en montagne, il ne vit point
d'autre salut que de se jeter dans la ville de Prague. La
perte fut grande de part et d'autre : celle des Autrichiens s'éleva à 24.000
hommes, dont 5.000 prisonniers ; celle des Prussiens à 18.000 tués, blessés
ou pris. La victoire demeura aux troupes de Frédéric qui s'emparèrent du camp
de l'ennemi, de la caisse militaire, de 11 étendards et de 60 canons. Le roi
regarda comme un des plus grands malheurs de cette journée la mort du
feld-maréchal Schwerin, l'un des créateurs de la discipline des armées
prussiennes et son premier guide dans la carrière militaire. Les Autrichiens
regrettèrent de leur côté le comte de Brown, qui mourut de ses blessures à
Prague, quelque temps après la bataille. Cet illustre général avait mérité la
confiance de Marie-Thérèse ; de simple soldat, il s'était élevé, par son
mérite, au grade de feld-maréchal. Dans cette journée, l'armée autrichienne
n'aurait pu échapper à une entière destruction, si le prince Maurice de
Dessau avait pu achever le pont qu'il faisait construire à Bronik, afin de
passer la Moldau, et de tomber sur les derrières de l'ennemi. Après
cette victoire, Frédéric II investit Prague où le prince de Lorraine s'était
réfugié avec 40.000 hommes. Il essaya de réduire la garnison par la famine.
Les troupes et. les 80.000 habitants que renfermait la ville se virent
bientôt exposés à une extrême misère. Leur courage fut soutenu par une lettre
de l'impératrice-reine, que leur apporta un officier de grenadiers échappé à
la vigilance des assiégeants. « Je ressens une vive douleur, disait
Marie-Thérèse, de savoir tant de généraux et un si grand nombre de troupes
assiégés dans Prague, mais j'augure favorablement de leurs efforts. Je ne
puis leur représenter assez vivement qu'ils se couvriraient d'une honte
éternelle s'ils ne faisaient ce que, dans la dernière guerre, les Français
ont fait, quoiqu'ils fussent en nombre bien inférieur. L'honneur de toute la
nation et celui des armes impériales sont intéressés à la conduite que vont
tenir-les défenseurs de Prague. La sûreté de la Bohême, celle de mes autres
États héréditaires et de l'Allemagne même dépendent de la conservation de
cette place. L'armée du maréchal Daun se renforce journellement, et bientôt
elle sera en état de faire lever le siège. Les Français s'approchent en toute
diligence ; les Suédois viennent à mon secours, et en peu de temps les choses,
avec l'assistance divine, prendront un aspect plus favorable[3]. » Cette
lettre excita l'enthousiasme des assiégés qui montrèrent une constance
héroïque. Les Prussiens se flattèrent de mettre le feu par un bombardement
aux magasins d'abondance. Ils firent venir des mortiers et du canon et
établirent des batteries sur différents points, mais tout fut inutile ; la
place avait des bastions casematés, où les vivres trouvèrent un abri contre
tous les efforts de l'artillerie prussienne. Sur ces' entrefaites, le
feld-maréchal Daun, qui avait appris l'art de la guerre sous Seckendorf et
Khevenhuller, et que sa grande sagacité, sa pénétration et sa valeur modérée
par le sang-froid, avaient fait revêtir du commandement de l'armée,
s'avançait pour dégager Prague. Il était à quelques milles de la place,
lorsque Frédéric envoya contre lui 20.000 hommes commandés par le prince de.
Bevern. Daun, bien que son armée eût l'avantage du nombre, ne voulut pas
risquer contre des troupes encore animées par leur victoire, une action du
succès de laquelle pouvait dépendre le sort de la maison d'Autriche. A
l'approche du prince de Bevern, il se replia sur Kolin, puis sur Haber, et
recueillit partout sur son passage les débris de la bataille de Prague. D'un
autre côté, le roi de Prusse envoya le colonel Mayer avec ses volontaires et
environ 500 hussards, pour jeter l'épouvante parmi les princes d'Allemagne et
retarder la réunion de l'armée des cercles. Mayer entra dans l'évêché de
Bamberg et pénétra ensuite dans le Haut-Palatinat. Alarmés de cette
irruption, l'électeur de Bavière et plusieurs autres princes catholiques
députèrent vers Frédéric, et presque tout l'empire était sur le point d'abandonner
les intérêts de Marie-Thérèse. Mais une de ces révolutions ordinaires à la
guerre changea bientôt la face des affaires. Le
blocus de Prague continuait, et chaque jour les Prussiens redoublaient
d'efforts afin de s'emparer de cette ville, dont la prise devait leur assurer
la prompte conquête de toute la Bohême. Mais les habitants souffraient avec
courage les horreurs du bombardement et les troupes du prince Charles
faisaient des sorties fréquentes. Outre les ennemis, les soldats de Frédéric
avaient encore les éléments à combattre ; un violent orage et des pluies
abondantes grossirent subitement les eaux (le la Moldau, et leur impétuosité
brisa le pont de Bronik. Cependant la prodigieuse quantité de bombes qu'ils
avaient jetées dans la place avait détruit un quart de la ville ; le feu
avait même consumé une des boulangeries des assiégés ; les déserteurs
s'accordaient à dire que les vivres commençaient à manquer, et qu'au lieu de
viande de boucherie, la garnison se nourrissait de chair de cheval. Les
Prussiens ne gagnaient cependant rien contre cette place, ni par la force ni
par la ruse ; il n'y avait que la famine et le désespoir qui pussent
contraindre le prince de Lorraine à s'ouvrir un passage au travers (les
ennemis. Le
projet de s'emparer de Prague avec l'armée qui la défendait, aurait néanmoins
réussi si les évènements lui eussent donné le temps de parvenir à sa
maturité, mais il fallut combattre le maréchal Daun, et la fortune abandonna
les Prussiens. En effet, ce général, après avoir enduré, comme Fabius
Cunctator, les reproches que lui adressaient des hommes qui ne savaient pas
distinguer la prudence de la pusillanimité, se portait en avant pour attaquer
Frédéric dans ses postes sous les murs de Prague. Le prince Charles devait en
même temps faire une sortie avec toutes ses troupes et se joindre au
maréchal, dont l'armée s'élevait alors à 60.000 hommes. Afin de
se rendre maître de la ville assiégée et des forces qui la défendaient, il
était indispensable d'éloigner Daum de cette contrée. Le roi prit donc la
résolution d'aller à sa rencontre. Laissant une partie de son armée autour de
Prague, il se mit en marche avec 20.000 hommes (13 juin), et le lendemain il joignit le
prince de Bevern, que le mouvement rapide des Autrichiens obligeait de se
retirer. A l'approche des ennemis, Daun occupa les hauteurs qui s'étendent
depuis le village de Chotzemitz vers Kolin. Il disposa, de la manière la plus
judicieuse, son formidable train d'artillerie, et prit les plus habiles
mesures pour s'assurer la victoire. De son côté, Frédéric ne négligea aucune
des ressources de l'art militaire pour soutenir sa gloire. Malgré
l'infériorité du nombre, il attaqua les Autrichiens avec courage ('18 juin),
et réunissant tous ses efforts contre leur aile droite mal appuyée, il
parvint presque à la tourner. Déjà le maréchal doutait du succès, déjà il
ordonnait la retraite, lorsque la fortune changea par l'imprudence de deux
généraux prussiens qui rompirent la ligne droite pour tomber sur un poste de
Croates et furent défaits avec une grande perte. Les cavaliers saxons
pénétrèrent dans l'ouverture qui s'était faite, et, animés par le désir de
venger leur ancienne injure, ils combattirent avec une valeur saris égale. Le
maréchal Daun, profitant en grand général des fautes de ses adversaires,
parcourt les rangs de ses soldats, et les excite de la voix et du geste. Dans
cette sanglante journée, Daun et Frédéric se multiplient à la manière des
héros. Vers
les sept heures, l'excès de la fatigue sépara les combattants ; ils prirent,
comme de concert, une demi-heure de repos. Le roi de Prusse voulut faire un
dernier d'Ibn. Tandis que l'infanterie se battait avec un acharnement
affreux, il conduisit une septième fois sa cavalerie contre les bataillons autrichiens
qui l'avaient tant de fois repoussée, mais elle fut encore forcée de reculer.
Dans ce moment Daun donna l'ordre à la cavalerie de sa gauche de fondre sur
l'ennemi et de le prendre en flanc : ce mouvement et la vigoureuse résistance
de son infanterie, décidèrent la fortune de cette terrible journée. Frédéric,
jugeant la bataille perdue, ordonna à deux régiments de cuirassiers, qui
étaient à portée, de se mettre en mouvement pour charger l'ennemi et dégager
l'infanterie. Mais, intimidés par l'affreux carnage qui s'est fait de leurs
camarades, ils refusent de se porter en avant. Le roi, au désespoir,
abandonne le champ de bataille, suivi d'un escadron de ses gardes. On
l'entendit plusieurs fois s'écrier : « Mes hussards ! mes braves hussards !
ils seront tous perdus ! » 22 étendards, 45 pièces de canon, quantité de
caissons d'artillerie et de munitions furent les glorieux trophées de la
victoire de Kolin, qui ne coûta que 8.114 hommes aux Autrichiens. Frédéric
perdit 15 ;000 en tout. Marie-Thérèse
apprit avec une joie proportionnée à la crainte qu'elle avait eue, la
nouvelle de cette mémorable journée. Elle la célébra par des fêtes
magnifiques et voulut témoigner, de la manière la plus flatteuse, sa
reconnaissance au vainqueur du redoutable Frédéric ; elle alla, accompagnée
de l'empereur, annoncer à la comtesse de Daun le brillant succès du maréchal
son époux. Ingénieuse à trouver des moyens de récompenser dignement ses
sujets, elle perpétua le souvenir de- la victoire de Kolin, en faisant
frapper des médailles et en instituant l'ordre militaire du Mérite, ou de
Marie-Thérèse, dont elle décora 1e feld-maréchal et les braves officiers qui
s'étaient signalés dans cette mémorable journée. Enfin, François Ier et
l'impératrice-reine accordèrent encore à l'heureux général une distinction
particulière : ils lui permirent. de faire une promotion dans leurs armées.
