HISTOIRE DES GAULOIS

Première partie

CHAPITRE III.

 

 

LES deux invasions étrangères qui avaient précipité le retour de l’armée boïo-sénonaise, se terminèrent à l’avantage des Gaulois ; les Vénètes furent repoussés au fond de leurs lagunes, et les montagnards dans les vallées des Alpes. Mais à ces guerres extérieures succédèrent des querelles intestines [Polybe, II] qui absorbèrent pendant vingt-trois ans toute l’activité de ces peuplades turbulentes ; ce furent vingt-trois années de répit pour l’Italie.

Rome sut en profiter. L’apparition des Gaulois, si brusque et si désastreuse, avait laissé après elle un sentiment de terreur, que l’on retrouve profondément empreint dans toutes les institutions romaines de cette époque. L’anniversaire de la bataille d’Allia fut mis au nombre des jours maudits et funestes[1] ; toute guerre avec les nations gauloises fut déclarée, par cela seul, tumulte, et toute exemption suspendue, pendant la durée de ces guerres, même pour les vieillards et les prêtres[2] ; enfin un trésor, consacré exclusivement à subvenir à leurs dépenses, frit fondé à perpétuité et placé au Capitole : la religion appela les malédictions les plus terribles[3] sur quiconque oserait en détourner les fonds à quelque intention, et pour quelque nécessité que ce fût[4]. On vit aussi les Romains profiter de l’expérience de leurs revers pour introduire dans l’armement et la tactique de leurs légions d’importantes réformes. La bataille d’Allia et les suivantes avaient démontré l’insuffisance du casque de cuivre pour résister au tranchant des longs sabres gaulois ; les généraux romains y substituèrent un casque en fer battu, et garnirent le rebord des boucliers d’une large bande du même métal. Ils remplacèrent pareillement les javelines frêles et allongées, dont certains corps de la légion étaient armés, par un épieu solide appelé pilum, propre à parer les coups du sabre ennemi, comme à frapper, soit de près soit de loin[5]. Cette arme n’était vraisemblablement que le gais gallique perfectionné.

Cependant les Gaulois reprirent leurs habitudes vagabondes ; une de leurs bandes parut dans la campagne de Rome, et la traversa pour aller plus avant au midi [Tite-Live, VII, 1] : les Romains, n’osant pas les attaquer, se tinrent renfermés dans leurs murailles [Polybe, II]. Pendant cinq ans les courses des Gaulois se succédèrent dans le Latium et la Campanie, et pendant cinq ans, la république s’abstint à leur égard de toute démonstration hostile. Au bout de ce temps, une de ces bandes, campée sur la rive droite de l’Anio, avant menacé directement la ville, les légions sortirent enfin, et se présentèrent en face de l’ennemi de l’autre côté de la rivière. Cette nouveauté, dit un historien, surprit grandement les Gaulois [Polybe, II] ; ils hésitèrent à leur tour, et, après une délibération tumultueuse où des avis contraires furent débattus avec chaleur, le parti de la retraite ayant été adopté, ils décampèrent à petit bruit, à la nuit close, remontèrent l’Anio, et allèrent se retrancher dans une position inexpugnable au milieu des montagnes de Tibur[6].

Telle fut l’issue de cette campagne tout à fait insignifiante, si l’on s’en tient au témoignage de l’historien romain le plus digne de foi. Mais chez la plupart des autres, on la trouve embellie d’un de ces exploits merveilleux qui plaisent tant à l’imagination populaire et qu’on voit se reproduire presque identiquement dans les annales primitives de toutes les nations.

Ils racontent que dans le temps que les armées romaine et gauloise, campées des deux côtés de l’Anio, s’observaient l’une l’autre, un Gaulois, dont la taille surpassait de beaucoup la stature des plus grands hommes, s’avança sur un pont qui séparait les deux camps. Il était nu ; mais le collier d’or et les bracelets indiquaient le rang illustre qu’il tenait parmi les siens ; son bras gauche était passé dans la courroie de son bouclier, et, de ses deux mains, élevant au-dessus de sa tête deux énormes sabres, il les brandissait d’un air menaçant[7]. Du milieu du pont, le géant provoqua au combat singulier les guerriers romains ; et, comme nul n’osait se présenter contre un tel adversaire, il les accablait de moqueries et d’outrages, et leur tirait, dit-on, la langue en signe de mépris[8]. Piqué d’honneur pour sa nation, le jeune Titus Manlius, descendant de celui qui avait sauvé le Capitole de l’escalade nocturne des Sénons, va trouver le dictateur qui commandait alors l’armée. Permets-moi, lui dit-il, de montrer à cette bête féroce que je porte dans mes veines le sang de Manlius [Tite-Live, l. c.]. Le dictateur l’encourage, et Manlius, s’armant du bouclier de fantassin et de l’épée espagnole, épée courte, pointue, à deux tranchants, s’avance vers le pont[9] ; il était de taille médiocre, et ce contraste faisait ressortir d’autant plus la grandeur de son ennemi, qui, suivant l’expression de Tite-Live [VII, 10], le dominait comme une citadelle.

