Troisième partie
C’ÉTAIT en Bretagne, nous l’avons déjà dit, que devaient
être frappés au coeur le druidisme et ce que les Romains appelaient la
barbarie gauloise. Auguste l’avait compris ; mais au moment où il allait s’engager
dans cette grande entreprise, le souvenir des revers de César, l’état
inquiétant de Cynobellin[2], qui avait réuni
sous sa domination presque tout le sud de Aulus Plautius qui les commandait, et dont l’armée se
composait de légions, d’auxiliaires gaulois et germains et de quelques éléphants,
s’engagea donc hardiment à travers les marais et les bois jusqu’à ce qu’il
eût rencontré l’ennemi ; il battit successivement Togodumne et Caractac. Des
peuplades jusqu’alors dépendantes de ces deux chefs se soumirent
volontairement. Plautius poussa jusqu’à un fleuve situé fort avant à
l’intérieur, et que sa profondeur empêchait de traverser à gué[5] ; arrêté là, il
eut à soutenir une bataille qui dura deux jours entiers et dont il sortit
vainqueur. Ce désastre et la mort de Togodumne n’empêcha point les Bretons de
tenter un nouvel effort ; ralliés sous le commandement de Caractac, ils
firent éprouver quelques échecs aux Romains. Claude alors se décida à se
rendre lui-même dans l’île. Sa présence aiguillonna les légions ; il marcha
en personne vers On a vu, dans l’histoire de Le successeur de Plautius, Ostoritts Scapula, trouva donc
l’île pleine d’agitation : les peuples indépendants avaient jeté. sur les
terres des alliés de Rome quelques divisions de troupes qui les mettaient à
feu et à sang. Le nouveau général défit une partie de ces troupes, dispersa
les autres, ordonna le désarmement des cantons suspects dans le voisinage de,
Après avoir installé ses colons militaires, Ostorius marcha contre les Silures : là il se trouva en face d’un ennemi redoutable. Caractac, plus rusé que lui, et profitant plus habilement des ressources du terrain, mais commandant à des soldats inférieurs en tactique et en discipline [Tacite, Ann., 3, 33], se hâta de transporter la guerre dans les âpres montagnes des Ordovikes. Renforcé successivement par tous ceux qui redoutaient la paix des Romains, il se décida enfin à une affaire générale que, cherchait Ostarius. Il choisit un champ de bataille dont l’entrée et la sortie étaient aussi favorables aux siens que défavorables à l’ennemi : des monts escarpés s’étendaient en cercle à l’entour ; et là où la pente plus douce permettait un accès plus libre, des pierres entassées de main d’homme formaient une sorte de rempart ; au-devant coulait une rivière dont les gués étaient dangereux. Son infanterie nombreuse et d’armure variée se rangea en bon ordre et borda le retranchement [Tacite, Ann., 12, 33]. Chefs et soldats étaient pleins d’ardeur et de confiance. Les chefs des différentes nations haranguaient chacun leurs troupes, les aiguillonnant par l’émulation, atténuant le péril et exagérant les espérances. Caractac volait de rang en rang ; il proclamait ce jour un jour de liberté ou de servitude éternelle ; il rappelait les noms de ces vieux Bretons qui avaient chassé le dictateur César, qui par leur valeur avaient préservé leur postérité des tributs et des haches, et conservé pur l’honneur de leurs femmes et de leurs enfants [Tacite, Ann., 12, 34]. Chacune de ses paroles excitait un frémissement universel ; chaque soldat jurait par les dieux que ni traits ni blessures ne le ferait reculer d’un seul pas. Les transports qui éclataient dans le camp breton tinrent en suspens le général romain : d’ailleurs cette rivière, ce rempart ajouté, ces moins à pic, toute l’horreur de ce lieu et de cette multitude sauvage l’épouvantait. Mais les légions demandèrent la bataille ; les soldats criaient que rien n’était insurmontable au courage, et les préfets, les tribuns, tenant les mêmes discours, augmentaient encore l’enthousiasme de l’armée. Ostorius, voyant cette vive ardeur, fit sonner la charge, passa la rivière sans difficulté, et arriva au pied du rempart : l’échange mutuel de flèches et de traits commença. Tant qu’on se battit ainsi à distance, les blessés et les morts furent presque tous du côté des Romains. Mais sitôt qu’à l’aide de la tortue, ils eurent renversé cet amas de pierres assemblées sans art, et que le combat se fût engagé de près