Ce témoignage d'estime et de confiance fut d'autant plus flatteur pour Daun,
qu'il lui fournissait l'occasion de donner quelques marques d'amitié à ses'
rivaux d'honneur. Le choix qu'il fit dans cette promotion le couvrit d'une
autre espèce de gloire qui, sans être aussi éclatante que celle de la
victoire, n'en mérite pas moins lés plus grands éloges. Il sut allier les
intérêts de sa- souveraine avec ceux de l'amitié et d'une âme généreuse. Après
avoir donné les ordres nécessaires à ses généraux pour la retraite de ses
troupes, Frédéric se rendit au camp devant Prague, dont il leva le blocus, et
se dirigea avec précipitation vers la Saxe et la Lusace. Dans cette marche,
l'armée était commandée par Auguste-Guillaume, prince de Prusse, qui ne put
empêcher que le prince Charles et le maréchal Daun réunis n'atteignissent
avant lui la petite ville de Zittau qui n'était pas fortifiée, mais dans
laquelle les Prussiens avaient un magasin considérable. L'armée autrichienne
la détruisit par un bombardement. « La bataille de Kolin aurait peut-être été
le Pultawa de Frédéric II, si, cédant au désespoir qui, au premier moment,
lui fit écrire à sa sœur, la margrave de Baireuth : « Il n'y a de port et
d'asile pour moi que dans les bras de la mort », il n'avait opposé à sa
mauvaise fortune un courage héroïque. Heureux si, aux consolations que lui
fournissait sa froide philosophie, s'était joint, un sentiment religieux pour
dissiper le chagrin dont son âme était accablée[4]. » Tandis
que les armes de l'impératrice-reine obtenaient de si brillants succès en
Bohême, celles de ses alliés frappaient de grands coups dans la Westphalie.
En moins de huit jours le prince de Soubise, à la tête des Français, prend
Wesel, enlève au roi de Prusse les duchés de Clèves et de Gueldre, et force
ses troupes à se replier sur l'armée hanovrienne que le duc de Cumberland
commandait au-delà du Weser. Une autre armée, aux ordres du maréchal
d'Estrées, digne élève du comte Maurice de Saxe, se dirige, vers le milieu d'avril,
contre le prince anglais. Après deux mois de marches savantes et d'habiles
manœuvres, d'Estrées mit le duc de Cumberland dans la nécessité d'accepter la
bataille et le défit près de Hastenbeck (26 juillet), mais la victoire ne fut pas
complète par la trahison du comte de Maillebois qui commandait la gauche et
qui se laissa vaincre, afin de perdre son général. La reddition de Hanovre
fut le résultat de cette journée. Richelieu, successeur du maréchal d'Estrées,
privé du commandement par une intrigue de cour, conquit rapidement la plus
grande partie des États de Brunswick et de Hanovre, et poussa Cumberland
jusqu'à Stade, près de la rive gauche de l'Elbe. Il fallait que le duc se
déterminât à combattre contre des troupes déjà victorieuses, ou à mettre bas
les armes. Ce second parti lui parut le plus sûr ; il négocia donc et obtint
du maréchal de Richelieu la convention de Closterseven, par laquelle toute
son armée devait se retirer au-delà de l'Elbe et laisser le champ libre aux
Français contre le roi de Prusse (8 septembre). En ce
moment, la situation de Frédéric II semblait presque désespérée : chassé de
la Bohême, privé de ses uniques alliés, il voyait les Autrichiens envahir la
Silésie. L'armée d'exécution, sous les ordres du prince Joseph de
Saxe-Hildburghausen, réunie à 25.000 Français que commandait le prince de
Soubise, s'avançait à travers la Thuringe sur la Saale. D'un autre côté, les
Suédois envahissaient la Poméranie et la Marche-Ukrainienne. 100.000 Russes,
conduits par le feld-maréchal d'Apraxin, prenaient l'offensive, entraient en
Prusse, s'emparaient de Memel après un bombardement, battaient à Jœgerndorf
le feld-maréchal Lehwald, et commettaient dans le pays les plus affreux
excès. Enveloppé d'ennemis de toutes parts, Frédéric se Croyait perdu et,
comme il l'écrivait à Voltaire, il-ne-pensait qu'à mourir en roi. Les énormes
fautes de ses ennemis le firent sortir avec honneur de cette conjoncture
difficile. Après
la convention de Closterseven, Richelieu regarda sa tâche comme accomplie :
il ne songea point, à soutenir l'armée d'exécution, mais à piller le pays
conquis. Ensuite les Russes, vainqueurs à Jœgerndorf, ne profitèrent point de
leurs succès ; ils évacuèrent la Silésie qui leur était ouverte, se
replièrent vers la Pologne et la Courlande, et prirent leurs quartiers
d'hiver. Lehwald revint alors sur l'Oder, où il força les Suédois à se
retirer dans Stettin. Frédéric, retranché dans la Saxe, observait de là tous
les mouvements des Autrichiens dont les détachements pénétraient en Silésie.
Il forma le hardi projet d'aller combattre l'armée d'exécution. Pour cela il
fallait dérober sa marche à l'œil pénétrant du maréchal Daim vaincre l'ennemi
et revenir contre les Autrichiens. Par de
nombreux mouvements et de savantes manœuvres le roi de Prusse parvient à
tromper la vigilance de son ennemi. Il $e met en marche vers la Thuringe avec
30.000 hommes et établit son quartier général à Erfurth. Ce ne fut qu'après
avoir éprouvé de vives alarmes qu'il goûta enfin le plaisir du succès. Le
maréchal Daun s'était aperçu de son absence et de la diminution de son armée,
qu'il avait laissée aux ordres du prince de Bevern, pour défendre le terrain
en Silésie, Alors le prince Charles s'ébranla, et pressant toujours Bevern,
il l'obligea de se retirer sous le canon de Breslau et de se retrancher à la
hâte dans le faubourg. Pendant ce temps, le général Nadasti resserrait
Schweidnitz et se préparait 4 en former le siège. Une
autre entreprise vint encore inquiéter le roi de Prusse. Le général
autrichien Haddick, parti de la Silésie à la tête de 6.000 cavaliers,
traversait le Brandebourg et allait mettre Berlin à contribution. Sur cette
nouvelle, Frédéric ordonne au prince Maurice d'Anhalt de se rapprocher de sa
capitale ; lui-même fait un mouvement en arrière sur Leipsick pour la
dégager. Averti de la marche du roi, Haddick se hâte de lever 200.000 écus de
contribution et regagne la Silésie sans que Frédéric ait pu l'atteindre dans
sa retraite. Informée
de l'entrée des Autrichiens à Berlin, l'armée d'exécution passa la Saale et
poussa jusqu'à Weissenfels. Le roi s'empressant de regagner la Saxe, vint
camper vis-à-vis l'ennemi, et le 4 novembre il s'établit près de Mersebourg,
à Rosbach, village qui couvrit un des flancs de son armée tandis que l'autre
s'appuyait sur Bedra. Le long du front régnait un terrain en pente et au bas
duquel coulait le ruisseau de Schortau. Le
lendemain, dans leur aveugle confiance, les alliés, qui étaient deux fois
plus nombreux que les Prussiens, ne semblèrent occupés qu'à empêcher leur
proie de s'échapper. Ils levèrent leur camp, et vers les onze heures du
matin, les généraux pleins de prévention et se flattant de cerner le roi,
rangèrent en bataille leur armée qui ne connaissait ni ordre ni discipline.
Frédéric profita de la nature du terrain pour exécuter une manœuvre- de laquelle
il espérait les plus heureux résultats. Il avait assis son camp sur une
montagne étroite, escarpée et longue, qui s'exhaussait brusquement au-dessus
du village de Rosbach. Il rangea son infanterie sur deux lignes il
l'extrémité de la hauteur, et la cavalerie sur une seule ligne derrière. A
dix heures du matin, il observa, du château où son quartier général était
fixé, les mouvements des ennemis ; il y resta une heure, demanda son (liner
et mangea tranquillement. Il monta ensuite sur le donjon, donna tous les
ordres nécessaires et descendit après avoir vu les colonnes de l'armée
d'exécution côtoyer son flanc gauche et diriger lentement leur marche sur les
derrières de ses troupes. Bientôt
on entend un coup de canon, et à ce signal les tentes s'abaissent et laissent
voir l'armée de Frédéric rangée en bataille ; deux batteries formidables,
placées aux côtés du camp sur deux collines voisines, vomissent en même temps
un feu terrible. La cavalerie prussienne, que commande le général Seydlitz,
se précipite des hauteurs et fond sur les têtes des colonnes. L'infanterie,
étonnée par cet appareil nouveau de combat et foudroyée par l'artillerie,
s'ébranle et perd ses rangs. On se rassure cependant, et des deux côtés on
déploie la plus intrépide valeur. Le baron de Bretlach, le marquis de
Voghera, le baron de Roth et le prince d'Hildbourghausen, mêlés aux
cuirassiers, firent d'abord plier les escadrons prussiens et culbutèrent la
première ligne. Le roi de Prusse accourt, la reforme et la ramène au combat ;
elle se jette avec une nouvelle impétuosité sur les cuirassiers et les
repousse jusqu'à leur infanterie. Le
combat ne fut pas long ; le désordre avait d'abord été si général, que l'on
fut bientôt obligé de faire marcher le corps de réserve. Il fut conduit au
feu par le prince de Soubise, suivi du comte de Revel et du marquis de
Castries qui commandait la cavalerie française. Ce dernier a reçu deux coups
de sabre sur la tête ; il exhorte néanmoins ses soldats à tenir ferme et
continue à donner l'exemple. Malgré tous ses efforts, le corps de réserve
allait être forcé de céder, lorsque le prince de Soubise s'en aperçoit, vole
aussitôt à sa gauche, en ramène quatre régiments, et, à leur tôle, il
s'enfonce au milieu des escadrons prussiens. Ce renfort rétablit la bataille
et fait plier un instant l'ennemi. Mais tant d'efforts et d'actions héroïques
furent inutiles. Une seconde ligne de cavalerie prussienne, qui n'avait pas
encore combattu, se présente et recueille les débris de la première. Alors
tout marche à la fois, les soldats de Frédéric enveloppent la cavalerie de
l'empire et celle des Français, qui ne cédèrent enfin que lorsqu'il ne fut
plus possible de rester sur le champ de bataille. La
déroute de la cavalerie entraîna celle de l'infanterie qui, durant toute
l'action, avait été exposée au feu des batteries, et que les escadrons du
vainqueur attaquaient alors en flanc ; il fallut nécessairement se retirer.