Tandis que le Gaulois chantait, bondissait, se fatiguait par des contorsions[10] bizarres, le Romain s’approche avec calme. Il esquive d’abord un premier coup déchargé sur sa tête, revient, écarte par un choc violent le bouclier de son adversaire, se glisse entre ce bouclier et le corps, dont il transperce à coups redoublés la poitrine et les flancs ; et le colosse va couvrir dans sa chute un espace immense[11]. Manlius alors détache le collier du vaincu, et le passe tout ensanglanté autour de son cou ; cette action, ajoute-t-on, lui valut de la part des soldats le surnom de Torquatus, qui signifiait l’homme au collier. C’est à la terreur produite par ce beau fait d’armes que les mêmes historiens ne manquent pas d’attribuer la retraite précipitée des Gaulois. Ce récit forgé, suivant toute apparence, par la famille Manlia, pour expliquer le surnom d’un de ses ancêtres [Niebuhr, Rœmisch. Gesch. t. II], tomba sans doute de bonne heure dans le domaine de la poésie populaire ; la peinture s’en empara également, et la tête du Gaulois tirant la langue jouit longtemps du privilège de divertir la populace romaine. Nous savons que, cent soixante-sept ans avant notre ère, elle figurait au-dessus d’une boutique de banquier, sur une enseigne circulaire, appelée le bouclier du Kimri[12]. Marius, comme on le verra plus tard, ennoblit cette conception grotesque, en l’adoptant pour sa devise, après que, dans deux batailles célèbres, il eut anéanti deux nations entières de ces redoutables Kimris[13].

Pendant sa retraite le long de l’Anio, l’armée gauloise avait trouvé à Tibur un accueil amical et des vivres ; de là elle avait gagné la Campanie en côtoyant l’Apennin. Irrités de la conduite des Tiburtins, les Romains vinrent saccager leur territoire ; et les Gaulois, par représailles, passant dans le Latium, saccagèrent Lavicum, Tusculum, Albe, et le plat pays jusqu’aux portes de Rome [Tite-Live, VII, 11] ; mais bientôt, assaillis coup sur coup par deux armées, ils furent contraints de battre en retraite dans les montagnes tiburtines [Tite-Live, ibid.]. Au printemps suivant, grossis par de nouvelles bandes, ils reprirent la campagne.

Pour mettre un terme à ces dévastations, les peuples latins envoyèrent à Rome des forces considérables, qui se réunirent aux légions sous la conduite du dictateur C. Sulpicius. Ce général, pendant la guerre précédente, avait étudié attentivement l’ennemi qu’il avait à combattre. Ce qu’il craignait le plus, c’était une affaire décisive dès l’ouverture des hostilités ; il traîna donc en longueur, travaillant surtout à affamer les bandes gauloises, et à les fatiguer par des marches continuelles. Cette tactique eut un plein succès. Elles furent totalement détruites, partie en bataille rangée, partie par la main des paysans. Leur camp se trouva richement garni d’or et d’objets précieux, provenant du pillage de la Campanie et du Latium. Sulpicius fit un choix parmi ces dépouilles, et les déposa dans le trésor particulier, consacré aux frais des guerres gauloises [Tite-Live, VII, 1].

Ce désastre rendit les Cisalpins plus circonspects ; et de huit ans, ils n’osèrent pas se remontrer dans Latium. Au bout de ce temps, ils revinrent, et se fortifièrent sur le mont Albano, qui, suivant l’expression d’un écrivain romain, commande comme une haute citadelle toutes les montagnes d’alentour [Tite-Live, VII, 24]. Trente-six mille Latins et Romains se rassemblèrent aussitôt sous les enseignes du consul Popilius Lænas ; dix-huit mille furent laissés autour de Rome pour la couvrir ; le reste se dirigea vers le mont Albano. Admirateur de Sulpicius, Lœnas était décidé à suivre la même tactique que lui. Après avoir attiré les Gaulois en rase campagne, il prit position sur une colline assez escarpée, et fit commencer les travaux d’un camp, enjoignant bien à ses soldats de ne s’inquiéter en rien des mouvements qui pourraient se passer dans la plaine [Tite-Live, VII, 23].

Sitôt que l’armée gauloise aperçut les enseignes romaines plantées en terre [Tite-Live, ibid.], et les légions à l’ouvrage, impatiente de combattre, elle entonna son chant de guerre, et déploya sa ligne de bataille ; le consul fit poursuivre tranquillement les travaux. Elle s’ébranla alors toute entière, et vint au pas de course escalader la colline. Popilius plaça entre les travailleurs et les assaillants deux rangs de légionnaires, le premier armé de longues piques ou hastes, le second de javelots et d’autres projectiles. Lancés de haut en bas, ces traits tombaient à plomb, et il n’y en avait guère qui ne portassent juste. Malgré cette grêle qui les criblait de blessures, ou surchargeait leurs boucliers de poids énormes, les Gaulois atteignirent le sommet du coteau ; mais là, trouvant devant eux la ligne hérissée de piques qui en défendait l’approche, ils éprouvèrent un moment d’hésitation ; ce moment les perdit. Les Romains s’avançant avec impétuosité, leurs premiers rangs furent culbutés, et entraînèrent dans leur mouvement rétrograde la masse qui les suivait. Dans cette presse meurtrière, un grand nombre périrent écrasés, un grand nombre tombèrent sous le fer ennemi ; le gros de l’armée fit retraite précipitamment vers l’extrémité de la plaine, où il reprit ses anciennes positions [Tite-Live, ibid.].