sur un même niveau, les Bretons furent obligés de se replier sur le sommet des montagnes. L’ennemi les y poursuivit, non seulement les troupes légères, ruais jusqu’aux légionnaires même, malgré le poids de leurs armes ; les uns pressaient les fugitifs par l’agilité de leur course et par leurs traits, les autres par leur marche serrée ; tandis qu’au contraire la confusion s’était mise dans les rangs des Bretons, qui n’avaient ni casques ni cuirasses. S’ils faisaient face aux auxiliaires, ils tombaient sous l’épée, et sous le javelot des légionnaires ; s’ils tenaient tête à ceux-ci, le sabre et les javelines des auxiliaires les écrasaient : Ce fut pour les romains une victoire signalée ; ils prirent la femme et la fille de Caractac, ses frères se rendirent à discrétion [Tacite, Ann., 12, 35]. Lui échappa â la mort des braves, mais pour ne rencontrer partout dans sa retraite que pièges et que trahison. Il avait cru trouver un asile et l’hospitalité chez Cartismandua, reine des Brigantes ; il fut honteusement livré par elle et traîné, chargé de chaînes, au camp romain. C’était la neuvième année depuis que la guerre avait commencé en Bretagne : la renommée de Caractac avait franchi l’île, et pénétré en Italie. Rome était impatiente de voir le guerrier qui depuis tant de temps bravait sa puissance ; et Claude, en voulant rehausser sa gloire, augmenta celle de son captif. Il prépara, pour l’arrivée du Breton à Rome, une fête pompeuse ; le peuple y fut invité comme à un spectacle extraordinaire ; les prétoriens, sous les armes, prirent place dans une plaine qui bordait leur camp. Les clients du roi insulaire, les harnais, les colliers et tous les trophées de ses victoires sur les étrangers, puis ses frères, sa femme et sa fille furent étalés d’abord aux regards de la multitude : enfin il parut lui-même. La crainte dicta aux autres prisonniers des prières pusillanimes : Caractac, sans humilier ses regards, sans dire un mot qui provoquât la pitié, arrivé près du tribunal, s’adressa à l’empereur en ces termes [Tacite, Ann., 12, 36] : Si, avec ma naissance et mes succès, j’eusse gardé de la modération dans la prospérité, je serais venu ici l’ami des Romains, non leur captif ; et tu n’aurais point dédaigné l’alliance d’un chef issu d’aïeux illustres et commandant à plusieurs nations. Maintenant le sort m’avilit autant qu’il t’élève. J’avais des chevaux, des armes, des soldats, des richesses ; est-il étonnant que je voulusse conserver ces biens [Tacite, Ann., 12, 37] ? Si votre ambition, Romains, veut donner des fers à tous, est-ce une raison pour que tous les acceptent ? Au reste, ma soumission prompte n’eût illustré ni mon nom ni ta victoire. Si tu ordonnes mon supplice, on m’oubliera bientôt ; si tu me sauves la vie, mon nom rappellera éternellement ta clémence. Chez les Romains, les vaincus étaient toujours coupables,
et c’était un acte de générosité que de leur laisser la vie : Claude
l’accorda à Caractac et à sa famille. On leur ôta leurs chaînes, et ils
allèrent rendre à Agrippine, femme de l’empereur, les mêmes honneurs qu’ils
avaient rendus au Prince. En visitant Rome, et les palais magnifiques dont
cette capitale du monde était remplie, le noble Breton fut frappé
d’étonnement. Quoi ! dit-il aux Romains qui
l’accompagnaient, vous possédez de si belles choses,
et vous convoitez nos pauvres cabanes ? [Zonare, Hist.] Cependant la fortune, jusque-là constante à Ostorius,
sembla peu à peu l’abandonner. Soit que, délivré de Caractac, il se relâchât
de sa vigilance habituelle et de la sévérité de la discipline, soit que la
catastrophe d’un chef si grand et si malheureux eût allumé dans le cœur de
tous les Bretons le désir de le venger, la guerre recommença avec plus de
vigueur qu’auparavant. Des cohortes légionnaires, laissées avec un préfet de
camp chez les Silures pour y construire des forts, furent enveloppées : si
des postes les plus voisins les Romains n’étaient accourus en diligence, ces
cohortes périssaient jusqu’au dernier homme, et elles perdirent encore le
préfet, huit centurions et leurs plus braves soldats. A quelques jours de là
les Silures attaquèrent de nouveau les fourrageurs ennemis ; un
détachement de cavalerie romaine, arrivé pour les soutenir, fut mis en fuite.