Le marquis de Crillon qui eut un cheval tué sous lui, le duc de Cossé qui fut
blessé et pris, et le chevalier de Nicolaï combattirent encore quelque temps
à la tête de plusieurs bataillons. Deux
régiments suisses étaient restés sur le champ de bataille et continuaient à
braver seuls les efforts de la cavalerie de Frédéric et le feu des batteries
; les colonels Diesbach et Waldner ne pouvaient se résoudre à fuir. Le prince
de Soubise, d'un courage tranquille et ferme, s'expose aux plus grands
dangers et retourne sur le champ de bataille pour obliger les deux régiments
à opérer leur retraite. Dans cette journée si malheureuse, les troupes des
cercles montrèrent beaucoup de lâcheté et prirent la fuite aux premiers coups
de canon, tandis que les Français combattirent avec un courage sans égal.
Mais il serait difficile de justifier la conduite de leurs officiers
supérieurs. Sept bataillons d'infanterie seulement et toute la cavalerie
prussienne prirent part à l'action. Les alliés perdirent 10.000 hommes dont
7.000 prisonniers parmi lesquels 11 généraux, 67 pièces de Canon et 22
étendards. Les vainqueurs n'eurent que 165 hommes morts et 376 blessés. Sans
la nuit qui favorisa sa retraite, leur armée eût été entièrement détruite.
Les vaincus ne purent se rallier que dans les montagnes de Thuringe. Pendant
ce temps, le prince de Lorraine avait forcé Bevern de se retirer sur l'Oder
afin de couvrir Breslau ; il le suivit, assiégea et prit Schweidnitz. Bientôt
instruit de la victoire et de la marche du roi de Prusse qui se tournait
alors de nouveau contre les Autrichiens, il attaqua les retranchements de
Bevern et les emporta malgré les difficultés de l'entreprise et la défense la
plus opiniâtre, et lui tua 6.000 hommes (22 novembre). Le général Beck, à la tête
d'un corps de troupes légères, poursuivit les fuyards ; ayant rencontré le
lendemain, pendant la nuit, le prince de Bevern qui examinait son camp, il le
fit prisonnier, le désarma et le conduisit au frère de l'empereur qui lui fit
l'accueil le plus distingué, et l'envoya sous bonne escorte en Moravie. Le
même soir, la garnison de Breslau«, composée de 10.000 hommes, capitula ; on
lui accorda les honneurs de la guerre, mais la plus grande partie des soldats
s'enrôla dans les troupes autrichiennes. La
Silésie semblait perdue pour Frédéric, mais il accourait, et dès qu'il eut
joint ses ennemis, tout changea de face. Il lui fallait une autre bataille et
la victoire pour rétablir ses affaires ; il résolut de se battre, quoique la
saison fût avancée et que ses troupes parussent accablées des fatigues de
cette campagne. Arrivé en Silésie, il réunit à ses vainqueurs de Rosbach les
débris de l'armée de Bevern, auxquels il inspira un nouveau courage. Mais ces
deux corps ne formaient encore que 33.000 combattants qu'il conduisit contre
80.000 Autrichiens campés entre Leuthen
et Lissa (5 décembre),
en disant aux généraux : « En quelques heures nous aurons vaincu l'ennemi, ou
nous ne nous reverrons plus. » Les soldats du prince de Lorraine et du
maréchal Daun s'étendaient sur un espace de plus d'un mille. Frédéric II,
adoptant la tactique ancienne, celle d'Épaminondas à la bataille de Leuctres,
se développa obliquement, se jeta sur l'aile gauche mal soutenue, et
principalement sur les troupes auxiliaires, composées de Wurtembergeois et de
Bavarois, qui manquaient de munitions. Le désordre régna bientôt à l'aile
droite des Autrichiens qui vint trop tard au secours de l'aile gauche. Leurs
généraux rallièrent plusieurs fois leurs soldats et disputèrent vaillamment
le terrain. Le succès ne couronna point leurs efforts, et des bataillons
entiers furent anéantis. Après trois heures de combat, cette formidable masse
était en pleine déroute et perdait 20.000 prisonniers, 6.500 morts et
blessés, 134 pièces de canon et. 59 drapeaux. « Cette bataille, dit dans ses
Mémoires le plus illustre capitaine des temps modernes, fut un chef-d'œuvre
de mouvements, de manœuvres et de résolutions : seule elle suffirait pour
immortaliser Frédéric et lui donner rang parmi les plus grands généraux. » Le
prince Charles voulait sauver Breslau ; il y jeta donc une forte garnison,
une artillerie considérable, des provisions de toute espèce, et regagna la
Bohême. Le roi de Prusse ne perdit point de temps ; malgré la rigueur de la
saison, il assiégea cette place, et poussa les travaux avec tant de vigueur,
que son commandant, le général Sprécher, capitula le 19. 18.000 hommes, 686
officiers et 13 généraux mirent bas les armes. Frédéric termina par la prise
de Liegnitz cette campagne, l'une des plus mémorables dans l'histoire des
guerres du XVIIIe siècle. Dans toute la Silésie, les Autrichiens ne
conservaient plus que Schweidnitz. Il ne
sera pas inutile de suspendre un moment le récit de ces batailles, pour
admirer la générosité de l'impératrice-reine. Lorsque Frédéric ternissait ses
grandes qualités par le traitement rigoureux et humiliant qu'il faisait
éprouver à ses prisonniers, Marie-Thérèse traitait avec beaucoup d'égards le
prince de Bevern, prisonnier du général Beck. Après sa captivité, il avait
écrit plusieurs fois au roi de Prusse et n'avait point reçu de réponse. Il
fit alors demander à l'impératrice-reine comme une grâce particulière, de se
racheter lui-même et de payer sa rançon. Marie-Thérèse ne voulut en accepter
aucune et accorda sans condition la liberté à son prisonnier. Pénétré d'une
bonté si rare, Bevern se rendit à la cour de Vienne, afin d'épancher aux
pieds de l'impératrice-reine les sentiments de sa vive reconnaissance.
Marie-Thérèse l'accueillit avec une distinction flatteuse, et le prince
remporta en Prusse la plus haute idée de cette souveraine. Tandis
que, par son génie, Frédéric changeait en Allemagne la face de la guerre, le
plus implacable ennemi de la France, William Pitt, que son éloquence et sa
vaste capacité rendaient l'idole de la nation anglaise, entrait au ministère.
Aussitôt il s'efforça d'imprimer une nouvelle vigueur aux hostilités. Indigné
de la convention de Closterseven, qu'il regardait comme l'opprobre des
Anglais, il ne tendit qu'à faire abolir jusqu'à la mémoire de ce traité honteux[5]. Il ne voulut point le
ratifier, fit reprendre les armes aux Hanovriens, animés par les succès des
troupes prussiennes, les fortifia d'un corps de troupes anglaises, sous les
ordres du duc de Malborough, et demanda à Frédéric le prince Ferdinand de
Brunswick pour commander cette armée ainsi reconstituée. En outre, par un
traité signé à Londres le 11 avril 1758, il accorda 12.000.000 de subsides au
roi de Prusse. Vers la
même époque, le Danemark se joignait à la ligue formée contre l'allié de
l'Angleterre. Il ne prit cependant pas une part active à la guerre, mais
promit seulement d'assembler dans le duché de Holstein une armée de 24.000
hommes destinée à repousser toute entreprise sur les possessions du grand-duc
de Russie, et contre la neutralité des villes de Hambourg et de Lubeck. Ranimée
par les secours, de l'Angleterre et par les talents du prince de Brunswick,
le plus habile des lieutenants du roi de Prusse, l'armée hanovrienne enleva
aux Français toutes leurs conquêtes et les contraignit de repasser le Rhin,
avec perte de 10.000 hommes. Le manque de cavalerie l'empêcha de poursuivre
ses avantages, mais au mois de mai il put reprendre l'offensive. Après avoir
franchi le Rhin à Rées et occupé le pays de Clèves, Ferdinand marcha à la
rencontre des Français aux ordres d'un prince de la maison de Condé, le comte
de Clermont, successeur de Richelieu. Il les trouva campés dans une
excellente position, près de Crevelt, la droite appuyée au Rhin ; il les
attaqua et leur fit essuyer une déroute complète. L'incapable Clermont
ordonna la retraite après avoir perdu 7.000 hommes (23 juin). Le jeune comte de Gisors, fils
unique du maréchal de Belle-Isle, fut mortellement blessé dans cette
bataille, à la tête du régiment des carabiniers qu'il commandait pour la
première fois. Honteuse de la nullité du comte. de Clermont, la cour de
France le rappela, et il fut remplacé par un général expérimenté, le maréchal
de Contades. La
guerre s'approchait des Pays-Bas autrichiens, qui semblaient devoir en être
désormais le théâtre ; mais une diversion imprévue des Français dans la
Hesse, la reporta en Allemagne. Le duc de Broglie, à la tête de l'avant-garde
française, marcha sur la Lahn, défit le prince Jean-Casimir d'Isenbourg,
général des Hessois, à la bataille de Sandershausen (23 juillet), et entra dans Casse]. Cette
victoire rappela des bords du Rhin le duc de Brunswick qui parvint à repasser
le fleuve, sans perte, quoiqu'il fût serré de près par le maréchal de
Contades, et se porta sur Munster afin de protéger le Hanovre. Le maréchal
s'empressa de suivre le prince Ferdinand, mais sans pouvoir se réunir à
Soubise. Celui-ci venait de remporter un autre avantage sur les Hessois, réunis
aux Hanovriens, auprès de Lutternbourg, dans le bailliage de Minden (10 octobre). Il ne fut point décisif pour
les Français, qu'à la fin de la campagne le cours des hostilités rejeta même
hors de la Hesse vers le territoire de Francfort, où ils établirent leurs
quartiers d'hiver. Si de
la Westphalie et du Hanovre, nous portons nos regards sur l'autre théâtre de
la guerre, où les Autrichiens, les Russes et l'armée des cercles luttent
contre Frédéric II, nous serons témoins d'évènements plus importants. La
rigueur de la saison n'avait point empêché les Russes de rester sous les
armes. Indignée de la conduite du général Apraxin qui, l'année précédente,
avait quitté la Prusse sans tirer aucun fruit de sa victoire, la, tzarine lui
retira le commandement de ses troupes et le donna au général Fermor. Dès le