Ce premier succès avait animé l’armée romaine ; les travailleurs avaient jeté leurs outils et saisi leurs armes ; Popilius, cédant à l’élan de ses troupes, descendit le coteau, et vint attaquer la ligne gauloise ; mais là le sort se déclara contre lui. La légion qu’il commandait fut enfoncée ; lui-même, ayant eu l’épaule gauche presque traversée d’un matar ou matras, espèce de javelot gaulois, fut enlevé tout sanglant du champ de bataille[14]. La blessure du consul augmenta le désordre ; sa légion se débanda, et, le découragement gagnant les autres, la fuite devenait générale, lorsque Popilius, a peine pansé, se fit rapporter dans la mêlée. Que faites-vous, soldats ? criait-il ; ce n’est pas à des Sabins, à des Latins que vous avez affaire : vous avez tiré l’épée contre des bêtes féroces qui boiront tout votre sang, si vous n’épuisez tout le leur. Vous les avez chassés de votre camp, la montagne est couverte de leurs morts ; il faut en joncher aussi la plaine. En avant les enseignes ! à l’ennemi ! [Tite-Live, VII, 24] Les exhortations du consul ne furent pas vaines ; ses troupes ralliées, se formant en triangle, attaquèrent le centre gaulois, et le rompirent. Les ailes, accourues pour soutenir le centre, furent aussi culbutées. Tout fut perdu dès lors pour les Cisalpins ; car ils n’étaient pas gens à se rallier comme les Romains, ils connaissaient à peine une discipline et des chefs [Tite-Live, ibid.]. S’étant dirigés dans leur fuite du côté du mont Albano, ils s’y fortifièrent ; et l’armée de Popilius retourna à Rome [Tite-Live, ibid.].

Durant l’hiver qui suivit, la rigueur du froid et le manque de vivres chassèrent les Gaulois du mont Albano ; ils descendirent dans le plat pays, qu’ils parcoururent jusqu’à la mer. La côte était alors désolée par des pirates grecs, qui infestaient surtout le voisinage du Tibre. Une fois les brigands de mer, suivant l’expression d’un historien, en vinrent aux prises avec les brigands de terre [Tite-Live, VII, 25] ; mais ils se séparèrent sans que les uns ni les autres obtinssent décidément l’avantage. Les Gaulois, après quelques courses, se cantonnèrent près de Pomptinum. Au printemps, l’armée du Latium, forte de quatre légions, vint camper non loin de là ; et, suivant la tactique adoptée dans ces guerres par les généraux romains, elle se contenta d’observer les mouvements de l’ennemi [Tite-Live, ibid.]. Le voisinage des deux camps, pendant cette inaction, amena sans doute plus d’une provocation et plus d’un combat singulier. Les annalistes romains nous ont transmis le récit d’un événement de ce genre, mais en le dénaturant par des détails merveilleux qui rappellent le duel de Manlius Torquatus, et par d’autres bien plus extraordinaires encore.

Ici, comme au pont de l’Anio, le provocateur est un géant faisant d’énormes enjambées, et brandissant un long épieu dans sa main droite [Aulu-Gelle, IV, 1] ; le vengeur de Rome est un jeune tribun nommé Valérius ; mais l’honneur de la victoire ne lui appartient pas tout entier. Un corbeau, envoyé par les dieux [Ibid.], vient se percher sur son casque ; et de là s’élançant sur le Gaulois, à coups d’ongles et de bec, il lui déchire le visage et les mains, il lui crève les yeux, il l’étourdit du battement de ses ailes ; si bien que le malheureux n’a plus qu’à tendre le cou au romain qui l’égorge [Aulu-Gelle, IV, 2,  Tite-Live, VII, 26].

Ce qu’il y a de certain, c’est que Rome, ne jugeant pas prudent de pousser à bout l’armée gauloise, fit avec elle une trêve de trois ans, en vertu de laquelle celle-ci put se retirer sans être inquiétée ni par la république, ni par ses alliés ; la route qu’elle parcourut dans cette retraite reçut alors et porta depuis lors le nom de voie gauloise[15]. La trêve se changea bientôt en une paix définitive que les Gaulois observèrent religieusement [Polybe, II], quoique leurs amis les Tiburtins fussent cruellement châtiés des secours et de l’asile qu’ils leur avaient prêtés deux fois [Tite-Live, VIII, 14]. Une seule année, le bruit de mouvements guerriers dont la Cisalpine était le théâtre vint alarmer Rome. Quand il s’agissait de cet ennemi, dit un historien latin, les rumeurs même les plus vagues n’étaient jamais négligées ; le consul à qui était échu la conduite de cette guerre présumée enrôla jusqu’aux ouvriers les plus sédentaires, bien que ce genre de vie ne dispose nullement au service des armes : une grande armée fut aussi rassemblée à Véies, et il lui fut défendu de s’éloigner davantage dans la crainte de manquer l’ennemi s’il se portait sur Rome par un autre chemin [Tite-Live, VIII, 20].

L’alarme était sans fondement ; les précautions furent donc superflues, mais elles témoignent assez quelle épouvante le nom gaulois inspirait aux Romains, et peuvent servir de confirmation à ces paroles mémorables d’un de leurs écrivains célèbres : Avec les peuples de l’Italie, Rome combattit pour l’empire ; avec les Gaulois, pour la vie [Salluste, Guerre de Jugurtha]. Depuis cinquante ans, les nations cisalpines semblaient avoir renoncé aux courses et au brigandage, lorsqu’une bande nombreuse de Transalpins déboucha des monts, et pénétra jusqu’au centre de la Circumpadane, demandant à grands cris des terres. Pris au dépourvu, les Cisalpins cherchèrent à détourner plus loin l’orage qu’ils n’avaient pas su prévenir. Ils reçurent les nouveaux venus en frères, et partagèrent avec eux leurs trésors [Polybe, II]. Voilà, leur dirent-ils en montrant le midi de l’Italie, voilà le pays qui nous fournit tout cela ; de l’or, des troupeaux, des champs fertiles vous y attendent, si vous voulez seulement nous suivre. » Et, s’armant avec eux, ils les emmenèrent sur le territoire étrusque [Polybe, II – Tite-Live, X, 10].