Ostorius envoya des troupes légères, repoussées également ; enfin, il fallut
toute la masse des légions pour arrêter le désordre et remettre de l’égalité
dans le combat. Le général romain, exaspéré de voir ces petits échecs de
chaque jour ternir sa gloire passée, disait publiquement qu’il traiterait les Silures comme Tibère avait traité les
Sicambres ; qu’il les exterminerait ou les transplanterait dans Sur ces entrefaites, une guerre civile éclata chers les Brigantes, ces fidèles amis de l’étranger. Leur reine, Cartismandua, qui avait trahi et vendu l’infortuné Caractac, fière d’avoir procuré un grand triomphe à Claude [Tacite, Hist., 3, 45], s’abandonnait à tous les excès d’une autorité absolue. Son royaume et ses trésors accrus par les Romains l’enivrèrent d’orgueil et firent germer en elle l’amour du luxe et la corruption des mœurs. Elle avait pour mari Vénuse ou Vénusius, le plus renommé des chefs bretons depuis la chute de Caractac, elle s’en dégoûta, le répudia et partagea son lit et son trône avec Vellocat, son écuyer. Cet acte honteux agita tout le royaume. Vénuse avait pour lui la nation, Vellocat la passion indomptable et les fureurs de la reine : Cartismandua s’empara par artifice du frère et des parents de son premier mari, ce qui irrita les Bretons, qui d’ailleurs s’indignaient d’obéir à une femme [Tacite, Ann., 12, 40]. Les peuples voisins accoururent au secours de Vénuse, et les Brigantes se soulevèrent. Cartismandua aux abois appela les Romains ; ils vinrent ; la lutte fut longue, cruelle, indécise ; la vie de Cartismandua fut sauvée, mais le royaume resta à Vénuse et la guerre aux Romains [ibid.] : pourtant elle se termina à leur avantage. Dix années s’écoulèrent pendant lesquelles les généraux
romains continuèrent à batailler contre les vaillants peuples de l’ouest sans
les pouvoir dompter. A la constance patriotique se mêlait chez ces
montagnards le fanatisme de la religion. La loi de Claude qui abolissait le
culte druidique et ordonnait l’extermination de ses prêtres avait été
transportée dans A l’occident des Ordovikes, et très près de la côte, était
située la petite île de Mona. Âpre, inculte, d’un aspect lugubre et affreux[14], Mona avait été
choisie depuis des siècles par les druides pour le siège lé plus secret de
leur culte. Le haut collège du sacerdoce y résidait, et les collèges
inférieurs des prêtres et des prêtresses, échappés aux massacres de Dans la province le dégoût et l’irritation du peuple contre les Romains commençait à se manifester fortement. Les Bretons se soumettaient sans trop de murmures aux enrôlements, aux tributs, aux autres charges de l’empire, pourvu qu’on s’abstînt de les maltraiter. Ce dernier point, ils le supportaient difficilement : assez soumis pour être sujets, ils ne l’étaient point assez pour être esclaves [Tacite, Agricola, 13]. Ils conféraient secrètement entre eux sur les malheurs de leur servitude : ils se racontaient leurs griefs, ils les envenimaient par mille réflexions. Ils ne gagnaient rien par la patience, disaient-ils, que d’aggraver leurs charges, en persuadant qu’ils les supportaient volontiers. Jadis ils n’avaient qu’un roi, aujourd’hui on leur en imposait deux, le lieutenant de l’empereur et son procurateur, dont l’un épuisait leur sang, l’autre leurs biens. La discorde et la concorde des préposés étaient également funestes aux misérables qui en dépendaient ; les satellites de l’un, les centurions de l’autre joignaient l’insulte à la violence : il n’y avait plus rien de sacré pour leur avarice, rien pour leurs débauches. Dans les combats au moins c’était le plus brave qui dépouillait ; ici c’étaient des lâches pour la plupart qui, n’ayant jamais vu l’ennemi, venaient leur enlever leurs maisons, leur arracher leurs enfants, qui les traînaient