mois de janvier 1758, l'armée russe se mit de nouveau en marche, s'empara de
Kœnigsberg et ensuite de toute la Prusse comme d'une province que
l'impératrice Élisabeth avait résolu d'incorporer à son empire. Après cela,
Fermor s'approcha des confins de la Silésie et de la Poméranie pour opérer sa
jonction avec les Autrichiens. Mais l'impératrice-reine avait à créer une
nouvelle armée. Les dépenses énormes qu'elle était obligée de faire pour
remplacer les armes, les magasins et les bagages qui étaient tombés au
pouvoir de l'ennemi, épuisaient ses finances. Dans
cette circonstance, les fidèles 1longroiq volèrent encore au-devant des
besoins de leur reine et lui donnèrent un témoignage bien flatteur (le leur
amour. Les magnats du royaume se rendirent à Vienne pour annoncer à
Marie-Thérèse que les États allaient mettre sur pied, à leurs propres dépens,
une armée de 30.000 hommes, auxquels ils fourniraient armes, chevaux,
équipages de guerre. Cette même année, 40.000 Croates prirent les armes ; la
Servie lui envoya 20.000 hommes, la Bosnie et les environs de la Save plus de
10.000. Enfin tous les sujets de l'impératrice-reine devenaient soldats pour
défendre en temps de guerre celle qui, pendant la, paix, était la. mère, de
ses peuples. Malgré
tous ses efforts., la, cour de Vienne ne put faire entrer avant les premiers
jours d'avril, son armée en campagne. Frédéric II avait déjà recommencé ses
opérations. Après s'être emparé de Schweidnitz, que tout l'hiver n'avait tenu
bloqué ; et de sa garnison forte de 5.000 hommes (16 avril), il entra dans la Moravie,
province moins épuisée que la Bohême, et résolut d'investir Olmutz, La
nombreuse garnison de cette place, la valeur et les talents du commandant,
des fortifications en bon état, étaient des obstacles trop faibles pour
arrêter le roi de Prusse. Avant de partir, il laisse une armée considérable
en Saxe sous, les ordres du prince Henri son frère, afin d'observer celle que
le feld-maréchal Daun avait envoyée sur les frontières de cet électorat, et
l'armée des cercles commandée par le prince Frédéric de Deux-Ponts, marche
vers la Bohême. Il ordonne ensuite au général Fouquet., retranché dans le
comté de Glatz, de faire différents mouvements pour masquer ses, desseins sur
Olmutz. Après plusieurs marches et contremarches, Frédéric arrive devant
cette ville et en forme le siège, malgré les fréquentes sorties de la
garnison. Le
maréchal Daun s'était déjà aperçu que le roi avait quitté la Silésie. A la
tête d'une armée de 50.000 hommes dont il a pris le commandement en chef à la
place du prince Charles de Lorraine, il suit Frédéric et arrive non loin
d'Olmutz. Mais il voit l'impossibilité d'engager une action avec son armée
composée de recrues et se contente d'asseoir son camp à cinquante milles de
la place assiégée. De là, il renforce continuellement la garnison, et au
moyen de ses troupes légères, il cause de perpétuelles alarmes aux Prussiens.
Daun eut bientôt familiarisé ses soldats avec la vue des ennemis. Il apprit,
vers le milieu de juin, qu'un convoi de 3.000 fourgons, sans lequel Frédéric
ne pouvait continuer les opérations du siège, venait de la Silésie par
Troppau. Il envoya les maréchaux Loudon et Ziskowitz chacun avec un corps de
6.000 hommes pour l'enlever. Au moment où il allait entrer dans les lignes
des Prussiens, les deux généraux tombent sur les 14.000 hommes qui lui
servent d'escorte, renversent et culbutent tout ce qui résiste, tuent près de
3.000 ennemis, font 400 prisonniers, s'emparent de 12 pièces de canon et
détruisent le convoi. Une perte aussi considérable pour Frédéric et
l'approche de l'armée russe le déterminèrent à lever le siège (3 juillet). Après
sa retraite d'Olmutz, le roi de Prusse se- dirigea contre les Russes qui,
malgré Dohna, investissaient Custrin. Il fit en vingt-quatre jours une marche
de cent lieues, arriva le 21 août dans les environs de Custrin, déjà réduit
en cendres, et se réunit à l'armée du comte de Dohna. Il passa l'Oder
au-dessous de ce point, et attaqua Fermor posté à Zorndorf avec 54.000 hommes
(15
août). Cette
bataille fut une des plus longues et des plus sanglantes de toute la guerre ;
elle dura depuis neuf heures du matin jusqu'à huit heures et demie du soir.
Les deux partis s'attribuèrent la victoire. Les Prussiens perdirent environ
12.000 hommes, mais la perte des Russes monta à 21.500 tués et 3.000
prisonniers. Fermor abandonna le siège qu'il avait entrepris et se retira
vers les frontières de la Pologne. Les
Russes ainsi repoussés, Frédéric courut en Saxe, au secours du prince Henri
son frère, vivement pressé par le maréchal Daun que soutenait l'armée de
l'empire. Après différentes manœuvres dont le but était d'inquiéter les
Autrichiens, il assit son camp sur des hauteurs, à trois milles des ennemis,
en étendant sa droite par-delà le village de Hochkirchen, et sa gauche depuis
Seska jusqu'à Kottiz. Cette position parut si peu tenable au maréchal Keith,
qu'il dit au roi : « Si les Autrichiens nous laissent tranquilles dans ce
camp, ils méritent, d'être pendus. — Il faut espérer, lui répondit Frédéric,
qu'ils nous craindront plus que la potence. » Sa confiance présomptueuse lui
fit négliger les précautions ordinaires. Daun résolut de l'attaquer, et pour
mieux cacher son dessein, il éleva des redoutes autour de son camp, comme
s'il voulait demeurer sur la défensive. Mais dans la nuit du 13 au 14
octobre, laissant ses feux allumés, il forma trois divisions de son armée,
traversa des chemins et des bois très-difficiles. A cinq heures du matin, des
pelotons d'Autrichiens s'annonçant comme déserteurs, se présentèrent aux
avant-postes de l'ennemi ; leur nombre s'accrut si rapidement, qu'ils purent
s'en rendre maîtres. Alors favorisés par l'obscurité, les, corps conduits par
Daun et London tombent sur le camp des Prussiens, pénètrent dans les tentes,
massacrent tous ceux qui sont ensevelis dans le sommeil, s'emparent de
l'artillerie et la déchargent sur leurs ennemis. Dans
cette situation dangereuse, la discipline à laquelle les troupes de Frédéric
étaient accoutumées, les sauva d'une perte entière. A la première alarme, les
soldats coururent aux armes et se rangèrent en aussi bon ordre que le
permirent la surprise et l'obscurité. Le village de Hochkirchen en flammes
éclaira les dispositions du roi. A la tête de trois brigades, il s'efforça de
tourner Hochkirchen, afin de prendre l'ennemi en flanc, mais il fut contraint
de céder à des forces supérieures. Daun et Loudon s'emparent du village ; de
ce poste dépendait le succès de la bataille. Trois fois les Prussiens tâchent
de le reprendre, trois fois ils sont repoussés vigoureusement. Dans une
quatrième attaque, leurs efforts sont en partie couronnés du succès, lorsque
Daun conduit ses troupes au centre de ce poste. La mêlée devient affreuse, et
les généraux combattent comme le simple soldat. Le maréchal Keith, l'ami
intime du roi, qui commandait l'aile droite, et le prince François de
Brunswick, frère de la reine, tombent morts sur la place, et le prince
Maurice d'Anhalt-Dessau, grièvement blessé, est fait prisonnier. Les
Prussiens sortent alors du village et se retirent à la faveur des batteries
placées au centre de leur camp. Frédéric se préparait à tenter un dernier
effort avec son aile gauche. Il en fut empêché par le duc d'Aremberg qui
conduisait la troisième division des Autrichiens, et s'était emparé des
redoutes. Après un combat de cinq heures, dans lequel il avait perdu 10.000
hommes et les Autrichiens 8.000, le roi se vit forcé d'abandonner son camp,
ses bagages et 100 pièces de canon. Il se retira en bon ordre sur les
hauteurs de Bautzen, à une lieue environ du champ de bataille. Malgré
ce désastre, jamais Frédéric :ne parut plus grand. Quoiqu'il n'eût ni
artillerie, ni munitions, il était encore redoutable, et Daun n'osa pas
l'attaquer. Il essuya courageusement toutes les injures de l'air, en
attendant que le prince Henri, son frère, lui amenât de Saxe des troupes, des
tentes et du canon. Lorsqu'il eut reçu ce renfort, il marcha au secours de
Neiss que les Autrichiens assiégeaient. A son approche, ils se retirèrent. Le
roi ne s'attacha point à leur poursuite, mais se dirigea vers la Saxe pour
débarrasser ce pays de l'armée des cercles qui investissait Leipsick, tandis
que le feld-maréchal Daun menaçait Dresde. Le général Schmettau, commandant
de cette ville, avait reçu l'ordre de la défendre jusqu'à l'extrémité. Comme
ses vastes et magnifiques faubourgs opposaient de grands obstacles à ses
projets, il se crut obligé d'y mettre le feu au moment où les Autrichiens se
préparaient à s'emparer de celui de Pirna. Le 10 novembre, deux cent
soixante-six maisons somptueuses, parmi lesquelles on comptait des palais
ornés des plus riches ameublements, devinrent la proie des flammes. Plein
d'égards pour la famille royale qui se trouvait alors dans Dresde, le
maréchal Daun renonça à son entreprise. L'approche de Frédéric le força
d'évacuer la Saxe ; il alla prendre ses quartiers d'hiver en Bohême. La
campagne terminée, Daun se rendit à la cour de Vienne, afin de préparer les
travaux de la suivante sous les yeux de son auguste souveraine. L'empereur et
son épouse se plurent à répandre les honneurs et les grâces sur le général
victorieux. Après la bataille de Hochkirchen, l'impératrice-reine lui avait
témoigné sa reconnaissance par une lettre écrite de sa propre main. Une
statue fut ensuite élevée en son honneur. Animés du même esprit que
Marie-Thérèse, les États d'Autriche voulurent aussi récompenser le maréchal
des services importants qu'il avait rendus à la patrie ; ils arrêtèrent de
lui faire présent de 300.000 florins pour racheter la seigneurie de
Ladendorf, bien de famille que son père avait vendu au comte de Khevenhuller.