L’Étrurie était à l’abri d’un coup demain. Il y avait déjà longtemps que la confédération préparait en secret un grand armement destiné contre Rome, dont l’ambition menaçait de plus en plus son existence. Ses places étaient approvisionnées, ses troupes sur pied ; il lui était facile de faire face aux bandes qui venaient l’attaquer ; mais cette nouvelle guerre dérangeait tous les plans qu’elle avait formés pour une autre plus importante. Dans son embarras, elle eut recours à un singulier expédient. Elle fit proposer aux Gaulois de s’enrôler à son service tout armés, tout équipés, dans l’état où ils se trouvaient, et d’échanger immédiatement le nom d’ennemis contre celui d’alliés, moyennant une solde [Tite-Live, X, 10]. L’offre parut convenir ; la solde fut stipulée et livrée d’avance, mais alors les Gaulois refusèrent de marcher. L’argent que nous avons reçu , dirent-ils aux Étrusques, n’est autre qu’un dédommagement pour le butin que nous devions faire dans vos villes ; c’est la rançon de vos champs, le prix de la tranquillité que nous laissons à vos laboureurs [Tite-Live, l. c.]. Maintenant, si vous avez besoin de nos bras contre vos ennemis les Romains, les voilà, mais à une condition : donnez-nous des terres !

Malgré l’insigne mauvaise foi dont les Gaulois venaient de faire preuve, leur nouvelle prétention fut examinée parle conseil suprême de l’Étrurie, tant était grand le désir de se les attacher comme auxiliaires ; et si elle fut rejetée, ce fut moins parce qu’il eût fallu sacrifier quelque portion du territoire, que parce qu’aucune des cités ne consentait à admettre parmi ses habitants des hommes d’une espèce si féroce [Tite-Live, X, 10]. Les deux bandes repassèrent l’Apennin avec l’or qui leur avait coûté si peu ; mais, quand il fallut partager, la discorde se mit entre elles ; Transalpins et Cisalpins se livrèrent une bataille acharnée où les premiers périrent presque tous. De tels accès de fureur, dit Polybe, n’étaient rien moins que rares chez ces peuples, à la suite du pillage de quelque ville opulente, surtout lorsqu’ils étaient excités parle vin [Polybe, II].

Sur ces entrefaites, une coalition générale se forma contre Rome. Les Samnites, poussés à bout, sollicitaient vivement les Ombres et les Étrusques de se liguer avec eux pour une cause juste, une cause sainte ; pour délivrer l’Italie d’une république insatiable, perfide, tyrannique, qui ne voulait souffrir, autour d’elle, de paix que la paix de ses esclaves, et dont la domination était pourtant mille fois plus intolérable que toutes les horreurs de la guerre [Tite-Live, IX, X, c. 6]. — Vous seuls pouvez sauver l’Italie, disait au conseil des Lucumons l’ambassadeur samnite ; vous êtes vaillants, nombreux, riches, et vous avez à vos portes une race d’hommes née au milieu du fer, nourrie dans le tumulte des batailles, et qui à son intrépidité naturelle joint une haine invétérée contre le peuple romain , dont elle se vante, à juste titre, d’avoir brûlé la ville et réduit l’orgueil à se racheter à prix d’or ? [Tite-Live, X, 16] Il insistait sur l’envoi immédiat d’émissaires qui parcourraient la Circumpadane, l’argent à la main, et solliciteraient les chefs gaulois à prendre les armes. L’Etrurie et l’Ombrie entrèrent avec empressement dans le plan des Samnites ; et des ambassadeurs, envoyés à Séna, à Bononia, à Médiolanum, parvinrent à conclure une alliance entre les nations cisalpines et la coalition italique.

La nouvelle d’un armement formidable chez les Samnites, les Étrusques, les Ombres, surtout chez les Gaulois, jeta dans Rome la consternation ; et de prétendus prodiges, fruits de la frayeur populaire, vinrent fournir à cette frayeur même un aliment de plus. On racontait que la statue de la Victoire, descendue de son piédestal, comme si elle eût voulu quitter la ville, s’était tournée vers la porte Colline, porte de fatale mémoire, par où les Gaulois l’avaient jadis envahie après la journée d’Allia. Ce souvenir préoccupait tous les esprits ; ce nom était dans toutes les bouches.

Citoyens, sujets, alliés de la république, se levèrent en masse ; les vieillards mêmes furent enrôlés et organisés en cohortes particulières[16]. Trois armées se trouvèrent bientôt sur pied ; deux furent placées autour de la ville pour en couvrir les approches, tandis que la troisième, forte de soixante mille hommes, devait agir à l’extérieur.