à la guerre, comme si c’était pour sa patrie seulement que le Breton ne sût pas mourir ; et en effet pourrait il redouter cette poignée de soldats s’il daignait les compter ! Les Germains avaient bien secoué le joug, et pourtant ils n’avaient qu’un fleuve, et non l’Océan pour rempart. Ce qui devait animer le courage des Bretons, c’était le salut de leur patrie, de leurs femmes, de leurs mères ; tandis que les Romains n’avaient de motifs de guerre que la cupidité et leurs vices : ils repartiraient bientôt, comme était reparti leur dieu Jules César, pourvu que les Bretons imitassent les vertus de leurs ancêtres [Tacite, Agricola, 15]. Chez les alliés des Romains le mécontentement n’était pas moindre que parmi leurs sujets, un incident vint le porter à son comble. Prasutag, roi des Icènes, dont les trésors étaient immenses, avait institué l’empereur Néron son héritier conjointement avec ses deux filles, espérant que cette marque de soumission affectueuse mettrait son royaume et sa famille hors d’insulte [Tacite, Ann., 14, 31] : il se trompa. Son royaume fut saccagé par les centurions, son palais parles esclaves de l’empereur, avec tous les excès d’une prise d’assaut. On commença par battre de verges sa femme, Boudicéa[16], et par violer ses filles [Tacite, Ann., 17, 31] ; puis, comme si la contrée entière eût été comprise dans l’héritage, tous les chefs Icéniens se virent dépouillés des biens de leurs pères, et les parents même du roi furent portés sur la liste des esclaves. Ces atroces exécutions étaient â peine achevées, lorsque,
de nouveaux mouvements des insurgés de l’ouest inquiétant plus vivement
Suétonius Paullinus, lieutenant de Néron dans Des bords de l’Avon, Suétonius marcha à grandes journées, se dirigeant en masse serrée vers la côte des Ordovikes, qu’il atteignit presque à l’improviste, sans s’arrêter à chasser les montagnards, sans vouloir livrer de bataille. Arrivé sur la plage en face de Mona, il fit construire des bateaux plats, tels qu’il en fallait pour une mer entrecoupée de bas-fonds ; il y mit son infanterie sa cavalerie se jeta à la nage, ou prit au gué où les chevaux se trouvèrent avoir pied. Le rivage bordé par l’armée bretonne présentait comme une forêt d’armes et de soldats. Çà et là couraient des troupes de femmes, en appareil funèbre, les cheveux épars, portant dans leurs mains des torches enflammées ; et tout autour, des druides, immobiles, les bras levés au ciel, prononçaient avec solennité d’horribles imprécations [Tacite, Ann., 14, 30]. L’étrangeté de ce spectacle frappa les soldats romains ; à
les voir glacés par la peur, sans mouvement, se livrant sans défense aux
coups, on les eût dit cloués sur leurs vaisseaux [ibid.] ; mais
bientôt se ranimant à la voix de leurs chefs, s’aiguillonnant eux-mêmes, et
honteux de trembler devant unie troupe de femmes et de prêtres, ils
débarquent, marchent en avant, culbutent les Bretons, et les enveloppent dans
leurs propres feux [ibid.]. Tout ce qui tomba entre les mains
du vainqueur, druides, prêtresses, soldats, fart égorgé ou brûlé sur les
bûchers préparés par eux-mêmes, et la hache romaine commença à faire jour,
dans ces vieilles forêts si longtemps inaccessibles, et sous lesquelles tant
de sang humain avait coulé [ibid.]. Suétonius jeta les fondements
d’une forteresse destinée à garder le pays ; mais il n’eut point le temps de