L'impératrice de Russie lui• envoya une épée à poignée d'or, par
considération pour sa valeur et ses talents militaires. Le succès des armes
autrichiennes porta Clément XIII à renouveler en faveur de Marie-Thérèse et
de ses successeurs, le titre de roi ou de reine apostolique, que le pape
Sylvestre Il avait donné. à saint Étienne. La
campagne de 1759 s'ouvrit avec une fureur nouvelle de la part des parties
belligérantes. Elle fin heureuse pour Marie-Thérèse, dont les troupes étaient
nombreuses et dans le meilleur état. Ses alliés soutenaient toujours la cause
de sa maison avec le plus grand zèle. La czarine redoublait ses préparatifs ;
la Suède faisait de généreux efforts et les États catholiques d'Allemagne
fournissaient avec empressement leur contingent. Mais la France prodigua
surtout les secours à Son ancienne rivale, devenue son alliée. Le cardinal de
Bernis avait été disgracié dans les derniers joins de l'année précédente,
parce qu'il s'était montré favorable à la paix, et le marquis de Stainville,
créé duc de Choiseul, l'avait remplacé au ministère des affaires étrangères.
Personnellement attaché aux princes 'de la maison de Lorraine-Autriche, ce
ministre conclut avec l'impératrice-reine (30 décembre 1758) un traité qui
convertit l'alliance défensive de 1756 en 'une alliance offensive. Ainsi une
animosité de plusieurs siècles faisait place au concert le plus intime. Au
commencement d'avril, le prince Ferdinand, dont l'armée avait reçu un renfort
de troupes anglaises, se mit en marche afin de surprendre les Français dans
leurs quartiers d'hiver aux environs de Francfort. Le duc de Broglie
rassembla en trente-six heures toutes ses troupes qui montaient à 25.000
hommes et fit tête à une armée de 40.000 combattants. Malgré cette énorme
'disproportion de forces, il fut vainqueur du prince Ferdinand, à Bergen
3ravril), et le força de se retirer avec beaucoup de perte. Le succès de
cette bataille, dans laquelle fut tué le prince d'Isenbourg, couvrit de gloire
le duc de Broglie. L'empereur le créa prince d'empire, et Louis XV lui donna
le bâton de maréchal de France. Le
maréchal de Contades était à Paris quand fut livrée la bataille de Bergen. Il
se hâta de revenir à l'armée, passa ensuite le Rhin, se joignit à Giessen,
sur la Lahn, avec les troupes de Broglie, et poussa devant lui les alliés
jusque dans la Hesse. Le maréchal de Broglie s'empara de Cassel et de Minden où
il établit son quartier général. En même temps, un autre corps, détaché à
gauche, prit Munster qui avait aune garnison de 4.000 hommes (25 juillet
1759). Mais le
prince Ferdinand ayant trompé les Français par une retraite simulée, Contades
abandonna une position excellente pour attaquer un détachement qu'il avait
laissé au village de Todenhausen. Au plus fort de la mêlée, Ferdinand tombe
sur les troupes du maréchal, près de Minden, les enfonce et les met en
déroute, après leur avoir tué 7.000 hommes (1er août). Dans sa fuite précipitée sur
Cassel, Contades fut poursuivi pendant plusieurs jours, perdit encore
beaucoup de monde. Chassés de la Hesse, les Français reprirent leurs
cantonnements près de Francfort. De son
côté, Frédéric, trop inférieur en forces, se tient d'abord sur la défensive,
temporise, et se contente d'observer Daun en Silésie. Mais les Russes, après
avoir défait le général Wedel à Zullichau, ou près du village de Kai, dans le
duché de Crossen (23 juillet),
s'étant emparés de Francfort sur l'Oder et menaçant Berlin, le roi résolut
d'arrêter leurs progrès. Il se mit à la tête de tout ce qu'il put rassembler
de troupes et vint leur présenter la bataille près de Kunersdorf (12 août). Les Russes et les Autrichiens,
réunis sous les généraux Soltikoff et Loudon, formaient une armée d'environ
80.000 hommes ; Frédéric n'en avait que la moitié. La bataille fut
très-meurtrière. Les grandes batteries des Prussiens, dressées sur des
monticules voisins de la position formidable que les ennemis occupaient,
foudroyèrent leurs retranchements à un tel point qu'ils n'étaient plus
tenables. L'infanterie
avait remporté une victoire qui paraissait décisive et pris 180 canons,
lorsque, voulant écraser tout à fait les Russes et pousser plus loin ses
avantages, malgré les exhortations de ses généraux, il tenta de forcer les
retranchements élevés près de Judenberg. Mais les Russes opposèrent une
vigoureuse résistance. Loudon, qui n'avait pas encore combattu, se mit en
mouvement avec ses Autrichiens et rétablit les affaires. Il ordonne de
charger à mitraille une batterie dressée sur le mont, la fait jouer contre
les Prussiens qui se portaient en avant pour s'en emparer, tombe lui-même sur
leurs derrières et jette le désordre dans leurs rangs. Sept fois durant
l'action Frédéric retourne à la charge avec de nouvelles troupes, et il est
toujours repoussé avec une perte considérable. Enfin une terreur panique
s'empare de ses soldats accablés de lassitude et de chaleur, et il se retire
laissant 18.495 hommes tués ou blessés sur le champ de bataille, ainsi que
3.000 prisonniers, 30 drapeaux et presque toute son artillerie entre les
mains des Austro-Russes. Le roi eut deux chevaux tués sous lui, ses habits
percés par les balles, et sans les courageux efforts de ses hussards, il
serait tombé au pouvoir de l'ennemi. Les Russes avaient éprouvé une perte
considérable ; ce qui fit dire à Soltikoff : « Si je gagne encore une
pareille bataille, je serai obligé d'en porter seul, avec un bâton à la main,
la nouvelle à Saint-Pétersbourg. » « Qu'on
voie à quoi tiennent les victoires ! » écrit Frédéric, en donnant quelques
détails sur la journée de Kunersdorf. Il avait regardé le succès comme
assuré, et au milieu de la bataille il avait envoyé ce billet à la reine : «
Nous avons chassé les Russes de leurs retranchements ; et sous deux heures
nous aurons triomphé complètement. » Après l'action il écrivit ces mots : «
Éloignez de Berlin la famille royale, faites porter les archives à Postdam,
et que la capitale s'accommode avec l'ennemi. » C'en était fait des
Prussiens si les Russes avaient su profiter de leurs succès, mais la haine
qui régnait entre leurs généraux et les Autrichiens les en empêcha. Au lieu
d'agir avec la vigueur nécessaire et de poursuivre l'ennemi ainsi que le
demandait London, ils laissèrent au roi le temps de reprendre de nouvelles
forces. Les reproches du maréchal Daun à Soltikoff n'eurent pas plus de
succès. « J'en ai fait assez cette année, lui répondit le général russe. J'ai
gagné deux batailles qui coûtent 27.000 hommes à la Russie. J'attends, pour
continuer mes opérations, que vous ayez remporté deux victoires à votre tour
; car il n'est pas juste que les troupes de ma souveraine agissent seules. »
Cependant les Autrichiens et les Russes ne tardèrent pas à se réconcilier, et
les deux généraux arrêtèrent leurs opérations ultérieures dans une entrevue à
Guben. Pendant
ce temps, l'armée des cercles commandée par le prince Frédéric de Deux-Ponts,
avait pris Leipsick, Torgau et Wittemberg. Elle s'empara aussi de Dresde le 5
septembre suivant ; le général Schmettau, qui commandait dans cette place, en
sortit après un siège de vingt-sept jours, avec la garnison, son artillerie,
ses bagages et la caisse militaire qui contenait 5.000.000 de couronnes,
fruit des contributions de la Saxe. A la nouvelle de ce succès, Daun, au lieu
de joindre les Russes, se porta de la Silésie dans l'électorat. Frédéric sut
mettre cette faute à profit ; ses habiles manœuvres et celles du prince
Henri, son frère, empêchèrent la jonction des Russes et des Autrichiens ; les
premiers, irrités de l'abandon de leurs alliés et souffrant d'ailleurs
beaucoup du manque de vivres, continuèrent leur marche vers la Pologne. Frédéric
alla ensuite se mettre à la tête de son armée en Saxe, pour reprendre Dresde.
Dans la persuasion que le maréchal Daun voulait se retirer en Bohême, il
détacha le général Finck avec 18.000 hommes à Maxen, afin de lui couper les
défilés. Cette manœuvre, qui aurait pu être funeste à un général ordinaire,
fournit au maréchal l'occasion d'une brillante victoire. Il conçut, en effet,
le hardi projet de surprendre les troupes envoyées à Maxen et l'exécuta avec
autant d'habileté que de promptitude. Investi par 40.000 hommes, Finck fut
obligé, le 21 novembre, après une vigoureuse résistance, de se rendre
prisonnier de guerre avec tout son corps et huit généraux. Un avantage si
marqué n'eut cependant aucune suite décisive. Daun se contenta de contenir le
roi de Prusse qui fit d'inutiles efforts pour reprendre la capitale de
l'électorat dont il restait maître. Les
troupes de l'impératrice-reine, sous la conduite du maréchal Daun, avaient
acquis sur les Prussiens une supériorité décidée. Frédéric, ému de ses revers
et fatigué de cette lutte interminable, ne parait plus que les coups des
généraux de Marie-Thérèse, tous animés du même zèle pour la gloire de ses
armes, et dont l'attachement à leur souveraine avait fait autant de héros.