C’était entre la rive gauche du Tibre et l’Apennin, dans l’Ombrie, près de la ville d’Aharna, que les coalisés se réunissaient, mais lentement à cause de l’hiver. A mesure que leurs forces arrivaient, elles se distribuaient dans deux grands camps dont le premier recevait les Gaulois et les Samnites, l’autre les Étrusques et les Ombres. Non loin de cette même ville d’Aharna, se trouvaient alors cantonnées deux légions romaines que le sénat y avait envoyées précédemment pour contenir le pays. Surprises par la réunion inopinée des confédérés, elles ne pouvaient faire retraite sans être accablées ; elles attendaient des secours de Rome, occupant une position fortement retranchée, et résolues à s’y défendre jusqu’à ce qu’on les vint délivrer. Le sénat n’osait l’entreprendre de peur d’exposer en pure perte de nouvelles légions ; mais Q. Fabius Maximus, l’un des consuls, prit sur lui la responsabilité de l’événement [Tite-Live, X, 21 et sqq.].

Fabius était un vieillard actif, excellent pour un coup de main, et à qui l’âge n’avait rien enlevé de l’audace, ni malheureusement de l’imprudence de la jeunesse. Il partit avec cinq mille hommes, passa le Tibre, joignit et ramena les deux légions, sans trouver d’obstacle ; mais ensuite il gâta tout le fruit de cette manœuvre hardie. Prenant pour de la peur l’inaction des confédérés, il s’imagina pouvoir contenir l’Étrurie, et faire face à la coalition avec le peu de forces qu’il avait alors sous ses ordres ; et, les disséminant de côté et d’autre, il plaça une seule légion en observation près de Clusium, presque sur la frontière ombrienne. Au milieu de l’épouvante générale qu’il semblait braver, Fabius affectait une confiance immodérée ; on l’entendait répéter à ses soldats : Soyez tranquilles ; moins vous serez, plus riches je vous rendrai [Tite-Live, X, 25]. Ces bravades finirent par alarmer le sénat, qui le rappela à Rome pour y rendre compte de sa conduite ; après de sévères réprimandes, on le contraignit de partager la conduite de la guerre avec son collègue P. Decius. Ils partirent donc tous les deux de Rome à la tête de cinquante-cinq mille hommes formant le reste de l’armée active. Comme ils approchaient de Clusium, ils entendirent des chants sauvages, et aperçurent à travers la campagne des cavaliers gaulois qui portaient des têtes plantées au bout de leurs lances, et attachées au poitrail de leurs chevaux [Ibid., 26]. Ce fut la première nouvelle qu’ils eurent du massacre de toute une légion.

En effet, à peine Fabius avait-il quitté l’Étrurie, qu’une troupe de cavaliers Sénons, passant le Tibre pendant la nuit, vint cerner dans le plus grand silence la légion cantonnée près de Clusium [Tite-Live, l. c. – Polybe, II]. Tout, jusqu’au dernier homme, y fut exterminé [Tite-Live, X, 26]. Un sort pareil attendait inévitablement les autres divisions romaines disséminées en Étrurie, si P. Decius et ses cinquante-cinq mille hommes avaient tardé davantage. A la vue des enseignes consulaires, les Sénons repassèrent précipitamment le fleuve [295 av. J.-C.].

Le plan de campagne prescrit par le sénat aux consuls était tracé avec sagesse et habileté. Ceux-ci devaient, à la tête de leurs soixante-six mille hommes, faire face aux troupes réunies des coalisés, mais en évitant une affaire générale ; tandis que les deux armées qui couvraient Rome pénétreraient, par les rives gauche et droite du Tibre, dans l’Ombrie méridionale et dans l’Étrurie, et mettraient à feu et à sang le pays, pour obliger les Ombres et les Étrusques à revenir défendre leurs foyers. Ce ne serait qu’après cette séparation que l’armée consulaire devait attaquer les Samnites et les Gaulois, dont on espérait alors avoir bon marché. Conformément à ce plan , les deux consuls après avoir promené longtemps la masse des confédérés d’un canton à l’autre de l’Ombrie, sans vouloir jamais accepter le combat, passèrent l’Apennin, et allèrent se poster au pied oriental de cette chaîne, non loin de la ville de Sentinum. Les Ombres et les Étrusques à la fin perdirent patience ; ils recevaient de leur patrie des nouvelles chaque jour plus désolantes ; leurs villes étaient incendiées, leurs champs dévastés, leurs femmes traînées en esclavage ; quoiqu’en pût souffrir la cause commune, ils se séparèrent de leurs confédérés[17].

Aussitôt les rôles changèrent. Ce furent les Romains qui cherchèrent avec empressement l’occasion d’une bataille décisive, et les Gallo-Samnites qui l’évitèrent avec opiniâtreté ; cependant, au bout de deux jours d’hésitation, ceux-ci prirent leur parti, et déployèrent leurs lignes dans une vaste plaine devant Sentinum. Les Gaulois occupèrent la droite de l’ordre de bataille ; leur infanterie était soutenue par mille chariots de guerre, outre une cavalerie forte et habile [Tite-Live, ibid. – Paul Orose, ibid.]. Eux seuls en Italie faisaient usage de ces chariots, qu’ils manœuvraient avec une dextérité remarquable. Chaque chariot, attelé à des chevaux très fougueux, contenait plusieurs hommes armés de traits, qui tantôt combattaient d’en haut, tantôt sautaient au milieu de la mêlée pour y combattre à pied, réunissant à la fermeté du fantassin la promptitude du cavalier [César, Guerre des Gaules, IV, 33]. Le danger devenait-il pressant, ils se réfugiaient dans leurs chariots, et se portaient à toute bride sur un autre point. Les Romains admiraient l’adresse du guerrier gaulois à lancer son chariot, à l’arrêter sur les pentes les plus rapides, à faire exécuter à cette lourde machine toutes les évolutions exigées par les mouvements de la bataille ; on le voyait courir sur le timon, se tenir ferme sur le joug, se rejeter en arrière, descendre, remonter ; tout cela avec la rapidité de l’éclair [Ibid.].