la terminer, car il apprit dans le moment même que tout l’est de Les malheureux Icènes, profitant de l’absence de Suétonius, avaient pris les armes ; ils avaient entraîné dans leur soulèvement les Trinobantes[18], et d’autres nations provinciales que le joug romain n’avait point encore façonnées. Tous ces peuples étaient ulcérés contre les vétérans. Ceux-ci, nouvellement établis dans la colonie de Camulodunum, chassaient les Bretons de leurs maisons, et les dépouillaient de leurs terres, en les traitant de captifs et d’esclaves ; de concert avec les jeunes soldats, qui soutenaient les violences des vétérans par une conformité de moeurs et dans l’espoir d’une licence pareille. Le temple que les Romains avaient élevé à Claude, divinisé depuis sa mort, était regardé encore par les indigènes comme un boulevard fait pour éterniser leur oppression [Tacite, Ann., 14, 31] ; et les prêtres de ce nouveau culte, sous le prétexte de la religion, épuisaient, toutes les fortunes. D’ails leurs, il ne paraissait pas difficile de détruire une colonie qui n’avait pas la moindre fortification : objet dont les généraux romains s’étaient mis peu en peine, se fiant à l’obéissance des peuples, et ayant cherché l’agrément avant l’utilité. Dans ces conjonctures, une statue de Cependant Suétonius, par un effort hardi, quittant
aussitôt Mona, se fit jour et perça jusqu’à Londinium[20] : cette ville,
sans être colonie, était l’entrepôt d’un très grand commerce un nombre
considérable de trafiquants et de banquiers italiens et d’étrangers de toute
nation y vivait sous la protection romaine. Suétonius voulait d’abord y
placer le siège de la guerre ; mais, envisageant la faiblesse de son armée,
et éclairé par le mauvais succès de Cérialis, il se résolut à sacrifier une
ville pour sauver Déjà Suétonius, avec la quatorzième légion, les vexillaires de la vingtième, les auxiliaires des environs, avait formé un corps d’à peu près dix mille hommes, lorsque, sans différer, il se disposa à livrer bataille. Il se posta à l’entrée d’une gorge étroite, dont les derrières étaient fermés par un bois, bien sûr de n’avoir d’ennemis qu’en front, sur une plaine découverte où il n’y avait point de surprise à craindre. Les légionnaires, en masse compacte, furent placés au centre ; tout autour les, troupes légères : la cavalerie se resserra sur les ailes. Les Bretons ait contraire couraient tumultuairement, les bataillons se confondant au hasard avec les escadrons ; jamais ils n’avaient rassemblé de si grandes forces ; et tel fut l’excès de leur confiance, que, voulant avoir leurs femmes pour témoins de leur victoire, ils les traînèrent aussi avec eux, et les placèrent sur les chariots, dont ils avaient bordé les extrémités de la plaine [Tacite, Ann., 14, 34]. Boudicéa avait ses deux filles en face d’elle sur son char ; à mesure qu’elle passait devant les différentes nations, elle leur disait, que ce n’était pas sans doute une nouveauté pour les Bretons de marcher au combat sous les ordres de leurs reines ; mais que, dans ce moment-ci, oubliant tous les droits de ses aïeux, elle ne venait point réclamer son royaume et sa puissance ; qu’elle venait, comme la moindre, des femmes, venger sa liberté ravie, son corps déchiré de verges, ses filles déshonorées ; que l’insolence romaine en était venue au point de se jouer de leurs corps, de ne pas même respecter l’enfance ni la vieillesse ; que les dieux enfin, secondant une juste vengeance, avaient détruit la légion qui avait osé combattre ; que les autres qui restaient cachées dans leur camp, ou ne songeaient qu’à fuir, ne soutiendraient pas même la voix et les cris, encore moins le choc et les coups de tant de milliers de combattants : qu’avec une cause et une armée pareilles, il s’agissait de vaincre ou de périr ; que, femme, telle était sa résolution irrévocable ; quant aux hommes, ils pouvaient, s’ils l’aimaient mieux, accepter la vie et l’esclavage [Tacite, Ann., 14, 35]. Suétonius, dans un moment si hasardeux, ne gardait pas non plus le silence ; quoique plein de confiance dans la valeur de ses troupes, il entremêlait aussi les exhortations et les promesses. Il disait à ses soldats de mépriser le vain fracas de tous ces barbares, et