Par sa résistance à leurs efforts, il se couvrait de gloire, il est vrai ;
mais cette guerre ravageait ses États depuis deux ou trois' campagnes et la
Saxe, épuisée d'hommes et d'argent, ne lui était plus d'aucun secours. Malgré
le subside de l'Angleterre, il ne pouvait suffire aux frais d'hostilités si
ruineuses. « Ce sont des travaux d'Hercule, écrivait-il, que j'ai à faire
dans un âge où la force m'abandonne et où l'espoir commence à me manquer. » Au mois
d'avril 1760, le maréchal Daun occupa le camp de Pirna, d'où il observa les
mouvements de Frédéric II. Il avait donné l'ordre à ses officiers généraux
d'attendre l'arrivée des Russes pour agir. Mais London, ayant quitté Olmutz,
entra dans la basse Silésie et bloqua Glatz. Après une suite de savantes
manœuvres, il attaqua le camp retranché du général Fouquet, que le roi avait
détaché avec 9.000 hommes, pour garder les défilés de Landshut. Huit
montagnes contiguës, et auxquelles on communiquait par des lignes
palissadées, semblaient devoir mettre les Prussiens à l'abri de toute
insulte. Mais ils furent bientôt chassés de leurs retranchements et
poursuivis par l'intrépide London. Forcé de toutes parts, Fouquet veut du
moins échapper à son ennemi. Il rassemble un corps de grenadiers, en forme un
bataillon carré, se place au centre, et pousse à travers les Autrichiens pour
s'ouvrir un passage et s'échapper. Ressource inutile ! le bataillon est
enfoncé et taillé en pièces, Fouquet blessé et obligé de se rendre prisonnier
de guerre avec 8.000 hommes qui lui restaient (23 juin). Le vainqueur retourna aussitôt
vers Glatz. Instruit
dans le même temps de la défaite du corps de Fouquet et de l'entrée des
Russes en Silésie, Frédéric envoya le prince Henri dans les environs de
l'Oder et décampa lui-même afin d'avoir la facilité de réunir les deux
armées. Le maréchal Daun leva aussi son camp pour éclairer la marche des
Prussiens. Le roi, voyant le maréchal en Silésie, revient brusquement sur
Dresde, canonne et bombarde cette ville avec un fracas épouvantable. Dresde
souffrit beaucoup et perdit un grand nombre de ses plus beaux édifices. Mais
le général Maquire, chargé du commandement de la place, se défendit avec le
plus grand courage en attendant les secours du maréchal Daun. Le septième
jour de l'investissement, celui-ci parut, y jeta un renfort de 12.000 hommes
et prit position sur les hauteurs voisines de la rive droite de l'Elbe. Sur ces
entrefaites, Glatz ouvrit ses portes à Loudon (25 juillet). Il avait espéré trouver les
Russes près de Breslau, et prendre cette ville qu'il bombarda, mais il
rencontra le prince Henri avec des forces supérieures et se retira. Les
Russes arrivèrent enfin sur l'Oder ; leur dessein était de se réunir à
l'armée du maréchal Daun. Le roi, qui craignait la perte de la Silésie, y
accourut de la Saxe ; sa marche fut harcelée par Daun qui le précédait comme
une avant-garde, tandis qu'il était suivi par Lascy, général plein de vigueur
et de résolution, auquel le feld-maréchal aimait à confier les missions les
plus importantes et les plus délicates. Frédéric s'avança jusqu'à Liegnitz,
où il se vit cerné par des forces presque triples. Dans une position aussi critique,
il cherchait un moyen de retraite, lorsqu'il profita d'un faux mouvement de
Loudon sur Liegnitz pour lui faire éprouver une déroute complète (15 août). Cette victoire permit au roi
de rétablir la communication avec Breslau et d'opérer sa jonction avec le
prince Henri. Depuis
la Saint-Barthélemy, 23.000 Russes, sous la conduite du général Demidoff,
assiégeaient Çolberg, tandis que 27 de leurs vaisseaux, auxquels s'était
réunie une escadre suédoise, bloquaient cette Ville par mer. Elle était
défendue par le brave major Heyden. Le général Werner, détaché de la Silésie,
à la tête de 5.000 hommes, attaqua les assiégeants le sabre à la main, et
leur inspira une telle frayeur, qu'abandonnant leurs camps et leurs canons,
ils se réfugièrent sur la flotte qui leva l'ancre et gagna la haute mer (18 septembre). Afin
d'obliger le roi de Prusse de quitter la Silésie, Daun fit marcher contre
Berlin 20.000 Russes et 15.000 Autrichiens sous Tchernicheff et Lascy. Le
prince Eugène de Wirtemberg, qui faisait dans la Poméranie la guerre aux
Suédois, s'empressa de voler avec 5.000 combattants à la défense de cette
capitale, mais il se retira devant les forces supérieures de l'ennemi. Les
Russes entrèrent le 9 octobre dans Berlin, que sa grande étendue et son
manque de fortifications ne permettaient pas de défendre avec succès. Ils y
levèrent une forte contribution et se retirèrent au bout de huit jours sur le
bruit de l'approche de Frédéric. Ainsi
que le maréchal Daun l'avait prévu, le roi quitta précipitamment la Silésie
pour voler au secours de sa capitale. Informé que les alliés en étaient
sortis, il tourna aussitôt vers la Saxe, dont la possession était à ses yeux
de la plus haute importance. Après avoir repoussé l'armée des cercles, repris
Leipsick et Wittemberg, il voulut chasser Daun, le Fabius des Autrichiens, de
la position avantageuse qu'il occupait à Torgau, et vint l'y attaquer (3
novembre). Des deux côtés on fit des efforts extraordinaires. Quatre cents
canons plantés sur des batteries, reçurent les Prussiens et anéantirent leur
corps de grenadiers. Leurs colonnes revinrent plusieurs fois à la charge sans
pouvoir entamer les Autrichiens, et furent repoussés jusqu'au bois de Domnitz.
Daun, quoique blessé dangereusement à la cuisse, se montra partout, combattit
à la tête des siens, et maintint son avantage. Tous les efforts de Frédéric,
déterminé à vaincre ou à mourir, devinrent inutiles. A la dernière attaque,
il eut la poitrine effleurée d'un coup de feu, et le margrave Charles reçut
une contusion. A la
vue de ses troupes en désordre, le roi crut la bataille perdue, et résolut de
profiter de la nuit pour se retirer. Daun, que la douleur de sa blessure
obligea de s'éloigner aussi, laissa le commandement à Buccow et se fit porter
à Torgau, d'où il dépêcha aussitôt des courriers à Vienne pour y annoncer la
nouvelle d'une victoire complète. Mais en son absence on négligea les
précautions nécessaires, et l'un des généraux prussiens, Ziéthen, détaché
pour combattre le corps de Lascy, rétablit les affaires de Frédéric. La
bataille recommença et dura dans l'obscurité jusqu'à dix heures. La nuit fut
horrible, les soldats des deux armées étaient mêlés, souffrant également du
froid, de la faim et de la soif, tournant leurs armes les uns contre les
autres dès qu'ils se reconnaissaient ; le champ de bataille, couvert de
blessés que personne.ne pouvait secourir et que des brigands dépouillaient[6]. Après avoir tenté vainement de
repousser Ziéthen, qui bientôt fut joint par le roi, les Autrichiens
passèrent l'Elbe et se dirigèrent sur Dresde. Au point du jour, Frédéric se
vit seul. Il avait perdu 14.000 hommes de sa meilleure infanterie et un grand
nombre d'officiers supérieurs.12.000 Autrichiens avaient été tués et 8.000
faits prisonniers. Les vainqueurs recouvrèrent toute la Saxe, excepté Dresde.
Les Suédois furent repoussés jusqu'à Stralsund, et les Russes, informés de la
défaite de leurs alliés à Torgau, reprirent leurs quartiers d'hiver en
Pologne. De
l'aveu du roi lui-même, les Prussiens ne durent leur victoire qu'à la
blessure que Daun avait reçue. Pour ce motif, la réputation du maréchal n'en
souffrit point, et lorsqu'il se rendit à Vienne, Marie-Thérèse alla en
personne à sa rencontre, à la distance de deux milles, et lui prodigua de
plus grands honneurs qu'après ses succès les plus éclatants. Le
revers qu'avaient éprouvé les armes autrichiennes à la fin de la campagne de
Saxe ne fut compensé par aucune action décisive du côté de la Westphalie. Le
maréchal de Broglie envahit de' nouveau la Hesse avec une armée de 120.000
'hommes, sans que le prince Ferdinand pût l'arrêter. La victoire de Corbach,
où le secondèrent habilement les comtes de Saint-Germain et de Guerchy (10 juillet), le rendit maître des
frontières de la Hesse, et prépara la prise de Cassel et de Minden par le
comte de Lusace. Le prince Ferdinand, qui voyait avec inquiétude les progrès
des Français, ne voulut cependant pas risquer une bataille, mais il détacha
le prince héréditaire pour faire une puissante diversion sur le Rhin ;
celui-ci, vers la fin de septembre, se rendit maître de Clèves et de
Rheinberg, et entreprit le siège de Wesel, De Broglie envoya contre ce prince
le marquis de Castries qui le battit à Clostercamp, lieu fameux par le
dévouement du chevalier d'Assas (16 octobre). Cet avantage força le
détachement du bas Rhin à lever le siège, afin de rétrograder sur l'armée de
Brunswick. Le maréchal de Broglie se maintint pendant l'hiver dans la Hesse
et dans le Hanovre. Georges
II venait de terminer son long règne (25 octobre). Ce monarque eut pour
successeur Georges III, son petit-fils, né en Angleterre, et qui, sous le
double rapport de la politique et du caractère, différait infiniment de son
aïeul. Ce prince, aussi pacifique par habitude que par principe, exprima
cependant au parlement la résolution de pousser avec vigueur les opérations
militaires ; mais les sentiments bien connus du nouveau souverain et la
confiance qu'il accordait à lord Bute ranimèrent les espérances des partisans
de la paix. Marie-Thérèse vit aussi avec satisfaction la révolution qui
commençait dans le cabinet britannique, et les sentiments de la cour
d'Espagne envers la maison d'Autriche. Charles III penchait en faveur de
l'impératrice-reine qui avait donné son adhésion à l'ordre de succession
établi pour son royaume de Naples et de Sicile. Le mariage de sa nièce,
l'infante Élisabeth-Marie, princesse de Parme, qui épousa l'archiduc Joseph (7 septembre) confirma ces dispositions[7]. Pendant
l'hiver de 1761, lorsque ses armées se reposaient des fatigues de la
campagne, Marie-Thérèse voulut témoigner par un acte public à toutes ses
troupes, combien elle était satisfaite de leurs services. Elle ne se contenta
pas de donner à leur courage et à leur zèle les éloges qu'ils méritaient,
elle rendit encore le sort des soldats plus heureux, en augmentant leur
ration d'une livre de farine par jour. Sensible aux malheurs dont les
habitants de Dresde avaient été accablés depuis le commencement des hostilités,
elle envoya dans cette capitale des sommes considérables destinées à réparer
les pertes qu'ils avaient éprouvées. Ainsi l'impératrice-reine, en veillant
avec son conseil aux préparatifs de la campagne prochaine, répandait sur ceux
qui devaient en supporter les fatigues, des bienfaits propres à leur en
adoucir les travaux. Dès le
mois de février, le prince Ferdinand, renforcé par un 'corps que lui avait
envoyé le roi de Prusse, essaya de chasser les Français de la Hesse et mit le
s«iége devant Cassel. Le maréchal de Broglie recula en désordre et ne
s'arrêta qu'à Hanau. Là, il rassembla son armée, marcha sur la Lahn, remporta
un avantage sur ce prince, auquel il fit 2.000 prisonniers, et enleva 13
pièces de canon et 19 drapeaux. Il força ensuite l'ennemi à repasser la
Dimel, et reprit sa position de Cassel. Le combat de Willighausen, près de la
Lippe, ne fut pas si heureux. Ferdinand contraignit les Français à la
retraite avec perte de 6.000 hommes. Le prince de Soubise et le maréchal de
Broglie, qui s'accusaient réciproquement de cette honteuse défaite, se
séparèrent ; le premier rétrograda sur le bas Rhin ; le second vers la Hesse.