Les Romains sortirent avec joie de leur camp, et formèrent leur ordre de bataille ; Fabius se plaça à la droite vis-à-vis des Samnites ; Decius à la gauche fit face aux Gaulois. Comme les préparatifs étaient terminés, et que les Romains n’attendaient plus que le signal de leurs chefs, une biche chassée des montagnes voisines par un loup, entra dans l’intervalle qui séparait les deux armées, et se réfugia du côté des Gaulois, qui la tuèrent ; le loup tourna vers les Romains, mais ceux-ci ouvrirent leurs rangs pour le laisser passer [Tite-Live, X, 27]. Alors un légionnaire, de la tête de la ligne, s’écria d’une voix forte : Camarades, la fuite et la mort passent de ce côté où vous voyez étendu par terre l’animal consacré à Diane. Le loup au contraire, échappé au péril sans blessure, présage notre victoire par la sienne ; le loup consacré à Mars nous rappelle que nous sommes enfants de ce dieu , et que notre père a les yeux sur nous [Ibid.]. Ce fut dans cette confiance que l’armée romaine engagea le combat.

Le choc commença par la droite que commandait Fabius ; il fut reçu avec fermeté par les Samnites, et de part et d’autre les avantages se balancèrent longtemps. A la gauche, l’infanterie de Decius chargea les Gaulais, mais ne produisit rien de décisif. Decius, dans la vigueur de l’âge, brûlait d’enlever la victoire à son vieux collègue. Il rassemble toute sa cavalerie, composée de l’élite de la jeunesse romaine, l’anime par ses discours, se met à sa tête, et va fondre sur la cavalerie gauloise qu’il disperse aisément ; elle essaie de se rallier, il l’enfonce une seconde fois. Mais alors l’infanterie gauloise s’entrouvre, et, avec un bruit assez épouvantable, s’élancent les chars, qui rompent et culbutent les escadrons ennemis [Tite-Live, X, 28]. En un moment toute cette cavalerie victorieuse est anéantie. Les chariots se dirigent ensuite vers les légions, et pénètrent dans leur masse compacte ; l’infanterie et la cavalerie gauloise accourant complètent la déroute. Decius s’épuise en efforts pour retenir les siens qui fuient ; il les arrête ; il les conjure : Malheureux ! leur crie-t-il ; pensez-vous qu’on se sauve en fuyant ? Convaincu enfin de l’inutilité de tout effort humain, se maudissant lui-même, il prend la résolution à mourir, mais d’une mort qui expie du moins sa faute, et répare le mal qu’il a causé [Ibid.].

C’était, chez les peuples latins, une croyance fermement établie, qu’un général qui, dans une bataille désespérée, se dévouait aux dieux infernaux prévenait par là la destruction de son armée ; et qu’alors, suivant l’expression consacrée, la terreur, la fuite, le carnage, la mort, la Mère des dieux du ciel, la colère des dieux des enfers [Ibid.], passaient des rangs des vaincus dans ceux des vainqueurs. Un événement très récent, où le père même de Decius avait joué le principal rôle, donnait à cette croyance religieuse une autorité qui semblait la mettre au-dessus de tout doute. Dans une des dernières guerres, entre les Romains et les Latins, on avait vu les premiers, déjà vaincus et fugitifs, se rallier par la vertu d’un semblable dévouement, et rentrer victorieux sur le champ de bataille. Ce souvenir se retraça vivement à l’imagination de Decius : Ô mon père ! s’écria-t-il, je te suis, puisque le destin des Decius est de mourir pour conjurer les désastres publics [Tite-Live, X, 28]. Il fit signe au grand pontife, qui se tenait près de lui, de l’accompagner, se retira à quelque distance hors de la mêlée, et mit pied à terre.

Suivant le cérémonial établi, Decius plaça sous ses pieds un javelot, et la tête couverte d’un pan de sa robe, le menton appuyé sur sa main droite [Tite-Live, VIII], il répéta phrase par phrase la formule que le grand prêtre récita à son côté. Janus, Jupiter, père Mars, Quirinus, Bellone, Lares, dieux nouveaux, dieux indigètes, dieux qui avez puissance sur nous et sur nos ennemis, dieux Mânes, je vous offre mes vœux, je vous prie, je vous conjure d’octroyer force et victoire au peuple romain, fils de Quirinus ; de faire peser la terreur, l’épouvante, la mort, sur les ennemis du peuple romain fils de Quirinus. Par ces paroles j’entends dévouer aux dieux Mânes et à la terre les légions ennemies pour le salut de la république romaine, et pour celui des auxiliaires des enfants de Quirinus [Tite-Live, VIII]. Ensuite il prononça les plus terribles imprécations contre sa tête, contre les têtes, les corps, les armes, les drapeaux de l’ennemi ; et, commandant à ses licteurs de publier par toute l’armée ce qu’ils avaient vu, il monte à cheval, s’élance et disparaît au milieu d’un épais bataillon de Gaulois.