des menaces sans effet ; qu’on apercevait chez l’ennemi plus de femmes que de soldats ; que mal armés, n’ayant jamais fait la guerre, ils s’enfuiraient aussitôt qu’ils auraient reconnu la valeur et le fer du vainqueur qui les a avait battus tant de fois ; que dans les plus grandes armées, c’était le petit nombre qui gagnait les batailles, et que ce serait pour eux un surcroît d’honneur de réunir sur une petite troupe toute la gloire d’une armée entière ; qu’il fallait seulement se tenir bien serrés, et les javelots lancés une fois, frapper avec le pommeau du bouclier, avec l’épée, massacrer sans relâche, et ne pas s’occuper du butin ; après la victoire, on le retrouverait [Tacite, Ann., 14, 36]. Ce discours fut reçu avec des acclamations, et Suétonius donna le signal du combat. D’abord, les légionnaires se tenant immobiles à leur place, et se resserrant dans cette gorge étroite qui leur servait de rempart, laissèrent l’ennemi s’approcher de très près ; alors, épuisant tous leurs traits à coup sûr, ils s’élancent, et, comme un coin, enfoncent les barbares. Les auxiliaires ne mettent pas moins de vigueur dans leur attaque, et la cavalerie, avec de longues lances, achève de briser Ies bataillons qui tenaient encore. Les autres tournèrent le dos, embarrassés dans leur fuite par cette enceinte de chariots qui fermaient toutes les issues. Le vainqueur n’épargna pas même le sang des femmes ; il tua jusqu’aux chevaux, dont il grossit les monceaux de morts. Les historiens romains font monter le nombre des Bretons tués à près de quatre-vingt mille ; celui des Romains à quatre cents, avec autant de blessés [Tacite, Ann., 14, 37]. Boudicéa désespérée s’empoisonna. Suétonius, rassemblant ensuite toute son armée, la retint longtemps
sous la tente, afin d’extirper jusqu’aux derniers restes de la révolte. Néron
envoya des renforts de Les successeurs de Suétonius agrandirent successivement Les mesures tour à tour violentes et douces appliquées par
Auguste et par Claude à |
[1] Caligula se borna, dit-on, à faire ramasser par ses légions des coquillages, et à construire sur le rivage un phare, monument de sa victoire sur l’Océan. Suétone, C. Caligula, n. 45. — Dion LIX. — Tacite, Agricola, c. 13.
[2] Il existe plusieurs médailles bretonnes qui portent ce nom.
[3] Suétone, Claude, n. 17. — Dion Cassius, loc. cit.
[4] Dion Cassius, ub. sup.
[5] Probablement
[6] Dion Cassius, LX. — Suétone prétend que tout était fini lorsque l’empereur arriva en Bretagne, et qu’il n’eut qu’à recevoir les soumissions des tribus domptées par son lieutenant. Plautius sans doute était trop bon courtisan pour ne pas laisser au prince de quoi motiver un triomphe.
[7] Silures. Tacite les soupçonnait originaires d’Ibérie (Agricola, c. 11) : leur territoire est représenté par les comtés de Glamorgan, de Monmouth, de Breknok, de Hereford et de Radnor.
[8] Demetæ. Pembrok, Carmarton, Cardigan.
[9] Ordovices. Flint, Dembigh, Carnavon, Merioneth, Montgomery.
[10] Cornavii ; leur chef-lieu était Diva, aujourd’hui Chester.
[11] Cangi. Partie des comtés de Chester et de Lancastre.
[12] Iceni. Aujourd’hui les comtés de Suffolk, Norfolk, Cambridge et Huntingdon.
[13] Les comtés d’York, de Lancastre, de Durham, de Westmoreland et de Camberland.
[14] Cambr. ap. Camd. Britan. p. 723.
[15] Tacite, Annales, XIV, c. 29 ; Agricola, c. 14.
[16] Boudicea, Bonduica, Boadica. — Ce nom paraît dérivé de Buddig qui, en langue kimrique, signifie victoire.
[17] Tacite, Annales, XIV, c. 29 ; Agricola, c. 14.
[18] Tacite, Annales, XIV, c. 30. — Aujourd’hui Essex et Middlesex.
[19] Tacite, Annales, XIV, c. 32 ; Agricola, c. 16. — Dion Cassius.
[20] Londin on Llundain, la ville des vaisseaux.
[21] Tacite, Annales, XIV, 33. — Agricola, c. 16.
[22] Galgacus. V. Tacite, Agricola, c. 29-39.