L'habile Ferdinand les empêcha d'établir, comme ils se l'étaient proposé,
leur communication avec les Impériaux. L'Europe
avait alors les yeux fixés sur la Silésie, où les Russes arrivèrent plus tôt
que dans les campagnes précédentes. Mais cet autre théâtre de la guerre ne
fut pas plus fécond en évènements. Frédéric, qui n'avait plus que des troupes
jeunes, mauvaises, recrutées à grands frais parmi tous les aventuriers de
l'Allemagne, parut avoir changé son extrême hardiesse contre la
circonspection de Daun, et se tint continuellement sur la défensive. Il
courait le risque d'être accablé par ses ennemis, mais il fut sauvé par leurs
fautes. Tandis que Daun se contentait d'occuper Dresde et les environs,
Loudon opéra sa jonction avec les Russes dans la Silésie, et le roi se trouva
enveloppé dans lé camp de Bunzelwitz par 130.000 hommes, auxquels il ne
pouvait en opposer que 50.000. Malgré la force de ses retranchements protégés
par des collines, des rivières, des marais, par des palissades dont les rangs
se croisaient, et plus de 450 pièces de canon, il était perdu, lorsque le
général russe Boutourlin et Loudon, en pleine dispute, se séparèrent. Après
leur départ, Frédéric était sorti de son camp afin de se rapprocher de ses
magasins de Neiss. Loudon profite de ce mouvement ; il se présente devant la
ville de Schweidnitz, et attaque si brusquement les ouvrages extérieurs,
qu'on peut à peine se servir du canon pour tâcher de l'éloigner. Dans un
moment tout est emporté. Loudon marche au glacis, descend dans le fossé, escalade
les remparts, et arrive au milieu de la place sans donner le temps au
commandant Zastrow de proposer une capitulation. Zastrow est fait prisonnier
de guerre avec les 3.000 hommes qui composaient la garnison (1er octobre). Les autrichiens trouvèrent
dans la ville 200 pièces de canon, des magasins immenses d'armes et d'habits,
et beaucoup d'argent. De leur
côté, les Russes, sous la conduite de Roumanzoff, et appuyés par une flotte à
laquelle s'étaient réunies quatorze voiles suédoises, s'emparèrent de Colberg
qu'ils assiégeaient depuis longtemps (16 décembre). Ils purent alors hiverner dans
la Prusse et se procurer des subsistances sans leur faire traverser la
Pologne. Consterné
des pertes qu'il venait d'essuyer, Frédéric se rendit à Breslau où il ordonna
d'achever les retranchements d'un camp commencé pendant la dernière campagne.
Il se déroba à toute société pour se livrer à sa douleur, et parut déterminé
à finir ses jours avec gloire sous les murs de la capitale de la Silésie.
Tout annonçait, en effet, pour l'année suivante une campagne terrible et
décisive. Les affaires de l'impératrice-reine se trouvaient dans une
situation plus heureuse qu'à toute autre époque de la guerre. William Pitt,
l'admirateur du roi de Prusse, ne faisait plus partie du cabinet britannique.
Le pacte de famille qui unissait les branches diverses de la maison de
Bourbon, attirait sur la _scène des combats un nouvel acteur disposé à
soutenir la France et l'Autriche. Car l'Angleterre, n'ayant pu obtenir de la
cour de Madrid la communication de ce plan d'étroite solidarité, conçu par le
duc de Choiseul et signé le 15 août, avait déclaré la guerre à l'Espagne (4 janvier 1762) et entraîné le Portugal dans
son alliance contre la maison de Bourbon. Les
alliés allaient recommencer la campagne, appuyés sur les places de Colberg,
de Schweidnitz et de Dresde, qui leur donnaient la possession de la Prusse,
de la Silésie et de la Saxe, et tout semblait présager la fin de la monarchie
prussienne, lorsqu'elle se vit délivrée du péril imminent qui la menaçait.
L'impératrice de Russie, Élisabeth, morte le 5 janvier de cette année, eut
pour successeur son neveu, Pierre III, qui, dans sa première jeunesse, avait
visité la cour de Berlin. Ce prince avait été ravi d'admiration à la vue de
l'armée du roi et avait conçu pour lui les sentiments de la plus vive amitié.
Il abandonna non seulement les rangs de ses ennemis, mais embrassa son
alliance et envoya l'ordre à son armée de 20.000 hommes, qui s'était retirée
en Pologne, de se réunir aux troupes de Frédéric. La Suède suivit l'exemple
de la Russie, et conclut avec lui une suspension d'armes, et bientôt la paix. Frédéric,
que cette heureuse révolution remplit d'une joie égale au désespoir que lui
avaient inspiré ses revers, sortit de sa retraite, reprit sa manière de vivre
accoutumée et se hâta de concentrer toutes ses troupes en Silésie. Quoique
Marie-Thérèse eût diminué son armée, elle se montra néanmoins résolue à
continuer la guerre contre la Prusse et la Russie, afin de pouvoir au moins
conserver Glatz et Schweidnitz. Pendant que Frédéric prenait ses mesures pour
couper la communication entre cette dernière ville et Daun qui la couvrait
avec son armée, Pierre III fut déposé, assassiné et remplacé sur le trône par
Catherine d'Anhalt son épouse (9 juillet}. L'impératrice Catherine II
confirma la paix avec le roi de Prusse, mais elle se déclara neutre et
rappela ses troupes. Cette
nouvelle fut un coup de foudre pour Frédéric. Il ne changea cependant rien à
son plan de campagne et porta toute son attention sur la ville de Schweidnitz.
Afin de se préparer le moyen de l'investir, il sut éloigner le feld-maréchal
de cette place que défendaient le général comte de Guasco, officier plein de
bravoure et d'expérience, et l'un des plus grands ingénieurs de son époque,
le général français Vaquette de Gribeauval. Après avoir trompé les
Autrichiens sur son véritable dessein, il parut tout à coup devant
Schweidnitz et en forma le siège. Daun accourut aussitôt au secours de la
ville et se conduisit avec la même habileté que devant Dresde et. Olmutz,
mais il ne fut pas aussi heureux. Frédéric avait employé toutes les
ressources de l'art pour retrancher son camp. Le maréchal tenta plusieurs
fois de le forcer, sans pouvoir y réussir. Le comte de Guasco se défendait
avec une intrépidité digne d'éloges. Enfin, un accident rendit le roi de
Prusse maître de la place. Un obus, en tombant dans le laboratoire du fort de
Javernick, mit le feu aux poudres, et le fit sauter avec 300 grenadiers. Il
n'était plus possible, après cette catastrophe, de tenir contre les
assiégeants ; le comte de Guasco fut obligé de se rendre prisonnier de guerre
avec la garnison composée de 9.000 hommes. Lorsqu'il alla saluer le roi, à la
tête de tous les officiers qui avaient défendu la place : « Messieurs,
leur dit Frédéric, vous avez donné un bel exemple à imiter à ceux qui auront
à défendre des places ; votre défense me coûte plus de 8.000 hommes. » Ainsi
finit la campagne de Silésie, province que ne put jamais recouvrer la maison
d'Autriche. Il ne se passa plus rien d'important entre les armées des parties
belligérantes. L'objet des généraux autrichiens fut d'empêcher les troupes de
Frédéric d'entrer dans la Bohême par la Saxe. L'armée de l'empire aux ordres
du prince Stolberg, obtint sur les Prussiens quelques avantages qui furent
tous effacés par la victoire que le prince Henri remporta le 29 octobre. Il
attaqua les Impériaux à Freyberg, força leurs retranchements, et les battit
avec perte de 3.000 hommes, tués et blessés, de 4.000 prisonniers, de
quelques drapeaux et de 24 pièces de canon. Un corps de troupes prussiennes,
détaché contre la Bohême, réduisit en cendres la ville d'Egra, et s'avança jusque
sous les murs de Prague, tandis qu'un autre corps, traversant la Saxe,
pénétrait au cœur de l'Allemagne, jetait l'épouvante à Ratisbonne où la diète
était en séance, et contraignait Nuremberg et plusieurs autres villes à la
neutralité. Sur
l'autre théâtre de la guerre, les alliés de l'Autriche n'étaient guère plus
heureux. Le prince Ferdinand battit à Grebenstein les maréchaux d'Estrées et
Soubise (24
juin). Tout le
corps de M. de Stainville, qui se sacrifia généreusement pour empêcher la
déroute totale de l'armée, fut enveloppé et défait. Alors Soubise rétrograda
sur Cassel et sur Francfort. Il répara cet échec par l'avantage qu'il
remporta, le 30 août suivant, sur le prince héréditaire de Brunswick, à
Johannesberg. Cette victoire permit à l'armée du bas Rhin, sous les ordres du
prince de Condé, d'opérer sa jonction avec celle de Soubise, et les Français
reprirent l'offensive. Ils laissèrent cependant Ferdinand assiéger et prendre
Cassel (7
novembre) ; ils
allaient être chassés de la Hesse, lorsque la signature des préliminaires de
paix mit fin aux hostilités. Les
rois de Prusse et d'Angleterre avaient témoigné, dès l'année 1760, le désir
de la paix. La France, qui se voyait enlever par sa rivale tous ses
établissements dans les autres parties du monde, s'était montrée disposée à
un arrangement ; mais l'impératrice-reine avait fait avorter cette première
tentative de pacification, dans l'espoir d'écraser Frédéric II sous le poids
de la coalition et de recouvrer la Silésie. Les années suivantes, de
nouvelles et infructueuses négociations eurent encore lieu, jusqu'au moment
où la défection de la Russie et de la Suède enleva aux confédérés l'espoir de
la ruine prochaine et facile du héros prussien. La France et l'Angleterre se
retirèrent alors de la lutte et signèrent à Fontainebleau des préliminaires
de paix (3
novembre).