Ce noble sacrifice ne fut point sans fruit ; à peine la rumeur en est répandue que les fuyards s’arrêtent, et que, pleins d’un courage superstitieux, ils reviennent au combat. Ils croient voir l’armée gauloise en proie à la peur et aux furies. Voyez, disent les uns, ils restent immobiles et engourdis autour du cadavre du consul. — Ils s’agitent comme des aliénés, disaient les autres ; mais leurs traits ne blessent plus. Le grand-prêtre cependant courait à cheval de rang en rang. La victoire est à nous, criait-il, les Gaulois plient. Decius les appelle à lui ; Decius les entraîne chez les morts ! [Tite-Live, X, 23]

Dans ce moment Fabius, qui avait pria l’avantage sur les Samnites, informé de la détresse de l’aile gauche, détache pour la secourir une division de son armée. L’aile gauche romaine regagne du terrain. Les Gaulois, réduits à la défensive, se forment en carré, et, joignant leurs boucliers l’un contre l’autre comme une enceinte de palissades, reçoivent l’ennemi de pied ferme. Les Romains les entourent, et, ramassant les javelots et les épieux dont la terre était jonchée, brisent les boucliers gaulois, et cherchent à se faire jour dans l’intérieur du carré [Ibid., 29] ; mais les brèches étaient aussitôt refermées. Cependant l’armée samnite, après avoir longtemps résisté à l’aile droite des Romains, lâche pied, et traverse le champ de bataille près du carré gaulois ; mais, au lieu de s’y rallier et de le secourir, elle passe outre, et court se renfermer dans le camp. Fabius survient, et l’armée romaine tout entière se réunit contre les Cisalpins : ils furent rompus die toutes parts et écrasés. La coalition, dans cette journée fatale, perdit vingt-cinq mille hommes, la plupart Gaulois : le nombre des blessés fut plus grand[18].

Le désastre de Sentinum [284 av. J.-C.] dégoûta les Cisalpins d’une alliance dans laquelle ils avaient été si honteusement sacrifiés au bout de quelques années cependant, ils reprirent les armes à la sollicitation des Étrusques. Mais déjà le Samnium se résignait au joug des Romains ; plusieurs même des cités de l’Étrurie, gagnées par les intrigues du sénat, avaient fait leur paix particulière ; et la cause de l’Italie était presque désespérée. Ce furent les Sénons qui consentirent à seconder les dernières tentatives du parti national étrusque ; guidés par lui, ils vinrent mettre le siège devant Arétium [aujourd’hui Arezzo], la plus importante des cités vendues aux Romains. Ceux-ci n’abandonnèrent pas leurs partisans ; ils envoyèrent dans le camp sénonais des commissaires chargés de déclarer aux chefs cisalpins que la république prenait Arétium sous sa protection ; et qu’ils eussent à en lever le siège immédiatement s’ils ne voulaient pas entrer en guerre avec elle. On ignore ce qui se passa dans la conférence, si les Romains prétendirent employer, à l’égard de cette nation fière et irritable, le langage hautain et arrogant qu’ils parlaient au reste de l’Italie, ou si, comme un historien le fait entendre, la vengeance personnelle d’un des chefs kimris amena l’horrible catastrophe ; mais les commissaires furent massacrés et leurs membres dispersés avec les lambeaux de leurs robes et les insignes de leurs dignités, autour des murailles d’Arétium[19].

A cette nouvelle, le sénat irrité fit marcher deux armées contre les Sénons. La première, conduite par Corn. Dolabella, entrant à l’improviste sur leur territoire, y commit toutes les dévastations d’une guerre sans quartier ; les hommes étaient passés au fil de l’épée[20] ; les maisons et les récoltes brûlées ; les femmes et les enfants traînés en servitude. La seconde, sous le commandement du préteur Cecilius Metellus, attaqua le camp gaulois d’Arétium ; mais dès le premier combat elle fut mise en déroute ; Metellus resta sur la place avec treize mille légionnaires, sept tribuns et l’élite des jeunes chevaliers[21].

Jamais plus violente colère n’avait transporté les Sénons; la guerre leur paraissait trop lente à quarante lieues du Capitole. C’est à Rome qu’il faut marcher, s’écriaient-ils, les Gaulois savent comment on la prend ! Ils entraînèrent avec eux les Etrusques, et atteignirent sans obstacle le lac Vadimon, situé sur la frontière du territoire romain. Mais l’armée de Dolabella avait eu le temps de se replier sur la ville ; grossie par les débris de l’armée de Metellus et par des renforts arrivés de Rome, elle livra aux troupes gallo-étrusques une bataille dans laquelle celles-ci furent accablées. Les Sénons firent des prodiges de valeur, et un petit nombre seulement regagna son pays[22]. Les Boïes essayèrent de venger leurs compatriotes ; vaincus eux-mêmes, ils se virent contraints de demander la paix [Polybe, II] ; ce fut la première que les Romains imposèrent aux nations cisalpines.

Le sénat put alors achever sans trouble et avec régularité, sur le territoire sénonais, l’œuvre d’extermination commencée par Dolabella. Tous les hommes qui ne se réfugièrent pas chez les nations voisines périrent par l’épée ; les enfants et les femmes furent épargnés, mais, comme la terre, ils devinrent une propriété de la république. Puis on s’occupa, à Rome, d’envoyer une colonie dans le principal bourg des vaincus, à Séna, sur la côte de l’Adriatique.

Voici la marche que suivaient les Romains, lorsqu’ils fondaient une colonie. D’ordinaire le peuple assemblé nommait les familles auxquelles il était assigné des parts sur le territoire conquis ; ces familles s’y rendaient militairement, enseignes déployées, sous la conduite de trois commissaires appelés triumvirs. Arrivés sur les lieux, avant de commencer aucun travail d’établissement, les tribuns faisaient creuser une fosse ronde, au fond de laquelle ils déposaient des fruits et une poignée de terre apportés du sol romain ; puis, attelant à une charrue dont le soc était de cuivre un taureau blanc et une génisse blanche, ils marquaient par un sillon profond l’enceinte de la ville future ; et les colons suivaient, rejetant dans l’intérieur de la ligne les mottes soulevées par la charrue. Un pareil sillon circonscrivait l’enceinte totale du territoire colonisé ; un autre servait de limite aux propriétés particulières. Le taureau et la génisse étaient ensuite sacrifies en grande pompe aux divinités que la ville choisissait pour protectrices. Deux magistrats, nommés duumvirs, et un sénat élu parmi les principaux habitants, composaient le gouvernement de la colonie ; ses lois étaient les lois de Rome. C’est ainsi que s’éleva, parmi les nations gauloises de l’Italie, une ville romaine, sentinelle avancée de sa république, foyer d’intrigues et d’espionnage, jusqu’à ce qu’elle pût servir de point d’appui à des opérations de conquête.

L’ambition des Romains était satisfaite, leur vanité ne l’était pas. Ils voulurent avoir reconquis cet or au prix duquel ils s’étaient rachetés, il y avait alors cent sept ans, et que les nations italiennes leur avaient tant de fois et si amèrement reproché. Le propréteur Drusus rapporta en grande pompe à Rome, et déposa au Capitole des lingots d’or et d’argent et des bijoux trouvés dans le trésor commun des Sénons ; et l’on proclama avec orgueil que la honte des anciens revers était effacée, puisque la rançon du Capitole était rentrée dans ses murs, et que les fils des incendiaires de Rome avaient péri jusqu’au dernier [Florus, I, 13].

 

 

 



[1] Varro., de ling. latin., l. V, col. 35. — Epit. Pomp. Fest. col. 249. — Plut., in Camil., p. 137. — Tit. Liv. l. VI. - Aurel. Victor., c. 23, etc.

… Damnata diù romanis Allia fastis.

Lucan., l. VIII. v. 409.

[2] Plut., in Camil. - in Marcello. — Tit. Liv., passim. — Appian, Bell. civil., l. II, p. 453.

[3] Appian, Bell. civil., l. II, p. 453.

[4] Appian, ibid. — Plut., in Cœsar. — Flor., IV, 2. — Dion Cass., LXI, 7.

[5] Plutarch., in Camil. — Appian, Bell. gallic., p. 754. — Polyæn., Stratag., l. VIII, c. 7, sect. 2.

[6] In Tiburtem agrum …… arcem belli gallici. Tite-Live, VII, II. – Polybe, II.

[7] Nudus, præter seutum et gladios duos, torque atque armillis decoratus. Quint. Claudius apud Aulum Gell., IX, 3.

[8] Nemo audebat propter magnitudinem atque immanitatem faciei. Deinde Gallus irridere atque linguam exertare. Q. Claud. loco citat. — Tite-Live, VII, 10.

[9] Q. Claud., ibid. — Tite-Live, ibid. Les critiques ont relevé ici un anachronisme choquant : l’épée espagnole ne fut connue des Romains que 150 ans plus tard.

[10] Gallus, suà disciplinà, cantabundus. Claud. ibid. — Cantus, exultatio, armorumque agitatio vana. Tite-Live, ibid.

[11] Quum insinuasset sese inter corpus armaque, uno alteroque subindè ictu ventrem atque inguina hausit et in spatium ingens ruentem porrexit hostem. Tite-Live, VII, 10. — Q. Claud., IX, 3.

[12] Taberna argentaria ad Scutum cimbricum. Fast. Capitol. fragm. ad ann. U. C. DLXXXVI, Reinesii inscript., p. 340.

[13] Les Cimbres et les Ambrons.

[14] Lævo humero matari propè trajecto. Tite-Live, VII, 24. — On appelait encore matras, au moyen âge, un trait qui se décochait avec l’arbalète, et dont le fer était moins pointu que celui de la flèche.

[15] Via data est quæ Gallica appellatur. Sext. Jul. Fronton, Stratag., II, 6.

[16] Seniorum cohortes factæ. Tite-Live, X.

[17] Tite-Live, X, 26-27. — Jul. Front., Stratag., I, 8. — Paul Orose, IV, 21.

[18] Tite-Live, l. c. — Paul Orose (IV, 21) fait monter le nombre des morts à 40.000. — Diodore de Sicile n’en compte pas moins de 100.000.

[19] Polybe, II. – Tite-Live, epitom., XI. - Paul Orose, III, 22. — Appian, ap. Fulv. Ursin, p. 343, 351.

[20] Denis d’Halicarnasse. — Flor. I, 13.

[21] Paul Orose, III, 22. — Tite-Live, eptim XII — Polybe, II.

[22] Polybe, II. — Tite-Live, epitom. XII. — Florus, I, 13. — Paul Orose, III, 22.