Marie-Thérèse et Frédéric restèrent seuls sur le champ de bataille. Mais
l'impératrice-reine, à laquelle la révolution de Russie n'avait pas procuré
les avantages qu'elle en avait espérés, semblait moins éloignée de la paix.
En voyant ses États héréditaires exposés aux incursions de son infatigable
ennemi, la Hongrie menacée par les Turcs, l'embarras de ses finances, la
défection de ses alliés, la terreur qu'éprouvaient divers États d'Allemagne,
elle se décida enfin à traiter, et fit adresser des propositions à Frédéric
par l'intermédiaire du roi de Saxe. Elles furent accueillies, et des
conférences s'ouvrirent au château d'Hubertsbourg, non loin de Dresde. Par le
traité conclu le 15 février 1763 entre la Prusse, l'Autriche et la Saxe,
après une discussion de peu de durée, Frédéric garda la Silésie et le comté
de Glatz, et promit sa voix pour faire élire Joseph, fils aîné de Marie,
comme roi des Romains ; l'électeur roi de Pologne recouvra ses États ; la
Suède dut évacuer la Poméranie prussienne. La
pacification d'Hubertsbourg, qui mit fin à la guerre de Sept ans, rétablit,
en Allemagne, les choses dans l'état où elles étaient au commencement des
hostilités. L'Autriche et la Prusse ne retirèrent d'autre avantage des flots
de sang qu'elles avaient répandus et des sommes immenses qu'elles avaient
dépensées, que d'avoir mesuré leurs forces et conçu le désir salutaire de ne
point renouveler une lutte si terrible. Cette guerre eut pour résultat
l'élévation de la Prusse au rang de puissance de premier ordre, non par sa
force matérielle, mais par la force d'opinion que lui donna la lutte inégale
qu'elle avait soutenue. Marie-Thérèse, qui se résignait à l'abandon de la
Silésie et à la perte de son influence sur l'Allemagne du nord, eut encore la
douleur de voir l'attachement de ses alliés pour elle leur devenir funeste.
La Saxe épuisée pourrait-elle guérir les blessures faites à ses provinces ?
D'énormes contributions avaient ruiné les États d'Allemagne dévoués à la
cause de l'Autriche. La France, après avoir dépensé 1.000.000.000 fr, et
200.000 hommes, expiait la faute qu'elle avait commise en négligeant sa
marine pour se mêler aux troubles du continent, par le sacrifice de ses plus
riches colonies et l'agrandissement de l'Angleterre qui, souveraine de
l'Océan et maitresse de l'Amérique, pouvait jeter en sécurité les fondements
de son merveilleux empire de l'Inde. « Si
nous examinons, dit Frédéric II dans son Histoire de la guerre de Sept 'ans,
les causes qui ont tourné les évènements d'une manière si inattendue, nous
trouverons que les raisons suivantes empêchèrent la perte des Prussiens : le
défaut d'accord et le manque d'harmonie entre les puissances de la grande
alliance ; leurs intérêts différents qui les empêchaient de convenir de
certaines opérations ; le peu d'union entre les généraux russes et
autrichiens, qui les rendait circonspects lorsque l'occasion exigeait qu'ils
agissent avec vigueur pour écraser la Prusse, comme ils l'auraient pu faire
effectivement ; la politique trop raffinée et quintessenciée de la cour de
Vienne, dont les principes la conduisaient à charger ses alliés 'des
entreprises les plus difficiles et les plus hasardeuses, pour conserver à la
fin de la guerre son armée en meilleur état et plus complète que celle des
autres puissances : d'où, à différentes reprises, il résulta que les généraux
autrichiens, par une circonspection outrée, négligèrent de donner le coup de
grâce aux Prussiens, lorsque leurs affaires étaient dans un état désespéré ;
la mort de l'impératrice de Russie, avec laquelle l'alliance de l'Autriche
fut ensevelie dans un même tombeau ; la défection des Russes et l'alliance de
Pierre III avec le roi de Prusse, et enfin les secours que cet empereur
envoya en Silésie. « D'un
autre côté, si nous examinons les causes des pertes que les Français firent
dans cette guerre, nous observerons la faute qu'ils commirent de se mêler des
troubles de l'Allemagne. L'espèce de guerre qu'ils faisaient aux Anglais
était maritime ; ils prirent le change, et négligèrent cet objet principal
pour courir après un objet étranger, qui proprement ne les regardait point. Ils
avaient eu jusqu'alors des avantages sur mer contre les Anglais ; mais, dès
que leur attention fut distraite par la guerre de terre terme, dès que les
armées d'Allemagne absorbèrent tous les fonds qu'ils auraient dû employer à
augmenter leurs flottes, leur marine vint à manquer des choses nécessaires,
et les Anglais gagnèrent un ascendant qui les rendit vainqueurs dans les
quatre parties du monde. D'ailleurs les sommes excessives que Louis XV payait
en subsides, et celles que coûtait l'entretien des armées d'Allemagne,
sortaient du royaume, ce qui diminua de la moitié la quantité des espèces qui
étaient en circulation tant à Paris que dans les provinces ; et, pour comble
d'humiliation, les généraux dont la cour fit choix pour commander ses armées,
et qui se croyaient des Turennes, firent des fautes très-grossières. « On ne
peut, dit encore le même auteur, se représenter l'état de la Prusse, à la fin
de la guerre de Sept ans, que sous l'image d'un homme criblé de blessures,
affaibli par la perte de son sang, et près de succomber sous le poids de ses
souffrances. La noblesse était dans l'épuisement, le petit peuple ruiné,
nombre de villages brûlés, beaucoup de villes détruites. Une anarchie
complète avait bouleversé tout l'ordre de la police et du gouvernement. En un
mot, la désolation était générale... L'armée ne se trouvait pas dans une meilleure
situation : dix-sept batailles avaient fait périr la fleur des officiers et
des soldats. Les régiments étaient délabrés et composés en partie de
déserteurs ou de prisonniers. L'ordre avait disparu et la discipline était
relâchée au point que nos vieux corps d'infanterie ne valaient pas mieux
qu'une nouvelle milice. » Tant de
maux avaient appris à Frédéric à détester le métier de conquérant. « Je ne
sais si je survivrai à cette guerre, écrivait-il en 1760 au marquis d'Argens,
mais je suis bien résolu, au cas que cela m'arrive, de passer le reste de mes
jours dans la retraite, au sein de la philosophie et de l'amitié. » En
effet, il renonça franchement à la carrière des combats, et, instruit par
tant de revers, il conclut une alliance étroite avec la Russie. Dès que le roi fut rentré dans sa capitale, il résolut de mettre en jeu tous les ressorts de sa volonté et de son intelligence pour réparer tous les désastres occasionnés par une si longue guerre. La Silésie, cause et prix de la lutte, en avait aussi le plus souffert ; elle se ressentit principalement de ses bienfaits. Tous les habitants, évêques, prêtres, chapitres, couvents, princes, nobles et bourgeois furent soumis au même impôt. Le souverain paya la taille comme le dernier de ses sujets. Les anciennes forteresses furent rétablies, et l'on en construisit de nouvelles. Frédéric II rebâtit quinze villes considérables, peupla plus de trois cents villages, et rendit à la culture une foule de terres demeurées en friche depuis longues années. En moins de quinze ans, la population de la Silésie excéda de 60.000 âmes au moins celle qui existait avant 1756. La sollicitude du roi s'étendit sur le royaume entier, et tout en blâmant sa vanité de vouloir tout entreprendre par lui-même, et qui lui fit commettre plus d'une erreur dans son administration, on ne peut qu'applaudir à la sagesse de ses règlements pour tout ce qui concerne la guerre, à l'admirable organisation de son armée, à ses efforts pour augmenter la liberté civile et le bien-être des paysans, à ses réformes de jurisprudence, aux améliorations introduites dans toutes les autres parties du gouvernement, aux encouragements continuels donnés, sous son règne à l'agriculture et à l'instruction de son peuple. |
[1]
Frédéric II, Histoire de la guerre de Sept ans, t. I.
[2]
Pfister, Histoire d'Allemagne, t. 10.
[3]
Coxe, d'après Pelzel.
[4]
Schœll, Cours d'histoire des États européens, t. 38.
[5]
Frédéric II, Histoire de la guerre de Sept ans.
[6]
Schœll, Cours d'histoire des États européens, t. 38.
[7]
Coxe, t. 5.